Un dialogue sur la stratégie européenne pour les services

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SPEECH/06/357
Vladimír Špidla
Membre de la Commission européenne responsable de l’emploi,
des affaires sociales et de l’égalité des chances
Un
dialogue
sur
la
stratégie
européenne pour les services
Conférence « Un dialogue sur la stratégie européenne pour les
service », Bruxelles
Bruxelles, 8 juin 2006
Mesdames et messieurs,
Tout d'abord, je souhaite remercier M. Philippe Herzog, qui a pris l'initiative
d'organiser maintenant cette conférence sur la stratégie européenne pour les
services.
En effet, au lendemain de l'anniversaire du "non" aux référendums français et
néerlandais, un débat public sur ces questions est plus qu'opportun.
En outre, il y a quelques jours, le Conseil est parvenu à un accord politique unanime
sur la directive relative aux services, sur la base d'un compromis de la Présidence
qui respecte tant l'avis du Parlement européen en première lecture que la
proposition modifiée de la Commission.
Enfin, je vous remercie de m'avoir convié à prononcer le discours d'ouverture, ce qui
me permet de mettre l'accent sur l'Europe sociale.
L'Europe sociale existe et les citoyens européens doivent être informés de ce que
l'Union européenne fait pour eux. Mieux encore, ils doivent être en mesure
d'exprimer ce qu'ils en attendent.
Je vais donc vous livrer des éléments de réflexion sur la base de trois grandes
questions qui nous sont posées dans le cadre du présent colloque, sans, toutefois,
en suivre l'ordre.
Tout d'abord, je voudrais dire quelques mots sur l'opposition entre économique et
social dans l'histoire de la construction européenne. Ensuite, je voudrais revenir sur
la place des services dans l'économie et l'emploi dans les Etats membres, dans le
cadre de la stratégie de Lisbonne, puis sur la dimension sociale de la question de la
libre circulation des services. Enfin, je voudrais parler de la spécificité des services
sociaux d'intérêt général et de leur rôle en matière de cohésion sociale.
1. Le social et l'économique
Je commence donc par l'opposition entre le social et l'économique.
Je dois dire qu'en lisant le programme de cette conférence, j'ai été frappé de
retrouver certaines des préoccupations exprimées au moment de l'avènement, en
mille neuf cent nonante-deux (1992) du marché intérieur, c'est-à-dire les distorsions
possibles de concurrence et les risques de "dumping social" associé aux différents
niveaux de compétitivité au sein de l'Union européenne. En fait, ces craintes se sont
révélées infondées. Cela nous encourage donc à faire preuve d'un optimisme, mais
d'un optimisme raisonnable car, en l'espace de quinze ans, le problème est devenu
plus aigu en raison de la concurrence internationale et des élargissements
successifs de l'Union européenne.
Dès son origine, l'Union européenne a dû choisir entre plusieurs modèles, de type
intergouvernemental ou intégrationniste, jouant, tour à tour, sur un modèle libre
échangiste et sur l'idée d'une fédération d'Etats. A chaque fois, c'est le compromis
entre ces deux modèles et le panachage plutôt qu'un choix tranché entre deux
options qui a prévalu.
Or, je demeure convaincu que la séparation entre économique et social est
largement artificielle et qu'il est possible et souhaitable de continuer à aspirer à un
développement économique qui préserve la cohésion sociale. Et c’est précisément
cette même cohésion sociale qui garantira à nos économies et à nos sociétés un
développement durable.
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C'est là tout le sens de la stratégie de Lisbonne, dont on oublie trop souvent de citer
la formule dans son intégralité car s'il s'agit bien de faire de l'Union européenne
"l'économie la plus dynamique et la plus compétitive d'ici deux mille dix (2010)",
cette économie doit être "capable d'une croissance économique durable" qui
s'accompagne "d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une
plus grande cohésion sociale".
Ce modèle que j’appelle social-démocratie est, d'ailleurs, le modèle qui prévaut en
Europe depuis l'après-guerre dans la plupart des Etats membres de l'Union
européenne. La social-démocratie, à mon avis, c'est la troisième voie au sens
historique du terme, c'est-à-dire un système intermédiaire entre l'Etat libéral, celui
du laisser-faire économique, et l'Etat socialiste, tel qu’il fut pratiqué dans les pays de
l’ancien bloc soviétique.
