Quelques réflexions sur la crise des crédits structurés Michel Aglietta Univ Paris X et Cepii 1. Le processus qui a conduit à la crise est générique, le détail est spécifique La dynamique du crédit et du prix des actifs est auto-renforçante : Expansion du crédit hausse de la valeur des actifs Baisse Dette/Richesse baisse prob défaut Baisse spreads de crédit expansion suppl. du crédit Le processus est tjs rationalisé comme une innovation sui generis qui est radicalement ≠ des expériences antérieures pas d’apprentissage dans les dynamiques de crise Essor du crédit dû à la politique monétaire très expansive pour sortir de la crise précédente : endettement des ménages américains et d’un certain nombre d’autres pays et valorisation des actifs immobiliers : de 1997 à 2007. Selon les indicateurs de The Economist les hausses sur 10 ans ont été : UK :211%, Espagne : 189%, US (10 villes) : 171%, Australie : 149%, France : 139%, Suède : 138% Les conditions permissives : La politique monétaire expansive de la Fed prolongée longtemps à cause des risques déflationnistes en 2002 et 2003 entraînant un effondrement du taux d’épargne US et donc une augmentation rapide de la dette extérieure. L’expansion de la liquidité mondiale due aux afflux de capitaux provenant des pays émergents qui ont maintenu des taux d’intérêt à LT très bas Les techniques de financement de l’immobilier : les ménages américains ont une option de renégocier les prêts lorsque les taux baissent (40% des crédits refinancés en 2005). Le développement des non-conforming mortgages (titres non admis au refinancement par Fannie Mae et Freddie Mac. Ces titres (Alt-A et Subprime) ont un label privé octroyé par les agences de 1 notation. Leur montant en émission annuelle est passé de $586b en 2003 à 1200b en 2005. Les anomalies : • Dans l’année 2006 les prix immobiliers ralentissent leur hausse puis baissent et les défauts sur crédits non conformes augmentent. Or les crédits non conformes s’emballent et les subprime atteignent 70% des nouveaux crédits de cette catégorie • Les titres émis en contrepartie de gisements de subprime continuent à bénéficier de notations AAA au même titre que les prime mortgage. • Un processus analogue s’est produit dans le domaine des entreprises : emballeent du financement des LBO sous l’impulsion du private equity et endettement massif pour rachat d’actions : 11% de la VA en 2007. Un bdF des ENS à 12% Va contre 3% en moyenne historique très forte progression du ratio (dettes-Actifs liquides)/ cashflow net 2. Les apories de la titrisation • Philosophie générale : dissémination du risque Amélioration de la robustesse du système financier : des créances illiquides (crédit bancaire) deviennent liquides (obligations) ; les possibilités de diversification et couverture sont accrues. • Cela n’est vrai que si la qualité de l’évaluation dans le gisement initial reste constante. Or elle se dégrade parce que les banques qui initient des crédits pour les revendre et celles qui font la titrisation moyennant des commissions très élevées n’ont aucune incitation à investir dans l’évaluation du risque. Il y a destruction d’info si la banque qui initie les crédits devient l’agent d’un principal (l’investisseur en crédits titrisés) qui est très loin de l’emprunteur initial. • Lorsque la qualité des prêts titrisés n’est pas fondée sur les revenus futurs des emprunteurs mais sur l’anticipation de l’appréciation de valeur des collatéraux, un retournement des prix des actifs augmente la corrélation entre les actifs dans les gisements titrisés de manière fulgurante. Cette éventualité n’était manifestement pas prise en compte dans les notations des ABS et CDO émis en contrepartie de ces crédits. • Le financement des crédits titrisés par des ABCP mettait une couche suppl. d’opacité et transmettait la vulnérabilité des crédits initiaux jusqu’au marché monétaire. ½ de l’encours du papier commercial est de l’ABCP. L’incapacité d’évaluer les ABCP lorsqu’une fuite en 2 masse vers la qualité s’est produite et que l’incapacité des SIV et des conduits de les refinancer a été avérée a entraîné le paradoxe d’une crise de liquidité dans une économie mondiale en surliquidité. • Ces engagements liquides sont retournés dans les bilans des banques promotrices de ces structures par activation des lignes de crédit contingentes et fixation des papiers qui n’avaient pu être distribués. Les banques ont également $300b non vendus de junk bonds et de prêts à destination des LBO gelés. Tensions récurrentes sur le marché monétaire au fur et à mesure du renouvellement des ABCp et poursuite des opérations de PDR. 3. Répercussions économiques et financières • US : ralentissement prononcé à partir du 4° trimestre par excès d’endettement et conditions du crédit + défavorable et par contribution très<0 des stocks Côté entreprises le taux d’autof est tombé à 80% +érosion des taux de profit (carac d’une fin de cycle) fléchissement à attendre de l’invest en biens d’équip. Côté ménages baisse simultanée des prix et des volumes dans l’ancien et dans le neuf. Décélération très forte de l’emploi salarié et baisse de l’emploi