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l’entendent. On distingue, à la suite de Lelart (2005) les pratiques informelles individuelles (les
gardes-monnaie, les banquiers ambulants, les crédits informels) et les pratiques informelles
collectives (les tontines dites mutuelles, les tontines plus élaborées).
L’expression « tontine » est née en France à partir de l’initiative d’un banquier napolitain du nom
de Tonti. Celui-ci vendit au roi Louis XV l’idée d’emprunter de l’argent sans le rembourser, en
versant annuellement seulement la totalité de l’intérêt correspondant aux seuls souscrivants
survivants jusqu’à ce que le dernier décède. L’expression de tontine en vint à caractériser une
opération tout à fait différente pratiquée dans les pays en voie de développement, lorsqu’au début
du XIXe siècle, des juristes français décidèrent d’appeler ainsi un contrat pratiqué en Indonésie
(la houei) par lequel plusieurs personnes décident d’épargner ensemble et de se prêter cet argent
les uns aux autres. Les tontines se caractérisent principalement par l’importance des relations
personnelles qui lient les participants. Ces pratiques sont parfaitement adaptées au comportement
de populations qui cultivent la solidarité et pour lesquelles l’épargne se situe davantage dans une
relation de chacun avec les autres que dans une relation isolée de chacun dans le temps.
Beaucoup plus présentes en Afrique et en Asie, elles existent également présentes dans quelques
pays d'Amérique centrale et surtout d'Amérique latine. Elles présentent partout les mêmes
caractéristiques qui tiennent à ce que les relations personnelles entre les membres sont
particulièrement étroites. L’hypothèse est que ce sont les anciens esclaves et les immigrés qui ont
amené avec eux des pratiques qui ont subsisté. Plus précisément, ces pratiques ont été importées
par les Noirs ou par les Asiatiques sur les côtes du Pacifique (Indacochea, 1994) , comme elles
l’ont été par les Sri Lankais à Londres, par les Coréens à New York, par les Sénégalais à Paris.
Au Pérou, les tontines seraient liées à l’immigration japonaise au début du XXe siècle. Des
appellations différentes sont utilisées pour désigner ces pratiques financières informelles: au
Mexique, au Brésil (le consorcio), au Pérou et en Bolivie (le pasanaku), en Jamaïque, aux
Bahamas ou à Trinité Tobago (susu, esu), au Mexique (tanda), au Guatemala (cuchubal). On les
retrouve sous d’autres noms en République Dominicaine, à la Barbade, à Belize. Toutefois, le
mot consacré reste tontine. En Amérique latine, et en l’état actuel de nos connaissances, on
n’observe pour ainsi dire que les formes collectives des pratiques financières informelles : les
tontines dites mutuelles et les tontines plus élaborées. Nous décrivons dans ce qui suit ces formes
spécifiques d’informalité financière.
2) Les tontines dites mutuelles
Dans cette forme de tontine, l’épargne collectée n’est pas gérée par une personne autre que les
épargnants mais est remise sous l’appellation de « cagnotte » à chaque épargnant à tour de rôle.
Ce type de tontine est communément appelé AREC (Association rotative d’épargne et de crédit) ,
appellation due à F.J.A. Bouman en 1977. Les AREC existent un peu partout dans le monde,
surtout dans les PVD, mais aussi parmi les groupes d’immigrants des pays développés. Les
participants sont unis par des relations personnelles ; ils appartiennent au même milieu, au même
clan, habitent le même quartier et se réunissent chez l’un ou l’autre à tour de rôle, car connaître le
domicile de chacun renforce la cohésion du groupe.
Les membres de l’AREC s’engagent à mettre de l’argent de côté dans une cagnotte à des périodes
régulières. A chaque période, la somme collectée est allouée à l’un des participants. Le processus
est répété jusqu’à ce que chaque membre reçoive sa part ; alors l’AREC est démantelée ou
reprend un autre cycle. On distingue différents types d’AREC : celles qui allouent leur fonds de
façon déterministe, selon des critères comme l’âge, l’ancienneté, etc. (AREC déterministe) ;
celles qui allouent leur fonds de façon aléatoire, par tirage au sort le plus souvent (AREC