17. Cour d`appel de Bruxelles, 24 juin 1987

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FULL REFERENCE: 17. Cour d'appel de Bruxelles, 24 juin 1987
[Court, Date and File Number - - ]
C OUR D' APPEL DE B RUXELLES , 24 JUIN 1987, R EVUE PRATIQUE DES SOCIÉTÉS , 1 9 8 7 ,
N ° 6452, 250; T RIBUNAL CORRECTIONNEL DE B RUXELLES , 20 FÉVRIER 1987, R EVUE
PRATIQUE DES SOCIÉTÉS, 1987, N ° 6442, 158 - "FAILLITE S.A. G ALERIES A NSPACH
C / JEAN -P IERRE W ILLOT "
[Key Words]
Criminal Law - Embezzlement - Intragroup Operations
[Mots-clé]
Droit pénal - Détournement de fonds - opérations intragroupe
[Stichworte]
Strafrecht - Veruntreuung - konzerninterne Operationen
[Summary]
Commits the crime of embezzling company funds, the director of a subsidiary who
a) ensures loans granted by the subsidiary in favour of other group companies, to be
reimbursed in exchange for shares issued by the parent company, valued above market price
b) urges the subsidiary to sell assets, in order to lend the proceeds to a sister company, so as to
enable the latter to purchase shares of the parent company
c) urges the subsidiary to sell off certain assets in order to lend the proceeds to the parent in
order to enable the parent to acquire shares in an American sister company, a highly risky
transaction and beneficial not to the group as a whole but only to the parent company.
d) all this while the subsidiary experiences severe financial difficulties, urgently needs cash,
while the criticised transactions in no way served to reinforce the subsidiary's position.
[Résumé]
Dans le cadre d'une procédure pénale, commet un détournement de fonds, le dirigeant de la
société filiale
a) qui fait rembourser des prêts accordés par la filiale en faveur du groupe, en actions de
la société-mère, évalués à un prix de convenance, mais au-delà du prix du marché;
b) lui fait réaliser des actifs, afin d'en prêter le provenu à une société-soeur afin de lui
permettre d'acquérir des actions de la même société mère;
c) fait vendre certains actifs de la filiale pour en prêter le provenu à la mère, afin de lui
permettre d'acquérir les actions d'une société soeur aux Etats-Unis, opération à haut risque
effectuée au bénéfice non pas de l'ensemble des sociétés du groupe, mais de la seule sociétémère,
d) alors que la société filiale était en difficultés financières, avait d'importants besoins de
trésorerie, et que les opérations en question ne servaient aucunement à renforcer la position de
la filiale.
[Zusammenfassung]
Im Rahmen eines Strafverfahrens begeht der Geschäftsführer einer Tochtergesellschaft eine
Veruntreuung, wenn er
a) ein Darlehen, die die Tochtergesellschaft den Konzern gewährt hat, zurückerstatten
läßt in Form vom Aktien der Muttergesellschaft, die zu einem vereinbarten Preis außerhalb des
Marktpreises bewerten wurden;
b) Aktiva verwertet, um den Ertrag hieraus einer Schwestergesellschaft zu gewähren,
um ihr den Erwerb von Aktien derselben Muttergesellschaft zu ermöglichen;
c) bestimmte Aktiva der Tochtergesellschaft verkaufen läßt, um den Ertrag hieraus der
Mutter zu gewähren, um dieser den Erwerb der Aktien einer Schwestergesellschaft in den
Vereinigten Staaten zu ermöglichen, eine hochriskante Operation, welche nicht zum Nutzen der
Gesamtheit der Konzerngesellschaften, sondern allein zu dem der Muttergesellschaft
vorgenommen wird,
d) während die Tochtergesellschaft in finanziellen Schwierigkeiten war, dringenden
Kapitalbedarf hatte und die fraglichen Operationen in keiner Weise dazu dienten, die Position
der Tochtergesellschaft zu verstärken.
