A vos plumes camarades

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Atelier d’écriture : consigne 5
Je vais te donner à entendre toutes les voix qui en moi murmurent le même refrain: tu choisiras la
tienne.
Marie de Hennezel - La mort intime
Après les Haïkus, un peu de repos pour nous chères petites plumes et de la détente aussi !
La consigne cette semaine, se résume à SALADE !!!
Ok, pour ceux qui auraient oublié leur âme d'enfant, SALADE est le mot magique pour dire,
laissez-vous aller à ce que vous voulez. Néanmoins, ce ne sera pas une vraie
j'aimerais que vous écriviez POUR quelqu'un, pas forcément A
quelqu'un mais surtout POUR... Votre texte parlera de ce que vous voulez:
vous, un personnage inventé, un paysage, un sentiment, une histoire...
salade:
Libre à vous d'écrire ce que vous voulez.
A vos plumes camarades !!!
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A toi
A elle
A lui
A nous
A vous
A eux …. A moi
Bien sûr, j’aurais pu décider de tout recommencer, passer l’éponge et reconstruire. Effectivement,
j’aurais pu. Mais j’aime les histoires. Depuis que je suis toute petite, j’aime les histoires. Alors j’ai décidé
de vous en raconter une et pas n’importe laquelle, je vais vous raconter l’histoire d’une utopiste.
Tout a commencé quand je suis née. Mais je suis née assez tard en fait. Je suis née en terminale. Ne
rigolez pas, ce n’est pas drôle parce qu’il faut alors rattraper le temps. Et oui, dix-sept années ce n’est
pas rien tout de même ! Vous allez donc me demander comment je suis née. Ce ne fut ni un miracle, ni
la fin d’une époque, loin de là. Finalement, c’était assez inaperçu comme naissance.
J’étais en cours de philosophie. J’aimais ce cours même si pour une élève de classe scientifique cela
relevait un peu de la sorcellerie, j’aimais cette leçon. Mais revenons à nos moutons. J’étais donc assise
à ma place habituelle, au second rang du milieu, première chaise en direction de la porte. Il y avait du
soleil ce jour-là. Ne me demandez pas pourquoi je vous le dis, moi-même, je n’en sais rien, mais je
pense que ça compte. Au moins pour la suite. Bref, je disais donc que j’étais assise et que tout laissait
penser que le cours serait comme les autres. Je regardais le professeur nous débiter son cours sur le
sujet. Ne croyez pas que c’était un de ces professeurs blasés et défaitistes qui ânonnent les mêmes
phrases d’années en années. Non. Bien au contraire, c’était un professeur passionnant. Il avait une
drôle de voix mais elle était captivante. Et il faisait des schémas. C’est important les schémas. Peut-être
pas pour vous, mais pour moi, si. J’adore les schémas ! Enfin, passons. Ce jour-là donc, il a dit la
phrase qui a changé ma vie : « Je pense donc je suis ». Le Big Bang de ma vie ! Et il nous a dit,
« mais qui est je ? »
Je ne sais pas si les autres ont ressenti quelque chose mais moi, je venais de voir un gouffre énorme
s’ouvrir au-dessus de ma copie. J’étais ! Je ne savais pas encore vraiment qui, ni quoi, mais j’étais.
J’étais et pas seulement en tant qu’élève de terminale S, j’étais en tant que JE ! J’avais une essence,
un truc qui s’appelle le moi. Il y avait un cataclysme d’idées dans ma tête et je voulais poser une kyrielle
de questions. Mais le temps n’en avait pas décidé ainsi : la sonnerie a annoncé la fin du cours, c’était
un lundi, tout le monde était pressé, mes amis m’attendaient. Je suis sortie, je les ai écoutés, j’ai sans
doute débité des âneries pour amuser la galerie en apprenant vite fait bien fait mon proverbe pour le
cours d’anglais, le dernier cours avant de rentrer chez moi, mais en réalité, j’étais restée sur ma chaise
de la classe de philosophie, ailleurs.
C’est éprouvant de naître à dix-sept ans. Vraiment.
Je ne me souviens pas d’un changement radical de mon comportement : mon premier cri a été très
discret. C’est tout l’inconvénient de naître sans assistance. Mais aussi tout l’avantage : le monde se
découvrait désormais à moi avec un regard tout neuf. Je prenais désormais plaisir à disserter en
philosophie, à lire les textes et les expliquer : à faire de ces pensées les miennes. Plus je découvrais
des idées nouvelles et plus j’avais soif d’en apprendre davantage. J’étais avide, comme les nourrissons.
Normal vous me direz puisque je venais de naître. Et vous avez raison. Mais comme on n’est pas tous
les jours confronté à la naissance d’une utopiste de dix-sept ans, il faut bien que je précise.
