
58  le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 18 - automne 2006
cation non verbale. L’interprétation de cette co-évolution 
signicative  entre  la  normalisation  de  la  réactivité  aux 
brûlures et l’amélioration de la capacité à jouer, doit tenir 
compte que la capacité à jouer selon les échelles ADOS 
correspond aux jeux de « faire semblant » et donc à l’ac-
cès à la symbolisation  et à la  socialisation. Or, on  peut 
penser que l’amélioration des capacités de symbolisation 
permet  à  l’enfant  autiste  de  se  représenter  la  sensation 
douloureuse et donc de mieux y réagir. De même, l’amé-
lioration de la socialisation intervient dans les capacités 
d’apprentissage  de  l’enfant  autiste,  apprentissage  qui 
permet l’acquisition de comportements de réactivité à la 
douleur socialement adaptés. Ainsi, l’expression verbale 
et émotionnelle de la douleur diffère selon les contextes 
culturels et les pays et, loin d’être innée, relève d’un ap-
prentissage social et culturel (dans les pays anglo-saxons, 
par exemple, le cri de douleur s’exprimera par « aouch » 
et non « aïe »).
La  co-évolution  entre  la  normalisation  de  la  réactivité 
aux brûlures et l’amélioration de la communication non-
verbale semble indiquer que la réactivité comportemen-
tale aux brûlures est prise dans une dimension de com-
munication. Cette co-évolution peut s’expliquer, si l’on 
considère, d’une part que la communication non-verbale 
recouvre l’expression des sensations et émotions au ni-
veau corporel et que, 
d’autre  part,  la  dou-
leur  intègre  des  fac-
teurs sensoriels, émo-
tionnels  et  cognitifs. 
De plus, il nous reste 
à  mettre  en  rapport 
cette  normalisation 
de  la  réactivité  aux 
brûlures  avec  le  re-
pérage  des  étapes  de 
restauration  du  moi 
corporel  exposées 
dans la grille clinique utilisée dans la recherche (Haag et 
al., 1995 ; Haag et al., 2005).
Enn, dans le cadre de cette même étude, nous avons re-
marqué chez les patients autistes, lors de la situation de la 
prise de sang, une dissociation paradoxale entre l’absen-
ce de réponses comportementales extériorisées de réac-
tivité  à  la  douleur  (absence  d’expression  émotionnelle, 
absence de réexe de retrait de l’avant-bras à la piqûre) 
et l’existence de réponses neuro-végétatives importantes 
(tachycardie réactionnelle à la piqûre, ainsi que taux de 
noradrénaline  plasmatique  signicativement  plus  élevé 
chez  les  enfants autistes comparés  aux  sujets  contrôles 
normaux qui leur étaient appariés sur l’âge, le sexe et le 
stade  de puberté  de Tanner). Ces  réponses  neuro-végé-
tatives au stress anormalement augmentées chez les en-
fants  autistes  corroborent  les  résultats  que  nous  avions 
précédemment obtenus concernant les réponses au stress 
de  l’axe  hypothalamo-hypophysaire  dans  l’autisme  in-
fantile (Tordjman et al., 1997).
L’ensemble de nos résultats met en évidence l’existence 
de réponses biologiques au stress anormalement élevées 
dans  l’autisme  infantile,  aussi  bien  au  niveau  de  l’axe 
hypothalamo-hypophysaire (ACTH et BE) que de l’axe 
du système nerveux sympathique (Noradrénaline) et sug-
gère  que ce  mécanisme  apparaîtrait  en réaction  à  l’im-
possibilité que la tension de stress puisse se décharger par 
des comportements extériorisés. On peut se demander si 
la  dissociation  paradoxale,  retrouvée  dans  cette  étude, 
entre les  réponses comportementales externes  et les ré-
ponses végétatives internes, ne rejoindrait pas les notions 
freudiennes  sur  le  destin  des  excitations  pulsionnelles 
(excitations endosomatiques), qui sont, soit par « action 
spécique » dirigées à l’extérieur du corps vers un objet 
constitué ou en voie de l’être, soit déviées vers les réac-
tions végétatives, appelées modications internes (Freud, 
1895).
En  conclusion les  résultats suggèrent  que l’observation 
d’une  apparente  diminution  de  réactivité  à  la  douleur 
dans l’autisme infantile ne relèverait pas d’un mécanisme 
d’analgésie  endogène,  mais  plutôt  d’un  mode  différent 
d’expression de la douleur, en rapport avec les troubles de 
la symbolisation, les troubles de la communication ver-
bale et non verbale et certains autres troubles cognitifs : 
troubles de l’apprentissage et de l’image du corps, pro-
blème de représentation des sensations et des émotions, 
difcultés à établir des relations de cause à effet. Il reste 
à mettre en rapport l’amélioration des comportements de 
réactivité à la douleur et la progression de la construction 
corporelle telle que mise en évidence par la grille de G. 
Haag et collaborateurs (2005). 
Enn cette étude permet d’illustrer, à partir de la disso-
ciation retrouvée dans l’autisme entre les réponses com-
portementales extériorisées de réactivité à la douleur (ab-
sence d’expression émotionnelle ou de réexe nociceptif) 
et  les  réponses  neurovégétatives  internes  (élévation  du 
rythme cardiaque et des catécholamines), que l’absence 
de réactivité comportementale à la douleur ne signie pas 
absence de perception de la douleur. 
Le mythe de l’insensibilité à la douleur dans l’autisme, 
ou tout du moins d’une diminution de sensibilité à la dou-
leur, est à rapprocher de la même théorie développée il 
y a plusieurs  années pour  les bébés  (Poznanski,  1976). 
La dénégation de la douleur du bébé reposait sur l’idée 
de  son  immaturité  neurologique  et  psychique  et  sur  la 
méconnaissance de la sémiologie particulière à cet âge, 
du fait de  l’absence de  langage verbal.  On  peut penser 
que, comme pour les bébés, les recherches sur l’autisme 
pourraient  bénécier  d’observations  cliniques  plus  ap-
profondies portant sur les signes directs de la douleur, les 
réactions émotionnelles et  les réactions  tonico-motrices 
qui  suivent  les  stimuli  douloureux.  Ces études permet-
traient de ne pas conclure hâtivement à une diminution 
de sensibilité à  la douleur, voire  même à une analgésie 
chez les enfants autistes en rapport avec une augmenta-
tion  d’activité  centrale  des  opioïdes  et  pourraient  nous 
aider  à  mieux  comprendre  les  mécanismes  impliqués 
dans l’existence d’un mode d’expression différent de la 
douleur chez ces enfants.
Autisme et développement sensoriel
…les résultats suggèrent que 
l’observation d’une apparente 
diminution de réactivité 
à la douleur dans l’autisme 
infantile ne relèverait pas 
d’un mécanisme d’analgésie 
endogène, mais plutôt 
d’un mode différent 
d’expression de la douleur…
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