Processus de transition et réforme de l’Etat Claske Dijkema et Karine Gatelier Septembre 2005 2 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Sommaire PROPOSITIONS POUR UNE GRILLE D’ANALYSE 1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale Tableau : Le déclenchement du début du processus de transition Chronologie A - Analyse de l’origine de l’impulsion des processus de transition Facteurs externes Une convergence d’intérêts fortuite? Facteurs internes Combinaison des deux facteurs B - Accompagnement du processus de transition par la communauté internationale : l’intervention internationale et sa légitimité 2 – La représentation du pouvoir A – La relation au pouvoir B – La quête de légitimité La légitimité électorale Tableau : La légitimité électorale Les légitimités traditionnelles La légitimité idéologique La légitimité circonstancielle p5 p6 p12 p14 p17 p18 3 – Vers un Etat p22 A - L'émergence d'un pouvoir central p23 Ou la transformation du conflit et son cantonnement dans l’espace politique Diversité des acteurs en présence et leur représentation dans le gouvernement L’exemple afghan La difficile émergence de la démocratie B – Les processus instituants p29 La réconciliation Une nation. Les identités nationales Les identités supranationales L’intégration régionale 4 - La société civile p34 5 - L'économie p35 INDEX DES FICHES PAR PAYS p39 INDEX DES FICHES PAR ORDRE DE PRESENTATION p41 PRESENTATION DES FICHES p43 PROPOSITIONS D’ACTIONS p145 QUELQUES AUTRES INITIATIVES SUR LE SUJET p151 SOURCES p159 ANNEXES p163 3 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 4 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Propositions pour une grille d'analyse Entre le calme ou le chaos apparent dans les 10 pays choisis pour être ici étudiés, qu’en est-il des processus de transition ? L’Afghanistan, l’Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, le Cambodge, la Chine, l’Ethiopie, l’Ouzbékistan, la Pologne, la Russie et le Salvador nous aideront à rechercher derrière les apparences, les véritables enjeux pour dresser un bilan de l’avancée de la démocratie, des explications de ses réussites et de ses écueils. Nous avons choisi 5 problématiques pour cette étude : le déclenchement du processus de transition, la représentation du pouvoir, la construction d’un Etat, la structuration de la société civile et le développement économique. 1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale L’ouverture d’un processus de transition tient à un changement remarquable dans la vie politique de l’Etat. Dans le cas d’un conflit armé comme d’une confrontation entre un pouvoir dictatorial de type soviétique et une opposition, une modification des rapports de force conduit les belligérants ou les groupes antagonistes à négocier. Nous chercherons à connaître la nature de cette impulsion et son origine. Elle peut être donnée par des forces internes, et on cherchera à savoir si la population est une force motrice de ce changement, ou au contraire externes, et il s’agira de mesurer l’implication et les objectifs de la communauté internationale. L’analyse de l’origine du processus de transition sera associée à l’existence ou non d’une intervention internationale pour encadrer le processus de reconstruction et de développement. Pour la réussite de la transition, la convergence d'intérêt entre les acteurs internes et externes est indispensable. 5 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Le déclenchement du début du processus de transition Afghanistan Afrique du Sud Facteurs internes Rencontres et négociations du Groupe de Rome, à l’initiative de l’ancien roi, avec les acteurs de l’intérieur en vue de l’organisation d’une loya djirga. Facteurs externes Intervention militaire d’une coalition internationale, en représailles des attentats contre les Etats Unis. Nature du processus Rencontres du Groupe de Rome depuis juin1999. Octobre 2001: Offensive contre le régime en place des Talibans menée par une coalition Processus de Bonn, nomination d’un internationale. Objectif : les évincer représentant spécial du secrétaire général du pouvoir et de l’ONU, conférence instaurer un pouvoir démocratique et de Paix. pacifique. Conférence de Bonn en novembre 2001 donne un coup d’arrêt au processus de désintégration du pays. Situation économique Pression 1990 et sociale, internationale sur le Ouverture des négociations, progression de Gouvernement, l’éducation, ostracisme. Commission Vérité et urbanisation. Fin du soutien de Réconciliation. Evolution des l’URSS. mentalités. Changement des acteurs politiques. Deux personnalités : de Klerk et Mandela 6 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Bosnie-Herzégovine Système en déliquescence depuis la mort de Tito, incapacité à se réformer. Système communautariste qui entretient des relations de boucsémissaires ; disparités économiques et inégalités sociales traduites en problème ethno-national. Cambodge Chine Règlement des conflits très idéologisé, absence de formes institutionnalisées de règlement des conflits, autoritarisme. L’ancien roi, Sihanouk, se pose en promoteur des négociations. Les parties en conflits sont soucieuses de légitimité aux yeux de la population en vue des élections. Démocratisation et libéralisation dans les Etats voisins et indépendances (républiques exsoviétiques et exyougoslaves). Le soutien idéologique et financier (du Vietnam et de la Chine) reçu par les parties en conflit au cours des années 80 disparaît. Pression de la part de la communauté internationale pour une résolution pacifique. Réforme du système Rôle marginal mais par les autorités. réel des pressions Processus cyclique de internationales. périodes d’ouverture et de retours autoritaires. Tendance à l’enracinement des réformes. Intérêts politiques et rivalités internes. 1995 Ouverture du processus de paix, après une guerre de 3 ans. Fort encadrement international pour la reconstruction de l’Etat, la conversion de l’économie et la bonne gouvernance. 1991 Accord de paix de Paris conduit aux élections organisées par l’ONU en 1993. La transition démocratique est menée sous les auspices de l’ONU. 1989 Réformes économiques Hiatus entre libéralisation économique et fermeture de l’espace public. Heurts entre la population et les forces de l’ordre. 7 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ethiopie / Erythrée Résistance éthiopienne et érythréenne renverse la dictature. Ouzbékistan Pologne Russie Création dès 1976 du KOR (Comité de défense des ouvriers), base du 1er syndicat libre Solidarnosc, créé en août 1980. “Etat de guerre” proclamé en décembre 1981, suspension de la loi martiale en 1983, grèves massives au printemps 1988 et ouverture de la table ronde en février 1989. Rétrécissement de la base du parti au pouvoir. Les réformes du système conduisent à sa disparition. Déclaration d’indépendance des premières républiques (Etats baltes). Rupture de l’équilibre des forces avec l’arrêt du soutien international. Disparition de l’URSS, déclaration d’indépendance. Rencontre entre Jaruzelski et Gorbatchev en 1986 encourage le pouvoir polonais à tenter des ouvertures. 1991 Résolution rapide du conflit. Elections. 1991 Accès à l’indépendance Transition politique et économique sous l’égide des organisations internationales. 1989 Négociations de la Table Ronde. Transition démocratique et économique sous l’égide des organisations internationales. 1991 Redéfinition de l’Etat russe. Transition politique et économique sous l’égide des organisations internationales. 8 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Salvador Equilibre des forces Disparition des dans le conflit et soutiens financiers impasse militaire. soviétiques. Volonté politique des deux parties au conflit de négocier ; appel à l’intervention du Secrétaire Général de l’ONU. Désir de paix de la population. 1992 Accords de paix. Transition démocratique. Chronologie Les processus de transition les plus précoces ont eu lieu en Europe centrale, dès l’automne 1989, suite à la mobilisation et aux manifestations de protestation de la population au cours de l’été. Elles conduisent au renversement des régimes communistes en place : le Mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989. Ces manifestations des oppositions ont été rendues possibles par la brèche ouverte dans le système totalitaire par le Premier secrétaire du Parti Communiste de l’Union soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, quand il propose les réformes de la glasnost (transparence) et de la perestroïka (reconstruction). L’URSS connaît alors une évolution similaire avec un mouvement sécessionniste dans certaines républiques - les républiques baltes sont les premières à déclarer leur indépendance entre mars et mai 1990 - et des dirigeants de la république de Russie. L’URSS disparaît le 8 décembre 1991. Ces événements, qui mettent un terme à la Guerre froide, ont un effet d’entraînement sur tous les Etats alliés des Soviétiques. Cette perte du soutien soviétique a causé la déstabilisation de régimes en place (Pologne, Ethiopie) et des mouvements de résistance (Salvador, Cambodge, Afrique du Sud) et, dans certains cas, a provoqué des conflits armés (ex-Yougoslavie) ou les ont prolongés (Afghanistan). A - Analyse de l’origine de l’impulsion des processus de transition Il serait abusif d’accorder aux facteurs déclenchants des caractères exclusivement externes ou internes. Dans une mesure plus ou moins grande, ils se combinent les uns avec les autres. Facteurs externes Deux Etats, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, présentent deux cas d’impulsion extérieure pour le changement mais dans des situations très différentes. L’Afghanistan était en état de guerre prolongée (résistance à l’invasion soviétique de 1979 à 1989 puis en guerre civile depuis). Le pouvoir taliban installé en 1996 avait amené un semblant de paix mais leur autorité ne couvrait pas tout le pays, la résistance était toujours active et les combats se poursuivaient. Parallèlement aux combats sur le terrain, depuis 1998, un certain nombre d’acteurs politiques afghans se rencontraient pour tenter de mettre en place les conditions de négociations de paix. Parmi eux se trouvaient des représentants de 2 camps : les partisans de l’ancien roi, liés au mouvement de la loya djirga (démocrates, libéraux) et les membres modérés du Front islamique uni (Alliance du Nord), en lutte contre les Talibans depuis 1996. Ils représentent ce que l’on a appelé le “Groupe de Rome”. Les discussions concernaient la crise et le retour à la paix, l’organisation de la loya djirga (assemblée) et l’organisation des structures permanentes pour la rendre possible. Hamid Karzaï, futur premier président afghan, faisait partie de la délégation de Rome. Il représente les intérêts ici 9 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 convergents entre l’Iran et les Etats Unis à qui il assure de tout faire pour éviter le retour de la monarchie à Kaboul. Il est plutôt favorable au Front islamique uni. Une forte activité diplomatique s’est donc développée à cette période autour de l’ancien roi et de ses représentants, des Afghans de l’élite exilée, des représentants des Talibans, du Front islamique uni. Des contacts ont également été pris avec les notables, les anciens moudjahidins, les oulémas et surtout des Talibans dissidents. La dynamique de l’organisation de la loya djirga menée par le groupe de Rome s’essouffle et se trouvait dans une impasse quand les attentats du 11 septembre 2001 changent la donne et impulsent une nouvelle dynamique. L’intervention militaire d’une coalition internationale dirigée par les Etats Unis à l’automne 2001 précipite les événements : une conférence de paix s’ouvre à Bonn fin décembre 2001 conduite par les Nations Unies, avec pour mission d’installer une gouvernance des Nations Unies. L’Ouzbékistan par contre était une république pacifique d’URSS et aurait pu le rester encore longtemps si celle-ci n’avait pas disparu. C’est bien l’effondrement de l’URSS qui a provoqué la rupture dans cette république, sans mouvement populaire pour une indépendance, à peine des revendications d’autonomie politique et culturelle. Dans ces conditions, il n’a pas été très difficile au pouvoir en place de se maintenir dans le nouvel Etat indépendant et de gouverner avec les méthodes qu’il avait toujours pratiquées. Dans ces deux cas très spécifiques, le changement est impulsé par l’extérieur même si la conjoncture intérieure doit être favorable. Les Talibans qui avaient pacifié, dans une certaine mesure, le pays exerçaient un autoritarisme brutal et parfois absurde. Si l’Ouzbékistan n’a pas connu de revendication populaire pour l’indépendance, la fierté nationale de la population a largement soutenu cette évolution. Une convergence d’intérêts fortuite ? L’intervention militaire de la coalition internationale en Afghanistan répondait à des besoins de ces pays en matière de sécurité : la présence supposée des responsables des attentats de Manhattan en septembre 2001 dans le pays, accueillis et protégés par le régime des Talibans. Ces besoins rencontraient ceux de la résistance afghane qui cherchait à reprendre le pouvoir et ceux de la population qui allait enfin être débarrassée des Talibans. Puis une nouvelle convergence (fortuite ?) est apparue avec la population afghane, lasse des années de guerre et qui ne fait plus confiance à l’élite dirigeante, fractionnée sur le territoire et incarnée par les chefs de guerre. La personne de Hamid Karzaï, du fait de son statut extérieur au jeu politique national, a été favorablement accueillie. Cependant les acteurs politiques sont nombreux et n’ont pas les mêmes intérêts que la population, et les ambitions de la communauté internationale en matière de construction d’Etat et de démocratisation sont très élevées. De la convergence des intérêts de la communauté internationale et de la population peut parfois apparaître une certaine interdépendance : les Etats Unis, et d’autres Etats occidentaux qui craignent autant qu’eux le terrorisme islamiste, et le peuple afghan pour la pacification, la réorganisation de l’Etat et la neutralisation des rivalités de pouvoir des chefs de guerre. Par contre, dans certains domaines, notamment la politique sociale, les orientations de l’intervention internationale peuvent nuire aux besoins de la population : à court terme, lorsque les politiques sociales ne sont pas prioritaires et à long terme quand l’assistance ne s’inscrit pas dans une perspective de transfert de responsabilités. L’Ouzbékistan présente un cas typique d’absence de convergence entre les intérêts de la communauté internationale qui veut libéraliser les sphères économiques et politiques et le 10 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 gouvernement en place qui n’applique pas les réformes dans une stratégie de maintien au pouvoir. Cette situation donne lieu au déploiement d’une série de conditionnalités aux aides pour exercer une pression sur l’application des recommandations des organisations et institutions financières internationales. Facteurs internes Les processus de transition que nous étudions sont liés, de près ou de loin, à la fin de la Guerre froide et à ce titre-là, ils ne peuvent pas être complètement étrangers à ce facteur externe. La distinction entre facteurs internes et externes dans le cas de la Russie reste délicate dans la mesure où cet Etat représente le cœur du système qui en s’effondrant a entraîné la chute de quantité d’autres. C’est bien les réformes initiées par le premier secrétaire du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, dès 1986 qui ont ouvert une brèche et permis les contestations de 1989 en Europe centrale. Dans un second temps, ces libéralisations ont encouragé les mouvements indépendantistes au sein de l’URSS. Il est donc difficile de juger si ce retour d’influence des oppositions d’Europe centrale sur le système soviétique sont internes ou externes, selon qu’on se situe dans un système unique – monopartisme et économie planifiée – ou dans des Etats indépendants, compte-tenu de l’intégration idéologique de l’ensemble. Les facteurs internes comme impulsion au changement prévalent en Bosnie-Herzégovine, en Pologne et au Salvador. Cependant sans leur conjonction avec un ou plusieurs facteurs externes - modifications des relations avec les alliés, disparition du soutien financier, démocratisation dans les Etats voisins - les dysfonctionnements d’un système politique (Yougoslavie), la résistance d’un syndicat autonome (Pologne) et l’impasse militaire (Salvador) auraient pu perdurer encore des années sans aboutir à un changement radical. Le système politique yougoslave entre en délitement dès la mort de Tito en 1980, l’Etat d’urgence est déclaré en Pologne en 1981 et les premières négociations au Salvador débutent en 1984, pourtant il faut attendre entre 9 et 11 ans de statu quo, période de maturation des résistances (Pologne) ou de pourrissement des relations entre républiques fédérées et entre individus (Yougoslavie) : en août 1990, le gouvernement salvadorien et le FMLN signent un accord de paix (Accord de Genève), en décembre 1990 le gouvernement polonais ouvre les négociations avec les représentants de Solidarnosc (négociations de la Table Ronde) et au printemps 1991 la Yougoslavie se délite sous le coup des déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie et entre en guerre. Ces lents processus étaient-il arrivés à leur terme ou bien ont-ils trouvé le moment opportun ? La conjonction à l’échelle internationale de ces bouleversements politiques semble opter pour la seconde hypothèse. Les exemples pourraient être multipliés. La Chine apparaît comme le pays où les éléments déclenchants sont les plus spécifiquement internes : les réformes sont initiées par les autorités elles-mêmes parfois pour servir leurs intérêts politiques propres et mettre hors-jeu leurs rivaux. Pourtant ici encore la période-clé 1989-1991 produit dans ce pays la manifestation la plus spectaculaire après une décennie de timide libéralisation : le printemps de Tiananmen. Combinaison des deux facteurs Le succès de la transition vers la démocratie dépend en fait de la convergence des intérêts entre les acteurs internes et externes. L’Afrique du Sud montre bien cette corrélation : les manifestations de la minorité noire n’ont pas permis d’ouvrir des négociations que lorsque la pression internationale a fait évoluer la mentalité des Blancs. Cette pression morale venue de l’extérieur, en même temps, a rendu crédible l’action interne. Cette convergence a renforcé et même accéléré le processus. 11 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Enfin, la disparition de l’URSS a mis un terme à l’assistance apportée à certains régimes et certaines résistances armées. C’est le cas du régime éthiopien, rendu plus vulnérable face à l’opposition en guerre, de même que les factions en guerre contre le régime cambodgien. Dans ces deux cas, la fin de la Guerre froide a déstabilisé les rapports de force au point de rendre possible un règlement politique des conflits. Cette option devient envisageable parce que les protagonistes pensent désormais que c’est celle qui servira au mieux leurs intérêts dans un contexte changé. La recherche d’un accord de paix est un processus long et hautement politisé. L’accord de paix de Paris est signé en 1991 par 18 Etats et toutes les parties cambodgiennes. Bien qu’au niveau national, l’ancien roi a joué un rôle important dans la promotion d’une solution pacifiée, la coopération initiale entre les parties au conflit vole en éclat quand les Khmers Rouges rompent le cessez-le-feu. Ces derniers ont pensé qu’ils ne trouvaient plus suffisamment d’intérêt dans les élections, ne pouvant espérer remporter un fort suffrage compte-tenu de leur passé violent. Le cas du Cambodge est exemplaire : la pression internationale excessive lors des élections avait pour objectif d’en faire l’issue du processus de paix mais en réalité elles sont devenues un instrument de conflit plus que de réconciliation. B - Accompagnement du processus de transition par la communauté internationale : l’intervention internationale et sa légitimité Indépendamment de l’origine de l’impulsion des changements, la transition est souvent encadrée par la communauté internationale, bien souvent par le biais des organisations et institutions internationales. Son action porte sur la médiation, les négociations de paix et l’organisation d’une conférence pour la signature de l’accord de paix, le maintien de la paix, la construction de l’Etat, la conduite des réformes, le développement... L’Afghanistan et la Bosnie-Herzégovine présentent les cas les plus lourds de l’intervention internationale. En Afghanistan, on peut voir que la présence militaire étrangère est prise dans un nœud de paradoxes : elle garantit l’administration au pouvoir mais à terme elle pourrait remettre en cause la pacification en cours. En effet, le courant djihadiste (dont l’influence s’est considérablement accrue au sein de l’administration malgré sa mise à l’écart lors de la conférence de Bonn) conteste la légitimité de la conférence de Bonn (ils n’y étaient pas présents) et n’admet la présence des forces étrangères que dans des proportions réduites et pour une durée limitée. Ils prônent le retour à un Etat islamique. Un tel retour au radicalisme comporte certains risques de retournement. Ils peuvent brandir le flambeau d’un islam menacé (Fazelli : 116 1 ). La guerre contre le terrorisme menée par les Etats Unis comporte un risque fort de produire les effets exactement inverses à ceux recherchés, un renforcement du radicalisme islamique. Les Djihadistes réagissent également contre : - le personnel des Nations Unies et des ONG dont l’aide y compris et surtout dans les villages éloignés rappelle l’ampleur des destructions et le souvenir douloureux de la crise. - les exilés de retour au pays qui jettent un regard critique sur les vues rétrogrades des anciens djihadistes. L’islam des Talibans a attiré les sympathies d’Afghans modérés parce qu’ils ont vu dans ce courant des idées qui défendent leurs spécificités ethnico-nationales. La présence militaire étrangère a été souhaitée car l’action militaire visait à chasser les Talibans et al-Qaeda. Au1 Kacem Fazelli, L’Afghanistan du provisoire au transitoire, L’Asiathèque, Paris, 2004. 12 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 delà, une assistance à la sécurité est également perçue positivement pour mener au retour de la vie constitutionnelle, comme stipulé dans les accords de Bonn, signés sous égide de ONU. Enfin, la présence militaire étrangère est légitimante pour l’administration afghane : “Tous les pronostics prédisent la chute du gouvernement si les forces internationales quittent le terrain”(Fazelli 221). Mais l’Afghanistan n’est pas allié aux Etats Unis dans la guerre en Irak (Karzaï s’est prononcé contre) et cette nouvelle situation retarde le retour de la paix en Afghanistan. En Bosnie-Herzégovine, la présence internationale dans les domaines sécuritaires et politiques a développé une dynamique de dépendance dans laquelle à la fois l’inertie et l’aggravation de la situation enferment le pays dans un cercle vicieux. La Bosnie-Herzégovine doit faire face à une triple transition : - d’un état de guerre à une paix durable : le processus est en cours mais par manque de responsabilité des structures politiques locales, puisque la vie politique est dominée par un Haut Représentant (Office of the High Representant, OHR) de nationalité étrangère, il piétine. D’un autre côté, le processus pourrait être remis en cause en cas de fin de soutien international. - d’une aide d’urgence à une croissance stable : le pays est un des plus grands bénéficiaires de l’aide internationale mais pour la population, cette aide a remplacé l’Etat socialiste. Un changement de mentalité s’impose donc. L’initiative locale est bloquée et la population comme les dirigeants sont trop passifs. - d’une économie planifiée au libre marché et du monopole du politique à la démocratie et à une société citoyenne. On retrouve dans ce domaine les mêmes freins. Le développement de cette dépendance tient également à l’orientation de la politique des donateurs : l’économie se développe de façon très inégalitaire qui produit de la pauvreté en plus de celle héritée. L’action des organisations internationales est, dans certains domaines, inadaptée et inefficace. La transition dans les pays de l’Est a été réduite à la question du passage à l’économie de marché, l’approche de la politique de transition doit donc être repensée ainsi que la méthode : l’introduction de l’économie de marché n’entraîne pas automatiquement de nouvelles structures et institutions sociales, tout comme les élections libres et le multipartisme ne mène pas à la démocratie. Seuls l’Etat de droit et la transparence permettent le développement de l’économie et de la société civile. L’intervention recherche, si elle n’en dispose pas naturellement, une certaine légitimité. La pression internationale exercée en Afrique du Sud possédait la légitimité morale de la restauration de l’égalité entre les individus et du respect des droits de l’Homme. L’intervention dans les Etats dont le système reposait sur le parti unique et l’économie planifiée bénéficiait de la légitimité du contexte de la fin de la Guerre froide et de la victoire du système libéral. L’intervention s’est faite par l’intermédiaire des organisations et institutions financières internationales. L’encadrement des négociations de paix et de la reconstruction en Bosnie-Herzégovine a trouvé sa légitimité dans le contexte de malaise et de culpabilité de n’avoir pu empêcher le chaos de la fin du régime. En revanche, l’intervention en Afghanistan a nécessité une démarche plus volontariste pour la rendre légitime : les Etats Unis ont formé une coalition d’Etats (mandat des Nations Unies ?) pour donner la dimension d’un genre d’intérêt général international. De plus, ils ont fondé leur action sur le principe de légitime défense. L’intervention internationale recherche également une légitimité interne en s’appuyant sur une figure de pouvoir ; les monarques offrent cette possibilité car ils disposent d’une légitimité traditionnelle, sont perçus comme les “pères de la nation”, ils symbolisent la 13 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 continuité et représentent la période de paix qui a précédé le conflit puisqu’en général ils n’ont pas pris part au conflit. 2 – La représentation du pouvoir A – La relation au pouvoir L'histoire et l'ethnologie montrent que les modèles de pouvoir sont très stables, ils perdurent à travers les siècles, en dépit des différentes formes d'organisation politique mises en place par les Etats. Il s’agit ici d’étudier la représentation du pouvoir dans les différentes cultures des 10 Etats choisis. Or cette représentation résiste à l’habillage politique qu’il soit idéologique, dynastique ou paternaliste et le modèle de pouvoir s'adapte aux systèmes politiques du moment. Ainsi des systèmes politiques identiques peuvent prendre des formes très différentes en fonction des relations et comportements politiques propres à chaque culture. D’autre part, les modèles politiques en vigueur, ou en construction, sont souvent importés. Deux phénomènes majeurs sont à l’origine de cette importation de modèle politique : la colonisation et la mondialisation. L’ingénierie institutionnelle menée par les organisations internationales dans les Etats en faillite relève de cette tendance. Or elle est animée de mouvements contradictoires entre homogénéisation et permanences. La mondialisation dans les domaines les plus variés tend à produire du semblable mais toutes les observations ciblées dégagent des continuités. En effet ce vaste mouvement est sous-tendu d’emprunts dans un processus de réappropriation, dans des objectifs très précis. Les particularismes ne sont par conséquent pas effacés. Bertrand Badie fait un inventaire des “produits importés” et des stratégies d’emprunts spécifiques 2 . Ainsi les républiques d’Asie centrale ont été gouvernées durant une soixantaine d’années par le modèle soviétique ce qui a supposé quantité de bouleversements dans la vie socio-politique : depuis l’apparition d’un discours politique, la monopolisation de ce discours par une idéologie, l’interdiction de toute pratique religieuse jusqu’à la réorganisation collectiviste de l’agriculture. A l’arrivée des Bolcheviques, la société reposait sur plusieurs empires dynastiques (émirats, khanat) fondés sur la foi musulmane – discriminant pour les autres religions – et exerçant un pouvoir autoritaire, structurée par une identité lignagère. Ces deux systèmes s’opposent sur des points fondamentaux : légitimation idéologique contre légitimité héréditaire, laïcité contre légitimité religieuse, société égalitaire permettant l’ascension sociale contre une structuration clanique hiérarchisée. Pourtant, les républiques d’Asie centrale ont su rendre compatibles ces deux systèmes, l’un n’ayant pas balayés l’autre mais au contraire les modes de légitimation et les représentations du système traditionnel se sont adaptés au système soviétique. L’autorité du chef repose sur le culte de l’aîné, le respect de celui qui a le plus de pouvoir. Pourtant cette autorité s’équilibre dans une subtile alliance avec un réseau d’interdépendances, tant au niveau local – au sein d’une famille et d’un village – qu’au niveau national – entre le président et les gouverneurs dans les régions. L’Asie centrale n’a pas connu de période démocratique mais le jeu des interdépendances (économiques donc politiques) contraignaient les tenants de pouvoir, à tous les niveaux, à la négociation et au compromis. Depuis les indépendances, les 5 républiques ex-soviétiques connaissent des évolutions divergentes mais le pouvoir fait partout preuve d’autoritarisme. En Ouzbékistan, le jeu des 2 Bertrand Badie, L’Etat importé, Paris, Fayard 1992 14 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 interdépendances a tendance à s’estomper face au pouvoir autocratique duquel s’est emparé le président Islam Karimov, ancien responsable de l’idéologie au sein du parti communiste ouzbek, depuis l’indépendance. Il dirige sa nation en père autoritaire comme en témoigne par exemple les amnisties qu’il décide plusieurs fois par an ; ces libérations périodiques de prisonniers de droit commun se font au bon vouloir du prince. Dans ce système paternaliste, la domination de l’homme est frappante à première vue pourtant elle doit être relativisée par le rôle des femmes dans la vie économiques (de nombreux foyers survivent grâce aux activités économiques des femmes) ainsi que dans la contestation (manifestations de femmes). Dans ce contexte, le renouvellement des élites est très faible. On observe d’ailleurs une corrélation très forte avec l’avancée des réformes économiques, et surtout de l’apparition d’un secteur privée : le pouvoir est ainsi partagé entre élites politiques et économiques. C’est le cas du Kirghizstan et du Kazakhstan. Au Kirghizstan, le mode de représentation et d’identification repose, au niveau local, sur un système lignager structuré en clans ou réseaux. A l’échelle de tout le pays, il existe une grande permanence du pouvoir au sein des mêmes grandes familles (le président de l’indépendance, Askar Akaïev, destitué par les troubles du printemps 2005 appartient à une famille de khan qui ont régné depuis des siècles sur le Nord du pays). Un accord tacite d’alternance entre les clans du Nord et ceux du Sud semble d’ailleurs en vigueur parmi les acteurs politiques au sommet du pouvoir. Un tel mode de distribution héréditaire du pouvoir laisse peu de place à un fonctionnement démocratique. Pourtant une brèche semble ouverte : en rupture avec la politique du secret, instaurée par le pouvoir soviétique mais qui a trouvé un terrain dans le paysage politique centrasiatique, la retransmission télévisée des séances parlementaires rend public un lieu du pouvoir, une mise en scène du pouvoir. Elles sont très regardées par les Kirghizes. Cette représentation du pouvoir, dans toutes les républiques d’Asie centrale, pèse dans la participation de la population à la vie politique. Les mobilisations des populations ont été faibles et elles réclamaient une autonomie politique et culturelle et non l’indépendance. L‘accession à l’indépendance s’est imposée avec la disparition de l’URSS et elle a été complètement mise en oeuvre par les plus hautes sphères de l’Etat. Ces développements sur la représentation traditionnelle du pouvoir en Asie centrale ne viennent en aucun cas alimenter l’argument culturaliste qui veut que les populations centrasiatiques ne sont pas adaptées à la démocratie. Cet argument est d’ailleurs très utilisé par les dirigeants pour justifier la fermeture de l’espace politique et même la répression. Les populations de ces républiques ex-soviétiques continuent d’apporter les preuves de leur volonté de participation politique (contrairement à une idée reçue, même si elles n’ont pas revendiqué l’indépendance par des manifestations populaires massives) et leur maturité politique (création de partis populaires avant l’indépendance, manifestations de protestation). Le mode de légitimation politique en Afghanistan peut être analysé dans des termes comparables à celui d’Ouzbékistan : la légitimité politique repose sur une transmission lignagère, un territoire ; la légitimité religieuse y joue un rôle essentiel. Pourtant ce pays se distingue dans la région par une expérience démocratique (la monarchie parlementaire de Mohammad Zaher Chah de 1964 à 1973) et une élite éduquée qui est restée fortement attachée à cette idée. Cette élite s’est exilée durant les décennies de conflit, dans les pays voisins (Pakistan pour les Pashtouns, Ouzbékistan, Tadjikistan ou Iran pour les autres ethnies) ou en Occident. Ils ont soutenu l’ancien roi Mohammad Zaher Chah dans les négociations 15 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 pour la paix et la reconstruction de l’Etat afghan dès 1998, voire ont assisté à ces rencontres à Francfort, Istanbul, Rome, Chypre et enfin Bonn pour la conférence de paix. Aujourd’hui ce pays se trouve donc tiraillé entre deux tendances : un nationalisme afghan, de type laïc, attaché à la notion d’Etat de droit, historiquement incarné par les constitutions de 1923 et de 1964 ; « la leçon constitutionnelle se voit ressuscitée, dans un contexte international radicalement différent, dans le projet de reconstruction issu des accords de Bonn en décembre 2001 » 3 . Ils doivent affronter les plus vives tendances islamistes. Se trouvent donc face à face le nationalisme laïc et le messianisme religieux. Les tenants du nationalisme ont pour eux la communauté internationale et les populations afghanes, lasses de la guerre et qui ont perdu confiance dans leurs chefs belliqueux. Les défenseurs d’un islam fondamentaliste bénéficient du prestige des années de guerre et de défense de la patrie et d’un pouvoir réel sur le terrain (administration, milices armées, puissance économique, territoire). Leurs atouts se trouvent aujourd’hui renforcés par les choix du premier président afghan, Hamid Karzaï, qui, après avoir été porté au sommet par la communauté internationale (les Etats Unis avant tout) et l’élite éduquée, y compris le roi, construit sa stratégie de pouvoir sur la négociation avec les acteurs politiques en place : chefs de guerre et Talibans. Cette tradition démocratique peut expliquer la maturité politique du peuple afghan, dont témoigne la participation à l’élection présidentielle de juin 2005. L’Afrique du Sud présente une situation singulière sous-tendue par deux tendances contradictoires : la continuité de la démocratie et la nécessité d’intégrer un système traditionnel. Leur compatibilité reste à prouver. La démocratie en effet a été élargie à partir de 1990 à la population noire. La transition politique de l’Afrique du Sud est donc servie et facilitée par cette continuité démocratique. Avant 1990, la population noire était structurée, dans les milieux ruraux, par un pouvoir de proximité multiséculaire tenu par des chefs traditionnels, les amakhosi. Du temps de l’apartheid, ces chefs étaient reconnus comme tels, ils bénéficiaient d’une instance de représentation au niveau national et provincial et ils étaient rémunérés par l’Etat. Il s’agissait d’un gouvernement noir pour les Noirs. L’ANC militait pour leur abolition considérant qu’il s’agissait d’une institution archaïque et antidémocratique. Ces chefs étaient en effet désignés par la famille royale de la tribu. Ce conflit au sein de la population noire témoigne d’un clivage entre une élite éduquée (l’ANC) et les forces traditionalistes derrière les chefs, à 70% illettrés. Depuis une loi de 2003, les chefferies traditionnelles ont vu leur pouvoir (services publics, développement, gestion foncière) disparaître au bénéfice des municipalités dont les dirigeants sont élus démocratiquement. Des conseils locaux réunissant les chefs traditionnels ont été institués ; ils ont essentiellement un rôle consultatif ; d’autre part la liberté est laissée aux municipalités de leur déléguer des tâches. Le conflit ouvert entre l’Inkatha Freedom Party (IFP), parti à majorité zoulou et l’ANC dans les années 80 s’est transformé en une opposition politique : l’IFP se revendique de la tradition africaine, en position de monopole. La Chine représente un des plus anciens Etats au monde, il est traditionnellement autoritaire, appuyé sur une bureaucratie de lettrés. Il se dégage une forte continuité dans la mesure où la dictature maoïste reprend cette forme de pouvoir au pouvoir impérial et la poursuit avec quelques transformations : débarrassé des contraintes religieuses, il étend encore davantage son pouvoir sur le peuple, aidé par les technologies modernes. 3 Kacem Fazelli, Op. Cit. 2004 : 10. 16 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Le Cambodge, depuis son indépendance en 1953, a été dirigé par une succession de gouvernements qui se sont réclamés monarchistes, républicains, révolutionnaires, socialistes et plus récemment démocratiques. Les orientations politiques de ces gouvernements ont largement varié mais en dépit de ces changements, un aspect de la vie politique cambodgienne demeure : le maintien du pouvoir entre les mains des élites 4 . Le régime de Pol Pot, en suivant l’exemple chinois, a cherché à remplacer la culture traditionnelle par une nouvelle culture associant les principes maoïstes et la mythologie de l’époque d’Angkor. Ce faisant, il a détruit toutes les institutions étatiques – éducatives, financières et juridiques –, religieuses et sociales 5 . Lorsque les Vietnamiens se sont emparé du pouvoir en 1979, plusieurs éléments de la vie culturelle pré-Khmers rouges sont rétablis : le bouddhisme redevient la religion d’Etat et en 1993, la monarchie est restaurée. Avec 95% de bouddhistes dans la population, la religion reste un des principes de cohésion essentiel de la société, responsable de l’éducation et de la culture, encourageant une forme d’acceptation parfois analysée comme une obédience qui les empêche de se comporter en citoyens critiques, faisant des choix individuels. Ces questions de relation au pouvoir mène à la problématique de la place de l’individu dans ces sociétés. En Chine, l’individu est soumis au pouvoir, la société ne pense pas l’individu et le pouvoir est méfiant face à toute expression individuelle. En Afghanistan, “l’être humain n’est pas en mesure de concevoir l’ordre social. Seule l’œuvre divine apporte le salut” 6 . B – La quête de légitimité La même approche – historique et ethnologique - nous aide à déterminer les sources de la légitimité politique et les processus de légitimation des acteurs en présence. Dans le système démocratique, la légitimité vient essentiellement des élections. Or ce modèle de démocratie représentative par le suffrage universel doit cohabiter avec des modèles et des pratiques de légitimation traditionnels. La superposition de ces différents modes donnent lieu à des systèmes singuliers et fournissent des explications à l’émergence ou au maintien des acteurs au pouvoir. Les processus de légitimité ne sont pas d’une seule nature mais la légitimation a souvent plusieurs sources qu’elles concilient et plusieurs modes. En dépit de cette diversité - élections (Afrique du Sud) jusqu’aux légitimités traditionnelles mutées et adaptées à l’idéologie (Ouzbékistan, Chine) - la personnalisation du pouvoir est très fréquente. Les légitimités sont de diverses natures : électorales, traditionnelles, idéologiques, circonstancielles. La légitimité électorale : A l’exception de la Chine qui tient une place spécifique dans ce projet, tous les Etats étudiés sont engagés, à des stades différents, dans un processus électoral. Les élections ont été organisées par les autorités nationales ou étrangères. Le tableau ci-dessous présente de façon 4 Lao Mong Hay, “Cambodia's Agonising Quest: Political progress amidst institutional backwardness”, Accord November 1998. 5 Chea, Vannath “Reconciliation in Cambodia: Politics, Culture and Religion” in Bloomfield, David, Barnes, Teresa and Huyse, Luc (ed.) Reconciliation after Violent conflict, a handbook. IDEA, Sweden, 2003 : 49. 6 Fazelli 2004 : 114 17 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 synthétique la chronologie et la nature des processus électoraux. Nous étudierons ensuite leur valeur et leur signification. Etats Afghanistan Afrique du Sud Bosnie-Herzégovine Cambodge Ouzbékistan Pologne Russie Scrutins Début du processus électoral Octobre 04 : présidentielles Décembre 01 : conférence de Le taux de participation paix surprend les observateurs. Entre temps, assemblées (loya 18 septembre 05 : législatives djirga) 1994 : présidentielles 1990 : suppression de l’apartheid Nombreux scrutins de 1996 à 1995: accord de Dayton 2004. Les partis nationalistes sont invariablement vainqueurs même si des petits partis remettent en cause leur base ethnique; ils restent trop minoritaires. 1991 : accord de paix Scrutins réguliers depuis Septembre 1991 : déclaration l’indépendance dont la nature d’indépendance démocratique est douteuse : le président a fait rallonger chacun de ses mandats par un Parlement n’ayant aucune indépendance ; les observateurs des organisations internationales ont longtemps boudé ces élections et ont fait un retour récent dans le pays mais elles ne sont pas d’accord sur leur nature transparentes et justes (OSCE, UE). Elections semi-libres en juin Négociation de la table ronde 1989 qui donnent la majorité en février 1989. à la Diète et au Sénat au syndicat libre Solidarnosc. Elections démocratiques mais Disparition de l’URSS le 25 tendance croissante du décembre 1991. pouvoir à confisquer les campagnes électorales. L’Afrique du Sud et la Pologne présentent le même cas où le processus électoral a été choisi comme mode de transmission de pouvoir : dans ces deux Etats, le parti au pouvoir reconnaît l’opposition comme un acteur de la scène politique (ouverture des négociations de la Table 18 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 ronde avec le syndicat Solidarnosc en Pologne et abolition de l’apartheid et reconnaissance de l’ANC en Afrique du Sud) et confie au peuple la souveraineté de choisir le régime qu’il souhaite. Dans ces deux cas, Solidarnosc et l’ANC, forts de la légitimité de la lutte qu’ils ont menée contre un régime oppresseur, remportent les élections à une forte majorité. La légitimité acquise par l’armée rebelle, le FMLN, au Salvador lui vaut de participer aux négociations de paix et de devenir un parti politique légal. Cependant, il ne remporte pas les élections et le parti de l’ancien régime, ARENA, se maintient au pouvoir. Le cas du Cambodge apporte la démonstration que, bien que la légitimité électorale est essentielle, elle peut être très vulnérable quand il s’agit de former un nouveau gouvernement. Contrairement aux attentes du parti au pouvoir, le CCP, qui comptait sur la légitimité acquise par leur victoire sur les Khmers rouges, le parti royaliste, FUNCINPEC, a été le grand gagnant des élections de 1993 en remportant 58 des 120 sièges. Cette victoire s’explique par la légitimité du roi Sihanouk, perçu par la population comme celui qui les a conduits à l’indépendance et comme le “père de la nation”. La population a voté pour lui parce qu’il symbolise la continuation avec le passé et a dirigé le pays dans la période pacifique d’avant la guerre. Le CCP est devenu le second parti avec 51 sièges mais a immédiatement dénoncé les résultats de l’élection quand il a vu qu’il ne pouvait les remporter. Craignant un coup d’Etat de leur part, le roi Sihanouk a proposé un compromis et une coalition à égalité entre le CCP et le FUNCINPEC. En Afghanistan, le président Karzaï bénéficie maintenant de la légitimité électorale, depuis le scrutin du 21 avril 2005, mais en réalité sa légitimité était bien antérieure, les élections ne sont venues que confirmer le succès de ce processus de légitimation. La stratégie de légitimation de Karzaï a constitué, fort du soutien de la communauté internationale, à gagner l’appui de l’ancien roi, et en effet, la légitimité de Hamid Karzaï provient en grande partie de la figure nationale de l’ancien roi, Mohammad Zaher Shah. Celui-ci, en s’effaçant, a désigné Hamid Karzaï comme chef de l’Autorité provisoire. L’ancien roi conserve néanmoins l’autorité suprême ce qui permet à Hamid Karzaï de s’en réclamer et d’entamer sa mission sur des bases solides. L’effacement de l’ancien roi va à l’encontre des attentes de la population afghane qui souhaitait son retour au pouvoir, comme l’ont montré les sondages 7 . Les raisons restent encore obscures. En tout état de cause, le refus de l’ancien roi de prendre les rênes du pouvoir est un trésor de légitimité pour Karzaï. Il est ensuite devenu le partenaire privilégié de tous, fort de ces appuis dont ne bénéficiaient pas les autres pôles du pouvoir. Pour cela il a veillé à ce que soient conservées les fonctions honorifiques réservées au roi. Désormais, il avait donc deux objectifs : entretenir le rôle légitimant du roi pour qu’un pouvoir fort et centralisé, dévoué à Washington, s’installe à Kaboul et affaiblir le pouvoir du Front islamique uni. La Loya djirga d’urgence a été son pôle de légitimité comme chef de l’Autorité de transition. « Il est clair que Hamid Karzaï est aujourd’hui le grand et l’unique bénéficiaire de la dynamique conflictuelle qui a opposé, dès le départ, les fondamentalistes, partisans de la continuité de l’Etat islamique, à l’ancien monarque, symbole d’un Etat moderne. La manœuvre de Karzaï consiste à garder vivace cette dynamique, pour se présenter ensuite comme porteur de la solution médiane » 8 . Hamid Karzaï s’appuie beaucoup sur le comportement tribal, il a une grande aisance dans les contacts avec les notables locaux, culte des barbes grises, et recherche sans cesse le 7 8 “tous les sondages le prouvent” Fazelli : 67 Ibid. : 67. 19 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 consensus. Il bénéficie d’un atout majeur, l’estime générale témoignée à son père, Abdol Ahmad Khan Karzaï, qui avait la “sagesse de l’homme de tribu, intelligence du citadin et l’humilité de l’homme de foi” 9 . La victoire électorale n’est que la traduction des légitimités acquises précédemment. Elle les met en œuvre et les transforme en légitimité électorale. Cependant cette nouvelle légitimité au pouvoir, acquise par les urnes, apparaît plus éphémère; elle peut s’éroder rapidement avec l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui en Afrique du Sud, l’ANC perd peu à peu la confiance de ses électeurs du fait des lenteurs des changements. En Afghanistan, Karzaï tire une part de sa légitimation des accords de paix conclus à Bonn, pourtant il prend le risque de s’en écarter en s’associant à ceux-là mêmes que la conférence de Bonn a désignés comme les responsables de la détérioration de la situation avant les Talibans, le Front islamique uni (Alliance du Nord). Cette attitude est de plus préjudiciable à la position du roi. Par ailleurs, Karzaï renforce la dimension religieuse de son administration en créant des structures à vocation religieuse ce qui a pour conséquence d’empiéter sur l’autorité de l’Etat. Par exemple, le conseil des Oulémas prend des fatwas condamnant la démocratie et interdisant aux femmes de travailler dans des organismes privés. Certaines élections peuvent ne pas conduire au renouvellement des élites en place : l’exercice du pouvoir est perçu comme une source de légitimité politique dans les anciennes républiques soviétiques. L’expérience du pouvoir fait naître une confiance inégalée par les dissidents ce qui explique que les élections ont désigné les personnalités qui occupaient déjà les postes du pouvoir. C’est un phénomène couramment observé dans cette aire culturelle. Après plusieurs années, ces dirigeants ont en général perdu leur légitimité au pouvoir à cause du régime autoritaire, voire autocratique, qu’ils ont instauré, mais alors il est trop tard pour qu’une alternance s’affirme ; l’espace politique a été complètement fermé et il n’y a plus moyen de changer de gouvernement de façon démocratique. C’est le cas en Ouzbékistan par exemple. L’élection, puis la réélection, de Vladimir Poutine à la présidence russe peut être recevoir la même interprétation. Il était premier Ministre du président Eltsine qui a démissionné en sa faveur. Il a bénéficié de la légitimité que lui confère l’expérience au pouvoir puis a recherché une autre source de légitimité, conscient que celle-ci était fragile : celle d’un pouvoir fort et de la restauration de la grandeur de la Russie. Les légitimités traditionnelles : Ce type de légitimité met en œuvre les identités primordiales qu’elles soient claniques, territoriales, ethniques, religieuses ou régionales. Ces appartenances possèdent un caractère exclusif. Ainsi les solidarités auxquelles elles donnent lieu se font dans les exclusivités de ces appartenances et représentent un motif supplémentaire de division entre les groupes. En Bosnie-Herzégovine, le voisinage nous montre à travers les collectivités locales (mjesna zajedna, MZ) que l’espace est pourvoyeur de ressources et fournit le cadre adapté à la mise en œuvre des initiatives. Il s’agit d’une solidarité par échange de travail, propriété collective immobilière (écoles, mosquées etc.) et actions communes (cérémonies). La confiance dans les 9 Ibid. : 70. 20 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 dirigeants de ces collectivités villageoises est ainsi bien meilleure que dans les dirigeants nationaux. Cependant, l’espace comme facteur fédérateur cache les réels moteurs de ces énergies qui sont ethniques et religieux. L’énergie déployée par de tels regroupements peut ainsi conduire au retour des personnes déplacées, à la reconstruction des maisons détruites, d’écoles de routes etc. C’est une base précieuse avant que le lent processus de réconciliation puisse l’étendre à la nation entière. On constate une rupture avec ce schéma en Afghanistan : le caractère belliqueux des chefs, qui ont acquis leur légitimité avec la guerre et dans la conflictualité, cause une érosion de cette légitimité. Ils poursuivent la lutte pour la compétition au pouvoir plutôt que de faire passer les intérêts du pays en premier et donner la priorité à la pacification. L’invasion étrangère du pays (les Soviétiques en 1979) a fédéré la population dans une cause commune, cette lutte pour la défense de la nation a donné une forte légitimité aux combattants et à leurs chefs mais l’ennemi extérieur disparu, il est bien difficile de s’entendre et de partager le pouvoir. Cette compétition ayant fait perdre la confiance dans les autorités naturelles – les chefs de guerre locaux qui partagent langue, ethnie, religion et territoire avec la population qu’ils dirigent – c’est un acteur extérieur – Hamid Karzaï – qui endosse la confiance. Au Kirghizstan, le mode de représentation et d’identification repose, au niveau local, sur un système lignager structuré en clans ou réseaux. Les institutions nationales en revanche ne suscitent pas une grande confiance auprès de la population. L’Etat est perçu comme un pourvoyeur de services et comme il faillit à cette tâche, il manque de légitimité. Pour la gagner il doit s’appuyer sur les lieux du pouvoir légitime, les chefs locaux. La légitimité idéologique : En Chine, sous Mao, la légitimité au pouvoir était construite sur l’idéologie et le charisme personnel. Le pouvoir était très fortement personnalisé. A sa mort, il a fallu trouver un autre mode de légitimation. Les réformes économiques ont rempli cette fonction ; la légitimité était du coup plus rationnelle et le vide idéologique a été comblé par le nationalisme. La répression montre cependant que cette légitimité n’est pas aussi puissante qu’elle le devrait. La légitimité circonstancielle La légitimité circonstancielle tient à la conjoncture spécifique d’un Etat – généralement une transition – et à la mission confiée à un individu pour traverser cette période. Le président ouzbek, Islam Karimov, a été élu premier président ouzbek dans les termes d’un genre de contrat social tacite : il devait assurer à son pays une indépendance pacifique. C’est à ce prixlà que les Ouzbeks ont accepté son autoritarisme. Il a en effet usé de l’argument culturaliste qui veut que sans tradition démocratique, l’Ouzbékistan risquait de tomber dans le chaos ; son peuple n’étant pas préparé à la démocratie. Cependant, ce contrat a été rompu par la déception de la population : l’indépendance n’a pas été synonyme de bien-être mais au contraire de dégradation du niveau de vie, parfois dramatiquement. Les concessions faites par la population dans un contexte particulier – fermeture de l’espace public par exemple – ne sont plus acceptables dès lors que l’indépendance semble réalisée. Le président n’est plus légitime à exercer un tel pouvoir autoritaire. 21 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 3 – Vers un Etat Face à une telle avancée de la démocratie dans le monde, que devient l’Etat? 1989 et les évolutions politiques qui s’en sont suivies, ont initié une ère de dépérissement de l’Etat. Cette période a été marquée par le post-étatisme et le post-national durant laquelle l’Etat était dépassé à la fois par le haut – la mondialisation - et par le bas, avec la crise de la démocratie représentative nationale. L’Etat devait tenir le rôle d’un simple échelon dans la nouvelle gouvernance, entre le mondial et le local. « Entre globalité et proximité, l’Etat était en train de perdre sa primordialité » 10 . Cette ère fut close avec les attentats du 11 septembre 2001 : l’Etat est re-devenu le garant de la sécurité nationale et donc protecteur de la liberté. « La crise sécuritaire a provoqué le contre-temps économique qui a, à son tour, rappelé l’utilité, voire la nécessité d’une certaine régulation étatique » 11 . Indépendamment de cette évolution globale, le contexte de l’Europe centrale et orientale, de l’espace post-soviétique et des pays qui se sont inspirés de ce modèle dresse un rapport singulier entre l’Etat et la démocratie. L’Etat est le mal aimé de la transition démocratique car il est perçu comme le “fief” d’un parti ou “la propriété” de la classe dirigeante. On a pu observer que les acteurs des transitions à l’Est ont eu du mal à séparer l’Etat d’une tendance politique ou idéologique particulière, notamment lorsqu’il s’est agi de discuter de la forme de l’Etat, monarchique ou républicaine. Il y a sans doute ici un besoin d’éducation à l’idée de neutralité de l’Etat qui le place au-dessus des partis et des majorités circonstancielles pour, par exemple, restaurer à l’opposition sa pleine place au sein de l’Etat, et non pas en dehors, et sa fonction essentielle pour le fonctionnement de la démocratie. L’Etat doit aider à consolider la politique démocratique et permettre la confrontation des idées politiques (débats, programmes partisans, projets législatifs) pour installer la culture démocratique en profondeur. L’Etat doit s’imposer comme le lieu où négociation et compromis sont des valeurs légitimantes des décisions, comme instance primordiale d’une nouvelle régulation politique pour que les pulsions de l’opinion intègrent les rythmes plus longs et les mouvements plus profonds de la vie politique. « La situation est d’autant plus délicate dans les jeunes démocraties d’Europe centrale et orientale que le temps de la société civile vient, avec son incontournable, l’opinion publique, sans que, au préalable, l’institution étatique – représentative – ait pu être consolidée, comme cadre ou “correctif” du libre jeu des forces sur le “marché” ouvert de l’opinion publique » 12 . L’Etat est concurrencé dans son rôle par la « légitimité nouvelle du Marché, désormais présent dans l’espace politique » 13 . Pour réaliser leur transition, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) avaient deux urgences : se débarrasser de l’Etat-parti et construire le marché économique. Le capitalisme concurrentiel impliquant une massive désétatisation de l’économie administrée, le marché s’est engouffré dans cet appel d’air provoqué par l’implosion du bureaucratisme réel. L’Etat étant perçu par la perversion de ses fonctions – appareil répressif et bureaucratique, le contexte était particulièrement réceptif à l’idée de 10 La Réinvention de l’Etat. Démocratie politique et ordre juridique en Europe centrale et orientale, Slobodan Milacic (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2003 : 15. 11 Ibid. : 16. 12 Ibid. : 28. 13 Ibid. : 28. 22 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 marché qui passe complètement au-dessus de l’Etat. On constate une forte promotion de l’économisme parmi les référentiels majeurs des nouveaux discours de légitimation le marché est prometteur de liberté et de bien-être. La gouvernance de la transition et la mobilisation politique sont organisées sur la base de la croyance que la démocratie politique est productrice de richesses économiques plus qu’elle n’en est dépendante 14 . Les référentiels économiques recueillent la préférence et infiltrent la sphère politique. Les idées politiques tendent à devenir des marchandises et le citoyen se fait consommateur ; le lien politique cède alors la place au lien commercial. Dans les démocraties les plus anciennes, cette évolution se superpose à un acquis historique de l’Etat démocratique. Dans les PECO en revanche, l’Etat n’a pas encore connu un Etat démocratique durable, sa construction commence ou recommence. Gérard Barthélemy 15 explique le rejet instinctif des Haïtiens pour l’Etat, l’Etat colonial qui a donné naissance à la dictature et a instauré le « citoyen comme son adversaire irréductible ». Un Etat importé Certains Etats se trouvent déjà dans la phase post-transitionnelle, celle de la consolidation démocratique. La diffusion des standards européens, sous l’égide des organisations européennes à vocation politique, induit une importation de modèles constitutionnels et de statuts juridiques occidentaux. Cette attitude relève d’une logique d’imposition plus que d’une logique d’adaptation, dans la mesure où c’est un processus unilatéral. Elle prend des allures de marche forcée. Elle peut être interprétée comme une forme d’impérialisme démocratique de l’Europe de l’Ouest. Il n’est pas question de s’adapter aux PECO mais bien « de leur permettre de se plier aux exigences de ces institutions » 16 . « Dans cette perspective, la démocratisation attendue des Etats post-communistes est le résultat d’un processus, global et à sens unique, de transfert de technologies institutionnelles, en quelque sorte d’une perfusion démocratique destinée à produire, par effet d’accoutumance et d’acculturation, des comportements politiques et des régulations juridiques conformes aux standards européens de l’“Europe du droit” (Robert Badinter) » 17 . Cette attitude procède en effet d’une vision unilatérale et occidentalo-centrée ce en quoi elle présente en effet un problème, cependant ce travers doit être nuancé par le fond de cette démarche qui vise à implanter le système politique le plus respectueux de la diversité humaine, tant politique que culturelle. A - L'émergence d'un pouvoir central Ou la transformation du conflit et son cantonnement dans l’espace politique Comment transformer une multitude de pouvoirs locaux (situation d'un conflit armé mais aussi des différentes dissidences dans un régime totalitaire) en un pouvoir central ? Faut-il négocier avec les anciens pouvoirs (même quand ils ne sont pas fréquentables – guerre ou 14 Ibid. : 30. Anthropologue et économiste, « Haïti, l’ordre sous le chaos apparent » Le Monde du 5 septembre 2005. 16 Milacic (dir.), 2003 : 96. 17 Philippe Claret, “La marche forcée des Etats postcommunistes vers l’Etat de droit et la démocratie pluraliste”in La réinvention de l’Etat, ibid. : 93-111. 