Et puis vous allez rire à gorge déployée, je le sais bien, mais j’ai pris plaisir à apprendre. Jusque là,
j’avais subi ma vie, ma scolarité et mon éducation. A partir de cette date, j’ai pris mon pied. Et oui, en
même temps que la vie, j’ai découvert l’orgasme littéraire. Je suis assez précoce comme utopiste.
D’ailleurs, il faut que je vous explique ce détail. Avec ma naissance tardive, je le conçois, on aurait pu
penser que j’allais enfin rejoindre le camp des hommes épanouis. C’était sans compter mon esprit
malicieux qui décida de s’accrocher à ses rêves et ses idéaux, quoi qu’il arrive. Et c’est ainsi que de
rien, je suis devenue avant de me définir utopiste. Je n’ai jamais lu Thomas Moore pour autant. Trop
loin et avouons-le, pas beaucoup d’intérêt de ma part. Je lui ai préféré Camus, Sartre, Tocqueville,
Montaigne, Rousseau et Freud. C’est ainsi. Je n’ai jamais eu pour objectif la création d’une société
idyllique même si j’en ai un moment caressé l’idée. Je me suis contenté de garder la tête hors de l’eau
de la tentation de l’anonymat qui m’a souvent abordée.
Néanmoins, même si vous attendez la suite avec impatience, je voudrais revenir sur ma gestation.
Parce qu’il ne faut pas croire que je suis née sans préparation. Non, j’ai enduré des mois et des mois de
solitude. Un an pour tout dire. Un an durant lequel j’ai perdu l’innocence qu’il me restait et pendant
lequel on m’a un peu brutalement jeté dans le monde des responsabilités et des désillusions adultes. Il
faut dire que ce n’était facile pour personne. Je n’accuse ni ne dénigre personne. C’est ainsi. C’est ma
vie. Et puis je suis née.
J’ai passé mon bac et j’ai dû choisir un avenir. Lequel ? J’ai choisi un peu par flemmardise en faisant
confiance à Saint Post-Bac. Je n’aurais peut-être pas dû. Mais je l’ai dit, j’étais née utopiste et il y avait
tellement de pensées à découvrir que j’étais un peu perdue. Comment à tout juste dix-huit ans aurais-je
pu savoir ? En me renseignement, je sais, en étant plus active dans mon orientation, je le sais aussi.
Mais comment expliquer alors ma conviction profonde qu’il me fallait du temps ? Du temps pour
réfléchir et découvrir ? Du temps aussi pour aimer. Voilà nous y arrivons à ce fameux verbe aimer que,
si on me donnait la possibilité de créer un dictionnaire, je mettrais en première page.
Car malgré tout, derrière l’utopiste, il y avait la grande romantique. Celle-là est née un peu après mon
bac. Durant l’été. Je ne sais pas trop pourquoi ni comment, mais elle est née là. Sans doute avec ma
première grande amourette. Vous savez, la première qui ne l’est pas, celle où on ne sait encore rien du
verbe. Non, vous ne savez pas.
Alors je vais vous raconter le chapitre de ce premier Lui.
Lui, c’était un jeune homme de deux ans mon aîné. Lui, il passait son temps au même endroit que moi.
Lui, c’était l’ami que je n’ai jamais présenté à quiconque. Lui, c’était mon oasis, mon rêve, celui qui me
faisait grandir à l’abri des cataclysmes. Lui, c’était un garçon doré aux yeux noirs et aux cheveux blonds
tout bouclés. Lui et moi, on n’avait pas de secrets. Je lui avais même raconté ma naissance, comme à
vous maintenant. Il était content, tellement content de me faire vivre et moi, j’étais aux anges quand il
riait. Bon et puis, nous avions dix-huit ans, des hormones en veux-tu en voilà, et il y a eu le premier
baiser face à la mer et le soleil couchant. Je sais, c’est très cliché. Mais en même temps…c’était
magique. Bref, à partir de là, j’ai découvert le verbe aimer. Mais nous avions sans doute lu trop de
tragédies grecques et le destin nous frappa. La dispute qui éloigne deux âmes sœurs, le couteau qui
sépare deux moitiés de pommes est arrivé. Quatre mois plus tard, c’est un coup de téléphone qui a
célébré mon premier anniversaire de naissance. Mon prince n’était plus. Fin de l’histoire, nous n’aurons
jamais beaucoup d’enfants et nous ne serons jamais éternellement heureux. Fin aussi de la jeune fille
rieuse, fin de la vie d’adolescence, bonjour la dépression. Je l’ai embrassée de mes deux bras, je l’ai
explorée sous toutes les coutures des convulsions aux larmes. Et sur ce point, je ne permettrais jamais
un « je comprends », ou un « tu le faisais exprès ». C’est un point dont jamais vous ne comprendrez le
sens, combien même je vous expliquerais, cela restera obscure, non pas que vous êtes des idiots,
simplement que c’est incompréhensible et cinquante ans de psychiatrie n’y feront rien. Amen.
