REVUE DE L’OFCE
HORS SERIE
MARS 2002
LA MONDIALISATION
ET L’EUROPE
DEMOCRATIE ET MONDIALISATION
Jean-Paul Fitoussi
MONDIALISATION ECONOMIQUE ET FINANCIERE :
DE QUELQUES PONCIFS, IDEES FAUSSES ET VERITES
Jacques Le Cacheux
La mondialisation économique et financière suscite des débats et controverses dont les
termes sont, le plus souvent, emprunts de confusion. Bénéfique pour certains,
maléfique pour d’autres, la mondialisation est tantôt parée de toutes les vertus, tantôt
affublée de tous les vices. Cet article propose une grille de lecture économique des
différentes facettes de ce phénomène contemporain.
En premier lieu, il importe de le replacer dans une perspective historique longue, pour
faire ressortir les similitudes entre la période actuelle et les précédents épisodes de
mondialisation. Nous passons ensuite en revue les facteurs qui, selon nous, constituent
les principaux moteurs de la mondialisation : avantages comparatifs et spécialisation,
économies d’échelle et de gamme, goût des consommateurs riches pour la variété,
abaissement des coûts de transport et de communication, et libéralisation et ouverture
des marchés. La mondialisation qui résulte de la combinaison de ces facteurs procure
des gains économiques indéniables, gains mutuels de l’échange, gains de la spécialisation
et diffusion internationale des technologies, qui sont susceptibles d’engendrer, à très
long terme, une tendance au rattrapage des pays les plus riches par les plus pauvres,
donc une certaine convergence économique mondiale. Toutefois, la mondialisation
économique et financière comporte aussi des coûts et des inconvénients, notamment
en raison des restructurations qu’elle impose, de l’instabilité macroéconomique et
financière qu’elle favorise en l’absence de régulations adéquates, et des inégalités
qu’elle creuse entre gagnants et perdants, au sein des économies nationales et, dans
certaines conditions, entre économies nationales. La dernière partie de l’article aborde
la question de la gouvernance de l’économie mondialisée, en évoquant successivement
les modalités de la régulation mondiale par les institutions internationales telles que le
FMI et l’OMC, et les potentialités offertes par les processus d’intégration régionale, et
notamment l’expérience européenne d’union économique et monétaire.
GLOBALISATION FINANCIERE, VIEILLISSEMENT ET CONVERGENCE MONDIALE
UNE EXPLORATION DE QUELQUES SCENARIOS
Michel Aglietta, Jean Chateau, Jacky Fayolle, Michel Juillard, Jacques Le Cacheux,
Gilles Le Garrec et Vincent Touzé (équipe INGENUE)
Conçu pour analyser les conséquences sur les évolutions économiques mondiales et
sur les flux internationaux de capitaux des phénomènes de vieillissement
démographique et d’éventuelles réformes des régimes publics de retraite dans les pays
développés, le modèle INGENUE est un modèle d’équilibre général calculable à
générations imbriquées de l’économie mondiale divisée en six grandes zones,
distinguées selon leurs grandes caractéristiques démographiques et économiques :
trois zones développées au vieillissement déjà avancé (Europe, Japon et Amérique du
Nord-Océanie) ; et trois zones en développement dont le processus de vieillissement
est soit déjà largement entamé (Chine, etc.), soit à peine entamé (Inde, Brésil, etc.),
soit encore à venir (Afrique, Amérique centrale, etc.). Son scénario central décrit, pour
le XXIe siècle, un monde où les populations des grandes zones, immobiles, connaissent
des processus décalés de vieillissement, qui engendrent des opportunités d’échanges
mutuellement avantageux, suscitant des mouvements de capitaux de grande ampleur,
en dépit d’une diffusion internationale lente du progrès technique.
L’article propose ensuite une exploration détaillée de scénarios typés de convergence
institutionnelle des systèmes de retraite par répartition, d’abord limitée aux seules
zones développées de la planète, puis étendue à l’ensemble du monde. Nous montrons
que ces scénarios engendrent des évolutions économiques mondiales sensiblement
différentes, et surtout, des flux de capitaux d’ampleurs très diverses selon les cas, donc
aussi des répartitions très différentes de la richesse mondiale.
INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ETRANGER ET STRATEGIES DES ENTREPRISES
MULTINATIONALES
Sandrine Levasseur
Les investissements directs à l’étranger constituent certainement l’un des aspects les plus
visibles de la mondialisation. Les entreprises multinationales représentent une part
croissante de la production, de l’emploi et des échanges commerciaux dans le monde. La
production, si elle devient de plus en plus internationale, tend aussi à s’organiser selon un
mode bien spécifique. Les différentes étapes du processus de production sont réparties sur
un nombre croissant de sites, localisés dans différents pays. Le bien final vendu aux
consommateurs dans un pays donné est de plus en plus issu d’un assemblage de composants
fabriqués dans plusieurs pays. Si la fragmentation internationale de l’activité productive n’est
pas un phénomène récent, l’ampleur du phénomène est, elle, bien nouvelle. Elle accroît, tout
en les modifiant, les interdépendances entre les pays : ceux-ci sont liés via l’activité des
multinationales le long de la chaîne des valeurs. Un nombre croissant de pays en
développement participe au processus d’intégration verticale de la production. Toutefois, ces
pays ne sont pas seulement des récipiendaires de l’investissement direct étranger. Des
multinationales originaires de pays en développement, certes de taille modeste pour la
plupart, apparaissent. Cet article s’attache essentiellement à montrer comment s’organise la
production internationale, à quels motifs et déterminants elle répond, et quels facteurs la
rendent possible.
SIDA ET DEVELOPPEMENT : UN ENJEU MONDIAL
Vincent Touzé et Bruno Ventelou
L’article propose une revue des débats économiques que suscite la pandémie de SIDA en
Afrique, notamment les débats portant sur l’accès restreint aux thérapeutiques brevetées et
sur le droit international en matière de propriété intellectuelle (OMC, accords TRIPs). Après
une rapide description de la maladie, de son épidémiologie, et des traitements existants, il
énonce les différentes formes d’impact de la maladie sur l’économie et examine les études
macroéconomiques disponibles pour les pays africains. La méconnaissance des aspects
différés du choc, sur l’accumulation de capital et sur l’éducation, peut avoir conduit les
études à sous-estimer l’effet de la maladie sur les mécanismes de développement de ces pays
très pauvres. Ce constat, la gravité de la maladie, ainsi que l’observation des formes
concrètes de l’échange international, plaident pour une intervention publique mondiale à
deux niveaux : d’une part une réévaluation critique de la législation sur la protection des
droits de propriété intellectuelle, mise en place sous l’égide de l’Organisation mondiale du
commerce ; d’autre part la constitution d’un « fonds global » de connaissances et de moyens
financiers, dans lequel les pays pauvres pourraient trouver les traductions concrètes des
solidarités et d’une véritable gouvernance mondiales.
LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE OU LE SEIGNEUR DES EUROS
Jérôme Creel et Jacky Fayolle
Cet article se livre à un essai de bilan des trois premières années d’exercice de la Banque
centrale européenne, désormais unique maîtresse de la politique monétaire au sein de la
zone euro. Ce bilan n’échappe pas à une certaine ambivalence : appréciée par rapport à la
précarité de l’expansion et à la fugacité des risques d’inflation au sein de la zone, l’action de
la BCE paraît contrainte par une cible d’inflation trop basse et par un horizon d’action trop
court. Elle n’a pas échappé à un certain suivisme à l’égard des autorités monétaires
américaines et des marchés financiers internationaux, lorsque le caractère plus synchrone de
l’expansion mondiale, jusqu’en 2000, faisait craindre des risques d’inflation généralisée. Ce
faisant, elle n’a pas su adopter un timing contribuant à affermir une expansion européenne
encore fragile et n’a pas contré le ralentissement engagé en Europe dès le milieu de l’année
2000. Comparativement au comportement de la FED, apprécié dans des circonstances
analogues, la BCE semble cependant plus pêcher par inertie que par excès de prévention —
que ce soit face aux risques d’inflation ou de récession. La FED sait être à la fois réactive et
graduelle, si on entend par gradualisme la capacité à définir et mettre en œuvre en temps
utile une orientation résolue, progressive et persévérante des taux d’intérêt à court terme.
