une chance de “s’en sortir” à l’enfant en difficulté.
Seulement cette chance ne peut être saisie par tous.
Le trouble alors assigné implique une prise en charge
de la souffrance psychique, ainsi débute la carrière
de pathologisation de l’enfant, qui, selon le milieu
culturel et économique, pourra aboutir ou non.
Les familles face aux discours
des acteurs
De cette façon l’école continue d’exercer une •
sélection, une élimination précoce des sujets non
conformes et ainsi une reproduction des inégalités
sociales, donnant l’avantage aux classes dominan-
tes [1]. L’école a besoin de cette “fabrication d’élites”,
de sujets performants, que la bourgeoisie sait four-
nir, ce qui fatalement assujettit l’un à l’autre.
Indéniablement, pour envisager l’excellence •
intellectuelle de son enfant, il faut avoir une
certaine confiance en sa propre valeur cultu-
relle, et, qui plus est, savoir transmettre cette valeur
culturelle à l’enfant afin qu’il puisse faire preuve
d’assez de confiance en lui-même pour passer le test.
Cette confiance existe par la conscience de posséder
les codes transmis à l’intérieur de la famille, au tra-
vers d’un monde social, par l’habitus. Les codes de
langage notamment sont essentiels. C’est le fait des
familles bourgeoises. Mais plus important encore, la
distance que permet cette maîtrise des codes intégrés
est la notion indispensable pour capitaliser le dia-
gnostic obtenu, et la négociation avec les institutions,
en l’occurrence, avec le système scolaire.
La famille de type bourgeois n’accorde pas •
la même valeur aux discours des acteurs ; elle
est obligée d’en tenir compte pour ajuster son fonc-
tionnement, mais, contrairement au deuxième type
de famille, moins élevé socialement mais néan-
moins détenteur d’un capital culturel important,
l’adhésion aux discours est inhérente à l’usage
social de la précocité. Mais aussi cette distance
sépare du groupe auquel l’enfant était d’abord asso-
cié – ici la difficulté d’apprentissage ou l’échec sco-
laire. Enfin, elle permet de prendre de la hauteur,
notion clé de la définition du bourgeois.
Ainsi dans certaines familles, le processus de •
“pathologisation” s’avère être “mesuré”– car la
classe bourgeoise l’utilise en tant qu’outil pour arriver
à ses fins : conserver une place dominante dans la
société. Une fois engagé dans l’explication par la
pathologisation du comportement scolaire, et une fois
certifié précoce, l’enfant est séparé de ceux qui s’ins-
crivent dans l’échec scolaire. La stigmatisation de la
précocité s’avère salvatrice – une stigmatisation posi-
tive. Là intervient une construction, voire une recons-
truction de l’identité de l’individu, qui permet à tout le
groupe familial de s’identifier à la précocité.
Notons aussi que ce type d’usages sociaux •
s’inscrit dans une période donnée de l’enfance
vers l’adolescence. En effet, l’enfant doit en quel-
que sorte prouver son autonomisation en adoptant
un comportement conforme aux normes et règles
en vigueur dans la société dans laquelle il évolue,
au moment de sa construction en tant qu’adulte que
l’on appelle adolescence. Ici, l’intelligence supé-
rieure a une utilité de rite de passage du monde de
l’enfance vers l’adulte socialement rentable.
L’enfant, et du même coup, la cellule familiale, se
définissent différemment par rapport aux autres. De
plus, la précocité permet une solidarité forte entre
les membres de la famille. Cette redéfinition de
l’identité n’est possible que par le concept de “visi-
bilité” formulé par Erving Goffman [2], qui permet
à l’individu d’exister en tant que supérieurement
intelligent, par le fait que les “normaux” le recon-
naissent comme tel, et que ces derniers conservent
l’idée de différence, sous forme de préjugés.
L’intelligence, un fait social
La précocité a donc de nombreux usages sociaux.
Ces raisons sont en lien avec les impératifs exigés
par l’individualisation en cours dans nos sociétés,
la quête de soi-même, l’obligation de se réaliser.
Pour cela, l’enfant doit trouver sa place au sein de la
famille comme au sein de l’institution scolaire.
L’intelligence est indéniablement un fait social.
L’intelligence supérieure est un instrument social à
la disposition de certaines familles seulement –
celles qui possèdent la culture de la distance ; et qui,
dans une société individualiste, fonctionnent pour
le groupe et par le groupe, comme une tribu.Pour
réussir à autonomiser un individu sommé de l’être
pour son bien-être, il faut agir en clan et ainsi gom-
mer toute individualité. n
Déclaration d’intérêt :
L’auteur n’a pas déclaré
de conflit d’intérêts en lien
avec cet article.
Auteur
Gwen Gérard
sociologue,
université Paris-Descartes-
La Sorbonne, Paris (75)
Références
[1] Baudelot C, Establet R.
L’élitisme républicain. Paris:
éditions du Seuil; 2009.
[2] Goffman E. Stigmate.
Paris: Les Éditions de Minuit;
1975.
dossier
n La revue de santé scolaire & universitaire n n° 18 n Novembre-Décembre 2012 n
18
Les enfants intellectuellement précoces