15 23 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 répression violente) ou les écarter ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans les interdépendances qui existent entre les différentes forces politiques, dans la forme que prend l’Etat (partage du pouvoir, organisation de la multiculturalité) et dans ses moyens d’actions. La présence d'une administration qui fonctionne contribue à l'efficacité du processus de transition (Afrique du Sud, PECO). Le souci, ensuite, d'équilibrer les pouvoirs doit être constant pour prévenir le risque d'émergence d'un pouvoir autoritaire. La décentralisation peut jouer un rôle important dans cet objectif. Dans une situation de guerre (Afghanistan, Bosnie-Herzégovine, El Salvador, Ethiopie) ou de lutte (Afrique du Sud, Pologne), la première étape, pour les acteurs en conflit, est d’accepter le dialogue, d’abandonner les armes et de changer les termes de leur combat de la lutte armée au domaine politique. Cette situation d’exception (table ronde, négociations, accords de paix etc.) dans la vie d’un pays doit ensuite se normaliser dans les conditions d’une vie politique démocratique. L’exemple sud africain nous montre la difficulté de conduire des négociations et la fragilité de cette période-clé. L’émergence d’une « troisième force » venue s’interposer entre les deux protagonistes dont les intérêts convergeaient autour de négociations, se révèle fort nuisible. Elle est instrumentalisée par les opposants au processus de négociations pour le saper. Diversité des acteurs en présence et leur représentation dans le gouvernement : Un conflit ou l’oppression d’un régime totalitaire fait apparaître une grande diversité d’acteurs qui devront négocier et s’entendre sur le partage du pouvoir : élites locales, aristocratie tribale, chefs et dynasties traditionnelles, diasporas, chefs de guerres, chefs religieux, partis conservateurs et nationalistes, partis communistes et révolutionnaires, syndicalistes, nomenklatura, dissident, factions armées contre armée nationale, oligarques... Tous ces acteurs doivent trouver une représentation dans le nouvel Etat. Leur intégration à un espace politique doit être garanti par le pluralisme et un climat pacifié. Le désarmement et la réintégration des soldats à la vie civile est une étape primordiale dans ce processus. L’exemple afghan La démocratie et le pluralisme (lutte contre l’ethnocentrisme et pour une gouvernance à base élargie, défense des droits des femmes et des minorités) ont dominé les débats lors de la conférence de paix de Bonn. Une loya djirga d’urgence a ensuite été organisée pour décider qui assumerait la direction de l’Etat pendant la période de transition. C’est ainsi la conférence de Bonn qui a désigné l’Autorité provisoire et Hamid Karzaï son chef, représentant de l’Etat. La gouvernance à base élargie est un dosage subtil dans le choix des ministres et des 5 viceprésidents, désignés au sein d’ethnies différentes. La Loya djirga d’urgence s’est réunie le 11 juin 2002, et fut un jalon important du processus. Elle s’est tenue pendant 8 jours et a élu au scrutin direct et secret le chef de l’Etat pour la période de transition. Le cabinet de transition a vocation de lieu de regroupement des différentes factions politiques. Les quotas d’attribution tiennent surtout compte de la diversité ethnique. L’identité islamique de l’Etat a été affirmée et la constitution doit contenir les affirmations suivantes : - l’islam est la religion du pays - la charia est la source unique de la législation - le rite hanafite est le seul à appliquer par les juges 24 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 - ne peut être chef d’Etat qu’un musulman de rite hanafite; idem pour les ministres les institutions de l’Etat doivent être organisées en conformité avec la charia Le national est constamment mis au service du religieux. Les carences de la réflexion politique sont compensées par le message religieux. D’autre part Hamid Karzaï se réfère de plus en plus au rôle social globalisé des Talibans : le projet que portaient ces derniers était de conception ethnique voire ethniciste. Il s’agissait de rétablir la prédominance des Pashtouns face aux Tadjiks qui dominaient alors la scène politique et militaire. Ce projet inclut l’extension d’un nationalisme islamique dans tout l’Afghanistan et tout le Pakistan (y compris le Cachemire). Le processus est ainsi une succession d’étapes et de transitions et les innovations dépassent les pratiques en cours et s’appuient parfois sur la fiction 18 . La “gouvernance à base élargie” est censée garantir la quête démocratique par la défense de l’équilibre ethnique dans la gestion administrative, la constitution des assemblées, commissions et comités. L’attribution des postes est proportionnelle à l’importance des ethnies mais elle doit être relativisée selon l’importance politique des fonctions. Cet équilibre est une des conditionnalités de l’aide internationale. Elle n’est cependant pas exempte de conséquences négatives : l’extériorisation des appartenances rend les différences plus criantes ; le choix peut se faire au détriment des compétences. Fazelli s’interroge : “Ne sommes-nous pas en présence d’une situation où une conception étriquée de la démocratie se développe au détriment de la vraie démocratie ?” 19 . La qualité de la gestion en souffre. “Le risque existe que le gouvernement à base élargie se transforme en gouvernement à base éclatée” 20 . L’Etat afghan est centralisé et la question de la décentralisation reste floue. Il existe 3 échelons administratifs : welayat (circonscription administrative de base ; il en existe 34), woloswalé (sous-division d’une welayat), qaria (circonscription n‘ayant pas acquis l’importance d’un woloswalé et ne pouvant de ce fait bénéficier de la désignation d’un représentant de l’Autorité centrale). Karzaï possède une conception particulière et bien précise de l’Etat afghan : il compte restaurer la souveraineté nationale en instituant un gouvernement islamique dans lequel le saint Coran tiendrait lieu de loi. Dans cette projection vers l’avenir, ne figure ni la démocratie ni les droits de l’homme. L’objectif d’assainissement de l’administration n’a que pour recette la référence constante aux recommandations de l’islam. “L’approche de Hamid Karzaï, consistant à valoriser constamment les éléments religieux au détriment des institutions de l’Etat, ainsi que son désintérêt pour la démocratie instaurent une certaine distance par rapport aux accords de Bonn, qui eux étaient annonciateurs de changements” 21 . Karzaï favorise l’émergence d’un nouveau fondamentalisme, incarné par le Conseil des Oulémas, doctrinalement proche des Talibans. Ce Conseil revendique un rôle politique ; il revendique un Etat islamique alors que la constitution n’est pas encore approuvée par la loya djirga. Le Conseil va au-delà des prescriptions religieuses, en revendiquant un rôle actif, en tant que corps autonome de l’Etat. “Ce retour en force du religieux, conçu par Hamid Karzaï comme un moyen de contre-carrer l’extrémisme religieux des opposants au gouvernement, à savoir les Talibans et les terroristes d’Al-Qaeda, ne manquera pas d’affecter l’autorité de l’Etat” 22 . 18 Fazelli 2004 : 73. Ibid. : 130. 20 Ibid. 21 Ibid. : 152. 22 Ibid. : 155. 19 25 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Cette dérive est troublante quand l’administration associe l’ancien roi aux directives du Conseil des Oulémas : la monarchie en Afghanistan a toujours été un vecteur de progrès et d’ouverture. Les monarques dans le pays ont toujours craint l’interférence des religieux. “Ce serait méconnaître l’histoire que de confondre la légitimité religieuse avec la légitimité monarchique en Afghanistan” 23 . D’autre part, Karzaï en s’en prenant au Front islamique uni, majoritairement tadjik, recherche bien un soutien ethnique auprès des Pashtouns. Une cassure ethnique eut lieu à la loya djirga de la constitution entre les Pashtouns et les autres. Il n’existe pas d’architecture politique, le climat est fortement affectif. La dynamique dominante est celle des affinités ethniques. Dans ce climat, la persistance de cette cassure rend la présence internationale indispensable au maintien de la paix. Or cette semi-occupation limite la souveraineté et se révèle parfois incompatible avec son statut d’Etat indépendant. Les contours de cette gouvernance particulière ont été décidés lors de la conférence de Bonn, en accord avec l’ONU. La période de transition est calquée du modèle américain de démocratie avec des commissions indépendantes, le renforcement de l’appareil judiciaire, le développement de la société civile. La conception européenne a apporté la liberté de la presse et son développement. Des régressions sont à noter dans les dernières phases du processus : la loya djirga est manipulée par l’Autorité de transition ; il existe des incohérences entre démocratie et censure théologique. Mais on sait maintenant que la préférence de Karzaï va pour un parti politique unique. D’autre part, le fondamentalisme ressurgit, défendu par les anciens djihadistes. Des mutations économiques et culturelles sont indispensables pour qu’une dynamique de paix prévale durablement. Compte-tenu d’une insécurité croissante, “les Afghans maîtrisent mal le passage à l’institutionnalisation de l’Etat, toujours tributaire du soutien de la société internationale” 24 . L’Afrique du Sud présente une forme hybride d’Etat pour concilier toutes les conceptions du pouvoir et les revendications des différents groupes politiques : les relations intergouvernementales sont régies par le principe du “gouvernement coopératif”. Il établit 3 sphères de gouvernement non hiérarchisées – local, provincial et national. Le contrat politique est garanti par le droit de veto reconnu au Conseil National des Provinces (2e chambre du Parlement) sur toute proposition de révision du pacte fédéral. L’autonomie financière est cependant réduite. Ce système est bien hybride dans la mesure où étant fortement décentralisé, il est fédéral, cependant le pouvoir central garde le dernier mot. D’autre part, ce système permet d’intégrer les chefferies traditionnelles – elles ont été institutionnalisées par la création d’une représentation au niveau local et reconnues par l’Etat qui légitime ainsi leur participation au pouvoir – mais c’est en réalité une façon de les contrôler. En outre, leurs domaines de compétences ont été réduits : certains services publics liés au développement local leur échappent désormais, ainsi que la question foncière. Grâce à une politique du compromis, le partage du pouvoir est relativement réussi même si certaines questions restent encore ouvertes : notamment par manque de clarté, ce système instaure un mode diffus de domination du pouvoir central. Au Salvador, on ne peut pas dire que l’Etat ait développé après la guerre un système de partage du pouvoir satisfaisant pour les anciennes parties au combat. Cependant la victoire 23 24 Ibid. : 156. Ibid. : 26. 26 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 des factions révolutionnaires armées réside dans leur reconnaissance en tant qu’acteur politique légitime. Groupées autour du FMLN, ce dernier est aujourd’hui un parti politique légal qui s’oppose à l’ARENA, l’alliance républicaine nationaliste, à chaque scrutin mais n’a pas encore remporté d’élections. La Chine représente un Etat ancien. La question ne réside pas tant dans son émergence que dans ses modes de fonctionnement compte tenu de l’immensité de cet empire et de la diversité culturelle. Malgré la très forte centralisation du système, des régions tentent d’échapper à l’autoritarisme central. Il s’agit du Xinjiang où les minorités turcophones musulmanes aspirent à une autonomie politique et du Tibet qui revendique son indépendance. Cependant ces processus sont sources de tensions parfois extrêmes et entretiennent une conflictualité permanente. Pour les dirigeants chinois, il n’est pas question de partage du pouvoir mais au contraire de son accaparement dans une logique de colonisation. La difficile émergence de la démocratie L’instabilité est source de régression et de destruction. Elle cause conflits, inflation et insécurité économique, changements de gouvernement, militaires notamment, violations des droits de l’Homme etc. Cependant certains schémas de stabilité peuvent être tout aussi destructeurs, comme en Amérique latine, par exemple, où l’héritage persiste du colonialisme ibérique a été transformé pour servir les nouvelles générations de juntes. Les dirigeants ont justifié et assuré leur pouvoir par une culture et des institutions qui considèrent la population comme un groupe et non comme des individus dont il faut tenir compte des besoins et du niveau de vie. Ces classes de dirigeants sont là pour poursuivre avant tout leurs propres intérêts. Ainsi les obstacles rencontrés par la démocratie et le développement sont dus aux institutions et à leur culture et non aux seuls dirigeants. Il faut donc des dirigeants avec un nouvel esprit pour consolider le soutien populaire en vue de changements durables. En Afghanistan, la démocratie a été littéralement sacrifiée au profit de l’autocratie, dans le cadre d’une république islamique pour servir un homme et une stratégie internationale. “Comme doctrine sociale, la démocratie est restée incomprise en Afghanistan. Expression d’un mouvement séculaire pour faire participer le peuple au pouvoir, elle est identifiée par les djihadistes aux évolutions survenues en Occident pour accroître la liberté des mœurs et promouvoir une société dépravée” 25 . Le choix constitutionnel d’un pouvoir fort, répond à différentes attentes : - un régime présidentiel à l’américaine identifié à l’idéal de démocratie, aménagé pour la république islamique - l’ambition personnelle de Karzaï et ses visions autocratiques Dans l’état de désordre actuel, l’autocratie apparaît malheureusement comme le meilleur moyen de réorganiser le pays. Le gouvernement central afghan a besoin de ressources, de puissance et donc de prestige pour conduire sa politique. En même temps, s’il est capable de la conduire, elle lui apportera également tout cela. Aujourd’hui l’Afghanistan tel que Karzaï l’organise est comparable à un Etat féodal, animé de rapport d’allégeance et non plus clientélisme. 25 Ibid. : 216. 27 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 En Russie, le jeu politique se joue entre l’armée, les oligarques et le pouvoir politique, loin de tout fonctionnement démocratique. Le pouvoir n’est pas partagé mais arraché par le plus puissant et le meilleur stratège. Le pouvoir politique substitue une partie des prérogatives de l’armée au bénéfice de structures de forces dépendant du Ministère de l’Intérieur. La pénétration de celles-ci dans la sphère politique témoigne d’une conception du pouvoir antidémocratique : c’est la « dictature de la loi », une « démocratie dirigée », et enfin la « verticale du pouvoir », expressions chères à Poutine. Les partis politiques ne sont pas structurés de manière cohérente ce qui réduit la fonction de contrôle du Parlement. De plus, le président n’appartenant à aucun parti, leur légitimité est affaiblie. Les pouvoirs entre le président et le Parlement connaissent un grand déséquilibre. Enfin, le système judiciaire est soumis au pouvoir politique. L’enjeu du pouvoir en Russie réside bien dans l’Etat : si ce concept a connu un déclin depuis 1991, il est réinvesti par Poutine à partir de 2000 (après son élection comme président). Boris Eltsine, premier président de la Fédération de Russie, avait contribué à la déliquescence de l’Etat et la baisse de confiance des Russes dans leurs dirigeants en accroissant l’autonomie régionale ; il avait encouragé les gouverneurs à prendre autant d’autonomie qu’ils le pouvaient. La reprise en main de l’Etat par Poutine correspond à sa restauration et à l’augmentation de sa côte de popularité. Les Russes n’aiment pas un Etat central faible : il n’assure pas ses fonctions de régulation. Eltsine avait commis l’erreur de ne pas structurer clairement le fédéralisme qu’il comptait mettre en place. De son côté, Poutine, en supprimant l’élection des gouverneurs, pratique une ingérence qui bouleverse les réseaux d’influence régionaux. L’exercice du pouvoir et l’avenir de la démocratie en Russie L’autoritarisme doux de Poutine représente, dans la Russie d’aujourd’hui, la force la plus prooccidentale. En même temps, il n’est pas assez radical pour créer une résistance puissante ce qui explique qu’il parvient à s’associer des libéraux voire des démocrates. Cependant le glissement vers une dictature authentique se profile. Enfin l’enjeu sécuritaire aide considérablement l’exercice du pouvoir au niveau national par la lutte contre le terrorisme au niveau international. En Bosnie-Herzégovine, les communautarismes s’opposent à la citoyenneté. Ce constat est le résultat d’une évolution : les identités et les appartenances étaient fluides, non exclusives et les syncrétismes régnaient jusqu’à l’importation des concepts d’ethnie et de nation. Les identités se figent alors et se concurrencent. Toutefois, l’évolution des millet est différente des nationalismes voisins : les mobilisations communautaires tiennent l’Etat à distance quant les nationalismes cherchent à l’investir. On note une tradition de distance avec l’Etat, d’autonomie vis-à-vis de lui, dans l’ère culturelle yougoslave. Paradoxalement, l’institution du parlementarisme s’est ici accompagné d’une institutionnalisation des communautarismes car les partis politiques possède une identité nationaliste. Ils revêtent les identités des communautés. Le communisme yougoslave, comme son équivalent soviétique, a ainsi renforcé les identités “nationales” puisqu’il a fait des identités musulmanes, juives, ouzbèkes etc. des nationalités, à l’opposé de la fusion révolutionnaire des peuples. Droits collectifs et démocratie 28 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 La politique européenne de protection des minorités a évolué, de 1992 à 1998, de la promotion de l'intégration à celle de la ségrégation linguistique, prônant les droits collectifs et favorisant l'avènement de modèles d'Etats ethniques (Hongrie, Roumanie). Par cette politique, l’UE favorise l’établissement de communautés en encourageant l’enseignement par exemple dans les langues minoritaires. La langue nationale n’est plus majoritairement celle de l’enseignement. A quelle communauté nationale donnera naissance une telle école ? L’ethnicisation rampante du système politique et des relations conduit à une ethnocratie. Les élections ne garantissent pas une alternance politique mais favorisent la concurrence entre groupes qui se répartissent les sphères d’influence politiques et économiques. On assiste ainsi à une désintégration de l’Etat : certains services publics sont confiés aux communautés, l’enseignement par exemple. Cette logique pousse les communautés à se tourner vers l’Etat voisin, perçu comme la Patrie. Cette opinion personnelle 26 doit en effet conduire à une réflexion sur la nature des relations entre les institutions européennes et les entités locales, les régions ou les Etats : à quelle(s) identité(s) donnera lieu ce système ? A-t-il de meilleures chances de créer une identité européenne ou de morceler les identités ? L’identité étant un concept dynamique, elle sera forcément teintée d’une multitude de composantes : seront-elles régionales ou nationales ? Le défi de l’Union européenne n’est-il pas d’instaurer une identité européenne qui pallie les difficultés d’apparition d’identités nationales, notamment en Europe centrale ? B – Les processus instituants Dans le cas de sortie de guerre comme dans celui de reconstruction d'un Etat, il s'agit de créer un espace collectif, un sentiment national, un Etat dans lequel se reconnaît l'ensemble de la population. Il s'agira aussi de s'interroger sur la manière dont est perçu et organisé le bien public ? Quelles formes de solidarités existent et quel désir de vivre ensemble ? La réconciliation La réconciliation apparaît bien comme la première des étapes à entreprendre au lendemain d’un conflit pour ensuite pouvoir envisager un avenir commun. Le paradoxe réside dans le fait que cette étape est également la plus longue à réaliser. Seul le temps peut atténuer les blessures provoquées par le conflits et calmer les esprits emprunts de vengeance. Ce processus peut prendre plusieurs décennies. Des mesures peuvent cependant favoriser et encourager la réconciliation à terme et assurer la coexistence entre les anciens protagonistes. Les accords de Bonn prévoient, parmi les fonctions exercées directement par les Nations Unies en Afghanistan, d’enquêter sur les plaintes concernant les violations des droits de l’homme et d’appliquer remèdes et sanctions. Mais tous les protagonistes ont encore en mémoire les échecs des tentatives de réconciliations antérieures même quand elles étaient magnifiées par des cérémonies religieuses et des visites aux lieux saints de La Mecque et de l’Iran 27 . Le discours de Kofi Annan, notamment mais il n’est pas le seul, les prie de ne pas répéter les erreurs du passé. « Les participants ont ainsi saisi l’importance historique de l’événement et ont adhéré à son appel et à son esprit. (…) Ils ont admis que les ruses et les pressions partisanes devaient 26 Pierre Hillard in « La décomposition des nations européennes. De l’Union euro-atlantique à l’Etat mondial », éd. FrançoisXavier de Guibert, 2005. 27 Op. cit. Fazelli : 62. 29 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 désormais céder la place à l’entente et à la réconciliation. (…) La responsabilité devant le peuple et devant la nation a pris le pas sur les promesses vides (…)» 28 . « Il n’y a pas eu de réelles transformations de l’Afghanistan. Nous avons une constitution mais personne ne la fait appliquer, des lois mais quasiment pas d’institutions pour qu’elles soient respectées. Peu d’initiatives ont été prises pour instaurer la justice et marginaliser les criminels de guerre et ceux qui violent le plus les droits de l’homme » 29 . Le président Karzaï de son côté défend l’action de l’administration afghane, malgré les reproches qui lui sont adressés en termes de lenteur et d’inefficacité, en expliquant qu’il donne la priorité à l’établissement de la paix. La justice est pour lui encore un luxe que son pays ne peut pas se payer 30 . Le pays ne connaît pas de grande organisation de défense des droits de l’homme, de tribunal, de commission Vérité. Les enjeux de la réconciliation en Afghanistan sont lourds : le combat des mudjahidins contre l’agresseur étranger revêt un caractère de noblesse ; toute critique des mudjahidins est assimilée à un blasphème. Le combat possède une valeur culturelle positive et prestigieuse dont il faut tenir compte. D’autre part, tous les camps sont impliqués dans des combats. Il faut donc s’entendre sur la définition des crimes à poursuivre. Si une amnistie était déclarée, elle représenterait cependant de réels dangers pour la construction future de l’Etat. Les souffrances ont besoin d’être reconnues. Enfin, tout le monde craint que la situation actuelle soit trop fragile pour entamer une telle procédure. Le second risque est alors de stabiliser un ordre injuste. La priorité semble donc être au désarmement et à la démobilisation des combattants. L’enjeu de l’amnistie : Afghanistan (veiller à ce qu’elle ne soit pas déclarée), Salvador (rôle central dans la pacification mais elle se révèle être un obstacle à la réconciliation, elle semble maintenant s’imposer). La Bosnie-Herzégovine présente un cas comparable à celui de l’Afghanistan dans la mesure où les traumatismes de la guerre sont difficiles à réparer. La communauté internationale, voulant contribuer à cette réconciliation, a entrepris de reconstruire symboliquement les ponts de la ville emblématique de Mostar. Par contre, comment peut-on reconstruire la multiethnicité alors qu’ils vivent des vies complètement séparées, que tous les réfugiés ne sont pas rentrés et que beaucoup ont émigré. Une nation. Les identités nationales Dans les PECO, il fallait remplacer un rêve par un autre : la nation remplace le communisme. Elle a servi de moyen de libération du communisme. Ainsi, l’identité nationale, menacée par le communisme et l’internationalisme, est attachée à la résurrection de l’esprit. C’est 28 Ibid. : 63. Propos de Nader Nadery de la Commission indépendante des droits de l’homme, recueillis par Françoise Chipaux, Le Monde 25 août 2005. En effet, en application des accords de Bonn, l'Afghanistan s'est doté, en juin 2002, d'une commission indépendante des droits de l'homme présidée par Mme Sima Samar. Cette commission peut recevoir les plaintes des citoyens afghans et procéder à des enquêtes mais les obstacles qu'elle rencontre dans sa mission sont multiples. La commission organise par ailleurs régulièrement des séminaires destinés à sensibiliser les Afghans à la question du respect des droits de l'homme. 30 Entretien avec Hamid Karzaï, Le Monde2, numéro 83, du 17 au 23 septembre 2005, propos recueillis par Annick Cojean. 29 30 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 pourquoi, certains pays ont opté pour le modèle d’Etat-nation. Le nationalisme apparaît dans ce contexte comme une idée libératrice 31 . « Les communistes se sont transformés en nationalistes afin de promouvoir une idée et en même temps un sentiment de liberté dans les masses. Ceci étant bien visible en Serbie, où les ex-communistes ont adopté les institutions religieuses et même les rites, ce qui avait été interdit autrefois par le parti communiste » 32 . La constitution de la Pologne suit l’exemple de la révolution française ; la nation est mentionnée dans le préambule. Elle est identifiée avec le corpus des citoyens. Dans cette constitution, la République est le bien commun de tous les citoyens. Paradoxe de la constitution yougoslave actuelle qui en dépit de l’héritage titiste et soviétique de la multiethnicité, n’y fait plus aucune allusion : la République fédérale de Yougoslavie est conçue comme un Etat fédéral souverain, fondé sur l’égalité des citoyens ainsi que sur l’égalité des républiques. La Bosnie-Herzégovine, elle, est fondée sur un nationalisme encadré, innovation représentée par la notion de peuple constitutif. Le texte fondateur reconnaît 3 peuples constitutifs : les Bosniaques, les Serbes et les Croates « en les plaçant à côté des citoyens » 33 . Le « peuple constitutif » équivaut à la nation. Les Etats qui devaient seulement manifester la fin de leur attachement au bloc soviétique se sont appuyés sur un nationalisme plus faible que ceux qui ont dû procéder à la sécession d’un Etat. La Russie et l’Ukraine ont conservé leur multiethnicité. Du point de vue terminologique, le « peuple » ne correspond pas à tous les citoyens mais fait appel à la notion d’ethnicité. Ainsi le Peuple ne désigne pas la Nation. Le 4 février 2003, la république fédérale de Yougoslavie devient l’Union Serbie-Monténégro. Ce changement de nom témoigne de la difficulté des recompositions tant que les querelles ne sont pas évacuées. Les institutions étatiques en Russie Anna Politkovskaïa 34 décrit le système judiciaire, dans un chapitre intitulé “Notre retour au Moyen Âge”, comme un système qui produit des accusés et des chefs d’accusation pour éliminer des personnalités gênantes. “Le voile de ténèbres dont nous avons cherché à nous libérer pendant plusieurs décennies de régime soviétique se referme sur nous. Les affaires de ce type sont chaque jour plus nombreuses et deviennent la règle plutôt que l’exception. Le FSB torture pour fabriquer de toutes pièces des dossiers bidon avec la complicité des magistrats et du parquet” 35 . C’est le cas de Islam Khassoukhanov, premier Tchétchène diplômé de l’Académie militaire, officier de la marine russe, il prend la tête de l’inspection militaire puis de l’état-major opérationnel dans le gouvernement de Maskhadov ; il sera accusé de terrorisme et condamné à 12 ans de travaux forcés. La tragique affaire Boudanov (colonel de l’Armée russe qui a enlevé puis sauvagement assassiné une jeune Tchétchène, Elsa Koungaïeva, 18 ans) a fait apparaître au grand jour les 31 Dragoljub Popovic, « Les ambiguïtés de la conception post-communiste de l’Etat-nation : fondements constitutionnels de l’Etat-nation », in La réinvention de l’Etat, Slobodan Milacic, sous la direction de, éd. Bruylant, Bruxelles 2003 : 65-75 32 Ibid. : 67. 33 Ibid. : 72. 34 Anna Politkovskaïa, La Russie de Poutine, éditions Buchet/Chastel, Paris, 2004. 35 Ibid. : 51. 31 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 mutation pathologiques subies par le système judiciaire sous l’influence de Poutine et de la guerre. “La réforme qu’avaient tenté de mettre en place les démocrates, et qu’Eltsine avait soutenue de son mieux, ne résista pas à la pression suscitée par cette affaire. Parce que pendant plus de trois ans nous eûmes amplement l’occasion de constater que notre appareil judiciaire n’avait aucune indépendance, que nos magistrats restaient inféodés à l’exécutif et aux politiques et que, plus effrayant encore, l’opinion publique ne voyait là rien d’anormal. Manipulés par la propagande, les Russes, dans leur grande majorité, sont revenus à un mode de pensée de type bolchevique”. Or dans cette affaire un juge osa l’impensable en condamnant un officier défendu par l’establishment militaire qui avait justifié son crime par les nécessités de la guerre. La gestion de la plurticulturalité La plupart des Etats étudiés reposent sur une population multiethnique. Le sentiment national unitaire, dans ces conditions, est difficile à émerger. En Afrique du Sud, la construction identitaire a fait appel à la métaphore de l’arc-en-ciel – the Rainbow Nation - pour fédérer tous les groupes autour du même projet social ; ce leitmotiv recherche l’homogénéité dans la diversité. Comme bien souvent, la multiethnicité se double de plurilinguisme. Dans ce pays, le sentiment national unitaire reste encore fragile. En Afghanistan, le rééquilibrage ethnique a été le souci prioritaire des organisateurs de la conférence de Bonn. Les Talibans étant pashtouns, un tel rééquilibrage s’imposait, cependant, le régime antérieur dirigé par les mudjahidins connaissait le même déséquilibrage, au bénéfice des Tadjiks cette fois. A ce titre-là, l’ancien roi et Hamid Karzaï ont eu dans ces conditions un rôle politique de première importance. La conférence de Bonn avait prévu d’écarter à la fois les chefs djihadistes et les Talibans. Karzaï s’est d’abord rapproché des djihadistes, les a associés au processus et même intégrés à l’administration. Ainsi la dynamique djihadistestalibans a ressurgi et les structures écartées par le processus de Bonn sont réapparues. Néanmoins, l’administration afghane fonde son action sur un principe qui accorde une large place au partage du pouvoir, il s’agit de la « gouvernance à base élargie ». D’autre part, concernant la vie sociale, de nombreuses langues minoritaires ont été reconnues comme langues officielles dans leurs localités d’implantation. Le rite djaafarite (chiite) a été introduit pour la première fois dans l’histoire afghane comme source autonome de droit dans tout ce qui concerne le statut personnel des Chiites, comme source supplétive dans les autres cas. Plutôt qu’un renforcement de la cohésion sociale, ces étapes franchies doivent être vues comme un allègement des pressions ethniques. Le marchandage politique caractérise bien souvent ces initiatives ce qui comporte le risque d’entraîner un désordre administratif et une inconséquence juridique. Enfin, ces situations d’exception accentuent les différenciations internes déjà suffisamment nombreuses. On peut regretter que l’accord de Dayton n’ait pas conservé les habitudes multiculturelles en Bosnie-Herzégovine. Le cycle de rupture des empires multinationaux intervenu de 1850 à la 1e guerre mondiale a donné lieu au développement des Etats-nations modernes. Cette fragmentation des anciens empires a fait émerger des pièces nationales. C’est donc la consécration d’un système complexe d’identités nationales fondées sur la religion, langue et affiliation ethnique. Chaque groupe développe ainsi son caractère national. La mémoire mythique de rôle passé et de l’extension territoriale, les tendances irrédentistes ouvrent la voie au conflit. 32 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Le manque d’Etat En Afghanistan, l’espace politique à l’extérieur de la capitale est occupé ou contrôlé par les djihadistes ou les Talibanss. Il manque à l’autorité de transition une vision d’ensemble d’une intégration politique durable. Le manque d’Etat a donné naissance à des groupements ethniques ou tribaux qui recherchent un rôle politique en marge de l’Etat. Une conscience ethnico-politique est en train de se développer telle que ça n’a jamais été le cas dans la mémoire historique du pays. La politisation à outrance a constamment détourné l’attention des préoccupations essentielles du processus : cohésion sociale et développement économique. Ce dernier se réduit à l’action des ONG. Identités supranationales Des identités supranationales peuvent à la fois émerger de périodes de conflits (violents ou non) et par effet de retour alimenter les identités nationales. En Afghanistan, la victoire des maquisards afghans face à l’Armée rouge fait de ce pays le nouveau centre de l’identité musulmane moderne et son symbole. La résistance afghane et sa victoire spectaculaire – face à une des premières armées du monde, face à un empire – brise l’image d’humiliation constante des pays et des peuples musulmans par des puissances armées non-musulmanes depuis la destruction de l’empire ottoman en 1917. Seuls 3 pays ont pu incarner cette fierté retrouvée de l’islam en arrachant leur indépendance les armes à la main, à travers des sacrifices héroïques : « civilisation dont le sens très viril de l’honneur, fiché jusqu’au très-fond de l’inconscient collectif populaire, demeure après tout fort guerrier» 36 . Il s’agit de la Turquie (1923), de l’Algérie (1962) et de l’Afghanistan (1989). Pourtant le sens de ces guerres de décolonisation a été brouillé pour les musulmans du monde puisque les régimes turcs et algériens se sont affranchis des puissances européennes en se réclamant d’un patriotisme laïc (kémalisme et FLN). La composante strictement religieuse de l’identité étant reléguée à la sphère privée. L’Afghanistan avait fait de même en 1919 (reconnaissance de l’indépendance du royaume afghan par l’Empire britannique des Indes) en s’engageant sur le voie du constitutionnalisme et du nationalisme laïc ce qui a donné lieu à une décennie de démocratie parlementaire et de liberté de la presse avec la constitution de 1964, malgré les résistances rurales, tribales et religieuses qui avaient fait échouer la première constitution de 1923. L’Afghanistan a donc connu à cette période un Etat de droit moderne de type international. Face à cette mouvance, s’érigent la résistance et son identité islamique, voire fondamentaliste, pour qui la victoire et le rétablissement de la souveraineté nationale sont le triomphe de l’islam, synonyme de retour d’un Etat fondé sur la charia, triomphe de la foi militaire sur les mécréants. Intégration régionale L’intégration régionale peut venir pondérer les velléités nationalistes des Etats. La Slovaquie, nouvellement indépendante, avait basculé dans un nationalisme virulent (entre 1992-1998, sous la direction du Premier ministre Meciar), finalement maîtrisé par la voie 36 Fazelli, préface de Michael Barry, 2001 : 12. 33 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 électorale en 1998, puis confirmé en 2002. La minorité hongroise a été incluse dans un gouvernement de coalition modérée pro-européen ce qui a permis une détente avec la Hongrie. Cette amélioration est due à la perspective principale de l’entrée dans l’Union européenne 37 . L’importance de développer une coopération est donc capitale dans ces régions fragiles qu’il est possible de transformer en réseaux de communication et d’échanges entre aires germaniques, slaves et latines. Dans cette perspective, la présence des deux côtés de la frontière de minorités nationales partageant des liens socio-culturels traditionnels se révèle être un moteur essentiel de la coopération transfrontalière. 4 - La société civile Nous proposons une définition plus large de la société civile : la définition occidentale ne reconnaît l'existence d’une société civile qu’en présence d'ONG, de syndicats, de partis politiques... Nous étudierons différentes sortes de structurations et d'organisations des sociétés qui peuvent constituer des leviers de pouvoir pour le futur. La place des diasporas sera étudiée pour analyser les changements qu'elles peuvent apporter à une société, selon en particulier l’exemple de l’Ukraine et de la Géorgie où le Premier Ministre est une ancienne fonctionnaire française. Anna Politkovskaïa 38 analyse le procès Boudanov comme une révélateur de la non-réactivité des Russes. Au cours de la longue mascarade de procès durant laquelle le colonel Boudanov était couvert par la hiérarchie militaire et que son crime était justifié “par les nécessités de la guerre”, les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas manifesté pour dénoncer cet odieux procès. D’autre part, les femmes russes, dans leur grande majorité, n’ont pas exprimé leur haine pour ce violeur et ne se sont pas identifiées à la famille de la victime. Lorsqu’il a été innocenté, l’opinion publique ne s’est pas indignée. Toute la Russie jugeait que c’était juste et normal. Elle constate la même passivité et absence de réaction face à un certain nombre de faits divers révoltants - vieil homme de plus de 80 ans, vétéran de la Seconde guerre mondiale, mort de froid dans son appartement de Irkoutsk. Poutine lui-même est resté muet sur cet événement et la nation russe a accepté ce silence. En Russie, l’action au pouvoir de Vladimir Poutine a détruit tous les piliers traditionnels de l’opposition (partis politiques, médias, oligarques). L’opposition politique est même maintenant apparentée à une dissidence. La captation des richesses au moment des privatisations a largement contribué à étouffer la culture démocratique naissante. La passivité et l’apathie sont héritées du régime de terreur et participent à l’érosion de la cohésion sociale. Le Parti de la Démocratie chinois a connu une éphémère existence et il fut finalement interdit. Mais en 1987, les élections de comités de village permettent l’émergence d’une culture démocratique même si elles ne représentent pas un réel mécanisme démocratique du fait de la corruption, du manque de compétition électorale, de l’absence de pouvoir des comités puisque les décisions sont prises par les cellules locales du parti. D’un autre côté, la croissance exponentielle des publications et des moyens de diffusion rend de plus en plus difficile le travail des censeurs. Internet est un enjeu de taille pour le pouvoir qui se fait aider de firmes 37 « La Pologne dans son environnement géopolitique » par le professeur Jacek Wozniakowski, premier maire élu de Cracovie ; entretien avec Pierre Verluise http://www.diploweb.com/forum/wosniakjac.htm 38 Op. Cit. 34 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 étrangères pour mettre en place un système de contrôle et de censure de certains sites, de certains mots (démocratie, liberté). Il procède également à des fermetures de cybercafés. L’hégémonie du PCC malgré quelques tentatives de créer d’autres partis demeure. La direction donnée est celle du développement économique et du dirigisme contre la liberté et la démocratie. Les intellectuels, de leur côté, ne sont pas arrivés à se structurer en force extérieure au PCC. Les lettrés ont une conception paternaliste et n’hésitent pas à recourir à l’argument culturaliste selon lequel la société chinoise n’est pas assez éduquée. L’idée d’égalité n’est pas au cœur des revendications. Les tentatives de résistance rencontrent plusieurs obstacles comme la répression extrêmement dure exercée par le pouvoir et surtout l’absence de mémoire des événements du fait de la censure et de la propagande du régime qui empêche une conscience collective d’émerger. 5 - L'économie Dans le vaste champ économique, nous choisissons d'étudier plus spécifiquement les thèmes de : - la création d'un secteur privé et de son organisation pour voir s’il assure les fonctions de redistribution des richesses (création d’emplois) et d’accès à un certain bien-être. - l'influence de la mondialisation, souvent synonyme pour les petits Etats de dépossession des politiques économiques et de problème d'accès aux marchés mondiaux. Dans les pays étudiés, on se trouve face à des économies difficiles à définir, en pleine transition, où bien souvent le désordre domine du fait de ce processus inachevé. Par ailleurs, des phénomènes de dépendance vis-à-vis de la communauté internationale sont visibles En Russie, Anna Politkovskaïa fait observer que l’économie russe est un “curieux hybride de libéralisme, de dogmatisme et de tout un bric-à-brac de spécialités locales”. “La doctrine économique de Poutine, c’est l’idéologie soviétique mise au service du grand capital. Elle laisse au bord de la route des horde de pauvres, de déclassés et favorise dans le même temps la résurgence de notre bonne vieille nomenklatura, cette élite de bureaucrates qui dirigea notre pays du temps de l’URSS”. 39 Le système exigeant la loi et l’ordre, l’élite doit veiller à ce que la population des démunis ne vienne pas entraver son enrichissement. La corruption atteint des sommets inégalés par les régimes précédents. Elle agit comme une nuisance pour les petites et moyennes entreprises et laisse au contraire prospérer les grandes sociétés, les monopoles et les firmes semi-publiques qui sont les premières pourvoyeuses de pots-de-vin. Cette corruption s’explique par la volonté de Poutine de gagner les faveurs des anciens du régime soviétique : “La nostalgie de ces gens est si forte que l’idéologie qui sous-tend le capitalisme à la sauce Poutine se rapproche chaque jour davantage de l’état d’esprit qui a régné au plus haut de la période de stagnation des années Brejnev, de la fin des années 70 au début des années 80” 40 . Dans le même temps, la société russe a été entièrement restructurée : la classe de l’intelligentsia scientifique et technique a disparu – émigrée ou déclassée dans les métiers au plus bas de l’échelle sociale. Les valeurs hier méprisées, comme le commerce, ont construit les fortunes d’aujourd’hui. Ces mutations ont des conséquences graves sur la solidarité : les 39 40 Op. Cit. : 106. Ibid. : 107. 35 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 individus qui ont servi l’Etat sont abandonnés dès lors qu’ils ne sont plus utiles. Ainsi le récit d’un ancien espion est particulièrement éloquent : après avoir servi les intérêts de la Russie en Asie centrale (en installant au pouvoir les actuels présidents) et en Tchétchénie, la hiérarchie militaire lui refuse une retraite et un appartement de fonction. Dans la plupart des cas, il s’agit de conflit personnel avec un supérieur hiérarchique qui, par vengeance, exerce un pouvoir de nuisance sans borne puisque aucune juridiction ne contrôle l’exercice du pouvoir. De la même manière, sont abandonnés les retraités, les vétérans de guerre, les plus vieux pour qui même les services des urgences ne font plus un geste. Les services publics sont en déshérence : ils ne fonctionnent pas alors que les usagers versent des cotisations qui d’ailleurs augmentent régulièrement Pour réussir dans les affaires aujourd’hui en Russie, il faut remplir 3 conditions : mettre la main sur un bien appartenant à l’Etat, et c’est pourquoi les principaux hommes d’affaires du pays appartiennent à la nomenklatura communiste (Jeunesses communistes et PC); ensuite il faut rester proche des autorités en leur versant des subsides, ou bien en se faisant élire; enfin il faut s’assurer la protection des forces de l’ordre en les intéressant aux profits 41 . En Afghanistan, on observe un timide redémarrage de la vie économique, avec notamment un réchauffement du marché intérieur ce qui s’explique par les fonds versés au titre de l’aide extérieure et à la reprise du secteur de la construction dans la capitale, due au retour des expatriés. Malgré la mise en circulation du nouvel afghani, la monnaie pakistanaise est toujours en circulation dans le Sud et l’Est du pays. Dans ce pays, on voit que la question économique empiète sur l’enjeu sécuritaire du fait de l’importance de la culture du pavot. Dans ce domaine, on constate une certaine réussite, dans de nombreuses régions les cultures ont été détruites mais ces actions restent un désastre si elles ne sont pas remplacées par des cultures alternatives. Malgré une reprise économique en 2003 entre 10 et 12% du PIB - sans compter les revenus de la drogue – l’Afghanistan se situe au 173e rang sur les 178 pays figurant dans le classement de l’Indice de Développement Humain du PNUD. Les conflits à long terme agissent comme les plus sûrs vecteurs de sous-développement chronique et les indicateurs pourraient empirer si les priorités ne sont pas données au développement économique et social. Les nouveaux programmes de développement doivent être centrés sur l’éradication de la pauvreté et le modèle doit être questionné : une économie libérale concentrée sur l’amélioration du secteur privé comme moteur de croissance est-il le plus adapté à une situation d’après conflit ? par ailleurs, il faut prendre en considération les risques que représente un afflux soudain et très important de capitaux qui pourrait encourager la dépendance et la corruption. L’absence de reprise économique nuit considérablement aux avancées de la transition politique au point de la faire échouer : le mécontentement des populations qui ne voient pas leur sort s’améliorer perdent toute confiance dans leurs dirigeants (l’Afrique du Sud, et dans une autre mesure la Bosnie-Herzégovine, le Cambodge et l’Afghanistan). Inversement, l’économie peut venir au secours de la politique dans le cadre de processus d’intégration régionale. La Commission internationale sur les Balkans, présidée par Giuliano Amato, dans son rapport rendu en avril 2005 conclut qu’aucun problème de fond n’a été résolu dans cette région en dépit du calme apparent, gagné au prix d’une forte présence 41 Ibid. : 143. 36 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 militaire de l’OTAN et d’une aide internationale conséquente. Il préconise, pour sortir du cercle vicieux, l’adhésion à l’Union européenne. Dans le contexte de l’Asie centrale ex-soviétique, on observe un lien fort entre les réformes économiques et l’ouverture du système politique. En effet, au Kirghizstan et au Kazakhstan, où les réformes économiques ont conduit à une plus grande redistribution des biens étatiques, les élites politiques ont connu un plus grand renouvellement. Cette grille d’analyse permet de décrypter les enjeux de la démocratisation dans d’autres pays, et Haïti est à ce titre un exemple éloquent : depuis une décennie environ, l’ingénierie institutionnelle internationale tente d’accompagner ce pays dans la transition démocratique et le développement économique (opération de maintien de la paix, d’observation, de stabilisation, aide internationale). Pourtant, le pays est apparemment animé du plus grand chaos et l’économie recule sans cesse. Les relations politiques reposent sur une dualité singulière et fondamentale, depuis l’abolition de l’Etat colonial, entre une élite créole occidentalisée et la masse afro-paysanne des campagnes. Ce fondement perturbe l’idée même de nation qui n’a pu encore aboutir. Pour être source de dynamisme, cette dualité doit être reconnue. L’Etat suscite auprès des Haïtiens un rejet instinctif et ils éprouvent une grande défiance vis-à-vis de cet Etat qui les a instaurés comme ses adversaires irréductibles. Par ailleurs, le binôme armée-nation ne permet pas l’émergence des idéaux tels que la démocratie. L’anthropologue Gérard Barthélemy 42 voit dans le rejet de toute aide la répétition du refus initial lié à l’émancipation fondatrice, l’abolition de l’esclavage. Par ailleurs il note l’importance de reconnaître les structures locales et de leur donner le pouvoir d’initiative et de contrôle. Enfin il apparaît essentiel de procéder à des recensements : pour mieux se connaître, reconnaître tous les groupes de la société, ne pas craindre la diversité, ne pas rechercher une image artificielle d’unité et d’homogénéité en essayant de créer des histoires qui ne parviendront pas à jouer le rôle de mythes fondateurs, mais au contraire reconnaître la diversité, la respecter, traiter tous les groupes à égalité, leur donner une place et ainsi parvenir à un sentiment d’appartenir à une nation. D’autre part, la Colombie dans la situation actuelle peut être considérée en phase de sortie de conflit et ainsi faire l’objet d’une analyse en termes de transition. Cette perspective est sérieusement envisagée d’autant plus qu’elle répond à une demande locale (voir document en annexes). 42 Gérard Barthélemy, « Haïti, l’ordre sous le chaos apparent » Le Monde 5 septembre 2005. L’univers rural Haïtien. Le pays du dehors, L’Harmattan, Paris, 1991. 37 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 38 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Index des fiches par pays Afghanistan La militarisation de l’action humanitaire La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité Les enjeux de la formation de l’armée nationale L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain Afrique du Sud Vecteurs de transformation Mandela et De Klerk : D'adversaires à alliés Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle ? Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel » ? L'expérience de Stutterheim, un exemple de développement local Bosnie-Herzégovine Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance Un espace collectif, les Mjesna Zajedna Communautarisme, démocratie et Etat La reconstruction du secteur économique Chine Changements et continuité Autorité et continuité La place de l’individu dans la société Quelle société civile ? El Salvador Une convergence d’intérêts internes et externes « De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador ». La commission Vérité et Réconciliation Ethiopie-Erythrée Une paix gagnée par le retrait du financement militaire Ouzbékistan La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition Relation au pouvoir et société civile Généalogies et alternance au pouvoir (Kirghizstan) Le contrat fondateur et sa rupture Indépendance et construction nationale La privatisation des services de l’Etat par les ONG (Kirghizstan) Les promesses de la société civile Pologne / PECO Les droits collectifs, l’Etat et les organisations européennes Lustration à l’Est. Purification et réconciliation dans les administrations Russie La reconquête de la puissance Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe Les obstacles à la mobilisation de la population russe Les écueils de la transition vers l’économie de marché 39 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 40 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Index des fiches par ordre de présentation 1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale Vecteurs de transformation en Afrique du Sud Une paix gagnée par le retrait du financement militaire en Ethiopie Changements et continuité en Chine Une convergence d’intérêts internes et externes au Salvador Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance en Bosnie-Herzégovine La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition en Ouzbékistan 2 – La représentation du pouvoir A – La relation au pouvoir Relation au pouvoir et société civile en Ouzbékistan Généalogies et alternance au pouvoir au Kirghizstan Autorité et continuité en Chine La place de l’individu dans la société chinoise B – La quête de légitimité Le contrat fondateur et sa rupture en Ouzbékistan Un espace collectif, les Mjesna Zajedna en Bosnie-Herzégovine La reconquête de la puissance en Russie La militarisation de l’action humanitaire en Afghanistan 3 – Vers un Etat A - L'émergence d'un pouvoir central La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat en Afghanistan Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir en Russie Communautarisme, démocratie et Etat en Bosnie-Herzégovine Les droits collectifs, l’Etat et les organisations européennes dans les PECO Mandela et De Klerk : D'adversaires à alliés en Afrique du Sud Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat en Russie Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle en Afrique du Sud ? B – Les processus instituants L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité en Afghanistan Les enjeux de la formation de l’armée nationale en Afghanistan L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain en Afghanistan Indépendance et construction nationale en Ouzbékistan La privatisation des services de l’Etat par les ONG au Kirghizstan Lustration à l’Est. Purification et réconciliation dans les administrations dans les PECO Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel » en Afrique du Sud ? « De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador ». La commission Vérité et Réconciliation p43 p45 p47 p51 p55 p57 p59 p61 p63 p67 p69 p71 p75 p79 p81 p85 p87 p91 p95 p97 p99 p103 p107 p109 p111 p113 p117 p119 p121 p125 4 - La société civile Les promesses de la société civile en Ouzbékistan Les obstacles à la mobilisation de la population russe Quelle société civile en Chine ? p127 p131 p133 5 - L'économie Les écueils de la transition vers l’économie de marché en Russie L'expérience de Stutterheim, un exemple de développement local en Afrique du Sud La reconstruction du secteur économique en Bosnie-Herzégovine p137 p139 p141 41 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 42 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique du Sud Origine de l’impulsion et intervention internationale Vecteurs de transformation en Afrique du Sud INDUSTRIALISATION, URBANISATION, TOWNSHIPS, RESISTANCE, REPRESSION, MEDIATISATION, PRESSION INTERNATIONALE, NELSON MANDELA, DE KLERK GUERRE FROIDE, La fin de l'Apartheid en Afrique du Sud, symbolisée par l'élection de Nelson Mandela à la présidence en 1994, est l'un des exemples les plus remarquables de transition démocratique au XXe siècle. Vecteurs de transformation La transition d'une démocratie réservée à une minorité vers une démocratie pour tous peut être considérée comme une révolution qui résulte d'un retournement de la pensée sur les relations entre les populations blanche et noire. Une révolution, écrit Pierre Calame 1 est « le fruit d'une lente maturation, quand beaucoup de facteurs de changement s'accumulent jusqu'au moment où se produit un retournement de la pensée qui permet de réorganiser autrement les différents éléments et les divers acteurs entre eux ». Quels facteurs furent responsables en Afrique du Sud du déclenchement du processus de transformation du système d'Apartheid vers des élections libres pour toute la population sud-africaine ? Le politologue Vayrynen a identifié des vecteurs de transformation qui donnent une impulsion pour un rapprochement des acteurs du conflit et changent leur manière de penser ce conflit. Les vecteurs de transformation sont par exemple des changements au niveau du contexte du conflit, des changements structurels ou mentaux et l'apparition de nouveaux acteurs. Chaque vecteur peut changer le cadre par lequel le conflit est perçu, ce qui peut aboutir à une ouverture vers le dialogue. Quels changements en Afrique du Sud ont abouti à cette ouverture? Changement du contexte L'élément contextuel qui a eu une grande influence sur la dynamique du conflit fut la transition vers une économie industrielle. Jusqu'aux années 1950, la société était agricole, la main d'œuvre non éduquée et disséminée sur tout le pays. Avec le début de l'exploitation minière et l'adaptation consécutive de l'économie, la société a eu besoin d'une main d'œuvre plus éduquée et concentrée géographiquement. Ces concentrations dans des townships et leur géographie urbaine ont facilité l'organisation de la résistance contre l'Apartheid par des grèves de masses. Les townships étaient bâtis très loin de la ville. Seule une route reliait la ville et le township. En outre, l'unique moyen de transport était le train ou l'autobus. Les Blancs avaient établi cette configuration afin de pouvoir contrôler la population noire. Simultanément, cette structure facilitait le contrôle, par les Noirs eux-mêmes, de la solidarité pendant les nombreuses grèves. Des petites unités placées aux arrêts de bus et aux gares permettaient de contrôler l'ensemble des mouvements de plusieurs milliers de personnes. En raison des résistances de masses, ces lieux sont devenus l'élément mobilisateur central de l'opposition contre le gouvernement. Il en résulta une corrélation entre la répression massive du gouvernement pour supprimer la résistance et la médiatisation de la situation d'oppression à l'échelle internationale, ce qui aboutit à une forte pression internationale sur le gouvernement sud-africain. Un autre facteur de changement de contexte fut la fin de la Guerre froide qui a transformé le cadre du conflit d'une lutte idéologique internationale (entre les communistes et les capitalistes) en une lutte nationale. La fin de la crispation bipolaire a provoqué une brusque réduction du soutien financier dans la région, et notamment les fonds destinés à l'achat d'armes pour les deux parties. Plusieurs mouvements de libération noirs étaient armés par la Russie et envisageaient une guerre de libération totale de plusieurs pays frontaliers. A l'opposé, le gouvernement sud-africain légitimait ses actions policières en tant que lutte contre la menace du communisme international. Après la fin de la Guerre froide, les actions policières du gouvernement sudafricain n'étaient plus légitimes et les mouvements de libération ont dû abandonner l'espoir d'une victoire militaire sans le soutien russe. 1 Calame Pierre, La démocratie en miettes: pour une révolution de la gouvernance Paris: Descartes&Cie, 2003, p.77. 43 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Evolution des mentalités L'évolution des mentalités au niveau individuel et à l'échelle de la société a donné une impulsion positive au conflit et a facilité l'amorce d'un dialogue. C’est ce qui s’est réalisé parmi la population blanche, non pas celle vivant en Afrique du Sud mais celle vivant en Europe et aux Etats-Unis. Dans le pays, même la plus importante des voix parmi les Noirs n'a eu qu'une influence très limitée sur les Blancs qui étaient majoritairement insensibles à leurs positions parce que leurs vies étaient nettement séparées, par classe sociale, langue et profession. C'est l'opinion publique internationale qui a permis d'aboutir à un changement. Les Sud-Africains blancs, surtout ceux d'origine britannique s’identifient fortement avec la Grande-Bretagne et l'Occident en général. Ils s'orientaient vers les communications étrangères par une presse relativement libre qui diffusait directement l'opinion internationale sur l'Apartheid auprès des Sud-Africains blancs. En écoutant les positions internationales, ces derniers ressentaient un sentiment d'isolement, renforcé par d'autres mesures telles que les sport bans. Une recherche de l'IRRS montre un fort désir de la population sud-africaine blanche d'être réintégrée au club des nations occidentales 2 . Cela a été une motivation importante pour commencer les négociations. En changeant d’opinion sur la question de l'utilisation des armes pour la libération des Noirs, Mandela constitue un facteur, individuel mais essentiel, qui permet de démarrer les négociations. C'est à son initiative que la division armée de l'ANC, Umkhonto we Sizwe, a été fondée en 1961, motivée par la conviction qu'une victoire armée était la seule possibilité pour la libération des Noirs. Il a changé d’opinion sur cette question pendant ses années en prison. En 1990, il prend la responsabilité de convaincre la population noire que les négociations sont le seul espoir pour une Afrique du Sud pacifique. Il devient le porte-parole de la réconciliation et non plus de la lutte armée. Changement des acteurs Des acteurs aux personnalités différentes ont joué un rôle important dans la résolution du conflit. En général, un nouveau chef ou une rupture des parties peut permettre de recadrer le conflit et de donner une nouvelle impulsion à sa résolution. En 1988, les élections ont mis au pouvoir F.W. De Klerk, un homme pragmatique qui a été capable d'imaginer un avenir marqué par le partage du pouvoir avec les Noirs. Il a permis la libération de Nelson Mandela, un homme charismatique qui, à son tour, est parvenu à convaincre la population noire d'arrêter la lutte armée et d'accepter l'interdépendance avec des Blancs au niveau politique et social. Il a réussi à convaincre l'opinion mixte sud-africaine que le pardon était plus puissant que la revendication, en créant une Commission sur la vérité et la réconciliation. La dynamique positive entre De Klerk et Mandela a été indispensable pour convaincre la majorité des populations blanche et noire de leur interdépendance et qu'un partage de pouvoir était indispensable pour stabiliser le pays. 2 Davis, Stephen M. Ed. Powers, Roger S. et Vogele, William B. Protest, Power and Change : An Encyclopedia of nonviolent action from ACT-UP to Women's suffrage New York : Garland Publishing Inc., 1997, p.495. 