[Facts and Reasoning - - ]
ARRET
1. Attendu qu'il échet, avant d'aborder l'examen des préventions, d'exposer les antécédents de
la cause:
— 1971: la société de droit américain Sears Roebuck and C° rachète la S.A. Galeries Anspach
— ci-après dénommée G.A. — en difficultés;
— 1976: la situation financière des Galeries Anspach se dégradant encore, Sears, qui a subi de
lourdes pertes, cède ses titres pour 1 franc symbolique au groupe de Bodt, lequel n'a obtenu le
soutien de l'Etat qu'à la condition que le groupe belge des actionnaires se rattache à un groupe
plus puissant;
— le 10 février 1978, la Société Foncière et Financière Agache-Willot (S.F.F.A.W.) achète
directement et pour une petite partie par l'intermédiaire de sa filiale belge la S.A. Le Peigné,
99,9 % de la totalité des titres Galeries Anspach pour 835 millions qui sont payés de la manière
suivante:
145.000 actions S.F.F.A.W. évaluées à 420 francs français 435.000.000 FB.
en liquide
400.000.000 FB.
— Jean-Pierre Willot devient administrateur des Galeries Anspach dès le 10 février 1978; il
devient Président administrateur-délégué le 1er février 1979 en remplacement de J.P. de Bodt;
— le 10 février 1978, Antoine Willot, son frère, devient également administrateur;
— le 29 juin 1978, la S.F.F.A.W., représentée par Regis Willot, autre frère du prévenu, est
élue administrateur;
— l'assemblée générale ordinaire du 29 juin 1978 reconnaît à l'administrateur-délégué « le
pouvoir d'engager la société en agissant seul pour les actes relevant de la gestion journalière et
conjointement avec un autre administrateur pour tous autres actes »;
— le 26 juin 1981, le Président du tribunal de commerce de Lille désigne un administrateur
provisoire pour la S.F.F.A.W.;
— le 6 juillet 1981, les Galeries Anspach déposent une requête en concordat;
— le 25 septembre 1981, la S.F.F.A.W. est mise sous règlement judiciaire;
— le 29 octobre 1981, le tribunal de commerce de Bruxelles prononce l'homologation du
concordat judiciaire des Galeries Anspach;
— le 3 janvier 1983, la faillite des Galeries Anspach est prononcée;
(....)
2. Quant a la prévention B
Attendu que cette prévention vise trois infractions distinctes;
a) Détournement de 467.724.853 FB (opération Keiser-Ullmann).
Attendu que ce montant correspond au total des fonds, augmenté des intérêts au 31 janvier
1980, placés par les Galeries Anspach auprès le K.U.;
1. Les faits.
Le 2 mars 1978, de Bodt Jean-Pierre, administrateur délégué et de Crayencour François,
directeur financier, introduisant, au nom des Galeries Anspach, par lettre contresignée par
Willot Jean-Pierre, une demande d'ouverture de compte auprès de Keiser-Ullmann;
Ils signent en même temps, seuls, un acte de nantissement général et un mandat permanent pour
dépôt fiduciaire à l'étranger, par lequel ils autorisent la banque à utiliser les fonds qu'elle détient
pour effectuer des placements à terme à l'étranger, en son nom mais pour le compte et aux
risques du mandant, dans les monnaies qu'elle choisit, les G.A. ratifiant à l'avance chaque
opération exécutée par la banque et renonçant à émettre toute critique;
Le 13 mars 1978 (un mois après leur cession à la S.F.F.A.W.), les Galeries Anspach créditent
leur compte K.U. de 200 millions;
de Crayencour donne ordre à la B.B.L. de transférer:
1) le 28 mars 1978, en fiducie: 130 millions;
2) le 2 mars 1979, à terme et sans risque: 80 millions;
L'expert constate qu'en janvier 1980 le montant de la créance à l'égard de K.U. est de
467.724.853 FB;
Le 17 avril 1978, des contrats identiques sont signés par de Bodt et de Crayencour entre
Devimo, filiale des G.A., et K.U.;
Devimo est propriétaire du capital de la société Lechuza, société de droit panaméen;
En novembre 1978, Devimo signe trois contrats de fiducie, via K.U. avec l'avocat genevois
