politique par la discussion. Le romantisme les habituait aux effusions de
sentiments vagues et au lyrisme grandiloquent ; leur naïveté les faisait prompts
à l'enthousiasme et à l'indignation, ignorants des forces réelles et des procédés
d'action de la vie pratique.
La sagesse politique de ce temps se résumait dans la devise Ordre et liberté,
commune aux orléanistes et aux républicains. La France avait souffert tantôt
d'un excès d'autorité, tantôt d'une licence désordonnée ; le remède était un
équilibre entre l'ordre indispensable à la vie sociale et la liberté nécessaire au
progrès. Mais par quels moyens l'établir ? et dans quelle mesure ? Cette
génération, habituée à voir la garde nationale intervenir dans la politique,
n'éprouvait pas de scrupule à faire défendre les droits civiques par les citoyens
en armes, même contre le gouvernement, et ne s'interdisait pas le recours à
l'insurrection. Cependant, sauf le petit groupe blanquiste prêt à imposer par un
coup de force la dictature du prolétariat, les républicains eux-mêmes désiraient
s'en tenir aux procédés légaux et aux manifestations pacifiques.
Tous reprochaient à la monarchie censitaire d'avoir négligé le peuple, et
jugeaient nécessaire d'améliorer le sort des travailleurs. Mais, sur la voie à
suivre, un désaccord profond les divisait en deux camps. Les modérés et les
timorés, préoccupés de préserver l'ordre social contre le danger d'expériences
subversives, voulaient une révolution purement politique ; la république
démocratique fondée sur le suffrage universel suffirait à fournir au peuple
l'instrument pour transformer sa condition. Les démocrates ardents, résolus à
des innovations immédiates, réclamaient la révolution sociale pour calmer les
souffrances et les colères des ouvriers, sans préciser le rôle de l'État dans cette
transformation économique.
Pour la première fois en France les hommes politiques s'intéressaient aux classes
populaires, mais sans les connaitre. La masse ouvrière, paralysée par la
surveillance de la police, n'avait ni organes pour se faire connaître ni
groupements pour se concerter et prendre conscience de ses intérêts et de ses
désirs. Aujourd'hui que le journal, le roman, la littérature sociale ont familiarisé
le public français avec la vie et les sentiments des travailleurs manuels, nous
avons peine à nous représenter combien les bourgeois d'alors comprenaient mal
les paysans qu'ils voyaient à la campagne et au marché, les ouvriers qui
habitaient les étages supérieurs de leurs maisons. Les conservateurs se les
figuraient avides de pillage et de massacre, et croyaient que les partageux
communistes voulaient mettre les terres en commun pour les partager ; ils ne se
rassurèrent même pas après avoir vu les gens du peuple respectueux de la
religion et de l'instruction, toujours prêts à accepter pour chefs les notables
bourgeois. Mais les démocrates qui s'apitoyaient sur les misères des travailleurs,
même ceux qui les avaient visités comme médecins ou défendus comme avocats,
ne connaissaient guère mieux leurs peines, leurs travaux, leurs réclamations. Les
chefs d'écoles socialistes eux-mêmes n'étaient pas en relations personnelles avec
les ouvriers.
Les hommes investis par une révolution imprévue d'un pouvoir illimité se trou
vinent brusquement contraints d'improviser la solution de tous les problèmes
pratiques posés par la transformation démocratique des institutions, sans autre
guide que des doctrines abstraites exprimées dans une langue vague.
L'inexpérience enthousiaste, la candeur des sentiments, la bonne volonté
innocente qui font le charme des hommes de 48 se combinaient avec la
confusion de leurs idées pour rendre leur conduite désordonnée à l'instant où le