44 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ethiopie/Erythrée Origine de l’impulsion et intervention internationale Withdrawal of military support for Ethiopia crucial in creating peace Une paix gagnée par le retrait du financement militaire AIDE INTERNATIONALE, CONFLIT, RÉSISTANCE, ETATS UNIS, UNION SOVIÉTIQUE, ÉQUILIBRE DES FORCES, LÉGITIMITÉ The conflict between Eritrea and Ethiopia is particularly interesting since parties to the conflict did not stop fighting as a result of international intervention or international pressure but as a result of its withdrawal. Introduction After years of colonial rule, Eritrea became in 1950 an autonomous unit federated with Ethiopia following a United Nations General Assembly resolution. The federation with Ethiopia led to a shift in economic and political power from Asmara to Addis Abeba and steady impoverishment of Eritrea. In 1962, Ethiopia went one step further and annexed Eritrea with U.S. backing, which was the beginning of a long war between the two countries whose relations remain extremely tense until today. The conflict can be separated in different periods and my analysis will focus on one particular period in which the Ethiopian dictatorship was overthrown by a combined effort of Ethiopian and Eritrean guerrilla forces which led to the independence of Eritrea and to an effort to transform the state into a democratic institution. This period ends when a new armed conflict breaks out between the two countries over the demarcation of boundaries between the countries in the region of Badme. The period described shows an important and inspiring effort to democratisation that -for certains reasons, to be explored later- ends with the stalling of the process. Conflict periods 1962-1973 Annexation of Eritrea by Ethiopia under Haile Selassie The first period starts in 1962 with the annexation of Eritrea by Ethiopia under Haile Salassie with U.S. backing. It sparked a full-blown Eritrean insurgency by the guerrilla movement’s, the Eritrean Liberation Front (ELF). Its effect on the Ethiopian government was however limited due to its internal differences. The ELF split in 1973, leading to the creation of the Eritrean People’s Liberation Forces (EPLF), provoking civil war within Eritrea (until ELF defeat 1991). 1974-1991 Occupation of Eritrea by under Mengistu The second period starts in 1974, when a group of military officers, referred to as the Derg, overthrew the Ethiopian Emperor Haile Selassie with help from the Soviets. Colonel Mengistu Haile Mariam becomes the head of state in Ethiopia and establishes a Marxist dictatorship. The military support his regime receives from the USSR allows them to bring heavy losses to the Eritrean side. Forces in the North of Ethiopia are however mobilising against the Derg and are becoming stronger and stronger (Tigrean People’s Liberation Front or TPLF). They join forces with guerrilla troops in Eritrea whose majority belong to the same ethnic group, the Tigrayans. Inside Eritrea, two guerrilla/rebel forces continue to combat each other over power and the future direction of the country, one conservative and the other reform oriented. At the end of this period, the reform oriented movement (Eritrean People’s Liberation Front) is gaining stronghold over the country which creates the conditions not only for independence of Ethiopia but also for peace inside Eritrea. The end of this period is greatly determined by the end of the Cold War leading to the retreat of Soviet military and financial support for the continued occupation of Eritrea. 1991-1998 Overthrow of Mengistu dictatorship and political transition The third period therefore starts with the overthrow of the Mengistu dictatorship by the two rebel movements mentioned above: the Ethiopian Tigrayan movement and the Eritrean reform oriented movement who joined forces based on a common enemy and ethnic identity. Eritrea declares its independence in 1993. The two rebel movements become ruling parties in the both countries, while each choosing their own way of state reform. Both have democratic ideals but choose different ways to implement it. Their different approaches ethnic orientation in identity creation in Ethiopia against the nationalistic orientation in Eritrea - are at the 45 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 root of growing tensions between the two 43 . Renewed fighting breaks out in 1998 over the demarcation of the Ethiopian-Eritrean border. 1998-2000 Renewed conflict over border between Eritrea and Ethiopia The fourth period is marked by fighting and finding a resolution for the Eritrean-Ethiopian border dispute around the town of Badme. The fighting officially ended with the signature of a interim peace agreement in June 2000 in Algiers. A Temporary Security Zone was created to be monitored by UN peacekeepers. UN Security Council resolution 1298 established UN Mission in Ethiopia and Eritrea (UNMEE). A real peace dynamic lacks however, Eritrea has signed the agreement in recognisance of military breakthrough of Ethiopia. External factors allow transition to take place An important turning point in the conflict described above is the overthrow of the Mengistu dictatorship in Ethiopia in 1991 by the Tigrean People’s Liberation Front, based in Ethiopia (TPLF ) and the Eritrean People’s Liberation Front (EPLF). The overthrow marked the beginning of a peaceful period between Eritrea and Ethiopia after 30 years of war. What external and internal factors allowed transition at this moment in time? For over thirty years Ethiopia had been financially supported –first by the U.S. and subsequently by the USSR- to occupy Eritrea. The withdrawal of external finances at the end of the Cold War resulted in renewed power balance between local conflict parties – the Ethiopian government and liberation movements - and quickly led to a military resolve. Liberation movements had gained military capacity was largely auto financed through capturing arms from the enemy and through Diaspora support. A possible explanation for the relative quick resolution of the war - once international support for it stopped after 30 years of armed struggle - is that the Mengistu regime had a very poor power base among the population and could only keep control over the armed forces and the population as a result of the international military support it received. The liberation movements however received wide popular support and had the legitimacy of the population. Arguments for this hypothesis are that people were willing to make large personal offers for the liberation movements by risking their own lives, the lives of their loved ones and offering food and shelter to the fighters. Another argument is that both liberation movements have been elected as governing parties as a result of democratic elections, held in both countries after a transitional period. The changes that they put in place at a political level were the result of 30 years of reflection in both movements and political education of the population over a similar period of time. The Eritrean People’s Liberation Front was even ideologically formed by a secret political party with a Marxist orientation. I will explain in more detail later what its influence has been on the political transformations in the country after its declaration of independence. Both military movements have transformed to political parties and have made important steps towards state transformation in the early and middle ‘90’s. Tragically enough these positive developments stalled at the end of the ‘90’s and continue to be blocked. 43 Reid, Richard, “Old problems in new conflicts: Some observations on Eritrea and its relations with Tigray, from liberation struggle to interstate war” Africa 2003 p.369-401 46 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Chine Origine de l’impulsion et intervention internationale Changements et continuité DENG XIAOPING, HU JINTAO, REFORMES, TRANSITION DEMOCRATIQUE, CENTRALISME DEMOCRATIQUE, TOP-DOWN, PRESSIONS INTERNATIONALES, FACTIONALISME, CHAOS La Chine occupe une place à part dans l'étude des pays en transition dans la mesure où sa transition n'a pas été le fruit d'un conflit ou d'un changement de régime. Elle procède de décisions politiques prise après la mort de Mao. Le point de départ de la "mue du grand dragon rouge" peut être vu dans l'accession au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 et dans la mise en place par celui-ci d'une politique de réformes tranchant radicalement avec l'ère maoïste. La nature des réformes : quelle démocratisation depuis la mort de Mao ? La portée des réformes de Deng Xiaoping a été essentiellement économique et sociale. L'Etat s'est retiré de nombreuses sphères de la société chinoise qu'il contrôlait étroitement auparavant, impulsant une transition économique et sociale plus que politique. En effet, au plan politique, en dehors des réformes institutionnelles mises en place depuis trente ans, les avis demeurent partagés. Le changement apporté par Deng Xiaoping est pourtant sans précédent, en particulier au niveau du débat politique au sein du Parti. D'aucuns estiment en effet que l'ouverture des débats au sein du Parti constituerait les prémisses à la libéralisation de l'ensemble du champ politique chinois. Certains dirigeants chinois euxmêmes proposent que la démocratie interne au Parti soit la première étape de la réforme politique. Pourtant, la vision des dirigeants ne ressemble que de très loin à une véritable démocratisation : "en Chine, le sens donné à la démocratie interne au Parti est celui de centralisme démocratique. 1 " Or, ce concept a été affirmé par Mao en 1957 (repris de Lénine) et il met davantage en valeur le terme "centralisme" que celui de "démocratique". "En un sens, [le centralisme démocratique] n'est pas coercitif : il peut y avoir des débats, les membres du Parti peuvent contester les documents du Parti et exprimer différentes opinions. Mais la conclusion est fixée d'avance. Le but du débat est de parvenir à un accord avec le Parti. La démocratie n'est que le moyen, l'unité est le but. 2 " L'attachement au centralisme démocratique a été répété par les dirigeants successifs, y compris par Hu Jintao. Par conséquent, d'un point de vue politique, les avancées restent minces : "la Chine est donc indéniablement un pays en transition, mais rien ne permet de dire que cette transition puisse, à terme, s’avérer démocratique. Bien au contraire, (…) le régime s’apparente par certains aspects corporatistes au fascisme dans son souci de monopoliser la représentation de toutes les catégories sociales. C’est qu’il existe une constante dans l’attitude du parti depuis la répression des étudiants de Tiananmen en 1989 : la volonté de forclore toutes les initiatives émanant de la société civile" 3 . Le processus de transition a lieu dans une relative continuité du régime politique. Il convient par conséquent de se garder d'une comparaison avec les pays de l'ex bloc soviétique dans lesquels la transition a été précédée par l'effondrement du système politique et l'abandon de son idéologie dominante. Il apparaît même que le pouvoir chinois a récemment durci sa position politique. Les réformes ont eu en effet des conséquences déstabilisatrices pour la société chinoise : la hausse des mécontentements liés aux inégalités sociales et économiques et au taux de chômage croissant qui sont autant de risques politiques pour le pouvoir chinois. Mais la corruption endémique, le système fiscal encore rudimentaire et la perte de légitimité du Parti l'empêchent d'agir efficacement contre ces problèmes. Une réforme démocratique ne semble cependant pas être la solution choisie par les dirigeants chinois. Au contraire, le niveau actuel d’agitation semble convaincre une majorité d'entre eux qu'il faut tenir fermement les commandes pour faire adopter des politiques sévères, dont les avantages ne deviendront évidents qu’à long terme pour la population. 1 Liu Junning, Reform of China's Political System : Democracy within the Party or Consitutional Democracy, Center for Strategic and International Studies, China Strategy vol. 2, 30 avril 2004, http://www.csis.org/isp/csn/040430.pdf 2 Wang Ruoshui, The legacy of Mao and the Party-State, National Endowment for the Humanities China Conference, Colorado Collège, 1993, http://www.wangruoshui.net/beiyong/p-state.htm 3 Foessel Michaël, La Chine demeure une dictature, Revue Esprit, janvier 2004 47 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Comme le montre la décision adoptée lors de la quatrième session plénière du Comité Central en septembre 2004, pour le pouvoir chinois, ce qu'il faut donc entendre par réforme politique est une réforme au sommet de l'Etat afin de rationaliser celui-ci et de le rendre plus efficace et non une ouverture à la démocratie. Le lieu d'impulsion de la transition : une transition en interne pilotée d'en haut Ce processus a été essentiellement piloté d'en haut, c'est à dire par le pouvoir central et appliqué à la société, dans un processus top-down (de haut en bas). Certes, les hommes politiques ne peuvent faire abstraction de la société qu'ils dirigent : même dans le cadre d'un régime autoritaire, il leur est indispensable de conserver une certaine légitimité auprès de la population. C'est ainsi que les réformes économiques et politiques lancées par Deng Xiaoping répondent à la nécessité pour le Parti communiste de se relégitimer auprès d'une population épuisée par les dix années de Révolution culturelle. De plus, les mouvements luttant pour la démocratie ont pu profiter des ouvertures laissées par le Parti pour faire avancer leur cause. Mais il n'y a pas eu d'impulsion provenant de la société et les réformes jusqu'à aujourd'hui ont été, pour l'essentiel, voulues et décidées par le pouvoir. Les facteurs externes n'ont pas été un élément politique décisif en tant que tels, mais ils ont pu accentuer des tendances préexistantes ou atténuer certaines conséquences de la politique interne. Ils ont joué tantôt en faveur, tantôt en défaveur du processus de transition. Il s'agit d'une part des événements secouant le bloc soviétique : l'apparition de Solidarnosc dans la Pologne des années quatre-vingt a fait craindre à l'équipe de Deng Xiaoping, alors en pleine libéralisation de la pensée, de perdre le contrôle de la situation et a pu le pousser à choisir la répression. L'effondrement de l'URSS a renforcé la crainte du désordre pour les autorités chinoises mais aussi pour les intellectuels démocrates chinois. Cela a renforcé l'idée déjà présente que la démocratie mène au chaos. Les intellectuels qui pensaient que la démocratisation permettrait à la Chine de redevenir une grande puissance se sont remis en question en voyant l'effondrement de l'URSS après la Glasnost. D'autre part les pressions internationales concernant les droits de l'homme et la libéralisation de l'économie ont un rôle plus marginal. Elles n'ont eu aucun effet au lendemain de Tiananmen ni sur la situation au Tibet, mais les relatifs progrès de l'Etat de droit peuvent être liés à la volonté de s'afficher comme un bon citoyen du monde. Les intellectuels chinois profitent de cela et organisent leur action en tenant compte de la situation internationale. Ainsi, l'éphémère Parti de la démocratie chinois a été créée peu de temps avant la visite en Chine du Président Clinton. De même, certains estiment que l'accession de la Chine à l'OMC devrait permettre un meilleur respect de la loi et un développement de l'Etat de droit. Mais Pékin refuse de se voir dicter sa conduite par l'étranger, comme le montrent l'argumentaire à l'encontre des droits de l'Homme, dénoncés comme des normes occidentales pas toujours adaptées à la culture chinoise, ou la poursuite d'une politique dure à l'encontre de Taiwan. Le souvenir cuisant de la tutelle des puissances occidentales y est sans doute pour beaucoup. Le processus : une évolution cyclique mais vers un enracinement des réformes Les trente ans de réformes en Chine ont été marqués par un phénomène de balancier, les périodes d'ouvertures et de relative libéralisation laissant généralement place au bout de quelques années à une politique plus dure et plus répressive. Des cycles ont pu ainsi être observés, comparables aux cycles de croissance/récession observés en économie. L'évolution de la politique de réforme a donc souvent été "deux pas en avant, un pas en arrière." De nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer ces fluctuations. Le premier est la peur du chaos que représente la démocratie aux yeux des dirigeants. Ils sont cependant convaincus de la nécessité des réformes. Ils naviguent donc à vue, laissant l'économie et la société se libéraliser et revenant à une politique plus austère lorsqu'ils sentent la situation leur échapper. D'autre part le pouvoir n'est pas un bloc monolithique : les décisions sont souvent le produit des heurts entre les différentes factions au sein du Parti et des stratégies de conquête du pouvoir par les hommes politiques. Ces luttes de factions s'observent particulièrement lors des périodes de successions à la suite de la disparition de grands leaders. Ainsi, la volonté de réforme affichée par Deng Xiaoping est très intimement liée à des considérations concernant les luttes internes au sein du Parti pour la succession de Mao 4 ; il va ainsi autoriser une libéralisation de la pensée car il a besoin de rallier les franges intellectuelles pour conquérir le pouvoir face aux conservateurs. Mais les factions gauchistes conservatrices, restées influentes, l'empêcheront d'aller trop loin dans ses réformes. Au gré des rapports de force, elles pourront – toujours dans les limites autorisées 4 Chen Yan, L'éveil de la Chine, 2002, édition de l'Aube 48 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 par le président – influencer le jeu politique. Mais le pouvoir en place n'hésite pas non plus à les utiliser : lorsqu'il estime que le jeu politique tend trop à droite et devient déstabilisateur, il reprend les idées des factions gauchistes pour lutter contre celles de droite. Au gré de ces rapports de force, l'avancée des réformes s'accélère ou connaît des coups d'arrêt. Aujourd'hui, les luttes de factions sont beaucoup plus apaisées : il existe un certain consensus quant à l'importance de l'économie de marché et à la volonté de limiter les réformes politiques. Mais des divergences sur les priorités demeurent et les luttes pour le pouvoir divisent parfois le Parti. Ces divisions peuvent avoir des répercussions non négligeables sur la société ; c'est généralement en profitant du désordre provoqué par les luttes intestines au Parti que les mouvements de contestation venant de la société ont tenté de se faire entendre. Malgré ces variations périodiques, on peut observer une tendance à l'enracinement des réformes. Les phases de fermeture ne reviennent pas complètement sur les acquis de la période précédente. Avec la nomination de Hu Jintao en 2002, c'est la quatrième génération de dirigeants chinois qui arrive au pouvoir (Mao représentant la première génération, Deng Xiaoping la deuxième, Jiang Zeming la troisième). Ce sont des experts qui n'ont pas la même expérience que leurs prédécesseurs. Malgré l'absence de volonté d'ouverture politique, leurs préoccupations – maintenir la stabilité sociale et traiter les problèmes en faisant appel à des experts – ne sont finalement pas si éloignées de celles de leurs homologues occidentaux. EN PERSPECTIVE… Peu d'analystes se hasardent à des prédictions sur les évolutions futures de la politique et la société chinoises. En trois décennies, le pays a en effet contredit la plupart des pronostics, ceux annonçant un effondrement à la soviétique comme ceux qui tablaient sur le maintien d'un pouvoir totalitaire et d'une économie rigide comme sous Mao. Les chances de démocratiser le pays reste limitées. Les potentiels déstabilisateurs liés aux réformes ne sont pas assez forts ni assez structurés pour menacer pour l'instant le pouvoir politique. Les dirigeants, en particulier Hu Jintao, qui apparaissent comme les seuls capables d'impulser une véritable réforme, ne semblent pas prêts à partager le pouvoir. L'option choisie par Hu Jintao semble être au contraire le renforcement du Parti. Un bouleversement radical paraît donc actuellement peu probable. Par ailleurs, le débat s'est intensifié avec l'ouverture des réformes, y compris en Chine, sur la question de savoir si toutes les sociétés doivent suivre le modèle capitaliste libéral, où le développement de l'économie s'est accompagné d'une démocratisation. Les dirigeants semblent peu enclins à suivre ce modèle, tandis que parmi la population, les mécontentements liés aux conséquences des réformes économiques semble diffuser le refus de suivre la définition occidentale de la modernité. Le décalage entre une économie de plus en plus ouverte et une sphère politique rigide se fait cependant grandissant, ce que le pouvoir chinois devra prendre en compte pour se maintenir. 49 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 50 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 El Salvador Origine de l’impulsion et intervention internationale Une convergence d’intérêts internes et externes GUERRE CIVILE, NÉGOCIATIONS, ACCORD DE PAIX, CHAPULTEPEC, FMLN, MEDIATION ONU, SOUTIEN EXTÉRIEUR En 1992, au Château de Chapultepec au Mexique, les dirigeants et délégués du gouvernement salvadorien et de la guérilla unifiée sous le Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), entourés de hauts représentants des Nations-Unies, de Colombie, Cuba, Espagne, Etats-Unis et Venezuela, ont signé les accords de paix mettant fin à douze années de guerre civile. Cet accord de paix est le fruit d’un long processus de négociations. Pour comprendre les facteurs décisifs permettant la réussite des négociation, il convient tout d’abord de s’interroger sur les acteurs des négociations pour ensuite étudier les événements nationaux, régionaux et internationaux favorisant la sortie négociée du conflit. Les multiples acteurs des négociations Aux racines de la guerre civile se trouve une grave crise politique et sociale avec une accentuation des tensions lors de chaque élection. Les années précédant la guerre civile sont marquées par une répression de grande ampleur de la part de l’Etat, répression entraînant de violentes manifestations populaires ainsi que des actions de guérilla urbaine. Il y a par conséquent une très forte opposition entre la guérilla d’inspiration communiste et le gouvernement de droite voire d’extrême droite. Ce sont deux idéologies et deux classes sociales qui s’affrontent. Le Front Démocratique Révolutionnaire (FDR), coalition d’organisations de gauche, de mouvement populaires et de secteurs de l’église naît alors, les mouvements de guérilla se regroupent ensuite au sein du Front de Libération National Farabundo Martí (FMLN) pour former une union politique et militaire. Lorsque le président Reagan, arrive à la Maison Blanche, il porte une attention toute particulière sur l’Amérique centrale, zone stratégique pour son pays. Les Etats Unis fournissent alors des aides militaires et entraînent les forces armées. Quant aux rebelles unifiés sous le FMLN, ils reçoivent de l’aide de l’Union Soviétique, de Cuba et du Nicaragua 1 . Les deux parties au conflit et leurs soutiens régionaux et internationaux respectifs vont demander l’intervention du Secrétaire Général des Nations Unies en 1990. Ce dernier a été le catalyseur du processus et a pu compter sur l’appui de la communauté internationale (plusieurs résolutions de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité ont été adoptées) et surtout sur la coopération et l’aide que lui ont apportée en permanence les chefs d’Etats et de Gouvernement de la Colombie, de l’Espagne, du Mexique et du Venezuela («les amis du Secrétaire Général ») et de leurs représentants diplomatiques accrédités au Salvador et auprès des Nations Unies à New York 2 . Une conjonction de faits rendant la négociation inévitable Une situation interne mûre pour le changement Trois facteurs internes ont contribué au débloquage de la situation : l’impasse militaire dans laquelle se trouvait les parties, le désir de paix au sein de la population ainsi que les offensives de la guérilla touchant des secteurs de la population jusque là relativement épargnés. En effet, la négociation a été rendue possible par le fait que les forces en présence étaient à peu près égales, aucune des deux factions ne prenait l’avantage sur l’autre. Zartman avance que les conflits sont «mûrs » pour une solution négociée seulement sous certaines conditions, la principale est la situation de mutually hurting stalemate. Les deux parties doivent prendre conscience que leur but ne peut pas être atteint en continuant la violence 3 . Face à l’impasse militaire dans laquelle elles se trouvaient à la fin des années 1980, les deux parties se sont alors rendues à l’évidence que la seule possibilité de sortie de crise était de négocier, tout en admettant de faire quelques concessions. 1 Canadian Foundation for the Americas, Building Peace and Democracy in El Salvador : An Ongoing Challenge, 18 février 2000, http://www.focal.ca/pdf/elsalvador.pdf 2 Guadalupe de Muñoz, Acuerdos de paz, http://www.monografias.com/trabajos14/acuerdo-paz/acuerdo-paz.shtml#pro 3 Hugh Miall, Olivier Ramsbotham, Tom Woodhouse, Contemporary Conflict Resolution, Polity Press, 1999, p162 51 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Au fur et à mesure du développement du conflit, le désir de paix s’est intensifié dans la conscience collective du peuple salvadorien. Au final, la certitude que l’alternative la plus raisonnable pour en finir avec le conflit était la négociation s’est généralisée dans la plupart des couches de la population, y compris au sein même du Gouvernement à partir de l’élection de l’ARENA au pouvoir. C’est surtout à partir de novembre 1989 avec la grande offensive de guérilla qui touche pour la première fois les zones résidentielles de San Salvador que le processus va évoluer de façon notoire. Le conflit atteint alors tous les secteurs de la population y compris les plus aisés. Le gouvernement se rend compte que sa légitimité est en danger si le conflit vient à perdurer. Ce dernier s’est rendu à l’évidence qu’il n’était donc plus en position de force et que la seule sortie possible est de négocier la paix. Par ailleurs, le bombardement par les forces aériennes de quartiers populaires et l’assassinat de six jésuites oeuvrant en faveur de la paix a mis en avant aux yeux du monde la brutalité de l’armée salvadorienne et la nécessité de trouver une sortie rapide au conflit 4 . Selon Joaquin Villalobos 5 , ancien commandant de la guérilla salvadorienne, la paix est par conséquent d’avantage la conséquence du rapport interne des forces que de facteurs externes. Avant le processus final, plusieurs tentatives de négociations avaient eu lieu, mais n’avaient pu aboutir en raison des pré-requis du gouvernement pour entamer les négociations et le refus de la part des deux parties de faire les moindres concessions. Le gouvernement exigeait le désarmement de la guérilla comme précondition au dialogue alors que cette dernière s’y refusait catégoriquement. Par ailleurs, l’armée étant financée et le pouvoir soutenu par Washington, le gouvernement espérait une sortie victorieuse au conflit. Seuls des accords partiels concernant des questions humanitaires telles que le traitement des blessés et les échanges de prisonniers avaient pu être conclus. Une situation régionale et internationale en faveur des négociations Plusieurs initiatives régionales en faveur de la paix ont été entreprises. En 1983 est formé le Groupe Contadora réunissant le Panama, le Venezuela, la Colombie et le Mexique afin de promouvoir une solution régionale négociée aux conflits d’Amérique centrale et de «répondre à une triple préoccupation : mettre un terme aux terribles souffrances qu'endurent les peuples en Amérique Centrale du fait des conflits militaires qui s'y déroulent 6 ». L'accord de Contadora pour la Paix et la Coopération en Amérique Centrale est soutenu et appuyé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi que par de nombreux organismes régionaux et internationaux. Le président du Costa Rica, Oscar Arias, va relancer l’initiative du Groupe Contadora et parvenir à la signature des accords d’Esquipulas. Parallèlement, dans un contexte de fin de Guerre froide, à la fin des années 1980 a eu lieu aux Etats-Unis une remise en cause de la moralité et de l’effectivité de la politique étasunienne au Salvador. Après trois ans de méfiance envers le processus de négociation, les Etats Unis vont oeuvrer pour une solution politique. Alors que Reagan a prôné et appuyé l’option militaire pendant huit années, l’administration Bush opte pour une approche plus pragmatique, ouvrant une sortie vers la paix tout en n’écartant pas la voie des armes. Les Etats-Unis stoppent l’aide aux militaires à la suite de multiplications des pressions internes s’opposant à la poursuite de cette aide par George H.W. Bush. Avec l’effondrement du bloc socialiste, la guérilla perd elle aussi ses principaux soutiens internationaux et renouvelle sa ferme volonté d’intégrer la vie politique légale. On observe alors une relative symétrie de pouvoir dans la négociation, symétrie de pouvoir qui a permis d’obtenir des accords de paix satisfaisant et viables, aussi bien pour le gouvernement que pour le FMLN. EN PERSPECTIVE Le Salvador est un exemple de pays en guerre pour lequel la résolution du conflit est le résultat de la convergence des intérêts des parties et des soutiens au conflit. La paix est donc la conséquence de la conjonction entre l’impasse dans laquelle se trouvaient les belligérants et la situation internationale. Suite aux accords de paix, un nouvel acteur voit le jour sur la scène politique : le FMLN. Lors des élections de 1994 7 , le FMLN apparaît comme la deuxième force politique nationale. Le parti perd les élections présidentielles mais remporte 15 municipalités et 21 sièges sur 84 à l’Assemblée législative. Depuis le FMLN a gagné en force. Il possède désormais 31 sièges contre 29 pour l’ARENA à l’Assemblée législative et détient 77 municipalités dont la capitale San Salvador. La politique de non coopération de la part de l’ARENA et son refus de prendre ses responsabilités suite au rapport de la Commission Vérité explique les difficultés du pays à mener à bien le processus de 4 Antonio Gonzales, Un pacto social para El Salvador, http://www.geocities.com/praxeologia/paz97.html Joaquin Villalobos, « Ni vainqueurs ni vaincus : la paix au Salvador » in Critique internationale n°5, automne 1999 6 1985 - Le Groupe Contadora, http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.phpURL_ID=9374&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html 7 http://www.georgetown.edu/pdba/Elecdata/ElSal/elsal.html 5 52 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 réconciliation national et à éradiquer la violence. Le taux de criminalité est aujourd’hui plus élevé que durant la guerre civile. 53 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 54 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Bosnie-Herzégovine Origine de l’impulsion et intervention internationale Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance ACCORD DE PAIX, TRANSITION ECONOMIQUE, OHR, OSCE, OBSTRUCTIONNISME, PASSIVITE, FUITE DES CERVEAUX, DETTE, CAPITAL SOCIAL, RESPONSABILITE, PARTENARIAT La Bosnie-Herzégovine connaît un triple processus de transition et à ce titre subit les lourdeurs de son héritage : elle doit passer d’un monopole du politique par l’Etat à une démocratie et une économie de marché, d’une situation de guerre à la paix et du statut de république fédérée à un Etat indépendant. Il n’y a pas de doute qu’elle a besoin de l’aide internationale pour relever ces défis mais les conditions dans lesquelles elle est conduite doit mener à un développement durable. L’intervention internationale Depuis les négociations de paix puis la signature d’un accord de paix, l’encadrement international a pris plusieurs formes pour encadrer la construction de l’Etat bosnien. Le Bureau du Haut Représentant (OHR en anglais) a été institué pour coordonner les aspects civils de l’accord et établir les contacts entre les 3 parties, les encourager à respecter les termes de l’Accord et coopérer. D’autre part, l’OSCE, dès 1996, prend la charge primordiale de superviser les élections. L’organisation est plus généralement investie dans les domaines des droits de l’homme et de la démocratisation. Des agences de l’ONU sont également investies sur des missions spécifiques (UNHCR) et les volets militaires (IFOR, SFOR, MINUBH, IPTF). L’aide internationale représente désormais 30% du PNB du pays et concerne trop souvent le domaine du bâtiment alors que les investissements dans le secteur économique sont rares. Une telle dépendance provient de l'orientation de la politique des donateurs : l’économie parallèle, le flux indirect d'argent liquide des organisations internationales et la présence des étrangers représentent un segment crucial de l'économie 1 . La dépendance n’est pourtant pas seulement économique, la situation sur le terrain rend difficile le transfert de responsabilité. Ainsi l’encadrement international se maintient encore. La dépendance L’encadrement par la communauté internationale de la construction de l’Etat de Bosnie-Herzégovine pose le problème d’une assistance trop importante qui ne permet pas l’émergence d’un Etat souverain. Cette situation donne lieu à des recommandations opposées : un usage limité des pouvoirs du Haut représentant et le renforcement de la prise de responsabilité (ownership), ou au contraire un usage encore plus étendu de ses prérogatives pour combattre l’obstructionnisme et compenser les faiblesses des politiques locaux. Plusieurs processus expliquent la situation de dépendance en même temps qu’ils en découlent : • Jusqu'aux élections de 2000, les représentants des pouvoirs locaux ne se sentaient pas responsables de la situation du pays. Leur responsabilité était de défendre les intérêts de la population face aux représentants de la communauté internationale. Les élections municipales et nationales de 2000 ont montré un soutien croissant pour les partis modérés. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, la Bosnie-Herzégovine avait un gouvernement nonnationaliste dans les deux entités et au niveau national. L’obstacle à ces changements reste cependant la position faible du gouvernement non-nationaliste. Les autorités législatives et exécutives issues de ces élections n'ont presque rien fait dans le domaine du retour des réfugiés, de la lutte contre la corruption et sur la mise en oeuvre des décisions du Tribunal constitutionnel sur la constitutivité des peuples. • Les dirigeants et la population ont trop tendance à voir l'aide internationale comme un substitut de l'Etat socialiste, censé résoudre tous les problèmes. L’initiative locale est bloquée rendant trop passifs les dirigeants et la population. La passivité du gouvernement bosnien se traduit par un vide de politiques crédibles : par exemple le manque d’informations sur les mutations actuelles de la société bosnienne montre l’absence de politique active ; de même le profil de dépenses des budgets concerne le fonctionnel et très peu l’opérationnel. Cette passivité est un problème politique et non technique, la solution ne réside donc pas dans une réforme institutionnelle (les institutions créées par Dayton ont souvent été blâmées). C’est bien un signe du manque de volonté politique pour travailler ensemble. Il existe une concurrence pour 1 « La Bosnie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L'Harmattan, Paris, 2003. 55 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 • • • les budgets que les différents niveaux se disputent au lieu de collaborer et de les répartir au mieux ensemble. La corruption et le crime organisé sont liés au pouvoir. Il est indispensable de respecter le principe de transparence et d’établir l'Etat de droit. La fuite des cerveaux vers les organisations internationales. Une grande partie de l'aide consacrée à la démocratie et au développement d'une société civile est inadéquate ; elle ne concerne qu’une faible partie de la population. Une élite se professionnalise et se détourne des problèmes de la base. Il est nécessaire d'encourager les interventions des citoyens et leurs initiatives. La dynamique de la dépendance est la « quadrature du cercle » : l’inertie et l’aggravation de la situation sociale et économique renforcent la dépendance et conduisent à la stagnation et la décadence. Deux phénomènes majeurs sont à craindre : la disparition de la bulle artificielle de consommation et d’importation nourrie par les fonds internationaux ; le paiement du service de la dette. Le gouvernement bosnien rencontrera alors un moment critique où il devra devenir plus actif avec moins de moyens. Le capital social est un indicateur important dans la mobilisation et de la participation de la population d’un Etat. En Bosnie-Herzégovine, il est très faible : 84,2% des personnes sondées affirment ne pas avoir confiance envers les gens. La confiance dans la société en général, et dans les autres ethnies en particulier, baisse et la famille reste une valeur refuge. La participation aux associations civiles et dans les actions sociales reste faible 2 . Les rapports sociaux intenses qui existent dans les petites communautés (familles, clans etc.) doivent sortir de ces sphères et alimenter les citoyens ne leur appartenant pas. Ce capital social doit passer de la société civile à l'Etat. « Sans rapports avec les institutions formelles, les communautés locales ne peuvent influencer les politiques et les programmes publics. » 3 Pour une transition de la dépendance à la souveraineté Le transfert de la responsabilité et de l’autorité est déjà engagé, il ne peut être que progressif et fondé sur un authentique partenariat, clairement planifié. Il est capital que soit créée une commission indépendante ayant pour mandat d'assurer le suivi et l'évaluation critique et constante de ce processus de transfert. Elle aurait le mérite de démontrer la volonté de la communauté internationale de s'engager résolument en faveur de la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et placerait le Parlement et le gouvernement bosniens face à leurs responsabilités 4 . Sur le plan économique, d’une part, la mondialisation conduit à un développement déséquilibré. D’autre part, la transition est réduite au paradigme du passage à l'économie de marché et à la simple privatisation. Le soutien au renouvellement des structures sociales a été négligé alors que la structure de la société a été profondément atteinte. Pour prévenir une explosion sociale, une politique sociale doit être mise en œuvre s’appuyant sur les collectivités et administrations locales autonomes, les organisations créées au sein des communautés, les initiatives citoyennes et autres ONG de base. L’aide internationale doit adopter une nouvelle approche dans sa stratégie et associer la relance économique à la reconstruction du secteur social. Dans la même logique, les organisations internationales doivent mieux se coordonner et s'inspirer d'une aide indirecte pour renforcer les potentiels locaux. Enfin le passage de l’aide d'urgence à la croissance stable s'impose. EN PERSPECTIVE… L’obstacle majeur dans le processus vers la souveraineté de l’Etat bosnien est l’absence de consensus sur l'avenir du pays : il n'existe pas à ce jour de volonté politique d'élaborer un projet de vie commun. La Bosnie a toutefois besoin d'un Etat fonctionnel et efficace, et au service des citoyens. 2 Miroslav Zivanovic, association Bosnie et Herzégovine 2005, Centre pour les droits de l'Homme de l'université de Sarajevo, in Courrier des Balkan. 3 Ibid. 4 Christophe Solioz, Forum for Democratic Alternatives, Sarajevo, Bruxelles, Genève, Juillet 2003. 56 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ouzbékistan Origine de l’impulsion et intervention humanitaire La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition INDEPENDANCE, TRANSITION POLITIQUE ET ECONOMIQUE, PAIX LIBERALE, DEVELOPPEMENT, DEMOCRATISATION, SECURITE, CONDITIONALITE, SOCIETE CIVILE, INEGALITES, CONFLITS L’échec du putsch conservateur d'août 1991 scelle définitivement le sort de l’URSS. Les dirigeants de plusieurs républiques soviétiques qui s’étaient opposé aux réformes des années 80 et au sécessionnisme précoce des républiques baltes sont contraints de changer de stratégie et déclarent l’indépendance de leur république. C’est le cas de l’Ouzbékistan comme de ses voisins d’Asie centrale. La période de transition politique et économique qui s’est alors ouverte a accueilli favorablement les Nations Unies, les institutions financières internationales, les organismes intergouvernementaux et les organisations non-gouvernementales. Ce choix s’est traduit par une assistance technique, des recommandations politiques et des investissements directs sous forme de prêts et de subventions. Consensus autour de la paix libérale Un unanimisme s’est installé autour du modèle économique libéral dans un contexte de triomphe face au socialisme : le libéralisme pour garantir une paix positive. Cette paix libérale repose sur le postulat que le système libéral permet un développement durable et évite les conflits. Le libéralisme devient alors une stratégie sécuritaire, fondée sur l’idée de créer des interdépendances et intensifier les liens économiques entre les Etats. Mais en faisant des instruments économiques libéraux et des pratiques démocratiques les outils du maintien de la paix, ce modèle confond développement et sécurité. Les fondements idéologiques de l’assistance internationale reposent sur l’extension du marché (marketization) fondée sur des modèles de monétarisation qui dictent la stabilisation macro-économique, la privatisation et la libéralisation financière. Le second modèle d’intervention est la démocratisation bâtie sur les concepts d’élections libres, de multipartisme, de société civile, de liberté de la presse et plus récemment de décentralisation et de délégation de pouvoir. L’évolution générale va dans le sens d’une réduction considérable du rôle de l’Etat au bénéfice du secteur privé, cette orientation étant due au soutien financier des institutions internationales. Les conditionnalités et leurs contradictions L’assistance internationale s’est vue soumise à un certain nombre de conditionnalités : - politiques : « bonne gouvernance » et critique de ceux qui ne se conforment pas. - économiques : réformes économiques sont un pré-requis au programme global d’assistance. - 1 Le cas de l’Ouzbékistan est intéressant car il endosse tôt le statut de « non-réformateur » et pourtant devient un allié essentiel des Etats Unis dans la « Guerre contre le terrorisme » au lendemain du 11 septembre 2001. Les deux Etats signent un accord de partenariat stratégique en mars 2002, suivi pour l’Ouzbékistan de la signature d’un Staff Monitored Program du FMI portant sur des réformes majeures dans les domaines de l’agriculture, des banques, de la libéralisation commerciale et la convertibilité de la monnaie nationale. Quelques mois plus tard, l’Ouzbékistan ne tenant pas ses promesses, les experts du FMI quittaient le pays et la critique internationale s’abattait sur lui. Certaines ONG d’analyse de conflits (ICG 1 en l’occurrence) ont appelé les pays donateurs à ne plus accorder de prêts à moins de changements macro-économiques conformes aux programmes du FMI, et d’intensifier les liens avec la société civile pour augmenter la pression sur le gouvernement. La confusion était donc scellée entre politique et conditionnalités économiques : la Banque Mondiale classe elle aussi les systèmes politiques des pays en transition en rapportant la situation des réformes économiques à l’évaluation des libertés civiles et politiques. Puis les conditionnalités militaires se sont ajoutées à partir des attentats de Manhattan : l’aide américaine est conditionnée par la volonté affichée des pays à rejoindre la « guerre contre le terrorisme » ce qui a donné lieu à un nouveau classement des pays et, ironiquement, ceux qui étaient les moins avancés sur le plan politique et économique étaient les plus coopératifs en matière militaire et/ou logistique. International Crisis Group, www.crisisweb.org 57 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Agenda vers la paix libérale Modèle économique libéral Le choix de la thérapie de choc a rapidement été fait, contrairement aux pays d’Europe centrale et à la Chine. Les conditionnalités macro-économiques ont été prescrites par le FMI et les conditions structurelles imposées par la Banque Mondiale. Les réformes se sont concentrées sur la stabilisation macro-économique, la libéralisation des prix (énergie, immobilier, produits de première nécessité) et le démantèlement des institutions du système communautaire. L’objectif des réformes institutionnelles est de garantir le fonctionnement des lois, des régulations et des institutions d’une économie vers le libre marché. Le secteur social étant jugé non viable, il a été l’objet d’une rationalisation des dépenses et d’une redéfinition des priorités vers l’aide aux pauvres. Dans ce même objectif, la responsabilité des services sociaux a été transférée vers les pouvoirs locaux qui n’en ont ni les moyens ni l’expérience. Enfin il a été conseillé de geler les allocations aux plus pauvres et de lancer des plans de travaux publics. L’éducation la santé ont été concentrées à un niveau élémentaire de satisfaction des besoins fondamentaux. Démocratisation La bonne gouvernance pour les pouvoirs publics signifie la responsabilité démocratique à travers des élections multipartites, la liberté de la presse, l’expansion de la société civile, le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit ; pour les entreprises, la réforme des services publics, la décentralisation et la lutte anti-corruption. Cependant, les élections multipartites ne se sont pas avéré être une garantie de changement positif des régimes. Cette politique a donc été réorientée vers la promotion de la société civile pour exercer une pression sur le système politique et obtenir son ouverture. Les fonds étrangers ont ainsi afflué pour créer des organisations capables de tenir ce rôle ce qui a eu pour conséquence de multiplier le nombre d’organisations dont le domaine d’activités reflétait les préoccupations des bailleurs de fonds, produisant ainsi une dépendance vis-à-vis du financement étranger. De plus, ces actions ont la vision à court-terme des bailleurs et les ONG passent leur temps à boucler des dossiers de demandes de subventions. Les récupérations des initiatives de la société civile par les Etats ne sont pas rares (State capture). EN PERSPECTIVE… Une source d’inégalités et des risques de conflit Cette période de transition coïncide avec une augmentation de l’insécurité, de la pauvreté et des inégalités, particulièrement dans les pays qui ont le mieux suivi les recommandations des institutions financières. L’analyse des causes de cette situation reflète la querelle idéologique des types de développement : - La Banque Mondiale l’explique par la dislocation sociale et économique, l’effondrement de la production et des revenus tant de l’Etat que des ménages ; ces inégalités sont analysées comme inversement proportionnelles au déploiement des réformes ce qui rend les institutions légales responsables. - Pour d’autres, les inégalités sont causées par l’échelle des réformes structurelles et le retrait de l’Etat c’est-à-dire des causes nouvelles. L’accroissement des inégalités a aujourd’hui atteint un niveau jugé dangereux du fait du ressentiment et des tensions entre les groupes sociaux. Plus le niveau d’inégalités est important moins la croissance produit un effet sur la réduction de la pauvreté, quel que soit le taux de croissance 2 . Dans ces conditions, l’inégalité revêt un impact politique et social sur la criminalité et la stabilité politique. Conséquences d’une politique économique excessivement libérale, elles pourraient être jugulées par des politiques spécifiques. Les politiques des institutions internationales ont sans doute été irréalistes, visant à des réformes irréversibles elles se sont fondées sur le démantèlement des institutions centralisées. De plus, les politiques jugées saines par les bailleurs internationaux n’ont pas été les plus adaptées pour les gouvernements. Aujourd’hui, les gouvernements sont enfermés dans des politiques réactives pour réduire les effets des réformes et ne peuvent avoir de visions plus larges d’investissement dans le capital humain par exemple. 2 Selon une étude Cornia and Court pour UNU/WIDER. 58 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ouzbékistan La relation au pouvoir Relations au pouvoir et société civile POUVOIR, ETAT IMPORTE, GROUPES DE SOLIDARITE, ELITES, LEGITIMITE, INTERDEPENDANCES, AINE, AMNISTIE, CENSURE, OPACITE En arrivant au pouvoir en 1985, Gorbatchev ouvre une ère de réformes qui a conduit à l'éclatement de l'URSS après l'échec du putsch conservateur d’août 1991. Les républiques qui ne l'avaient pas encore fait déclarent alors leur indépendance. Les dirigeants des républiques d'Asie centrale avaient rejeté la perestroïka et soutenaient les putschistes. Cette chronologie est un signe fort de la faible implication de la population dans cette décision. Cette mise en perspective historique permet de poser la question d'une indépendance qui vient d'en haut et de l'évolution démocratique ou non du régime politique. Les faits historiques montrent que les mouvements nationalistes ont été très minoritaires en Asie centrale (ils étaient les plus faibles au Turkménistan) et qu'ils revendiquaient seulement l'autonomie culturelle et politique jusqu'au moment où il est devenu évident que l'URSS n'allait pas survivre. La Constitution a été rédigée par des « experts » au sein des sphères du pouvoir ; on a beaucoup dit à ce moment-là qu'elle s'inspirait de la constitution française de 1958. Elle a été ratifiée le 8 décembre 1992 par le Soviet Suprême, soit l'organe législatif soviétique de la république avant son renouvellement. Cette situation tient-elle uniquement à une conception du pouvoir singulière ? La population ouzbèke ne s'est-elle vraiment pas engagée dans cette période-clé ? La relation au pouvoir La conception du pouvoir en Ouzbékistan, et plus largement en Asie centrale, est le fruit de l'importation de l'Etat soviétique, superposé aux structures de la vie politique et sociale locale. Les historiens sont nombreux à avoir analysé les différents systèmes locaux comme l'assimilation des principes importés par le dernier occupant sans qu'ils remplacent les structures antérieures. Les élites au pouvoir dans les républiques d'Asie centrale soviétiques étaient autochtones et restaient fidèles à leurs origines, ainsi les identités locales sont restées très prégnantes. Dans un tel système, les hommes politiques ouzbeks devaient à la fois servir Moscou et faire profiter leur groupe de solidarité. Ils vivaient une double vie sociale : soviétique au sein de l'appareil d'Etat et ouzbèke dans leur environnement proche où ils étaient vus comme des protecteurs. Ils passaient de l'une à l'autre avec autant d'aisance que du russe à l'ouzbek. Dans l'Ouzbékistan indépendant, le système conserve ces mêmes principes : les appartenances locales, le jeu des alliances familiales, l'autochtonie sont les principales sources de légitimité du pouvoir. Cette culture à base communautaire (familiale) soumise à des chefs autoritaires serait héritée des cités-oasis où, pour survivre, il fallait travailler ensemble, sous une direction ferme. Cependant le pouvoir de ces chefs était équilibré par leur dépendance vis-à-vis d'autres réseaux qui maîtrisaient le commerce. Le système Karimov peut-être analysé dans les mêmes termes d'interdépendance avec les régions : le président dépend de ses gouverneurs régionaux pour contrôler les populations locales. Or seuls des hommes issus de ces régions sont légitimes pour les diriger. Il lui faut donc négocier avec eux. Cette interdépendance doit toutefois être relativisée : le président ouzbek trouve sans difficulté des postulants gouverneurs qui lui seront fidèles. Cependant il ne peut placer n'importe lequel de ses hommes dans les régions, il doit tenir compte de la nature forcément autochtone de la légitimité politique. Enfin, le culte de l'aîné reste très prégnant en Asie centrale, il impose le respect de celui qui a plus de pouvoir. Le président s'est imposé comme le patriarche de la nation. Dans le contexte de l'effondrement de l'URSS et l'accès à l'indépendance du pays, sa rhétorique a consisté à alerter les citoyens des dangers d'une telle période et de les en protéger. Tous les risques n'étaient cependant pas fictifs (heurts inter-ethniques, sécurité alimentaire). Pour la majorité de la population ouzbèke, le président a su conduire le pays à l'indépendance. Dans les années qui ont suivi cependant, et plus encore après 2001, la brutalité de sa politique a donné une impression d'injustice et suscité l'impatience : la conjoncture nationale, loin de s'améliorer, connaît une dégradation importante. Malgré les légères nuances apportées à la nature autocratique du pouvoir, le pouvoir est impossible à remettre en cause de façon démocratique : le président et l'exécutif dominent le législatif et le judiciaire. Le parlement 59 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 n'est là que pour confirmer les choix de l'exécutif, lors de sessions bi-annuelles de quelques heures à peine. La justice est entièrement soumise au président qui nomme tous les juges et peut les destituer à tout moment. Régulièrement, le président ouzbek consent à une amnistie et libère plusieurs milliers de prisonniers de droit commun. Cette pratique en dit long sur la personnalisation du pouvoir. Enfin, il entretient un discours de façade sur les thèmes de la lutte du peuple et des dirigeants pour obtenir un Etat-nation mérité et historiquement justifié ou encore sur le bien-être national et l'exaltation de la nation et de la démocratie. Plus largement le projet politique semble être la mise sous tutelle de la société, le paternalisme à l'aide d'arguments culturalistes pour justifier le non-respect des droits humains et des libertés individuelles : le chef de l'Etat serait le seul apte à conduire le peuple vers la démocratie pour laquelle il ne serait pas encore prêt. Quelle participation de la population ? La population a pu profiter de cette période transitoire. Les premières réformes du système sont intervenues dès 1989 (Glasnost). Un pluralisme naissant a permis à la population de former des partis politiques. Birlik (Unité) et Erk (Liberté) ont connu une courte activité (2 ans environ) avant d'être limités dans leur action puis interdits. Birlik n'a pas été autorisé à présenter de candidat aux élections présidentielles de 1991. Le candidat de Erk, Mohammed Salih, avait dénoncé ce scrutin pour fraudes électorales ; il a rapidement été contraint à l'exil. Puis les partis ont vu leur enregistrement refusé et leurs activistes inquiétés voire persécutés. Les partis à base religieuse sont interdits. Depuis, l'opposition n'a pas de vie publique. Le gouvernement entretient l'illusion d'une opposition en créant quelques partis. Karimov avait créé et dirigé le Parti Démocratique du Peuple en 1991 avant de placer à sa tête un de ses fidèles et créer un autre parti, Fodikorlar, à la veille des élections présidentielles de 2000. Ils seront les deux seuls candidats en lice. Lors des élections législatives de décembre 1994 et janvier 1995, seuls les partis pro-gouvernementaux étaient autorisés à présenter des candidats. Dans les années 90, la répression des mouvements d'opposition a été tellement brutale qu'elle a poussé certains à la radicalisation et l'engagement dans les mouvements armés. Progressivement le pluralisme et la liberté de parole se sont réduits pour disparaître complètement. Il n'est pas possible de parler librement du président Karimov. Les émissions et les journaux privés évitent généralement les questions politiques. Les imprimeries appartiennent à l'Etat et peuvent refuser des licences aux journaux. Officiellement, la censure est supprimée depuis mai 2002 mais les éditeurs sont tenus responsables de ce qu'ils publient. Les journalistes indépendants ou qui travaillent avec des étrangers sont persécutés. Le régime autorise toutes les religions dominantes mais restreint les activités de certaines congrégations dont il exige l'enregistrement. Une loi de 1998 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses interdit le prosélytisme et l'enseignement de la religion sans permission officielle; le port de vêtements religieux est réservé aux membres des clergés. Le Conseil de la Fédération des Syndicats dépend de l'Etat et ne connaît pas d'alternative. En mars 2002, juste avant une visite de Karimov aux Etats Unis, le gouvernement a enfin accepté d'enregistrer l'Organisation Indépendante des Droits Humains d'Ouzbékistan qui le demandait depuis des années. Les militants des autres organisations continuent d'être persécutés. Dans ces conditions, les dirigeants ouzbeks sont les mêmes que les cadres du parti sous l'URSS. Ils n'ont pas quitté le pouvoir et ont veillé à ne laisser aucune chance à leur opposition de le prendre. Le Kazakhstan et le Kirghizstan ont connu un plus fort taux de renouvellement des élites du fait de la privatisation du secteur économique. Le pouvoir a été partagé entre élite économique et politique. En Ouzbékistan, il n'y a pas eu de réformes économiques, les ressources ont été simplement accaparées par les dirigeants. Enfin, les relations qui font le pouvoir en Asie centrale sont tenues hors de la sphère publique. La tradition soviétique de secret et de nomenclature s'est maintenue. Cette opacité laisse penser qu'il n'y a pas de société civile. Si la population n'a pas réclamé l'indépendance, pas plus que les dirigeants, elle a montré un réel intérêt pour une vie politique ouverte. Mais les autorités prennent des arguments culturalistes pour justifier qu'elle n'est pas prête à cela. 60 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Kirghizstan La relation au pouvoir Généalogies et alternance au pouvoir POUVOIR EXECUTIF, PARENTE, CLANS, RECOMPOSITION IDENTITAIRE, KOLKHOZES, TRANSMISSION DU POUVOIR, STRUCTURATION SOCIALE Le pouvoir exécutif kirghize est distribué du sommet de l'Etat, avec le président et le gouvernement, jusqu'au village avec le chef, en passant par le raïon, dirigé par un chef et l'oblast' dirigé par un préfet. Toutes ces figures du pouvoir ont une autorité effective qui provient de leur réseau de parenté. Ainsi ce modèle d'autorité est légitime au niveau le plus bas, celui où les entités administratives correspondent aux clans institués, mais il est plus contestable en s'élevant dans la hiérarchie de l'Etat. Le chef d'un clan, ou d'un réseau, est appelé Manap. C'est lui qui règle tous les conflits. Ce modèle existe depuis la fin du XIXe siècle, il s'est perpétué et adapté, y compris au système des kolkhozes pendant la période soviétique : le kolkhoze repose et se confond avec un lignage dont le chef décide de tout. La transformation socio-économique a donc donné lieu à une recomposition identitaire en instrumentalisant les kolkhozes. Le modèle persiste puisque les chefs qui dirigent sont issus des mêmes familles ; ils ont autorité sur des groupes fondés sur la même base, c'est-à-dire lignagère. Cette structure lignagère est similaire au Kazakhstan. Cette organisation suppose que chaque individu connaît sa propre généalogie ; celui qui ne la connaîtrait pas serait considéré comme exclu du système. L'ensemble de la structuration sociale est fondée sur la parenté. Les différents groupes, de cette culture pastorale, correspondent à des clans familiaux qui portent un nom permettant de les identifier (ils représentent des centaines voire des milliers de personnes). Ces clans connaissent également une base territoriale. Ils possèdent une mythologie nourrie des ancêtres illustres. Ils ont chacun des domaines d'activités spécialisés. Le chef du clan connaît le droit coutumier, les généalogies, il possède un savoir-faire pour diriger les hommes et s’occuper des bêtes. C'est lui qui en a la meilleure connaissance. Les clans entretiennent des relations et s'allient en contractant des mariages. Ainsi on observe une grande continuité dans les figures politiques, elles sont héréditaires même si les règles de transmission du pouvoir ne sont pas précisément définies. L'arrière-grand-père d'Akaev, président kirghize, de 1991 à 2005, était un grand khan du Nord du Kirghizstan. Il existe un accord tacite dans le pays pour une alternance au pouvoir entre les clans du Nord du pays et ceux du Sud. Il n'est donc pas étonnant que l'actuel président soit un Kirghize du sud. La spontanéité et le succès du soulèvement populaire qui l'a conduit au pouvoir doivent être analysés dans cette perspective. Une telle structuration sociale et sa préservation au cours des siècles laissent peu de place à l'émergence d'une communauté unique et d’un Etat auquel tous les citoyens s'identifieraient. C'est un autre des échecs, et non des moindres, du système soviétique que de n'avoir pas su créer des entités politiques avec lesquelles les citoyens puissent s'identifier ; il est lié à l'échec économique et écologique. L'identité kirghize se construit par rapport à : - une généalogie - un clan - un territoire Ce système permet de se sentir tous différents mais alliés, grâce aux réseaux d'alliances qui unissent les différents clans. Les Kirghizes s'identifient encore avec : - certains lieux dont ils sont très fiers comme le lac Issyk Kul - l'indépendance qui procure également une grande fierté - les séances parlementaires représentent également un motif de fierté. Elles sont télévisées et très regardées dans le pays. La mise en scène du pouvoir doit contribuer à cet attrait, tout comme le sentiment d'être en contact avec un lieu de pouvoir après la période soviétique dominée par la politique du secret. Par contre il n'y a pas de référence ou d'identification avec la constitution. Le rôle de protection et de représentation appartient au niveau local, celui du village, les institutions centrales ne suscitent pas assez de confiance pour cela. L'Etat n'est pas perçu comme redistributeur et fournisseur de services. Il n'est pas un interlocuteur. Le seul moyen de renforcer l'Etat est de s'appuyer sur les lieux de pouvoir légitime, c'est-à-dire les chefs locaux. 