Mathey qui est invité à souscrire au capital de trois sociétés dites panaméennes, Capinter,
Acclamation et Wimbledon dont le siège social est le même que celui de K.U. et dont les
directeurs sont des administrateurs de K.U.; Capinter et Acclamation sont inconnues à Panama;
La plupart des sommes placées par les G.A. auprès de K.U. sont affectées par celle-ci à des
prêts fiduciaires via Devimo, à Lechuza qui, elle-même, les transfère aux trois sociétés dites
panaméennes précitées;
Les dettes de ces dernières à l'égard de Lechuza correspondent, fin 1979, aux placements en
devises des G.A. auprès de K.U.;
Leur actif, en portefeuille titres, est évalué à 439.000.000 FB; la nature de ces portefeuilles
titres ne peut être déterminée par l'expert judiciaire si ce n'est que Wimbledon possède —
curieusement — 69.999 titres S.F.F.A.W. et 7.571 titres Bon Marché, filiale française de la
S.F.F.A.W.;
3. Le 26 mars 1979, les G.A. réclament à K.U. le remboursement, au 15 janvier 1980, en
capital et intérêts, de tous les dépôts; K.U. dira n'être pas en mesure de rembourser et, le 15
janvier 1980, propose de « vendre en bourse ou de gré à gré les titres cotés »; Willot JeanPierre, par lettre du 25 janvier 1980, impose alors la solution qui consiste à livrer 100.000
actions S.F.F.A.W. à un prix convenu « ne pouvant être supérieur à 594 FF » et à verser 70
millions en espèces représentant les intérêts échus;
La S.F.F.A.W. verse, le 29 janvier 1980, deux fois 87.073.997 FB à K.U. pour alimenter les
comptes des sociétés panaméennes, lesquelles doivent, en vertu de l'accord intervenu, acheter
des titres — dans la mesure où elles n'en possèdent pas suffisamment — de manière à pouvoir
exécuter ledit accord;
K.U. n'acceptant plus de payer 70 millions en espèces, le prix du titre est porté à 600 FF et le
nombre à 110.800, puis 111.000; qu'en fait 100.000 titres seulement ont été livrés;
Finalement, l'acquisition par les G.A. d'un nombre aussi considérable de titres de la maison
mère étant anormale, il est convenu, en juin 1980, de livrer 55.000 titres à 600 FF aux G.A. et
55.000 à une filiale belge de la S.F.F.A.W., la S.A. Le Peigné;
4. Cette dernière ne disposant pas de liquidités emprunte aux Galeries Anspach 252 millions
pour en payer le prix de 233 millions à ces mêmes Galeries Anspach;
Lorsque les G.A. sont prétendument remboursées en principal et intérêts, des montants placés,
elles le sont de la manière suivante:
1) elles détiennent 55.000 titres S.F.F.A.W.;
2) elles ont une créance à l'égard de la S.A. Le Peigné dont le solde exact est loin d'être clair au
moment où elles déposent leur requête en concordat;
(...)
3) Le détournement ou la dissipation de deniers.
5. Attendu qu'il est constant que ce sont des sommes d'argent retirées de sa trésorerie qui ont
été placées par les G.A. auprès de K.U. dans le but d'en obtenir un rapport avantageux; qu'il
est constant également que ces sommes ont ensuite été « confiées » à des sociétés panaméennes
— hautement suspectes — qui n'ont pas eu, soit la possibilité, soit l'autorisation, soit la
volonté de les restituer en espèces ni, comme cela a été démontré ci-avant, en équivalent;
Qu'il échet de relever qu'outre le « payement » de ces 111.000 titres en contrevaleur des
sommes placées auprès de K.U., qui a été imposé aux G.A., il leur a encore été enjoint de
prélever de leur trésorerie 252 millions pour financer l'achat par le Peigné, filiale de la maisonmère S.F.F.A.W., de 55.000 de ces titres (dont le Peigné en fin de compte n'en recevra
d'ailleurs que 45.000): que cette manoeuvre éclaire davantage encore le caractère fictif du
remboursement des Galeries Anspach;
Qu'à supposer même que la S.A. Le Peigné ait à la fois remboursé l'emprunt et payé le prix des
titres — ce qui n'apparaît pas clairement du dossier — il n'en demeure pas moins que les G.A.