total. La sous-utilisation de la main d’œuvre (8.4%) est bien > taux de chômage officiel (4.7%). La hausse des salaires ralentit fortement • L’interrogation est sur l’ampleur de la remontée du taux d’épargne et celle-ci est liée au risque dollar. Depuis le début de l’année la hausse est limitée à 0.7%. Pour le moment les ménages vendent des titres pour se désendetter et les entreprises les rachètent pour gonfler le rendement des actionnaires. Combien de temps ? Qui va s’endetter pour soutenir l’activité ? Zone euro : ralentissement sensible de l’activité en Allemagne et en Italie. La baisse des carnets de commande est domestique. L’euro mord sur l’export Forte contraction de l’invest à partir de T4. Fragilité en Espagne et en Irlande avec le retournement à venir du marché immobilier et le financement à taux variables. En France la bonne tenue de la conso en T3 ne devrait pas se maintenir.lorsque le marché immobilier va confirmer son retournement. 3 • Japon : la demande domestique est plate. La déflation se poursuit. Les profits et l’invest. baissent pour les PME. Le pôle de résistance se trouve dans les grandes entreprises branchées sur la zone asiatique. Mais il dépend de la sous-évaluation du yen et il est soumis au risque dollar. 4. Améliorer la régulation • Renforcer la politique prudentielle sur les banques Bâle II ne limite pas l’emballement du crédit dans les phases d’euphorie financière. La réglementation du ratio de capital est procyclique Bâle II est léger sur le hors bilan, ce qui a incité les banques à titriser systématiquement des crédits plus risqués. Conséquences : introduire des provisions dynamiques anticycliques pour amortir les cycles financiers Décourager le crédit spéculatif (subprime, private equity) qui aboutit aux prises de risque à la Ponzi par des réserves obligatoires ciblées Forcer les banques d’affaire à la transparence dans leurs véhicules hors bilan : révéler les profils de risque détaillés et être juridiquement responsables des pertes potentielles accumulées dans ces structures Imposer des provisions en capital sur le hors bilan suffisantes pour empêcher le contournement réglementaire ou les obliger à conserver une part suffisante au bilan de ces crédits ou des titres émis en contrepartie pour les inciter à évaluer le risque (par ex. la tranche equity). • Standardiser la titrisation dans les marchés organisés Une grande partie de la titrisation n’a aucun intérêt économique : c’est le résultat du contournement par les banques de la réglementation Bâle II ou de la législation fiscale. La crise dite des subprimes est devenue dévastatrice à cause de la confusion des investisseurs qui ne savaient plus distinguer les tranches de CDO (collateralized debt obligations) sises sur des gisements de crédits sûrs et celles qui l’étaient sur des mélanges de dettes dont le risque était inconnu. Séparer 2 types de titrisation : 4 Dans des marchés organisés sous la responsabilité de chambres de compensation et règlement pour les pools de dettes de haute qualité. La standardisation, la centralisation, le mark-to-market au quotidien et le provisionnement des positions empêchent le risque individuel de provoquer la contagion. La promotion de la titrisation de gré à gré par les banques d’affaire. Elle apparaîtrait + risquée pour les investisseurs. L’incitation règlementaire à la réintermédier au bilan devrait être donnée par les régulateurs. • Promouvoir des investisseurs institutionnels capables et désireux d’assumer leurs engagements Des investisseurs qui font jouer les forces de retour vers la moyenne parce que l’horizon de leur portefeuille d’actifs correspond à celui de leur passif (contrarians) : allocation stratégique flexible dans le temps et rebalancing Ces investisseurs doivent avoir le moyens de contrôler leurs gestionnaires délégués : reporting des hedge funds, monitoring des stratégies, maîtrise des commissions. • Recentrer le rôle des agences de notation L’ambiguïté est dans le rôle de certification des marchés qu’elles se sont attribuées avec l’aide des régulateurs, alors qu’elles ne font que fournir une évaluation du risque individuel de crédit à travers le cycle + conflits d’intérêt évidents dans le cadre de la titrisation : Superviser les agences : inspection et homogénéisation des méthodes. Réduire leur rôle dans Bâle II Les cantonner strictement à la notation et prohiber leur rôle de conseil dans la structuration des crédits Susciter la concurrence et assumer leur statut de fournisseur de service public d’info : paiement non pas par le demandeur de note, mais par une taxe sur les transactions financières. Informer les investisseurs sur le sens des notes et leur caractère partiel/ risque qu’ils ont à prendre en compte dans leurs allocations 5 • Elargir la politique monétaire Pb de la cohérence dans le double objectif des BCs : stabilité financière et ancrage nominal. Le dérapage du crédit dans la phase euphorique du cycle financier sans incidences sur l’ancrage nominal conventionnellement défini. La globalisation financière qui rend hasardeux le contrôle de la courbe des taux par des politiques séparées. 6