61 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 L'ensemble de ce système pose le problème de la démocratisation : le mode de distribution du pouvoir n'est pas démocratique puisqu'il est héréditaire. Le pouvoir ne quitte pas le lignage auquel il appartient 1 . EN PERSPECTIVE… Dans ce système traditionnel où la transmission héréditaire du pouvoir domine, comment instaurer la démocratie ? Le concept de souveraineté du peuple est-il compatible ? Une légitimité électorale est-elle possible ? Faut-il penser un système hybride ? 1 Entretien avec Svetlana Jacquesson, docteur en ethnologie, spécialiste du Kirghizstan, mai 2005. 62 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Chine La relation au pouvoir Autoritarisme et continuité ETAT, HERITAGE POLITIQUE, LEGISME, CONFUCIANISME, MAO ZEDONG, IDEOLOGIE, TOTALITARISME, LEGITIMITE, RATIONNALISATION, PARTI COMMUNISTE, NATIONALISME, REPRESSION La pérennité d'un pouvoir autoritaire en Chine, malgré la libéralisation économique que le pays connaît depuis plusieurs années, a poussé nombre de chercheurs à s'interroger sur les raisons de cette longévité et de sa résistance à une réelle ouverture démocratique. Empire et communisme : une continuité ? Certains spécialistes, en particulier chinois, estiment qu'il faut replacer le système politique actuel dans le contexte de l'histoire plusieurs fois millénaire du pays et de la culture politique qui en est issue. Sans apporter une explication culturaliste à la situation actuelle, force est de reconnaître que le régime communiste présente un certain nombre de caractéristiques communes avec le système impérial de l'Empire du milieu. L'Etat chinois s'est constitué très tôt (environ 200 av. J-C) et a dicté les termes du fonctionnement social, encadrant ainsi la société. "Durant la période impériale comme dans la République Populaire de Chine, l'ordre social est caractérisé par une relation Etat-société dans laquelle la société est presque entièrement soumise à l'Etat" estime ainsi Zhengyuan Fu 1 . Le pouvoir, extrêmement centralisé, était concentré dans les mains de la dynastie régnante. L'idéologie politique dominante de l'époque, le Confucianisme, constituait certes la base de l'autorité impériale. Mais la pensée légiste (ou légaliste) aura également une grande influence sur les souverains chinois. Partant du postulat que l'homme est par nature égoïste et mauvais, il convient de l'encadrer par des lois. L'individu doit par conséquent se soumettre à la loi édictée par le souverain. Tout procède de l'Etat, appuyé par un puissant appareil coercitif. La liberté individuelle n'existe pas : "l’individu doit sacrifier à l’État sa pensée, son travail, et même sa vie si le souverain l’exige, sans considération de ses désirs personnels ou de son bonheur 2 " Cette théorie sera mise à l'index au profit de la doctrine confucéenne, elle n'en a pas moins conservé une influence importante. Au-delà de cette idéologie, des facteurs plus pratiques ont permis la pérennité d'un pouvoir central fort. Aucun pouvoir religieux ne s'opposait à l'empereur (ce dernier était lui-même détenteur du pouvoir religieux). Il existait en outre une bureaucratie lettrée soigneusement choisie par concours et sous étroit contrôle impérial (interdiction d'exercer son mandat dans sa région d'origine, rotation des postes, renvois…) Dans cette optique, l'autoritarisme du régime actuel puiserait en partie sa source dans cette forme ancienne d'organisation et de rapport au pouvoir. Il convient cependant de nuancer le rôle du pouvoir central dans la Chine impériale : l'autorité de l'empereur, loin d'être absolue, était soumise à un ensemble de contraintes de nature traditionnelle ou rituelle. La doctrine confucéenne lui conférait un rôle moral ; sur lui pesait la responsabilité du bonheur et de la prospérité de son peuple. En outre, c'est dans l'apparition d'une nouvelle conception de l'Etat, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, que l'on peut voir la naissance de l'actuel modèle de pouvoir chinois. A la mort de l'empereur Xiangfeng en 1861, une nouvelle doctrine politique, estimant que "ni le souverain, ni le pouvoir n'est sacré, mais [que] l'Etat demeure l'ultime et unique source de toute autorité 3 " voit le jour. Dès lors, sans le socle religieux et traditionnel sur lequel il reposait, le pouvoir est potentiellement soumis à d'autres formes de légitimation, tels la puissance militaire sous Chang Kai Tchek ou la légitimité charismatique (Max Weber) sous Mao Zedong. Ce dernier, débarrassé des contraintes traditionnelles et religieuses qui ont pu peser sur les souverains dynastiques, usant de son charisme et bénéficiant des technologies modernes (en particulier les médias), a pu étendre son pouvoir de façon totalitaire. Il a également construit un Etat fondé sur l'idéologie, un Etat idéologique. Présentée comme vérité absolue, celle-ci était l'un des fondements de la légitimité du régime communiste, l'unité de valeur à partir de laquelle toute action était jugée et l'axe guidant la politique 1 Zhengyan Fu, Autocratic Tradition and Chinese Politics, Cambridge University Press, 1993 H.G. Creel, La pensée chinoise : de Confucius à Mao Tseu-Tong (Paris, Payot, 1955) 3 Marianne Bastid, Official Conceptions of Imperial Authority at the End of the Qing Dynasty, in Stuart S. Schram, Foundations and Limits of State Power in China (Hong Kong, the Chinese University Press, 1987), disponible sur le site sunzi1.lib.hku.hk/hkjo/view/50/5000294.pdf 2 63 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 de Pékin. C'est au nom de cette idéologie que seront lancées les grandes campagnes qui ensanglanteront les années Mao : le Grand Bond en avant (1958-1962), la Révolution culturelle (1966-1976) et les purges successives au sein du PCC. Mais l'idéologie à elle seule n'aurait pas permis de telles mobilisations. La dictature totalitaire en était le corollaire indispensable. Au-delà de la simple répression, commune à de nombreux régimes, la domination du régime maoïste sur la société a reposé sur la volonté de contrôler la pensée : plus qu'un simple endoctrinement, la campagne de réforme de la pensée au début des années cinquante constituait ce que certains psychiatres dénoncent comme un véritable lavage de cerveau. Dans les camps de travail (laogai), les prisons et au niveau de la société entière, en utilisant les autocritiques publiques, la confession au Parti et en se donnant une dimension morale héritée de la doctrine confucéenne (idée de perfectionnement spirituel), le pouvoir est parvenu à une "rééducation intellectuelle" d'une large partie de la population. Cette dimension est particulière au totalitarisme chinois. A la mort de Mao en 1976, le Parti Communiste Chinois (PCC) était affaibli : outre les dissensions internes, le Grand timonier avait confisqué à son profit toute la légitimité politique au détriment du Parti. Il était essentiel pour le PCC de restaurer sa crédibilité. Après Mao : la quête de légitimité du Parti Communiste Chinois Pour le PCC, la reconstruction d'une économie grandement affaiblie par le Grand Bond en avant et surtout par les dix années de Révolution culturelle a été un moyen de remplacer la légitimation charismatique et idéologique par une forme de légitimation plus rationnelle (Weber). La politique de réformes économiques instituée à partir de 1978 par le nouveau maître de la Chine, Deng Xiaoping met davantage l'accent sur le pragmatisme et la performance que sur l'idéologie. L'actuel président, Hu Jintao, en promouvant une "société harmonieuse" et en cherchant à réduire les énormes inégalités sociales et économiques du pays, semble se placer dans la continuité de cette logique. Il est à noter que cette forme de légitimation rationnelle peut-être un élément positif pour le processus démocratique en Chine ; elle demande en effet plus de transparence et engage davantage la responsabilité des dirigeants qu'une légitimation de type charismatique. Cependant, l'idéologie conserve une place importante dans la légitimation du pouvoir ; les hommes politiques ont toujours recours à l'idéologie socialiste pour justifier leurs actions, quitte à maintenir un certain flou et à l'adapter aux réalités économiques et politiques du moment. Le recrutement au sein du PCC aujourd'hui n'est pas tant fonction de la performance ou des capacités individuelles que de la fidélité au parti et à l'idéologie 4 . En outre, depuis son accession au pouvoir en 2002, le président Hu Jintao a mis l'accent sur l'éducation politique et idéologique de la population. Des dirigeants aux membres de base, sans oublier la jeunesse, la campagne de formation politique vise à consolider l'assise du Parti. On ne peut néanmoins plus parler d'Etat idéologique. D'autres moyens sont venus compléter ce vide. On assiste ainsi depuis quelques années au retour du confucianisme, présenté comme un modèle politique conforme à la tradition culturelle chinoise. Par ailleurs, Pékin chercherait à conserver une certaine forme de légitimité charismatique en réactivant le nationalisme chinois. "Since the Chinese Communist Party is no longer communist, it must be even more Chinese" (puisque le Parti Communiste Chinois n'est plus communiste, il se doit d'être encore plus chinois.) 5 Le nationalisme apparaît ainsi comme une idéologie de substitution, surtout après la perte de légitimité du pouvoir à la suite de la répression de Tiananmen de 1989 et après l'effondrement du système communiste en URSS et en Europe de l'Est. Les manifestations anti-japonaises qui ont éclaté dans plusieurs grandes villes chinoises en avril 2005 sont également un exemple récent du nationalisme chinois 6 . Ces manifestations auraient été largement pilotées 4 "In a 1995 study Andrew Walder confirms that in modern China the trend of distributing political power to loyalists before experts still holds true. (…) In other words, the Party maintains control over the distribution of administrative positions (which are the positions of authority) by giving them to those who, other things being equal (or perhaps even not), show the greatest loyalty to the Party." John Lejeune, The Evolution of Chinese Politics, Cornell University Conference on Transitions in Post-Mao China, www.einaudi.cornell.edu/eastasia/ gradconference/pdf/LeJuene.pdf 5 Thomas Christensen, Chinese Realpolitik, Foreign Affairs 75, N° 5, (1996): 37. 6 La publication au Japon de manuels d'histoire passant sous silence certaines atrocités commises par l'armée japonaise pendant l'occupation de la Chine a déclenché des manifestations à Shanghai, Pékin, Shenzhen et d'autres grandes villes chinoises, manifestations au cours desquelles l'ambassade et des magasins japonais ont été la cible de jets de pierre. 64 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 par Pékin. Le pouvoir chinois est cependant prudent dans l'utilisation de cet instrument à double tranchant : il n'est pas impossible que la vindicte anti-japonaise se transforme en contestation dirigée contre le pouvoir chinois. Les manifestations ne sont en effet pas rares dans le pays. Elles portent néanmoins sur des revendications économiques précises et n'ont pas de projet politique pouvant menacer le pouvoir en place. Ce dernier prend soin de plus de ménager des espaces soigneusement limités où le mécontentement peut s'exprimer : pétitions, bureau d'enregistrement des doléances, grèves… dans la mesure où il ne remet pas en cause l'autorité politique. L'Etat chinois reste en effet un Etat policier. Malgré les différentes formes de légitimité dont il se veut le dépositaire, le régime se maintient largement en place par la répression, comme l'a prouvé le triste épisode de Tiananmen en 1989. Cette répression entamera grandement la légitimité du Parti et obligera le pouvoir à s'appuyer davantage sur les réformes économiques et sur la croissance pour se légitimer. Mais l'accroissement des inégalités des revenus, la corruption endémique et la hausse du chômage remettent en cause la politique qu'il mène et l'oblige à maintenir une poigne de fer sur la société. 65 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 66 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Chine La relations au pouvoir La place de l'individu dans la société chinoise CONFUCIANISME, LEGISME, MASSES, TOTALITARISME, REFORME DE LA PENSEE, HUMANISME, INDIVIDUALISME, DROITS DE L'HOMME, PROTECTION SOCIALE Le respect des droits de l'homme est une question qui revient régulièrement lorsque l'on aborde le thème de la démocratisation en Chine. L'Empire du Milieu n'est pas réputé pour ses considérations humanistes et se trouve régulièrement épinglé par les organisations internationales de protection des droits de l'Homme. Cette question n'est pas sans lien avec la place accordée à l'individu dans la société chinoise. Un héritage culturel lourd Dans la Chine ancienne, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, l'individu était défini par le réseau de liens familiaux, locaux ou traditionnels dont il faisait partie (famille, village, clans). Toute idée d'individu n'était cependant pas niée. Le taoïsme de Lao Tseu a été interprété comme prônant une forme d'individualisme. Le philosophe Yang Chu (300 av. JC), très critiqué, a lui énoncé une théorie de l'égoïsme dans laquelle il affirme qu'il ne "sacrifierait pas un cheveu pour l'Empire" et qu'il refuserait de servir dans l'armée. Mais ce courant est resté marginal dans son interprétation individualiste. A cela s'ajoute le poids de la doctrine légiste : "l’individu doit sacrifier à l’État sa pensée, son travail, et même sa vie si le souverain l’exige, sans considération de ses désirs personnels ou de son bonheur 1 " Elle sera remplacée en tant que doctrine d'Etat par le confucianisme, mais celui-ci n'insiste pas davantage sur l'individu. Au contraire, il insiste sur l'importance de la hiérarchie et du réseau interpersonnel. Si beaucoup opposent confucianisme et individualisme, il faut souligner que les valeurs qu'ils véhiculent ne sont pas antinomiques. Confucius lui-même aurait dit : "une grande armée peut être privée de son général en chef ; mais l'homme individuel ne peut être dépossédé de sa volonté." 2 Mais tel qu'il a été compris et utilisé par le pouvoir impérial chinois, l'héritage confucéen a contribué à l'effacement de l'individu dans une structure hiérarchique. Les sujets devaient obéissance à l'empereur, le fils au père, les frères étaient liés par le devoir fraternel et les amis par l'obligation de fidélité. La place ainsi accordée à l'individu dans la société traditionnelle chinoise est traduite par l'ambivalence du terme "soi" (self) qui en chinois signifie également secret, tabou, illicite, voire souillé 3 . Un régime autoritaire niant l'individu Les décennies maoïstes (1949-1976) ont laissé une empreinte profonde quant à la conception de l'individu. Comme dans tout totalitarisme, l'individu y était nié. Le régime s'adresse à et dirige les "masses", innombrables et anonymes à qui il dicte tout ; la population est fixée sur le territoire (mise en place d'un passeport intérieur) ou déplacée arbitrairement (envoi des "instruits" à la campagne pour y être "rééduqués" par les paysans) ; l'identité personnelle elle-même est définie par rapport au statut politique (selon si l'on est membre du Parti ou non) et selon sa classe sociale (les "cinq catégories noires, définies lors de la Révolution culturelle – propriétaires fonciers, paysans riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments et "droitiers" 4 – étaient en butte à la discrimination ; cet étiquetage héréditaire conditionnait l'accès aux biens, aux services, aux privilèges et au pouvoir). Le régime maoïste est allé même plus loin que d'autres formes d'autoritarisme dans la négation de l'individu par la "réforme de la pensée". Imposées par la terreur ou par la pression du groupe, les réunions de critique, les autocritiques et les confessions au Parti ont pour but le remodelage de la pensée des individus afin qu'elle soit conforme à l'idéal communiste. Cette idée de rééducation de l'homme est toujours très présente aujourd'hui, notamment dans la politique de rééducation des détenus. Dans les prisons chinoises, le travail manuel et une "formation juridique morale" est sensée "convertir les facteurs négatifs en facteurs positifs et transformer les détenus en personnes utiles à la société". 4 1 H.G. Creel, La pensée chinoise : de Confucius à Mao Tseu-Tong (Paris, Payot, 1955) Cité dans Chen Yan, L'Eveil de la Chine, 2002, édition de l'Aube 3 Emerson, John J, Yang Chu's Discovery of the Body, initialement publié en octobre 1996 dans Philosophy East and West, vol. 46-4, http://www.idiocentrism.com/china.yangchu.htm 4 Individus faisant preuve d'une sensibilité politique trop à droite selon les critères maoïstes 4 Livre blanc sur la rééducation des détenus en Chine, août 1992, Office d'Information du Conseil des Affaires d'Etat, Beijing , http://french.china.org.cn/fabook/menu21.htm 2 67 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Vers une reconnaissance de l'individu ? Dans les années 80, l'ouverture du débat et l'émancipation de la pensée permettent à des intellectuels chinois de lancer un débat sur l'humanisme : sans revenir sur l'idée que l'individu doit se soumettre entièrement au Parti, ils dénoncent sa réduction à son appartenance à une classe et le phénomène d'aliénation qu'a engendré le système maoïste et réclament la reconnaissance de la valeur de l'homme. Ce mouvement a eu d'importantes conséquences intellectuelles quant à la perception de l'individu. Parallèlement, de plus grandes libertés individuelles ont été accordées par les autorités : le démantèlement des unités de production (danwei) dont dépendait entièrement l'individu (du logement au travail en passant par la protection sociale), la liberté de voyager (ouverture progressive des frontières extérieures et plus grande liberté de circulation interne) et le droit à la propriété sont peu à peu apparus. Plus récemment, un système plus élaboré de protection sociale pour protéger les plus précaires (chômeurs, migrants) a été mis en place et semble marquer un plus grand souci pour le bien-être de la population, ce qui contraste avec le peu d'importance traditionnellement accordée à la vie humaine. Cela tient cependant davantage à l'ampleur de la contestation sociale qui pourrait menacer la stabilité du régime ; en outre, la Chine se réclame du socialisme et ne peut symboliquement négliger le peuple. Enfin, celui-ci est toujours pensé en terme de "masses" ou de catégories sociales. La question des droits de l'Homme est enfin abordée depuis quelques années sous les pressions internationales. Il est même affirmé dans la Constitution que "l'Etat respecte et garantit les droits de l'Homme." Cependant, le pouvoir chinois joue sur ses traditions culturelles, en particulier l'héritage confucéen, pour expliquer ses réticences quant à leur respect. Selon la position officielle, l'évolution de la situation des droits de l'homme dépend des conditions historiques, sociale, économiques et culturelles des différents pays et l'idée que l'on se fait les droits de l'homme et la façon dont on les applique ne peuvent être les mêmes. La libéralisation économique et la hausse du niveau de vie dans certaines classes de la société pourraient favoriser la montée de l'individualisme. Quelques indices laissent entrevoir la place plus importante que prend l'individu, tels le mode de vie des jeunes citadins aisés ou le choix de plus en plus de Chinois pour un tourisme à la carte au lieu de voyages organisés. Il apparaît pourtant que cette forme d'individualisme ne concerne qu'une très faible minorité de la population, la plus favorisée ; en outre, elle se heurte à la rigidité des mentalités : "la difficulté [ne résulte probablement pas que de la censure du régime], [elle] persiste (…) dans la combinaison de deux barrières psychologiques : l'individualisme qui est toujours perçu comme très occidental et le confucianisme ambiant reste fondé sur la réussite sociale et l'obéissance de l'individu envers la famille et l'empereur." 5 Enfin et surtout, cet individualisme s'apparente davantage à un hédonisme consumériste qu'à une véritable expression de l'individu. Le régime maintient un étroit contrôle sur celle-ci et ne laisse l'individu s'exprimer que dans le cadre autorisé par les réformes. Se développe ainsi un "individu schizophrénique" 6 , pris entre l'espace de liberté limité que lui laissent les réformes et le joug que fait peser sur lui l'autoritarisme du pouvoir. Ce phénomène est lié à l'évolution du régime chinois : le totalitarisme maoïste cherchant à contrôler la conformité idéologique des individus, non seulement dans leurs actes mais aussi dans leurs pensées, a laissé place à un autoritarisme dont l'objectif se limite à empêcher l'expression de ces individus. De ce fait, ces derniers sont plus libres de penser ce qu'ils veulent, voire même de critiquer le gouvernement dans la mesure où cela ne s'exprime pas sur la place publique, d'où cette "schizophrénie". EN PERSPECTIVE… Malgré la faiblesse des acquis, il semble qu'une conscience individuelle soit bien en train d'émerger en Chine. Marqué par un lourd passé confucéen, mêlé d'hédonisme et sous étroit contrôle des autorités, le lent changement des mentalités paraît faire son chemin. Il apparaît cependant que l'individu chinois est davantage pensé un individu économique que comme un individu politique capable de s'opposer à l'Etat. 5 6 Chen Yan, op. cit Ibid. 68 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ouzbékistan La quête de la légitimité Le contrat fondateur et sa rupture INDEPENDANCE, GUERRE CIVILE, TENSIONS INTERETHNIQUES, SECURITE ALIMENTAIRE, FEMMES, CONTESTATION, INTEGRISME En guise de contrat social, le contrat fondateur du nouvel Etat indépendant Les toutes premières années de l'indépendance, la population reconnaît à Karimov certains mérites : il a su éviter la guerre civile malgré les tensions inter-ethniques qui avaient dégénéré en affrontements, et parfois même, en tueries entre 1989 et 1992 ; à ce titre, la guerre au Tadjikistan a longtemps servi d'épouvantail dans l'esprit des Ouzbeks. En dépit de l'effondrement du système soviétique d'échanges, il a su approvisionner son pays en produits alimentaires. En somme, il a su répondre aux exigences de l'urgence et conduire son peuple à l'indépendance. La tâche n'était pas aisée et le résultat – l'indépendance pacifique – fait la fierté du peuple ouzbek. Voilà les termes du contrat tacite établi entre le président Karimov (et lui seul, vu la forte personnalisation du pouvoir) et le peuple ouzbek : la nation avait le sentiment de vivre un moment important de son histoire et son président se devait de lui assurer la sécurité. C'est dans ces conditions qu'il a accepté la fermeture de la vie publique dès l'indépendance. Karimov a en plus su accompagner sa politique d'une rhétorique sur la nécessaire préparation du pays à la démocratie. Il a usé et abusé de la métaphore du jeune enfant qui doit grandir avant d'être autonome, et s'est posé en père autoritaire de cette jeune nation. Seulement ce contrat a volé en éclat à mesure que les années passaient et que la situation n'évoluait pas. Le gouvernement a échoué à assurer le bien-être de la population : l'économie s'enfonce dans la crise après avoir connu une embellie dans l'immédiate après-indépendance - les investisseurs étrangers se sont retirés car les réformes économiques tardaient trop. Le niveau de vie a sérieusement chuté : le salaire moyen mensuel représente l'équivalent de 80 dollars ; la croissance économique et le niveau de vie sont parmi les plus bas de l'ex-URSS selon la Banque mondiale (2003). La situation sanitaire s'est dégradée du fait d'une alimentation insuffisante et déséquilibrée et du difficile accès aux soins médicaux. L'interdiction des candidats d'opposition et les suffrages anormalement élevés remportés par Karimov dénoncent la manipulation des résultats des élections et font perdre toute confiance dans le vote. La brutalité de la politique apparaît injuste et absurde (répression et règne de l'arbitraire : les témoignages sur des descentes de miliciens dans les villages pour y arrêter de façon entièrement arbitraire les jeunes hommes ne sont pas rares). Enfin, les dirigeants s'installent dans le pouvoir et ses privilèges et affichent le plus grand mépris pour la population (circulation coupée pour le passage des dirigeants et de leurs invités, parfois des journées entières pour des visites dans les villes du pays, corruption). Malgré tout, le discours sur la liberté, la démocratie et le bien-être demeure. Ce décalage entre discours et réalité a rompu le lien entre le peuple et le pouvoir, de façon encore plus flagrante au niveau local où la proximité rend ce processus encore plus visible. Comment se traduit cette rupture de contrat de la part de la population ? Le peuple est profondément blessé d'être réduit à une telle indigence. L'indépendance porteuse d'espoirs a amèrement déçu et provoque une nostalgie de l'époque soviétique où le bien-être matériel était au moins assuré. Depuis plusieurs années, les Ouzbeks sont obligés, pour nourrir leur famille, de partir travailler à l'étranger : dans les pays voisins pour les plus démunis et alors ils doivent affronter le mépris de leurs voisins dont la situation économique est un peu plus enviable (au Kazakhstan, les Ouzbeks font les tâches les plus basses des travaux agricoles et reçoivent un salaire inférieur à celui des Kazakhs). Ceux qui peuvent payer un billet de train vont en Russie et travaillent sur des chantiers de construction. Enfin ceux qui le peuvent, prennent l'avion pour travailler en Israël, en Corée ou dans les Emirats du Golfe. Ce sont souvent des femmes qui font ce voyage pour plusieurs années et quand elles n’ont pas encore une famille, la prostitution n'est pas rare. La différence entre ces 3 catégories de travailleurs ouzbeks émigrés n'est pas la fortune mais la richesse du réseau personnel qui leur permet de s'endetter plus ou moins avant le départ. Malgré de telles difficultés dans la vie quotidienne, la contestation populaire quitte rarement le cercle privé des personnes de confiance. Depuis 2 ou 3 ans, des manifestations de rue sont apparues. Elles sont surtout le fait de femmes dont les fils ou les maris sont emprisonnés. Comme elles ne sont pas très nombreuses, elles sont régulièrement arrêtées à leur tour. 69 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Face à l'impossibilité de faire confiance au fonctionnement démocratique ni aux gouvernants et encore moins d'exprimer son mécontentement sans l'assurance d'être sérieusement inquiété, certaines franges de la population se sont radicalisées et ont rejoint l'illégalité et la lutte armée. Ce choix aujourd'hui en Ouzbékistan est synonyme d'islamisme. Il existe deux mouvements islamiques clandestins, le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan et le Hizb-ut Tahrir dont les membres sont exilés dans les républiques voisines (surtout au Kirghizstan et au Tadjikistan) d'où ils lancent des incursions sur le territoire ouzbek. L'Ouzbékistan a déjà connu deux vagues d'attentats dans sa capitale (1999 et 2003), plusieurs raids contre ses forces de l'ordre hors capitale. Une prise d'otages à l'échelle de plusieurs villages ouzbeks sur territoire kirghize a permis de donner l'ampleur de ces mouvements (août 2000). Le régime ouzbek a perdu la légitimité que lui donnait les premiers temps de l'indépendance où son expérience du pouvoir a pu rendre acceptable d'avoir accaparé toutes les institutions. Aujourd'hui il a failli à sa tâche et a perdu toute la crédibilité de sa mission d'apporter le bien-être et la démocratie à la population. Il ne reste plus qu'une stratégie de pouvoir. EN PERSPECTIVE… L’Ouzbékistan recherche depuis son indépendance une place prépondérante sur la scène politique régionale qui lui permettrait au niveau international, une certaine autorité. C’est là un autre mode de légitimation du pouvoir. Il semble que, dans cette quête, l’heure des alliances – avec la Russie, avec les Etats Unis - soit terminée : l’Ouzbékistan a donné en juillet 2005 un ultimatum aux troupes américaines pour quitter le territoire. Le modèle turkmène de l’isolement et de faire cavalier seul apparaît tenter le dirigeant ouzbek. 70 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Bosnie-Herzégovine La quête de la légitimité Un espace collectif, les Mjesna Zajedna COLLECTIVITES LOCALES, COMMUNAUTARISME, REPRESENTATION, SERVICES PUBLICS, MAHALLA, AUTONOMIE LOCALE, LEGITIMITE Les Mjesna Zajedna (MZ) de Yougoslavie constituent la représentation actuelle d'une forme historique d'interactions au niveau communal qui s'inscrit dans l'histoire longue. Elles ont beaucoup de points communs avec les mahallas, communauté de voisinage. Ce sont d'anciens systèmes complets et complexes d'autonomie locale donnant les possibilités aux citoyens de priorétiser leurs besoins, collecter des ressources et mettre en oeuvre des initiatives en coopération avec l'autorité gouvernementale. Elles reposent sur le principe d'une solidarité exprimée par l'échange de travail, la propriété immobilière collective (mosquées, institutions collectives) et les actions communes (cérémonies). Perspective historique Dans la Fédération yougoslave, elles sont instituées par les constitutions de 1963 et 1974 comme étant le niveau le plus bas de l'organisation de voisinage dans les zones urbaines et rurales. Leur rôle consistait dans la construction comme l'entretien des infrastructures locales (asphalte des routes, lignes de téléphone...). Elles fonctionnaient grâce au travail volontaire des habitants et à leurs contributions financières. Les produits et les infrastructures étaient ensuite la propriété de la MZ ; elle devait collecter le budget pour son entretien. Lorsque la guerre a éclaté, les MZ n'ont pas toujours su rester unies et maintenir les liens des communautés. Rapidement les disputes ont gagné leurs membres, appartenant à différentes ethnies. Elles se sont scindées ou sont devenues des « MZ en exil ». Après l'accord de Dayton (1995), elles ont perdu leur personnalité juridique (nouvelles lois de 1996 et 1999) y compris le droit de posséder des bâtiments, d'avoir des comptes bancaires, d'initier des projets d'infrastructures et de se financer par une contribution financière obligatoire. Dans la loi de la Respublica Srpska sur l'autonomie locale, les MZ ne sont plus décrites comme des mécanismes de gouvernement mais comme une forme possible de démocratie directe comparable aux initiatives citoyennes et aux référendums locaux. (WB, 2002 : 70). Une étude de la Banque Mondiale (Local level Institutions and Social Capital, 2002) montre que les citoyens ont une meilleure confiance dans les MZ que dans les ONG. Compétences L'Assemblée de la MZ est élue tous les 2 ans, elle réunit 9 membres, et constitue l'autorité exécutive et la représentation des citoyens. Le problème se pose encore pour les villages mixtes où se sont mises en place des MZ doubles ou parallèles. On voit, reporté au niveau municipal, le problème de la fragmentation des structures institutionnelles du fait de la mixité des populations et de l'absence de confiance entre les différents groupes. Ces structures contribuent à la privatisation du système social de l'Etat : à Sevarlije, des collectes de fonds auprès des habitants ont été organisées pour l'eau, la garde des enfants et l'équipement scolaire. Une étude de cas : Sevarlije Le village de Sevarlije se situe dans le Nord de la Bosnie-Herzégovine, entre Tuzla et Banja Luka, dans le canton de Doboj. Les 490 familles bosniaques du village ont été expulsées par les Serbes le 18 juin 1992, causant la mort de 34 civils. Le village est resté vide de 1992 à 1998. Toutes les réalisations de la MZ de Sevarlije – réseau d'eau potable, électricité, lignes de téléphone, centre médical communautaire, école et mosquée – ont été brûlées et pillées. Près de 100% des logements ont été détruits. A la signature de l'accord de paix, le village est intégré à la Respublica Srpska. Les habitants doivent donc se résoudre à vivre dans une entité majoritairement serbe ou renoncer à revenir au village. Au cours de l'été 1998, ils sont parmi les premiers Bosniaques à regagner le territoire de l'entité serbe : un petit groupe est autorisé à regagner le village et les premiers travaux commencent. Dès l'hiver, 23 familles s'installent au village. En 2001, 215 familles, soit 638 personnes, étaient revenues au village. 71 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Les spécificité du village de Sevarlije Deux premières particularités distinguent Sevarlije : • les foyers regroupent rarement les familles étendues et de fait le principe organisateur est la résidence et non la famille. • du fait de sa proximité avec Doboj, le village connaissait, depuis les années 60, une situation de prospérité économique : les habitants ne sont pas agriculteurs mais employés à Doboj. C'est aussi pour cette raison que le village a connu un degré d'autonomie locale rarement rencontré ailleurs, où la MZ peut se limiter à une relation bureaucratique entre le village et le conseil local. La MZ de Sevarlije et sa mission spécifique : le retour D'autres particularités qui tiennent aux membres de la MZ de Sevarlije et à son passé, expliquent son succès : • les dirigeants de la MZ (4 à 5 personnes) sont les mêmes de 1992 à 2001. Ils sont unis par des liens d'amitié et de parenté. C'est grâce à cette expérience qu'ils peuvent former une « MZ en exil » : ils collectent des fonds pour soutenir les soldats, distribuent de l'aide humanitaire, fournissent une assistance pour les enterrements. • Une mission bien spécifique : le retour. Ainsi, ils constituent une Assemblée pour le retour, une structure informelle d'abord, puis elle est enregistrée auprès de la municipalité de Doboj pour obtenir un statut officiel, bénéficier des pouvoirs inhérents, participer au travail de la municipalité. Cela correspond aussi à un souhait émotionnel de retrouver le mode de vie d'avant la guerre. C'est un exemple parmi d'autres des mutations subies par la MZ de Sevarlije depuis 1992 qui s'est chaque fois adaptée aux besoins ponctuels des habitants du village. Elle redevient officiellement MZ en 2000. Le retour s'organise dès 1996 : les dirigeants de la MZ commencent par les tâches administratives, font du lobbying ; représentent les habitants auprès des autorités bosniaques, des officiels serbes et des représentants des organisations internationales. Ils collectent des informations qu'ils diffusent : ils distribuent puis récupèrent les formulaires de logement de l'UNHCR. Enfin, ils maintiennent le contact avec les habitants du village déplacés dans d'autres régions. Pour le financement de cette opération, il a fallu faire appel aux financements extérieurs car les contributions des habitants ne pouvaient suffire vu la chute des revenus pendant la guerre. Une action basée sur le dialogue Le retour réussi des habitants de Sevarlije tient à la cohésion qui existait préalablement entre aux, à l'expérience de gestion politique des dirigeants mais aussi au long processus de dialogue dans lequel cette opération s'est inscrite. Encouragées par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unis (HCR), 77 réunions ont eu lieu (1997-98) entre les habitants de Sevarlije (bosniaques) et les Serbes déplacés qui occupaient une partie des maisons du village. Elles étaient d'abord courtes et tendues mais les relations se sont détendues pour finalement se normaliser. C'est ainsi qu'ils sont arrivés à un accord sur un retour graduel ; les Bosniaques ont d'abord ré-occupé la partie du village laissée inhabitée par les Serbes déplacés pour que ceux-ci ne soient pas contraints de déménager tout de suite. De plus, les dirigeants de la MZ ont inclus les Serbes à leurs activités chaque fois que c'était possible (bus loué à entreprise serbe, ouvriers serbes embauchés pour la reconstruction). Ils ont pris soin de ne pas offenser les Serbes : la reconstruction de la mosquée a été lente pour s'achever seulement à l'automne 2001, de même que les cérémonies funéraires n'ont pas été célébrées avant mai 2000. L'exemple des Bosniaques de Sevarlije a incité les Serbes déplacés au retour. Les deux groupes avaient désormais un intérêt mutuel au retour. Les dirigeants de la MZ les ont alors aidés dans les démarches auprès des organisations internationales, dans la reconstruction et l'obtention de matériaux. Ce processus débute en 2000. Le succès du retour des habitants de Sevarlije tient au réseau de liens avec les autorités locales et internationales. Ces relations ont été basées sur des liens personnels et familiaux ce qui explique leur efficacité cependant, n'étant pas institutionnalisées, elles se perdent quand les équipes changent. Les autorités bosniaques n'ont pas aidé particulièrement à l'exécution de ce retour. Et au-delà de la question du retour... Enfin, du fait de son expérience, la MZ est devenue un intermédiaire entre les habitants, les donateurs internationaux et les autorités locales. Elle aide à résoudre les conflits sur l'attribution des allocations, les problèmes d'accès aux services sociaux pour les « personnes déplacées puis revenues » (école, clinique et centre social) ; elle encourage les demandes de cartes d'identité de la Respublica Srpska pour accéder à la 72 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 protection sociale. Pour contribuer à s'attaquer au problème de l'emploi, du fait de la conjoncture économique déprimée et de la discrimination, la MZ ouvre une coopération avec des organisations internationales pour initier des projets générateurs de revenus dans le village. La MZ comprend également un conseil de réconciliation pour les conflits de niveau local : propriété, héritages, divorce et répartition des biens, honneur et réputation. Mais ils sont très peu nombreux. Durant cette période, la MZ remporte plusieurs victoires : • en faisant circuler l'information pratique sur le retour, elle casse le monopole de l'information que détenaient les leaders politiques nationalistes qui décourageaient des populations nombreuses sur les possibilités de retour avec des rumeurs de violences et de persécutions. • Sur le plan de la sécurité, en accord avec le HCR, ils ont renoncé à recourir à l'aide des militaires de la SFOR pourtant postée dans le secteur pour construire la confiance entre les deux communautés. La cohésion menacée L'organisation du retour dans le village était une mission suffisamment forte pour mobiliser tous les habitants, d'autant plus facilement que cette cohésion existait avant la guerre. L'homogénéité ethnique et économique a encore facilité cette cohésion. Enfin, la confiance dans les dirigeants de la MZ explique encore la force de cette cohésion. Au printemps 2002, le travail collectif continue : 100 personnes se portent volontaires pour le nettoyage des routes. Pourtant, quand les dirigeants de la MZ n'ont plus pu reconstruire des logements supplémentaires, les habitants du village ont perdu leur confiance. Autre signe de la chute de légitimité des dirigeants de la MZ : la participation financière décroissante des habitants. La dépendance vis-à-vis de l'assistance internationale de la MZ a également contribué à la dé-légitimation de la direction de la MZ. Compte-tenu des pouvoirs accordés au président de la MZ, il existe un risque de clientélisme. Les dirigeants répondent de leur responsabilité par les élections (tous les 2 ans) mais elles ne doivent pas forcément comporter plusieurs candidats, et les réunions régulières. D'après les statuts, les citoyens prennent des initiatives, font des suggestions, donnent des opinions et ils participent aux débats (art.6). Les conseils des MZ doivent organiser des assemblées de citoyens et des référendums chaque fois que le fonctionnement de l'organisation est concerné. Peu à peu, la MZ se formalise, l'enthousiasme et la capacité de travail des membres diminuent, une fois la tâche principale du retour achevée. La forte capacité cohésive de la mission du retour au village a pu donner l'illusion d'une communauté parfaite. Toutefois dans l'environnement d'après-guerre dominé par l'absence de lois et où les individus tirent leur prestige d'activités économiques et sociales illicites, une telle organisation communautaire a préservé des relations honnêtes et respectueuses. Elle a une forte capacité à donner un modèle pour l'avenir. EN PERSPECTIVE… On peut se demander quel sentiment unitaire pourrait émerger quand les légitimités sont morcelées à échelle si petite et quand l’autonomie locale confie la plupart des services publics aux structures villageoises. 73 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 74 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie La quête de la légitimité La reconquête de la puissance URSS, FEDERATION DE RUSSIE, RAYONNEMENT, IDENTITE, PUISSANCE, HYDROCARBURES, BILATERALISME, AUTORITARISME, UNION EUROPEENNE, ETATS-UNIS, ETRANGER PROCHE, TUTELLE POLITIQUE ET ECONOMIQUE La fin de la Guerre froide a permis à la Russie de sortir de sa marginalisation politique et financière : les institutions internationales qui lui étaient auparavant fermées, lui ont ouvert leurs portes et leurs crédits ; elle assurera la présidence annuelle du G8 en 2006. Face à l’élargissement de l’Union européenne et surtout de l’OTAN vers l’Est, la Russie développe de nouvelles stratégies pour se réapproprier le rôle de superpuissance tenu par l’URSS sur la scène internationale et asseoir sa mainmise sur l’ancienne sphère d’influence soviétique. La diversité des stratégies face aux puissances occidentales Renaissance de l’identité nationale russe Un sondage réalisé en 2000 révélait que 55% des Russes considéraient que la tâche historique de la Russie actuelle était de reconstituer un empire successeur de l’empire russe et de l’empire soviétique. Le ciment identitaire entre toutes les composantes de l’URSS était la citoyenneté concrétisée par l’existence d’un passeport soviétique. La prégnance de la Russie au sein de la Fédération a abouti à la confusion entre l’identité russe et l’identité soviétique, à la fois dans les pratiques institutionnelles et les représentations symboliques de la population. L’URSS bénéficiait d’un rayonnement symbolique qui avait de fortes répercussions identitaires sur la population. L’éclatement de l’Union soviétique a mis un terme à cette identification populaire. Depuis 1991, la Russie est un Etat souverain sur la scène internationale privé de nombre d’atouts soviétiques. Cette situation est vécue par beaucoup comme une humiliation, en particulier par rapport à l’Occident. Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, la nostalgie de l’empire disparu a accouché d’une idéologie officielle qui aspire à ressusciter la puissance russe et à reprendre le contrôle des ex-républiques soviétiques. La pression énergétique comme substitut à la puissance militaire Ayant reconstruit son empire et repris le contrôle de ses ressources, la Russie ambitionne d’instaurer des relations avec l’Union européenne non comme un pays européen parmi d’autres, mais comme une puissance régionale capable de dicter sa loi à la fois aux différents Etats européens, et à l’ensemble de l’Union européenne qui va devenir de plus en plus dépendante de Moscou pour ses approvisionnements en hydrocarbures. Selon certains chercheurs, la priorité actuelle du Kremlin n’est pas tant d’assurer la prospérité du pays que de créer une machine de projection de puissance qui puisse se substituer à la défunte Armée rouge. Cette machine, c’est le réseau des oléoducs et des gazoducs que le gouvernement russe n’entend pas laisser échapper à son contrôle, pas tant pour des raisons économiques que parce qu’il représente le socle sur lequel la Russie veut bâtir son hégémonie en Europe. Le bilatéralisme pour peser dans l’Union européenne Moscou privilégie les relations bilatérales avec les grands Etats européens, surtout l’Allemagne et la France. Les dirigeants européens ne tarissent pas d’éloges sur le président Poutine et ces bonnes faveurs permettent désormais à la Russie d’obtenir ce qu’elle veut : autocensure sur la question tchétchène, abandon des exigences en matière de démocratie et de liberté d’expression etc. En revanche, les bureaucrates européens considèrent la Russie comme un problème et n’ont pas peur d’entrer en conflit avec elle. Devant cette obstruction grandissante de l’Union européenne, la tactique russe est simple : faire appel aux Etats dès que Moscou veut faire aboutir une question qui lui tient à cœur. Le but de la stratégie actuelle de Poutine est de créer une troïka Paris-Berlin-Moscou qui prendrait les décisions importantes et dispenserait la Russie de passer par le mécanisme 25+1 où elle n’a guère de chances d’imposer sa volonté. Cette tactique aurait pour effet d’extorquer des concessions supplémentaires aux 75 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Européens dans la perspective de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, tout en plaçant une bombe à retardement sous l’édification ultérieure de l’Europe. Le rapprochement avec les Etats Unis Au lendemain du sommet de Nice en décembre 2000 où la Russie a échoué à imposer son influence dans les décisions européennes, Poutine a entrepris de rechercher une entente avec les Etats Unis. Renforcée par la lutte commune contre le terrorisme international après le 11 septembre 2001, l’alliance entre les Etats-Unis et la Russie a eu de vives répercussions en Europe. En pariant que la clé du rapprochement avec l’Union Européenne passait par le renforcement de ses relations avec Washington, Poutine a décuplé les effets de la diplomatie russe. Désormais Moscou ne se contente plus de mettre les Etats européens en concurrence mais inclut les Etats-Unis dans ce jeu de faveurs. Des visions contraires de l’intégration : autoritarisme contre subsidiarité Contrairement à l’intégration européenne qui est précédée par des accords économiques et une extension des normes juridiques européennes aux pays candidats, l’intégration à la russe résulte des décisions politiques imposées par Moscou à des régimes affaiblis et du renforcement des structures mafieuses corrompues qui cimentent l’espace ex-communiste. L’élargissement de l’Union Européenne et la tentative de reconquête par la Russie de sa périphérie ne peuvent manquer d’entrer en collision tôt ou tard. En politique intérieure et extérieure, il n’y a aucune convergence entre une Europe qui choisit la subsidiarité et la Russie de Poutine où le pouvoir d’un seul ne cesse de s’accroître, et n’est limité ni par la coutume, ni par les institutions. La seule limite à l’autocratie du Kremlin est la résistance de l’extérieur. L’Union européenne semble aujourd’hui tout aussi réticente que les Etats-Unis à laisser la Russie reconstituer son empire. Quelques injonctions diplomatiques critiquant la dérive autoritaire du Kremlin n’ont cependant pas été suivies de mesures restrictives pour limiter les dynamiques parallèles engagées par Moscou sur le plan économique ou diplomatique pour renforcer la position de la Russie sur la scène internationale. Collision des sphères d’influence L’entreprise de restauration de la puissance russe dans l’ancien empire soviétique n’est que le prélude à l’accomplissement d’un dessein plus vaste, qui apparaît dans une remarque de Poutine à Clinton en novembre 1999 : « Vous avez l’Amérique du Nord et celle du Sud, vous avez l’Afrique et l’Asie. Vous pourriez au moins nous laisser l’Europe ». L’ex-président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, Dmitri Rogozine, l’a dit en d’autres termes : « Ce n’est pas à l’OTAN de s’étendre vers l’Est, c’est à la Russie de s’étendre vers l’Ouest ». La tutelle économique et comment l’éviter Dès novembre 1999, Poutine avait déclaré que les intérêts stratégiques de la Russie incluaient les régions au Sud de la Russie et la Baltique. Depuis l’éclatement de l’URSS, Moscou a utilisé l’arme énergétique pour amener les Etats de « l’étranger proche » à abdiquer des pans toujours plus importants de leur indépendance. La perspective de l’élargissement de l’UE a accéléré les efforts de la Russie pour mettre la main sur les infrastructures énergétiques des pays candidats. L’imposition d’une tutelle russe sur le plan économique est une réalité comme en témoigne la décision de créer en 2003, un espace économique commun entre la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie. L’Ukraine a été mise en garde sur les conséquences néfastes que ce marché eurasiatique aurait sur le marché européen qu’elle allait intégrer un an plus tard. A l’inverse, les pays de la Mer noire misent sur une coopération régionale pour contourner la tutelle de Moscou. En 2005, la réanimation du GUUAM 1 affiche une volonté de renégocier l’influence et de réduire les pressions de Moscou sur la périphérie, notamment concernant la ponction et la diversification des routes d’approvisionnement des ressources naturelles. La Géorgie et l’Ukraine apparaissent comme des corridors importants pour le transit brut de la Caspienne vers l’Europe. Plusieurs tracés d’oléoducs, qui transiteraient par la Moldavie, la Roumanie et la Hongrie, sont à l’étude. Par ailleurs, l’Ukraine et la Moldavie viennent de signer avec Bruxelles « un plan d’action » impliquant une coopération renforcée sur les plans économiques et politiques. Le 2 mars 2005, la Commission européenne a proposé la même chose à la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. La tutelle politique et les risques 1 Alliance stratégique, politique et économique fondée en 1996 pour renforcer l’interdépendance et la souveraineté de la Géorgie, de l’Ukraine, de l’Ouzbékistan, de l’Azerbaïdjan et de la Moldavie 76 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Très souvent, la corruption et l’éclatement des Etats post-soviétiques sont en grande partie imputables aux manœuvres russes, Moscou s’efforçant de maintenir partout au pouvoir des chefs discrédités qui ne restent en place que grâce à l’appui russe. La tutelle de Moscou pérennise le sous-développement politique et économique dans ces Etats qui sont désormais l’Hinterland de l’Union Européenne. Dans ce contexte, le risque de contagion démocratique du scénario géorgien et ukrainien est vécu comme une menace par les Russes. Alors qu’une nouvelle génération de politiciens pro-occidental a émergé, balayant l’ancienne nomenklatura soviétique et ses pratiques de bourrage d’urnes, la Russie perd ainsi de son influence en Géorgie et en Ukraine. Au Kirghizstan, la « révolution » avortée a bien failli coûter à la Russie son influence politique et économique sur le pays 2 . Les enjeux sécuritaires et les risques de tout perdre Les enjeux économiques, notamment les tracés des oléoducs et gazoducs, croisent les enjeux sécuritaires. La guerre en Tchétchénie et plus largement les tensions au Nord-Caucase ont des répercussions sur les tensions au Sud-Caucase comprenant la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Outre des conflits en sommeil comme le Nagorny-Karabakh, cette région est en proie à des luttes d’influence et des velléités sécessionnistes, comme l’illustre la guerre en Tchétchénie et ses répercussions au Daghestan et en Ingouchie. Après avoir mis au pas l’Adjarie, le jeune président géorgien compte poursuivre la réunification du pays en obtenant la soumission de deux républiques qui se sont proclamées indépendantes, avec le soutien de Moscou, au début des années 1990 : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. L’instabilité en Géorgie, considérée comme le principal pion stratégique des Américains dans le Caucase, illustre les foyers potentiels de conflit qui menacent la Russie à sa périphérie. EN PERSPECTIVE… Par ailleurs, le 17 mai 1999, la Douma a adopté une loi formulant la politique officielle à l’égard des Russes de l’étranger. Aux termes de cette loi, la Russie peut fournir à ses compatriotes de l’étranger les moyens d’établir un gouvernement local. La nouvelle doctrine de sécurité russe parle de “ protéger les droits des Russes à l’étranger par des moyens politiques, économiques et autres ”, n’excluant pas le recours aux moyens coercitifs. 2 Le Monde, 31 mars 2004. 