Celle-ci peut au départ surprendre les marchés, mais contribue à infléchir leurs anticipations
et agit ainsi sur l’activité, en faisant partager par l’ensemble des acteurs économiques le
diagnostic de la banque centrale. Au contraire, l’inertie désigne le retard et la discontinuité
dans la prise de décisions monétaires adaptées à l’évolution conjoncturelle. L’inertie de la
politique monétaire mise en œuvre par la BCE participe de l’ensemble des facteurs
structurels et institutionnels qui handicapent en Europe la coopération des politiques
économiques en direction du plein emploi. Si la BCE se veut l’héritière de la Bundesbank, les
difficultés qu’elle rencontre pour susciter la confiance et consolider sa réputation la
pousseront sans doute à prendre en compte les « bonnes pratiques » des banques centrales
anglo-saxonnes et à dépasser la dualité de la stratégie dite des deux piliers, qui donne encore
trop de poids au suivi des agrégats monétaires. Au demeurant, et quelles que soient les
réserves que son action puisse susciter, il semble que la BCE ait été moins restrictive, durant
les trois premières années de la zone euro, que ce qu’aurait été l’action de la Bundesbank
dans des circonstances similaires.
LA BANQUE CENTRALE ET L’UNION MONETAIRE EUROPEENNES :
LES TRIBULATIONS DE LA CREDIBILITE
Jérôme Creel et Jacky Fayolle
La création de l’Union monétaire européenne confère une dimension expérimentale à
l’acquisition de la crédibilité par une banque centrale et à sa mise à l’épreuve. Les modèles
théoriques qui fondent la notion de crédibilité réduisent la configuration institutionnelle à un
schéma très simple et l’évaluation collective de cette crédibilité est réduite à l’opinion
moyenne des marchés financiers. Aussi, nous procédons à quelques variations sur un thème
de Barro et Gordon (1983). Alors que dans ce modèle, les salariés fixent le salaire nominal
avant que l’inflation soit effective, ici, les marchés financiers fixent le taux d’intérêt de long
terme de telle façon qu’il égalise l’offre et la demande agrégée de biens. Pour être crédible, la
banque centrale devra viser une inflation très faible pendant une longue période afin de faire
converger les anticipations des marchés vers un niveau bas d’inflation. Si on projette ces
raisonnements sur l’expérience européenne, on peut craindre qu’ils ne confortent l’idée d’un
penchant restrictif de la BCE. Ce modèle est éclairant à un second titre : il peut engendrer
des équilibres multiples, sources de problèmes de coordination entre agents pour définir un
équilibre qui fasse l’objet d’un accord commun. Pour échapper à ces problèmes, la
cohérence temporelle de l’action de la BCE, c’est-à-dire une articulation harmonieuse des
objectifs et règles de long terme avec une action conjoncturelle adaptée aux circonstances,
nécessite la coopération effective des diverses institutions en charge de la politique
économique européenne. L’insertion plus franche de la BCE dans un réseau institutionnel qui
active les obligations de motivation et de responsabilité auxquelles elle devrait satisfaire
contribuerait à clarifier l’horizon qui gouverne ses décisions. De plus, à cause de
l’hétérogénéité encore dominante de la zone euro, la BCE peut difficilement se passer d’une
représentation de l’économie européenne qui soit plus « structurelle » que « monétariste ».
Cette représentation l’inciterait à privilégier l’attention à l’impact global et diversifié des taux
d’intérêt et de leur structure plutôt qu’à la maîtrise illusoire d’un agrégat monétaire. La BCE
est en charge de la stabilité globale des prix, mais l’exercice de cette responsabilité d’intérêt
commun passe par une vision détaillée de l’impulsion et de la propagation des chocs et des
tensions au sein de la zone euro. Pour toutes ces raisons, la BCE devra être tout autant
anglo-saxonne que germanique, s’inspirer autant de la FED que de la Buba.
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