n’est plus celui de Kant en 1781, un corps étranger à la pensée cri-
tique, contredisant aux thèses essentielles d’une œuvre dont le cen-
tre de gravité est à chercher dans l’Analytique ?
Cette question touchant à l’économie interne de la Critique
est ancienne puisqu’il revient à J.
S.
Beck de l’avoir soulevée dès
1796 dans son Unique point de vue possible et d’avoir été le premier
à douter que Kant ait eu raison de commencer la Critique par
l’Esthétique transcendantale. Réitérant la question reinholdienne
1
des raisons aptes à expliquer qu’une doctrine aussi vraie et définitive
que celle de Kant puisse pourtant ne pas être universellement re-
connue pour telle et méditant l’échec de l’Essai d’une nouvelle théo-
rie de la faculté humaine de représentation à remédier à cette situa-
tion 2, Beck en arrive à incriminer le mode d’exposition même de la
Critique. Si Kant avait adopté d’emblée le point de vue transcen-
dantal, au lieu de s’adapter 3, un temps – et même, trop longtemps
1. Voir notre présentation de REINHOLD, Philosophie élémentaire, 16 sq. Quoique la
doctrine kantienne soit allgemeingültig, elle est loin d’être encore allgemeingeltend.
2. BECK, Erläuternder Auszug aus den kritischen Schriften des Herrn Prof. Kant. 3 Bde,
Riga, 1793-1796. Bd. III : Einzig möglicher Standpunkt, aus welchem die kritische Philo-
sophie beurteilt werden muß. [BECK expose la même doctrine dans son Grundriß der
kritischen Philosophie. Halle, 1796]. Cf. Unique point de vue, première partie, § 11 : « La
théorie de la faculté de représentation [de Reinhold] ne réalise pas ce qu’elle promet »
(61-119). Voir CASSIRER, Systèmes post-kantiens, 60-61.
3. « Il semble que la Critique n’adopte le langage du réalisme que pour être facile à
comprendre. Ce mode de pensée est en vérité naturel, étant donné que tout homme,
tant qu’il se refuse à la spéculation, admet un lien entre les représentations et leurs ob-
jets et considère que c’est la raison pour laquelle ses représentations correspondent
aux objets. En conséquence de quoi, la Critique enseigne tout à fait clairement que
l’entendement pense un objet en soi simplement comme objet transcendantal, dont
nous ne savons absolument pas s’il est en nous ou hors nous, s’il est supprimé avec la
sensibilité ou s’il demeurerait si la sensibilité était supprimée. » (Standpunkt, 30-31). «
La Critique de la raison pure s’adapte [fügt sich] entièrement, au commencement de
l’ouvrage, au mode de représentation de son lecteur, c’est-à-dire au point de vue tout à
fait ordinaire d’un lien entre les représentations et leurs objets dans le sens, lien dont
n’on a pourtant aucun concept. Tout ce qu’elle dit dans l’Introduction, vise simplement à
attirer l’attention du lecteur sur l’absence de valeur de ce point de vue et sur son entière
inintelligibilité. A quoi contribue particulièrement l’Esthétique transcendantale et l’avertis-
sement qui y est réitéré que l’espace et le temps ne sont que des représentations. Cette
thèse est pour ainsi dire le premier coup que reçoit le lecteur qui adhère à l’opinion que
nous connaissons les choses telles qu’elles sont. Cette opinion ne fait qu’un avec ce