auraient, au préalable, échangé la totalité des montants placés contre 111.000 ou 100.000 titres
qui n'avaient à ce moment aucune valeur négociable pour elle;
6. Que le bénéficiaire final de ce mécanisme est incontestablement la S.F.F.A.W., dont les
titres ont été achetés en masse par les G.A. grâce aux opérations successives décrites ci-avant;
Qu'il est sans intérêt de faire une distinction entre les capitaux placés en fiducie, ceux placés à
court terme et les intérêts, dès lors que toutes ces sommes n'ont été remboursées que
fictivement, par la livraison des titres S.F.F.A.W.; que la faute qu'aurait commise K.U. en
plaçant 80 millions en fiducie malgré des instructions en sens contraire, n'est dès lors pas
élisive de la faute commise par celui — ou ceux — qui, par des manoeuvres ont contribué à
libérer K.U. de la totalité de sa dette à l'égard des Galeries Anspach;
Attendu que l'interversion de possession exigée par la loi a eu lieu au moment où les sommes
placées par les Galeries Anspach ont abouti dans les trois sociétés « Acclamation », « Capinter
» et « Wimbledon », soit au plus tard à la fin de l'année 1979, puisque l'expert relève que les
bilans desdites sociétés, clôturés au 31 décembre 1979, révèlent qu'elles ont emprunté à
Lechuza, un montant total très proche des sommes confiées par les G.A. à K.U.;
Attendu que ces sociétés en ont fait un usage tel que lesdites sommes, au remboursement
desquelles les G.A. avaient droit, n'ont plus reparu;
Qu'il est dès lors établi qu'il y a eu détournement de deniers au détriment des G.A. et au profit
de la S.F.F.A.W. à concurrence du montant de 467.724.853 F ;
4 L'intention frauduleuse du prévenu.
7. Attendu qu'il n'est pas douteux que, jusqu'en janvier 1980, toutes les opérations décrites cidessus se sont déroulées au moins avec le plein accord de Willot Jean-Pierre;
Qu'en effet:
1° tempore non suspecto, de Crayencour faisait constamment référence, dans sa
correspondance, à l'accord de celui-ci, ce qui conforte sa déclaration, tout comme celle de de
Bodt, qu'à partir de la cession des G.A., c'était Willot Jean-Pierre qui dirigeait tout;
2° le procès-verbal du comité de direction des G.A. du 1er mars 1978 acte « les instructions
viennent directement de Mr. Willot en ce qui concerne la trésorerie »;
3° en sa qualité de représentant de la S.F.F.A.W., propriétaire à 99,9 % des titres G.A. société
en difficultés qu'elle venait de reprendre, Willot Jean-Pierre ne devait normalement pas tolérer
le placement à hauts risques de plus de 300 millions; ses nouveaux « subordonnés » n'auraient
jamais osé prendre à son insu une telle initiative;
Qu'à supposer qu'ils l'aient fait, le bernant complètement en dépit de sa longue expérience, il
n'eût pas manqué de déposer plainte contre eux en apprenant des agissements à ce point
préjudiciables aux G.A.;
4° en dépit de ses dénégations, Jean-Pierre Willot connaissait l'existence des sociétés
panaméennes; un télex de K.U. adressé aux G.A. le 22 novembre 1978 est rédigé comme suit «
suite au passage de Jean-Pierre Willot, nous vous confirmons notre décision irrévocable de
renouveler les dépôts à terme à la société Lechuza international »;
Attendu que le fait que de Bodt et de Crayencour ne font pas l'objet de poursuites alors qu'ils
ont signé ces engagements est sans incidence sur la responsabilité personnelle de Jean-Pierre
Willot dans le déroulement des opérations, dès lors qu'il est certain qu'ils ne les auraient pas
conclus sans, à tout le moins, l'approbation de ce dernier;
Attendu qu'il n'est pas contesté que Jean-Pierre Willot a pris seul, à partir de janvier 1980, la
direction des opérations K.U.;
8. Qu'il ressort de tout ce qui précède qu'il a, à ce moment, voulu masquer le détournement des
fonds litigieux en imposant la solution décrite ci-avant; que ces fonds avaient été placés par les
