N O U V E A U C O N C E P T Anticorps monoclonaux humanisés et vaccinations dans les cancers du sein ● Ph. Beuzeboc*, S. Scholl* L es progrès réalisés dans la prise en charge des cancers du sein métastatiques ont été limités ces dernières années malgré le développement de nouvelles drogues, de nouvelles combinaisons de drogues ou d’essais d’intensifications de doses, justifiant l’exploration de nouveaux champs thérapeutiques. Une avancée, semble-t-il majeure, vient de voir le jour avec l’utilisation d’anticorps monoclonaux humanisés anti-c-erb-B2 (HER-2) dont les résultats des études de phase II et de phase III ont conduit à l’enregistrement récent du trastuzumab (Herceptine) par la FDA dans les cancers du sein métastatiques surexprimant cet oncogène (1). D’autres anticorps monoclonaux humanisés (antirécepteurs d’EGF, bispécifiques, anti-VEGF) sont en cours d’investigation. Parmi les autres nouvelles immunothérapies, des essais de vaccination contre des antigènes carbohydrates de mucines, associés aux tumeurs, sont également à l’étude. ANTICORPS MONOCLONAUX HUMANISÉS ANTIFACTEURS DE CROISSANCE Les facteurs de croissance et leurs récepteurs jouent un rôle important dans le développement, la croissance et la différenciation des tumeurs et constituent des cibles potentielles de première importance. Alors que l’on pensait les utilisations thérapeutiques des anticorps monoclonaux bloquées par le problème de leur immunogénicité, de leur pharmacocinétique rapide, de leurs effets secondaires potentiels (complexes immuns, relargage de cytokines, etc.), les techniques actuelles d’“humanisation” de ces anticorps ouvrent de vastes champs d’application, déjà concrétisés par les résultats et la commercialisation de l’anti-CD20 (rituximab) dans les lymphomes et de l’anticorps antirécepteur de l’interleukine 2 (basiliximab) dans les transplantations rénales. Elles permettent en effet d’éviter la formation d’HAMA (Human Anti Mouse Antibodies), de fixer le complément humain, et d’activer des récepteurs lymphocytaires pour déclencher des réactions d’ADCC (Antibody Dependent Cellular Mediated Cytotoxicity). * Service d’oncologie médicale du Pr Pouillart, Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75005 Paris. 192 Anticorps humanisé rhu Mab HER-2 (trastuzumab, Herceptine) Le gène d’HER-2 (Human Epidermal Growth Factor Receptor 2), aussi appelé neu ou c-erb-B2, code pour un récepteur glycoprotéique transmembranaire de 185 kd (p 185 HER-2) qui possède une homologie partielle avec le récepteur à l’EGF et a comme lui une activité tyrosine kinase. Une surexpression d’HER-2 est retrouvée dans 20 à 25 % des cancers invasifs du sein non métastatiques. Le principal mécanisme d’activation du gène implique une amplification génique. Cette surexpression peut être facilement recherchée par immunohistochimie. L’amplification et/ou la surexpression d’HER-2 représentent des facteurs de mauvais pronostic (2, 3, 4, 5) en analyse univariée et sont associées à d’autres paramètres péjoratifs (grade élevé, absence d’expression des récepteurs estrogéniques), que ce soit pour les formes avec ou sans atteinte ganglionnaire (6, 7, 8). Dans les études multivariées, sa signification pronostique indépendante est néanmoins inconstamment retrouvée (9). La partie extracellulaire du récepteur peut être libérée dans la circulation. Elle est alors détectable chez 20 à 40 % des patientes surexprimant HER-2. Les données in vitro suggèrent, aussi bien dans les lignées transfectées avec HER-2 que chez les souris transgéniques, que ce proto-oncogène n’est pas seulement un marqueur pronostique, mais qu’il joue également un rôle dans la pathogénie et l’agressivité clinique des tumeurs surexprimant HER-2. Différents travaux expérimentaux ont fait envisager que ces anomalies d’HER-2 pouvaient constituer une cible thérapeutique et ont conduit à essayer de bloquer HER-2 au moyen d’anticorps monoclonaux dirigés contre le domaine extramembranaire du récepteur. Parmi ceux-ci, l’anticorps murin mu Mab 4D5 s’est montré efficace pour inhiber la prolifération de cellules tumorales mammaires SKBR3 surexprimant HER-2, mais il ne peut être utilisé au long cours chez l’homme en raison des réponses immunes HAMA qu’il déclenche. Le rhu Mab HER-2 est un anticorps