E R.
FRANÇOIS-XAVIER CHENET
LASSISE DE
LONTOLOGIE CRITIQUE
Ce texte est la republication d’un ouvrage paru aux
Presses Universitaires de Lille
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E R.
CHAPITRE XII
LE PROBLÈME DE L’ÉCONOMIE DE LA CRITIQUE
ET DE LA COMPATIBILITÉ DE L’ESTHÉTIQUE
AVEC L’ANALYTIQUE
I. La mise en cause de l'économie de la Critique
Kant a-t-il eu raison de commencer la Critique par une Est-
tique, n’aurait-il pas dû faire de la déduction transcendantale le point
de départ de son exposition du criticisme et placer l’Esttique ou sa
matière après l’Analytique des concepts ? Ou encore, naurait-il pas
dû exposer les formes de la sensibilité sous la catégorie de
l’effectivité, les lois de la sensibilité ne faisant, après tout, que res-
treindre l’entendement ? La Critique n’est-elle pas construite à l’en-
vers et une fausse idée du criticisme n’est-elle pas induite par ce dé-
sordre rédactionnel ? Pire, l’Esthétique comme théorie de la connais-
sance sensible ne se trouve-t-elle pas déjà toute constituée dans la
Dissertation, ne date-t-elle pas dun stade révolu de la pensée kan-
tienne où le problème critique était ignoré, ne faut-il pas voir dans
l’Esttique la persistance dans la Critique d’un point de vue qui
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n’est plus celui de Kant en 1781, un corps étranger à la pensée cri-
tique, contredisant aux thèses essentielles d’une œuvre dont le cen-
tre de gravité est à chercher dans l’Analytique ?
Cette question touchant à l’économie interne de la Critique
est ancienne puisqu’il revient à J.
S.
Beck de l’avoir soulevée dès
1796 dans son Unique point de vue possible et d’avoir été le premier
à douter que Kant ait eu raison de commencer la Critique par
l’Esttique transcendantale. Réitérant la question reinholdienne
1
des raisons aptes à expliquer qu’une doctrine aussi vraie et définitive
que celle de Kant puisse pourtant ne pas être universellement re-
connue pour telle et ditant l’échec de l’Essai d’une nouvelle théo-
rie de la faculté humaine de représentation à remédier à cette situa-
tion 2, Beck en arrive à incriminer le mode d’exposition même de la
Critique. Si Kant avait adopté d’emblée le point de vue transcen-
dantal, au lieu de s’adapter 3, un temps – et me, trop longtemps
1. Voir notre présentation de REINHOLD, Philosophie élémentaire, 16 sq. Quoique la
doctrine kantienne soit allgemeingültig, elle est loin d’être encore allgemeingeltend.
2. BECK, Erläuternder Auszug aus den kritischen Schriften des Herrn Prof. Kant. 3 Bde,
Riga, 1793-1796. Bd. III : Einzig möglicher Standpunkt, aus welchem die kritische Philo-
sophie beurteilt werden muß. [BECK expose la même doctrine dans son Grundriß der
kritischen Philosophie. Halle, 1796]. Cf. Unique point de vue, première partie, § 11 : « La
théorie de la faculté de représentation [de Reinhold] ne réalise pas ce qu’elle promet »
(61-119). Voir CASSIRER, Systèmes post-kantiens, 60-61.