77 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 78 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afghanistan La quête de la légitimité La militarisation de l’action humanitaire : l’exemple afghan GUERRE HUMANITAIRE, ONG, AMBITIONS POLITIQUES, MANDAT, INDEPENDANCE, INGERENCE, CONDITIONNALITE, COMMERCE Les militaires en quête de légitimité s’approprient l’espace humanitaire Vers la fin de la décennie 1990, la plupart des Etats occidentaux ont modifié leur doctrine militaire en incorporant l'aide humanitaire dans les missions des forces armées. La dénomination de "guerre humanitaire" a ainsi qualifié l’intervention armée de l’OTAN au Kosovo en 1999. Au lendemain du "11 septembre", Tony Blair et George W. Bush ont appelé de leurs vœux la formation d’une "coalition militaro-humanitaire" avant d'attaquer l'Afghanistan. Ce nouveau contexte politique compromet l’indépendance des ONG, comme le déplore Rony Brauman, ex-président de Médecins Sans Frontières (MSF) : « Depuis le 11 septembre, les ONG non islamiques sont perçues comme arrivant dans les fourgons de l’armée américaine. Au Timor ou au Kosovo, ce n’était pas un problème puisque l’occupation par des forces étrangères était perçue comme libératrice. Mais depuis le contexte politique de la guerre contre le terrorisme, les ONG sont sommées de prendre parti : elles n’ont le choix que de se dissocier de l’occupation en se retirant ou de s’associer aux efforts des forces d’occupation. » Dès lors, l’argument humanitaire sert les ambitions politiques et militaires et les forces coalisées s’empressent de se refaire une légitimité auprès d’une population éprouvée ("to win hearts and minds"). Les ONG européennes déployées sur le terrain, héritières de l’indépendance des French doctors, se sont positionnées contre cette ré-appropriation par l’armée de leurs actions et leurs méthodes, comme l’illustrent les propos du professeur Claude Moncorgé, président de Médecins du Monde (MDM) : « Tuer ou vouloir tuer, même de façon "chirurgicale", même pour sauver plusieurs centaines de milliers de personnes, ne saurait être qualifié d’humanitaire. La guerre vise toujours à s’assurer un rapport de force qui donne avantage à son camp. Et il paraît ridicule d’avoir à le rappeler, mais il n’y pas de guerre sans propagande et l’utilisation de la souffrance comme de " l’humanitaire " n’est qu’un moyen de la guerre. » Forces armées et ONG humanitaires évoluent simultanément sur un même terrain d’intervention mais avec des mandats distincts. L'utilité et la pertinence de l'action humanitaire tiennent au fait qu'elle permet - par sa neutralité, son impartialité et son indépendance – d’apporter une aide à toutes les victimes, sans discrimination partisane. Pour s’exercer dans la sécurité, l’action humanitaire a besoin de la confiance des populations civiles en garantissant son impartialité au conflit. Les forces armées, même sous mandat d’opérations de maintien de la paix, sont toujours perçues par les populations, soit comme force partisane, soit comme une ingérence étrangère dans le règlement de leur conflit. Si ces forces armées peuvent se charger d’actions d’assistance (logistique, etc.), elles ne peuvent pas légitimement se prévaloir "d’action humanitaire" et encore moins jouer le rôle de coordinateur de l’action humanitaire. Les Nations Unies se sont dotées d’agences civiles opérationnelles pour exercer cette responsabilité. Modalités de la militarisation de l’action humanitaire : une aide conditionnée ♦ Financement Le 21 mai 2003, Andrew Natsios, directeur de USAid, l’Agence d’Aide au Développement du Département d’Etat américain, annonçait explicitement les nouvelles conditionnalités du financement américain : « Les ONG doivent obtenir de meilleurs résultats et mieux promouvoir les objectifs de la politique étrangère des Etats-Unis ou bien nous trouverons de nouveaux partenaires ». Une nouvelle exigence de l’administration américaine impose désormais aux organisations humanitaires engagées en Afghanistan ou en Irak de prouver non seulement qu’elles n’ont aucun lien avec une organisation terroriste mais que leur action participe activement à la lutte contre le terrorisme. ♦ Propagande Dans le sud de l'Afghanistan, l'armée américaine a distribué des tracts demandant à la population de "communiquer aux forces de la coalition toutes les informations relatives aux Talibans, Al-Qaïda et 79 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Gulbuddin Hekmatyar", ceci afin de pouvoir "continuer à recevoir de l'aide humanitaire". Cette conditionnalité de l’aide a été unanimement dénoncée par les ONG humanitaires. ♦ Création des « Equipes Provinciales de Reconstruction » (EPR – PRT en anglais) Les EPR sont des structures militaro-civiles régionales qui visent à rétablir la sécurité dans le pays et à coordonner l’action humanitaire effectuée sous l’autorité des forces coalisées armées. En mai 2005, 19 équipes étaient réparties sur le territoire afghan. Les EPR s’inscrivent ouvertement dans le champ politique en appuyant l’administration transitoire afghane. Composées à 90% de personnel militaire autorisé à se déplacer en habit civil, les EPR se substituent aux ONG en identifiant les besoins des populations locales et en leur déléguant a posteriori certaines réalisations. Autre niveau de confusion, le personnel des EPR est en grande majorité composé de réservistes américains, chefs d’entreprise par ailleurs, qui prospectent les potentiels commerciaux du pays en reconstruction. Accessoirement, en décentralisant ses forces vers les zones rurales les plus retirées où l’État central n’a aucun ascendant, la coalition s’assure d’un avant-poste pouvant relayer l’information au profit des forces d’intervention rapide, les Special Forces qui, au besoin, pourront lancer des raids. Résultats sur le terrain ♦ Une attitude perçue comme impérialiste D’après Pierre Salignon, Directeur général de MSF, « les ONG sont perçues par de nombreux Afghans comme servant les ambitions du régime d’occupation piloté par les Américains et leurs alliés. Elles sont accusées de faire de l'espionnage, d'être corrompues et de ne pas faire leur travail ». L’amalgame entre le personnel militaire et humanitaire engendre une hostilité croissante à l’égard des occidentaux en général, et des acteurs humanitaires en particulier. Dans ce contexte de tensions extrêmes, les réseaux d’implantation des ONG, parfois établis depuis 1979 sont insuffisants pour compenser la perte de légitimité et empêcher des dérives violentes à l’encontre de leurs équipes. ♦ Dangers encourus par les acteurs humanitaires sur le terrain Organisations et travailleurs humanitaires, étrangers ou de nationalité afghane, sont devenus la cible des groupes armés antigouvernementaux. Depuis le début de l’année 2003, 37 travailleurs humanitaires ont été assassinés, dont cinq membres de MSF en juin 2004. Leur meurtre a été revendiqué à deux reprises par un porte-parole des Talibans, le Mullah Abdul Hakim Latifi. Dans sa revendication, faisant volontairement l'amalgame entre les soldats américains et les volontaires humanitaires, il a lancé un appel au meurtre : "D'autres organisations comme Médecins Sans Frontières travaillent également dans l'intérêt des Américains, ils sont des cibles pour nous." Selon d’autres sources d’informations, les volontaires de MSF auraient été victimes d’une démonstration de force d’un chef de police locale, geste qui n’aurait donc qu’une portée régionale et personnelle. Certaines ONG ont voulu donner un signe fort de protestation contre cette collusion entre humanitaire et militaire. MSF a cessé ses activités en Afghanistan après 24 années de présence. Le retrait des humanitaires et l’arrêt des soins apportés aux populations nécessiteuses, notamment en milieu rural, satisfont l’ambition des fondamentalistes qui souhaitent perturber toute reconstruction démocratique du pays. 80 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afghanistan L’émergence d’un pouvoir central La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat VIDE DE POUVOIR, COALITION OCCIDENTALE, AUTORITE DE TRANSITION, ELITES, CHEFS DE GUERRE, CHEFS RELIGIEUX, GOUVERNEURS, LEGITIMITE POLITIQUE, CONSTRUCTION NATIONALE, DESARMEMENT, PACIFICATION, PLURALISME, ETAT FEODAL En Afghanistan, l’invasion de Kaboul par l’Alliance du Nord et l’éviction des Talibans a créé un vide au niveau du pouvoir politique. La coalition, composée de forces alliées opposées aux Talibans et menée par les EtatsUnis, a recherché une autorité de transition, légitime aux yeux de la population, qui puisse effectuer la transition vers la démocratie. Comment cette autorité transitoire a-t-elle été désignée ? Le choix s’est porté sur une réorganisation des structures de pouvoir formées pendant les années où l’administration était inexistante. Trois groupes majeurs, détenant une forme de pouvoir dans le pays, se dégagent et devaient être pris en compte : les élites, les chefs de guerre et les chefs religieux. Nous verrons quelle est leur légitimité politique et comment les intégrer dans un projet de transition vers la démocratie. Les forces en présence et leur mode de légitimation Les élites L’aristocratie tribale La coalition a tout d’abord envisagé de s’appuyer sur l’aristocratie tribale pour orienter le pays vers la voie démocratique. Ce groupe pachtoune, représenté par Karzaï, disposait d’un certain soutien, surtout dans la région de Kandahar. Leur légitimité est principalement héritée de la popularité de l’ancien roi Zahir Shah. Ils ne peuvent bénéficier de la confiance des donateurs internationaux pour assurer des fonctions techniques en raison de leur manque d’éducation. La communauté internationale a préféré faire revenir des Afghans exilés, marginalisant par son choix l’aristocratie tribale. Hamid Karzaï est perçu comme l’homme des Américains, sans aucune ambiguïté par les Afghans. Pourtant cette identification n’est pas négative, elle représente l’avantage d’être extérieure à la lutte pour le pouvoir que se livrent les clans. C’est un atout important dans le contexte afghan où la population souhaite avant tout en finir avec les combats. Jusqu’à présent, Karzaï retire un crédit certain de la période de relative stabilité qui règne dans le pays. La légitimité au pouvoir se fonde surtout en Afghanistan aujourd’hui sur la possibilité d’assurer la sécurité de la population. Le fait que Karzaï bénéficie du soutien des Etats-Unis assure qu’il est associé à l’idée de sécurité. C’est très important pour asseoir sa légitimité et son autorité de même que son origine sociale joue également en sa faveur, il est issu d’une grande famille pachtoune. Les Afghans rentrés d’exil Les Afghans de l’étranger, éduqués en Occident, bénéficient du soutien de la communauté internationale qui les a réintroduits aux postes de commandement du pays. Cependant, ils peinent à acquérir un réel soutien populaire et sont même parfois l’objet d’hostilité car ils n’ont pas autant souffert que les populations restées dans le pays pendant la guerre. Les élites locales Outre les aristocrates tribaux et les Afghans éduqués rentrés d’exil, il existe un autre groupe organisé dans le pays. A Kaboul et dans les grandes villes, cette classe d’Afghans éduqués est libérale et monarchiste, mais leur influence est généralement faible. Les emplois qualifiés leur sont refusés et sont plutôt confiés par clientélisme aux réseaux de chefs militaires qui possèdent rarement leurs qualifications. En milieu rural, l’élite locale a bénéficié de l’éducation offerte par le régime communiste pendant la décennie 1980. Pour cette raison, ils sont identifiés aux communistes et à ce titre, perçus avec hostilité par les chefs militaires qui les ont combattus ; ils suscitent également la suspicion des technocrates occidentaux. Les chefs de guerre Ils ont acquis leur pouvoir pendant les quelques 20 ans de guerre, palliant l’absence d’un Etat central fort. Même s’ils ne bénéficient pas tous de soutien populaire, ils tirent leur pouvoir de la guerre, de relations clientélistes et 81 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 parfois féodales 1 . Comme cette légitimité acquise pendant la guerre ne leur suffit pas, ils ont doublé leur pouvoir politique d’un pouvoir économique (détournement de droits de douane, hydrocarbures, culture du pavot), d’un pouvoir militaire (ils sont tous à la tête d’une armée privée) et enfin d’un pouvoir religieux (le combat qu’ils ont livré aux Soviétiques est identifié comme un djihad). Ces chefs militaires sont réticents à être gouvernés par l’élite éduquée et craignent d’être écartés par ces derniers. Ils fondent aussi souvent leur autorité sur une légitimité religieuse et sont représentés sur la scène politique par les partis islamiques. L’enjeu pour l’avenir de ce groupe réside dans son intégration ou non au gouvernement ; ainsi que l’intégration ou non de leurs troupes à l’Armée nationale afghane. Les chefs religieux Les chefs religieux bénéficient d’un large soutien populaire, surtout en milieu rural. Leur popularité s’amenuise mais elle reste toujours plus importante qu’au début de la guerre civile. Leur popularité représente un obstacle par rapport à l’influence de l’élite éduquée. Partage du pouvoir L’aristocratie tribale et les élites locales ont été les plus forts soutiens des Accords de Bonn pour la reconstruction et la démocratisation de l’Afghanistan. Malgré leur volonté de mettre en œuvre des modes de pouvoirs occidentaux, la vie politique afghane reste animée autour des structures sociales traditionnelles, héritières des relations de pouvoir préexistantes. Chaque région est dirigée par un gouverneur, un ancien seigneur de guerre maintenu à son poste ou un nouveau gouverneur nommé par le gouvernement Karzaï. Au niveau régional, il est titulaire de l’autorité politique qu’il partage avec les mollahs. Ces derniers jouissent d’une réelle influence sur l’autorité publique en raison de leur forte légitimité populaire, mais ils ne s’y substituent pas. Ils règlent davantage les problèmes individuels voire privés, tandis que les gouverneurs s’occupent des questions qui concernent la collectivité par le biais d’audiences publiques. Enfin, les Shura sont des « assemblées de Sages » qui règlent des problèmes collectifs sociaux (répartitions des terres, distribution de l’eau, …). Elles sont constituées par l’élection d’anciens de grandes familles. Elles sont de tailles variables, selon les problèmes traités. Elles existent autant chez les Pachtouns, les Tadjiks, les Ouzbeks etc. L’aristocratie et les élites locales n’ont pas pu occuper l’ensemble des postes du gouvernement transitoire en raison de leur légitimité limitée. Deux options étaient envisageables pour compléter le gouvernement : soit une intervention majeure des forces de la coalition qui a refusé d’accorder un tel soutien, soit une alliance politique avec les chefs de guerre et les chefs religieux. L’alliance politique incluant les chefs de guerre s’apparente aux alliances militaires initiées par la coalition pendant l’opération militaire contre les Talibans. Les chefs de guerre sont intégrés dans la structure étatique, occupant des fonctions diverses, du commandant militaire au ministre. Néanmoins l’intention du gouvernement transitoire est de tenter d’affaiblir le pouvoir des chefs de guerre. Cet enjeu est au cœur du processus de construction nationale (« nation-building »). L’objectif est de désarmer les seigneurs de guerre et de les intégrer dans un espace politique qui garantisse le pluralisme dans un contexte pacifié. Les outils à la disposition du gouvernement de Karzaï Prendre de telles décisions comporte un certain risque et le succès de ces mesures dépend essentiellement des ressources que l’Etat aura à sa disposition. Dans certains cas, le gouvernement a osé imposer ses réformes : Karzaï a su se débarrasser de Ismaël Khan, seigneur de guerre tadjik, ex-gouverneur de Hérat, et le remplacer par un de ses hommes. Cette manœuvre a été possible parce que Ismaël Khan exerçait un pouvoir despotique, il manquait donc de légitimité populaire, et parce qu’il lui a semblé que le poste dans un ministère que lui proposait Karzaï était plus pérenne dans l’Afghanistan qui s’organise. Une autre réalité tient au fait que Ismaël Khan déplaisait aux Américains pour ses liens avec l’Iran ; ils ont donc consacré les moyens nécessaires à lui faire quitter son poste. Dans d’autres cas comme celui de Rachid Dostom, chef de guerre ouzbek du Nord du pays (Mazar-é Sharif), toute tentative par le pouvoir de Kaboul de le récupérer sera vouée à l’échec : Dostom est fort d’une légitimité ethnique (la région est peuplée de façon homogène d’Ouzbeks) et il ne peut être remplacé par un homme parachuté de Kaboul. Il est à la tête d’une région riche en hydrocarbures. Enfin, soutenu par l’Etat ouzbek voisin, 1 Giustozzi, Antonio « Good State vs. Bad warlords ? A critique of State-building strategies in Afghanistan », Working paper no.51, Crisis States Programme of the London School of Economics, October 2004. 82 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 allié de Washington depuis l’automne 2001, il est assuré de la protection des Américains. Du coup il a obtenu que ses milices soient intégrées à l’Armée afghane en formation. La province de Khost présente un troisième cas de figure où le pouvoir central a échoué à remplacer le gouverneur et a dû le maintenir en place et négocier avec lui. Bien que cette dynamique ait été amorcée, il faudra des années pour que le gouvernement national de Kaboul parvienne à mobiliser assez de ressources, de prestige international et de puissance militaire pour destituer des seigneurs de guerre de leur pouvoir 3 . Compte-tenu des ressources très limitées de l’Etat afghan pour procéder à cette centralisation du pouvoir, il a fait le choix d’un « Etat féodal » en cooptant les chefs de guerre au sein des structures de l’Etat et de remplacer progressivement la relation patron / client en un rapport d’allégeance à l’Etat 4 . Ainsi en novembre 2002, l’administration Karzaï a purgé une partie de son personnel qui était subordonné à différents seigneurs de guerre pour porter atteinte aux habitudes clientélistes qui sont au cœur de l’exercice de leur pouvoir et saper la base de leur pouvoir. En décembre 2002, le gouvernement a interdit aux seigneurs de guerre de cumuler les fonctions de chef militaire et de chef politique, dans le but avoué de dépolitiser les forces armées. L’Etat féodal présente certains avantages notamment celui d’une alternative plus pratique à l’Etat fédéral ou décentralisé dans lequel la faiblesse de l’Etat central serait renfermée dans la Constitution et ainsi rendue permanente. EN PERSPECTIVE… La question du choix fait par le gouvernement de coopter les chefs de guerre reste matière à débat. Outre la position du pouvoir militaire qui s’aligne sur la position du gouvernement, on peut s’interroger sur les positions de l’opinion publique afghane sur cette question. Deux analyses divergent. La première avance que les Afghans, après autant d’instabilité et de violences, se sont tournés vers les solidarités primordiales que sont les clans, les tribus et les ethnies 5 . Cette analyse est contrée par une autre, issue de l’expérience de terrain 6 , selon laquelle les Afghans n’ont plus confiance dans leurs anciens dirigeants – les chefs de guerre – et se tournent vers la représentation parlementaire. Ce revirement d’attitude s’expliquerait par la grande lassitude ressentie par les populations à l’égard du pouvoir autoritaire exercé par les chefs de guerre qui les prennent souvent en otage et s’enrichissent à leurs dépens. 3 Ignatieff, Michael, Empire Lite, Nation Building in Bosnia, Kosovo and Afghanistan, Vintage, London, 2003 : 84. Giustozzi, Antonio, Op. Cit. 5 Carnegie Endowment for Peace Afghanistan and Beyand : The challenges of Reconstruction, Conference held in January 17, 2002 www.carnegieendowment.org/events 6 Guy Caussé, Médecins du Monde, entretien mai 2005. 4 83 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 84 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie L‘émergence d’un pouvoir central Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir POUVOIR POLITIQUE, ARMEE, STRUCTURES DE FORCE INTERIEURES, DICTATURE DE LA FORCE, INSECURITE, RECONSTRUCTION POLITIQUE DE L’ETAT, EXERCICE DU POUVOIR, NATIONALISME, ORDRE Les relations entre le pouvoir et l’armée Tradition soviétique Pendant l’ère soviétique, la hiérarchie militaire et les dirigeants communistes au pouvoir entretenaient une forte collusion. Les ministres de la Défense du gouvernement étaient souvent choisis parmi les généraux qui entamaient une carrière politique après s’être distingués sur le terrain militaire. Depuis Staline, la structure militaire était l’instrument principal d’imposition de la politique étrangère russe, sur ses pays satellites (Hongrie en 1956, Tchécoslovaquie en 1968) comme sur les Etats périphériques (Afghanistan 1979-89). Déliquescence de l’armée russe L’Armée rouge a vu son rayonnement international se réduire depuis Brejnev qui a sclérosé l’administration et les rouages du pouvoir soviétique, parmi lesquels l’armée. A partir de 1989, l’armée russe a subi une succession de revers qui ont irrémédiablement sapé sa légitimité militaire et politique : le retrait d’Afghanistan, la chute de l’empire soviétique, la fin du Pacte de Varsovie, l’échec de la première guerre en Tchétchénie et l’entrée des anciens pays satellites dans l’OTAN. Parallèlement à ces évolutions structurelles, l’armée doit faire face à de graves problèmes internes liés à la conscription, au retard du paiement des soldes, à une violence omniprésente ainsi qu’au délabrement matériel des infrastructures et de l’armement. Contexte particulier du pouvoir russe Depuis l’éclatement de l’URSS, le pouvoir politique est surveillé de près et orienté par les oligarques qui intronisent officieusement les dirigeants politiques qui leur sont favorables. Sans tradition démocratique en Russie, la démocratie peine à s’affirmer comme régime politique. Les personnalités politiques au pouvoir ont tendance à mettre en œuvre une « dictature de la force », héritée du tsarisme et de la période soviétique. La version de Poutine Disqualification progressive de l’armée traditionnelle au profit des structures de force intérieures Lors de son accession au pouvoir en 1999, Vladimir Poutine a offert aux militaires leur revanche sur le retrait de Tchétchénie en 1996. Les accords de Khassaviourt avaient mis fin au premier conflit tchétchène de 1994 à 1996. En avril 2002, le président proclame la fin officielle des opérations militaires pour le second conflit et le transfert du contrôle de la situation aux ministères de la sécurité intérieure : police, renseignement, FSB (successeur du KGB), forces spéciales d’intervention… qui forment les structures de force intérieures. L’équipe dirigeante du Kremlin est désormais composée à plus de 77% de représentants de ces structures de force dont le président Poutine est lui-même issu (lieutenant colonel du KGB). Au niveau politique comme sur le terrain militaire, l’armée traditionnelle a été progressivement disqualifiée puis remplacée par les structures de force intérieures. La pénétration de ces dernières dans la sphère politique opérationnelle est particulièrement forte et témoigne d’une conception dirigiste du pouvoir, incarnée par les concepts de « démocratie dirigée », de « dictature de la loi » ou de « verticale du pouvoir » qui fleurissent dans la rhétorique du président Poutine. Cette valorisation des structures de force sur le plan politique et sur le territoire russe s’accompagne d’un renforcement budgétaire des forces armées et de la puissance nucléaire (hausse de 3,4 milliards de dollars en 2004). Si l’armée reste titulaire des infrastructures et de l’armement nucléaire, les structures des forces intérieures jouissent d’une influence croissante sur divers domaines de l’espace public russe qui dépassent le cadre de leur mission originelle, strictement sécuritaire. Une évolution à la faveur de la société « A l’ère des incertitudes, des frustrations, de la fracture entre la société et le pouvoir et du sentiment d’insécurité généralisé succède une dynamique de consolidation sociale et nationale. » 1 . 1 Tchétchénie, une affaire intérieure ?, Anne Le Huérou, p.117-118 85 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Actuellement, ce sont les valeurs de fermeté, d’intransigeance, de rectitude incarnées par les officiers du FSB, qui trouvent un écho populaire dans la société russe. Cette dernière exprime une grande confiance dans les valeurs tchékistes 2 auxquelles le président se dit fidèle. « La réelle popularité de Vladimir Poutine, au moins jusqu’à sa réélection, était fondée sur une image d’homme fort : dans leur immense majorité, les Russes aspirent à la stabilité.» 3 . C’est principalement sur cette image, confirmée par les décisions intransigeantes et la fermeté du président notamment sur la question tchétchène, que Poutine a alimenté sa popularité exceptionnelle, maintenue pendant son premier mandat, audessus des 70% d’opinion favorable. « Le président Poutine a pu constater que l’intransigeance sur la Tchétchénie est payable électoralement. » 4 Enjeu stratégique du second conflit tchétchène Dans son projet politique de reconstruction de l’Etat russe, Vladimir Poutine s’appuie sur les représentants de l’ordre, par la reprise en main de l’armée déliquescente et la multiplication des services de renseignements et de police. Il a fait le choix de mobiliser ces réseaux d’influence dont il est familier. Dans ce contexte, l’opération antiterroriste menée en Tchétchénie depuis 1999, offre au Kremlin le support de réintroduction des structures de force au cœur de l’exercice du pouvoir politique. Outre la valeur historique de la force dans l’histoire russe, de l’empire à la fédération soviétique, le déroulement concomitant de la seconde guerre tchétchène avec la présence de l’équipe de Poutine au pouvoir, a contribué à généraliser et à légitimer des valeurs sécuritaires. La reconstruction politique de l’Etat par Vladimir Poutine s’accompagne d’un endoctrinement nationaliste de la population. En désignant le bouc émissaire tchétchène comme l’ennemi commun des Russes, le Kremlin ravive la culture de la peur à l’encontre des terroristes islamistes. Présenté comme collectivement responsable des menaces qui pèsent sur la Russie, le peuple tchétchène fait l’objet d’une stigmatisation raciste. Le second conflit tchétchène participe de cette construction propagandiste et renforce ainsi la légitimité des mécanismes de contrôle sur l’ensemble du territoire russe. La confrontation militaire entre Russes et combattants tchétchènes a cédé la place à un contrôle russe effectué par des services d’ordre internes. Or, la logique policière régente tous les aspects de la vie quotidienne. On brouille alors les repères entre privé et public, entre politique et civil, on « totalitarise » l’action de l’Etat. Dérive conséquente, on observe un continuum entre les exactions d’extrême violence perpétrées en Tchétchénie et la radicalisation des forces de l’ordre et de la société dans le reste du pays. EN PERSPECTIVE… Anna Politkovskaïa 5 expose, à travers quelques témoignages dramatiques de violences commises sur les soldats, les fonctionnements de l’Armée russe où règnent le désordre, l’injustice, l’abus de pouvoir et la torture dans la plus grande impunité. Les soldats sont considérés comme des esclaves ; ils peuvent être une source d’argent pour les officiers qui vendent leurs services ou bien un défouloir quand ceux-ci s’ennuient trop et que l’alcool ne suffit plus. Les soldats souffrent de malnutrition et peuvent mourir d’infections bénignes sous les yeux de leurs officiers. Aucun mécanisme de contrôle ou de soutien n’existe. L’auteur décrit l’armée comme un système clos sur lequel les pouvoirs publics civils n’ont aucun contrôle. Eltsine avait bien tenté d’humaniser l’armée par la promotion des libertés démocratiques mais, dès son élection, Poutine a voulu « la renaissance de l’Armée » en donnant encore plus de pouvoir aux états-majors. Comment développer la démocratie quand un corps de l’Etat connaît un fonctionnement aussi brutal? Comment justifier les dépenses publiques pour une administration aussi terrifiante pour ses citoyens ? Le mépris témoigné à l’égard des nouvelles recrues, un véritable « matériel humain » cible de toutes les humiliations, et l’impunité dans laquelle il est exercé développe une relation plus globale de méfiance de la population à l’égard de l’Etat en général et de l’appareil judiciaire en particulier. Enfin, l’isolement, du fait de l’absence totale de regard de l’extérieur sur les agissements de l’Armée, risque d’ouvrir la voie à l’insurrection interne et au conflit. Déjà les cas de mutineries existent. Le contrôle parlementaire et civil des forces armées est reconnu comme une précondition à la paix et la sécurité 6 . 2 La Tchéka est l’ancêtre du KGB. « Comprendre Vladimir Poutine », Thierry de Montbrial, Le Monde, septembre 2004 4 Tchétchénie, la guerre jusqu’au dernier ? Olivier Roy, p.194 5 La Russie selon Poutine, Buchet-Chastel, 2005. 6 Voir à ce sujet les publications du Democratic Control of Armed Forces (DCAF), Genève. 3 86 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Bosnie-Herzégovine L’émergence d’un pouvoir central Communautarisme, démocratie et Etat COMMUNAUTES, APPARTENANCE COMMUNAUTAIRE, CLOISONNEMENT, NATIONALISMES, IDENTITE BOSNIAQUE, MILLET, KOMSILUK, MAHALLA DISTINCTION, CITOYENNETE, DEMOCRATIE, La Bosnie-Herzégovine est souvent décrite comme une terre de rencontres et un carrefour de civilisations. La réalité de ces communautés et des relations qu’elles entretiennent est fort complexe : issues de confrontations militaires et de conversions religieuses, ces communautés coexistent dans la tolérance et la peur, parfois même la haine. Les difficultés actuelles de l’émergence de la démocratie puisent leur origine dans l’organisation sociale et politique en communautés, dans laquelle la citoyenneté ne trouvait pas de place. De 1910 à 1990, les élections ont chaque fois donné la victoire aux partis nationalistes. La domination ottomane La première période de la domination ottomane a été marquée par une grande fluidité des appartenances confessionnelles : les statuts sociaux ne coïncidaient pas encore avec les appartenances confessionnelles. C’est au milieu du XVIIIe siècle, lorsqu’une certaine sclérose s’empare de l’empire ottoman, que les frontières communautaires se rigidifient. Les populations chrétiennes sont organisées en millet, des communautés religieuses bénéficiant d’une large autonomie interne, ce qui a coïncidé avec la détérioration de leur statut économique. Les millet déterminaient les questions d’ordre juridique (régimes fiscaux, juridictions propres), et correspondaient dans les villes à des quartiers (mahalle) et des corporations, et dans les campagnes, ils recoupaient les oppositions socio-économiques. Cette fermeture des communautés s’est perpétuée au-delà de la domination ottomane puisque, 30 ans après, en 1910, 91% des propriétaires terriens étaient encore musulmans et 95% des serfs étaient orthodoxes et catholiques. Les millet ont été institutionnalisés au XIXe siècle. Désormais, les mobilisations communautaires cherchent à tenir l’Etat à distance contrairement aux nationalismes que connaît l’Europe orientale à la même époque qui placent l’Etat au centre de l’ordre politique. Les musulmans comme les Serbes s’opposent au renforcement du rôle de l’Etat. Cette modernisation politique, économique et culturelle explique la lente transformation des identités et des rapports communautaires ; les nationalismes serbe et croate progressent, portés par les élites commerçantes et administratives en plein essor, malgré la volonté de l’empire ottoman de les contre-carrer en encourageant l’émergence d’une identité bosniaque englobante. La communauté musulmane se mobilise autour de ses élites religieuses et terriennes, et de revendications d’autonomie culturelle et religieuse, sorte de millet inversé. Le komsiluk est le principe organisateur des relations de voisinage entre les communautés. C’est un système de coexistence quotidienne, fondé sur l’entraide et l’invitation. Il agit comme un mécanisme de réassurance quotidienne, plus qu’une véritable tolérance. Son caractère stable se traduit par « chacun chez soi, chacun à sa place ». L’Etat en est le garant, s’il cesse de remplir cette fonction, le komsiluk qui était recherche de la sécurité par la réciprocité et la paix devient crime, recherche de la sécurité par l’exclusion et la guerre. Le komsiluk est mitoyenneté et non intimité, il s’oppose aux mariages mixtes (seul fait des élites urbanisées) ; il repose sur une réaffirmation constante des appartenances communautaires (ethniques et religieuses) ce en quoi il représente l’inverse de la citoyenneté. Le début du XXe siècle L’empire austro-hongrois favorise la structure communautaire dès son arrivée : il privilégie les élites catholiques sur le plan économique, préserve les privilèges agraires des élites musulmanes en échange de leur loyalisme ; sur le plan politique, il accorde l’autonomie culturelle et religieuse aux communautés serbe et musulmane. L’introduction du parlementarisme - une constitution provinciale de 1910 institue un parlement bosniaque élu au suffrage censitaire - va de pair avec l’institutionnalisation du communautarisme : les partis politiques nationaux font leur apparition. Des coalitions d’intérêt se constituent alors entre les différentes communautés et la communauté musulmane joue un rôle intermédiaire et pendulaire dans la rivalité serbecroate. 87 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 La première guerre mondiale, tout en bouleversant les équilibres économiques et politiques entre les communautés, ne remet pas en cause immédiatement le communautarisme. Progressivement toutefois, le communautarisme entre dans une grave crise : les populations serbes et croates sont de plus en plus liées à Belgrade et Zagreb et le conflit entre elles s’envenime. Parallèlement, le déclin des élites musulmanes traditionnelles nourrit une crise identitaire et la communauté se réfugie dans l’indétermination nationale et le yougoslavisme tactique. Cette crise atteint son paroxysme lorsque le Premier ministre serbe de la BosnieHerzégovine et le dirigeant du parti croate s’entendent sur un partage territorial de la province. En 1941, son annexion par la Croatie fait éclater un conflit d’une rare intensité. L’effacement du communautarisme devant les nationalismes territoriaux et exclusifs se double de désagrégation interne de chaque communauté. Période communiste Tito parvient à gagner le soutien des populations de Bosnie-Herzégovine par sa capacité à capter les revendications agraires et à reproduire la structuration communautaire. Le rapport des communistes au communautarisme, dès 1945, est ambigu : le pouvoir s’attaque aux structures religieuses et communautaires moins pour mettre fin à cette structuration que pour la placer sous son contrôle exclusif. Le phénomène est illustré par la reconnaissance des nations macédonienne, monténégrine et musulmane. Ainsi, le projet yougoslave loin de conduire à une fusion révolutionnaire des peuples a renforcé les identités nationales, voire les a cristallisées, puis à la résurgence de pratiques communautaires et des idéologies nationalistes. Les idéologies modernes telles le « nationalisme » se sont donc adaptées et greffées sur le système des millet ottomans. Ce fut le cas tout particulièrement de la religion chrétienne orthodoxe qui a amalgamé les deux facteurs de façon cohérente dans le cadre des Eglises nationales respectives (grecque, serbe, bulgare) ce qui présente une grande différence par rapport aux religions universelles comme le catholicisme et l’islam. La résurgence du communautarisme s’explique également, à l’époque yougoslave, par des déséquilibres socio-économiques causés par une industrialisation et une urbanisation rapides entre le Nord et le Sud, entre les communes urbaines insérées dans le développement économique et les communes rurales marginalisées. A la mort de Tito, on assiste à la conversion nationaliste des frustrations d’ordre économique et politique (crise économique, épuisement de l’idéologie communiste). Enfin, une nouvelle élite économique et scientifique née de la modernisation conteste la légitimité d’une idéologie et d’élites politiques issues du mouvement des partisans. Cette confrontation réactive d’anciennes rivalités entre communautés nationales. Ce système, à cause de la différence de traitement entre les populations musulmanes et non-musulmanes, a provoqué des contentieux très lourds qui ne sont pas effacés puisqu’ils ont été instrumentalisés par la suite et à maintes reprises. Le communautarisme n’est cependant ni immuable ni incontesté, les aspirations citoyennes et démocratiques existent. EN PERSPECTIVE… Quelle gestion politique de la pluriethnicité ? Le caractère multiculturel de la Bosnie-Herzégovine a parfois été idéalisé alors que ses modèles – komsiluk et mahalla – expriment le cloisonnement de ses communautés dans la mesure où ces principes organisateurs se définissent sur l’identité distincte de ses membres et où les relations qu’elles entretiennent sont guidées par cette même distinction, dans une juxtaposition et non leur mélange (méfiance vis-à-vis des mariages mixtes). Un certain nombre de situations révèlent les relations encore lourdes de contentieux entre les communautés : - la question encore non-résolue du retour des personnes réfugiées et déplacées - les lancinantes accusations de la part d’individus ou d’institutions qui ne peuvent maîtriser leurs émotions - le dédoublement des institutions et le caractère surdimensionné de l’appareil étatique et bureaucratique : l’Etat bosnien possède 3 armées (une pour chaque entité), 13 Premiers ministres, 180 ministres, 760 législateurs et 1200 juges et procureurs - l’obstructionnisme pratiqué par les représentants des 3 « peuples constituants » : L’Etat bosnien est extrêmement décentralisé. Les Chambres de l’assemblée parlementaire et de la présidence sont basées sur le principe de la représentation ethnique, ainsi les blocs nationaux s’opposent et conduisent à la stagnation du processus législatif. L’obstructionnisme (de 1995 à 2002 ) consiste dans la protection des structures gouvernementales créées pendant la guerre afin d’empêcher la création de structures étatiques bosniennes et le renforcement de l’Etat central et de ses responsabilités 88 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 (citoyenneté, administration des douanes etc.) et les concrétisations de son existence (drapeau, monnaie commune etc.). Pour lutter contre l’obstructionnisme, le Haut Représentant recourt à divers moyens de pression (conditionnalité économique, recommandations de mesures contraignantes, décisions exécutoires, destitution des obstructionnistes). Dans cette surenchère des pouvoirs du Haut Représentant, la BosnieHerzégovine est devenue un quasi-protectorat. Les institutions gouvernementales fonctionnent mais elles ne sont pas autonomes. La destitution des individus ne permet pas d’éliminer le nationalisme ni les prétentions étatiques bosno-serbes et bosno-croates. En réalité deux conceptions de l’Etat bosnien s’affrontent : celle de la communauté internationale et celle des autorités en place comme le montre la position défendue devant la Cour constitutionnelle par les représentants de la République serbe (Srpska Respublika)et de la Fédération en septembre 2000 : l’égalité des 3 peuples constituants ne s’applique qu’au niveau de l’Etat et pas au sein des entités. Finalement, la Cour décide de l’égalité entre les 3 peuples au sein des deux niveaux de l’Etat, entités et Fédération. Rares sont ceux qui dans les 3 peuples se considèrent comme citoyens bosniens. La priorité reste toujours à l’appartenance ethnique et locale ; on est de tel village ou au mieux de telle ville, tant le pays est morcelé. En conséquence, plutôt que de rêver à la construction d’un Etat-nation totalement étranger à l’histoire de cette région, il vaudrait mieux moderniser et revitaliser l’organisation traditionnelle du pays en collectivités locales, souvent mono-ethnique, et régler les relations de voisinage sur la base de projets économiques ou sociaux d’intérêt mutuel. BIBLIOGRAPHIE Batakovic Dusan T, Institut des Etudes balkaniques, Académie serbe des Sciences et des Arts, Belgrade, « La Bosnie-Herzégovine : le système des alliances ». Bougarel Xavier, Bosnie. Anatomie d’un conflit, Coll. Les dossiers de l’état du monde, Paris, 1996. Bougarel Xavier, « Etat et communautarisme en Bosnie-Herzégovine », Cultures et Conflits. Solioz, Christophe et Dizdarevic, Svebor André, La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, L'Harmattan, Paris, 2003. 89 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 90 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 PECO L’émergence d’un pouvoir central Les droits collectifs, l'Etat et les organisations européennes MINORITES, PROTECTION, INTEGRATION, SEGREGATION, COMMUNAUTES, MULTICULTURALISME, DEMOCRATIE La politique européenne de protection des minorités a évolué, de 1992 à 1998, de la promotion de l'intégration à celle de la ségrégation linguistique, prônant les droits collectifs et favorisant l'avènement de modèles d'Etats ethniques (Hongrie, Roumanie). Cette conception vise à prévenir les conflits entre les communautés mais en réalité, elle va à l'encontre du multiculturalisme, base de la démocratie et de l'Etat de droit. Pression dans la perspective de l'adhésion La question de la « protection des minorités » est devenue dès le Conseil européen de juin 1993 à Copenhague la principale condition politique de l'adhésion à l'Union européenne. Les accords d'association conclus à partir de 1993, mentionnent dans le préambule, le « respect des droits de l'homme, y compris les droits des minorités ». Puis à partir de 1998, la Commission européenne durcit ses exigences, et impose de nouvelles conditions qui ne figurent pas dans les accords d'association ni dans les critères de Copenhague. Ces nouvelles exigences sont désormais contraignantes juridiquement puisqu'elles servent de base au partenariat d'adhésion. L'Estonie nous donne une bonne illustration : le gouvernement estonien, sous pression de la Commission européenne, a modifié sa législation sur l'enseignement primaire et secondaire qui se fait maintenant à 60% en estonien et à 40% dans une langue minoritaire. Pourtant, la Commission juge toujours défavorablement cette loi, estimant que l'exigence d'une connaissance minimale de la langue nationale est un obstacle à l'exercice des droits politiques de la communauté non-estonienne et à l'établissement de sociétés communautaires. Les objectifs d'une meilleure intégration linguistique sont délaissés pour lui préférer une ségrégation linguistique. La Slovaquie et la Roumanie ont subi les mêmes pressions : la Commission demande une scolarisation en fonction de l'appartenance ethnique, soit une ségrégation de facto fondée sur critères linguistiques. En Roumanie, où les Hongrois ont la possibilité de passer des diplômes sans connaître le roumain, la Commission exige une université germano-hongroise. Ses exigences ont été réitérées en 2001. Des principes juridiques en évolution Les textes fondateurs de la protection des minorités (la Convention des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe, ratifié en 1950) posent le principe du caractère universel des droits de l'homme. Depuis les années 1990 et dans la recherche d'une meilleure protection des minorités, des droits collectifs ont été accordés (Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 1992 et Conventioncadre sur la protection des minorités nationales, en 1995). L'OSCE est devenue le fer de lance de l'instauration d'un nouveau système pour les minorités : en 1990 est adopté un document qui définit des règles qui vont au-delà de l'interdiction de discrimination : il prône des « mesures de promotion positives » en faveur des minorités et le « droit à la participation aux affaires publiques ». Cette politique tient beaucoup au Haut Commissaire pour les Minorités nationales de l'OSCE, Max van der Stoel, ancien ministre des Affaires étrangères des Pays Bas, en fonction de 1993 à 2001. Contrairement aux usages du droit international, son mandat portait sur les droits collectifs : il négociait avec les représentants des partis et des organisations. Sa vision élève au rang de modèle l'Etat national d'une communauté fondé sur la langue et l'appartenance à une ethnie. La démocratie et la légalité ne sont plus considérées comme des principes transcendants de toute société pluriethnique. Le Haut Commissaire n'exige pas l'intégration et l'éducation dans l'intérêt des minorités mais défend l'instauration de systèmes d'éducation parallèles ce qui met à mal les chances des minorités de participer plus souvent au fonctionnement de la société dans son ensemble. Sans acquisition de connaissances de base de la langue officielle, les minorités ne peuvent plus prétendre participer aux affaires publiques. En Hongrie, le gouvernement, qui affiche de la bienveillance pour les thèses nationalistes (revendication de restitution de territoires limitrophes, révision des frontières), est pourtant cité par le Haut Commissaire comme l'exemple à suivre en matière de politique des minorités. Sa politique en direction des minorités empiète même sur les systèmes sociaux : une loi votée en 2002 prévoit que toutes les personnes vivant dans un autre pays et se réclamant de l'appartenance à l'ethnie hongroise peuvent demander un document d'identité hongrois et recevoir des aides financières si les familles envoient au moins deux enfants dans les écoles hongroises. 91 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Droits collectifs et dégradation insidieuse de l'Etat : En Roumanie, la Transylvanie compte 1,6 million de Hongrois qui bénéficient d'enseignement dans leur langue maternelle. Cette communauté revendique pourtant l'ouverture d'une université publique de langue hongroise, que le hongrois soit reconnu comme 2e langue officielle de la Transylvanie, que la nation hongroise soit reconnue comme composante du peuple roumain plurinational et une autonomie territoriale. En Bulgarie, la minorité turcophone représente 800.000 personnes, soit 10% de la population totale. La constitution protège les minorités dont la langue maternelle n'est pas le bulgare : elles ont le droit d'apprendre et d'utiliser leur propre langue, elles jouissent de la liberté de culte, l'assimilation forcée est interdite (il s'agit de prévenir la répétition de scénarios mis en place par les régimes précédents). Pourtant, les représentants de la communauté turque jugent ces dispositions insuffisantes. Ils exigent un système éducatif séparé et le statut de 2e composante de la nation bulgare. En Macédoine, la minorité albanophone compte pour 23% de la population mais elle revendique 40% en comptabilisant les Albanais du Kosovo réfugiés depuis les 10 dernières années. Là aussi les critiques des droits accordés aux minorités sont infondées. La Commission Badinter de l'UE en 1991 juge que le pays protège suffisamment leurs minorités (le même jugement est porté sur la Slovénie). Depuis l’indépendance, les Albanophones revendiquent un système éducatif réservé exclusif avec une université et reçoivent la bienveillance du Haut Commissaire de l'OSCE. Ce dernier a conclu un compromis avec le gouvernement macédonien sur la reconnaissance d'une université albanaise privée. Les albanophones officiels du gouvernement exige la révision de la Constitution et l'octroi du statut de national participant effectivement aux affaires publiques. On assiste, dans tous ces pays, à une ethnicisation rampante du système politique, des sociétés et donc des relations, qui conduit à des ethnocraties : ce n'est plus un Etat de droit démocratique où les élections garantissent une alternance mais où les représentants des différents groupes se répartissent les sphères d'influence politique et économique. La désintégration de l'Etat est une autre conséquence de ces politiques : • L'Etat est dépossédé de ses missions quand l'enseignement, revendiqué dans des langues minoritaires et dans des systèmes parallèles, est pris en charge par des acteurs privés. • Des pans entiers des populations nationales – les minorités – se tournent de plus en plus vers le pays voisin où ils sentent que se trouvent leur patrie, au point d'y envisager leur avenir puisqu'ils renoncent à maîtriser la langue officielle, en revendiquant un enseignement dans leur langue minoritaire. Les principes sous-jacents à ces politiques ne permettent pas d'apporter des solutions aux conflits mais semblent au contraire les entretenir. Dans ce contexte de transition difficile, les organisations criminelles ont moins que quiconque intérêt à la résolution des conflits et profitent ainsi de l'ethnicisation de la politique. C'est aussi une marque de l'abandon de la culture pluriethnique séculaire du Sud de l'Europe et la destruction du multilinguisme. Ainsi les récentes tensions inter-ethniques dans le Sud et dans le centre de l'Europe de l'Est ne sont pas le fait d'insuffisances en matière de droits des minorités mais de l'introduction de nouveaux droits collectifs pour les « minorités nationales ». Pourtant, les institutions européennes ne se sont toujours pas entendues sur une définition de « minorité nationale ». Pour une stabilisation politique et une réelle amélioration de la protection des minorités, l'UE devrait : • définir un concept global de protection des minorités, gouverné exclusivement par le critère d'intégration des minorités, • veiller à préserver le multilinguisme traditionnel, • définir le concept de nation qui pose comme postulat l'égalité de tous les citoyens et le caractère universel des droits de l'homme. 92 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Sans cela il apparaît impossible de cohabiter et de bâtir une société démocratique. EN PERSPECTIVE … Pierre Hillard, spécialiste de l’Allemagne, s’inquiète des revendications identitaires qui se font jour et de la nature fédérale ethno-régionaliste de la construction européenne 1 . Sa mise en œuvre repose sur des documents déjà en vigueur (La Convention-cadre pour la protection des minorités et la Charte des langues régionales et minoritaires, 1998). A l’origine de ces textes, un ouvrage (Ethnos 46) écrit par des juristes allemands et autrichiens, et un organisme financé par le ministère de l’Intérieur allemand, l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes (UFCE). L’objectif est de promouvoir l’émergence de groupes ethniques à qui sont attribués des droits. L’auteur voit ici une influence de l’idéal pangermaniste du XIXe siècle « dégager le substrat ethnique de sa gangue étatique avant de procéder à de nouvelles combinaisons ». Enfin la Charte des droits fondamentaux, signée au sommet de Nice en décembre 2000, confirme à ses yeux l’ethnicisation de l’Europe qui n’a plus besoin que d’un cadre politique, le fédéralisme. Il permettrait l’épanouissement de « régions-Etats » qui seraient en lien direct avec les institutions européennes et passeraient au-dessus de l’autorité des Etats nationaux. L’auteur s’inquiète d’un retour aux temps des empires que provoquent ces bouleversements « tribaux ». Il craint enfin que les rivalités inter-ethniques liées aux intérêts économiques risquent de conduire à la dislocation du corps européen. Cette opinion personnelle doit en effet conduire à une réflexion sur la nature des relations entre les institutions européennes et les entités locales, les régions ou les Etats : à quelle(s) identité(s) donnera lieu ce système ? A-t-il de meilleures chances de créer une identité européenne ou de morceler les identités ? L’identité étant un concept dynamique, elle sera forcément teintée d’une multitude d’identités : seront-elles régionales ou nationales ? Le défi de l’Union européenne n’est-il pas d’instaurer une identité européenne qui pallie les difficultés d’apparition d’identités nationales, notamment en Europe centrale ? 1 « La décomposition des nations européennes. De l’Union euro-atlantique à l’Etat mondial » éd. François-Xavier de Guibert, 2005. 93 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 94 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique du Sud L’émergence d’un pouvoir central Mandela et De Klerk : d’adversaires à alliés AFRIQUE DU SUD, NEGOCIATIONS, ELECTIONS, PARTAGE DU POUVOIR, LEGITIMITE En Afrique du Sud, à la fin des années 80, le National Party (NP) et l’ANC arrivent à la même analyse : la situation est nuisible aux deux côtés ; seules les négociations représentent une meilleure alternative. Les portesparole, de Klerk et Nelson Mandela, tout d’abord adversaires sur les sujets de négociations, deviennent alliés pour défendre le processus de négociations, face aux détracteurs qui prônent une solution militaire plutôt que politique. Cette fiche décrit la quête de pouvoir de chaque parti et retrace les événements concrets qui ont mené à une convergence des deux partis. La lutte de pouvoir La transition du pouvoir, en 1994, est le résultat d’un processus complexe lors duquel les deux partis cherchent à obtenir le plus de pouvoir pour avoir des meilleurs conditions possibles pendant les négociations. En 1985, le Parti National, géré par P.W. Botha, soutenait encore l’idée que l’égalité entre Blancs et Noirs n’était pas possible, voire hors de question. Il concevait quand même qu’une réforme était nécessaire pour rétablir la stabilité du pays. Il propose alors des négociations à Mandela qui refuse. Pourquoi est-ce que l’ANC n’a pas accepté l’offre à ce moment-là ? Les conditions des négociations n’étaient pas favorables parce que les relations de pouvoir étaient encore très asymétriques. L’ANC avait beaucoup moins de pouvoir que le gouvernement, Mandela était encore en prison et ne pouvait pas discuter avec son parti et ainsi l’unité du parti n’était pas garantie En plus, l’exigence préalable de négociations de l’ANC n’était pas reconnue : l’égalité des citoyens sud-africains. S’ils étaient alors entrés en négociation, ils auraient dû accepter un compromis défavorable à leur cause, ou auraient dû rompre les négociations entraînant ainsi une perte de légitimité. Le leader de l’ANC, Joe Slovo, décrit les négociations comme « un terrain de lutte qui, en fin de compte, au delà du processus, dépend de l’équilibre des pouvoirs» 1 . L’ANC a donc choisi de continuer la lutte pour améliorer sa position de pouvoir. En 1988, de Klerk gagne les élections présidentielles et remplace P.W. Botha comme leader du Parti National. Il accepte que l’idée de supériorité est insoutenable et se rapproche des positions de l’ANC. Les partis entrent alors en négociations en tant que partis équilibrés. Celles-ci durent jusqu’en 1992, au moment où le processus se bloque. Porteurs de légitimité A l’arrêt des négociations, les partis opposés aux pourparlers essaient de déstabiliser et de discréditer le processus et de nouveau, le pays est à la limite de la guerre civile. A ce moment, Mandela et de Klerk réalisent qu’ils sont autant ennemis qu’alliés et décident de se rapprocher face aux opposants et ainsi débloquent la situation. La question sur laquelle ils se disputaient était celle du partage du pouvoir et de la représentation dans le nouveau gouvernement. Ce blocage ne concerne pas seulement l’ANC et le NP, mais tous les partis. Les deux partis sont confrontés à ceux qui veulent bloquer le processus en les délégitimant. Pour le NP, ce sont les extrêmes droites qui n’acceptent pas d’être gouvernés par des Noirs. Pour l’ANC, il s’agit de l’Inkatha Freedom Party (IFP), dirigé par Chief Buthulezi, qui a peur de perdre toute son identité sous l’ANC, le parti noir majoritaire. L’IFP craint que l’ANC puisse prendre les décisions unilatéralement dans le nouveau gouvernement. En 1992, Mandela prend la décision de rompre les négociations et de commencer les actions de masse pour accroître son poids pendant les négociations. De grandes démonstrations et d’immenses grèves déstabilisent le pays. La répression policière provoque la mort de 28 personnes lors de manifestations non violentes. La violence éclate partout. Dans le même temps, l’extrême droite blanche cherche le rapprochement avec l’IFP et leur fournit des armes pour lutter contre l’ANC. La violence entre l’ANC et l’IFP aboutit à une éruption de violence pire qu’avant le début des négociations. Il y avait aussi le problème de la « troisième force ». Cette formule, un peu mystérieuse, est utilisée pour décrire les attaques par des forces secrètes contre des personnes ou les bâtiments en lien avec l’ANC. Le but était de provoquer la violence entre les partis noirs pour discréditer l’ANC et augmenter la crédibilité du NP. 1 Africa Communist, 1993:22 95 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 De nouveau, le gouvernement déclare l’état d’urgence. Bien sûr ces incidents n’ont pas amélioré la relation entre Mandela et de Klerk. L’excès de violence était un symbole du carnage futur s’ils ne trouvaient pas une solution ensemble pour la répartition du pouvoir. Et ironiquement, les incidents deviennent la motivation pour retourner aux négociations. De Klerk et Mandela signent un accord de bonne foi. Le compromis est que l’ANC accepte de partager le pouvoir avec les Blancs tandis que le NP accepte que la permanence du pouvoir blanc au gouvernement ne puisse pas être garantie. L’intérêt des deux leaders est d’atteindre au plus vite les conditions pour des élections au suffrage universel ; ils s’accordent alors pour une date. Le seul obstacle qui reste entre Mandela et de Klerk est la position de Buthulezi. EN PERSPECTIVE… La situation la plus critique lors des négociations, lorsque le niveau de confiance entre de Klerk et Mandala est au plus bas, a abouti à la transformation du conflit, et ce grâce à une mise en perspective de l’avenir. L’union des deux hommes s’est réalisée face à l’alliance des ennemis communs. 96 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie L’émergence d’un pouvoir central Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat PRESIDENT, PARLEMENT, PREMIER MINISTRE, « VERTICALE DU POUVOIR », OLIGARQUES, GOUVERNEURS, ASSEMBLEES ELUES, MEDIAS INDEPENDANTS, PARTIS POLITIQUES Spécificité du régime semi-présidentiel russe Pouvoirs constitutionnels forts du président Inspirée du régime semi-présidentiel français, la Constitution de 1993 prévoit un régime similaire pour la Russie. Mais le contexte russe comprend deux différences majeures par rapport au modèle français. D’une part, les partis politiques russes ne sont pas structurés de manière cohérente, ce qui limite la fonction de contrôle du Parlement. D’autre part, le président est indépendant des partis, ce qui affaiblit la légitimité de ces derniers et isole simultanément le président car il ne dispose pas de soutien direct des forces politiques du Parlement. Selon la volonté de Eltsine, les pouvoirs attribués au président dans la Constitution sont bien supérieurs au Parlement. Il peut notamment dissoudre ce dernier s’il rejette par trois votes successifs les candidats au poste de Premier ministre proposés par le président. En revanche, le Parlement peut voter la défiance à l’encontre du gouvernement mais si cette procédure est répétée dans une période de trois mois, le président peut alors dissoudre le Parlement. Afin d’éviter l’abus du recours à la dissolution, des périodes d’interdiction sont prévues, avant et après les élections présidentielles et législatives. Cette fenêtre n’était que de 11 mois pendant le premier mandat présidentiel de Eltsine, ce qui a placé le Parlement en position de force. La Constitution a en outre accordé le droit au président d’intervenir dans tous les domaines de la vie politique par l’intermédiaire de décrets présidentiels qui ont force de loi. Restauration de l’autorité étatique par Poutine La restauration de l’autorité étatique signifie l’affirmation des pouvoirs de l’exécutif central, au niveau fédéral. Poutine a recherché la soumission des obstacles à l’autorité présidentielle, parmi lesquels il recense les oligarques, les gouverneurs, mais aussi les assemblées élues et les médias indépendants. L’instauration d’une « verticale du pouvoir » permet surtout de limiter l’interférence des acteurs extérieurs à la sphère administrative et affirme le refus des contrepoids et du contrôle démocratiques. Actuellement, le président russe n’est pas en mesure d’utiliser toutes ses prérogatives constitutionnelles, ce qui satisfait l’opinion publique russe qui semble préférer une répartition des pouvoirs entre le président et un Parlement. Le pouvoir du président russe est indéniablement fort mais il n’est pas superprésidentiel. Faiblesses et limites des pouvoirs législatifs et judiciaires Le Parlement : caution du Kremlin Eltsine a toujours vécu des relations hostiles et exacerbées avec le pouvoir législatif, un des moments culminants étant la procédure d’impeachment qu’il a failli subir en 1999. A l’inverse, Poutine bénéficie d’une législation plus favorable puisqu’il a institutionnalisé des relations d’interdépendance entre l’exécutif et le législatif. Il a créé une coalition de partis politiques qui domine le Parlement et dont il s’est assuré la loyauté, « Unité ». Enfin, il a marginalisé le Parti Communiste. Contrairement à l’Ukraine où le Parlement a défié l’autorité exécutive lorsque celle-ci a voulu imposer les résultats de l’élection présidentielle truquée en décembre 2004, la Douma s’est progressivement laissée déposséder de son pouvoir législatif. Elle est perçue, selon les cas, comme une instance de blocage de la politique gouvernementale ou comme une Chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif russe. En outre, elle ne joue pas son rôle d’arène publique car la majorité acquise au président ignore systématiquement les initiatives proposées par les députés de l’opposition. Perversion du pouvoir judiciaire A la fin du premier mandat de Boris Eltsine, un nouveau Code pénal a été adopté mais l’Etat est resté incapable de châtier les grands criminels. Auparavant, son inertie était justifiée par l’absence de législation sur la criminalité organisée qui empêchait de poursuivre les véritables commanditaires. L’apathie du système judiciaire russe pour juger les exactions criminelles perpétrées par les soldats russes en Tchétchénie illustre également la soumission du pouvoir judiciaire aux impératifs politiques. Après 2 acquittements, le Colonel Boudanov a été finalement condamné pour le viol et le meurtre d’une jeune Tchétchène. La communauté 97 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 internationale s’était indigné de l’impunité judiciaire en Tchétchénie et Poutine a cédé sur ce cas pour sauver une apparence de justice. Plus récemment, la Cour de justice a été utilisée comme un outil au service des intérêts du Kremlin, notamment dans l’affaire Ioukos qui a vu la condamnation de Mikhaïl Khodokorvsky ou dans la condamnation de Valentin Danilov pour espionnage. Ce dernier avait été acquitté par un jury populaire au vu des faibles charges qui pesaient contre lui. Mais la Cour Suprême a pris l’initiative de contourner l’acquittement et a ordonné un nouveau procès. Danilov a été rejugé par un jury soigneusement choisi et condamné à 14 ans de prison. Dans son cas comme dans quelques autres, peu de doutes subsistent sur la manipulation de ces procès par les services de sécurité de l’Etat pour donner l’exemple et intimider les esprits subversifs. Facteurs extra-constitutionnels influant sur le partage du pouvoir En dépit de ses prérogatives constitutionnelles, Eltsine n’était pas un président fort pour deux raisons principales. D’une part, il était pris dans un jeu de négociation permanent avec le Parlement, essentiellement au sujet de la nomination des Premiers ministres. Il a ainsi dû renoncer à imposer Tchernomyrdine pour remplacer Kirienko en septembre 1998 suite à deux votes de rejet de la Douma. Le contexte électoral aurait été défavorable à Eltsine en cas de dissolution du Parlement. Il s’est donc résolu à présenter Primakov, le candidat soutenu par la Douma au troisième vote. D’autre part, Eltsine partageait de facto l’exécutif du pouvoir avec les grands financiers, les oligarques, les gouverneurs de province, les structures criminelles, les bureaucrates et les investisseurs étrangers. Par ailleurs, d’autres facteurs extra-constitutionnels peuvent limiter l’étendue effective des pouvoirs du président, notamment si le Parlement présente une majorité unie contre le président, ce qui est rare en Russie. Par ailleurs, bien que cette hypothèse soit prématurée au regard de la société civile peu structurée, la société russe peut également retirer son soutien au président et provoquer des changements politiques décisifs. Mais la forte popularité actuelle de Poutine invalide cette hypothèse à court terme. EN PERSPECTIVE… Selon l’analyse de Lilia Shevtsova, associée principale de la Carnegie Endowment for International Peace à Moscou, la classe politique russe peut être fière du système qu'elle a inventé puisqu’il réalise les résultats escomptés. Le scrutin a joué un rôle important en mettant un terme à l'expérience démocratique libérale. Le régime de Poutine est un mélange étrange et complexe qui s'appuie sur son pouvoir personnel et le rôle grandissant des institutions démocratiques consolidantes. C’est la tension entre ces deux forces qui gouverne la dynamique politique. Pour compliquer davantage la situation, Poutine représente la force la plus pro-occidentale de la Russie tandis que la machine administrative demeure conservatrice, traditionnelle et archaïque. L’analyse de la " KGBisation " du pouvoir est trop simpliste. Les Siloviki, les représentants tristement célèbres des structures de pouvoir et de sécurité, ne se sont pas unis en un groupe cohérent et n'ont pas consolidé leur autorité. Ils n'ont ni chef ni programme et n'ont pas réussi à prendre le pouvoir lors du premier mandat de Poutine. Au cours des années à venir, d'autres forces auront plus de chances de consolider leur pouvoir et les siloviki leur serviront uniquement de garde prétorienne. L’autoritarisme doux de Poutine constitue sans doute désormais la plus grande menace qui se pose à une démocratisation poussée en Russie. Paradoxalement, du fait que le leadership « fort » de Poutine intègre des libéraux, voire même des démocrates, afin de préserver une façade pro-occidentale, une opposition réellement libérale ne peut pas émerger. Par opposition, une main de fer véritablement répressive aurait davantage de chances d'inciter à une résistance démocratique plus puissante. Seul un scénario relativement sinistre se dégage pour l'avenir, celui d'une dictature authentique à part entière, reste à savoir si elle s'apparentera à celle de Pinochet (modernisation économique) ou à une dictature dotée d'une idéologie totalitaire ressuscitée. Seul au pouvoir, Poutine est responsable de tous les échecs ; aucun gouvernement derrière lui ne peut endosser cette responsabilité. Or l'échec constitue le plus sûr moyen de perdre toute légitimité. Dans l’hypothèse d’une division de la classe politique, il sera difficile de trouver un seul candidat à la succession de Poutine, en tout cas, aucune force politique en Russie ne sait comment résoudre les défis créés par « l'autoritarisme doux ». La Russie n'a jamais réussi aucune transformation, quelle qu'elle soit, en temps de paix. Les changements sont introduits par les guerres et les conflits nationaux. Pour tous ceux qui souhaitent une Russie démocratique et libérale, le dilemme est terrible car délégitimer Poutine risque simplement de faire remonter à la surface des pouvoirs encore plus sombres et plus archaïques. 