DOUZIÈME SUJET - JOHN LOCKE (1632-1704) JOHN LOCKE, DE LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE AU LIBÉRALISME POLITIQUE Lorsque quelqu’un use d’un terme, il doit avoir une idée déterminée dont ce terme est le signe et à laquelle ce terme doit être rapporté fidèlement pendant tout le discours. L’homme qui ne procède pas de cette façon prétend en vain avoir des idées claires et distinctes. John Locke Essai sur l’entendement humain I PRÉSENTATION 1 - John Locke, fondateur de la psychologie cognitive et du libéralisme politique 2 - Un auteur du foyer anglais de la fin du 17ème siècle 3 - Ses relations avec les autres philosophes de son temps 4 - Deux carrières intellectuelles, dissimulées par une publication tardive et simultanée des deux II ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES (1632-1704) 1 - Des origines familiales dans un milieu parlementaire hostile à Charles Ier 2 - Des études à la Westminster School de Londres (1647-1652) 3 - 1652-1656 : ses études universitaires au Christ Church College à Oxford 4 - Il y découvre la science et la philosophie nouvelles sous l’influence de John Wilkins, ainsi que la médecine grâce à Richard Lower 5 - De 1658 à 1667, il commence une carrière d’enseignant à l’Université d'Oxford 6 - En 1660, après le départ de John Wilkins d’Oxford, il rencontre Robert Boyle 7 - De par sa formation et ses centres d’intérêt, Locke participera aux milieux scientifiques anglais 8 - En 1665-1666, il accompagne sir Walter Vane en mission diplomatique auprès de l’électeur de Brandenburg 9 - En 1667, il entre comme médecin au service de Lord Ashley, comte de Shaftesbury 10 - C’est une nouvelle “carrière” qui va le placer au cœur des débats politiques de son temps 11 - Il continue ses études médicales auprès de Thomas Sydenham 12 - En 1668, il est élu membre de la Royal Society 13 - De 1668 à 1675, il est secrétaire du Board of Trade grâce à Shaftsbury 14 - En 1674, il retourne à Oxford pour passer son diplôme de Bachelor of medicine 15 - De 1675 à 1679, il voyage en France, à Paris et à Montpellier 16 - En 1682, il se lie d’amitié avec Damaris Cudworth, la fille de Ralph Cudworth 17 - De 1683 à 1689, il s’exile en Hollande où l’a précédé Shaftsbury qui y décède en 1683 18 - En 1685, Jacques II monte sur le trône et le pays évolue vers la guerre civile religieuse 19 - En 1688, Guillaume d’Orange renverse Jacques II, la “glorieuse révolution” 20 - En 1689, Locke retourne en Angleterre en accompagnant la princesse Mary Stuart 21 - En 1691, il s’installe à Oates chez Lady Masham (Damaris Cudworth) 22 - En 1696, sa nomination comme commissaire du bureau du Commerce et des Colonies 23 - Il s’occupe de rééditer ses oeuvres et mène des polémiques, notamment contre Edward Stillingfleet 24 - Sa mort le 28 octobre 1704 à Oates dans l’Essex III SON ŒUVRE 1 - Une œuvre philosophique centrée sur la théorie de la connaissance et la philosophie politique 2 - Les principaux ouvrages de John Locke classés par genre A - Ouvrages médicaux - Anatomica, 1668 - De arte medica, 1669 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 235 B - Ouvrages politiques - Tract on the Civil Magistrate, 1660 - Essai sur la tolérance, 1667 - Constitution pour la colonie de Caroline du Nord, 1670 - Epistola de tolerantia - Lettres sur la tolérance, 1689 - Two Treatises of Government - Les deux Traités du gouvernement civil, 1689 - Considérations sur les conséquences de la diminution de l’intérêt et de l’augmentation de la valeur de l’argent, 1691 C - Ouvrages philosophiques - Questions Concerning the Law of Nature, 1664 - An Essay Concerning Human Understanding - Essai sur l’entendement humain, 1690 - Some Thoughts Concerning Education - Pensées sur l’éducation, 1693 - Of the Conduct of the Understanding, 1706 (posthume) D - Ouvrages sur la religion - Discours sur les miracles - Le Christianisme raisonnable, 1695 E - Correspondance 3 - Son livre majeur : Essai