3. « Il semble que la Critique n’adopte le langage du réalisme que pour être facile à
comprendre. Ce mode de pensée est en vérité naturel, étant donné que tout homme,
tant qu’il se refuse à la spéculation, admet un lien entre les représentations et leurs ob-
jets et considère que c’est la raison pour laquelle ses représentations correspondent
aux objets. En conséquence de quoi, la Critique enseigne tout à fait clairement que
l’entendement pense un objet en soi simplement comme objet transcendantal, dont
nous ne savons absolument pas s’il est en nous ou hors nous, s’il est supprimé avec la
sensibilité ou s’il demeurerait si la sensibilité était supprimée. » (Standpunkt, 30-31). «
La Critique de la raison pure s’adapte [fügt sich] entièrement, au commencement de
l’ouvrage, au mode de représentation de son lecteur, c’est-à-dire au point de vue tout à
fait ordinaire d’un lien entre les représentations et leurs objets dans le sens, lien dont
n’on a pourtant aucun concept. Tout ce qu’elle dit dans l’Introduction, vise simplement à
attirer l’attention du lecteur sur l’absence de valeur de ce point de vue et sur son entière
inintelligibilité. A quoi contribue particulièrement l’Esthétique transcendantale et l’avertis-
sement qui y est réitéré que l’espace et le temps ne sont que des représentations. Cette
thèse est pour ainsi dire le premier coup que reçoit le lecteur qui adhère à l’opinion que
nous connaissons les choses telles qu’elles sont. Cette opinion ne fait qu’un avec ce
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– au point de vue de ses lecteurs, de leur faire des concessions si im-
prudentes qu’il a rendu très difficile leur livrance ultérieure, s’il
était parti de l’activité synthétique qui est la source commune de
l’entendement et de la sensibilité, de l’acte originaire de repsen-
tation [das ursprüngliche Vorstellen] dont espace et temps sont les pro-
duits autant que les catégories, si, au lieu de s’exprimer improprement
en exposant le donné comme si la sensibilité devançait l’activité co-
gnitive et jouait le rôle de sa condition d’exercice, il avait exposé le
donné de la sensibilité comme le terme final de la connaissance ob-
jective, le résultat de la synthèse 4, cettte doctrine incontestable ne
serait pas restée contestée. A l’ordre d’exposition suivi par Kant –
qui n’est qu’un ordre pédagogique et par surcroît malheureux –, il
faut substituer l’ordre absolu et partir de la déduction transcendan-
tale 5.
Et de donner un commentaire de l’Esttique, s’attachant à
souligner à chaque instant ce qu’il y a lieu de comprendre du point
de vue transcendantal auquel le lecteur aura à s’élever. Le lecteur
ordinaire croit que l’intuition précède toute synthèse, le lecteur fa-
miliarisé avec le point de vue transcendantal des catégories sait, lui
par contre, que l’intuitionner est la synthèse originaire de
l’homogène, par conséquent qu’elle ne fait qu’un avec la catégorie
de la grandeur ; l’objet que produit en nous la sensation est phéno-
mène, cela veut dire qu’il est le produit de la position originaire
d’un quelque chose qui constitue une fixation de la synthèse origi-
naire de mes perceptions, la forme se trouvant a priori dans lesprit
point de vue […] Mais que la Critique se conforme donc autant dans son Introduction et
son Esthétique transcendantale à la façon dogmatique de penser de son lecteur, c’est
aussi ce qu’il y a à comprendre dans cette section […] » Standpunkt, 345-346.
4. Voir toute la première partie de l’Einzig möglicher Standpunkt, « Représentation des
difficultés que l’on éprouve à entrer dans l’esprit de la Critique » (3-119). Beck souligne
d’abord les inconvénients de la méthode suivie par Kant. Il s’était d’abord ouvert à Kant
de la façon dont il concevait la réorganisation de l’exposé de la Critique dans ses lettres
du 17 juin 1794 (Ak.XI, 489-492) et du 16 septembre 1794 (Ak.XI, 504-506). On ne peut
conclure de ce que Kant ne l’en ait pas dissuadé qu’il approuvait le projet.
5. Cf. la lettre de BECK à Kant du 31 mai 1792, Ak.XI, 325 ; on a là la ratio fiendi de
l’Einzig möglicher Standpunkt. « Ce n’est que dans la Logique transcendantale [et pas
dans l’Esthétique transcendantale] que l’on peut montrer comment nous parvenons à
des représentations objectives » (Ak.X, 325).
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