chimérique où les régions CDR de l’IGG1 murine anti-p 185 ont été incorporées dans une IGG1 humaine. Il conserve l’affinité de l’anticorps murin contre la partie extramembranaire du récepteur tout en perdant l’immunogénicité spécifique d’espèce. Il induit également des mécanismes de cytotoxicité anticorps-dépendante (ADCC). La part respective des deux mécanismes n’est pas connue dans l’activité antitumorale. Cet anticorps humanisé s’est montré actif dans des modèles précliniques et possède une action synergique avec certains cytotoxiques (cisplatine, doxorubicine, paclitaxel). La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 Expérience clinique Chez l’homme, le rhu Mab HER-2 a fait l’objet dans les cancers du sein métastatiques de trois essais de phase I, de cinq essais de phase II et d’un essai de phase III dont les résultats très probants ont conduit à un enregistrement récent par la FDA sous le nom d’Herceptine. Le schéma recommandé utilise une dose de charge de 4 mg/kg administrée en perfusion de 90 minutes, suivie de perfusions hebdomadaires (2 mg/kg) de 30 minutes. Le premier essai de phase I a permis d’évaluer la toxicité d’une seule dose, le deuxième celle de doses multiples, le troisième celle de l’association au cisplatine. Ils ont confirmé l’excellente tolérance (aucune toxicité de grade 3 ou 4) pour des doses comprises entre 10 et 500 mg par injection. La demivie est de 5,8 jours (1,7 à 12 jours), pouvant être plus courte en cas de libération dans le plasma de la partie extramembranaire d’HER-2. Dans les deux premiers essais de phase II, l’anticorps seul s’est montré actif. – Dans le premier, rapporté par Baselga en 1996 (10), 46 patientes présentant un cancer du sein métastatique surexprimant HER-2 ont reçu une dose de charge intraveineuse de 250 mg suivie de 10 perfusions hebdomadaires de 100 mg. En l’absence de progression tumorale, le même traitement était poursuivi une fois par semaine. La plupart des patientes avaient été lourdement prétraitées et présentaient une maladie étendue. Cinq patientes sur 43 évaluables ont présenté une RO (dont une RC durable à 60 mois), soit un taux de réponse de 11,6 % (IC 95 % : 4,36 % - 25,9 %). Il faut aussi noter une stabilisation chez 14 patientes et deux réponses mineures. – Le deuxième essai de phase II a évalué l’efficacité du rhu Mab HER-2 administré selon les mêmes modalités, associé au cisplatine (75 mg/m2 J1, J28 et J57) chez 39 patientes prétraitées par chimiothérapie. Les résultats ont été publiés dans le Journal of Clinical Oncology (11) en 1998. Huit RO sur 37 patientes évaluables ont été enregistrées (24,3 %). La toxicité était essentiellement due au cisplatine. La durée médiane de réponse était de 5,3 mois. La pharmacologie du rhu Mab HER-2 n’a pas été modifiée par le cisplatine. Ces résultats encourageants ont conduit à la mise en place d’une vaste étude multicentrique internationale (12). Elle a inclus 222 patientes dont la tumeur surexprimait HER-2 (2 ou 3 + avec une lecture centralisée), traitées par deux ou trois lignes de chimiothérapie (y compris le traitement adjuvant) en utilisant une dose de charge de 4 mg/kg suivie d’une dose hebdomadaire de 2 mg/kg. Le taux de RO rapporté par les investigateurs a été de 21 % (IC 95 % : 16-27 %) et de 15 % par le comité d’évaluation indépendant mis en place (IC 95 % : 10-20 %). La durée médiane de réponse a été de 8,5 mois et la médiane de survie de 13 mois. En parallèle, a été initiée en 1995 une étude multicentrique internationale (États-Unis, Canada, Europe, Australie, Nouvelle- Zélande) de phase III en première ligne métastatique La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 chez des patientes dont les tumeurs surexprimaient fortement HER-2 (2 ou 3 +), posant la question d’une potentialisation de certains cytotoxiques. Elle comparait en première ligne métastatique une chimiothérapie délivrée tous les 21 jours, soit de type AC (adriamycine 60 mg/m 2, cyclophosphamide 600 mg/m2), soit avec paclitaxel en cas d’utilisation préalable d’anthracycline en adjuvant (175 mg/m2), au même traitement associé à l’anticorps selon le même schéma que dans l’essai précédent. Quatre cent soixante-neuf patientes surexprimant c-erb-B2 (avec le même contrôle centralisé) ont été incluses