BIG SHOOT
Texte de Koffi Kwahulé
Mise en sne Alexandre Zeff
Avec Jean-Baptiste Anoumon et Thomas Durand
La Loge Paris Janvier 2016
« Africultures.com »
Un Big show à la Loge
Pour ce
Big Shoot
de lauteur franco-ivoirien Koffi Kwahuqu’il vient de créer dans le petit
théâtre de la Loge, Alexandre Zeff a choisi de convoquer le show, le big show
même, avec un tandem d’acteurs magnifiques et un véritable Jazz Band. Il
explore toutes les facettes de cette étrange pièce qui met en scène un reality show mortel.
Jean-Baptiste Anoumon, dans le rôle de Monsieur, le bourreau, arrive en prédicateur allumé,
comme en transe, un de ces prédicateurs à l’américaine et le «
flow »
dinjures qui ouvre la
pièce se transforme en gospel épileptique. Le plateau subit sous nos yeux toutes les
métamorphoses : tour de magie, grand messe, rituel dexorcisme, numéro de cirque, scène de
crime d’un serial killer… grâce au jeu des comédiens et à l’inventivité d’un dispositif
scénographique, conçu par Benjamin Gabrié et Anaïs Morisset, qui se fait autant plateau de
lévision que scène de music hall : une simple boîte transparente, poussiéreuse et lumineuse
aux reflets miroitants. Et nous voilà soudain comme transportés à Las Vegas, tandis que
violence, beauet métaphysique sont au rendez-vous de ce grand numéro de mise à mort,
performance aussi mystique que déjantée…
Mais surtout la langue-jazz de Koffi Kwahuest sublimée par le Jazz Band qui
en extrait toute la sève musicale, tout en accompagnant le jeu et le groove des acteurs
musiciens. Jean-Baptiste Anoumon habite l’espace magistralement en
prestidigitateur de haut vol et se laisse aussi habiter par le texte dont il saisit avec jouissance
la saveur charnelle. Quel plaisir de voir cet immense codien donner toute la mesure de son
registre dans un rôle taillé pour lui, tandis que Thomas Durand son partenaire, lui
aussi, « sort toutes ses tripes » de clown triste dans lele de Stan et convoque
une figure de Deburau contemporain revisitant l’art du mime à la manière d’un Jean-Louis
Barrault. C’est un bonheur de voir ces deux incroyables acteurs en véritables
athlètes du jeu sur le ring magique du théâtre livrer combat avec le Mister
Jazz band et donner la réplique à la guitare de Frank Perrolle, à la basse de
Gilles Normand, à la batterie de Louis Jeffroy.
La pièce traite en définitive des affres de la création, de cette lutte à mort de l’artiste avec
lui-même, avec l’inspiration, la muse et les chemins qu’elle lui indique et qu’il se doit
d’explorer, de contester, de subvertir. La force de la mise en scène d’Alexandre Zeff,
c’est qu’il parvient à faire retentir la dimension ptique du texte comme sa
dimension rythmique et musicale, celle du duo improbable entre deux jazzmen, celle d’un
dialogue imaginaire entre l’utopie mystique de Coltrane et la virulence démentielle de Monk.
« La pièce de Kwahuest tout entière musique » explique Alexandre Zeff. « Sons « sales »,
langues « étrangères », typographies, didascalies, tressage des voix, gestuelle des personnages
qui donne lieu à un lyrisme visuel, tout contribue à la fabrique d’un son et d’un rythme, d’une
musique : le jazz de Koffi Kwahulé ».
La mise en scène n’a pas peur de nous ramener également sur le terrain des exhibitions du
monde médiatique que représentent les reality show sans évacuer la réflexion sur le théâtre et
le jeu, comme le signale le fauteuil Voltaire de velours rouge qui trône sur le plateau en guise
de chaise électrique ou de siège de torture. Monsieur et Stan sont deux gladiateurs des jeux du
cirque diatique, deux acteurs dans une cage transparente et réfléchissante, un aquarium de
magicien, une malle mystérieuse de prestidigitateur, un ring, une cabine téléphonique de show
surprise à la japonaise.