Galeries Anspach, à son initiative, ou, en tout cas, avec son accord indispensable; que luimême, ce faisant, avait pour but final de les utiliser en faveur de la S.F.F.A.W., en particulier
pour faire acheter des titres S.F.F.A.W. et en soutenir le cours; que c'est lui d'ailleurs qui a fait
verser par la S.F.F.A.W. deux fois 87.073.997 F au compte des sociétés dites panaméennes
pour permettre à celles-ci d'acheter les titres nécessaires à la solution de l'opération et n'a donné
aucune suite à la décision du conseil d'administration du 6 juin 1980, qui l'avait expressément
chargé de négocier les 55.000 titres avant la fin de l'année afin qu'ils n'apparaissent pas au
bilan de 1981, mais bien leur équivalent en espèces, qu'ils apparurent néanmoins au bilan pour
une valeur conventionnelle de 600 FF;
9. Que si un doute subsistait à cet égard, il suffirait de prendre en considération le fait que,
parmi toutes les possibilités qui s'offraient à K.U. de placer les fonds des G.A., elle a choisi
les placements les plus favorables à la S.F.F.A.W., ce qui ne peut être l'effet du hasard, et qui
a eu pour G.A. la conséquence étrange et funeste que sa trésorerie a servi à acheter des titres de
la maison-mère;
Que si K.U. avait agi librement et de bonne foi vis-à-vis des G.A., elle n'aurait eu aucune
raison de recourir à des sociétés écran, se confondant en fait avec elle, et qui n'ont servi qu'à la
réalisation desdites opérations, favorables à la S.F.F.A.W.; qu'il est invraisemblable que,
connaissant le seul maître des G.A., elle n'ait pas agi sur ses ordres;
Attendu qu'il s'ensuit que les éléments constitutifs de la prévention de détournement sont réunis
en ce qui concerne le montant de 467.724.853 FB;
b) Détournement de 425.855.555 FB (opération Indo-Suez):
10. Attendu que, comme il a été exposé ci-avant, Jean-Pierre Willot versa le 10 février 1978 à
titre de payement partiel des titres G.A., une somme en liquide de 400 millions de FB, qu'il
avait empruntée à la banque d'Indochine et de Suez;
Attendu que l'opération critiquée s'inscrit dans le cadre de la cession des droits d'emphytéose
sur les bâtiments du « Westland Shopping Center » d'Anderlecht, intervenue le 19 décembre
1979, procurant une rentrée nette d'argent, par capitalisation du canon emphytéotique de 690
millions dont 425.855.555 FB furent prêtés à la S.F.F.A.W. pour une période d'un an;
Que de ce montant, les G.A. remboursèrent 140 millions a leur créancier, la S.N.I.,
conservèrent 124 millions pour les besoins de leur trésorerie et prêtèrent 425.855.555 à la
S.F.F.A.W. le 31 janvier 1980;
Attendu que le premier juge a exactement exposé que le prêt litigieux à la S.F.F.A.W. fut
matérialisé le 31 janvier 1980 par une lettre de de Crayencour à celle-ci, prenant note de ce que,
le 15 février 1980, le montant prêté devait être versé à la Banque d'Indochine et de Suez; que
cette lettre fut suivie d'un ordre d'exécution donné le 5 février 1980 par le directeur financier
Chanh à la B.B.L., tendant au transfert des 425.855.555 FB à ladite banque, avec pour objet «
le virement s'intitulera: "remboursement principal + intérêts du 20 août 1979 au 15 février
1980, contrat du 9 février 1978 — règlement pour compte de la Société Foncière et Financière
Agache-Willot"»;
Que le contrat de prêt lui-même n'intervint que postérieurement, le 14 février 1980, prévoyant
en son art. 5 qu'il sera communiqué aux commissaires aux comptes des G.A. et de la
S.F.F.A.W. et que la ratification par le conseil d'administration des G.A. n'eut lieu « pour
autant que de besoin » et « à l'unanimité » que lors de la réunion du conseil d'administration du
6 juin 1980;
Attendu qu'il ressort de ces éléments que le prêt consenti par les G.A. était destiné — et a été