dans cette étude (13). La différence s’est avérée très significative dans tous les cas en faveur du bras avec anticorps tant en taux de réponse (36,2 % versus 62 %, p < 0,01) qu’en durée de réponse (4,3 mois versus 7,3 mois, p = 0,0001). Avec la combinaison AC, le taux de réponse objective augmentait de 42,1 à 64,9 % (p = 0,0068). Avec le paclitaxel, la différence était encore plus nette : 25 % versus 57,3 % (p < 0,0001). Par contre, il a été constaté une cardiotoxicité élevée dans le groupe AC associé à l’anticorps : 18 % de grades 3-4 selon la classification de la NHA (National Heart Association) contre 3 % dans le groupe traité par la même association sans l’anticorps. Cette cardiotoxicité n’avait pas été prévue par les études animales et les essais de phases I-II chez l’homme. Le mécanisme physiopathologique n’est pas clair. Les neurégulines étant impliquées dans le développement embryonnaire du cœur et l’adaptation à des stress physiologiques ou des atteintes pathologiques, l’anticorps pourrait, en bloquant le récepteur c-erb-B2, inhiber des mécanismes intervenant dans la réparation de lésions induites par l’adriamycine (14). L’actualisation des données de cette étude, rapportée par Larry Norton cette année à l’ASCO à Atlanta (15), a confirmé le maintien des résultats avec une amélioration significative de la survie : 24,4 mois versus 20,3 mois (p = 0,025), en cas d’utilisation de l’anticorps avec la chimiothérapie. Il n’a pas été retrouvé de facteurs prédictifs de la réponse en dehors d’une tendance en faveur de l’intensité de la surexpression en immunohistochimie. Une étude plus récente conduite en première ligne métastatique chez 114 patientes refusant la chimiothérapie, randomisées pour recevoir soit le même schéma conventionnel, soit de plus fortes doses (dose de charge de 8 mg/kg suivie de doses d’entretien de 4 mg/kg), a donné un taux de réponse de 23 % (IC 95 % : 15-31 %) avec 6 RC et 20 RP. Dans le groupe présentant la surexpression la plus importante (3 + en immunohistochimie), ce taux montait à 31 %. Il n’a pas été retrouvé de différence en termes de réponse entre les deux doses, et la médiane de durée de réponse a été de 8 mois. Un essai de phase II d’association hebdomadaire de paclitaxel (90 mg/m2) et de trastuzumab (dose de charge de 4 mg/kg puis injections hebdomadaires à la dose de 2 mg/kg) est en cours au Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSKCC) depuis mai 1998 dans les cancers du sein métastatiques traités au maximum par trois lignes de chimiothérapie. Fornier (16) en a 193 N O U V E A U rapporté les premiers résultats à l’ASCO cette année, en termes de réponses chez 63 patientes : 62 % chez les patientes HER-2 positives (2 + ou 3 + en immunohistochimie) versus 44 % chez les HER-2 négatives. La durée de réponse n’était pas encore disponible. L’essai CALGB 9840 testera deux schémas différents d’administration du paclitaxel associé au trastuzumab. D’autres études débuteront bientôt en Europe, notamment en France avec le docétaxel. Perspectives Le développement du trastuzumab ouvre de nouveaux horizons thérapeutiques pour un nombre potentiellement important de malades, HER-2 étant surexprimé dans environ 25 % des cancers du sein. Le développement d’un traitement ciblé est d’autant plus important que ces tumeurs surexprimant HER-2 sont, en règle, hormonorésistantes (17-24) et non sensibles à une chimiothérapie adjuvante de type CMF (25-27). Leur sensibilité aux anthracyclines, au paclitaxel et aux chimiothérapies à fortes doses fait l’objet de publications contradictoires (28-35). Une standardisation de l’étude en immunohistochimie de cette surexpression est absolument nécessaire. Au plan thérapeutique, les résultats dans les stades avancés font envisager la mise en route rapide d’essais adjuvants et néoadjuvants (36). Il sera nécessaire de trouver les moyens de contourner ou de limiter le problème de la toxicité cardiaque avec les anthracyclines. Anticorps monoclonal antirécepteur de l’EGF Les récepteurs à l’EGF (Epidermal Growth Factor) sont fortement exprimés dans environ un tiers des cancers épithéliaux et l’activation autocrine de ces récepteurs est largement impliquée dans la croissance de ces tumeurs. Le développement d’un anticorps antirécepteur de l’EGF