philosophique concernant l'Entendement humain (1690) IV PRINCIPALES THÈSES DE LA PENSÉE DE JOHN LOCKE 1 - Une philosophie anti-scolastique, inspirée des progrès de la science 2 - Locke peut désormais s’appuyer sur la rupture qu’elle a apportée 3 - Sur le plan du monde, une pensée atomisme et déiste 4 - Une anthropologie lockienne centrée sur la notion de conscience et l’individu 5 - Un rationaliste méthodologique et éthique UNE THÉORIE DE LA CONNAISSANCE (ET NON DE LA SCIENCE) 1 - Son adhésion aux principes empiristes et baconiens de la science 2 - Il part d’une analyse des capacités de l’entendement humain 3 - Un déplacement de la question métaphysique au niveau psychologique 4 - C’est l’entendement humain qui forme les idées, et non l’inverse 5 - Les connaissances sont des idées 6 - La critique des idées innées et de l’innéisme 7 - L’esprit humain est une tabula rasa et seule l’expérience est à l’origine de nos idées 8 - Des idées qui proviennent de la sensation ou de la réflexion 9 - La typologie lockienne des pensées 10 - La connaissance porte donc sur nos idées : intuitives, démonstratives, sensorielles 11 - L’absence de connexion nécessaire entre l’idée et la chose SA PENSÉE POLITIQUE LIBÉRALE 1 - Un représentant de l’école libérale du droit naturel moderne 2 - Une pensée politique qui évoluera au cours de sa vie, de l’absolutisme au libéralisme 3 - Son objectif est de concilier pouvoir politique et liberté des individus 4 - L’état de nature selon Locke, l’état des hommes en tant qu’hommes sociaux, libres et égaux 5 - L’existence de lois de nature, découvrables par la raison 6 - La liberté est dans le respect de ces obligations prescrites par les lois de la nature 7 - L’homme est détenteur de droits naturels, dont le droit à la liberté 8 - Un contrat social par consentement mais pas par soumission 9 - L’état est au service de la communauté 10 - La hiérarchisation et séparation des pouvoirs : la communauté, le législatif, l’exécutif A - Un régime politique correspondant au modèle britannique B - Un modèle de monarchie contractuelle et parlementaire C - La hiérarchisation et séparation des pouvoirs : la communauté, le législatif, l’exécutif Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 236 D - La communauté politique créée est détentrice de tous les pouvoirs, pas l’état E - Le pouvoir législatif appartient à la communauté et forme le pouvoir supérieur F - L’organisation parlementaire du pouvoir législatif G - Le pouvoir exécutif est délégué à des magistrats ou à un monarque héréditaire H - Le pouvoir exécutif est soumis au pouvoir législatif I - Le pouvoir exécutif est soumis à la loi 11 - Une double limitation du pouvoir politique, par son origine et par sa fin 12 - La reconnaissance du droit de résistance, considéré comme une liberté et un devoir A - Les cas d’abus sont possibles, tant au législatif qu’à l’exécutif B - Le contrôle de tous les pouvoirs particuliers dépend de la communauté C - L’état n’est pas un absolu, il peut nuire à la liberté des citoyens D - Les abus de pouvoir sont de fait illégitimes E - La double raison de ce droit : les abus du pouvoir et l’obligation de protéger les droits F - Le peuple a le droit et le devoir de résister quand l’état dépasse le cadre de ses fonctions G - Les cas où ce droit de résistance s’applique 13 - En matière religieuse, un plaidoyer pour la liberté de conscience et la séparation des deux pouvoirs V CONCLUSION 1 - Un auteur immensément célèbre en son temps, qui sera un classique du 18ème siècle 2 - La liberté comme fils directeur de sa pensée 3 - Un précurseur des Lumières en Angleterre, de Enlightenment 4 - Une immense descendance philosophique dans la Philosophie des Lumières ORA ET LABORA Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 237 Document 1 : À gauche, portrait de John Locke par Herman Verelst (1641-1702) vers 1690. À droite portrait de John Locke par Godfrey Kneller (1646-1723) réalisé en 1697 (Musée de l’Hermitage). Document 2 : Le Dean's Yard de la Westminster School, école située à côté de l’abbey de Westminster où John Locke fit une partie de ses études. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 238 Document 3 : Le Christ Church college à Oxford où John Locke étudia et enseigna jusqu’en 1667. Le "Great Quadrangle" du Christ Church college. L'arrière de Christ Church college, le Meadow Building. L'arrière de Christ Church college, le Meadow Building. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 239 Document 4 : John Wilkins (1614-1672) devint en 1648 le directeur du Wadham College à Oxford, puis en 1659 du Trinity College. Il ouvrit ses écoles aux sciences nouvelles et fut plus tard le premier secrétaire de la Royal Society. On lui doit notamment An Essay towards a Real Character and a Philosophical Language, dans lequel il proposait l'adoption d'une mesure universelle (universal measure), d'unités décimales, et dont la longueur fondamentale serait de 38 pouces de Prussie (1 prussian inch = 26,15 mm), soit de 993,7 mm. Le savant Italien Tito Livio Burattini reviendra quelques années plus tard, en 1675 dans son ouvrage Misura Universale, sur cette unité et la renommera le mètre (metro cattolico). Grand carré du Wadham College. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 240 Document 5 : Parmi les autres relations qui ont influencé philosophiquement la pensée de John Locke, on peut citer Richard Lower (ci-dessous à gauche) qui l’amena à s’intéresser à la médecine et à la science expérimentale, Thomas Sydenham toujours pour la médecine (portrait à droite par Mary Beale) ou bien Robert Boyle pour la physique à partir de 1660. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 241 Document 6 : Anthony Ashley-Cooper, 1er comte de Shaftesbury. John Locke fut d’abord son médecin personnel avant de devenir son secrétaire particulier. Il avait été engagé pour servir de médecin de famille et de précepteur du fils de Shaftesbury, également nommé Anthony Ashley Cooper, un jeune garçon de quinze ans ou seize ans. Locke arrangea plus tard le mariage du jeune Anthony avec lady Dorothy Manners, qu'il assista ensuite lorsqu'elle fit une fausse couche, puis lorsqu'elle accoucha de son fils aîné, Anthony Ashley Cooper, troisième du nom, ainsi que de ses autres enfants. Locke continua d'exercer ses fonctions de conseiller médical et pédagogique de la famille, même après la mort de Shaftesbury en 1683. Il veilla à l'éducation du jeune Anthony, tant directement qu'en le confiant à une gouvernante, Elizabeth Birch, qui parlait à la fois le latin et le grec. Ensuite, le garçon fut envoyé à l'école de Westminster. Document 7 : La vie et la pensée de John Locke sont inséparables de la situation politique anglaise, à la fois les tensions entre le parlement et le roi, ainsi qu’en raison des querelles religieuses, qui se retrouvèrent dans les deux révolutions, celle de 1649 et celle de 1688. À gauche, Charles II vers 1680, par Thomas Hawker (?-1722). À droite, le roi Jacques II par Peter Lely (1618-1680). Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 242 Document 8 : Couvertures d’ouvrages de John Locke, les Deux traités de 1690 et les Pensées sur l’éducation de 1693. Document 9 : La Lettre sur la Tolérance parut en Angleterre en octobre 1689, deux mois à peine avant la première publication en sol anglais de l'Essai concernant l'entendement humain. Elle était destinée à l'origine à son ami et théologien de l'église remontrante (voir cours sur Grotius), Philipp van Limborch (1633-1712). Celui-ci a d’ailleurs contribué à faire connaître les idées de Grotius en Hollande en éditant ses livres après sa mort. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 243 Document 10 : Frontispice de l’Essay Concerning Human Understanding de 1690. À droite une page manuscrite datant de 1671. En effet, les origines de l'Essai remontent à 1671, date à laquelle, comme Locke le rappelle dans sa préface, un groupe de cinq ou six amis s'étaient réunis chez lui pour débattre d'une question de philosophie. Des difficultés s'étant présentées, Locke proposa à titre préalable «d'examiner notre propre capacité et de voir quels objets sont à notre portée, ou au-dessus de notre compréhension». Ce n'est pas avant 1686 que l'ensemble de l'Essai commença de prendre sa forme définitive. La première édition portait la date de 1690, bien que des exemplaires en aient été mis en vente à Londres et à Oxford en décembre 1689. Document 11 : Pour Locke, l’homme est un être doué de conscience (consciousness) et de conscience de soi (self-consciousness). Le soi (Self) est cette chose pensante consciente (de quelle substance elle est formée, spirituelle ou matérielle, simple ou composée, il n’importe) qui est sensible au plaisir et à la peine ou en est consciente, capable de bonheur ou de malheur, et qui ainsi est intéressée (concerned) pour soi-même... Ce à quoi la consciosité de cette chose consciente peut se joindre forme une même personne et un même soi avec elle, et avec aucune autre, et ainsi s’attribue à elle-même et possède toutes les actions de cette chose comme siennes, autant que cette consciosité s’étend, et pas plus loin. Essai sur l’entendement humain II, XXVII, 17 Traduction de M. Coste, Vrin, 1972 Cela posé, pour trouver en quoi consiste l’identité personnelle, il faut voir ce qu’emporte le mot de personne. C’est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu’il fait uniquement par le sentiment qu’il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d’apercevoir sans apercevoir qu’il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditions, ou nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes ; et Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 244 c’est par là que chacun est à lui-même ce qui appelle soi-même. On ne considère pas dans ce cas si le même Soi est continué dans la même Substance, ou dans diverses Substances. Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c’est là ce qui fait que chacun est ce qu’il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c’est aussi en cela seul que consiste l’identité personnelle, ou ce qui fait qu’un Être raisonnable est toujours le même. Essai sur l'entendement humain II, XXVII, 9 Traduction de M. Coste, Vrin, 1972 Document 12 : À propos des conceptions de Locke sur le pouvoir civil, notamment le fait que pour lui la fin de l’État est la liberté et la sécurité. Le pouvoir législatif constitue non seulement le pouvoir suprême de l'État, mais il reste sacré et immuable entre les mains de ceux à qui la communauté l'a une fois remis. Et aucun édit, quelle que soit sa forme ou la puissance qui l'appuie, n'a la force obligatoire d'une loi, s'il n'est approuvé par le pouvoir législatif, choisi et désigné par le peuple. Sans cela la loi ne comporterait pas ce qui est nécessaire pour constituer une loi : le consentement de la société. Il est nécessaire qu'il y ait un pouvoir toujours en exercice pour veiller à l'exécution des lois qui sont faites et restent en vigueur ; c'est pourquoi on en vient souvent à séparer le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Dans un État bien constitué, il ne peut certes y avoir qu'un seul pouvoir suprême : le pouvoir législatif, auquel tous les autres sont et doivent être subordonnés. Traité du gouvernement civil, 1690 trad D. Mazel, Ed. Garnier-Flammarion Quoique ceux qui entrent dans une société remettent l’égalité, la liberté, et le pouvoir qu’ils avaient dans l’état de nature, entre les mains de la société, afin que l’autorité législative en dispose de la manière qu’elle trouvera bon, et que le bien de la société requerra ; ces gens-là, néanmoins, en remettant ainsi leurs privilèges naturels, n’ayant d’autre intention que de pouvoir mieux conserver leurs personnes, leurs libertés, leurs propriétés (car, enfin, on ne saurait supposer que des créatures