29 JANVIER 2014 64 PRATIQUES
songe dès lors qu’il s’agit de taire au malade lui-
même la vérité sur lui et à le tromper sur son état
réel. Les médecins parlent d’ailleurs parfois du
secret pour désigner les informations tenues
cachées aux patients. Abiven (1996) déclare ainsi
que « la vérité est moins difficile à supporter que
l’angoisse dans laquelle le secret les maintient »,
récusant la pratique du mensonge « pour bien
faire » ou « par humanité », en tant que généra-
trice de souffrance. Le secret équivaut ici à la dis-
simulation, qui s’approche de l’idée de ne pas
révéler la vérité (voire de mentir). La dissimula-
tion a pour conséquence que le patient est sou-
vent peu armé pour faire un choix, compte tenu
de l’ambiguïté du diagnostic formulé par le méde-
cin, et de la difficulté pour lui de savoir quel est le
degré de gravité de son mal, d’évaluer la nécessité
d’un traitement et de fonder une décision de pré-
férence à une autre. Il n’est pas rare que le patient
à qui est dissimulé le diagnostic cherche à avoir
des éléments d’informations précis sur son mal
pour négocier la décision d’un traitement dont il
questionne l’urgence, mais dont le médecin croit
qu’il questionne la pertinence.
La problématique de l’information et du secret a
en partie à voir avec la notion de gravité, qui en
est l’enjeu principal. Dans le domaine de la can-
cérologie par exemple, le silence autrefois fait
sur l’existence d’un cancer s’est aujourd’hui
déplacé et s’effectue, à présent, sur l’existence
de métastases, en raison de la relative banalisa-
tion du premier (le cancer étant souvent consi-
déré aujourd’hui comme une maladie chro-
nique) et, parallèlement, de la connotation de
gravité des secondes. Le secret est plus souvent
gardé sur la présence de métastases car le diag-
nostic contient en lui une forme de pronostic.
Dire à un patient qu’il a des métastases, c’est l’in-
former à la fois sur son diagnostic et sur son deve-
nir possible, puisque le diagnostic peut être le
signe d’une évolution défavorable. On est là face
à ce que j’appelle la dimension pronostique du
diagnostic (cf. Fainzang, 2006). On assiste ainsi
aujourd’hui à un déplacement de la dissimula-
tion, du non-dit. Du silence fait sur la maladie,
on est passé au silence sur ses complications ou
son aggravation. Et ce qui est tenu secret a
changé de contenu.
Les justifications données par les médecins à ce
qu’ils disent et ce qu’ils ne disent pas, et donc à ce
qu’ils gardent secret ou non, permettent de
constater que l’information, le secret et la dissi-
mulation sont de véritables stratégies médicales,
mais que ces pratiques se fondent sur des logiques
différentes, selon qu’elles sont abordées sous l’an-
gle seulement thérapeutique ou sous l’angle
éthique. Dans certains cas, le contenu de l’infor-
mation a un but strictement utilitaire : inciter le
patient à se plier au traitement ; dans d’autres, il
vise à répondre à un principe éthique (le droit du
patient), les deux ne se recouvrant pas nécessaire-
ment. Mais la dissimulation peut répondre, elle
aussi, à ces deux motifs. De sorte que c’est au nom
des mêmes principes (celui de l’éthique et celui
de l’utilité) que les médecins peuvent défendre
deux pratiques contraires : garder secrète ou divul-
guer l’information sur l’état de santé du malade.
Comme on le voit, le secret, qui devrait normale-
ment maintenir la confidentialité des informa-
tions concernant le patient en les dissimulant aux
autres, est en fait parfois appliqué en direction du
patient lui-même.
Certes, le patient garde aussi parfois secrètes cer-
taines informations. Borkan & al. (1999) ont exa-
miné les différentes raisons pour lesquelles les
patients cherchent à garder des secrets face au
médecin. Ils évoquent le sentiment que l’informa-
tion n’est pas pertinente, le manque de confiance
dans le médecin, et le sentiment de culpabilité ou
de honte lié à ce qui est caché. Mais le secret a bien
d’autres raisons. Le secret est également parfois
gardé par le patient sur l’apparition de nouveaux
symptômes, potentiellement inquiétants, par
crainte que leur révélation fasse advenir un diag-
nostic d’aggravation de la part du médecin. Il n’est
pas rare que les patients tiennent à garder secrets
certains de leurs symptômes, en vue d’atténuer le
diagnostic que le médecin risque d’en inférer s’il
en est informé. Le patient peut aussi choisir de gar-
der le secret sur certains faits, par crainte de la rup-
ture de confidentialité de la part du médecin qui
en serait informé. Ou encore, il peut garder
secrètes certaines de ses conduites (non-obser-
vance, automédication, recours thérapeutiques
alternatifs, prise ou non de la contraception, etc.),
quitte à mentir au médecin qui l’interrogerait à ce
sujet.
Le secret et la famille
Par un effet de déviation du principe du secret
médical, les informations ne sont par contre pas
toujours tenues secrètes à l’entourage, en dépit
(ou en vertu) de la loi, qui comporte une part
d’ambiguïté. L’article L. 1110-4 du Code la santé
publique établit que « toute personne prise en charge
par un professionnel, un établissement, un réseau de
santé ou tout autre organisme participant à la préven-
tion et aux soins, a droit au respect de sa vie privée et du
secret des informations la concernant ». Ce secret cou-
vre l’ensemble des informations concernant la
personne et s’impose à tout professionnel de santé
ou intervenant dans le système de santé. La loi pré-
voit cependant qu’en cas de diagnostic ou de pro-
nostic grave, les proches puissent recevoir les
informations nécessaires destinées à leur permet-
tre d’apporter un soutien au malade, sauf si celui-
ci s’y oppose.
On ne peut manquer de remarquer le paradoxe
DOSSIER
UN SOCLE POUR LE SOIN
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