utilisable en thérapeutique antitumorale a été le fruit d’un cheminement scientifique long et rigoureux, mené par l’équipe de Mendelsohn aux États-Unis (37). La première étape a consisté à prouver qu’un anticorps capable de se fixer sur le récepteur de l’EGF avec une affinité comparable aux ligands naturels pouvait empêcher la fixation du facteur de croissance et inhiber la prolifération des cellules en culture exprimant à la fois R-EGF et TGF α, de lignées de cancers du sein (38), du côlon, du poumon, du rein, de la prostate (donc sans faire appel à des mécanismes immuns). La deuxième a permis de démontrer que ce blocage de l’activation du récepteur de l’EGF pouvait avoir le même effet sur la croissance de tumeurs humaines greffées sur souris athymiques (39). La troisième a prouvé que le mécanisme d’action impliquait une down regulation du récepteur. Dans les étapes suivantes, il a été montré que la diminution de la prolifération induite par l’anticorps monoclonal murin mAb 225 était due à la modulation de molécules régulant le cycle cellulaire (CDK 2 kinase, cyclines) et que le blocage des récepteurs de l’EGF augmentait l’activité de la chimiothérapie par du cisplatine dans un modèle de carcinome épidermoïde KB, mais aussi celle d’une chimiothérapie par la doxorubicine et le paclitaxel dans un modèle de carcinome mammaire MDA 468. La dernière étape a été celle du début des essais cliniques chez l’homme. 194 C O N C E P T Le premier essai humain a été une étude d’imagerie réalisée avec un anticorps M225 marqué à l’indium 111 chez des patients présentant un cancer bronchique épidermoïde inopérable (40). Dix-neuf patients ont été inclus. Deux informations ont pu être dégagées de cet essai : premièrement l’absence de toxicité de l’anticorps, deuxièmement la démonstration de l’efficacité de sa fixation (en effet, l’anticorps radio-actif a été capable de détecter toutes les lésions primaires et toutes les métastases supérieures ou égales à 1 cm). Mendelsohn a récemment rapporté, lors de sa présentation pour l’Award Price qui lui était décerné pour l’ensemble de ses travaux sur le sujet à l’AACR (Philadelphie, 1999), des résultats d’essais de phases I et II prometteurs avec un anticorps chimérique humanisé C225 utilisé sur plus d’une centaine de patients présentant différentes tumeurs (sein, prostate, poumon, ORL), en association notamment avec une chimiothérapie (par paclitaxel dans les cancers du sein) ou une radiothérapie (dans les cancers ORL). La dose thérapeutique a été fixée à 400 mg/m2 pour la dose initiale, à 250 mg/m2 pour les perfusions d’entretien hebdomadaires. Des essais de phase III ont été initiés aux États-Unis. Ces traitements pourraient trouver des applications dans les cancers du sein présentant des taux élevés de récepteurs à l’EGF. Anticorps monoclonaux bispécifiques Les données ne sont pas aussi avancées. La construction d’anticorps bispécifiques agissant comme des molécules bifonctionnelles représente une approche intéressante pour essayer d’augmenter l’efficacité immunologique des anticorps monoclonaux. En effet, en dépit de leur spécificité, les anticorps monoclonaux développés pour se fixer sur des tumeurs humaines ont peu d’effets thérapeutiques directs. Ce manque d’efficacité tient d’une part à l’incapacité pour beaucoup d’anticorps murins d’activer les voies immunes effectrices (fixation de complément ou ADCC) chez l’homme. D’autre part, l’efficacité clinique peut être annihilée par de fortes concentrations d’IGG non spécifiques qui entrent en compétition pour se fixer sur les récepteurs Fc de type I des cellules immuno-effectrices. Ces anticorps bispécifiques sont des anticorps hybrides construits à partir de deux anticorps monoclonaux parentaux : un spécifique de la cible tumorale, l’autre dirigé contre un récepteur Fc de cellules immuno-effectrices. Leur but thérapeutique est d’augmenter la capacité pour des cellules spécifiques (CTL) et non spécifiques (monocytes, neutrophiles, cellules NK) de médier la régression tumorale. En effet, la fixation sur le récepteur Fc de l’anticorps peut activer les cellules immunitaires et déclencher des effets cytotoxiques. Deux récepteurs cibles sont utilisés en pratique : – Fc γ RI (CD 64), présent sur les monocytes, les macrophages