theorie des representations

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LA 10e CONFERENCE SUR LES REPRESENTATIONS SOCIALES
« REPRESENTATIONS, TRANSMISSION DES SAVOIRS ET TRANSFORMATIONS
SOCIALES »
05-08 Juillet 2010, Tunis
I/ Le travail fondateur de Moscovici (1961)
Depuis le travail fondateur de MOSCOVICI (1961, 2e édition, 1976), la théorie des représentations
sociales marque un tournant dans la compréhension de la pensée et des pratiques sociales. Tout en
révisant la notion de représentation collective de Durkheim (1898), Moscovici avance l’idée que
l’individu ne conçoit pas les objets sociaux sur la base d’une réalité objective, ni de façon individuelle,
mais sur la base d’une réalité collectivement et socialement construite.
A la notion durkheimienne d’une représentation monolithique, issue d’une conscience collective transgénérationnelle et caractéristique d’une société, Moscovici substitue l’idée d’une représentation
contextualisée, construite au travers des interactions interindividuelles. Elle permet au sujet social de
s’adapter à une réalité contemporaine et concourt elle-même à définir les groupes qui l’élaborent. Dans
la théorie des représentations sociales, la représentation est à la fois une structure et un processus. Elle
possède un contenu mais aussi une dynamique qui lui confère un caractère évolutif.
La théorie des représentations sociales stipule que le sujet et l’objet ne sont pas distincts, le premier
participant à la construction de ce dernier en fonction de ses insertions sociales. « Il n’y a pas de
coupure entre l’univers extérieur et intérieur de l’individu (ou du groupe) » (Moscovici, 1976, p. 9).
L’objet est donc construit non pas selon ses propriétés objectives mais en fonction des caractéristiques
des sujets sociaux qui se l’approprient au travers des communications qu’ils développent à son propos.
Les groupes sont quant à eux définis sur la base de leur communauté de représentations.
II/ Définitions de la notion
L’une des définitions les plus citées pour définir la représentation sociale est celle de Jodelet (1989,
p.36) selon qui, il s’agit d’« une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une
visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. Egalement
désignée comme “savoir de sens commun” ou encore “savoir naïf”, “naturel” (…) ».
Selon Abric (2002, p.82) « une représentation sociale est un ensemble organisé et structuré
d’informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes, elle constitue un système sociocognitif
particulier (…) ».
III/ Représentations et cognition sociale
La théorie des représentations sociales dépasse les modèles de la cognition sociale en substituant au
schéma « Objet-Sujet-Réponse », le schéma :
« Sujet social - Objet - Sujet - Réponse ».
Elle substitue également à l’idée selon laquelle l’utilité sociale détermine chez l’individu l’élaboration
de la connaissance sociale, celle de l’importance de ses insertions sociales dans cette élaboration*. La
représentation sociale contribue ainsi à la définition des contours identitaires et au maintien d’une
identité sociale positive.
La représentation sociale est conçue comme un processus à la fois cognitif et social. Elle est de nature
sociocognitive.
IV/ Comment les représentations sociales se construisent-elles ?
La représentation sociale est construite à partir de l’expérience quotidienne et des communications
(conversationnelles, médiatiques…). Mais elle détermine à son tour la conduite et les interactions
sociales. Ainsi, elle intervient dans un système circulaire où les pratiques et les représentations
s’influencent réciproquement (Abric, 1994c). Les représentations sociales se construisent à travers les
échanges suscités par les objets de la vie quotidienne, puis offrent à leur tour une grille de lecture de
ces objets à propos desquels elles ont été elles-mêmes élaborées.
Les sources d’informations à partir desquelles se construit la représentation sociale sont hétéroclites :
expériences, savoirs scientifiques et naïfs, croyances populaires et religieuses, connaissances héritées
de la tradition et celles produites par l’expérience de la modernité, contexte idéologique…Quant aux
processus sous-jacents à sa construction, ils sont de nature sociocognitive. Formalisés par Moscovici
(1961) en tant que processus d’objectivation et d’ancrage, ils se présentent comme suit :
1. L’objectivation correspond d’abord, à une opération de schématisation et de décontextualisation,
où l’information est sélectionnée, dissociée de son contexte social d’origine et remaniée en fonction de
critères culturels et normatifs, pour former un « noyau figuratif » de la représentation. Cette opération
transforme l’objet abstrait en un objet concret en conférant à ses éléments les propriétés d’une image
concrète et signifiante.
A cette opération de concrétisation, succède ensuite celle de la naturalisation qui donne au "noyau
figuratif "un statut de réalité aux yeux des individus.
2. L’ancrage correspond à un processus à travers lequel de nouvelles informations sont intégrées dans
des systèmes de pensée pré-existants (comme par exemple, les catégories et les classes connues
d’objets). L’ancrage correspond à un processus de familiarisation de « l’étrange » ou, en d'autres
termes, de l'inhabituel. Cette insertion de l’information nouvelle dans un cadre de référence habituel,
lui donne une signification particulière.
V/Les objets de représentation sociale
Les objets à propos desquels se construisent les représentations sociales sont caractérisés par le fait
qu’ils soient au centre d'une controverse, d'un débat, voire d'un conflit. En bref, il s’agit d’objets de
polémique sociale. Cette caractéristique est une condition au développement des communications à
leur propos, communications indispensables à une élaboration collective.