raisonnables changent leur condition, dans l’intention d’en avoir une plus mauvaise), le pouvoir de la société ou de l’autorité législative établie par eux ne peut jamais être supposé devoir s’étendre plus loin que le bien public ne le demande. Ainsi, qui que ce soit qui a le pouvoir législatif ou souverain d’une communauté, est obligé de gouverner suivant les lois établies et connues du peuple, non par des décrets arbitraires et formés sur-le-champ ; d’établir des Juges désintéressés et équitables qui décident les différends par ces lois ; d’employer les forces de la communauté au-dedans, seulement pour faire exécuter ces lois, ou au-dehors pour prévenir ou réprimer les injures étrangères, mettre la communauté à couvert des courses et des invasions ; et en tout cela de ne se proposer d’autre fin que la tranquillité, la sûreté, le bien du peuple. Traité du gouvernement civil, 1690 trad D. Mazel, Ed. Garnier-Flammarion Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 245 Document 13 : sur le droit de résistance et d’insurrection. §57 [...] La loi, dans son acception véritable, ne consiste pas tant à limiter un agent libre et intelligent qu'à le guider vers son intérêt propre, et elle ne prescrit pas au-delà de ce qui conduit au bien général de ceux qui sont assujettis à cette loi. [...] De sorte que, quelles que soient les erreurs commises à son propos, la finalité de la loi n'est pas d'abolir ou de restreindre, mais de préserver et d'accroître la liberté ; et dans toutes les conditions d'êtres créés qui ont la capacité pour des lois [capable of laws], là où il n'y a pas de loi, il n'y a pas de liberté. [...] C'est en fait une liberté de disposer et d'ordonner comme on l'entend sa personne, ses actions, ses biens et l'ensemble de sa propriété, dans les limites de ce qui est permis par les lois auxquelles on est soumis ; ainsi que, dans ces limites, de ne pas être assujetti à la volonté arbitraire d'un autre, mais de suivre librement la sienne. § 135 [...] Dans les bornes extrêmes qu'il peut atteindre, le pouvoir de la république et du législatif est limité à ce qu'exige le bien public de la société. C'est un pouvoir qui n'a pas d'autre fin que la préservation, et il ne peut jamais avoir le droit de détruire les sujets, de les réduire en esclavage, ou de les appauvrir volontairement. Les obligations de la loi de nature ne cessent pas dans la société, mais, dans bien des cas, elles sont seulement rendues plus strictes ; et les lois humaines leur annexent des peines connues de tous, afin de contraindre les gens à les respecter. Ainsi, la loi de nature demeure comme une règle éternelle pour tous les hommes, les législateurs autant que les autres. Les règles que les premiers imposent aux actions des hommes doivent, de même que leurs propres actions et celles des autres, être conformes à la loi de nature, c'est-à-dire à la volonté de Dieu dont elle constitue une déclaration ; et parce que la loi fondamentale de nature est la préservation du genre humain, aucun décret humain ne saurait être bon ni valide s'il y est contraire. § 202 Là où finit la loi, la tyrannie commence, dès que la loi est transgressée au préjudice d'autrui. Toute personne qui est investie de l'autorité et qui excède le pouvoir que la loi lui donne, qui use de la force soumise à son commandement pour imposer aux sujets ce que la loi n'autorise pas, cesse en cela d'être magistrat et agit sans autorité conférée ; on peut alors lui résister, comme envers tout homme qui empiète par la force sur le droit d'autrui. Cela est reconnu dans le cas des magistrats subordonnés. Si quelqu'un possède l'autorité de se saisir de ma personne dans la rue, je peux néanmoins lui résister comme à un voleur ou à un brigand lorsqu'il tente de s'introduire par force dans ma maison pour exécuter un mandat d'arrêt, même si je sais qu'il possède ce mandat et l'autorité légale qui lui confèrent le pouvoir de m'arrêter dehors. Pourquoi donc