affecté — au remboursement de l'emprunt de 400 millions — augmenté d'intérêts — contracté
par la S.F.F.A.W. auprès d'Indo-Suez en vue de l'acquisition des G.A. le 10 février 1978;
Que le premier juge a justement relevé que l'analyse de l'opération ainsi pratiquée révèle sa
véritable nature:
— mise à la disposition, sur ordre du prévenu, de 425 millions de liquidités des G.A. dont il
est Président-administrateur-délégué, au profit de la S.F.F.A.W. dont il est également
Président-administrateur-délégué;
— utilisation par la S.F.F.A.W. des liquidités reçues pour lui permettre de rembourser son
emprunt du 9 février 1978;
— financement, grâce à cette somme, d'une partie des actions G.A. dont l'achat a nécessité
l'emprunt du 9 février 1978;
11. Attendu qu'en tant qu'administrateur des G.A., Jean-Pierre Willot était mandataire de
celles-ci pour la gestion de leurs biens sociaux, en vue de la réalisation de leur objet social;
Qu'en détournant à d'autres fins d'importantes liquidités qu'il avait mandat de faire tomber dans
l'ensemble des éléments d'actif de la société pour contribuer à la réalisation régulière de son
objet social et/ou à son expansion, il a commis l'infraction mise à sa charge;
Que la réalité du détournement est d'autant plus évidente qu'à ce moment les G.A. avaient à ce
point besoin de liquidités qu'elles avaient réclamé depuis près d'un an, remboursement de leurs
dépôts auprès de K.U.; qu'en effet, la situation se dégradait, les dettes s'accumulaient, et elles
avaient d'importants besoins de trésorerie;
Attendu que si l'opération que la Cour qualifié de détournement a les apparences d'un prêt
consenti régulièrement par les G.A. à la S.F.F.A.W., il n'en demeure pas moins que derrière
ces apparences se cache une toute autre réalité, à savoir l'ordre donné par Jean - Pierre Willot à
de Crayencour de verser — en dépit des besoins pressants de liquidités des G.A. — 425
millions à sa propre holding, en telle sorte que les actions G.A. que sa holding a officiellement
achetées à concurrence de 400 millions d'argent liquide ne lui ont sur ce plan rien coûté;
Attendu que l'objet social des G.A. ne s'identifie pas avec celui de la S.F.FA.W. et qui la
circonstance que c'est cette dernière qui en a tiré profit ne disculpe nullement le prévenu d'avoir
prélevé l'argent des G.A., aggravant encore davantage leur situation financière;
12. Que l'infraction n'est nullement « déduite » du non-remboursement des fonds, mais bien de
ce que, au moment du prétendu prêt — qui au demeurant ne fut jamais effectivement remboursé
— la réalisation de l'objet de la société s'opposait à ce qu'il soit puisé dans ses liquidités au
détriment de ses créanciers et, par voie de conséquence, de son personnel — ceci au seul profit
de la S.F.F.A.W.;
Que le prévenu soutient vainement que ce système est correct et qu'en sa qualité de propriétaire
il pouvait faire bout ce qu'il voulait;
Attendu en effet que ces pouvoirs ne pouvaient être exercés que dans les limites de la réalisation
de l'objet social de la société dont il était mandataire;
13. Qu'épuiser au profit de la S.F.F.A.W. les réserves de celle-ci au détriment des créanciers et
du personnel — dont il s'était, lors de la mainmise sur les G.A., engagé à respecter les
conventions belges de sécurité d'emploi signées antérieurement par le sieur de Bodt —
constitue un détournement de biens sociaux;
Que les faits n'eussent pas été constitutifs de ladite infraction si les liquidités avaient servi à
honorer les créanciers ou à améliorer le fonctionnement de la société, et, partant, sa rentabilité et
la stabilité d'emploi du personnel;
Que la thèse du prévenu revient à dire qu'en droit belge il serait licite de faire ce que l'on veut
d'une société anonyme dont on possède le capital, à condition de respecter les formes
extérieures de la loi;
(...)