Un tel système suppose un Etat social développé, un cadre de réglementation de
l'activité économique et une grande efficacité de la dépense publique. Si le coût de
ce système est assez lourd pour le budget des autorités publiques, il faut rappeler
que le coût de la marginalisation sociale d'un nombre croissant d'individus, peut
également s'avérer très élevé pour la société, notamment en termes de sécurité,
comme c'est le cas dans d’autres modèles.
2. Le rôle des services dans l'économie et le social
Les services jouent effectivement un rôle crucial dans le cadre du marché intérieur.
En effet, ils représentent quelque soixante à septante pour cent (60 à 70%) de
l'activité économique de l'Union européenne et un pourcentage similaire en termes
d'emploi dans les vingt-cinq Etats membres. Ces chiffres soulignent l'importance
économique et sociale des services dans l'Union européenne. En effet, l'objectif de
la stratégie de Lisbonne est d'atteindre un niveau d'emploi de septante pour cent
(70%) d'ici deux mille dix (2010), afin de préserver notre système de protection
sociale. Or, la demande croissante de main d'œuvre dans le secteur des services
compense à peine la baisse de demande de main d'œuvre dans les secteurs
primaire et secondaire (agriculture et industrie), du fait de l'accroissement de la
productivité au sein de l'Union européenne et de la concurrence d'Etats tiers.
Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut lever les barrières
administratives, à l'instar de ce qui a été fait en matière de libre circulation des
marchandises après l'achèvement du marché intérieur. Déjà, en mil neuf cent
nonante-deux (1992), le rapport Cecchini concluait que le potentiel considérable de
croissance du secteur des services était "freiné artificiellement par des
réglementations et des pratiques qui empêch(ai)ent de manière significative la libre
circulation des services et ainsi le jeu de la concurrence entre les entreprises de
services."
En revanche, le contexte linguistique et culturel suppose nécessairement une
adaptation du prestataire de services à l'environnement économique et culturel dans
lequel il souhaite s'implanter.
Ce que le rapport de la Commission de juillet deux mil deux (2002) sur l'état du
marché intérieur des services souligne c'est la disparité des régimes nationaux en
matière de rémunération, de fiscalité et de protection sociale ou la complexité des
réglementations en matière de sécurité sociale. Or, je constate que ce sont toutes
des matières où il existe une compétence communautaire. Cela signifie que plutôt
que de plaider en faveur d'une déréglementation, ce constat suppose une plus
grande harmonisation fiscale et sociale. En d'autres termes, il convient d'élever le
niveau de protection, par exemple, en matière de sécurité et santé sur le lieu de
travail et en réglementant le temps de travail.
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En ce qui concerne les disparités en termes de coût du travail qui semblent être au
cœur de nos discussions, les économies des nouveaux Etats membres auraient
beaucoup à gagner, en termes de revenus, si leurs entreprises prestataires de
services et leur personnel pouvaient bénéficier d'un niveau de rémunération plus
élevé que dans leur pays d'origine. En effet, d'une part, ce revenu pourrait être
réinvesti dans le pays d'origine par le biais notamment de la consommation. D'autre
part, pour être réellement compétitives, les entreprises doivent avoir un taux de
productivité équivalent aux entreprises nationales ou déjà implantées.
En définitive, la vraie concurrence ne peut être que celle qui permet de produire le
bien ou le service de la meilleure qualité possible au coût le plus efficace pour le
producteur et pour le bénéficiaire.
3. Spécificité des services sociaux d'intérêt général et de leur rôle en
matière de cohésion sociale
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur la spécificité des services sociaux
d'intérêt général et sur leur rôle en matière de cohésion sociale et vous présenter
le projet de communication de la Commission en la matière.
Tout d'abord, il me semble important de revenir aux raisons historiques de la mise
en place de la gestion publique de certains services, avec des variantes d'un
pays à l'autre. Il s'agit d'activités considérées comme essentielles pour l'économie
du pays, pour lesquelles il n'y a pas de rentabilité immédiate, avec des
investissements économiques et humains élevés.
Or, les services sociaux d'intérêt général traversent une période de transformation
en Europe, en raison d'une demande accrue et d'une limitation concomitante des
ressources de l'Etat.