ceci ne vaudrait-il pas pour les magistrats les plus élevés aussi bien que pour les magistrats inférieurs ? Je serais heureux de le savoir ! § 240 Il est probable qu'on posera ici la question habituelle : Qui sera juge du fait que le prince ou le législatif agissent en contradiction avec leur mission. [...] Voici ma réponse : c'est le peuple qui sera juge. À qui appartient-il en effet de juger si le mandataire ou le député agit honnêtement et en conformité avec la mission qui lui a été confiée, sinon à celui qui l'a mandaté et qui, du fait même qu'il l'a mandaté, a toujours le pouvoir de le démettre lorsqu'il faillit à sa mission ? § 241 En outre, cette question (qui sera juge ?) ne peut pas signifier qu'il n'existe aucun juge. Car, lorsqu'il n'y a aucune juridiction sur terre pour trancher les différends entre les hommes, c'est Dieu, dans les cieux, qui est juge. Lui seul, en vérité, est le juge du droit. Mais, dans le cas dont il s'agit, comme dans tous les autres, chaque homme doit juger par lui-même si quelqu'un s'est mis en état de guerre avec lui, et s'il doit en appeler, comme le fit Jephté (2) , au juge suprême. Second traité du gouvernement, 1690 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 246 Document 14 : Ces positions tolérantistes en matière religieuse sont la conséquence de ces conceptions politiques sur la séparation des pouvoirs (religieux et politiques), autant que celles sur la nature, la finalité et les moyens de la religion. La tolérance en faveur de ceux qui diffèrent des autres en matière de religion, est si conforme à l'Évangile de Jésus-Christ, et au sens commun de tous les hommes, qu'on peut regarder comme des monstres ceux qui sont assez aveugles, pour n'en pas voir la nécessité et l'avantage au milieu de tant de lumière qui les environne. Je ne m'arrêterai pas ici à taxer l'orgueil et l'ambition des uns, la passion et le zèle peu charitable des autres. Ce sont des vices, dont il est presque impossible qu'on soit jamais délivré à tous égards ; mais ils sont d'une telle nature, qu'il n'y a personne qui en veuille soutenir le reproche, sans les parer de quelque couleur spécieuse, et qui ne prétende mériter des éloges, lors même qu'il est entraîné entraîné par la violence de ces passions déréglées. Quoi qu'il en soit, afin que les uns ne couvrent pas leur esprit de persécution et leur cruauté anti-chrétienne, des belles apparences de l'intérêt public et de l'observation des lois, et que les autres, sous prétexte de religion, ne cherchent pas l'impunité de leur libertinage et de leur licence effrénée ; en un mot, afin qu'aucun ne se trompe lui-même ou qu'il n'abuse les autres, sous prétexte de fidélité envers le prince ou de soumission à ses ordres, et de tendresse de conscience ou de sincérité dans le culte divin Je crois qu'il est d'une nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l'exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et ceux de l'autre. Sans cela, il n'y aura jamais de fin aux disputes qui s'élèveront entre ceux qui s'intéressent, ou qui prétendent s'intéresser, d'un côté au salut des âmes, et de l'autre au bien de l'État. L'État, selon mes idées, est une société d'hommes instituée dans la seule vue de l'établissement, de la conservation et de l'avancement de leurs INTÉRÊTS CIVILS. J'appelle intérêts civils, la vie, la liberté, la santé du corps; la possession des biens extérieurs, tels que sont l'argent, les terres, les maisons, les meubles, et autres choses de cette nature. Il est du devoir du magistrat civil d'assurer, par l'impartiale exécution de lois équitables, à tout le peuple en général, et à chacun de ses sujets en particulier, la possession légitime de toutes les choses qui regardent cette vie. Si quelqu'un se hasarde de violer les lois de la justice publique, établies pour la conservation de tous ces biens, sa témérité doit être réprimée par la crainte du châtiment, qui consiste à le dépouiller, en tout