Big Brother jazzy 
 
Comme toujours chez Koffi Kwahulé, l’ordure côtoie le sacré ; la musique nourrit l’écriture. 
Big 
Shoot
 ne déroge pas à la règle puisque le dramaturge ivoirien s’inspire clairement des 
programmes  de  télé-réalité  tapageurs  pour  enclencher  ses  réflexions  sur  la  société  du 
spectacle  debordienne.  Zeff  n’hésite  d’ailleurs  pas  à  amplifier  le  mouvement  à  travers  une 
scénographie comme  souvent  impressionnante  (fait  d’autant  plus  remarquable  qu’on se situe 
dans un espace minuscule). Ici, le duo évolue dans un carré saturé de néons colorés à ses 
extrémités  ;  trois  jazzmen  accompagnent  cette  joute  oratoire  avec  beaucoup  de  classe  et 
d’aplomb et les insultes répondent poétiquement au rythme détendu et nerveux du swing. 
 
Montée d’adrénaline engendrée par la dope, blessure par balle, référence au cinéma, orgasme : 
la  polysémie  de
 Big Shoot 
déploie  en  éventail  deux  constantes,  à  savoir  la  violence  et  le 
plaisir. Une imbrication fondue et totale signifiée par le rituel SM auquel se livrent les deux 
personnages. La relation complexe les unissant, entre interdépendance et rejet, fascine. Zeff a 
su choisir des comédiens investis, complémentaires et démentiels. On retrouve Thomas Durand, 
un  fidèle, dans  le rôle de  Stan, le  bouc-émissaire volontaire.  Assumant  sans complexe une 
partition qui peut sembler ingrate au premier abord, le comédien au physique de grand dadais 
adolescent  commence  par  plier sous  la  torture  avec un  malaise  gauche  grandissant.  Clown 
malgré  lui  dans  son  insignifiance  excentrique  (il  adore  tricoter  et  se  débrouille  bien  en 
anglais),  il  change  la  donne  en  dévoilant  les fissures  d’un  être  fou,  aux  allures  de  Joker 
malsain. À ses côtés, Jean-Baptiste Anoumon exulte en démiurge excessif et taquin, séducteur 
monstrueux.  Enveloppé  dans  sa  longue  cape  façon 
Matrix
,  il  mène  la  danse tel un gourou 
possédé. 
 
Avec 
Big Shoot
, Alexandre Zeff dessine donc avec force le parcours de deux solitudes qui se 
rencontrent  et  tentent  de s’apprivoiser dans  un  show  spectaculaire voué  au  néant. Comment 
créer  du  beau  à  partir  de  la  violence  ?  Comment  le  pouvoir  de  la  fiction  peut  suspendre 
temporairement le couperet de la mort ? Voilà deux questions que pose Kwahulé dans ce court 
dialogue  auxquelles  Zeff  parvient  à  répondre  grâce  au  talent  de  deux  comédiens 
intrinsèquement  unis,  comme  le  yin  et  le  yang. L’écrin resserré de La Loge permet de faire 
exploser avec plus de retentissement la bombe orale de ce shoot final. ♥ ♥ ♥ ♥ 
 
Thomas Ngohong 
(https://hierautheatre.wordpress.com/2016/01/13/le-swing-explosif-dalexandre-zeff/)