En premier lieu, le chômage - tel qu'il résulte des grandes restructurations
économiques rendues nécessaires par la concurrence internationale, notamment
dans les secteurs primaire et secondaire – entraîne une situation paradoxale où un
pourcentage croissant de la population dépend des services sociaux d'intérêt
général qui sont financés par un pourcentage décroissant de la population.
En second lieu, le vieillissement de la population, qui pèse sur le système de
retraites et les services de santé, à un moment où le coût de la médecine moderne
augmente au même rythme que ses progrès, nécessite la recherche de nouvelles
sources de financement et d'organisation.
Des réformes sont nécessaires mais il est impératif de ne pas jeter le bébé avec
l'eau du bain, c'est-à-dire de remplacer certains monopoles de type étatique par des
monopoles de type capitaliste dont l'efficacité et le rendement ne sont pas
nécessairement plus élevés.
En cela, je trouve la notion d'économie européenne, proposée par les organisateurs
de ce colloque, tout à fait intéressante. Il faut définir les critères de l'intérêt commun
à l'échelle européenne, développer la notion de responsabilité sociale des
entreprises et développer la coresponsabilité de l'Union européenne et des Etats
membres et réfléchir ensemble aux meilleurs moyens de préserver et d'adapter nos
systèmes de protection sociale.
Ce qui fait la spécificité des services sociaux d'intérêt général, c'est leur contribution
aux valeurs et objectifs de l'Union et notamment le respect de droits sociaux
fondamentaux comme la dignité et l'intégrité de la personne.
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C'est d'ailleurs cette spécificité qui a conduit la Commission à envisager l'adoption
d'une communication sur les services sociaux d'intérêt généraux.
Cette communication fait suite à l'engagement pris dans le Livre blanc sur les
services d'intérêt général de mai deux mille quatre (2004) qui annonçait (je cite)
"une approche systématique afin d'identifier et de reconnaître les particularités des
services sociaux et de santé d'intérêt général et de clarifier le cadre dans lequel ils
fonctionnent et peuvent être modernisés", annonce réitérée dans l'Agenda social.
L'adoption de cette Communication initialement prévue pour le courant 2005 a été
reportée pour prendre en compte les discussions sur la proposition de Directive
relative aux services dans le marché intérieur. Suite à l'exclusion de son champ
d'application des services de santé, d'abord par le Parlement puis par le Conseil, la
Commission a décidé que les services de santé feraient l'objet d'une initiative
spécifique.
La Communication de la Commission sur les services sociaux d'intérêt généraux se
situe dans le contexte de la coresponsabilité de la Communauté et des États
membres à l'égard des services d'intérêt économique général, établie par l'article 16
du traité CE. Elle est le fruit d'une étroite coopération avec les États membres et les
organisations de la société civile, qui a permis à la Commission de faire un premier
recensement des enjeux et des questions qui se posent.
La communication rappelle également l'importance du respect du principe de
subsidiarité dans ce domaine en indiquant, tout d'abord, que les Etats membres
sont libres de définir ce qu'ils entendent par services d'intérêt économique général,
et en particulier par services sociaux d'intérêt général. Ensuite, au sein des États
membres ce sont les pouvoirs publics, à l'échelon approprié, qui définissent les
obligations et les missions des services sociaux d'intérêt général, ainsi que leurs
principes et modalités d'organisation.
Toute initiative qui suivra cette communication sera basée sur une consultation
approfondie avec les États membres.
4. Conclusion
En conclusion, je demeure convaincu qu'il existe un modèle politique européen
qui est la démocratie sociale fondée sur des valeurs communes mais avec les
variantes que l'on connaît d'un Etat membre à un autre. De la même façon, il existe
un modèle social européen fondé sur des valeurs communes de protection sociale
des personnes les plus vulnérables, de normes de sécurité et de santé sur le lieu de
travail ou de dialogue social, ou de l'égalité entre les hommes et les femmes ou la
non discrimination, avec les variantes que l'on connaît d'un Etat membre à un autre.
De la même façon, je crois qu'il existe un modèle économique européen qui n'est
pas celui du "laissez faire, laissez passer" mais un système d'économie de marché
tempéré par l'intervention des pouvoirs publics, avec les variantes que l'on connaît
d'un Etat membre à un autre.
L'Union européenne doit nous permettre de vivre mieux ensemble, de préserver le
système de valeurs qui est le nôtre et de le défendre sur la scène internationale.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre attention.
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