
Recension : « Locke, J., Que faire des pauvres, trad. Laurent Bury, Paris, PUF, 2013 ». 
 
 
Sous  le  titre  « Que faire  des  pauvres ?  », l’ouvrage  présente  la première traduction  française d’un 
texte généralement connu sous le nom de « proposed poor law reform » au sein de la tradition anglo-
saxonne. Dans ce court texte rédigé en 1697, Locke défend une série de mesures ayant pour objectif 
de mettre les pauvres au travail en vue de résoudre l’important problème économique qu’ils posent 
aux paroisses qui ont pour obligation de les prendre en charge. Le cœur du dispositif d’encadrement 
proposé par Locke consiste à lier les pauvres à une paroisse bien déterminée qui sera responsable de 
leur entretien, et disposera à cet effet du droit de les forcer à accepter différents emplois, rémunérés 
ou  non  (l’activité  étant  de  toute  façon  préférable  à  l’oisiveté).  Parallèlement,  la  société  dans  son 
ensemble aura à charge de fournir de l’emploi aux pauvres, afin que l’usage de la quantité de travail 
ainsi rendue disponible résolve le problème de l’entretien matériel des pauvres par les paroisses, et à 
terme enrichisse la communauté. Pour Locke, ces mesures ne se justifient pas uniquement sur le plan 
économique, mais également sur le plan moral en vertu des prescriptions de la loi naturelle. Dans ce 
texte, le philosophe anglais lie en effet explicitement industrie et vertu, vice et oisiveté, et à ce titre 
condamne  sévèrement  ceux  qui,  capables  de  travailler,  vivent  pourtant  du  labeur  des  autres.  Le 
portrait  que  Locke  dresse  du  « parasite »  vagabond  qui  ne  désire  pas  travailler  est  édifiant  et 
révélateur de la place centrale qu’occupe le travail dans sa conception de l’homme et des obligations 
qui découlent pour lui de la loi naturelle. L’oisiveté de ces vagabonds, la corruption de leurs mœurs, 
et  particulièrement  la  volonté  que  Locke  leur  impute  d’esquiver  les  charges  qui  pèsent  de  façon 
égale  sur  tous  les  membres  de  la  communauté,  semblent  ainsi  justifier  l’attitude  autoritaire et 
paternaliste  de  la  communauté  qui  a  tout  pouvoir  sur  eux  par  l’intermédiaire  des  « gardiens  des 
pauvres ».  Cette  importante  dimension  morale  explique  alors  aussi  le  sort  qui  est  réservé  dans  le 
système  imaginé  par  Locke  à  ceux  qui  cherchent  encore  à  esquiver  leur  part  de  travail :  Locke  ne 
prescrit  rien  de  moins  que  -  selon  la  gravité  des  cas  et  les  éventuelles  récidives  -  des  châtiments 
corporels, le service naval obligatoire, ou les travaux forcés pour une durée de trois semaines (pour 
les  enfants)  à  trois  ans  (pour  les  hommes).  Ces  mesures,  qui  ne  diffèrent  guère  des  lois  sur  les 
pauvres  déjà  en  vigueur  à  l’époque, sont  en  outre  couplées  à  la  mise  en  place  d’ « écoles 
d’industrie » dont l’objectif avoué consiste à encadrer les populations précaires en vue d’éduquer les 
enfants  au  travail  dès  leur  plus  jeune  âge  et  libérer  ainsi  le  temps  de  travail  des  femmes  tout  en 
assainissant les mœurs des plus démunis.  
Les mesures autoritaires proposées par Locke pour mettre les  pauvres au travail ont  donc  de  quoi 
surprendre  le  lecteur  habitué  à  voir  en  cet  auteur  le  « père  du  libéralisme ».  Et  c’est  bien  là  tout 
l’intérêt de ce texte qui contraste grandement avec la philosophie politique des Deux Traités, publiés 
quelques  années  auparavant.  Car  s’il  est  certain  que  l’on  trouve  une  certaine  continuité  entre  les 
deux textes quant aux prémisses qui sous-tendent le discours lockéen – en particulier l’importance 
du  travail  dans  l’anthropologie  lockéenne  -  il n’en  demeure  pas  moins  que  l’égalitarisme politique 
affirmé dans les œuvres théoriques semble irréconciliable avec l’autoritarisme présent dans ce texte, 
sauf  à  adhérer  à  la  thèse  macphersonienne  d’une  institution  politique  qui  serait  l’apanage  des 
individus « industrieux et rationnels ». Les mesures prescrites par Locke nous obligent en tout cas à 
repenser le lien problématique qui existe  pour cet auteur entre propriété de soi dans la sphère du 
travail et propriété de soi comme liberté dans la sphère politique. Il serait cependant réducteur de