98 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie L’émergence d’un pouvoir central Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe ETAT, INSTITUTIONS PUBLIQUES, AUTONOMIE REGIONALE, GOUVERNEURS, ELECTIONS, RESSOURCES FINANCIERES, DECOUPAGE ADMINISTRATIF Les caractéristiques historiques et géographiques de la Russie font que la relation de pouvoir entre le centre et les régions est délicate. Du fait de cette complexité, la législation doit être très claire. La conjoncture socio-économique et politique rend la tâche de toute délégation du pouvoir encore plus difficile. On constate d’énormes disparités de richesses et de revenus entre les 89 régions et au sein même des régions. Cette diversité nuit à l’efficacité de la gouvernance dans la Fédération. La complexité du fédéralisme russe En 1991, l’Etat est un concept en déclin, considéré comme une institution prédatrice et conservatrice, au profit des nations, des communautés, et de l’économie de marché. A partir de 2000, sous l’influence de Poutine, l’Etat réinvestit une place centrale, il est omniprésent dans les préoccupations et les politiques des dirigeants. En Russie comme ailleurs, l’enjeu du pouvoir se situe bien au cœur de la machine des institutions publiques. Mise en perspective historique (1991-2000) Pour s’affirmer face à Gorbatchev, Eltsine a encouragé la prise d’autonomie des territoires de l’URSS parmi lesquels 15 républiques ont déclaré leur indépendance conduisant à l’éclatement de l’Etat en décembre 1991. Les trois traités de la Fédération de Russie, signés en 1992, ont codifié le système fédéral autour de multiples entités sur des bases distinctes : sur les 89 régions, 21 républiques correspondent à des groupes ethniques. Les Républiques disposent d’une plus grande autonomie dans la gestion de leurs ressources naturelles, l’élection de leur président, la gestion des affaires extérieures, l’adoption d’une constitution propre… Le pouvoir central sous Eltsine était faible car les citoyens n’avaient pas confiance dans les institutions fragiles. L’Etat ne remplissait pas ses fonctions de régulation et sa politique n’était pas appliquée dans les régions. Bien qu’ayant été l’artisan du système fédéral russe, le gouvernement Eltsine n’a pas structuré la décentralisation politique, budgétaire et fiscale. L’absence de répartition claire des compétences entre les autorités fédérales, régionales et locales a laissé le champ libre aux administrateurs des échelons inférieurs. Les gouverneurs des provinces et les présidents des républiques ont développé des formes de régimes autonomes selon leurs intérêts propres, plus par réaction à la démission du pouvoir central que par stratégie locale d’émancipation. A l’arrivée au pouvoir de Poutine fin 1999, le gouvernement ne parvenait pas à mettre en œuvre ses politiques à l’échelle du pays en raison de la corruption endémique, de la primauté des intérêts personnels et des réseaux clientélistes… Le gouvernement central contrôlait mal l’exploitation des ressources nationales qui étaient captées par les administrations politiques locales qui se confondaient souvent avec les élites économiques émergentes. Néanmoins, les régions étaient limitées par le manque de ressources financières, conséquence du système de taxes imposé par l’Etat central. En théorie, l’Etat central disposait de vastes pouvoirs mais qui étaient limités sur le terrain. La Russie n’est pas un pays chaotique mais consiste plutôt en une multiplicité de centres de pouvoirs fonctionnant de manière plus ou moins autonome. L’analogie avec l’Europe féodale permet de mieux illustrer la Russie d'aujourd’hui : absence de distinction claire entre la souveraineté et la propriété, entre la sphère publique et privée, entre le gouvernement et le monde des affaires, entre le pouvoir et la richesse. Dans ce contexte, le pouvoir politique est appliqué de manière arbitraire, au gré des intérêts individuels, ce qui perturbe les processus économiques et ralentit le développement. Le renforcement de l’Etat face à la persistance des dynamiques locales Poutine se heurte à la contradiction entre sa volonté de consolider le pouvoir au Kremlin et les structures gouvernementales à tous les niveaux (province, région, district) qui cherchent à maintenir un maximum d’autonomie pour disposer de marges de manœuvre, notamment dans les relations d’affaires avec les oligarques et dans l’exploitation des ressources naturelles locales. A l’échelle régionale, l’administration 99 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 assure les services indispensables (autorisations, douanes…) tandis que les acteurs économiques produisent de la richesse et emploient la population, garantissant la tranquillité sociale. En pleine mutation économique et sociale, les administrations continuent d’assurer des formes de régulation et de protection contre l’insécurité matérielle et la désintégration du tissu social. Un des paradoxes de la Russie est, qu’en dépit de ses nombreux écueils, elle apparaît comme un modèle de stabilité dans lequel le réseau des comportements est figé et reproductible d’année en année. La dispersion et la fragmentation du pouvoir en Russie justifient qu’on ne peut le renverser massivement, tandis que les contre-pouvoirs et forces d’opposition qui bénéficient largement du système établi, n’ont pas d’intérêt direct à le modifier. La réforme institutionnelle de 2000 dont la mesure principale était la création de 7 super-représentants du président à un nouveau niveau bureaucratique, s’est heurté à de multiples résistances locales. Peu après sa réélection à la présidence en 2004 et au lendemain de la tragédie de Beslan, Poutine a annoncé la suppression de l’élection au suffrage direct des gouverneurs de régions. Administrations fiscales, tribunaux, services de sécurité, police et armées avaient déjà été soustraits à la subordination des gouverneurs de région et remis sous le contrôle direct des services centraux. En supprimant la légitimité locale des gouverneurs, Poutine affirme son ingérence sur tout le territoire et bouleverse les réseaux d’influences régionaux qui étaient établis. Risques de dérive autoritaire Poutine a choisi de restaurer un gouvernement central fort afin de se réapproprier les sphères de pouvoir laissées vacantes à l’échelle régionale sous Eltsine. Dans ce but, il a créé de nouvelles institutions destinées à réinvestir les pouvoirs fédéraux dans tous les domaines : économie, système législatif uniforme, contraindre les rebelles en Tchétchénie, renforcer l’Etat faible. Mais cette ambition contient des menaces réelles pour les fragiles structures démocratiques de la Russie : abus du recours aux structures de forces, absence de transparence démocratique, restrictions de la société civile… En instaurant une nouvelle strate bureaucratique qui ne s’intègre pas dans les structures ministérielles existantes, la réforme institutionnelle de Poutine entamée en 2000, sème la confusion sur qui détient véritablement l’autorité politique et administrative. Elle risque d’amoindrir l’efficacité de l’Etat au lieu de la renforcer. Poutine a entrepris de re-centraliser le pouvoir par des lois facilement votées par un Parlement qui lui est acquis et par des décrets présidentiels. Ce renforcement du pouvoir central ne s’est pas accompagné de mesures destinées à s’assurer que les régions maintiennent leur rôle de contre-pouvoir sur le centre dominant ou de stimulation de la société civile. Quelques enjeux Ressources financières Les variables économiques et financières sont prééminentes dans les conflits entre le pouvoir central et les pouvoirs régionaux car la liberté d’action de ces derniers exige des ressources financières. Sous Eltsine, les transferts financiers s’effectuaient dans la confusion et le manque de transparence, propice aux détournements. Depuis son arrivée à la présidence, Poutine tente de contraindre les gouverneurs dans leur gestion et de transférer les compétences fiscales et financières au pouvoir central. Poutine brandit l’argument de la redistribution équitable des ressources à l’échelle fédérale pour réduire les déséquilibres entre les régions. Même si l’Etat prélève de plus en plus sur les revenus des régions, il est peu probable que la redistribution sociale soit efficace. Gouverneurs En 1996, Eltsine a accordé le droit aux régions d’élire leur propre gouverneur au suffrage universel direct, ce qui constituait un progrès démocratique et confirmait la structure fédérale du pays. En 2000, les réformes institutionnelles de Poutine ont retiré les gouverneurs du Conseil de la Fédération. En outre, le président s’est accordé le droit de limoger des gouverneurs, mesure qui a été peu appliquée en raison de l’absence de contrôle sur l’élection du remplaçant. Point faible de l’ingérence du Kremlin sur le pays, l’élection au suffrage universel des gouverneurs a été supprimée au lendemain de Beslan en octobre 2004. Il a également annoncé l’instauration du système proportionnel intégral aux élections législatives, évinçant les candidats isolés issus des élites économiques. Découpages administratifs et traités bilatéraux La Constitution de 1993 comporte une forte contradiction car elle affirme l’égalité entre toutes les régions mais préserve aussi les avantages négociés dans les trois traités de la Fédération qui accordent des privilèges 100 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 à certaines régions au détriment des autres. Le gouvernement Eltsine a alimenté cette confusion en multipliant les traités bilatéraux qui déléguaient certains pouvoirs de prérogative fédérale aux régions, notamment les républiques ethniques comme le Tartarstan. Eltsine a ensuite fait voter une loi en octobre 1999 sur « les principes généraux organisant les pouvoirs législatif et exécutif de l’Etat dans la Fédération de Russie » mais cette manœuvre tardive ne fut pas efficace. Aujourd’hui, le Kremlin fait le procès du fédéralisme comme ennemi de la cohésion de l’Etat et souhaiterait uniformiser le découpage administratif du pays. Le statut particulier de certaines républiques nationales s’oppose à la vision idéalisée d’un Etat russe soudé et égalitaire. A l’inverse, une autonomie régionale prononcée rendrait les citoyens de Russie inégaux devant la loi et les droits fondamentaux en raison des forts contrastes entre régions privilégiées et zones pauvres. EN PERSPECTIVE… L’enjeu sécuritaire est instrumentalisé par le président russe pour justifier une centralisation croissante du pouvoir, à l’inverse de l’évolution donnée par Eltsine. La guerre en Tchétchénie et le terrorisme circonstanciel en Russie est omniprésent dans les justifications des décisions politiques. Le lien entre la suppression de l’élection au suffrage universel des gouverneurs de régions et la tragédie de Beslan (septembre 2004) a été établie en toute clarté : il s’agissait de répondre à une exigence de sécurité. Ce contexte d’insécurité mis en avant par les dirigeants n’est pas propre à la Russie et il recherche également une légitimation, au niveau international, par l’injonction du président américain à le rejoindre dans la « guerre contre le terrorisme ». 101 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 102 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique du Sud L’émergence d’un pouvoir central Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle ? CHEFFERIE TRADITIONNELLE, POUVOIR CENTRAL, DECENTRALISATION, GOUVERNEMENT COOPERATIF, FEDERALISME INTEGRE, NEGOCIATION, VETO, BANTOUSTAN, TOWNSHIP, DEMOCRATIE LOCALE, CONSEIL TRADITIONNEL, LEGITIMITE En Afrique du Sud, la transition négociée qui vise à la construction d’un ordre politique post-Apartheid est soustendue par une philosophie de réconciliation nationale. Le gouvernement d’union nationale, dirigé par le Congrès national africain (ANC), doit faire face à de multiples défis dont la conciliation des diverses revendications au sujet de la réorganisation du pouvoir. Cette réforme de l’Etat doit en outre, tenir compte de la réintégration des bantoustans 1 dans le territoire national et des townships dans les zones urbaines, réintégration qui pose le problème de la compatibilité des anciennes et nouvelles autorités. La nouvelle forme décentralisée de l’Etat, comme source principale du problème La réintégration des bantoustans et des townships a nécessité une véritable réorganisation constitutionnelle des différents niveaux de gouvernement. L’absence notable de qualification de la nouvelle forme de l’Etat dans la Constitution de 1996 semble démontrer la volonté de concilier les diverses revendications au sujet de sa forme. Les rédacteurs se sont en effet ingéniés à donner satisfaction aux revendications unitaristes de l’ANC, centralistes du Congrès Panafricain (PAC) tout en tenant compte des revendications fédéralistes du Parti National (NP) et du Parti Démocrate (DP), voire confédéralistes de l’Inkatha Freedom Party (IFP). Le fruit de ce compromis qui établit un système hybride consacre un accroissement de l’autonomie politique de la sphère provinciale et de la sphère locale, autonomie relativisée par un pouvoir central qui demeure fort. La province acquiert, tout d’abord, une plus grande souveraineté. L’élection d’un Conseil exécutif dirigé par un Premier, sorte de premier ministre provincial, témoigne de la réduction du pouvoir de l’Etat dans la province. La Constitution augmente, en outre, les domaines de compétences dévolues à la province, même si celles-ci restent soumises à des conditionnalités qui laissent le dernier mot au pouvoir central. De la même manière, le gouvernement local, obtenant le statut de « sphère de gouvernement » 44 , qui lui permet d’élaborer sa propre politique, gagne en autonomie. Celui-ci, instrument de la politique de séparation « raciale » pendant l’Apartheid devient un acteur clef de l’entreprise de démocratisation mais aussi, comme la Constitution le prescrit, un vecteur de développement socio-économique du nouvel Etat et de réparation des inégalités. Les relations intergouvernementales sont régulées selon le principe constitutionnel de « gouvernement coopératif ». Ce mode de relation semble constituer un élément essentiel de l’intégration politique du territoire. Fondée sur l’exigence de la négociation, le gouvernement coopératif tend ainsi à créer un « fédéralisme intégré » 45 qui cherche à relier les différents échelons de gouvernement tout en créant un espace aux multiples configurations de relations intergouvernementales. Mais dans la pratique, ce principe semble maintenir un mode diffus de domination du pouvoir central. Les structures de représentations nationales des sphères provinciales (Conseil national des provinces, NCOP) et locales (Association des gouvernements locaux d’Afrique du Sud, SALGA) jouent toutefois un rôle patent dans la participation des niveaux décentralisés aux relations intergouvernementales. « L’organisation des pouvoirs publics entre les différents niveaux de gouvernement n’est pas le résultat d’une dévolution de compétences de l’Etat aux provinces mais le résultat d’un contrat politique et social » 46 . La Constitution en garantit le respect par des modalités de révision renforcées, dont un pouvoir de veto du NCOP sur toute proposition de révision du pacte fédéral. Mais l’autonomie financière restreinte des sphères 1 Territoires représentant 13% de la superficie totale du pays, considérés comme des Etats noirs autonomes, voire indépendants, pendant la période de l’Apartheid, censés assurer le « blanchissement » de l’Afrique du Sud, car séparés de la République blanche. 44 « Le terme de sphère est préféré à celui de niveau pour souligner la réalité de gouvernements distincts, chacun étant responsable devant sa propre législature ou conseil. Il vise également à mettre l’accent sur la nature […] plus égalitaire des relations entre gouvernements » Crouzel, Ivan. « Les municipalités en Afrique du Sud : une autonomisation variable » in Les Etudes du CERI, n°93, avril 2003, p 6 http://www.ceri-sciencepo.com/publica/etude/etude93.pdf 45 Simeon, Richard « Considerations on the design of federations : The South African Constitution in a comparative perspective », South Africa Publiekreg/Public Law, Vol. 13, n° 1, 1998, cité par Crouzel, Ivan. Ibid., p 14 46 Maziau, Nicolas. « La décentralisation en Afrique du Sud : un Etat « caméléon » in La république d’Afrique du Sud, Nouvel Etat, nouvelle Société, sous la direction de G. Conac, F. Dreyfus, N. Maziau, Coll. La vie du droit en Afrique, Edition Economica, 1999, p 64. 103 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 provinciales et locales et la prédominance indiscutable de l’ANC, présent dans toutes les sphères de gouvernement, limitent les effets de cette décentralisation du pouvoir. Toutefois la répartition des pouvoirs semble ainsi plus équilibrée et plus propice à la démocratie. Cette nouvelle forme de l’Etat, quoique satisfaisante, pose néanmoins le problème de la compatibilité des autorités locales avec la chefferie traditionnelle, problème qui a nécessité, surtout au niveau rural, dans les anciens bantoustans des concessions de la part de l’Etat. On peut se demander comment l’exigence récente de la démocratie et le principe de gouvernement coopératif peuvent s’appliquer à la réalité du pouvoir politique des autorités tribales. La relégation des chefs traditionnels Les amakhosi ou chefs traditionnels représentent en effet le pouvoir de proximité qui prévaut dans le milieu rural depuis des siècles. A la fin des années 1980, la perspective d’un changement de pouvoir au profit de l’ANC signifiait pour le parti leur abolition, l’ANC considérant que les chefs coutumiers étaient une institution archaïque, incompatible avec la démocratie, puisque désignés par la famille royale et coupables de compromission avec le régime d’Apartheid. On compte pourtant en 2004, dix rois, huit cents chefs tribaux et dix mille chefs de villages, reconnus institutionnellement et dotés d’un organe de représentation au niveau national, provincial et local depuis 2003. Quel sort a été le leur depuis le début de la transition démocratique ? Les autorités traditionnelles étaient, avant 1994, légalement le premier niveau d’administration en zone rurale noire et constituaient souvent plus de 50% des parlements des bantoustans. Cette élite rurale administrait la population et était chargée du maintien de l’ordre public ainsi que de la prestation de services publics de base (santé, éducation, eau, électricité, transport, gestion foncière etc.). Si ces chefs étaient alors soumis au gouvernement blanc selon une forme du principe de l’indirect rule 47 coloniale, ils restaient la principale autorité dans les zones rurales. L’enjeu principal de l’antagonisme existant entre l’ANC et la chefferie traditionnelle est donc principalement le « contrôle de la ruralité africaine de l’Afrique du Sud » 48 , l’ANC voulant étendre la démocratie sur tout le territoire et les chefs tentant de maintenir leur pouvoir. La région emblématique de la forte implantation de cette institution traditionnelle est le KwaZulu-Natal, province majoritairement zouloue (tribu représentée politiquement par l’Inkatha Freedom Party, IFP) : elle est, par là même, le lieu de focalisation de cette opposition. Un exemple récent en témoigne : en avril-mai 2005, un débat a eu lieu sur la reconnaissance du royaume zoulou et sur la place de la famille royale dans le processus de décision. 49 Pour autant, l’importance de la chefferie traditionnelle n’est pas uniforme mais dépend plutôt du traditionalisme de chaque région. L’argument avancé pour une meilleure légitimation de cette institution est la proximité des chefs avec leur village, argument contrebalancé par le fort taux d’illettrisme (70%) chez les chefs, qui relativise leur rôle de développement local. La « grande dépossession des chefs » 50 commence au début de la transition démocratique avec la mise en place de gouvernements locaux transitoires (transitional local council, TLC) dans les anciennes zones noires. Ces TLC reprennent les fonctions des autorités noires dans les townships (apparues dans les années 1980) et doivent se substituer aux autorités tribales dans les anciens bantoustans. Cette substitution n’est pas du goût des chefs traditionnels, les législations anciennes concernant leurs fonctions étant toujours en vigueur. La coexistence est en fait insatisfaisante pour les deux parties et va jusqu’à provoquer des blocages ou des situations de confusion qui se traduisent, par exemple, par l’interruption de l’accès aux services. Les élections municipales sont l’occasion pour les chefs tribaux de mener un combat à deux fronts : ils réclament la reconnaissance de leur main-mise sur la gestion foncière et s’opposent à l’attribution aux nouvelles municipalités de la fonction de développement prévue dans le Municipal Structures Act. Mais le gouvernement tient sa ligne initiale sur la question des compétences des municipalités. 47 Principe de gouvernement en vigueur dans de nombreuses colonies britanniques qui consiste à contrôler un territoire à travers ses autorités coutumières. Celles-ci restent en place en échange de leur soumission. 48 Vircoulon, Thierry. « Que faire des chefs coutumiers dans la nouvelle Afrique du Sud ? » in L’Afrique du Sud démocratique ou la réinvention d’une nation¸ L’Harmattan, 2004, p 51 « Cette expression paradoxale désigne les exhomelands car l’Apartheid a aussi scindé le monde rural en deux : celui des Blancs et celui des Noirs. » 49 Mail & Guardian, 22 avril 2005, 18 mai, 19 mai, 21 mai, 25 mai 2005 50 Vircoulon, Thierry. Op.cit., p 53 104 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Sans remettre en cause le principe de rémunération des chefs par l’Etat mais en instaurant des autorités locales démocratiques sur tout le territoire, le gouvernement fait perdre aux chefs traditionnels le rôle d’administrateurs ruraux, tout en leur reconnaissant progressivement une place particulière dans la société. La prise en compte des autorités traditionnelles Le manque de clarté sur la définition du rôle des chefs perdure jusqu’au Traditional Leadership and Governance Framework Act, voté en décembre 2003. Comme l’indique son Préambule, cet acte législatif a pour objectif de « transformer l’institution pour la rendre compatible avec la Constitution » et restaurer « [son] intégrité et [sa] légitimité ». Tout en rappelant aux chefs leur obligation de coopération avec toutes les sphères et organes du gouvernement, ce texte propose un encadrement au pouvoir de la chefferie. La loi prévoit l’établissement d’un Conseil traditionnel qui doit être composé de membres choisis par le chef, d’un tiers de femmes et d’autres membres élus démocratiquement. Ce Conseil et sa composition témoignent d’une modernisation de l’institution car l’obligation d’un Conseil introduit l’encadrement du chef et sa composition la rend compatible avec les principes constitutionnels (non-discrimination et démocratie). Mais les pouvoirs de ce conseil restent indéfinis : la loi prévoit seulement qu’il ait un rôle ouvert, c’est-à-dire que les administrations peuvent leur déléguer des missions non énumérées par la loi. Cette clause « compte tenu des vues de l’ANC sur la chefferie traditionnelle […] fait figure de concession creuse. » 51 Toujours est-il que ce Conseil institutionnalise le rôle consultatif de la chefferie traditionnelle. Le deuxième point essentiel de ce projet de loi est la prise en compte du problème de légitimité des chefs traditionnels, faits et défaits par l’administration coloniale et le régime d’Apartheid, selon leur soumission au régime en place. Il instaure une nouvelle forme de reconnaissance étatique des chefs par le biais de l’octroi de certificats, sous certaines conditions : l’assurance que la désignation du chef s’est faite conformément aux règles coutumières, qu’il n’a pas de casier judiciaire et qu’il n’est pas mentalement déficient. En bref, l’Etat s'accorde le pouvoir de démettre les chefs tribaux. La nécessité de l’aval étatique renforce le contrôle de l’Etat sur cette institution et amenuise ainsi son pouvoir. Pour autant, cette reconnaissance est bien le témoin du caractère incontournable de la chefferie traditionnelle dans la société sud-africaine. Et si on constate un manque de données sur la perception et le soutien dont bénéficient les chefs, ce qui nous empêche de connaître la réelle légitimité de cette institution, certains ont pu observer une évolution récente, celle de l’apparition d’une nouvelle génération de chefs, jeunes et éduqués, qui s’intéressent au développement local et cherchent à s’adapter au nouveau contexte démocratique. Ainsi le gouvernement est-il parvenu à imposer la démocratie qu’il souhaitait, c’est-à-dire une démocratie locale cantonnant les chefs à une responsabilité faible et contrôlée. Toujours est-il que les autorités traditionnelles ont su s’assurer une place dans un nouveau régime dirigé par un parti qui leur est pourtant encore largement opposé, une place qui peut encore évoluer, selon l’adaptabilité des nouvelles générations de chefs. « La Constitution de 1996 [semble avoir] formellement rompu avec le centralisme qui caractérisait l’Etat sudafricain depuis sa création » 52 , et ce en renforçant les statuts et compétences des sphères provinciales et locales, renforcement qui a obligé l’Etat à légiférer sur la question des autorités traditionnelles, habituées à gérer seules le local dans les anciennes zones noires. L’Etat central apparaît toutefois comme l’ultime maître du jeu dans une majorité de décisions. Résultats de compromis, la nouvelle forme de l’Etat a ainsi été l’occasion pour l’Etat de se garder une place de choix. Cette place de l’Etat central associée à une omniprésence de l’ANC dans toutes les sphères du gouvernement permet une stabilité essentielle pour ce pays dans son processus de réunification nationale. La prise en compte, enfin, de la nécessité du compromis et de la négociation est un gage contre le conflit. EN PERSPECTIVE… Cette réforme de l’Etat a dû se faire dans un climat de conciliation. Si des antagonismes persistent, ceux opposant l’Afrique du Sud rurale et traditionnelle et l’Afrique du Sud urbaine et moderne, le gouvernement a su faire progresser la démocratie, en « dé-féodalisant » les zones rurales tout en gardant des caractéristiques de la culture africaine noire. L’Afrique du Sud semble bien être un bon exemple du partage du pouvoir. 51 52 ibid. p 63 Crouzel, Ivan. Op.cit. p 4 105 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 106 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afghanistan Processus instituants L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité JUSTICE DE TRANSITION, ACCORD DE PAIX, RESPONSABILITE, AMNISTIE, DEMOBILISATION, DESARMEMENT, ORGANISATIONS INTERNATIONALES, COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, RE-INTEGRATION, EMPLOI, INSECURITE La conférence de Bonn réunie en décembre 2001 a tenu lieu de conférence de paix alors que toutes les parties au conflit n’étaient pas présentes. Les Pashtouns étaient largement sous-représentés alors que l'Alliance du Nord tenait une place prépondérante ; les monarchistes qui soutiennent le retour du roi (Groupe de Rome) étaient également présents. Un accord, signé le 5 décembre 2001, prévoyait les modalités d'un gouvernement provisoire. Pourtant, ce texte ne comporte pas de volet sur les dispositions d'un futur appareil de justice de transition. Aucune des parties présentes n'a fait pression dans ce sens. Il était seulement prévu que les parties « déposent les armes et œuvrent à la construction d'une société ». Les délégués de la communauté internationale présents à Bonn, et notamment les représentants de l'ONU, savaient que la reconnaissance du passé, d'une façon ou d'une autre, était nécessaire. Mais aucune instance n'a été mise en place pour s'acquitter de cette tâche. Dans les négociations, deux conceptions se sont affrontées : celle des représentants internationaux qui souhaitaient un dispositif de justice, une interdiction de proclamer une amnistie, la démobilisation des combattants et leur désarmement. Face à eux, les différents camps afghans – tous impliqués dans les combats – se sont élevés violemment contre ces mesures : la moindre critique émise contre les Muddjahidins est assimilée à un blasphème donc l'amnistie s'impose ; le désarmement des combattants est vu comme un déshonneur. Au final, le texte de l'accord de Bonn ne fait pas mention de l'interdiction d'une amnistie, de la démobilisation et du désarmement. Seuls restent : • un appel à tous les groupes armés à rejoindre le commandement de la nouvelle administration ; • une disposition selon laquelle pour participer au gouvernement provisoire, les ministres ne devaient pas être coupables de crimes de guerre, crimes contre l'humanité ou de violations graves des droits de l'Homme ; • une référence à une Commission des droits de l'homme qui doit s'occuper des délits du passé et du présent. Il n'existe toujours pas de grande organisation de défense des droits de l'homme, ni d'appel pour former un tribunal. Tout le monde semble accepter que la situation est trop complexe et trop fragile pour une telle procédure. Le système juridique actuel est encore incapable de mener des tâches de base, donc impossible pour lui de mettre en oeuvre la responsabilité historique. L'accord de Bonn met implicitement la responsabilité de la justice provisoire sur le dos de la Commission des droits de l'homme. Hamid Karzaï a fait à ce sujet des déclarations contradictoires sur sa volonté d'établir une Commission de vérité mais estime que la justice est un luxe que l'Afghanistan ne peut pas se payer encore. La Loya Jirga de son côté a décidé de faire signer à chaque candidat aux élections présidentielles une promesse qu'il n'a pas tué de personnes innocentes, n'est pas impliqué dans le trafic de drogue et le terrorisme. Enfin, l'Afghanistan est membre de la Cour criminelle internationale depuis le 1er mai 2003 : cette juridiction est compétente pour juger les crimes de guerre et les crimes commis contre l'humanité commis dans le pays à partir de cette date. L'action internationale Plusieurs organisations internationales de droits de l'homme ont sondé le terrain auprès de la population et ont conclu que les Afghans ont besoin d'un débat pour étudier les choix qui s'offrent à eux. • International Center for Transitional Justice, une ONG dirigée par l'ancien vice-président de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, a envoyé une mission restreinte pour travailler sur place et étudier les différentes options compte-tenu des expériences internationales. • Un envoyé spécial de Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU a appelé une commission d'enquête internationale sur les fosses de Dasht-i Leili, où ont été retrouvés les corps de Talibans afghans et pakistanais qui avaient été faits prisonniers. Il en existe encore d'autres dans le pays suite à des crimes 107 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 commis en 1997-98. La commission d'enquête internationale vise à établir, au moins, un registre officiel des victimes depuis 1978. Blocage Plusieurs raisons expliquent un tel consensus autour d'autant de prudence : la crainte de déstabiliser une situation encore très fragile ou de stabiliser un ordre injuste ; un climat de peur empêche d'entamer des poursuites, l'intimidation est due au manque de sécurité : sans sécurité, les droits de l'Homme ne seront pas respectés. Et malgré les décisions du processus politique et de l'accord de Bonn, le vrai pouvoir reste entre les mains des chefs de guerre. Ce qui aidera l'Afghanistan à avancer, ce n'est pas de se débarrasser de tous les hommes qui ont commis des crimes mais de créer un système d'institutions pour les contrôler et rendre le gouvernement légitime, par la loi, et donc efficace, respecté et respectueux. EN PERSPECTIVE… Le processus doit désormais se concentrer sur la question centrale de la démobilisation, du désarmement et de la ré-intégation des anciens combattants. Pour cela la création d'une administration civile et d'un système juridique et judiciaire est indispensable pour trouver des alternatives d'empois, des formations, des prêts, des bourses, et d'autres formes d'assistance, sans quoi il n'y aura pas de paix et ni de justice. L'organisation d'élections avant le désarmement a conduit à la reprise des combats en Angola et au Cambodge. La population a besoin que ses souffrances soient reconnues, c'est pourquoi la Commission des droits de l'homme devrait préparer un ensemble de propositions pour une discussion publique. Un processus national de documentation, clarifiant le sort des disparus et établissant la vérité sur les massacres. Enfin, pour réduire la peur, le président devrait décréter une amnistie pour tous ceux qui ont pris les armes pour ou contre un gouvernement afghan ou un groupe politique, à l'exception des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide. Mais parallèlement, un processus juste et compréhensif devrait voir le jour, qui permette aux personnes qui ont eu des postes à responsabilité d'admettre leur implication dans des crimes. La question de la responsabilité en Afghanistan n'est pourtant pas simple : d’une part, les responsables étrangers ne peuvent être poursuivis, dans ces conditions comment justifier de poursuivre les seuls Afghans. D’autre part, de nombreux individus, compte-tenu de la durée de la guerre et des retournements qu’elle a connus, sont à la fois criminels et victimes 1 . Enfin, la justice et l’organisation judiciaire sont détournées de leur mission de service public et se perdent dans les dédales d’une approche religieuse du droit alors que la situation exige le respect de normes de compétence, d’efficacité et de clarté 2 . 1 « Transitional justice in Afghanistan », The Anthony Hyman Memorial Lecture, School of Oriental and African Studies, University of London, Barnett R. Rubin, Director of Studies and Senior Fellow, Center on International Cooperation, New York University, Février 2003. 2 Kacem Fazelli, L’Afghanistan, du provisoire au transitoire. Quelles perspectives ?, L’Asiathèque, Paris 2004 : 225. 108 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afghanistan Processus instituants Enjeux de la formation de l'armée nationale afghane (ANA) DISCRIMINATIONS ETHNIQUES, QUOTAS, PROFESSIONNALISATION, ARMEE DE TRANSITION, DEMOBILISATION, MILICES, FAVORITISME Depuis la fin de la guerre contre les Soviétiques en 1989, l'Etat afghan a connu des tentatives de reconstruction. Les mudjahiddins de l'Alliance du Nord prennent le pouvoir en 1992 et l'armée afghane est essentiellement composée de Tadjiks. Les Talibans, en 1996, tentent d'organiser une armée nationale avec un succès mitigé. En 2001, elle compte 45.000 hommes, aucune structure de commandement et une part importante de volontaires étrangers. Déjà avant la guerre, l'intégration des régions dans l'ensemble restait faible, la conscience et l'identité nationales manquaient. Dans ces conditions, l'affectation des soldats était un véritable enjeu, ils étaient généralement affectés loin de leur village d'origine. Quand en 1983, cet impératif est abandonné, l'influence de l'Etat s'élargit alors aux régions : l'Etat central, désormais incarné par les enfants du pays, rencontre un prestige nouveau. Le gain politique de cette décision est toutefois minimisé par le fait que servant dans leur propre région, les soldats ne sont plus prêts à accepter des ordres injustifiés, notamment de bombardements. Malgré tout, le gain politique demeure supérieur. Du fait de la composition pluriethnique de la population afghane, les discriminations entre groupes se retrouvaient dans l'armée, entre le commandement et les troupes, sous forme de mauvaises relations qui pouvaient aller jusqu'au châtiment corporel. Pour assurer un meilleur équilibre des représentations, l'armée instaure en 1963 une politique de quotas. Elle eut pour résultat l'augmentation du nombre de non-Pashtouns. En 1992, sous le gouvernement dirigé par l'Alliance du Nord, les Tadjiks sont sur-représentés dans les unités noncombattantes. Les Pashtouns dirigent toujours l'infanterie. Les divisions sont ethniquement homogènes, les Ouzbeks et les Hazaras n'auraient pas été acceptés par les Pashtouns. L'armée afghane était le berceau de l'ascension sociale, elle s'est politisée dans les années 60-70 et radicalisée pendant la guerre civile avant de se désintégrer. Ce mauvais souvenir rappelle que l'armée doit être politiquement neutre, c'est pourquoi il est indispensable d'insister sur son professionnalisme. Quelle armée afghane se décide en 2002 ? Une armée de transition Il existe une armée de transition mais un consensus se dégage pour construire l'armée nationale afghane (ANA) sur de bases nouvelles, donc l'armée de transition doit disparaître. Elle compte 2500 militaires, organisées en 40 divisions, payés par le ministère de la Défense. La création de ces divisions était un outil politique pour permettre à l'Etat de les faire passer sous son influence mais en réalité elles sont restées sous le contrôle des chefs de guerre locaux. D'autres groupes indépendants, non affiliés, à des chefs ont été également intégrés à cette armée provisoire. Ces divisions sont indisciplinées et mal équipées. En réalité, ces hommes ne reçoivent pas de salaire mais sont seulement nourris. Il n'est pas question de les entraîner, l'objectif semble être que les troupes se démobilisent spontanément. Pourtant cette démobilisation pose des problèmes : ces hommes ne savent rien faire d'autre que la guerre. L'administration afghane, tout en voulant leur démobilisation, ne peut verser une somme suffisante pour les convaincre de quitter l'armée, ni leur proposer un emploi même à court terme. Il a finalement été décidé de garder pour la nouvelle armée seulement les hommes entre 22 et 28 ans. La raison d'être de l'armée de transition est qu'elle sert de réceptacle pour les forces militaires qui ne peuvent être démobilisées immédiatement. Désarmement Le désarmement de la population est un autre impératif pour lequel les solutions manquent : comment récupérer les armes auprès de la population alors que les Afghans ont maintenant une identité de combattant tellement ancrée et tant que l'insécurité généralisée continue de régner. Les seules armes qu'ils consentent à rendre sont vétustes et presque inutilisables. 109 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 ANA L'armée nationale doit être restreinte et très professionnelle - bien entraînée et disciplinée - enfin, politiquement neutre. Pour ces raisons, elle doit être constituée de zéro. L'ISAF 1 et l'armée américaine ont apporté leur aide. L'accord décidé permet une armée de 60.000 hommes. Une armée plus importante – intégrant les milices - comporterait le risque d'importer les luttes de faction. Pourtant, comme nous venons de le voir, le contexte afghan rend ces choix difficiles à tenir : par exemple, face à la difficulté de recruter des hommes, il a été décidé que 15% des combattants des anciennes milices participeraient à l'ANA. L'armée reste animée de discrimination ethnique : le ministre de la Défense, Fahim, l'ancien bras droit de Massoud, est tadjik. Sur les 38 généraux de l'armée, 37 sont tadjiks et un est ouzbek. En plus de ce favoritisme ethnique et politique – les Afghans ne se font pas beaucoup d'illusions à ce sujet - les hommes choisis n'ont pas d'expérience antérieure au sein de l'armée nationale ce qui est particulièrement mal vécu par les militaires. Début 2003, l'armée est composée à 40% de Tadjiks (alors qu'ils représentent 25% de la population) et 37% de Pashtounes (ils sont 42% dans la population). La langue de commandement est le dari (persan parlé par les Tadjiks) et non le pashto. Les critiques au sein de la population afghane, parmi les observateurs internationaux et les officiels américains ont forcé un rééquilibrage des personnels du ministère de la Défense et de l'Armée. Mais l'équilibre est difficile à trouver : pour garantir le caractère multi-ethnique de l'armée, il faut éduquer les troupes à une attitude plus civique avec les populations civiles. Cela suppose de mettre un terme aux milices privées, objectif impossible à court terme; elles devront cohabiter avec l'armée de transition et l'ANA au moins pour un temps. La variété des langues parlée dans l'armée pose également problème et compromet son efficacité. Par le passé, les bataillons homogènes se sont montrés plus efficaces que les mixtes. Pour le moment, l'ANA se présente plutôt comme une garde rapprochée : elle peut affronter des menaces mineures mais pas des combats lourds. Le maintien du favoritisme politique offre l'avantage, à court terme, de l'homogénéité mais peut alimenter la frustration de ceux écartés. Une armée plus équilibrée rassurerait les chefs de guerre, et les encourageraient sans doute à envoyer davantage d'hommes de leurs troupes, mais les gagnants de l'actuel rapport de force n'accepteraient pas ce rééquilibrage. EN PERSPECTIVE… Le désarmement est pour le moment lent, sélectif et de façade. L’Armée nationale, qui compte 13500 hommes en juillet 2004, n’est pas encore assez puissante pour prendre le risque d’affronter les groupes djihadistes qui ont conservé leur cohésion. Par ailleurs l’administration afghane est soupçonnée de prétexter son incapacité à assurer la sécurité pour reporter les élections parlementaires (septembre 2005). Elle aurait adressé une demande d’augmenter le contingent de l’OTAN de 4500 hommes 2 . 1 La Force Internationale d’Assistance à la Sécurité est sous commandement de l’OTAN depuis août 2003. C’est la première mission de l’Organisation en zone non euro-atlantique. Elle vise à aider l’autorité afghane intérimaire à assurer la sécurité. Elle est constituée de 6500 hommes originaires de 35 pays membres ou non de l’OTAN. 2 Fazelli 2004 : 227. 110 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afghanistan Processus instituants L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain DONATEURS INTERNATIONAUX, AUTORITE, SOUVERAINETE, SANTE PUBLIQUE, BANQUE MONDIALE, CONTRACTUALISATION Lors de la troisième conférence des donateurs étrangers, réunie du 4 au 6 avril 2005, Hamid Karzaï a plaidé en faveur d’une plus grande autonomie de son Gouvernement dans la gestion de l’aide internationale, afin de mieux asseoir son autorité. Répartition des pouvoirs entre le Gouvernement et les acteurs internationaux Le Monde 1 expose très bien le dilemme posé par l’aide internationale accordée après les situations de crise. D’un côté, les donateurs internationaux affirment que les gouvernements doivent être renforcés et qu’ils doivent prendre leurs responsabilités de Gouvernance face à la population. D’un autre côté, leurs actions perturbent l’exercice du pouvoir comme, par exemple, en offrant des salaires bien supérieurs à ceux proposés par le Gouvernement. Un autre exemple consiste à subventionner une politique de reconstruction qui ne coïncide pas avec les priorités du gouvernement. Sur le principe, les donateurs s’accordent à vouloir renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique mais beaucoup font valoir que l’administration manque de ressources humaines, qu’elle est très largement corrompue et politisée ce qui risque de déséquilibrer la distribution de l’aide. En conséquence, ils gardent la gestion de l’aide internationale sous leur contrôle. Cette dynamique crée un obstacle au renforcement de l’Etat, mais pose également des problèmes de positionnement pour plusieurs organisations étrangères travaillant dans ce cadre international. Guy Caussé, médecin volontaire pour Médecins du Monde (MDM) en Afghanistan depuis des années, explique le dilemme pour MDM. Expérience MDM Le point de vue de MDM est le suivant : « Comment renforcer la crédibilité d’un gouvernement alors que la plupart des secteurs publics sont régis par des organismes internationaux ? ». Il fait référence à la mise en place du Performance-based partnership agreement ou « contrat de partenariat basé sur la performance », instauré par la Banque Mondiale dans certaines provinces de l’Afghanistan. Dans le domaine de la santé, la Banque Mondiale a imposé ses priorités. Cet accord est critiqué d’une part car il établit un système de santé afghan presque entièrement organisé sur la contractualisation des acteurs privés et d’autre part car le suivi n’est organisé que pour une durée de 3 ans, sans aucune perspective de reprise en main ultérieure par les Afghans. La Banque Mondiale admet au contraire que le choix de privatiser l’aide médicale par l’intermédiaire des ONG permet un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds et de la situation sur le terrain. Finalement, la question posée par MDM est la suivante : « Souhaitons-nous devenir les sous-traitants des organisations internationales via le Ministère de la Santé pour les soins de santé primaire ? Si la réponse est « oui », à quel prix cela se fera-t-il pour notre indépendance et notre éthique ? ». Leur décision a été de ne pas participer à la contractualisation des services de santé et de garder leur indépendance. Ils continuent à prodiguer des soins dans des régions qui ne sont pas couvertes par la politique du Ministère de la Santé. Légitimité des acteurs internationaux On peut s’interroger sur l’opinion de la population afghane quant à la légitimité de la présence internationale. Guy Caussé rappelle que les loyautés en Afghanistan sont très fluides. Le temps de tolérance qu'ils peuvent accorder à l'étranger sur leur territoire reste limité. Ainsi cette confiance – somme toute limitée – qu'ils accordent aux internationaux venus « reconstruire le pays » (Etats-Unis, Grande Bretagne, Allemagne, France...) pourrait très rapidement s'inverser si les déceptions étaient trop grandes. Déjà les organisations humanitaires étrangères sont discréditées par l'opulence affichée dans laquelle elles travaillent. Un sentiment d'injustice est ici alimenté par l'impression de la part des Afghans que les fonds qui leur sont consacrés sont ainsi détournés. 1 Le Monde du 6 avril 2005 111 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 EN PERSPECTIVE… A plus long terme on peut s’interroger sur les conséquences sur l’autonomie du corps médical afghan si les services sont ainsi sous-traités à des étrangers et que les Afghans se voient seulement octroyés les plus basses tâches. 112 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ouzbékistan Processus instituants Indépendance et construction nationale TRIBUS TURCO-MONGOLES, IRANOPHONES, SEDENTARISATION, RUSSES, ETHNIE, REPUBLIQUES, NATIONALITES, ETAT NATIONAL, PLURICULTURALITE, SYNCRETISME, COMPLEMENTARITE, FRONTIERES, LEGITIMATION, ALPHABET, LANGUE, NATIONALISME La république socialiste soviétique d'Ouzbékistan a déclaré son indépendance le 1er septembre 1991. Dans le contexte soviétique de l'époque, rien de bien étonnant à cela. Pourtant d'un point de vue régional, l'émergence de cet Etat indépendant interroge : l'Ouzbékistan n'a jamais constitué un Etat indépendant. A quoi correspond son nom compte-tenu de sa population et de ses frontières ? La république socialiste soviétique d'Ouzbékistan, passé proche et lointain Le nom ouzbek ne renvoie pas à une ethnie mais à un groupement de tribus turco-mongoles au début du XIVe siècle. Elles se sont différenciées des Kazakhs au sujet d'une allégeance que les unes ont acceptée et les autres refusée. Dès lors que cette confédération tribale a conquis plusieurs des villes de l'actuel Ouzbékistan, le terme ouzbek a été associé au pouvoir politique et militaire, face à une population bigarrée au sein de laquelle une entité domine : les iranophones, identifiés comme sédentaires, urbains et maîtres du sacré. La conquête et l'exercice du pouvoir conduisent à la sédentarisation des tribus turco-mongoles et à un changement de la donne sociale : désormais ils partagent un espace social commun et s'opère alors une symbiose culturelle. La conquête russe (seconde moitié du XIXe siècle) apporte le concept d'ethnie et donne lieu (à travers les recensements notamment) à une catégorisation de la population qui rompt les liens de complémentarité et d'interdépendance. La Révolution bolchevique et l'instauration de l'Union soviétique, paradoxalement, poursuivent ce processus : le pouvoir a besoin de désigner des « ethnies titulaires » qui sont des groupes reconnus majoritaires et qui reçoivent une république. Ainsi cinq républiques sont finalement créées (entre 1924 et 1929) qui ont pour objectif de réduire la portée de la culture persane, classe dominante du système précédent, et de diviser les entités turciques. Ce procédé pose deux problèmes : il repose sur un concept sans réalité, celui d'ethnie, alors que les modes d'appartenance identitaire reposent sur les lignages et le territoire. Il conduit à tracer des frontières au sein d'un ensemble social qui connaît continuité et complémentarité. Cette expérience du contact avec les Russes eut pour effet l'appropriation de ces concepts européens puisque les républiques fédérées se sont imposées en tant qu'Etats nationaux après 1991. Dans ces conditions, quelle est l'identité de l'Etat ouzbek ? Un Etat national à construire La république fédérée d'Ouzbékistan, comme les quatre autres républiques centrasiatiques, ont seulement existé dans le cadre de l'URSS ; les analystes avaient d'ailleurs prédit leur éclatement si l'URSS disparaissait. Les dirigeants, des élites autochtones, ont donc été contraints de mener une politique volontariste au lendemain des indépendances pour véritablement construire l'identité nationale de ces Etats artificiellement créés et ainsi légitimer leur existence. C'est donc la première difficulté de la transition : faire exister un Etat national qui n'a pas de réalité sur le terrain (territoire et composition ethnique) ni dans les consciences populaires (proximité culturelle des républiques voisines). Le territoire ouzbek ne correspond pas aux limites d'un empire ou d'une province du passé. Il regroupe les principales villes historiques tout en excluant des espaces, citadins ou ruraux, majoritairement peuplés d'Ouzbeks. Ainsi des minorités ouzbèkes vivent dans toutes les républiques voisines, soit autant de familles séparées par l'apparition d'une frontière. Sous l'URSS, cette situation ne posait pas de vrai problème puisque les frontières étaient fictives. Or l'accès à l'indépendance des républiques d'Asie centrale rend les frontières bien réelles voire infranchissables quand les deux Etats entretiennent de mauvaises relations diplomatiques : les abords des frontières sont alors minés et les visas sont fort coûteux. Du fait de la proximité culturelle entre les républiques, certaines villes ou régions ont un fort pouvoir attractif. Les Tadjiks de Samarcande, par exemple, rêvent de Doushanbé (capitale tadjike). Depuis la fin de la guerre et depuis que ce pays connaît un certain dynamisme économique, ils se tournent volontiers vers le Tadjikistan alors qu'il y a peu encore, ils ne s'identifiaient pas à ce pays montagneux qui reflète bien peu leur 113 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 culture. Ces réalités montrent bien la continuité culturelle de ce vaste espace et le caractère artificiel des frontières. Il faut pourtant les légitimer. La première tâche a donc été d'effacer toutes les traces des temps soviétiques, pour rechercher plus loin dans le passé la légitimité de l'Etat ouzbek. Les dirigeants se sont tournés vers les alliés traditionnels : la Turquie (écoles, langue), l'Arabie Saoudite (mosquées et matériel pour l'éducation religieuse). Parallèlement, ils ont développé et valorisé les éléments de ce qui sera la culture ouzbèke. Pour cela, ils ont utilisé les mêmes méthodes que les autorités soviétiques à la création de ces républiques dans les années 30 : acquisition d'un nouvel alphabet (latin), adoption de l'ouzbek comme langue nationale unique (ce qui est bien légitime mais l'ouzbek était la langue de l'affect et le président faisait des fautes dans ses premiers discours dans cette langue), mise à contribution des historiens pour écrire l'histoire du peuple ouzbek et l'inscrire dans un passé lointain (ethnogénèse, jubilés des villes), toponymie et enfin survalorisation de la tradition culturelle. Le nationalisme a instrumentalisé des personnages historiques comme Avicennes, Ulughbek, Navoï, présentés comme ouzbeks. Ce lourd dispositif mémoriel est identique à celui utilisé par les Soviétiques. L'œuvre soviétique la plus importante a été d'apporter le concept de nationalité qui n'existait pas (seuls deux termes désignaient des communautés : celles des liens tribaux (toïfa) et la communauté religieuse (umma). Il a servi de base aux républiques indépendantes pour acquérir leur viabilité. C'est un résultat très paradoxal puisque l'objectif des autorités soviétiques était précisément de s'assurer que les républiques créées ne seraient pas viables. Les politiques mises en œuvre par le gouvernement visent toutes à valoriser une continuité (temporalité par le territoire, surenchère dans l'ancienneté des villes), de façon volontariste voire autoritaire. La population ne s'y reconnaît pas toujours et ne se sent pas investie dans ce processus qui, du coup, ne contribue pas à construire une citoyenneté ouzbèke. Une communauté n'est pas un phénomène naturel, elle se construit par des actes instituants de manière à ce que ses membres se sentent appartenir à une communauté de destin et d'intérêt. Les principes qui soustendent la construction de l'identité nationale ouzbèke sont laïcs et en cela ils devraient permettre l'émergence d'une identité plurielle, indispensable à cette société qui repose sur le cosmopolitisme et le syncrétisme culturel (Grecs, Turco-mongols, Perses, Chinois, Indiens, Russes) et religieux (persistance de croyances préislamiques, shamanisme) du fait de sa situation au carrefour des commerces et des conquêtes. Pourtant cette laïcité est stratégique, pour contrer la menace de l'islam politique – seule opposition politique organisée - et non par souci de tolérance. La pratique de l'islam est devenue tellement suspecte qu'il existe des témoignages de musulmans qui se sont convertis au christianisme pour pouvoir exprimer leur foi sans risquer être inquiétés. La construction nationale repose sur un certain nationalisme culturel. Pourtant, il ne menace pas les groupes minoritaires. Du fait justement du syncrétisme qui fonde la culture du pays, chacun peut revendiquer comme siens les personnages ou les œuvres identifiés comme ouzbeks par le régime. La construction nationale recherche une fierté nationale sans composante d'exclusion. Seuls deux groupes se sont sentis exclus dans ce processus mais pour des raisons annexes : les Juifs (russes et boukhariotes), tout d'abord, ont massivement quitté le pays dès 1991 tout comme ils ont quitté d'autres régions soviétiques à la même époque. Cette émigration s'explique par le pouvoir attractif d'Israël et par la recherche d'une meilleure conjoncture économique. Les Russes, d'autre part, ne pouvaient se reconnaître dans l'identité nationale puisque sa construction visait principalement à faire oublier la période où ils dirigeaient le pays. On ne peut cependant pas parler de discrimination car si certains postes sont effectivement réservés aux Ouzbeks – des postes de représentation du pouvoir – leurs adjoints sont encore des Russes. Les Russes ont émigré également pour des raisons économiques. Enfin, il existe une vraie tension entre les Ouzbeks et les Tadjiks : les Tadjiks ont eu l'impression d'avoir été spoliés de leur héritage culturel à la création des républiques dans les années 20 et rêvaient que les indépendances remettent en cause les frontières et leur redonnent les prestigieuses villes de leur passé comme Samarkand et Boukhara qu'ils considèrent comme le berceau de leur culture. Cette rancœur nourrit les relations entre ces deux Etats sans représenter de réelle menace, surtout 14 ans après les indépendances et dans un Tadjikistan qui sort d'une guerre civile. 114 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 EN PERSPECTIVE… En Asie centrale, si le pouvoir soviétique a échoué à pratiquer la fusion révolutionnaire entre les peuples et a instauré des catégories qui n’existaient pas avant la colonisation russe – l’ethnie et la nationalité – au point de légitimer des Etats indépendants, cette politique n’a cependant pas eu les conséquences dramatiques qu’elle a pu connaître en Europe et notamment en ex-Yougoslavie. Le maintien des frontières a certes légitimé des entités géopolitiques artificielles mais la politique de ces Etats ne connaît pas les excès nationalistes. La tradition de complémentarité et de syncrétisme entre les différentes cultures qui cohabitent n’a pas été balayée et pourrait constituer un terreau pour la démocratisation. 115 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 116 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Kirghizstan Processus instituants La privatisation des services publics par les ONG ETAT, VILLAGES, POUVOIR, SECURITE, ONG, SUISSE, BANQUE MONDIALE, ETATS-UNIS Le Kirghizstan se pose en Etat faible et se montre sans moyen pour assurer les services de base à ses citoyens. Ils ont donc été pris en charge par des ONG fortes de moyens financiers importants. Au niveau des villages, il existe donc un face-à-face entre les représentants de l'Etat et les ONG. Représentation de l'Etat au niveau du village Au niveau du village, le pouvoir est incarné par le président de l'exécutif villageois, assisté d'un ou deux secrétaires. Il s'occupe de l'état civil et de l'administration ; ce sont des enjeux sociaux mais pas économiques. Il est épaulé par le conseil villageois, une assemblée élue, composée d'anciens qui a une autorité réelle mais règle des affaires très modestes. Enfin il existe généralement aussi une association de jeunes (choro, du nom des compagnons de Manas, héros de l'épopée kirghize) qui s'occupent des questions de sécurité notamment lors de célébrations de mariages et de fêtes, ils veillent à ce que l'ordre public ne soit pas troublé (alcool, drogues). Représentation des ONG Face à eux, les chefs locaux d'ONG sont installés dans des bureaux confortables, climatisés, équipés de ligne téléphonique. Les moyens dont ils disposent, ostensibles, nuisent à l'autorité de l'exécutif villageois. Les ONG sont principalement suisses, et elles s'occupent du domaine économique, aidées par la Banque Mondiale, et américaines, tournées vers la société civile (démocratie, droits de l'homme, propriété privée...). Les Américains sont très peu nombreux sur le terrain, ils ont formé du personnel kirghize. Les ONG présentent au Kirghizstan sont très nombreuses : 300 sont officiellement enregistrées seulement dans la région de Naryn. Les services Les institutions villageoises incarnent un Etat kirghize fantôme, impuissant, qui a abandonné aux ONG les services de base. Les représentants locaux n'ont aucun moyen pour les assurer. Ainsi sont pris en charge par les ONG : • • • les écoles : réparations et équipement l'eau et l'irrigation, l'entretien des canaux l'eau potable Enfin, la population n'a aucune attente vis-à-vis des prestations sociales telles que les retraites ou autres indemnités tellement elles sont basses. Elles ne contribueraient que très peu à soulager les difficultés quotidiennes. Ces prestations existent officiellement mais dans la pratique elles sont très rarement versées 1 . EN PERSPECTIVE… Pour prétendre construire une collectivité, cette tendance doit absolument être inversée et l'Etat doit reprendre l'initiative et la gestion des services publics. 1 Entretien avec Svetlana Jacquesson, docteur en ethnologie, spécialiste du Kirghizstan. 