et les neutrophiles activés, – Fc γ RIIIA (CD 16), exprimé par les macrophages, les cellules NK (Natural Killer), les LAK (Lymphokine Activated Killer Cells). Le Fc γ RI est un récepteur de haute affinité, capable de fixer une IGG monomérique et de stimuler des mécanismes cytoLa Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 toxiques. Il semble représenter actuellement la cible la plus appropriée pour diriger la cytolyse spécifique de cellules tumorales par des cellules immuno-effectrices. Expérience clinique MDX 210, un anticorps monoclonal bispécifique dirigé contre Fc γ RI et le produit de l’oncogène HER-2, s’est montré capable in vitro d’induire des niveaux d’ADCP (Antibody Dependent Cellular Phagocytosis) et d’ADC (Antibody Dependent Cellular Cytotoxicity) équivalents à ceux d’un anticorps monoclonal anti-HER-2 de référence (MoAb 520C9). Il a fait l’objet d’un essai de phase I chez 15 patientes présentant un cancer du sein ou de l’ovaire surexprimant HER-2, déjà lourdement prétraitées à la Dartmouth Hitchcock Medical School (41). Des groupes de trois patientes ont reçu une perfusion unique de MDX 210 à des doses croissantes de 0,35 à 10 mg/m 2. La tolérance a été acceptable avec des épisodes transitoires de fièvres de grades 1-2, de malaises, d’hypotension artérielle (de grade 3 chez 2 patientes traitées à la dose de 10 mg/m2). Il n’y a pas eu de modifications hématologiques autres qu’une monocytopénie et une lymphopénie transitoires. Il a été montré que des doses de MDX 210 supérieures ou égales à 3,5 mg/m2 saturent plus de 80 % des monocytes. Une réponse partielle et une réponse mixte ont été observées sur 10 patients évaluables. L’anticorps a été mis en évidence au niveau de deux biopsies tumorales en immunohistochimie. Six patients ont développé des taux faibles d’HAMA. La dose optimale en perfusion unique a été fixée à 7-10 mg/m2. Il existe une forme humanisée de cet anticorps appelé MDXH210. Un essai de phase I dans les cancers du sein métastatiques consistant en une dose de MDX-H210 et 8 injections quotidiennes de G-CSF (5 µg/kg) a été réalisé en Europe par une équipe allemande (Erlangen) et une équipe hollandaise (Utrecht). Dix-neuf patientes ont été traitées. La dose maximale atteinte a été de 10 mg/m2. Un autre essai de phase I, également dans les cancers du sein métastatiques, réalisé en Californie avec des injections hebdomadaires de MDX-H210 délivrées pendant 6 semaines et associées à du G-CSF pendant 3 à 5 jours, n’a constaté jusqu’à une dose de 14 mg/m2 que des toxicités minimes. D’autres essais sont en cours aux États-Unis dans différentes tumeurs surexprimant c-erb-B2, utilisant MDX-H210, avec de l’interféron gamma à la Dartmouth Hitchcock Medical School, avec du GM-CSF au Georgetown University Hospital. Un autre anticorps murin bispécifique, appelé 2B1, ciblant c-erb-B2 et Fc γ RIII, a fait l’objet d’une étude de phase I publiée en 1995. Quinze patientes ont été traitées par un seul cycle de traitement comprenant des perfusions d’une heure réalisées à J1, J4, J5, J6, J7 et J8 selon un schéma de doses croissantes : 1 mg/m2 (3 patientes), 2,5 mg/m2 (6 patientes), 5 mg/m2 (6 patientes). Les principales toxicités ont été de la fièvre, des frissons, des nausées, des vomissements, des leucopénies. La thrombopénie, constatée chez 2 patientes, en constitue la toxicité limitante. Enfin, le MDX 447, anticorps bispécifique anti-EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) composé d’un fragment de La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 l’anticorps H22 humanisé anti-Fc γ RI et d’un fragment de l’anticorps H425 humanisé anti-EGFR, est actuellement en cours d’étude. Un essai de phase I, en combinaison avec du GM-CSF, a été initié par l’EORTC. Il est actuellement suspendu pour des problèmes de toxicité. Les résultats d’un autre essai de phase I avec cet anticorps réalisé au MSKCC et utilisant des perfusions hebdomadaires avec et sans G-CSF ont été présentés cette année (43). Les paliers de doses de MDX 447 ont été : 1, 3, 5, 7, 10, 15, 20, 30 et 40 mg/m2. Une première cohorte a été traitée par MDX 447 seul ; une deuxième avec du G-CSF (3 µg/kg/jour dont l’administration a commencé 3 jours avant l’anticorps et a été poursuivie une journée après). Soixante-quatre