ou en partie, de ces biens ou intérêts civils, dont il aurait pu et même dû jouir sans cela. Mais comme il n'y a personne qui souffre volontiers d'être privé d'une partie de ses biens, et encore moins de sa liberté ou de sa vie, c'est aussi pour cette raison que le magistrat est armé de la force réunie de tous ses sujets, afin de punir ceux qui violent les droits des autres. Or, pour convaincre que la juridiction du magistrat se termine à ces biens temporels, et que tout pouvoir civil est borné à l'unique soin de les maintenir et de travailler à leur augmentation, sans qu'il puisse ni qu'il doive en aucune manière s'étendre jusques au salut des âmes, il suffit de considérer les raisons suivantes, qui me paraissent démonstratives. Premièrement, parce que Dieu n'a pas commis le soin des âmes au magistrat civil, plutôt qu'à toute autre personne, et qu'il ne paraît pas qu'il ait jamais autorisé aucun homme à forcer les autres de recevoir sa religion. Le consentement du peuple même ne saurait donner ce pouvoir au magistrat; puisqu'il est comme impossible qu'un homme abandonne le soin de son salut jusques à devenir aveugle lui-même et à laisser au choix d'un autre, soit prince ou sujet, de lui prescrire la foi ou le culte qu'il doit embrasser. Car il n'y a personne qui puisse, quand il le voudrait, régler sa foi sur les préceptes d'un autre. Toute l'essence et la force de la vraie religion consiste dans la persuasion absolue et intérieure de l'esprit; et la foi n'est plus foi, si l'on ne croit point. Quelque dogme que l'on suive, à quelque culte extérieur que l'on se joigne, si l'on n'est pleinement convaincu que ces dogmes sont vrais, et que ce culte est agréable à Dieu, bien loin que ces dogmes et ce culte contribuent à notre salut, ils y mettent de grands obstacles. En effet, si nous servons le Créateur d'une manière que nous savons ne lui être pas agréable, au lieu d'expier nos péchés par ce service, nous en commettons de nouveaux, et nous ajoutons à leur nombre l'hypocrisie et le mépris de sa majesté souveraine. En second lieu, le soin des âmes ne saurait appartenir au magistrat civil, parce que son pouvoir est borné à la force extérieure. Mais la vraie religion consiste, comme nous venons de le marquer, dans la persuasion intérieure de l'esprit, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. Ajoutez à cela que notre entendement est d'une telle nature, qu'on ne saurait le porter à croire quoi que ce soit par la contrainte. La confiscation des biens, les cachots, les tourments et les supplices, rien de tout cela ne peut altérer ou anéantir le jugement intérieur que nous faisons des choses. Lettre sur Tolérance (1689) Traduit de Jean Le Clerc, 1710 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 247 Document 15 : Portrait de Robert Filmer (1588-1653) et son Patriarcha de 1680, contre lequel il rédigea son Premier traité du gouvernement civil. Doucment 16 : Dans les années 1697-1699, John Locke polémiqua avec l'évêque anglican Edward Stillingfleet (portrait de Mary Beale (1633-1699), circa 1690) à propos de son Essai sur l’entendement. Celuici avait déjà bataillé en 1677 contre le déisme avec un livre intitulé A Letter to a Deist, puis contre le Tractatus de Spinoza. En janvier 1677, Locke se défendit dans A Letter to the Bishop of Worcester, à laquelle Stillingfleet répondit à son tour. La polémique durant jusqu’en 1699, année de la mort de Stillingfleet. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 248 Document 17 : John Locke repose dans le cimetière de l’église paroissiale voisine de High Laver dans l’Essex, près de la résidence de Oates de Sir Francis Masham, où il vivait depuis 1691. Une plaque à l’intérieur de l’église rappelle aux paroissiens leur illustre prédécesseur. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 249 Document 18 : Lettre de Jefferson à John Trumbull (1756-1843), écrite de Paris le 15 février 1789. DEAR SIR, I have duly received your favor of the 5'th. inst. With respect to the busts & pictures I will put off till my return from America all of them except Bacon, Locke and Newton, whose pictures I will trouble you to have copied for me: and as I consider them as the three greatest men that have ever lived, without any exception, and as having laid the foundation of those superstructures which have been raised in the Physical & Moral sciences, I would wish to form them into a knot on the same canvas, that they may not be confounded at all with the herd of other great men. To do this I suppose we need only desire the copyist to draw the three busts in three ovals all contained in a larger oval in some such form as this each bust to be the size of life. xxx. The large oval would I suppose be about between four & five feet. Perhaps you can suggest a better way of accomplishing my idea. In your hands be it, as well as the subaltern expences you mention. I trouble you with a letter to Mrs. Church. We have no important news here but of the revolution of Geneva which is not yet sufficiently explained. But they have certainly reformed their government. I am with great respect D'r. Sir Your affectionate friend & humble serv't. Thomas Jefferson Letter To John Trumbull, Paris, Feb. 15, 1789 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 250 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS Conférences autour de cette période - Les révolutions anglaises du 17ème siècle - L’Édit de Nantes, mythes et réalité de l’édit de tolérance - L’Édit de Fontainebleau et la révocation de l’édit de Nantes en 1685 - La révolution newtonienne, la découverte des forces naturelles - La révolution naturaliste : Linné, Buffon, Cuvier - La révolution médicale, les conséquences de la révolution hippocratique 1000-100 1000-127 1000-270 1000-148 1000-163 1000-296 Livres de John Locke disponibles en français - Lettre sur la tolérance, John Locke, Flammarion - Traité du gouvernement civil, John Locke, Flammarion, - Quelques pensées sur l’éducation, John Locke), Librairie philosophique J.Vrin - Essai philosophique concernant l'entendement humain, John Locke, Vrin Livres sur John Locke - Locke, Alexis Tadié - Les Belles Lettres, 2000 - Locke, Yves Michaud, Éditions Bordas, 1986 - Identité et différence. L’invention de la conscience, Étienne Balibar, Éditions du Seuil, Coll. Essais Livres sur le contexte historique de John Locke - Histoire de la Grande-Bretagne, K. Morgan, Armand Colin, 1985 - Les Deux Révolutions d’Angleterre, Olivier Lutaud, Aubier-Montaigne, 1978 - L’Angleterre des révolutions, Roland Marx, Armand Colin, 1971 Livres sur la pensée politique de John Locke - John Locke, Robert A. Goldwin, Histoire de la philosophie politique, L. Strauss et J. Cropsey (dir.), PUF (Quadrige), 2010 - La théorie politique de l'individualisme possessif de Hobbes à Locke, Crawford Brough Mc Pherson, Gallimard, 2004 - John Locke - Le droit avant l'État, Laurent Fobaustier, Michalon Éds, 2004 - Les libéraux, Pierre Manent, Gallimard, Collection «Tel», 2001 - Le vocabulaire de Locke, Marc Parmentier, Éditions Ellipses, 2001 - Histoire intellectuelle du libéralisme, Pierre Manent, Hachette LittératurePluriel, 1997 - La pensée politique de John Locke, J. Dunn, PUF, 1991 Livres sur la pensée scientifique de John Locke - La philosophie naturelle de Robert Boyle, Charles Ramond et Myriam Dennehy, Vrin, 2009 - Leibnitz-Locke, une intrigue philosophique - Les Nouveaux essais sur l'entendement humain, Marc Parmentier, Presses Universite Paris-Sorbonne, 2008 - Locke, Idées, langage et connaissance, Geneviève Brykman, Éditions Ellipses, 2001 - Introduction à l’Essai sur l’entendement humain de Locke, Marc Parmentier, PUF, 1999 - Expérience et raison. Les fondements de la morale selon Locke, Jean-Michel Vienne, Éditions Vrin, 1991 - L'empirisme de LOcke, F. Duchesneau, La Haye, Nijhoff, 1973 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 251