Mots-clés
•  Autonomie
•  Individualisation
•  Marginalisation
•  Pathologisation
•  Société
La précocité : un fait social
n L’intelligence supérieure marginalisée au sein du système scolaire, voire même “pathologisée”, semble
suspecte dans un système qui privilégie la réussite par l’obtention de diplômes ; c’est pourquoi il semble
intéressant d’essayer d’en comprendre les enjeux sociaux. n
Nous nous intéressons ici à la précocité chez
l’enfant, et, de ce fait, à la façon dont les
parents comprennent et “utilisent” le
concept. Certains de ces usages sociaux sont visi-
bles, tandis que d’autres se dissimulent derrière des
comportements, des discours, des habitus.
Un engagement particulier
À nouveau au risque de choquer, la précocité s’ac-
quiert d’une certaine façon. En effet, une fois dia-
gnostiquée, la précoci doit être validée par l’outil
psychométrique et ainsi commence “sa” véritable
carrière. Cette dernière nécessite un engagement
particulier de la part des individus concernés, dont
les raisons sont multiples. La plus “visible” est celle
du contournement de l’échec scolaire de l’enfant, et
plus particulièrement celui du fils. En effet, la préco-
ci ou haut potentiel intellectuel (HPI) se manifeste
et prend forme au sein du système scolaire car c’est
là qu’il pose un problème. Mais le HPI présente
d’autres usages sociaux plus dissimulés.
Un échec culpabilisant
pour les familles
Indéniablement, la notion de haut potentiel • 
intellectuel a des usages sociaux multiples, qui
s’inscrivent dans un contexte d’individualisation pla-
çant l’enfant au centre des ambitions. En sommant
l’individu d’être autonome, la société responsabilise
d’autant plus la cellule familiale en la chargeant de
cette che licate. Léchec scolaire est subi comme
un échec individuel culpabilisant la cellule familiale
par largument de la souffrance psychique, le mal-être.
Ainsi, la marge de négociation avec les institutions
s’en trouve duite. Des stragies se mettent en place
afin de préserver un capital pour certains ou bien dans
l’optique de s’élever socialement pour d’autres.
En effet, deux types de familles se sont • 
approprié l’utilité sociale de la précocité, et se
distinguent nettement au travers de l’engagement
dans le processus et dans l’utilisation même du
diagnostic émis. Les deux types de familles sont
socialement situés dans les hauteurs de la hiérarchie
sociale. D’une part, le modèle bourgeois, une véri-
table classe en soi, fabrique des héritiers pour se
maintenir en position dominante, et d’autre part le
modèle appartenant aux catégories moyennes, à
tendance supérieures, qui “mise” sur le diagnostic
médical et s’en remet totalement à l’explication
naturalisante du don afin de gitimer son ascension
dans la hiérarchie sociale.
En plaçant l’enfant au centre des attentes, ce • 
dernier se trouve instrumentalisé. La famille
l’utilise pour arriver à ses propres fins, que ce soit
pour le prestige ou en augmentant ses chances de
reconnaissance sociale. Le psychologue, lui, l’utilise
pour renforcer sa position incontournable et régner
ainsi en maître sur la médicalisation du social. Notons
aussi qu’économiquement parlant, le psychologue
“nourrit” quelques professionnels. La précocité est
une “affaire rentable”, au même titre que les patholo-
gies en lien avec l’école comme la dyslexie, la phobie
scolaire, etc. Cela permet d’énoncer que la précocité
est aussi un fait économique. Enfin, l’école utilise la
précocité intellectuelle pour se décharger sur la
famille, forçant cette dernière à s’investir.
Une implication forcée des familles
La démarche d’implication de la famille pourrait être
comprise comme une volonté de fonctionner main
dans la main, entre les deux socialisateurs princi-
paux. Or, l’école ne s’adresse pas à n’importe quelle
famille, ou plus précisément, elle s’adresse à toutes
les familles en apparence. Mais, seulement certaines
d’entre elles socialement sites s’engagent dans le
processus de médicalisation de l’intelligence, qui sert
de “ré-intégrateur scolaire. En impliquant la famille
dans le parcours scolaire de l’enfant, l’école donne
G. Gérard
dossier
n La revue de santé scolaire & universitaire n n° 18 n Novembre-Décembre 2012 n17
Les enfants intellectuellement précoces
une chance de “s’en sortir” à l’enfant en difficulté.
Seulement cette chance ne peut être saisie par tous.
Le trouble alors assigné implique une prise en charge
de la souffrance psychique, ainsi débute la carrière
de pathologisation de l’enfant, qui, selon le milieu
culturel et économique, pourra aboutir ou non.