117 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 118 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 PECO Processus instituants Lustration à l'Est Purification et réconciliation dans les administrations COMMUNISTES, COLLABORATION, SERVICES SECRETS, CHANTAGE, MANQUE DE TRANSPARENCE, JURIDICTION Ces 15 dernières années dans les pays de l'Est ont été marquées par des publications, plus ou moins précoces, plus ou moins complètes et plus ou moins bien encadrées de listes de collaborateurs, potentiels ou réels, avec les services secrets des anciens régimes communistes. Dans presque tous les cas, ces démarches ont nourri des rumeurs et des chantages, par manque de transparence. Au fil des années, des lois ont été adoptées pour réguler l'accès aux dossiers et accompagner la publication de listes de juridictions ad hoc chargées de trancher une collaboration effective ou supposée. La redécouverte de ce passé est indispensable mais elle a lieu dans un climat de suspicion et d'amertume, de honte et de douleur. Pour désigner cette opération, le terme « lustration » s'est imposé dans tous les pays. Il vient du latin « lustratio » qui désigne le rituel courant dans la Rome antique de purification et de réconciliation au cours duquel on offrait un sacrifice solennel 1 . L'Allemagne de l'Est est le pays le plus précoce dans cette démarche : Dès 1990, le siège de la STASI est pris d'assaut. Bonn encourage dans un premier temps la destruction des dossiers avant de donner raison aux dissidents. En 1991, une loi est votée sur le traitement des dossiers de la STASI et le Bureau Gauck (du nom de son premier directeur) est créé en 1992. 2 millions de personnes viennent les consulter. La réunification a permis qu'un cadre juridique existe et que des moyens importants soient consacrés à cette tâche (plusieurs milliers de personnes ont été employées). Ainsi il n'y a pas eu de place pour la libre interprétation et les rumeurs. La République tchèque Une loi de 1996 permet à toutes les victimes d'accéder aux dossiers. En 2003, une liste de 75.000 collaborateurs est publiée, mais elle ne contient que peu d'agents de la police secrète. C'est pourquoi, Cibulka, un ancien dissident publie la liste exhaustive avec 20.000 noms d'officiers, contre 106 sur la précédente. Les dossiers se trouvent au ministère de l'Intérieur et sur un site Internet. La consultation est publique et anonyme. Il faut être âgé d'au moins 18 ans et faire une demande préalable. Pologne Une première liste circule en 1992 qui nourrit d'âpres débats ; y figuraient 66 noms de hautes personnalités de l'Etat. Une loi entre enfin en vigueur en 1997 et institue une cour spéciale habilitée à trancher s'il y a eu collaboration ou pas, mais il reste la possibilité de faire appel, toutes les catégories ne sont pas concernées (par exemples les journalistes) et il n'existe pas de sanction : les reconnus coupables perdent tout au plus leur « qualification morale » pour occuper un poste. En 1999, un institut de la mémoire nationale est créé, il gère les archives de l'ex-ministère de l'Intérieur et des Services de sécurité. Les victimes ont accès à leur dossier et les journalistes et chercheurs à l'ensemble des archives. En 2004, le président de la Diète, reconnu coupable de mensonge par le tribunal de lustration, démissionne. Enfin en 2005, est publiée sur Internet la liste de Wildstein qui comporte 240.000 noms. En réaction, de nombreux Polonais inscrits font des demandes de certificat de « non-collaboration » à l'Institut car y figurent des gens approchés par les services de sécurité mais qui n'avaient pas forcément travaillé pour eux. De nombreux dossiers avaient été détruits par les chefs de service pour protéger leurs indics. Etats baltes En Estonie, une loi de 1994 reconnaît les déclarations sur l'honneur. Si la collaboration est établie, elle n'est pas rendue publique. En Lettonie, les collaborateurs doivent se présenter à l'Office national de la mémoire historique. Une loi de 1994, instaure une enquête obligatoire sur les candidats aux élections et les fonctionnaires d'Etat sur des postes nouveaux. 1 Ufi, magazine conservateur-libéral, Budapest, paru dans Courrier International, n°752, 31 mars au 6 avril 2005 119 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 En Lituanie, la loi de 1999 demande aux personnes ayant travaillé pour le KGB de se présenter devant une commission spécifique. Mais le dispositif comporte des failles : des personnalités ont échappé au système sous le prétexte qu'ils étaient officiers de réserve. Une partie des dossiers se trouvent à Moscou puisque le KGB avait procédé à la destruction ou le transfert de nombreux documents. Dès l'indépendance, une loi prévoyait l'assainissement de la vie publique, l'ouverture des archives, l'exclusion des anciens collaborateurs et le procès des agents du KGB. L'accès est ouvert à tout citoyen sauf en Lituanie, où seules peuvent y accéder les victimes ou les personnes après une autorisation préalable. Roumanie Dès 1990, il existe une pression pour le silence, la collaboration est un sujet tabou tellement le phénomène avait pris une ampleur considérable. On estime à un million le nombre des collaborateurs sur 22 millions de Roumains. C'est le « joug de la peur ». Un journaliste dénonce : « Un peuple dont on laisse la mémoire perdre sa substance risque de découvrir que son destin s'est métamorphosé en agonie. Un peuple qui finit par comprendre qu'il n'a plus rien à attendre de la justice est condamné à survivre dans la défiance et le désespoir ». (Radu Portocala, journaliste et écrivain exilé à Paris, auteur de Autopsie de coup d'Etat roumain, éd. Calman-Lévy, Paris, 1990). En 1989, la Securitate prend le nom de SRI, Service Roumain d'Information. En 1999, une loi crée le Conseil National pour l'Etude des Archives de la Securitate (CNSAS) et permet à tout citoyen d'accéder aux dossiers le concernant mais le retour des anciens communistes en 2000 bloque le processus. En 2005, le nouveau président, Traian Basescu, ordonne le transfert rapide vers le CNSAS. Slovaquie La loi qui crée l'Institut de la Mémoire Nationale en 2002 est véritablement révolutionnaire : elle permet au public un accès aux archives confidentielles de l'ancien régime, plus large qu'en Pologne, en République tchèque et en Hongrie. Les dossiers y ont été tous transférés. La liste des collaborateurs a été publiée sur un site Internet gouvernemental où la consultation est publique et anonyme. Hongrie Le département de Sécurité intérieure est dissout en 1990 mais de nombreux employés intègrent le nouvel Office de sécurité nationale. En 1994, la lustration est imposée pour certains postes à responsabilité. En 1996, est crée l'Office de l'Histoire. L'accès aux dossiers disponibles est prévu pour les victimes, les magistrats spécialisés et les chercheurs. Mais de nombreux dossiers avait été détruits ou d'autres restent classés secret d'Etat. En 2002, le Premier Ministre, et ex-espion, Péter Medgyessy promet l’ouverture des archives. Son successeur Ferenc Gyurcsàny fera la même chose. La question fait débat au sein du Parlement alors que plusieurs listes apparaissent sur Internet. Bulgarie Les dossiers qui n'ont pas été détruits, se trouvent au Ministère de l'Intérieur et de la Défense. En principe tout citoyen y a accès mais en pratique personne. Il faut attendre 1992 pour que l'interdiction de détruire les dossiers soit votée et 1997 pour que soit décidé un large accès aux documents et créée une commission censée les gérer et établir une éventuelle appartenance aux services de sécurité. Cette loi est finalement abrogée et remplacée par une autre qui prévoit le dépôt des dossiers aux archives de l'Etat, mais sa réalisation est renvoyée aux calendes grecques. Une lustration plus approfondie est difficilement imaginable à cause des pratiques trop courantes de manipulation de dossiers, étouffement des affaires et la suppression d'une grande quantité de dossiers au changement de régime. Le cas de la Hongrie est à ce titre remarquable, la destruction des dossiers s'est faite à une échelle industrielle : 100.000 sur 110.000 dossiers de recrutement. EN PERSPECTIVE… De la même manière qu’une Commission Vérité et Réconciliation ou qu’une justice transitoire est indispensable dans les pays émergeants d’un conflit violent, toute la lumière doit être faite sur les termes de la collaboration des populations des PECO avec leurs services secrets. Ce besoin de vérité est nécessaire pour réconcilier la société mais aussi pour empêcher les pratiques abusives qui creuseraient encore davantage les fossés entre les individus. 120 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique du Sud Processus instituants Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel »? COHESION NATIONALE, DIVERSITE, UNITE, MEDIATION, PLURILINGUISME, ANGLAIS SUD-AFRICAIN, LINGUA FRANCA La fin de l’Apartheid sud-africain est marquée par l’émergence d’un symbole fort, soutenu par Desmond Tutu : l’arc-en-ciel. Alors que l’Apartheid consacrait des politiques fondées sur la promotion du développement séparé et sur la volonté d’exclure toujours plus les non-Blancs de l’Etat et de l’espace public, le nouveau régime cherche à rassembler et à intégrer les populations auparavant discriminées. Un renversement s’est opéré : l’exigence devient la prise en compte et la valorisation de la pluralité culturelle de l’Afrique du Sud, comme source d’une identité commune. Il s’agit de voir comment se construit la diversité de cette identité, en se centrant particulièrement sur la question des langues, vecteurs importants de l’expression et de la diffusion des cultures. Entre volonté politique et jeu médiatique, une conscience nationale fragile Emblème riche de sens, l’arc-en-ciel représente ici la réconciliation et la réunion entre les groupes ethniques, culturels, identitaires. L’arc-en-ciel matérialise en effet l’alliance et renvoie à la médiation. Toutes ces images, promues par les politiques et les médias référent à une nouvelle concorde qui semble encore bien fragile. La promotion de « l’unité dans la diversité » sud-africaine est tout d’abord une volonté politique qui a pour optique la reconstruction de la cohésion nationale. La première mesure de cette reconstruction est la déterritorialisation ethnique : au niveau national, par la réintégration des bantoustans et au niveau local, par la refonte des zones urbaines. La volonté politique se traduit en outre par l’adoption de nouveaux symboles « destinés à offrir à l’intérieur comme à l’extérieur l’image d’une nation multiethnique, pluriculturelle et pluri-identitaire en pleine acceptation, exhibition, et célébrations de ses différences » 1 . Le nouveau régime adopte un nouveau drapeau, signe de ralliement par excellence, qui rassemble les couleurs des drapeaux des communautés noire et blanche, et ainsi leurs deux histoires. Il en va de même pour le nouvel hymne national, Nkosi Sibele’i afrika, traduit dans les onze langues officielles : de nouveau, à l’histoire blanche, l’histoire noire ne se substitue pas, elle s’y ajoute. Ces deux symboles attestent de la volonté du gouvernement de faire coexister noirs et blancs sur le même territoire. Le changement de date de la fête nationale témoigne de la célébration d’une ère nouvelle : le 27 avril fête le retrait de l’Afrique du Sud de l’Apartheid et l’avènement de la nouvelle Afrique du Sud. Et comme, à l’instar d’un drapeau, d’un hymne ou d’une fête nationale, la toponymie raconte aussi une certaine histoire et dans le cas de l’Afrique du Sud, l’histoire de la domination de l’homme blanc sur l’homme noir, il devient politiquement nécessaire de procéder à quelques changements, dont la notable modification, au printemps 2005, du nom de la capitale administrative : de Pretoria, nommée ainsi en hommage au héros afrikaner Andries Pretorius, la ville devient Tshwane, nom de la ville avant l’arrivée des Afrikaners et qui signifie en langue tswana (la langue la plus parlée dans la région) « nous sommes les mêmes ». Cette idée du « nous ensemble mais divers » 2 est reprise par les médias : la première chaîne de télévision, par exemple, a pour image de marque et slogan « simunye, we are one », à traduire par « ensemble, nous sommes une ». Ceci n’est qu’un échantillon de la multiplicité des images et expressions qui circulent sur cette thématique. Cette démonstration s’adresse tant à la communauté internationale, comme en témoigne le site internet http://www.rainbownation.com (site destiné principalement aux touristes internationaux) qu’aux sud-africains dans leur ensemble, comme l’atteste le site internet www.sareunited.com (site de rencontres ou de retrouvailles qui s’appuie sur cette image de la réunification). Instrument politique et publicitaire, la métaphore de l’arc-en-ciel ne semble pas pour autant être une réalité. L’Afrique du Sud est une des populations les plus complexes au monde. Parmi ses 45 millions d’habitants, 31 millions sont noirs, 5 millions sont blancs, 3 sont métis, 1 million est d’origine indienne. On distingue dans la population noire quatre groupes ethniques principaux. La population blanche est à 60% issue des descendants de colons hollandais, et les 40% restant sont majoritairement d’origine britannique. Cette diversité ethnique est complétée par une multitude de langues parlées dont onze sont reconnues 1 2 Lanni, Dominique. Afrique du Sud, naissance d’une nation plurielle, Ed. de l’Aube, Coll. Monde en cours, 1997, p 59. Salazar Philippe. Afrique du sud, la révolution fraternelle, Ed. Hermann, Coll. Savoirs : Cultures, 1998, p 54. 121 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 officiellement. Ce foisonnement culturel n’a pourtant pas toujours été considéré comme des richesses à mettre en commun, bien au contraire. Les politiques de développement séparé, qui avaient cours lors des longues décennies de l’Apartheid ont plutôt ancré dans les imaginaires des représentations négatives de l’autre. La population sud-africaine est ainsi encore marquée par des peurs et des blocages devant sa propre diversité, voire du scepticisme quant à la réalisation d’un dessein commun. La suppression des lois de ségrégation ne suffit pas à effacer les systèmes psychologiques basés sur la séparation. Le sens de la communauté chez la nation sud-africaine est en effet bien fragile, comme en témoigne le sondage mené pour le compte de la Fondation Helen Suzman 3 . A la question « Pensez-vous que les Sud-africains soient unis dans une nation unie ? », plus de la majorité de chaque communauté (blanche, indienne, métis et noire) répond que « cela prendra du temps » pour que cette union soit effective. Les résultats de ce sondage montrent toutefois des différences dans le sentiment unitaire suivant les communautés. Presque la moitié de la communauté blanche pense que cette union n’aura jamais lieu, tandis que la groupe le plus important à penser que cette union est réalisée est la communauté noire, mais seulement à 19%. La cohésion nationale est encore faible. Le plus difficile reste encore à concilier le besoin de la communauté noire d’effacer les traces de la domination blanche (surtout afrikaner) et le refus de la communauté blanche d’oublier son histoire. La nouvelle nomination de la capitale administrative Pretoria devenue Tshwane a provoqué une forte protestation des Afrikaners et a été l’occasion d’exprimer cette tension. Ainsi la Rainbow Nation, comme creuset où se fondraient harmonieusement les races et les cultures, reste-telle encore à construire. Une telle histoire et une telle diversité sont autant d’éléments qui enrayent la réalisation immédiate d’une cohésion nationale et qui font pencher vers l’idée que seul le temps long pourra donner des réponses quant à sa réussite. Toujours est-il que la perception et l’utilisation des langues peuvent nous donner des informations sur cette nouvelle société en train de se créer. Les enjeux de l’arc-en-ciel linguistique Un panorama linguistique semble en effet primordial pour appréhender l’identité culturelle d’un pays. Les domaines les plus concernés par la question des langues sont l’enseignement et l’administration, lieux de promotion, d’éducation et de communication. Avec onze langues officielles, l’Afrique du Sud est ici questionnée dans les enjeux de sa diversité linguistique. Le plurilinguisme, entre idéal politique et état de fait Le plurilinguisme est inscrit dans la Constitution comme un idéal, comme un appel à la réconciliation et à la prise en compte de la parole de l’autre. L’officialisation de neuf langues africaines, aux côtés de l’anglais et de l’afrikaans est en effet l’occasion d’affirmer l’acceptation de l’héritage culturel et identitaire véhiculé par ces langues, voire même la célébration de la richesse culturelle et identitaire de tout le pays. En outre, alors que sous l’Apartheid, la question des langues se trouvait sous le signe de l’obligation (imposition de l’afrikaans comme langue officielle, obligation pour les Africains d’étudier dans la langue de leur ethnie 4 ), le nouveau régime sud-africain, encourage l’usage égal de toutes les langues, insiste sur les droits linguistiques, communautaires et individuels. Les provinces sont libres de choisir leurs langues officielles, avec pour condition d’en choisir au moins deux parmi celles reconnues officiellement. Les individus sont assurés de pouvoir utiliser la langue officielle de leur choix dans leurs rapports avec la fonction publique. Le choix des langues est de même à la charge des établissements scolaires. Un organisme est créé spécialement pour développer le multilinguisme : le Pan South-African Language Board (PANSALB). Mais en réalité ce multilinguisme existe déjà. Neuf des langues officielles africaines peuvent être regroupées en deux groupes linguistiques, ce qui explique une inter-compréhension fréquente. En moyenne, les Sud-africains comprennent cinq à six langues dont l’anglais et l’afrikaans. Ainsi, le droit de s’exprimer dans la langue de son choix dans n’importe quelle assemblée publique a une réalité 5 : les locuteurs changent et mélangent les langues selon leurs auditeurs, dans une même assemblée. Le problème que pose alors les politiques promouvant l’usage égal des différentes langues est le coût que nécessite toute la machinerie de traduction et d’impression, un coût au-delà des moyens de l’Afrique du Sud. Et malgré la volonté politique de promouvoir les langues africaines, les Africains eux-mêmes semblent leur préférer une autre langue, l’anglais. 3 Résultats donnés par Salazar Philippe, in Op.Cit. p 55. Bantu Education Act, loi de 1953 qui établit un système d’éducation pour les populations noires, en vigueur sous l’Apartheid, visant à limiter l’instruction de ces populations (lire, écrire, compter dans leur seule langue maternelle). 5 Gervais-Lambony, Philippe. « L’Afrique du Sud est-elle anglophone ? », entretien paru dans la revue Hérodote «Géopolitique de l’anglais », 4° semestre 2004, n°115. 4 122 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 L’anglais, la langue de communication en expansion Avec ses 8,2% de la population possédant l’anglais comme langue maternelle (contre 24% pour le zoulou), l’Afrique du Sud n’est pas un pays anglophone. Pourtant, malgré son sixième rang des langues parlées, l’anglais est la langue de communication la mieux partagée et utilisée dans toutes les régions du pays (contrairement à l’afrikaans ou aux autres langues africaines bien plus localisées). Langue urbaine, elle porte une aura de libération parmi la population noire. L’histoire de sa diffusion l’explique : la politique coloniale britannique était favorable à la diffusion de l’anglais, à travers les missions, afin de « civiliser » les indigènes. Cette éducation en anglais, au début du siècle, est à l’origine de la formation d’une élite noire, source même du Congrès National Africain, parti qui lutte tout le siècle contre l’Apartheid. Pendant les décennies de ségrégation, en outre, l’anglais est mis de côté par le gouvernement afrikaner. Pourtant même à cette période, l’anglais reste majoritaire dans l’enseignement secondaire et supérieur, dans le commerce, les technologies et la communication interne et internationale. Aujourd’hui, son hégémonie est contestée par les politiques et les médias qui en appellent au développement et à la modernisation des langues africaines, et pourtant l’opinion publique reste en faveur de cette langue moins ethnique. Cette préférence donnée à l’anglais s’explique en effet par sa certaine neutralité par rapport aux autres langues, les trois millions et demi de personnes dont l’anglais est la langue maternelle ayant des origines raciales très diverses. En fait, cette lingua franca qu’est l’anglais ne correspond pas à l’anglais standard. On parle alors d’anglais sud-africain 6 : son vocabulaire est influencé par les dix autres langues officielles, sa prononciation et ses intonations diffèrent selon la communauté ethnique. Dès lors, on peut dire qu’il n’existe pas un seul anglais sud-africain mais un anglais correspondant à chaque communauté ethnique, même si leurs différences ont tendance à s’estomper depuis la fin de l’Apartheid. Cette langue au croisement de toutes les cultures sud-africaines pourrait alors être la base d’une communauté toujours en expansion, une sorte d’arc-en-ciel linguistique, les gens parlant l’anglais comme première, deuxième, voire troisième langue. Si aujourd’hui « l’anglais profite de la complexité linguistique » 7 , il pourrait devenir demain « le « ciment » linguistique unissant une société diverse et complexe » 8 . Dans la mosaïque de cultures que représente l’Afrique du Sud, l’unité reste encore à consolider. La métaphore de l’arc-en-ciel, bien que controversée, a toutefois le mérite de réaffirmer sans cesse la nécessité de la médiation et de la communication. Cette exigence a été prise en compte dans les politiques linguistiques, qui, même si elles sont parfois frileuses, ont amené les langues africaines dans l’espace publique, où l’anglais reste malgré tout dominant. Cette prédominance n’est pas des plus négatives car d’une certaine manière, elle « déracialise » la question linguistique, permettant ainsi une communication au-delà des différences. EN PERSPECTIVE… La question de la cohésion nationale en Afrique du Sud ne paraît pas pouvoir être résolue à cette étape de la transition. Il s’agit aujourd’hui tout d’abord de se réconcilier avant de pouvoir se penser comme une nation. Les inégalités sociales, stigmates de l’Apartheid, sont encore trop visibles pour pouvoir vivre sereinement cette alliance des différences. La décentralisation a permis aux provinces, ethniquement relativement homogènes, d’adopter une série de droits, permettant ainsi de reconnaître juridiquement des distinctions entres communautés (cf. langues). Cette reconnaissance de droits communautaires semble être un pas vers la Nation arc-en-ciel. L’Affirmative Action, loi sur l’emploi mettant en place des mesures de discrimination positive envers les non-Blancs pousse paradoxalement une part importante de la population blanche à se sentir condamner à pâtir d’un apartheid renversé. L’équilibre reste à trouver entre communautarisme et sentiment national. 6 Penny Silva, « South Africa English : Oppressor or Liberator ? », http://www.ru.ac.za/affiliates/dsae/MAVEN.HTLM Lory, George, L’Afrique du Sud, Ed. Karthala, 1998, p 134. 8 Penny Silva, Op.Cit. 7 123 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 124 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 El Salvador Processus instituants “De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador” COMMISSION VÉRITÉ, JUSTICE DE TRANSITION, RÉCONCILIATION, AMNISTIE, GUERRE CIVILE Le 16 janvier 1992 à Chapultepec au Mexique sont signés les accords finaux de paix mettant fin à douze années de guerre civile et 79000 morts (sur cinq millions d’habitants). L’accord prévoit un cessez-le-feu à compter du 1er février 1992, le désarmement et la réintégration à la vie civile des guérilleros, la réduction de moitié de l’effectif des forces armées, l’épuration du corps des officiers impliqués dans les violations des droits de l’homme, la formation d’une police civile, la répartition des terres et la publication du rapport de la Commission Vérité. Cette justice de transition répond au besoin de connaissance de l’histoire mais aussi au besoin de justice dans des pays victimes de guerres civiles. Etant donné que souvent l’Etat, soit directement soit par l’intermédiaire d’une de ses émanations a encouragé les violations des droits de l’homme, les commissions composées d’experts indépendants ont davantage de légitimité qu’un tribunal national. Nous verrons par conséquent tout d’abord le fonctionnement et le mandat de la Commission pour ensuite étudier ses recommandations puis le bilan que nous pouvons en tirer. Les travaux de la Commission Vérité Les membres de la Commission Vérité ont été nommés en décembre 1991 par le Secrétaire général des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, après consultation des parties. Pour éviter tout risque de partialité, aucun salvadorien ne va être engagé. La Commission Vérité est composée de trois personnalités reconnues pour leur action en faveur des droits de l’homme . Il s’agit de Belisario Betancour, ancien président de Colombie, Reinaldo Figueredo, ancien Ministre des Affaires étrangères du Venezuela et de Thomas Berguental, juriste étasunien. Des juristes, sociologues, anthropologues légistes et travailleurs sociaux originaires d’autres pays d’Amérique latine, des Etats-Unis et d’Europe sont également nommés. La Commission va avoir six mois pour effectuer sa mission qui consiste à faire des recommandations concernant les mesures législatives, politiques ou administratives devant être prises à l’issue de la guerre. Le but des mesures préconisées est de prévoir des moyens pour empêcher la répétition des actes commis ainsi que de proposer des initiatives pour promouvoir la réconciliation nationale. Les enquêtes de la Commission portent sur les actes graves de violence qui ont eu « un impact spécifique ou étendu sur la société en général » et qui se sont produits entre janvier 1980 et juillet 1991 ». La Commission demande à toute victime ou témoin de communiquer ses renseignements, par ailleurs, la Commission « peut prendre toute mesure ou mener toute enquêtre qu’elle juge utile à l’exercice de son mandat, y compris la demande de transmission de rapports, registres documents ou pièces probantes par toutes les parties 1 concernées ou toute autre information par les autorités et services gouvernementaux . » Durant les premiers mois, les témoins souhaitant communiquer leurs renseignements ont été peu nombreux sans doute en raison d’un manque de confiance généralisé dans la commission et car la recherche de renseignements intervenait trop peu de temps après la cessation des violences, alors que les gens ne savaient pas encore si la paix serait durable 2 . La Commission Vérité a enregistré 22 000 plaintes d’actes sérieux de violence entre janvier 1980 et juillet 1991. La Commission ne présente dans son rapport que les cas dans lesquels elle a pu obtenir des «indices sérieux » ainsi que des cas célèbres ou paradigmatiques. Par conséquent, le rapport ne comporte pas d’information sur la majorité des victimes dont la déposition a été recueillie. Cela explique peut-être les résultats suivant : 85% des plaignants ont attribué la violence à des agents de l’Etat, à des groupes paramilitaires alliés ou aux pelotons de la mort. Les plaintes enregistrées accusant le FMLN s’élèvent à environ 5% des cas. 1 Article 7d) des Accords du Mexique du 27 avril 1991. Salvador : Commission vérité des Nations Unies pour le Salvador, http://www.truthcommission.org/commission.php?cid=2&case_x=0&lang=fr 2 125 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Des recommandation porteuses d’espoir La Commission a rendu son rapport « De la folie à l’espoir, douze ans de guerre au Salvador » dans lequel figurent les noms des principaux coupables des massacres les plus importants le 15 mars 1993. Cinq jours plus tard, conformément à l’accord signé entre le FMNL et le Président, la Ley de Amnistía General para la Consolidación de la Paz 3 (Loi d'amnistie générale pour la consolidation de la paix) est promulguée. La Commission a émis plusieurs recommandations en se basant sur quatre principes : la démocratie, la participation, le respect de la loi, et le respect des droits de l’homme qui sont la raison d’être des principes précédents et le fondement d’une société organisée pour servir chaque individu, chacun étant libre et digne. Pour éviter toute résurgence du conflit et permettre la réconciliation nationale, la Commission recommande entre autre, une réforme des forces armées et le licenciement des officiers de l’armée et des officiers civils coupables de violence, une réforme judiciaire (réforme de la Court Suprême de Justice et Conseil national du Judiciaire, épuration du personnel judiciaire, réforme sur l’administration de la Justice), une réforme du secteur de la sécurité publique, une enquête sur les anciens groupes illégaux ainsi que diverses mesures sur la protection des droits humains (le renforcement du Bureau du Conseil national pour la défense des droits humains, le renforcement de certaines procédures, le respect de certains principes, la ratification de divers instruments internationaux, la reconnaissance de la compétence de la cour interaméricaine des Droits de l’Homme). Les victimes et leur famille doivent avoir droit à une compensation matérielle et morale. Pour ce qui est de la compensation matérielle, la Commission recommande la création d’un fonds spécial (en prévoyant son organisation et son financement). Quant à la compensation morale, la Commission conseille la reconnaissance des victimes et des crimes commis, la construction d’un monument national portant les noms des victimes, et l’instauration d’un jour férié national en mémoire des victimes du conflit. Un bilan mitigé A court terme, le bilan est plutôt positif même si quelques faiblesses et lacunes sont à constater, telle que la courte durée de son activité qui l’a obligée à se concentrer sur les cas les plus importants. La Commission Vérité a exécuté une tâche qui devait normalement incomber au système judiciaire, or souvent les crimes avaient été commis avec le soutien direct ou indirect des institutions, c’est pourquoi il aurait été difficile de donner la responsabilité des enquêtes au système judiciaire. Le rapport a mis en évidence le nom des principaux coupables des exactions les plus importantes. Cependant, les recommandations de la Commission n’ont été que partiellement appliquées et souvent avec du retard et ce probablement en raison de la nature même des recommandations basées sur des principes internationaux parfois éloignés de la réalité au Salvador. Joaquin Villalobos 4 note quatre points négatifs : le rapport n’était pas équilibré (la responsabilité incombe seulement à l’armée et à un seul des cinq groupes de guérilla), les recommandations allaient parfois à l’encontre de la nature même de l’accord (interdire toute action politique à certains assignés par exemple), et la Commission Vérité n’encourageait pas l’aveu comme mécanisme de réconciliation ni ne recommandait que les parties demandent pardon à la société. A long terme, les conséquences attendues, principalement la réconciliation nationale, ne se sont pas réalisées. Aujourd’hui, l’impunité mise en place par la loi d’amnistie, peu de jours après la promulgation du rapport de la Commission est très fortement remise en cause. Lorsqu’ont été signés les accords de paix, la loi d’amnistie était une composante centrale de la pacification. A ce moment, il était fondamental de garantir le caractère démocratique des nouvelles institutions, d’en finir avec les structures qui favorisaient les abus de pouvoir et de démanteler l’appareil armé de la rébellion. Sans cette loi, il aurait été impossible de transformer le FMLN en parti politique, de créer la Police Nationale Civile, d’épurer les forces armées, de rendre indépendant le pouvoir judiciaire et de donner prééminence au pouvoir civil 5 . Joaquin Villalobos estimait, déjà en 1993, que le «climat de réconciliation » perceptible dans son pays était dû au fait que les accords de paix avaient établi «un équilibre réel entre les forces en présence ». Mais, ajoutait-t-il, «il y a malgré tout des tensions qui pourraient, soudain, tout remettre en question. » 6 Ces tensions sont apparues. 3 Texte disponible à l’adresse suivante : http://www.asamblea.gob.sv/leyes/19830210.htm Joaquin Villalobos, « Ni vainqueurs ni vaincus : la paix au Salvador » in Critique internationale n°5, automne 1999 5 Joaquin Villalobos, « La Ley de Amnistia debe derogarse », 2 avril 2005, http://luisdelion.free.fr/amnistia.html 6 Bertrand de la Grange, « Salvador : vers la consolidation de la paix », Le Monde, 19 mai 1993 4 126 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Les enjeux de la loi d’amnistie Afin de permettre une réelle réconciliation, il serait nécessaire aujourd’hui d’annuler la loi d’amnistie et de juger les coupables des crimes. Peu de temps après la promulgation de la loi d’amnistie, un recours a été porté devant la Cour Suprême qui l’a rejeté au motif que cette loi était un acte politique, et que par conséquent la Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur sa validité. En 1997, la Cour a de nouveau été saisie d’un recours tendant à faire déclarer inconstitutionnelle la loi d’amnistie 7 . La Commission interaméricaine des droits de l’Homme a en outre déclaré lors de rapports rendus que l’Etat avait violé le droit à la vie, le droit aux garanties judiciaires des familles des victimes, et le droit à la protection de la loi et a manqué à ses obligations d’enquêter sérieusement et de bonne foi, d’identifier les responsables des violations et de leur appliquer les sanctions prévues par la loi. Cependant l’Etat a refusé d’appliquer les recommandations de la Commission. Selon plusieurs organismes de défense des droits de l’Homme, la loi d’amnistie a donc perverti le travail fait par la Commission vérité et ne permet aujourd’hui pas une réelle réconciliation au sein du peuple salvadorien, pour preuve le manque de confiance envers les institutions démocratiques et l’abstention observée périodiquement aux élections. EN PERSPECTIVE... L’Argentine pourrait être un modèle pour le Salvador concernant l’annulation des lois d’amnistie. Après presque vingt ans d’incessante lutte contre l’impunité de la part des parents des victimes ainsi que des associations de défense des droits de l’homme, les lois dites de «Punto final » et d’ « Obediencia debida » promulguées respectivement en 1986 et 1987, peu de temps après le rapport «Nunca más » de la Commission Nationale sur la Disparitions des Victimes ont été déclarées inconstitutionnelles le 14 juin 2005. Cela va permettre à un nombre important de militaires (entre 1 000 et 1 500, selon les sources, parmi lesquels environ 10 % sont toujours en exercice) d’être à nouveau convoqués devant la justice. Ils pourront être mis en examen pour leur implication dans la disparition de personnes, dans des cas de torture ou bien pour d’autres atteintes aux droits de l’homme 8 . 7 Amnesty International, « Seule la Justice permettra d’instaurer la paix », avril 2001, http://web.amnesty.org/library/Index/FRAAMR290012001?open&of=FRA-351 8 « Argentine : la Cour suprême déclare les lois d'amnistie inconstitutionnelles », Le Monde, 14 juin 2005 127 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 128 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Ouzbékistan La société civile Les promesses de la société civile CLANS, IDENTITES LOCALES, RESEAUX, POUVOIR, SOLIDARITE, OBLIGATIONS, MOBILISATION, MAHALLA, MOSQUEES, PARTIS POLITIQUES, ISLAMISME, Valeurs de la société civile ouzbèke Deux concepts doivent être précisés pour identifier les valeurs fondatrices de la société civile ouzbèke : l'ethnie et le despotisme. Le concept d'ethnie a été importé par les Russes dès la colonisation du XIXe siècle alors que les populations locales n'avaient pas cette conscience. Il est demeuré au fondement de la création des républiques soviétiques, élargi à l'idée d'« ethnie titulaire ». A l'indépendance de ces républiques les populations s'étaient approprié ce concept d'ethnie et l'ont pris pour base de construction des nations mais, dans le fonctionnement politique, deux valeurs restent plus importantes que l'ethnie : l'origine familiale et le territoire. Le jeu politique national oppose des clans au sein desquels Ouzbeks et Tadjiks sont mélangés et qui se définissent en fonction de leur lignage et de leur origine géographique. Les identités locales – village ou cité – sont bien plus prégnantes que les identités ethniques. Le régime de Karimov est décrit comme un despotisme brutal – et de nombreuses caractéristiques fondent ce jugement – pourtant cette image doit être nuancée par une organisation en réseaux qui apporte solidarité, appui et ressources. Ce sont des réseaux régionaux, de familles et d'amis, de confiance et qui ont des obligations les uns avec les autres. Le but de chaque clan est de pousser le plus haut possible ses membres dans la hiérarchie du pouvoir. C'est essentiel pour comprendre la société civile d'aujourd'hui. Dans ce jeu politique, les relations qui font le pouvoir sont tenues hors de la sphère publique. Cette opacité laisse penser à tort qu'il n'y a pas de société civile. Structures de la société civile La mahalla désigne à la fois le quartier d'habitation et l'ensemble des relations que conditionne ce voisinage. Ces relations de solidarité sont fondées sur des valeurs familiales et religieuses. Elles consistent en une variété d'échanges de biens et de services (nourriture, cadeaux, argent, garde d'enfants, travail, conseil, médiation). Ces échanges donnent lieu bien sûr à des devoirs et des obligations. La hiérarchie est très présente, entre les riches et les pauvres, les anciens et les jeunes, ceux qui ont un pouvoir (administratif local) et les autres. Ce réseau est indispensable, sans lui un individu ne peut rien obtenir, il devient un marginal. Dans le milieu rural, le fonctionnement est le même au niveau du village ou du kolkhoze. C'est le quotidien de l'environnement des Ouzbeks avec le travail, l'école et l'armée. À l'intérieur de ces ensembles, mahalla ou village, les mosquées structurent également la vie sociale des Ouzbeks. Elles sont de différentes natures : les mosquées de quartier sont l'expression de la sociabilité locale; les mosquées historiques permettent de renouer avec l'histoire et les mosquées-cathédrales (joma') offrent un cadre à une mobilisation politique plus grande. La construction de mosquées au lendemain de l'indépendance est devenue un phénomène spectaculaire au point que le gouvernement a décidé de la ralentir pour essayer de freiner l'islam politique. A l'intérieur des mahalla qui sont elles-mêmes structurées avec les mosquées, s'organisent des réseaux d'individus, constitués par divers vecteurs : les lignages, les alliances matrimoniales, les relations professionnelles, les amitiés, le voisinage. L'ensemble de ces relations forme un faisceau d'obligations mais assure également d'une solidarité sans faille. C'est sur la base de ces réseaux que les mobilisations s'organisent. Les partis politiques aujourd'hui en Ouzbékistan sont le fait de la fabrication du pouvoir pour donner l'illusion d'un jeu démocratique. Ils ne peuvent exister qu'avec la permission du gouvernement. Pourtant la perestroïka a permis l'apparition de plusieurs partis politiques à base nationaliste et religieuse mais qui ont été supprimés dès l'indépendance. Aujourd'hui la population languit le retour du pluralisme politique. Une preuve de cette impatience a été apportée par l'enthousiasme avec lequel la population s'est engagée dans une brèche ouverte lors des législatives de 2000 : les « groupes d'initiatives ». Des candidats indépendants pouvaient se présenter s'ils étaient soutenus par un nombre suffisant de citoyens (les candidats devaient recueillir quelques 8000 signatures et les partis 50.000). Le recueil de signatures a mobilisé pendant des 129 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 semaines les déçus de l'indépendance prouvant ainsi qu'ils croyaient encore dans leurs institutions. Le pouvoir s'est ensuite arrangé pour rendre impossible l'élection de ces candidats. Le président Karimov a toujours combattu l'islam militant comme étant la première menace contre la paix en Ouzbékistan. Cet impératif a d'ailleurs donné lieu à une politique de répression brutale et arbitraire y compris contre les groupes politiques et religieux modérés, au point de radicaliser l'opposition et de ne plus lui laisser d'autre espoir que l'islam politique et d'autre espace d'expression que la violence. Les mouvements islamistes clandestins recouvrent principalement deux formations : le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan (MIO) et le Hiz-ut Tahrir. Le Parti de la Renaissance Islamique avait fait l'objet d'une répression précoce et son chef avait été arrêté dès décembre 1992. Le MIO regroupe plusieurs mouvements contraints à l'exil par la répression qui se lancent dans la lutte armée. Ils se sont réfugiés au Tadjikistan, au Kirghizstan et en Afghanistan sous la protection des Talibans. C'est depuis l'étranger qu'ils lancent des incursions sur le territoire ouzbek : une vague d'attentats (5 bombes en quelques heures) frappe Tachkent en février 1999, dans l'extrême sud du Kirghizstan (ouzbek) plusieurs villages font l'objet de prises d'otages pendant 2 mois et à plusieurs reprises depuis les troupes gouvernementales s'affrontent avec les militants de ce mouvement aux zones-frontières kirghizes et tadjikes. En 2004, la capitale, Tachkent a connu deux nouvelles vagues d'attentats, en mars-avril (touchant également Boukhara) et en juillet. La distinction entre l'islamisation (port du voile) et la re-traditionalisation encouragée par l'Etat (plus grand conservatisme des mœurs et déclin du statut de la femme) n'est pas aisée. Karimov en insistant sur la tradition a encouragé la ré-islamisation qui s'est retournée contre lui. La loi de 1993 sur les mahalla, en institutionnalisant les aqsakal (les Anciens) a souvent donné un poids nouveau à des mollahs parallèles. L'islam militant, radical et importé en Ouzbékistan, doit être distingué d'un islam traditionnel, éclectique (persistance de traditions pré-islamiques comme Novruz, tolérance pour la consommation d'alcool), tolérant et hospitalier. Obstacles, réels ou fictifs On dit souvent que les peuples d'Asie centrale ne peuvent s'adapter à des institutions de type occidental et au jeu politique démocratique, pour des raisons historiques : ils étaient, encore au début du XXe siècle, dirigés par des régimes féodaux ; leur Etat n'a jamais existé avant 1991. Reconnaître ces arguments serait donner raison à Karimov qui abuse de ces arguments culturalistes pour justifier son autoritarisme. La population ouzbèke a prouvé chaque fois que l'occasion lui en a été donnée qu'elle est prête et qu'elle souhaite le pluralisme politique. C'est au Tadjikistan et en Ouzbékistan que les mouvements nationalistes ont été les plus forts même s'ils ne revendiquaient qu'une autonomie politique et culturelle jusqu'à ce que l'URSS n'ait plus aucune chance de survie et alors ils ont revendiqué l'indépendance. Ces mouvements ont été les plus faibles au Turkménistan. Le rôle des donateurs occidentaux pour promouvoir la société civile connaît plusieurs tendances perturbantes : par manque de connaissance de ce qui compose la société civile ouzbèke, ils importent les propres conceptions de ce que doit être une société civile et comment elle doit être gouvernée : ils encouragent la formation d'ONG et rejettent les structures traditionnelles. C'est pourtant bien sur ces structures traditionnelles que s'organisent les actuelles résistances et contestations du régime. EN PERSPECTIVE… L'avancée des réformes économiques est un critère bien tangible de la démocratisation. Les Etats qui ont le plus réformé leur économie sont ceux qui ont les systèmes politiques les plus ouverts : le Kazakhstan et le Kirghizstan ont restructuré leurs finances, pratiqué la réforme agraire et réorganisé leurs systèmes de retraites, de santé et d'éducation. La démocratisation initiée dans ces 2 pays était la plus avancée avant de connaître un frein au milieu des années 90 ; après avoir pris pour modèle la Russie, ils ont imité l'Ouzbékistan. L'Ouzbékistan possédait un atout qui aurait dû faciliter la conversion économique : l'accumulation de capital (du fait de la tradition commerçante de la population, des trafics et de la corruption). Pourtant il n'a pas joué son rôle par manque de volonté politique. Le gouvernement a craint que la classe des entrepreneurs devienne une force concurrente du pouvoir en place. 130 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie La société civile Les obstacles à la mobilisation de la population russe SOCIETE CIVILE, AUTORITARISME, CONTRE-POUVOIR, SOCIETE ATOMISEE, FINANCEMENT ETRANGER, OLIGARQUES, COHESION SOCIALE, APATHIE, CONFISCATION DE LA PARTICIPATION POLITIQUE Les tentatives de Poutine pour contrôler la société civile La faible résonance des organisations de la société civile Sous Eltsine, soit l’Etat était trop désorganisé pour parvenir à agir en interaction avec les groupes de la société civile, soit, dans un excès d’autoritarisme, l’Etat refusait d’en tenir compte. Avec Poutine, cette tendance à l’autoritarisme et à la négation des groupes de la société civile s’est accrue. Les réformes politiques engagées brident toute formation de contre-pouvoir politique. Or si l’Etat refuse de prendre ces groupes en compte, tous deux perdent de la légitimité, exception faite de la popularité exceptionnelle du personnage de Poutine. Les associations de défense des droits de l’Homme sont aisément marginalisées en Russie car la société russe est tellement atomisée qu’elles ne possèdent pas de réseaux étendus pour relayer leurs actions. Leurs initiatives n’ont qu’un impact limité. Le Kremlin tente de les discréditer en dénonçant l’origine étrangère de leurs financements. En outre, la Douma a émis un projet de loi – non adopté à ce jour – visant à limiter le financement étranger des organisations. L’instrumentalisation de certains groupes de la société civile Le Kremlin tente la manœuvre paradoxale de mobiliser les énergies de la société tout en la maintenant sous contrôle. Cette aspiration trouve ses origines dans la tradition soviétique de « masse active », sans intention pour autant de raviver l’oppression concomitante. L’intention du Kremlin est d’affaiblir les organisations existantes, tout en cooptant des organisations loyales au pouvoir qui agiraient dans le giron de l’Etat. Ainsi, afin de marginaliser les organisations civiques authentiques, des organisations parallèles sont initiées par le Kremlin, alimentant la confusion pour les Russes et les observateurs internationaux. Mettant en œuvre sa « verticale du pouvoir », Poutine tente d’acquérir à sa cause la base populaire de la Russie en stimulant des organisations « horizontales », loyales au Kremlin. Le Kremlin a coopté certaines organisations de la société civile dès 2001 puis a étendu au niveau des régions cette politique de soutien ciblé et conditionné à la loyauté. A l’échelle régionale, les associations de la société civile ne peuvent obtenir des financements que pour des actions concrètes dans les domaines social ou culturel. Les budgets sont refusés si les activités proposées sont teintées d’une coloration politique. Dans le but de maintenir une façade démocratique, le Kremlin a créé en 2004 une Chambre publique, chargée officiellement de vérifier les opérations du gouvernement. Le projet souffre d’une contradiction de poids : le gouvernement s’engage à ne pas interférer dans les activités de la Chambre publique et pourtant, un tiers des siégeants est nommé par le président et les deux tiers restants par l’intermédiaire des structures fédérales et régionales acquises au président. En outre, la Chambre est financée sur le budget du gouvernement et est exclue des dossiers considérés comme affaire d’Etat. Analyse des piliers traditionnels de l’opposition Groupes d’opposition politique Pendant le premier mandat présidentiel de Poutine, son pouvoir et son influence croissants restaient contenus par le rôle politique des oligarques. Depuis l’arrestation de Khodokorvsky, Poutine s’est réapproprié l’espace politique confié précédemment aux oligarques. En conséquence, toutes les sources de contre-pouvoirs du champ politique ont été éliminées ou tout au moins sérieusement amoindries. Les politiciens libéraux russes s’apparentent davantage à des dissidents qu’à une opposition libre. Ils sont marginalisés et leurs opinions et propositions sont ignorées par le gouvernement. Les réformes politiques de Poutine et sa rhétorique autoritaire, employée systématiquement depuis la tragédie de Beslan ont bouleversé l’attitude des cercles libéraux à l’égard de Poutine. Initialement soutenu et plébiscité par de nombreux libéraux pour sa modernité, bien qu’autoritaire, Poutine est désormais l’objet de toutes les critiques et préoccupations de la part des intellectuels, libéraux ou élites économiques. En octobre- 131 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 novembre 2004, des voix se sont levées pour critiquer ouvertement la dérive autoritariste de Poutine, dans des cercles et médias spécialisés. Médias et expression libre Les médias russes ne s’engagent pas pour une information juste et ne permettent pas d’alimenter et d’inspirer des mouvements d’opposition de poids. En Russie, les médias, les partis politiques et les groupes de la société civile ne sont pas intégrés à un réseau démocratique. Il y a peu de liens entre les médias et leur public. Même si un journal ose publier un article controversé, les autres médias ne relaient pas le débat sur la question soulevée. Les Russes ne conçoivent pas les médias comme un instrument pour renvoyer le gouvernement à ses responsabilités parce qu’ils restent considérés comme jouant le rôle d’intrigants et non celui d’organes d’investigations sérieuses. Ce délaissement est propice à une manipulation du Kremlin. L’érosion de la cohésion sociale A l’époque soviétique, la cohésion sociale tenait à la coercition et la force auxquelles recourait le régime. Les réseaux sociétaux étaient fondés sur la suspicion et la défiance, incapables d’initier un engagement civique sincère. La transition vers l’économie de marché s’est accompagnée d’une rupture du contrat social avec l’Etat comme garant d’un minimum de services sociaux. Le retrait de l’Etat a créé une perte à l’échelle du pays de capital social et de cohésion sociale. Cette érosion de la cohésion sociale accentue la dégradation des conditions de vie : alcoolisme, puissance des mafias, déclin de l’espérance de vie, taux d’accroissement naturel négatif… Plutôt que de manifester leur mécontentement auprès des autorités, la méfiance des Russes à l’égard de l’action publique a accentué le repli sur l’individu et les cercles familiaux qui sont des cellules isolées, incapables de se structurer en contrepouvoirs forts. Les réformes sociales mises en œuvre par Poutine en janvier 2005 ont amorcé une vague de contestation sociale organisée (manifestations, grèves), sans précédent dans l’histoire russe. Retraités et vétérans de l’armée se sont mobilisés pour exiger le maintien de leurs avantages en nature, hérités de la période postsoviétique. La jeunesse d’opposition a tenté de politiser le courant de protestation contre l’autoritarisme croissant de Poutine. Ces dynamiques sont cependant à nuancer par l’ampleur limitée de la mobilisation qui, au plus fort des manifestations, n’a recueilli que 52% d’approbation parmi la population. Pourquoi une si faible mobilisation des Russes La privatisation des entreprises et des ressources nationales au cours de la décennie 1990 a été dominée par les élites de l’ère soviétique. Cette captation des richesses par une minorité a, selon certains chercheurs, éteint dès l’origine la culture démocratique naissante et les institutions existantes. La faible participation de la population à la vie politique en tant que citoyen s’explique par le fait qu’elle soit pratiquement monopolisée par les élites économiques et administratives. Sous la présidence de Eltsine, la faiblesse de l’autorité étatique a également inhibé le développement de la société civile (partis politiques, groupes environnementaux ou syndicats de travailleurs, corps professionnels, associations de protection des consommateurs…). Depuis la fin des années 1980, les résultats aux élections ont montré les grandes hésitations de l’électorat russe. Les élections ont toujours lieu dans un climat d’influence de l’étatisme et du clientélisme qui se manifeste particulièrement aux élections régionales. L’électeur rationnel ne domine pas dans l’électorat russe et il n’y a pas non plus de mécanisme de dépendance des hommes politiques vis-à-vis de leurs électeurs. En conséquence, l’influence des élections sur l’amélioration concrète des conditions de vie est limitée. Or, la formation d’une culture électorale est justement fonction de l’amélioration du niveau de vie d’une grande partie de la société. Poutine, jugeant la société russe immature et incapable de vivre dans un véritable régime démocratique a supprimé l’élection des gouverneurs au suffrage universel au lendemain de Beslan. EN PERSPECTIVE… Le Kremlin s’est prémuni contre toute initiative structurée de la société civile en la soumettant à un contrôle strict de ses activités. Dans ce cadre contraignant, c’est au peuple russe que revient la responsabilité de rompre avec la passivité et l’apathie héritée des années de terreur et d’oppression communiste. Craignant que la révolution démocratique en Ukraine en décembre 2004 ne fasse des émules, le Kremlin a renforcé sa détermination de prévenir toute initiative civique et de neutraliser toute activité qui puisse remettre en question significativement l’autorité du gouvernement. Il incombe alors au peuple russe de dépasser ses fantômes issus du communisme pour s’organiser et défendre collectivement leurs droits ainsi que les institutions démocratiques de leur pays. 132 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Chine La société civile Quelle société civile en Chine ? PARTI COMMUNISTE, MULTIPARTISME, PARTI DE LA DEMOCRATIE CHINOIS, ELECTIONS, COMITES DE VILLAGE, INTELLECTUELS, DISSIDENTS, LIBERTE D'EXPRESSION, CORRUPTION De la proclamation de la République Populaire de Chine (1949) à la mort de Mao (1976), la société civile a été presque complètement arasée, le pouvoir ayant effacé toute forme autonome d'organisation au profit d'organisations dirigées par le Parti. Les contestations n'avaient lieu que lorsque le régime ouvrait lui-même la porte. A partir des années quatre-vingt, on a assisté à une reprise progressive de l'autonomie mais toujours dans les limites fixées par le Parti communiste. Des forces politiques en dehors du Parti ? Ces acteurs font partie de la société civile dans la mesure où ils peuvent se poser comme une force externe au pouvoir central. Celui-ci maintient cependant une poigne de fer sur toute forme potentielle d'organisation politique en dehors de lui. L'absence de pluralisme politique La dictature du Parti unique a longtemps empêché la formation de tout parti politique en dehors du PCC. Profitant de la relative ouverture politique laissée par le pouvoir à partir de 1997 et de la visite du président Clinton en 1998, des intellectuels (dont Wang Youcai 1 ) décident cependant de fonder un parti basé sur les valeurs d'ouverture, de paix, de raison et de légalité. Le Parti de la démocratie chinois (Zhongguo minzhu dang) est dans un premier temps relativement toléré par Pékin. Malgré l'arrestation de certains leaders, les demandes d'enregistrement au niveau local sont acceptées et les sections provinciales se multiplient. Mais au fur et à mesure que le parti embryonnaire se structure, la répression reprend. Tous les dirigeants sont arrêtés et jugés pour activité subversive. 2 L'hégémonie du PCC est réaffirmée. Celui-ci se veut l'unique représentant de la société, comme Jiang Zeming l'a rappelé en 1998 en lançant la promotion des "trois représentativités" : le Parti représente la population, les forces productives et la culture la plus avancée. Les comités de village : l'émergence d'un pouvoir local ? Le pouvoir local traditionnel avait été anéanti par la mise en place des communes populaires lors du Grand Bond en avant (1958). A partir de 1983, avec le démantèlement des communes populaires par le gouvernement, des comités de village, chargés des affaires publiques et de l'arbitrage des conflits locaux, réapparaissent. Malgré ce que prévoit la Constitution, les membres de ces comités ne sont pas élus par les villageois mais désignés par le Parti. Ce n'est qu'à partir de 1988 que des élections ont lieu. Pour la première fois en Chine, les dirigeants des villages ne sont plus désignés par les chefs de clans ou par le pouvoir central, mais sont élus. Cependant, ces élections peuvent être vues comme un moyen supplémentaire pour le Parti de maintenir le calme dans les campagnes chinoises. Elles "[concernent] plus la question pratique du gouvernement local et la question de la stabilité dans les zones rurales que la démocratie en tant que telle 3 ". De plus, la corruption endémique et le manque de compétition réelle (le nombre de candidats est parfois à peine supérieur au nombre de sièges) ôtent une large part de sa légitimité au processus électoral. Enfin, l'existence de ramifications locales du PCC, parallèles aux comités de village, est un frein à tout développement démocratique. Les comités locaux du Parti communiste, dont les membres sont désignés par le pouvoir central, n'hésitent pas à révoquer arbitrairement les comités de village si ceux-ci luttent trop activement contre la corruption ou s'ils ne sont pas assez fermes dans la collecte de l'impôt. 1 Wang Youcai est un intellectuel dissident luttant depuis plusieurs années pour les droits de l'homme. Sa participation aux manifestations de Tiananmen lui avait déjà valu plusieurs années de prison. Arrêté de nouveau en 1998, il a été relâché en 2004 et vit aujourd'hui aux Etats-Unis 2 Human Rights Watch, Septembre 2000, Nipped in the bud : the suppression of the China Democracy Party, Vol. 12, N° 5C, http://www.hrw.org/reports/2000/china/china009-02.htm#P122_16674 3 B. Bakken, Démocratie avec ou sans principes in H. Antlov et T-W Ngo, 2000, Curzon Press, cité in A. Henocque, Le capitalisme rouge : le régime chinois peut-il libéraliser son économie sans démocratiser sa politique ? 2003, Mémoire : Grenoble : IEP 133 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Mais malgré leurs carences démocratiques, ces élections rencontrent un certain succès dans les campagnes : si les premiers scrutins n'ont pas suscité l'intérêt, les suivants ont davantage attiré les foules. La tenue d'élections régulières dans les villages a permis aux paysans chinois de se familiariser avec le processus électoral et la Loi organique des Comités de Villages de 1987 constitue un support légal à partir duquel ils ont appris à défendre leurs droits (dénonciation des irrégularités). Elles permettraient ainsi la diffusion d'une culture démocratique. Intellectuels et dissidents Les intellectuels ont toujours eu une place à part dans la vie politique chinoise : sous l'Empire, les lettrés avaient une grande importance dans le fonctionnement du pouvoir politique, servant à la fois de relais avec la population et de conseillers du pouvoir. Après l'instauration du régime maoïste, ils sont pourchassés comme ennemis de classe et sont victimes de la répression. Aujourd'hui, ils sont toujours sous haute surveillance. Ils ne forment pas un groupe soudé. Certains prônent l'idée d'un autoritarisme permettant la transition en douceur de l'économie (à l'image de Singapour) ; d'autres au contraire ont choisi de défendre les idées de liberté et de démocratie. Une très large majorité a accepté le pacte social proposé par le Parti, en s'abstenant d'intervenir dans le domaine politique en échange de davantage d'autonomie. Seule une minorité, isolée du reste de la population, s'oppose véritablement au régime. Les intellectuels chinois rencontrent trois obstacles principaux pour pouvoir constituer une force agissante pour la démocratisation du pays : - La répression Le Président Hu Jintao a repris la citation de Mao : "Une étincelle suffit pour embraser la plaine." Le régime redoute l'instabilité et étouffe dans l'œuf toute velléité "subversive". Aujourd'hui, les procès politiques sont plus délicats pour le régime, du fait d'un système juridique plus développé et des pressions internationales. Mais le pouvoir maintient un contrôle étroit sur les éventuels opposants et n'hésite pas à recourir à des méthodes mafieuses (enlèvements, intimidations, assignations à résidence). De ce fait, l'opposition démocratique ne peut devenir une véritable force politique car il lui est impossible de se structurer en organisations capables de relayer ses idées et de mobiliser la population4 . - L'absence de mémoire collective des événements La répression, la censure et la propagande empêchent la connaissance des idées démocratiques de se diffuser ; elles empêchent également la transmission de la mémoire des événements, en particulier des crimes commis par le régime. Par conséquent, la population ne peut tirer de leçons de son passé. Aucun mouvement ne peut développer les idées des mouvements précédents et la réflexion des intellectuels doit à chaque fois repartir de zéro 5 . Cela était particulièrement vrai sous Mao. Aujourd'hui, la diffusion de l'information se fait plus facilement grâce à la libéralisation économique et aux nouvelles technologies ; cependant, le tabou demeure, en particulier quant aux événements de Tiananmen. - La tradition des lettrés confucéens Mis à part l'éphémère Parti de la Démocratie, les intellectuels chinois ne sont pas arrivés à se structurer en force politique extérieure au Parti. Certains font clairement partie des sphères dirigeantes (conseillers du régime) ; mais la plupart des opposants eux-mêmes ne combat pas véritablement le régime mais cherche à l'améliorer. Plus encore, ils peuvent constituer un frein à la démocratie : certes, ils se veulent le porte-parole de la société auprès du pouvoir. Mais, obéissant à l'élitisme traditionnel des intellectuels chinois, ils estiment également que celle-ci n'est pas mûre ou pas assez éclairée ("la qualité du peuple chinois est trop faible") et qu'il est de leur devoir de l'éduquer. "On peut se demander si ce groupe social, qui a joué un rôle central dans la popularisation des idées de liberté et de démocratie, n'a pas en même temps constitué un obstacle à la démocratisation véritable de la société : à la différence de leurs collègues polonais en effet, les intellectuels chinois n'ont pas aidé les ouvriers ou les paysans à s'organiser par eux-mêmes pour réclamer la démocratisation du système. Si les idées de liberté d'expression, d'association, de publication, ont toujours été au cœur de leurs revendications, il n'en va pas de même de celui d'égalité" 6 . 