patients ont été inclus (27 cancers rénaux, 21 ORL, 4 bronchiques, 4 vésicaux, 2 mammaires, 6 divers). Pour la première cohorte, la dose maximale tolérée a été de 30 mg/m2. Dans la deuxième, l’escalade de doses n’a pas été possible au-delà de 3,5 mg/m 2 en raison de la survenue d’hypotensions de grade 3, de réactions anaphylactiques, de dyspnées. Les données concernant ces anticorps bispécifiques sont donc très préliminaires. Ils représentent une voie de recherche intéressante. Anticorps monoclonal anti-VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) Le VEGF est une glycoprotéine jouant un rôle important dans l’angiogenèse tumorale. La firme Genentech a développé un anticorps monoclonal murin humanisé anti-VEGF, le rhu Mab VEGF, qui neutralise l’activité VEGF et s’est montré prometteur dans des modèles tumoraux animaux. Les premiers essais viennent de débuter chez l’homme dans les cancers de prostate métastatiques en échappement hormonal (44). Quinze patients ont été traités par le rhu Mab VEGF à la dose de 10 mg/kg tous les 14 jours pour un total de 6 injections. Le traitement était poursuivi en cas de réponse ou de stabilisation. Aucune réponse objective n’a été observée mais 50 % de stabilisations ont été rapportées (un patient a eu une diminution de PSA entre 25 et 50 %, trois une baisse entre 0 et 25 %). La tolérance a été bonne. À notre connaissance, aucun résultat n’a été publié en ce qui concerne les cancers du sein. VACCINATIONS Même si les résultats actuels des essais cliniques de vaccination restent décevants dans le domaine des cancers, ils connaissent depuis ces dernières années un nouvel essor. Les premiers vaccins utilisaient empiriquement des adjuvants (BCG) mélangés à des cellules tumorales autologues irradiées. Les données les plus avancées concernent les cancers coliques. Une publication très récente a rapporté un bénéfice significatif en termes de survie sans rechute (p = 0,03) pour les stades B2 de Dukes dans une étude adjuvante randomisée ayant inclus 256 patients opérés d’un cancer colique (45). Toute une variété d’immunothérapies actives sophistiquées sont en train de naître grâce à la maturité des données sur les antigènes tumoraux, les progrès des connaissances sur les cytokines immunorégulatrices, la révolution des biotechnologies. 195 N O U V E A U Trois conditions sont nécessaires à leur éventuel succès : – que la tumeur soit immunogène, imposant l’expression d’un ou plusieurs antigènes reconnus par le système immunitaire ; – que l’immunité cellulaire T du patient soit parfaitement fonctionnelle. Celle-ci peut être modifiée par le cancer, diverses cytokines, les traitements (cytotoxiques, radiothérapie, corticoïdes). Il existe des anomalies fonctionnelles des lymphocytes T infiltrant les tumeurs, des cytokines à activité suppressive (TGF ß ou IL10), une expression anormale de Fas ligand à la surface des cellules tumorales ou un relargage de Fas ligand soluble pouvant entraîner l’apoptose des lymphocytes T spécifiques. Les cellules dendritiques peuvent être aussi moins fonctionnelles, avoir des modifications de leurs capacités présentatrices et stimulatrices (46) ; – que la masse soit faible. Sur les données expérimentales, il semble peu probable que les vaccinations puissent être efficaces au-delà de 5 milliards de cellules (ce qui correspond au stade de petites métastases asymptomatiques). Le champ d’investigation de ces nouvelles approches a concerné essentiellement le mélanome. Les antigènes tumoraux associés à cette tumeur y sont les mieux caractérisés ; famille des gènes MAGE (47), gènes spécifiques des mélanocytes (tyrosinase, Mart-1/Melan, gp100). Les nouvelles stratégies cherchent à optimiser la présentation de l’antigène et l’activation de lymphocytes T dans le cadre de protocoles plus efficaces. Des essais de vaccination par des peptides de la famille MAGE (48) sont actuellement en cours. D’autres utilisent en association de l’interleukine 2 ou pulsent divers antigènes (peptides, lysats tumoraux) dans des cellules dendritiques cultivées ex vivo (49). À Boston, Dranoff infecte des cellules autologues de mélanome in vitro avec un rétrovirus défectif exprimant le GM-CSF. Dans les cancers du sein, les travaux sont moins avancés. Les principales