Qu'au surplus, il affirme vainement qu'il avait le droit, en tant que propriétaire, de disposer des
actifs de la société pour en financer le prix d'achat, alors que de tels agissements, au moment
critique où ils ont été commis, loin de réaliser son but social, ne pouvaient que la mettre encore
davantage en difficultés, avec le risque pour elle de se trouver finalement exsangue;
Qu'il importe peu qu'il ne soit pas établi que Jean-Pierre Willot ait profité à titre purement
personnel des sommes détournées;
Que l'intention frauduleuse de l'agent réside dans la volonté de procurer à soi-même ou à autrui
un bénéfice illicite quelconque;
(...)
Qu'à cela s'ajoute le fait que le prévenu, en imposant ce prêt de 425 millions, a sciemment
provoqué une diminution notable des fonds de roulement des G.A., au moment où il n'ignorait
pas qu'elles en avaient grand besoin;
Qu'en le reconduisant, il a fait en sorte qu'elles ne soient toujours pas remboursées;
Que de l'ensemble de ses agissements depuis l'acquisition des G.A. et tout au long de sa
gestion la Cour tire la certitude que dès la conclusion du prêt litigieux, Jean-Pierre Willot était
animé de l'intention frauduleuse de faire bénéficier sa holding des fonds détournés de l'avoir
social des G.A.;
(...)
14. Attendu que l'utilité pour les G.A. en difficultés, de vendre un actif immobilier ne se perçoit
que si l'opération sert à améliorer la trésorerie ou permet d'effectuer un placement plus
favorable; que tel ne fut pas le cas, puisque la part la plus importante du produit de la vente fut
consacrée au remboursement d'un emprunt de la S.F.F.A.W., précisément contracté en vue de
la mainmise de la deuxième sur la première et ce, à un moment où la première ne pouvait se
permettre un bel affaiblissement;
Que la garantie accordée aux G.A., à savoir, une option d'achat sur les titres Le Peigné, filiale
de la S.F.F.A.W. à concurrence de 91,70 %, était illusoire dans la mesure où le capital social
de cette société, qui détenait essentiellement des titres S.F.F.A.W et. G.A., était fictif;
Qu'il s'ensuit que les éléments constitutifs de la prévention de détournement sont réunis en ce
qui concerne le montant de 425 millions;
c.) Détournement de 450.700.000 FB (opération Korvette);
15. Attendu que lors de la cession du 10 février 1978 Jean-Pierre Willot et les G.A. signèrent
une convention d'assistance technique par laquelle les G.A. chargeaient la S.F.F.A.W. de
prospecter, moyennant rémunération, le marché américain en vue de réaliser un investissement
dans une chaîne de distribution;
Que le 22 janvier 1979, les G.A. vendirent le Woluwe Shopping Center pour 1.000 millions
FB, laissant une rentrée nette d'argent de 884 millions;
Que, par convention du 22 mars 1979. les G.A. prêtèrent à la S.F.F.A.W., au taux de 9 %, un
montant de 450.750.000 FB pour un terme de deux ans expirant le 30 mars 1981, et se virent
accorder, à titre de garantie, une option d'achat de la totalité des actions de la société Korvette,
chaîne de grands magasins établie aux U.S.A.;
Que la S.F.F.A.W., manipulant les fonds des G.A. selon sa technique habituelle, acheta
Korvette par le biais de sociétés écran, Gany et Awy, qu'elle créa à cette fin; qu'une fois de
plus, ces opérations, par le jeu de conversions de fonds en titres et de mises en garanties de
ceux-ci, apparaissent volontairement embrouillées;
Que par convention du 15 février 1980, il fut décidé que la S.F.F.A.W. payerait sur le montant
emprunté un taux d'intérêt variable selon le marche mais que les intérêts échus seraient
capitalisés:
Que. dès août 1980. Korvette fut mise en liquidation et que les G.A. ne purent lever l'option
d'achat;
16. Que le prêt litigieux fut néanmoins renouvelé le 30 mars 1981 pour un an « tant pour le
capital que pour les intérêts éventuellement capitalisés » de sorte que, les G.A., outre qu'elles
n'avaient pas touché d'intérêts, ne disposaient plus que d'une créance à l'égard de la
S.F.F.A.W., société qui avait essuyé d'importants revers à la suite de l'opération Korvette;
Attendu qu'il est exact que les Galeries Anspach avaient envisagé une expansion aux Etats-Unis
dès avant leur reprise par la S.F.F.A.W. et qu'à première vue, le prévenu pourrait soutenir sans
invraisemblance qu'il espérait réussir l'opération Korvette et qu'une telle opération, certes
risquée, mais fort rentable en cas de succès, ne devient pas frauduleuse a posteriori en raison de
son échec;
Attendu cependant qu'il y a lieu de relever certaines anomalies dans la conception de
l'opération;
17. Qu'en effet, la Cour n'aperçoit pas pour quel motif Jean-Pierre Willot a fait en sorte que sa
holding, et non les G.A., réalise l'opération, ne laissant à celle-ci qu'une créance;
Que ce procédé devient suspect lorsque l'on aperçoit que les intérêts furent capitalisés — alors
que les G.A. avaient des difficultés de trésorerie — et le prêt reconduit à son échéance, après
l'échec de l'opération Korvette, alors qu'il avait été consenti aux seules fins de ladite opération;
Attendu qu'il échet en outre, de prendre en considération les similitudes existant entre
l'opération Korvette et le mode de procéder adopté par Jean-Pierre Willot dans les opérations «
Indo-Suez » et « K.U. » opérations qui, toutes, avaient au départ, l'aspect d'une convention,
mais se sont ensuite déroulées dans des conditions suspectes, et ont abouti pour les G.A. à des
pertes énormes;
Attendu en effet qu'il y a eu, dans chacune de ces opérations, prélèvement de sommes
considérables au bénéfice de la S.F.F.A.W., capitalisation des intérêts alors que les G.A.
avaient de pressants besoins d'argent, et non-remboursement — ou remboursement fictif —
des sommes prélevées;
Que si, a considérer la seule convention litigieuse, l'intention frauduleuse n'apparaît pas de
manière évidente, son déroulement ultérieur observé dans le cadre de l'ensemble des opérations
faites par Jean-Pierre Willot tout au long de sa gestion des G.A., trahit l'existence de cette
intention dès la conclusion dudit prêt;
Qu'il s'agit bien en fait d'un prélèvement de fonds qui auraient dû rester dans l'actif des G.A. et
qui en ont été détournés définitivement;
18. Qu'à supposer même que l'opération Korvette n'ait pas échoué en 1980, les G.A.
n'auraient touché aucun intérêt sur le capital prêté et, en cas d'exercice du droit d'option sur les
titres Korvette, n'auraient bénéficié que d'un portefeuille titres ne pouvant leur apporter des
bénéfices avant plusieurs années;
Qu'imposer aux G.A. qui connaissaient déjà des pertes importantes, une telle privation de
revenus — à tout le moins dans la meilleure des hypothèses envisagées par Jean-Pierre Willot
— pendant plusieurs années ne peut être qualifié de simple opération « à risque »;
Qu'au surplus, cette opération n'a pas été faite au bénéfice de l'ensemble des sociétés du
groupe, mais en faveur de la S.F.F.A.W. au détriment des G.A. en difficultés;
Par ces motifs,
La Cour,
Statuant contradictoirement,
c...)
Condamne le prévenu Jean-Pierre Willot du chef des préventions déclarées établies à un
emprisonnement de cinq ans...
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