Les familles face aux discours
des acteurs
De cette façon l’école continue d’exercer une • 
sélection, une élimination précoce des sujets non
conformes et ainsi une reproduction des inégalités
sociales, donnant l’avantage aux classes dominan-
tes [1]. Lécole a besoin de cette “fabrication d’élites”,
de sujets performants, que la bourgeoisie sait four-
nir, ce qui fatalement assujettit l’un à l’autre.
Indéniablement, pour envisager l’excellence • 
intellectuelle de son enfant, il faut avoir une
certaine confiance en sa propre valeur cultu-
relle, et, qui plus est, savoir transmettre cette valeur
culturelle à l’enfant afin qu’il puisse faire preuve
dassez de conance en lui-même pour passer le test.
Cette confiance existe par la conscience de posséder
les codes transmis à l’intérieur de la famille, au tra-
vers d’un monde social, par l’habitus. Les codes de
langage notamment sont essentiels. C’est le fait des
familles bourgeoises. Mais plus important encore, la
distance que permet cette maîtrise des codes ingrés
est la notion indispensable pour capitaliser le dia-
gnostic obtenu, et la gociation avec les institutions,
en l’occurrence, avec le système scolaire.
La famille de type bourgeois n’accorde pas • 
la même valeur aux discours des acteurs ; elle
est obligée d’en tenir compte pour ajuster son fonc-
tionnement, mais, contrairement au deuxième type
de famille, moins élevé socialement mais néan-
moins détenteur d’un capital culturel important,
l’adhésion aux discours est inhérente à l’usage
social de la précocité. Mais aussi cette distance
sépare du groupe auquel l’enfant était d’abord asso-
cié ici la difficulté d’apprentissage ou l’échec sco-
laire. Enfin, elle permet de prendre de la hauteur,
notion clé de la définition du bourgeois.
Ainsi dans certaines familles, le processus de • 
“pathologisations’avère être “mesuré”car la
classe bourgeoise lutilise en tant quoutil pour arriver
à ses fins : conserver une place dominante dans la
société. Une fois engagé dans l’explication par la
pathologisation du comportement scolaire, et une fois
certifié précoce, l’enfant est séparé de ceux qui s’ins-
crivent dans l’échec scolaire. La stigmatisation de la
précocité s’avère salvatrice une stigmatisation posi-
tive. intervient une construction, voire une recons-
truction de l’identité de l’individu, qui permet à tout le
groupe familial de s’identifier à la précocité.
Notons aussi que ce type d’usages sociaux • 
s’inscrit dans une riode done de l’enfance
vers l’adolescence. En effet, l’enfant doit en quel-
que sorte prouver son autonomisation en adoptant
un comportement conforme aux normes et gles
en vigueur dans la société dans laquelle il évolue,
au moment de sa construction en tant qu’adulte que
l’on appelle adolescence. Ici, l’intelligence supé-
rieure a une utilité de rite de passage du monde de
l’enfance vers l’adulte socialement rentable.
L’enfant, et du même coup, la cellule familiale, se
finissent différemment par rapport aux autres. De
plus, la précocité permet une solidariforte entre
les membres de la famille. Cette redéfinition de
l’identité n’est possible que par le concept de “visi-
bilité” formulé par Erving Goffman [2], qui permet
à l’individu d’exister en tant que supérieurement
intelligent, par le fait que les “normaux” le recon-
naissent comme tel, et que ces derniers conservent
l’idée de différence, sous forme de préjugés.
L’intelligence, un fait social
La précocité a donc de nombreux usages sociaux.
Ces raisons sont en lien avec les impératifs exigés
par l’individualisation en cours dans nos sociétés,
la quête de soi-même, l’obligation de se réaliser.
Pour cela, l’enfant doit trouver sa place au sein de la
famille comme au sein de l’institution scolaire.
L’intelligence est indéniablement un fait social.
L’intelligence supérieure est un instrument social à
la disposition de certaines familles seulement –
celles qui possèdent la culture de la distance ; et qui,
dans une société individualiste, fonctionnent pour
le groupe et par le groupe, comme une tribu.Pour
ussir à autonomiser un individu sommé de l’être
pour son bien-être, il faut agir en clan et ainsi gom-
mer toute individualité. n
Déclaration d’intérêt :
L’auteur n’a pas déclaré
de conflit d’intérêts en lien
avec cet article.
Auteur
Gwen Gérard
sociologue,
université Paris-Descartes-
La Sorbonne, Paris (75)
Références
[1] Baudelot C, Establet R.
L’élitisme républicain. Paris:
éditions du Seuil; 2009.
[2] Goffman E. Stigmate.
Paris: Les Éditions de Minuit;
1975.
dossier
n La revue de santé scolaire & universitaire n n° 18 n Novembre-Décembre 2012 n
18
Les enfants intellectuellement précoces
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !