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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no302 - janvier-février 2006
* Pédiatre, Caen.
L
a pratique médicale est une école de modestie. Lorsque
Dieu dit : “Que la lumière soit”, Il crée par son dire la
lumière, il n’y a aucun espace entre sa parole et le fait.
Nous, médecins, ne sommes pas des dieux ! Ce que nous disons
n’est pas toujours la Vérité, ce que le malade entend n’est pas
toujours conforme à ce que nous avons dit, ou à ce que nous vou-
lions dire et que nous avons mal dit.
Mickaël Balint a très bien décrit la façon dont le médecin joue,
par la relation qu’il établit entre le malade et lui, un rôle théra-
peutique. L’effet placebo nous confronte au fait que des forces
mal connues opèrent dans la guérison.
Comment aborder la question du traitement des maladies graves
et du cancer ?
Personne ne met en doute l’utilité de la chirurgie, de la radio-
thérapie et des chimiothérapies. Personne ne met en doute l’uti-
lité des protocoles et de la recherche méthodique des meilleures
solutions techniques.
Pourtant, de nombreux malades et proches de malades sont insa-
tisfaits. Ils ont l’impression plus ou moins vague, plus ou moins
confuse que toutes les dimensions de la guérison ne sont pas
explorées.
Il y a dans cette révolte une protestation face à la maladie elle-
même et face aux traitements, souvent lourds, qui sont imposés.
Pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ? Mais peut-
être faut-il écouter davantage ce qui se dit dans cette insatisfac-
tion.
Plusieurs techniques médicales parallèles sont proposées. Il y a
très certainement des illuminés, des charlatans et des profiteurs.
Il y a peut-être aussi des gens de bonne foi qui se trompent. Mais
s’ils ne se trompaient pas totalement et si leur démarche com-
portait une part de vérité ? S’il y avait dans certaines de ces alter-
natives un élément de réponse, même partiel ? Aurait-on le droit
de refuser ces pistes ?
Quand on essaye de repérer ce qui, pour l’essentiel, fait la dif-
férence entre les traitements mis en œuvre dans les centres anti-
cancéreux (CAC) et ceux qui se proposent comme complémen-
taires, on peut schématiser ainsi les démarches (au risque de les
caricaturer) :
–Dans les CAC, le malade est considéré comme le porteur d’une
maladie (dans ce cas, un cancer). Il est soumis à des traitements
qui sont standardisés, c’est-à-dire que tout malade ayant une
maladie comparable à celle d’un autre malade recevra le même
traitement, et ce quel que soit le médecin prescripteur.
Le médecin est bien sûr un être humain et, comme tel, il est bon
qu’il soit gentil, empathique, concerné, mais tout cela est relati-
vement secondaire. Il est d’abord et surtout un technicien qui
connaît la maladie, qui connaît les différents moyens thérapeu-
tiques et leurs indications respectives.
Le malade n’est pas invité à mieux connaître et à mieux com-
prendre la maladie. Il n’est pas non plus attendu de lui qu’il la
combatte. Ce sont les thérapeutiques choisies et administrées par
le médecin qui, si possible, le guériront. Il en bénéficie, mais de
façon passive et ces thérapeutiques administrées de l’extérieur
ne font pas partie de son environnement naturel.
–Les thérapeutiques non classiques ont comme caractéristiques
communes habituelles d’impliquer davantage le patient comme
sujet actif et le thérapeute, qui est plus engagé dans un acte thé-
rapeutique auquel il participe pleinement. Par ailleurs, s’il peut
y avoir un recours à certaines drogues, et donc à un agent exté-
rieur ne faisant pas partie des éléments de la vie quotidienne, il
est souvent fait appel à une modification de l’alimentation et des
conditions psychologiques, c’est-à-dire que le malade est invité
non pas à se soumettre à des techniques extérieures, mais à chan-
ger de l’intérieur et dans sa vie quotidienne.
Pour le médecin de CAC, il est bon de souhaiter la guérison du
malade, mais celui-ci se doit d’être réaliste et de se soumettre à
ce qu’il observe et subit.
Le thérapeute alternatif invite le malade à lui faire confiance, à
s’abandonner à lui, à croire absolument et sans réserve à la gué-
rison. L’un et l’autre s’abandonnent au “désir fou de guérir”.
Désir de guérir qui s’entend de deux façons : désir qu’a le théra-
peute de contribuer à la guérison du malade, désir du malade
d’être guéri (au sens passif d’être guéri par le thérapeute et les
thérapeutiques) et de guérir (au sens actif où c’est le malade lui-
même qui se guérit).
Il y a dans ce désir fou de la place pour la folie, l’irréalisme et la
charlatanerie. Mais n’y a-t-il que cela ?
Il y a très certainement des patients qui ont besoin de s’aban-
donner au technicien bienveillant qui a une bonne connaissance
de son métier et qui fait de son mieux. Et il y a des médecins qui
TRIBUNE
Cancer et désir de guérir
Cancer and desire to cure
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J.P. Lellouche*