recherches se sont axées sur les antigènes de mucines. Vaccin thératope Des réponses humorales immunes à des antigènes carbohydrates ont été rapportées dans des modèles animaux et chez des patients atteints de cancers coliques, ovariens ou mammaires. Ces études dans des modèles animaux ont pu démontrer un ralentissement de la croissance tumorale et une prolongation de la survie à la suite d’une immunisation par des antigènes carbohydrates (50). Le STn (Sialyl-Tn) est un antigène carbohydrate d’une mucine épithéliale associée au cancer. Dans une étude de phase I chez des patientes atteintes de cancers du sein métastatiques, utilisant un STn synthétique couplé au KLH (Keyhole Limpet Haemocyanin), injecté avec un adjuvant immunologique (le DETOX-B), deux réponses partielles et deux réponses dissociées ont été notées sur treize patientes (51). Toutes les patientes ont développé des anticorps spécifiques de type IGM et IGG. L’utilisation de faibles doses de cyclophosphamide (200 à 300 mg/m2) injecté 2 à 4 jours avant l’immunisation augmente l’immunogénicité des vaccins antitumoraux, sans doute en inactivant des lymphocytes suppresseurs. Ceci a servi de rationnel à l’étude suivante. 196 C O N C E P T Un essai de phase II de la même combinaison de STn (100 µg) et DETOX-B injectée par voie sous-cutanée les semaines 0, 2, 5 ,9 avec ou sans cyclophosphamide préalable (300 mg/m2 à J3) a été réalisé au Guy’s Hospital de Londres (51). Les patientes ayant une réponse ou une maladie stable continuaient des injections toutes les 4 semaines. La principale toxicité a été la survenue de granulomes aux sites d’injection. Sur les 23 patientes randomisées, 2 réponses mineures et 5 stabilisations ont été notées. Les propriétés immunorégulatrices du cyclophosphamide ont été confirmées. Un vaste essai multicentrique international de phase III devant inclure plus de 900 patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique, répondeuses ou stables après une chimiothérapie d’induction, vient de débuter. Vaccination anti-MUC1 Les mucines sont de grosses glycoprotéines, riches en sucre (50 à 90 % du poids moléculaire). Elles sont exprimées par de nombreuses cellules épithéliales normales ou malignes. Le gène MUC1 surexprimé dans la majorité des tumeurs mammaires (plus de 90 %) a été cloné. Il code pour une protéine transmembranaire clivable, dont la fraction soluble devient antigène circulant et marqueur tumoral (CA 15,3). MUC1 est composé d’un squelette polypeptidique constitué de 30 à 60 séquences répétitives de 20 acides aminés, sur lequel se branchent des chaînes d’oligosaccharides. Dans les tumeurs du sein, il est presque toujours glycosylé de façon aberrante, avec des chaînes carbohydrates tronquées (1 à 6 unités de sucre). Ces anomalies structurelles aboutissent à la présentation d’épitopes antigéniques et à une immunisation spontanée dont témoignent le taux d’anticorps circulants et les complexes immuns qui ont pu être détectés chez des patientes atteintes de tumeur mammaire (53, 54). Des lymphocytes T cytotoxiques dirigés spécifiquement contre les cellules surexprimant MUC1 ont également pu être isolés (55). Cependant, malgré des signes de reconnaissance de MUC1 par le système immunitaire, celle-ci n’aboutit pas au rejet spontané de la tumeur. MUC1 possède vraisemblablement un rôle important dans la morphogenèse épithéliale et la progression tumorale (56). Elle pourrait à la fois agir comme une molécule antiadhésive et adhésive. L’augmentation de l’expression de MUC1 par les cellules tumorales pourrait faciliter le détachement des cellules tumorales des cellules voisines et de la matrice cellulaire, et protéger les cellules tumorales circulantes d’une destruction par les cellules immunitaires (57). Chez la souris knock out pour MUC1, la vitesse de croissance de tumeurs mammaires primaires induites et leurs métastases est diminuée, suggérant un rôle dans la progression tumorale (58). Dans des modèles murins syngéniques et transgéniques, des immunogènes basés sur MUC1 ont été capables d’induire une réponse immune et de prévenir une croissance tumorale (59). Études cliniques Dans une étude australienne de phase I, l’injection intradermique de deux unités répétitives de MUC1 couplées à la toxine diphtérique