Moliner (1996) a répertorié un certain nombre de conditions d’apparition d’une représentation, parmi
lesquelles on trouve :
-
la présence thématique récurrente dans les communications
-
l’existence de pratiques communes se rapportant à l’objet
-
l’absence d’une instance régulatrice propre à un système de type « orthodoxe »
-
l’insertion dans une dynamique sociale impliquant plusieurs groupes
-
le polymorphisme de l’objet
-
l’existence d’une implication de nature identitaire par rapport à l’objet
Plus généralement, sont objets de représentations sociales ceux « chargés symboliquement et
matériellement » (Rouquette et Rateau, 1998). Parmi ces objets, on trouve (liste non exhaustive) : la
folie (Jodelet, 1989b), l’argent (Vergès, 1992), la chasse (Guimelli, 1989), le sida (Morin, 1994),
l’entreprise (Moliner, 1993), le genre (Poeschl, 2003), le groupe (Flament, 1982), la violence
(Campbell et al., 1996), les droits de l’homme (Doise et al., 1999), la sexualité (Apostolidis, 1994) ou
encore les campagnes publicitaires de Benetton (De Rosa, 2001).
VI/ Les fonctions des représentations sociales
De façon générale, les représentations sociales organisent l’expérience, régulent les conduites et
assignent une valeur aux objets (Rouquette et Rateau, 1998).
Telle qu’elle a été définie par Moscovici, la représentation sociale remplit d’une part une fonction
d’établissement d’un ordre dans l’environnement, permettant ainsi aux individus de le maîtriser et de
s’y orienter, d’autre part, une facilitation de la communication en offrant aux membres d’un groupe,
des catégories sociales, un code pour désigner et classer les objets de la réalité.
Abric (1994b) a quant à lui précisé les fonctions des représentations sociales comme suit :
1.
Une fonction de connaissance de la réalité à travers un pré-codage et une intégration de
l’information dans un cadre de référence commun et en cohérence avec les valeurs, normes et
pratiques du groupe.
2.
Une fonction identitaire permettant la définition et l’affirmation d’une appartenance ainsi que le
positionnement par rapport aux autres groupes du champ social.
3.
Une fonction de guide pour le comportement et pour les pratiques à travers la définition de la
finalité de la situation, la production d’anticipations et d’attentes et la définition de ce qui est
normatif ou contre-normatif au niveau de la conduite.
4.
Une fonction justificatrice des opinions et des actions à l’égard des objets mais aussi de la
différenciation sociale.
VII/ Les représentations sociales dans l’architecture de la pensée sociale
Les représentations sociales jouent un rôle englobant de la pensée sociale, elles constituent « une
catégorie fondamentale de la sociabilité » (Rouquette et Rateau, 1998, p.14).
Dans l’architecture de la pensée sociale (Rouquette, 1973), la représentation correspond à une
formation cognitive entre, d’un côté ,les attitudes et l’opinion qui sont à un niveau d’organisation et de
stabilité, inférieur et, de l'autre côté, l’idéologie qui se situe à un niveau supérieur (Flament et
Rouquette, 2003).
VIII/ Les orientations théoriques dans l’étude des représentations sociales
Plusieurs orientations théoriques se sont développées à partir du modèle initial de Moscovici. Parmi
elles, on peut citer :
1.
Une orientation à caractère ethnographique dont la représentante est Jodelet (1989b) qui s’est
intéressée aux origines de la représentation sociale de la folie dans un contexte communautaire
particulier et utilisé des méthodes qualitatives d’étude de la représentation.
2.
Une orientation utilisant un modèle sociologique, formulée par Doise et al. (1992) en tant
que théorie des principes organisateurs. Les représentations y sont définies comme étant des
principes organisateurs des prises de position, elles mêmes déterminées par les positions de pouvoir
liées aux insertions sociales des individus dans le champ social. Quant à l’analyse, elle se fait à l’aide
de méthodes factorielles. Ces méthodes permettent de mettre en lumière des différenciations
interindividuelles.
3.
Une orientation structurale, formulée en tant que théorie du noyau central, initiée par Abric
(1987), où la représentation est définie en tant qu'organisation structurée et hiérarchisée selon deux
systèmes : central et périphérique. Des méthodes spécifiques de recueil et d’analyse des
représentations (technique de « mise en cause », "analyse de similitude", etc.) ont été développées
dans le cadre de cette approche.
4. On peut également citer l’approche dialogique représentée par Markova (2007) selon laquelle la
dialogicité est une dimension fondamentale des représentations sociales. Selon cette approche, cellesci se créent au cours de l’élaboration du discours et toujours par rapport à un autrui différent
(individus, groupes, communautés...). Dans cette perspective, des méthodes comme le focus-group qui
instaurent des conditions dialogiques proches de celles qu’on observe naturellement, apparaissent
comme lieu idéal d’observation des représentations sociales en construction.
IX/ Les méthodes d’étude des représentations sociales
L’étude des représentations sociales nécessite dans la plupart des cas une approche multiméthodologique associant méthodes qualitatives et quantitatives : par exemple l’entretien de recherche,
l’entretien de groupe, le sondage…
Par ailleurs l’utilisation de l’approche expérimentale a permis l’énoncé et la vérification d’un certain
nombre de points théoriques concernant la nature, l’organisation et le fonctionnement des
représentations sociales.
De nombreuses techniques spécifiques ont également vu le jour pour explorer leur contenu et leur
structure: observation armée, cartes associatives, analyse des dictionnaires, questionnaires de
caractérisation, et de mise en cause, associations rang-fréquence, focus-groups, schèmes cognitifs de
base…
X/ Les applications
L’approche par les représentations sociales permet de mieux cerner mais aussi d’agir sur des enjeux
sociétaux d’aujourd’hui comme la prévention des maladies , la réduction des différentes formes de
violence (sociale ou routière par exemple), la préservation de l’environnement, la promotion de
l’équité de genre, la lutte contre les discriminations, la relation aux innovations technologiques, etc.
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*http://psychologie.u-strasbg.fr/documentation/ELouvet/representations_sociales.pdf
D. Ben Alaya
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