Mais l’utopiste que je suis à un poil de lion qui a remplacé son cœur. Et c’est ainsi que par une pâle
journée de février, un simple « dois-je accepter ? » auquel j’ai répondu « ben promis, je ne vais pas te
manger » a scellé ma survie. Avec cet autre Lui, j’ai parlé littérature, musique, avenir, vie, voyages,
voile, bateaux… La vie que j’avais découverte s’intensifiait.
C’est merveilleux la vie quand on a deux ans. Parce que j’avais beau courir sur mes dix-neuf ans, je
n’avais pas encore rattrapé mon retard et j’en étais toujours au stade des deux ans, l’âge auquel on
pose beaucoup de « pourquoi ». Mais j’ai eu de la chance, ce Lui était un peu curieux et je peux même
écrire qu’au début, il prenait plaisir à me répondre. J’adorais ces échanges où on se disait tout, mais
quand je dis tout, c’est vraiment tout : du dernier livre lu au repas ultra-détaillé qu’on venait de prendre
chacun derrière son écran. Ah la jeunesse et l’insouciance …
Et puis, on a parlé avenir tous les deux. Une grande question qui hante souvent ma vie. A deux ans,
c’est dur de penser au futur. A deux ans, on cueille la vie au jour le jour, on n’a pas idée de ce que
demain veut dire. J’étais une utopiste qui comprenait parfaitement ce que « Carpe diem » veut dire. Je
vivais l’épicurisme. Sans jamais le confondre avec hédonisme, différence qui m’est très chère, je
cultivais mon jardin au jour le jour. Comme Candide. Mais je n’étais pas un héros de Voltaire. Je restais
humaine. Et comme Eve, j’ai cueilli le fruit interdit. Malheur à moi ! Je ne savais pas dans quoi j’avais
mis les pieds !
C’est tout le problème d’avoir deux ans et pas de parents : quand vous faîtes une bêtise, vous êtes tout
seul pour essayer de comprendre. Et dans mon utopie, il fallait aimer. Alors j’ai aimé. Peut-être trop, et
trop de monde aussi. Il n’y avait pas de méchants, pas de vrais, juste des gens que je prenais plaisir à
aimer. Et puis, Victor Hugo le disait bien : « la liberté d’aimer n’est pas moins sacrée que la liberté de
penser ». J’y croyais dur comme fer. Je me suis un peu brisée. Il faut dire que de Lui et Moi, l’histoire
s’était enrichie d’Eux, Elles, Elle et Nous. Ce qui tout de suite nous a fait entrer dans le roman bien plus
que dans la nouvelle. Il faut s’en douter, dès lors nous pouvions tous bannir le « Et ils vécurent heureux
encore et encore ». J’ai eu trois ans et je me suis éteinte. C’était au mois de mars, autour du 20 mars.
Je suis morte à trois ans. Tout ce que j’avais pu découvrir, le gouffre d’idées, la tourmente des
sentiments, le verbe aimer, tout s’est éteint car Ils ont décidé que je devais oublier. Oublier de vivre
cette vie que je venais à peine de découvrir. Oublier qui j’étais et retourner dans ma sphère de non-vie.
Ma petite bulle hors du temps où je n’étais qu’un simple lutin farfelu prêt à fait rire, à réconforter et à
aider. Ils ne savaient pas que ma bulle avait été détruite, qu’Ils m’envoyaient droit dans le réacteur de
Tchernobyl. Le lutin a été irradié. Un cancer de la joie. L’utopiste était morte et le lutin boitait
sérieusement. Drôle de tournant n’est-ce pas ?
Moi aussi parfois je me dis que ce n’est vraiment pas de chance. Je n’aime pas mon état de non-vie.
J’aimais découvrir la vie. Je regrette d’être morte à trois ans. Je le regrette sincèrement. J’aurais voulu
courir sur mes quatre ans, apprendre à parler, apprendre à écrire, apprendre à lire ; j’aurais voulu
continuer à explorer le verbe aimer mais c’est bien connu, les enfants ne savent pas toujours ce qu’ils
font. Alors du haut de mes presque vingt ans, je suis retombée dans la non-vie. Et j’attends.
Qu’est-ce que j’attends ? De renaître ! Je ne sais pas si ça viendra un jour, mais du fond de mon
réacteur, je ne perds pas espoir, jamais ! Parce que voyez-vous, l’espoir, c’est le seul bijou qu’il me
reste de l’utopiste. Alors je le garde précieusement et j’attends.
Fin.
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