s’est avérée peu toxique mais n’a pas induit de réponses immunitaires (XING1995). La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 Acres et coll. ont utilisé des vecteurs viraux de type poxviridae. Une étude de phase I a été initiée à l’Institut Curie (60) en collaboration avec le laboratoire Transgène, chez 9 patientes présentant une récidive pariétale lymphangitique exprimant MUC1 en immunohistochimie, toutes vaccinées contre la variole dans l’enfance. Les patientes ont été immunisées avec une dose unique d’un virus de vaccine recombinant (VVTG5058) contenant l’ADNc humain de cinq séquences répétitives en tandem de MUC1 et le gène de l’interleukine 2 (l’intégration du gène de l’interleukine 2 associé à celui de MUC1 dans le virus recombinant a pour but d’assurer la libération des cytokines au niveau le plus adapté pour permettre le développement d’une réponse immune spécifique anti-MUC1) (62), selon trois niveaux successifs de doses de 5.10 5 à 5.107 pfu. Une injection de rappel était administrée chez les patientes ayant répondu immunologiquement ou cliniquement. Ce traitement a nécessité un isolement de 7 jours dans un espace confiné de type TL2 répondant aux normes de sécurité virale (bien qu’il s’agisse d’un virus atténué par inactivation de la TK virale, très faiblement réplicatif). Les résultats sont en cours de publication (Scholl, Journal of Immunotherapy, sous presse). Très succinctement, il n’a pas été constaté d’effets secondaires, de contamination virale environnementale. Deux patientes ont présenté des CTL anti-MUC1. Une étude internationale de phase II, après échec d’un traitement de première ligne métastatique, est en cours, dont les premiers résultats ont été rapportés à l’American Society of Gene Therapy (62). Deux réponses thérapeutiques ont été observées. Vaccinations peptidiques par des peptides dérivés des domaines extracellulaire et intracellulaire de l’oncogène HER-2/neu Disis et coll. (62) ont montré qu’une vaccination par des peptides dérivés des domaines extracellulaire et intracellulaire de l’oncogène HER-2/neu, associée à du GM-CSF, est capable de déclencher des réactions d’immunité T contre la protéine codée par cet oncogène chez des patientes atteintes d’un cancer du sein ou de l’ovaire. Ces peptides possèdent 12 à 15 acides aminés. Huit patientes ont été vaccinées une fois par mois et ont reçu entre 2 et 6 injections. Toutes ont développé une réponse cellulaire T peptide-spécifique et la majorité (6 sur 8) une réponse protéine-spécifique. Après de multiples immunisations, une réaction d’hypersensibilité retardée a été notée chez toutes les patientes, sauf une qui n’avait reçu que deux injections. Pour conclure, même si les vaccinations antitumorales sont capables d’induire des réponses cellulaires spécifiques, cellesci restent encore trop faibles. Néanmoins, des réponses cliniques ont été rapportées et corrélées à l’obtention d’une hypersensibilité retardée spécifique de tumeur. Les études actuelles réalisées en phase métastatique s’adressent à des populations de patientes dont les anomalies des réponses immunitaires et l’importance de la masse tumorale rendent peu probable l’obtention de résultats thérapeutiques probants à ce stade de la maladie. Aussi faut-il concentrer les efforts sur l’évaluation des réponses immunologiques. ■ La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 5 - octobre 1999 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Beuzeboc P., Scholl S., Sastre-Garaux et coll. Anticorps humanisé anti-HER-2 (trastuzumab ou Herceptine) : une avancée thérapeutique majeure dans les cancers du sein exprimant cet oncogène. Bull Cancer 1999 ; 86 (6) : 544-8. 2. Slamon D.J., Clark G.M., Wrong S.G. et coll. Human breast cancer, correlation of relapse and survival with amplification of the HER-2/neu oncogene. Science 1987 ; 235 : 177-82. 3. Kallioniemi O.P., Holli K., Visakorpi T. et coll. Association of erb-B2 protein over-expression with high rate of cell proliferation, increased risk of visceral metastasis and poor long-term survival in breast cancer. Int J Cancer 1991 ; 49 : 650-5. 4. Perren T.J. C-erb-B2 oncogene as a prognostic marker in breast cancer. Br J Cancer 1991 ; 63 : 328-32. 5. 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