En me temps, on ne perd jamais de vue la dimension philosophique du dialogue, la variation
ludique sur la dialectique hégélienne : le maître et l’esclave, l’Auguste et le clown blanc, Footit
et Chocolat, Pozzo et Lucky d’
En attendant Godot
de Beckett. Alexandre Zeff qui voit dans
Big
Shoot
« l’allégorie apocalyptique d’un monde sans valeurs ni repères » joue de toutes les
ruptures et de cette instabilité du dialogue qui saute en somme d’un registre à l’autre comme
une radio qui capte plusieurs stations et restitue ainsi toute l’ambiguïté du texte. Il ne renonce
à aucune piste, tire tous les fils et nous plante avec le sourire devant l’écheveau tragique et
inextricable de notre condition humaine. « Je n’y comprends plus rien » dit Stan. « Ah, parce
que tu crois que j’y comprends quelque chose… » répond Monsieur.
Sylvie Chalaye
« Hier au théâtre »
Alexandre Zeff déteste les zones de confort. Après s’être frotté avec audace et style à
Je suis le
vent
et
Le 20 Novembre
, le jeune metteur en scène récidive dans son déchiffrage du théâtre
contemporain avec
Big Shoot
de Koffi Kwahulé. La petite salle de La Loge swingue et
tremble d’effroi face au duel comico-cruel du bourreau et de sa victime dans
un monde en crise. Dans un esprit jazzy respectant à merveille lécriture
kwahulienne, Zeff souligne la portée divertissante de la souffrance érigée en
jeu bouffon et démoniaque.
Dans la pénombre, un homme est assis en tailleur. Prisonnier d’une cage transparente, il
compte les heures avant le rebours fatal. Dernier survivant dune cité fantôme, Stan sest
volontairement offert en pâture pour rassasier l’avidité voyeuriste d’une foule en manque de
sensations fortes. Son juge, le dirigeant de la ville, trône à jardin dans un beau fauteuil
pourpre. Il sengage par un contrat tacite avec son ultime victime à proposer un show du
tonnerre de Dieu pour contenter les manants. Dans ce perturbant face-à-face, les rôles
semblent distribués à lavance mais la dialectique du maître et de l’esclave renverse
progressivement la vapeur…
Big Brother jazzy
Comme toujours chez Koffi Kwahulé, lordure côtoie le sac ; la musique nourrit l’écriture.
Big
Shoot
ne déroge pas à la règle puisque le dramaturge ivoirien sinspire clairement des
programmes de télé-réalité tapageurs pour enclencher ses réflexions sur la société du
spectacle debordienne. Zeff n’hésite d’ailleurs pas à amplifier le mouvement à travers une
scénographie comme souvent impressionnante (fait dautant plus remarquable quon se situe
dans un espace minuscule). Ici, le duo évolue dans un carré satude néons colorés à ses
extrémis ; trois jazzmen accompagnent cette joute oratoire avec beaucoup de classe et
d’aplomb et les insultes répondent poétiquement au rythme détendu et nerveux du swing.
Montée d’adrénaline engendrée par la dope, blessure par balle, référence au cinéma, orgasme :
la polysémie de
Big Shoot
déploie en éventail deux constantes, à savoir la violence et le
plaisir. Une imbrication fondue et totale signifiée par le rituel SM auquel se livrent les deux
personnages. La relation complexe les unissant, entre interdépendance et rejet, fascine. Zeff a
su choisir des comédiens investis, compmentaires et démentiels. On retrouve Thomas Durand,
un fidèle, dans le rôle de Stan, le bouc-émissaire volontaire. Assumant sans complexe une
partition qui peut sembler ingrate au premier abord, le comédien au physique de grand dadais
adolescent commence par plier sous la torture avec un malaise gauche grandissant. Clown
malg lui dans son insignifiance excentrique (il adore tricoter et se débrouille bien en
anglais), il change la donne en dévoilant les fissures d’un être fou, aux allures de Joker
malsain. À ses tés, Jean-Baptiste Anoumon exulte en démiurge excessif et taquin, séducteur
monstrueux. Enveloppé dans sa longue cape façon
Matrix
, il mène la danse tel un gourou
possédé.
Avec
Big Shoot
, Alexandre Zeff dessine donc avec force le parcours de deux solitudes qui se
rencontrent et tentent de s’apprivoiser dans un show spectaculaire voué au néant. Comment
créer du beau à partir de la violence ? Comment le pouvoir de la fiction peut suspendre
temporairement le couperet de la mort ? Voilà deux questions que pose Kwahulé dans ce court
dialogue auxquelles Zeff parvient à pondre grâce au talent de deux comédiens
intrinsèquement unis, comme le yin et le yang. Lécrin resserré de La Loge permet de faire
exploser avec plus de retentissement la bombe orale de ce shoot final.
Thomas Ngohong
(https://hierautheatre.wordpress.com/2016/01/13/le-swing-explosif-dalexandre-zeff/)
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