4 Béja Jean-Philippe, A la recherche d'une ombre chinoise, le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004), 2004, Seuil, Coll. L'Histoire immédiate 5 Hénoque Audrey, op. cit. 6 Béja Jean-Philippe, op. cit. 134 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 La "gouvernance" La Chine serait aujourd'hui en train de passer à un Etat post-moderne ayant adopté le concept de la gouvernance 7 : les dirigeants politiques ne se baseraient pas sur des programmes politiques mais sur la résolution de problèmes concrets à l'aide d'experts. Dans cette perspective, les intellectuels ne se battent pas pour la démocratie mais pour apporter leur expertise au pouvoir en restant sous le contrôle de l'Etat. EN PERSPECTIVE… Il semble difficile d'analyser la société civile en Chine comme une force s'opposant à l'Etat. Les forces issues de celles-ci ne se posent pas comme une alternative au Parti ; elles restent dans la tradition où elles aiguillonnent l'Etat pour qu'il s'améliore, tout en se rangeant sous sa bannière. Ce phénomène permet néanmoins la formation d'échelons entre la société et l'Etat et la formation d'un esprit civique. Le niveau local en particulier, où le contrôle du pouvoir central est le plus lâche, peut offrir un lieu d'autonomisation des acteurs. 7 Béja, Jean-Philippe, op. cit 135 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 136 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Russie Economie Les écueils de la transition vers l’économie de marché PRIVATISATION, CONCENTRATION ECONOMIQUE, OLIGARQUES, FUSIONS, STABILITE, PROPRIETE PRIVEE, NOMENKLATURA, DISPOSITIFS REGULATEURS Les enjeux d’une politique et d’une société stables pour l’économie russe Actuellement, la Russie est à mi-chemin entre le système soviétique dont elle a hérité et l’économie de marché à laquelle elle aspire. Les écueils sont encore nombreux : corruption endémique, clientélisme, concentration extrême de l’économie, absence de cadre juridique stable, crise de confiance des investisseurs étrangers… La Russie qui était l’une des sociétés les plus égalitaires en termes de répartition du capital, connaît aujourd’hui les disparités extrêmes du Mexique ou du Brésil. Son héritage historique, politique, géographique et démographique fera toujours de la Russie un acteur incontournable et influent sur la scène internationale. Une Russie isolée et en proie à des comportements subversifs (mafias, réseaux criminels, corruption généralisée) représente un risque majeur pour les pays occidentaux qui ne peuvent se permettre une telle dérive. Les intérêts sécuritaires – mais aussi économiques et financiers – des partenaires occidentaux sont de contribuer à redonner à la Russie son rang de puissance internationale, gage d’une stabilité interne et externe. Dans ce contexte, les questions sociales revêtent une importance fondamentale car l’absence de paix sociale met en péril les performances économiques par manque de personnel qualifié et fragilise la maintenance en état des infrastructures techniques et technologiques – notamment nucléaires – du pays. En dépit de la dépression socio-économique et du mécontentement général, le nouveau système qui a émergé en Russie est particulièrement stable et résistant à toute transformation rapide. Historique de la privatisation Afin de faciliter la transition vers l’économie de marché au début de la décennie 1990, les conseillers du président Eltsine, Igor Gaïdar et Anatole Tchoubaïs, ont accéléré la privatisation des entreprises et des ressources nationales. Quelques hommes d’affaires fortunés russes ont pu acquérir à prix bradé des parts importantes du capital des grandes entreprises pétrolières et gazières. Ainsi, Mikhaïl Khodokorvsky a acquis pour 310 millions de dollars, 78% du capital de Ioukos, dont la valeur est estimée à 5 milliards de dollars. Le succès rapide des oligarques à ce moment dépendait essentiellement de leurs relations avec les représentants de l’administration en charge de la privatisation des ressources nationales. Mécontents à l’encontre des oligarques, 77% des Russes souhaitent une réforme des privatisations opérées dans les années 1990. Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine s’est affairé à destituer les oligarques de leur rôle prépondérant dans la vie économique et politique de la Russie. Dans un premier temps, il a incité les oligarques à restreindre leur champ d’action au domaine économique, afin qu’ils n’interfèrent pas dans la vie politique ni dans d’autres secteurs d’activité tels les médias qui offrent des tribunes publiques d’opposition au Kremlin. La condamnation de Mikhaïl Khodorkovsky qui avait financé la campagne des partis libéraux opposés à Poutine, à une lourde peine d’emprisonnement en mai 2005, a été perçue par les autres oligarques comme un avertissement. Afin de reprendre le contrôle de la politique énergétique du pays, Poutine a également fusionné Gazprom, dont l’Etat était actionnaire, avec l’entreprise nationalisée Rosneft. Toutefois, la concentration de l’économie est toujours croissante. En 2000, les dix entreprises les plus importantes de Russie totalisaient 61% des profits nets du pays tandis que les petites entreprises ne parviennent pas à se développer ou ne cessent de diminuer. L’influence des oligarques ne s’est pas amoindrie, en dépit de l’exil ou de l’emprisonnement de trois oligarques parmi les plus puissants, mais leurs tractations qui s’opéraient auparavant sur la scène publique se sont institutionnalisées. Tout en faisant du lobbying au Kremlin, les oligarques accroissent leur influence et leur ancrage au niveau régional où ils contrôlent dans certains cas les élites politiques locales. 137 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Fragilités de la croissance actuelle Pendant les années 1990, l’écroulement de l’industrie, les crises monétaires à répétition et la pauvreté galopante de la société ruse ont dominé les débats de la sphère économique en Russie. Bien que le PIB s’accroisse régulièrement depuis 2000, les craintes sont vives concernant la pérennité de cette croissance, notamment car celle-ci repose essentiellement sur l’exportation des ressources énergétiques de la Russie (pétrole et gaz), limitées par nature et dont la valeur dépend de la fluctuation des marchés internationaux. De nombreux secteurs manufacturiers ont également enregistré une forte croissance, substituant ainsi les importations par la production locale. Cette dynamique est liée à la dévaluation du rouble, à la revalorisation des produits russes sur le marché international, au maintien des prix subventionnés pour l’énergie destinée aux Russes. Mais cette croissance repose sur des bases fragiles : la demande n’est pas assurée en raison du contexte dépressif, les investissements ménagers demeurent insuffisants, la Russie n’attire pas de capitaux étrangers à long terme qui seraient nécessaires pour rénover l’industrie existante, la structure judiciaire ne garantit pas la protection des capitaux investis. Incapacité de l’Etat à assurer le cadre nécessaire pour une économie de marché Ambitions et impératifs de l’économie russe En postulant auprès de l’OMC, la Russie souhaite intégrer son économie dans le système mondialisé. Mais cet objectif implique que des réformes structurelles soient engagées pour créer les conditions d’une économie de marché saine afin d’assurer une stabilité sociale et une élévation du niveau de vie. Traditionnellement, la propriété privée est la pierre angulaire de l’histoire de l’économie capitaliste et des démocraties modernes. Or, l’économie russe ne propose pas une définition claire de la propriété et de la sphère privées, ce qui engendre un flou identique dans la définition du domaine public, à savoir ce qui relève de la propriété et de la responsabilité de l’Etat. Transformer une économie d’Etat planifiée en économie de marché requiert l’instauration d’un cadre sain pour que les opérations économiques se déroulent sans perturbation et que les investisseurs aient confiance dans la libre gestion des mécanismes. Ce cadre comprend les impératifs suivants : une pression fiscale modérée, une communication transparente et fiable, une législation adaptée au monde des affaires, un réseau de prestataires de services, un système bancaire opérationnel, un réservoir de compétences et de savoir-faire, la liberté d’accès aux marchés, un environnement optimiste et encourageant pour les entrepreneurs. Ecueils hérités du système soviétique et des premières années post-soviétiques Administration - On constate une continuité entre la bureaucratie du passé et celle d’aujourd’hui. L’ancienne nomenklatura s’est reconvertie dans la fonction publique, perpétuant des pratiques corrompues de l’ère soviétique et empêchant l’émergence d’une nouvelle élite administrative. Parallèlement à cette reconversion, presque toutes les fonctions de contrôle exercées par l’ancien régime (sanctions disciplinaires du parti et droit pénal) ont disparu. Cadre législatif et réglementaire - Une très lourde réglementation, héritée de l’interventionnisme de l’Etat post-soviétique, constitue l’une des raisons majeures du faible succès de l’entrepreunariat en Russie. L’Etat n’a pas mis en œuvre ni le droit pénal ni son pouvoir réglementaire pour pallier les faiblesses du système financier. Il n’y a pas eu de surveillance du système bancaire, des marchés financiers émergents ni des fonds de pension privés. Au contraire, les dispositifs régulateurs qui existaient ont été dépouillés de toute efficacité et les bureaucrates qui ponctionnent leurs revenus sur les activités économiques ont personnellement intérêt à ce que ce cadre réglementaire se perpétue. Système bancaire - Le secteur bancaire, sans lequel une économie de marché stable et forte ne peut se développer, subit une grave crise de confiance qui sera lente à restaurer. Les banques ont émergé dès la chute du système communiste et l’ouverture vers l’économie de marché mais elles ont rapidement été phagocytées par les oligarques et instrumentalisées par de puissants groupes industrialo-financiers. Leur manque de transparence, leur corruption généralisée, leur incapacité à fournir des services fiables à la majorité de la population ainsi que le fait que de nombreux petits épargnants ont tout perdu après la crise financière d’août 1998 ont fait des banques le symbole de tous les travers du capitalisme naissant en Russie. 138 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique du sud Economie L’expérience de Stutterheim, un espoir du développement local STUTTERHEIM, DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL, RECONCILIATION, PRIVATISATION, SEGREGATION SOCIALE SERVICES PUBLICS, L’histoire de Stutterheim donne un exemple intéressant d’un processus en cours de reconstruction et de développement. En effet, cette ville du cap oriental, microcosme de l’Afrique du Sud, a été le lieu d’une réelle transformation : d’un petit village de campagne sur le point de s’autodétruire, elle est devenue un espace économique en expansion et ce, sous impulsion des communautés locales. Très vite, pourtant, les limites du développement basé sur la privatisation se font sentir. A la fin des années 1990, Stutterheim est une ville de 30 000 habitants qui connaît un des plus hauts taux de criminalité, un très faible niveau de vie dans ses townships et dont la ségrégation est très marquée. L’accès à l’eau et à l’électricité est peu répandu dans les townships et les opportunités d’emplois sont extrêmement rares. La frustration et la colère poussent alors cette population à des manifestations. La violence devient de plus en plus forte : le dialogue est difficile à établir puisque les leaders des deux communautés agissent dans des conseils municipaux parallèles. Cette protestation se concrétise par un boycott, mené par le comité de coordination de Stutterheim, dirigé par un activiste noir local Chris Magwangqana, contre les entreprises locales conservatrices blanches. Ce boycott débute en septembre 1989 et dure sept mois. Soutenue par un leadership jeune et dynamique, cette pression civique a des effets notables comme notamment la fermeture de quatorze entreprises blanches mais aussi, effet pervers, l’obligation pour les boycotteurs d’aller se procurer leurs denrées à 50 km de Stutterheim. Une amorce de rencontre des intérêts 1 La lame à double tranchant du boycott place alors les acteurs de la ville dans une impasse. Le changement devient favorable à toutes les parties en jeu voire inévitable. Le tournant a lieu lors d’une rencontre, le 6 mai 1990, entre le maire de la ville, Nico Ferreira et Chris Magwangqana, (futur maire de la ville entre 1995 et 2000). Ce dernier présente au maire une série de revendications concernant entre autres choses le développement local. Cette rencontre motivée par la volonté et la nécessité de trouver une solution à cette situation d’impasse, est l’occasion du passage d’un discours d’exigences à celui de la négociation et du compromis et ainsi de la fin du boycott. A partir de là, se met en place une association entre la société civile, le gouvernement local et le secteur privé, association qui a pour projet commun de promouvoir le développement local de Stutterheim. La société civile prend en charge ce processus à travers un Forum, organe de discussion et une Fondation pour le Développement de Stutterheim, créée pour gérer les fonds importés du secteur privé et de l’Etat. La Fondation est composée de dix comités qui élaborent et mènent divers projets s’insérant dans un plan général de développement urbain. Ces projets sont principalement financés par la firme internationale Barlow et par deux organes financiers mandatés par le gouvernement, la Banque de Développement d’Afrique du Sud et l’Indépendent Development Trust. Le processus de développement, moteur de réconciliation ? Cette rencontre des intérêts n’a pu avoir lieu que dans un contexte favorable à la réconciliation. En effet, en 1988 est mis en place un nouveau conseil municipal blanc dirigé par Nico Ferreira, équipe d’indépendants modérés. Ce changement de majorité laisse la place au dialogue avec les leaders noirs, leur protestation se dirigeant principalement contre les conservateurs. Les leaders de part et d’autre sont alors prêts à engager la discussion, dans la meilleure foi possible et avec pour démarche, l’ouverture sur l’avenir. Une des bases de cette réconciliation est la décision des populations noires de concentrer leurs efforts sur la construction du présent et du futur et non sur le ressassement de l’injustice passée. Importante aussi est la philosophie africaine, Ubuntu, que le maire de Stutterheim, Nico Ferreira souhaite promouvoir, qui consacre l’interdépendance des individus - je suis parce que nous sommes – comme le cœur du développement . Le principe du travail en commun est mis en place ainsi qu’un mode de fonctionnement basé sur la communication et le partage des compétences et de l’expertise. Fondé sur la volonté primordiale de 1 Nussbaum, Barbara, Making a difference :Reconciliation, Reconstruction and Development in Stutterheim, VivliaEducation for the Nation, 1997. 139 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 concorde, le processus de développement par son fonctionnement et les valeurs véhiculées par le leadership réuni, réduit les risques de conflits et semble ainsi entériner la réconciliation. Quel développement ? 2 Le processus de développement qui se met en place à trois objectifs principaux : la hausse du niveau de vie dans les townships, du niveau d’éducation et du niveau de l’emploi. L’amélioration de la qualité de vie est, en effet, un des buts du développement local tant le retard accumulé par les habitants des townships en ce qui concerne l’accès à certains services - eau potable, égouts, prestations sociales, éducation - est considérable. Le comité des travaux confie des projets à des entrepreneurs locaux, nouvellement formés dans ce but. Des accès à l’eau et à l’électricité sont développés et plusieurs écoles sont construites. Ces dernières sont l’occasion de l’augmentation du nombre d’enfants scolarisés. A cela s’ajoute le projet Molteno, qui vise à rendre bilingue en anglais les enfants de langue xhosa et qui concerne, en 1997, 3000 élèves. Une autre initiative mérite d’être relevée, celle des Amakayas : il s’agit de réunir et de faire garder les enfants en bas âge par des « mères » formées et rétribuées par les familles. La perspective d’éducation se retrouve aussi chez les adultes qui ont la possibilité de suivre des formations, notamment de commerce. Cette opportunité a pour but de renforcer l’emploi et ainsi l’économie locale. Le petit commerce est favorisé : des marchés locaux sont instaurés dans des lieux stratégiques des campagnes afin de favoriser la vente des surplus, d’encourager la production et ainsi de passer, pour l’agriculture par exemple, d’une production de subsistance à la vente. Le Centre de Conseil en commerce de Stutterheim créé en mai 1992 est l’organisation qui facilite ce développement du petit commerce en professant des conseils, en permettant les formations, en assurant le rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs de matières premières et les producteurs, en facilitant l’accès au crédit, etc. La création d’emploi se fait toutefois majoritairement dans le secteur de la construction. Ainsi, le processus de développement s’inscrit dans une démarche globale, qui prend en charge de multiples aspects de la vie des bénéficiaires. Et cette perspective a pour objectif à moyen terme la prise en charge de la communauté par elle-même, c’est-à-dire son autonomisation, d’où l’importance portée à la formation. Les limites directes au progrès du développement : Les progrès sont tangibles, pourtant, selon Litha Mncwabeni et Patrick Bond, Stutterheim est loin d’être un exemple sans faille de développement 3 . Ces deux auteurs soulignent d’une part le désengagement progressif de la municipalité par la privatisation des services qui conduit à une hausse des tarifs pour le même niveau de prestation. Devant le problème récurrent du mauvais paiement des services par les ménages à faible revenu – conséquence plus liée à l’établissement d’un système de tarification inadéquat car non échelonné qu’à de la mauvaise volonté – la municipalité se déresponsabilise et confie la gestion de l’eau en 1993 et du logement en 1994 à des compagnies privées. D’autre part, les politiques menées par les entreprises privées prolonge et amplifie la géographie urbaine héritée de l’Apartheid, car ces dernières favorisent l’ancien secteur « blanc » , laissant de côté les townships noirs. Les coupures d’eau et d’électricité, enfin, perpétrées par la municipalité, dans les quartiers où le problème du paiement se pose entérinent l’inégalité sociale, en mettant hors d’accès les services les plus basiques. Ainsi, malgré un essor patent de l’économie locale, une forme de ségrégation persiste-t-elle, socio-économique cette fois. EN PERSPECTIVE… Ainsi s’agit-il d’une initiative de développement économique local qui s’inscrit dans un contexte de transition politique, celui du passage d’une société divisée par l’apartheid à un régime démocratique. Cette transformation de la conjoncture politique nationale a un impact important sur le déroulement du processus de développement : le mouvement de privatisation des services publiques en est une manifestation. La force de ce projet reste la convergence des leaders, associée à leurs fortes personnalités et la motivation de la société civile pour son autonomisation économique. Cette expérience reste un exemple pour de nombreuses localités en développement, comme en témoignent les nombreuses interventions de la Fondation de Développement de Stutterheim en Afrique du Sud mais aussi dans d’autres pays d’Afrique. 2 Professeur Dewar, David, The Stutterheim experience, Vivlia-Education for the Nation, 1995 Mncwabeni, Litha et Bond, Patrick, Local economic development in Stutterheim, in Linking local economic development to poverty alleviation, Department of Constitutional Development, 1998-99, http://www.local.gov.za/DCD/ledsummary/ledindex.html 3 140 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Bosnie-Herzégovine Economie La reconstruction du secteur économique BOSNIE-HERZEGOVINE, KALESIJA, DESINDUSTRIALISATION, RECONSTRUCTION ECONOMIQUE, PRIVATISATION, DEVELOPPEMENT D’UN SECTEUR PRIVE, EMPLOI, INFRASTRUCTURES, SERVICES PULICS. Désindustrialisation Le processus de désindustrialisation s’est produit à une échelle dévastatrice : dans les principaux centres industriels (Tuzla, Zenica et dans une moindre mesure Novi Travnik, Capljina), 70 à 80% des emplois ont disparu. Les quelques entreprises qui se sont maintenues ne laissent pas beaucoup d’espoir de survie. Le secteur privé est dominé par des micro-entreprises de commerce et de services de base qui génèrent peu d’emplois. Les rares productions ont une faible, voire nulle, valeur ajoutée : l’exportation d’aluminium a remplacé la fabrication d’avions. Du coup, les Bosniens, rejetés de l’économie formelle, sont nombreux à abandonner les villes pour regagner les terres que leurs parents avaient quittées. Ils vivent de travaux occasionnels, de commerce informel et d’agriculture de subsistance. En contraste, on perçoit une certaine prospérité dans les grandes villes mais du seul fait de la présence internationale qui a également généré des déséquilibres évidents : l’arrivée de fonds internationaux a créé une bulle de l’impôt sur le revenu permettant au gouvernement bosnien d’augmenter ses budgets. L’administration publique est ainsi devenue la source principale d’emplois dans les milieux urbains, faisant du paiement des salaires un poste démesurément important du budget public. Ainsi se trouvent concentrés les centres administratifs, l’activité économique et par conséquent le revenu des impôts. Les déséquilibres entre Sarajevo et les campagnes sont éloquents ; c’est le cas pour toutes les entités de la Bosnie-Herzégovine 1 . Parmi les défis que doivent relever les responsables politique : des ouvriers qualifiés pour des postes qui n’existent plus ; des services destinés aux entreprises qui n’existent plus ; un sous-développement rural sévère ; des poches de populations dépendantes d’industries en faillite. • Entre 60 et 84% de population en Bosnie-Herzégovine vivent en dessous du seuil de pauvreté ; • Les taux de chômage sont au même niveau en 2001 qu'en 1995, soit 40%, la tendance serait même à l’augmentation 2 . Extrême lenteur de la privatisation Dans un premier temps, la privatisation a consisté dans la distribution des titres de propriété, en guise de salaires aux travailleurs. Ne recevant plus de salaire pour survivre, ils ont dû les monnayer et les ont revendus à des prix très bas. Dans un second temps, ces nouveaux propriétaires ont cherché à tirer profit de tout ce qu’ils pouvaient vendre dans ces entreprises, ce qui a achevé de détruire le capital des entreprises. Enfin, l’Etat négocie le rachat de ce qui reste de ces entreprises en échange d’une prise en charge des coûts sociaux générés par l’indemnisation des personnels en sureffectif, et des garanties d’un niveau d’investissement minimum. Ces négociations sont freinées par les ententes officieuses entre autorités publiques et propriétaires, ces derniers étant la plupart du temps membres des mêmes partis politiques au pouvoir 3 . Création d'un secteur privé L’expérience de la municipalité de Kalesija nous permet de juger des opportunités et des limites du contexte d’après-guerre en Bosnie-Herzégovine pour la création d’un secteur privé 4 . Kalesija est une des régions rurales de Bosnie les moins développées ; les entreprises d’Etat datent des années 70. Lourdement détruite par la guerre, Kalesija a reçu d’importantes sommes d’aide à la reconstruction. Elles ont stimulé l’activité économique à court terme et ont d’ailleurs disparu en 1999. Avant la guerre déjà, la ville était subventionnée de l’extérieur pour son développement et aucune initiative locale n’existait pour l’encourager. Après la guerre, le même schéma se poursuit mais cette fois avec des donateurs internationaux. En 1997 cependant, les citoyens ont mobilisé des ressources locales importantes 1 European Stability Initiative, octobre 2004. « La Bonie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L'Harmattan, Paris, 2003. 3 Entretien juin 2005 avec Hugues de Courtivron, DCAF, Genève. 4 Cette présentation est le résultat d’une étude détaillée menée par le European Stability Initiative (ESI) sur les politiques économiques post-privatisation. L’étude est centrée sur les schémas de développement local, l’évolution des acteurs-clé et des institutions et le rôle du gouvernement local dans l’émergence d’un secteur privé. 2 141 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 pour le développement local des télécommunications et des routes dans des zones qui avaient toujours été négligées par les plans du régime socialiste. Emploi Le nouveau secteur privé a déjà plus que remplacé les emplois des anciennes entreprises d’Etat. A Kalesija, la privatisation est achevée. Elle a eu recours à différentes méthodes : la vente pour les plus petites entreprises, les offres publiques, les offres réservées aux dirigeants et aux ouvriers et enfin la privatisation par coupons (vouchers) par des fonds d’investissement. Fin 2001, la structure économique de la municipalité est entièrement transformée. Le nombre d’emplois dans le secteur public a été réduit de 40% pendant que le secteur privé a créé 1200 emplois (soit plus que les emplois perdus dans le secteur public). Il faut encore ajouter 422 emplois créés dans l’agriculture privée et quelques milliers encore d’emplois saisonniers. Le secteur privé compte maintenant pour 40% du taux d’emploi alors qu’avant la guerre il comptait pour 5%. Il représente aussi l’essentiel de l’activité économique du pays : il a commencé avec la construction et les services, il se tourne maintenant vers la production. L’étude recense 10 nouvelles entreprises qui emploient chacune plus de 10 personnes (en tout 170) et 626 autres qui comptent pour 1030 emplois. Le secteur privé a doublé la taille du secteur des privatisations. Il faut encore ajouter les emplois de l’agriculture privée et les emplois itinérants de l’industrie de la construction. Le marché de l‘emploi doit pourtant relever un défi de taille : le profil des formations techniques sont spécialisées dans les métiers de la métallurgie et de l’agriculture alors que les compétences pour la nouvelle économie sont rares. La croissance du secteur privé est encore modeste mais suffisante pour combler le déficit d’emplois de l’ancien secteur d’Etat. Elle contribue par ailleurs à casser le cliché de la Bosnie rurale où le secteur privé est inexistant. Infrastructures Le manque d’accès aux infrastructures nuit au développement : 70% des emplois sont concentrés dans 2 des 18 districts de la municipalité. Les locaux adaptés au commerce manquent si bien que des immeubles d’appartements ont été transformés en centres commerciaux, parfois des centres artisanaux se sont développés (zanatski). La municipalité a permis des extensions de plusieurs bâtiments publics comme des centres culturels qui ont été entourés de petits commerces. Mais face à la pénurie de locaux, la municipalité a loué des bâtiments d’anciennes entreprises d’Etat qui étaient abandonnées. Les clés du développement futur résident dans la capacité des autorités locales à fournir les ressources principales que sont la terre et les services. Les mécanismes de l’époque socialiste étant maintenant inopérants, les municipalités sont obligées de trouver des nouveaux financements pour les fonds de développements. La municipalité de Kalesija a voulu reconstruire et améliorer son réseau de routes. La moitié du budget devait être pris en charge par un prêt du canton de Tuzla mais à cause d’une crise du budget cantonal, la participation s’est réduite à seulement à 1/5 (200.000 DM). L’intérêt des habitants de Kalesija était tel que les communautés locales se sont mobilisées et en peu de temps ont réuni 1,8 million de DM en contributions volontaires, sans utiliser de mécanismes de recherche de fonds formels. Cette somme, ajoutée à un bail municipal sur la terre, des crédits et le budget annuel, a atteint un budget total de 3,7 millions de DM et a permis de refaire 44km de routes. Les infrastructures ne sont pas les seuls domaines qui ont besoin d’une meilleure gestion et de titres de propriété mieux établis. La municipalité possède des biens qui peuvent être valorisés comme les forêts et les terres. Après inventaire, la location des terres et des bâtiments de la municipalité lui rapporte un tiers de son budget. La législation sur la propriété de la terre a un besoin urgent de réforme : elle ne permet de céder que des droits d’usage et dans la limite de certains objectifs publics. Les institutions et leurs relations avec les communautés locales La taille des municipalités n’a cessé de grandir en Yougoslavie pour atteindre une moyenne de 42.000 habitants. Avec une telle taille, elles n’étaient plus capables de jouer un rôle efficace d’autonomie locale. Les fonctions locales étaient peu à peu laissées aux communautés (mjesne zajednice – MZ) qui exerçaient une autorité déléguée par la municipalité. Ce système repose principalement sur le volontarisme, sans capacité administrative réelle. Leur efficacité dépend donc de l’initiative des habitants. Chaque MZ possède un conseil local et est constituée en entité légale ce qui lui permet d’avoir des droits d’usage sur les locaux municipaux. Elles disposent généralement d’un bureau et leur statut est adopté par le conseil de la MZ – de 5 à 11 personnes, volontaires, élues par une réunion publique ou nommées par les partis représentés au conseil municipal. De nombreuses dispositions juridiques concernant leur statut ne sont toujours pas réglées. Les limites d’action des MZ sont fixées par référendum local et inscrite dans la loi municipale. 142 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 La loi sur l’autonomie locale a conduit à confier au niveau municipal la gestion des services publics : ils étaient fournis par un système complexe d’accords bilatéraux entre fournisseurs et consommateurs par l’intermédiaire d’un réseau institutionnel unique connu comme « les communautés d’intérêt autonomes » (samoupravne interesne zajednice – SIZ). Ces SIZ étaient responsables des accords de développement qui régulaient l’offre et le paiement des services publics. Leur influence venait du fait qu’elles contrôlaient les fonds utilisés pour le développement de ces services. Avec le temps elles ont remplacé le rôle régulateur de l’Etat. Ainsi, les services publics n’étaient pas financés par l’imposition et les dépenses publiques mais par des contributions volontaires de la part des entreprises d’Etat, obtenues par des négociations directes et inscrites dans des contrats contraignants. Ce système a duré 20 ans et avait pour principaux défauts de nécessiter une constante intervention politique pour fonctionner, de multiplier les niveaux de bureaucratie, de déséquilibrer les budgets municipaux, de rendre impossible toute coordination et in fine a conduit à la stagnation des services publics. Les SIZ ont été abolies peu avant la guerre et réunies dans le fonds municipal. EN PERSPECTIVE… Les questions économiques ne sont pas abordées dans l’accord de paix de Dayton ce qui est révélateur de la sous-estimation de l’impact de cette question sur l’ensemble du processus de paix. La principale erreur commise par les acteurs économiques internationaux fut de mésestimer la collusion entre les sphères politiques et économiques, une tendance héritée du régime précédent et poussée à son paroxysme avec la guerre. En 1996, les partis au pouvoir, pour la plupart, contrôlaient la vie économique, décidaient de l’allocation des ressources et recouraient au clientélisme. Ils n’avaient aucun goût pour la transparence, le libéralisme et les privatisations sauf si elles leur permettent de s’accaparer des ressources. En conséquence, le passage à l’économie de marché ne pourrait se faire qu’en adéquation avec un processus de démocratisation plus avancé que la seule organisation d’élections ; il doit intégrer la lutte contre la corruption et le clientélisme. A cause de cet imbroglio politico-économique, le versement des fonds internationaux, trop peu contrôlé, parvenait à des personnes suspectées de crimes de guerre, exerçant des fonctions politiques et publiques importantes 5 . L’enjeu de la reconstruction économique de la Bosnie, au-delà de la privatisation et de l’émergence et du développement d’un secteur privé, réside dans la volonté de la part des institutions politiques de trouver les moyens de soutenir la capacité des institutions locales et des nouveaux entrepreneurs privés à générer des ressources locales. L’étude exhaustive d’un exemple local rend possible de dresser un tableau du processus de transition économique et d’en tirer les leçons qui sont généralisables à l’ensemble de la Bosnie et au Kosovo, dans le cas précis de Kalesija vu son retard de développement. 5 Révélation de Human Rights Watch en janvier 1997 : les individus impliqués dans le nettoyage ethnique de Prijedor bénéficiaient directement de l‘aide humanitaire et à la reconstruction versée par la communauté internationale. 143 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 144 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Propositions d’actions 1 – Rencontres, séminaires, interventions La seconde phase du projet prévoit une mise en débat de notre analyse à travers des rencontres dans les pays étudiés et d’autres pays qui connaissent un processus de transition vers la démocratie. Cette étape a pour but de tester notre grille d’analyse en la confrontant aux expériences des acteurs locaux : universitaires, fonctionnaires et acteurs de la société civile. Idéalement ces rencontres permettront aux différents acteurs locaux de se rencontrer et de dialoguer sur ce sujet mais il faut tenir compte des contextes politiques qui n’autorisent pas tous l’ouverture de tels débats. Dans ces cas, la présence de fonctionnaires d’Etat briderait l’échange, par conséquent il faudra envisager des rencontres séparées. • Cambodge Le Centre pour la Paix et le Développement (CDRI) au Cambodge a pour objectif d’accroître le dialogue politique et la conscience publique par la recherche appliquée liant la paix et la sécurité humaine avec la gouvernance et le développement. Le Centre travaille avec des fonctionnaires, des dirigeants de la société civile et des communautés locales aussi bien au niveau national que local. Il a développé un programme de formation «Travailler pour la Paix». Richard Pétris s’est rendu dans cette organisation fin juillet 2005 lorsque le CDRI a exprimé le désir de réfléchir sur des solutions propres au Cambodge pour les problèmes auxquels le pays doit faire face. Nous pourrions envisager d’organiser une rencontre au Cambodge où nous rassemblerions les membres de la société civile pour mettre en débat les conclusions de notre projet en présentant les experiences de plusieurs pays et réfléchir de façon plus approfondie sur les solutions cambodgiennes aux problèmes de gouvernance. (voir document en annexes) • Bosnie-Herzégovine Damir Hadzic, Tuzla, USAID, Programme de développement de la bonne gouvernance. Du fait de son identité et de sa position, il peut nous aider à réunir un cercle de responsables politiques bosniens, d’acteurs sociaux et d’expatriés qui travaillent dans les organisations internationales pour mettre en débat notre grille d’analyse et la confronter aux expériences de chacun. Un village de la région présente l’exemple très intéressant d’une collectivité locale (Mjesna Zajedna) qui s’est maintenue durant la guerre et dont la mobilisation des membres a permis un retour précoce des habitants dans leur village. Lea Esterhuizen, enseignante britannique, Master Droits de l’Homme Elle a effectué des visites régulières au village de son mari bosniaque où ils travaillent tous les deux à un projet d’action en faveur de la réconciliation et du développement local. Le village se situe à proximité de la mine de Omarska, qui servit de camp de concentration pendant la guerre. Aujourd’hui les deux communautés sont encore présentes et le silence est total entre les Musulmans anciennement détenus et les Serbes qui avaient mis en œuvre arrestations et tortures. Les informations recueillies au cours du projet Transitions et notamment les expériences mis en place peuvent nourrir les actions et les réflexions de l’association de Lea qui peut servir de cadre à une mise en débat avec les habitants des deux communautés. 145 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 (voir document en annexes) • Iran L’Ecole de la Paix est en relation avec 2 universités de Téhéran, Beheshti et Tabatabtai, et fera une mission exploratoire au mois de novembre 2005 pour étudier les termes d’un partenariat. Ces premiers contacts peuvent donner lieu à l’organisation de rencontres autour du thème de la transition démocratique. • Liban La perspective d’une mission fin octobre au Liban offre la possibilité de rencontrer les responsables d’institutions avec qui pourrait être organisée une rencontre sur la transition démocratique et la gouvernance au Liban. Des premiers contacts avec les professeurs de l’université Saint-Joseph et de l’Université du Liban sont pris. D’autres contacts sont en cours. • Chine S’agissant de ce pays, les contacts manquent pour le moment. Cependant compte-tenu des actions que la FPH mène dans ce pays, certaines d’entre elles peuvent peut-être servir d’appui aux actions de la seconde phase du projet. • Réseau Afrique, Ecole de la Paix La mise en place de ce réseau a pour objectif de structurer les actions en faveur de la paix en Afrique, en associant les Africains, adhérents de l’association, en tant qu’acteurs locaux. Les pays représentés dans le réseau sont : Rwanda, Algérie, Burundi, Cameroun, RDC, Centrafrique, Sénégal, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire. En s’appuyant sur les contacts avec des individus et des associations, il sera possible d’organiser les rencontres pour plusieurs mises en débat. • Global Responding to Conflict (RTC) est une organisation basée en Grande Bretagne qui travaille en partenariat avec trois centres régionaux: en Ouganda, au Cambodge et en Bosnie. Avec ces trois centres, RTC fournit des programmes de formation sur la transformation des conflits dans l’objectif de renforcer la capacité des acteurs locaux à travailler efficacement pour une paix dans la justice. Ils ont pris contact avec la Network University pour aider au développement d’un échange en ligne parmi les participants. Comme deux des centres régionaux sont dans des pays sur lesquels le projet des Etats en transition vers la démocratie porte, il serait judicieux de coopérer avec ce réseau afin de tester notre grille d’analyse soit dans un contexte en ligne ou lors d’une rencontre. Site de l’organisation www.respond.org The Network University (TNU) est un centre d’enseignement mutuel situé au sein de l’Université d’Amsterdam aux Pays Bas. Etabli en mai 1999, il s’est transformé en un acteur principal d’enseignement en ligne dans le domaine de la résolution des conflits. Son cours pilote «Transformer les Conflits Civils» a reçu la bourse EMPIRE (Enseignement d’exception) dans le domaine des études sur la sécurité en 1999 et 2000 de l’International Security Network en Suisse. Le centre a jusqu’à maintenant donné 30 cours en ligne de quatre semaine chacun, à un public international, sur la résolution, la prévention et 146 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 l’analyse des conflits. Par ailleurs il a tenu plusieurs débats en ligne sur des sujets tels que la résolution des conflits, l’expansion européenne et les études de genre et l’analyse des conflits. Au cours des dix dernières années le centre a établi un large réseau de participants venant de 40 pays différents concernés par la transformation des conflits. 2 – Formation, diffusion • Réseau UNESCO, Ecole de la Paix L’Ecole de la Paix intervient dans plusieurs universités européennes sous forme de modules d’enseignement sur l’analyse des conflits, la culture de la paix, la culture démocratique, la médiation, le vivre-ensemble. Les universités suivantes permettent un programme d’enseignement sur les processus de transition vers la démocratie à des étudiants et des professionnels de l’action humanitaire : • Université Lumière-Lyon 2 « Promouvoir une culture de la paix » (15h) Université Pierre Mendés France Grenoble 2 « Conflits et processus de médiation » (12h) Université d'Innsbrück, Autriche, séminaire de 10 jours « Gestion politique des conflits et constructions démocratiques » (proposition) Universités Lyon 1 et Aix-Marseille 2 « Le contexte politique de l’action humanitaire » (16h) Université Paris I Panthéon Sorbonne « Crises : interventions d’urgence et actions de développement »(18h) Proposition de cours par Internet « La transition vers la démocratie » Ce cours est destiné aux personnes qui sont quotidiennement confrontées à des situations de transition. Il permet à la fois de disséminer ces informations et de tester leur pertinence dans plusieurs zones géographiques. Claske Dijkema enseigne depuis plusieurs années auprès d’un établissement d’enseignement en ligne situé à Amsterdam, The Network University (TNU). Ce cours en ligne n’est pas seulement un outil éducatif mais aussi un instrument de discussion en réseau et un outil de recherche. Objectifs • Tester le cadre théorique développé concernant les pays en transition; • Soutenir les personnes travaillant dans des situations de conflit en échangeant sur les améliorations possibles des pratiques; • Combiner l’expérience de terrain des participants avec les recherches existantes. Recherche-action Le cours va générer des informations de terrain considérables étant donné que les participants devront écrire et débattre de leur expérience de vie et de travail dans les situations de transition. Les données rassemblées peuvent nourrir la recherche actuellement menée sur les transitions post-conflit. Si la communication entre les différentes institutions impliquées dans l’analyse des conflits va en s’accroissant, entre les institutions de recherche et les organismes actifs dans la transformation de conflit et dans les transitions, il y a en revanche de fortes lacunes de communication. Ce programme de recherche 147 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 constituera ainsi un effort commun de l’Ecole de la Paix et de nombreuses institutions régionales pour collaborer et faire se rapprocher des communautés isolées. Public visé Le cours est destiné tout d’abord aux étudiants et professionnels travaillant pour les organisations de la société civile et le secteur public dans les pays en transition. D’autre part, le cours est ouvert aux personnes travaillant pour des organisations locales et internationales qui ont un intérêt à la transformation des conflits, comme par exemple des personnes responsables de la sécurité, de l’aide humanitaire, de la coopération internationale ou des groupes de femmes. Les participants peuvent être des universitaires, des étudiants, des techniciens du développement, des décideurs politiques, des fonctionnaires d’Etat, des personnes travaillant dans les média et la communication, etc. Déroulement Chaque semaine de cours traite d’un élément du processus de transition. Le cours sera composé de texte, de devoirs, d’un forum de discussion et d’une base de donnée. En utilisant ce matériel, les participants échangeront tout en étant guidés par des modérateurs. Le cours durera de quatre à six semaines et les participants auront dix heures de cours hebdomadaires. Chaque semaine les participants doivent rendre un devoir qui conduira à une mise en débat des approches offertes. La personne interviewée sera la “personne source” pendant la discussion. Les contacts établis durant le cours offrent une bonne opportunité d’actions futures. Par exemple, suite à un cours donné précédemment, Richard Pétris a rencontré à Phnom Phen un participant. L’organisation de formation et de recherche au sein de laquelle il travaille offre la possibilité d’organiser une conférence sur la bonne gouvernance. (voir document en annexes) • Le centre international des Sciences de l’Homme de l’UNESCO à Byblos, Liban Issu de la réflexion menée à partir de 1998 par l’UNESCO sur la démocratie et le développement, le centre de Byblos a été créé en 2002 pour coordonner ses actions : le thème général du programme, « Démocratie et culture de paix », est divisé en 3 axes : - la recherche analytique comparée (formation à la recherche, direction de recherche, Ecole automnale de Byblos) - les dialogues internationaux et les analyses prospectives (conférences, séminaires et publications) - soutenir la démocratie dans les sociétés en situation de post-conflit Dans leur travail d’analyse et de propositions d’actions, le Centre de Byblos et l'Ecole de la Paix adoptent la même démarche : l’accompagnement des processus de paix privilégie trois points d’attention : la bonne gouvernance, le développement durable et le rôle de la société civile. L’implantation de la démocratie pose problème par manque de prise en compte des spécificités culturelles. Seule une bonne connaissance des structures sociales peut permettre une bonne adaptation de la démocratie. Octobre 2005 : Le Centre de Byblos se réunit en colloque-bilan de ses 4 premières années d'activité les 27, 28 et 29 octobre à Byblos. Cette réunion sera l'occasion de décider des nouvelles activités 148 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 du Centre. C'est l'occasion pour l'Ecole de la Paix de faire les premier pas d'une collaboration future : rencontrer tous les responsables et leur présenter ses activités. Et au-delà : le travail sur les processus de transition de l’Ecole de la Paix peut alimenter : - les publications du Centre et ainsi diffuser ses résultats (Revue Lettres de Byblos) - les conférences publiques (2008 Democracy and Culture) - les programmes de formations : Autumn School, Tutorship programme. • Afrique The African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (ACCORD) en Afrique du Sud est une organisation internationale de la société civile qui travaille sur tout le continent pour apporter des solutions africaines appropriées aux défis posés par les conflits africains. Le Centre donne principalement des formations sur l’analyse, la gestion et la résolution des conflits. Il possède aussi une unité de recherche qui publie un magazine «Conflict trends» et un « Journal on African Conflict Resolution». Site du Centre www.accord.org.za. L’University of South Africa (UNISA) est déjà un partenaire de la FPH (selon la fiche de suivi de la FPH) et pourrait aussi se révéler être un partenaire utile afin de fournir un réseau d’étudiants avec lesquels échanger sur les résultats du projet de recherche. Ses étudiants viennent de toute l’Afrique. Elle a contacté la Network University en mai 2004 dans l’objectif de développer des cours en ligne pour ses étudiants. Un cours sur la transition post-crise pourrait éventuellement les intéresser. • Fondation Soros La collaboration envisagée avec la Fondation Soros se fonde sur le programme de soutien à l’enseignement universitaire international (International Higher Education Support Program) à destination des étudiants chercheurs locaux pour rendre possible et valoriser leurs travaux. Dans cet objectif, il distribue des bourses d’enseignement et de recherche, sur place et à l’étranger, il apporte une aide à la constitution de réseaux universitaires locaux, régionaux et globaux, il organise des séminaires régionaux pour nourrir les programme d’enseignement universitaire. Le programme prévoit également un soutien financier à des institutions. Il concerne un réseau d’institutions essentiellement en Asie centrale, Europe centrale et orientale. 149 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 150 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Quelques autres initiatives sur le sujet Thématique générale Conférences 30 - 31 mai 2005 Université de Paris 1 (M.S.E.) 3e Colloque du Programme Pluriformation “ La Transition ” : la transition : quelles relations entre économie de marché et démocratie politique ? Après un 1er colloque consacré au processus de transition (2003) et un 2e colloque sur le changement institutionnel (2004), le PPF “ La transition ” centre son colloque terminal sur l’analyse des relations réciproques entre le passage à une économie de marché et la mise en place d’un régime politique démocratique. http://216.239.59.104/search?q=cache:RvlvLDQbboYJ:www.dree.org/elargissement/Program mesS%C3%A9minaires/0505ColloquePPFParis1.doc+3e+Colloque+du+Programme+Plurifor mation+%E2%80%9C+La+Transition+%E2%80%9D+:&hl=fr 1-3 novembre 2004, Harvard Harvard University "Settling Accounts? Truth, Justice, and Redress in Post-conflict Societies" Thèmes abordés : Representing and teaching the violent past: reconciliation and history education, Faith tradition and reconciliation in Cambodia, Symbolic reparations in the aftermath of political conflicts, Re-evaluating legal histories of mass human rights violations: the historical accounts of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia. 1-4 octobre 2003, Mississippi University of Mississippi "First International Conference on Race: Racial Reconciliation" Réconciliation aux Etats-Unis mais aussi en Afrique du Sud, Zimbabwe 18-20 novembre 2002, Stellenbosch (South Africa) Science and Human Rights Programm, Center for the Studies of Violence and Reconciliation "Empirical Research Methodologies of Transitional Justice Mechanisms" The goal of this conference was to address issues related to studying the impacts of transitional justice mechanisms, such as truth commissions, on society. As truth commissions become popular transitional justice mechanisms, critical questions arise as to how researchers can (and should) evaluate their impact on society. Publications Junne, Gerd and Verkoren, Willemijn Postconflict Development, meeting new challenges, Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2005 Elin Skaar, Siri Gloppen, and Astri Suhrke, Roads to reconciliation, Lexington Books, NY/Oxford, 2005 Max Barlow, Transition démocratique et démocratie locale : une occasion manquée., Doris Wastl-Walter (ed.), New Challenges in Local and Regional Administration, 2004. 151 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 http://216.239.59.104/search?q=cache:zSMpIjVBJ8J:www.espacestemps.net/document942.html+transition+d%C3%A9mocratique&hl=fr centres et programmes de recherche CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales ) En février 2001, nous avons lancé dans le cadre du CERI un groupe de recherche " Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding ". Ce groupe avait pour but de susciter une réflexion comparative et trans-disciplinaire, à la fois sur les processus de violences extrêmes et les perspectives de reconstruction dans les pays qui ont connu de telles crises. http://www.univ-reims.fr/Labos/CERI/Qui_sommes_nous.htm ICG : international crisis group One of the thematic issues : democratisation The transition to a representative, democratic political system is an important aspect of both conflict prevention and post-conflict peace building. Many of Crisis Group's reports and briefing papers consider various aspects of democratisation. This project brings together our most useful resources on this topic. The following is a collection of our most useful resources on democratisation. Due to the broad nature of the concept "democratisation", we have divided our resources into four categories for easy reference: elections, governance, institution building, and judicial and constitutional reform. Afghanistan, Zimbabwe, Guinée, Kyrgystan, Indonesia, Georgia, Kosovo, ….. http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=3489&l=1 L'Institut Panos Paris, créé en 1986, est une organisation non gouvernementale spécialisée dans l'appui au pluralisme médiatique. Il a pour objectifs de • renforcer les médias des pays du Sud (Afrique centrale, Maghreb et Méditerranée, Afrique de l'Ouest dans les années 1990) et leurs capacités à produire et à diffuser, en relation avec toutes les composantes de la société civile, une information pluraliste, gage d'une culture de paix et de démocratie ; • à appuyer la production d'informations sur certains thèmes prioritaires (paix, bonne gouvernance, droits de la personne, migrations…), favoriser l'expression des journalistes et leaders d'opinion du Sud et du Nord sur ces questions, provoquer des débats publics sur ces thématiques, au Nord, au Sud et à l'intersection entre ces deux espaces ; • à susciter et alimenter une réflexion critique sur les enjeux de l'information et de la communication dans un monde globalisé, profondément transformé par le développement des technologies de la communication. L'Institut Panos Paris est membre du Panos Council, instance souple de concertation qui regroupe neuf entités Panos de par le monde. http://www.panosparis.org/fr/presentation.php Appels d'offre United States Institute of Peace Bourse pour des recherches portant sur la Paix : quels sont les liens entre guerre et démocratie ; comment cette dernière influence la nature et le niveau d'un conflit. http://www.usip.org/grants/ 152 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Joseph Rowntree Charitable Trust Bourse pour des recherches portant sur la paix, la justice et la réconciliation en Afrique du Sud et en Irlande http://www.jrct.org.uk/core/policy.htm Europe centrale et orientale Conférences : 20-21 octobre 2005, Genève Association Bosnia and Herzegovina 2005 "Bosnia and Herzegovina, 10 years of Dayton and beyond" http://www.bosnia2005.org/conference/region.html 17 juin 2005, Paris (Conseil de l’Europe) « Serbie-Monténégro : bilan d’une transition démocratique délicate et perspectives d’avenir.” Synthèse de Lucas Delattre Publié dans la presse : 17 juin 2005 http://216.239.59.104/search?q=cache:jCB3pfQnl2YJ:www.balkans.eu.org/article5654.html+ transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr 18-19 juin 2004, Londres School of Slavonic and East European Studies, University College London "Rethinking the Dissolution of Yugoslavia" Analyses focused on specific aspects of the disintegration, such as the role played by ideology and culture, local and personal histories, or the policies of domestic and international actors. Reassessment of the causes of Yugoslavia's dissolution and the scholarly debates to which it has given rise, and examine both longer-term historical factors and the role of structure, agency and contingency in the dissolution process. http://www.ssees.ac.uk/yugoconf.htm 18-20 mai 2001, Belgrade B92 (groupe de média serbe) "In Search of Truth and Responsability, Toward a Democratic Future" The varied experiences of truth and reconciliation commissions from Latin America, South Africa and Asia suggest there is no universal model for responding to the challenges of the past. Also of value are the diverse experiences of post-Communist Eastern European countries in embarking on the process of adopting democracy and confronting their own pasts, with varying degrees of success. Clearly, justice in times of transition is a notion which cannot be automatically replicated or applied. However, there exists a consensus: namely that, in both social and political terms, one cannot strive towards a better future if burdened by the lies and concealed crimes which strike at the heart of humanity itself. The conference "In Search of Truth and Responsibility - Towards A Democratic Future" gave us the opportunity to examine and reconsider the various ways in which truth and reconciliation commissions have worked. This in turn will have a far-reaching and profound impact on the wider public debate about this issue within Yugoslav society http://www.b92.net/trr/eng/ 153 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Appels d'offre Juin 2005 Direction des Affaires Stratégiques, Ministère de la Défense "L'encadrement des Etats faillis par la communauté internationale Publications François Frison-Roche , Le "modèle semi-présidentiel" comme instrument de la transition en Europe post-communiste : Bulgarie, Lituanie, Macédoine, Pologne, Roumanie et Slovénie., Bruylant, 2005, 576 pages http://www.colisee.org/article.php?id_article=1940 McFaul Michael, Perov Nicolai, Ryabov Andrei, Between Dictatorship and Democracy Russian Post-Communist Political Reform, Carnegie Endowment for International Peace, 2004 But did the processes unleashed by Gorbachev and continued under Russian President Boris Yeltsin lead eventually to liberal democracy in Russia? If not, what kind of political regime did take hold in post-Soviet Russia? And how has Vladimir Putin’s rise to power influenced the course of democratic consolidation or the lack thereof? Between Dictatorship and Democracy seeks to give a comprehensive answer to these fundamental questions about the nature of Russian politics. Gautier Pirotte, Une société civile post-révolutionnaire : étude du nouveau secteur ONG en Roumanie : le cas de Iasi, 223 pages, janvier 2003 RESUME : Cet ouvrage aborde, par l'étude du nouveau secteur des organisations non gouvernementales de Roumanie (en particulier dans la ville de Iasi), l'adoption du projet de création d'une société civile dans le contexte si particulier des transitions économiques et des réformes institutionnelles visant l'instauration d'une économie de marché et d'un régime démocratique dans ce pays. http://www.bief.org/index.cfm?fuseaction=C.Titre&Tid=12904&E=349 Collectivisme et transition démocratique. Les campagnes roumaines à l'épreuve du marché. Mircea Vultur Publié par les Presses de l'Université Laval, 2002, 188 pages http://www.fl.ulaval.ca/celat/hors_vultur.htm Centres et programmes de recherche ARI est un forum de recherche interdisciplinaire qui regroupe les chercheurs du CERI à Paris et les chercheurs en sciences sociales des différentes facultés de l'Université de Belgrade. Les thèmes de recherche porteront, dans un premier temps, sur les différentes problématiques liées à la transition démocratique et à l'intégration européenne de la Serbie-Monténégro. Il s'agira, à terme, d'élargir les thèmes de recherche d'ARI aux autres enjeux européens et internationaux d'actualité débattus sur la scène universitaire. http://216.239.59.104/search?q=cache:p3hzvjZztJoJ:www.france.org.yu/article.php3%3Fid_a rticle%3D858+transition+d%C3%A9mocratique+recherche&hl=fr Faculté de Clermont - Observatoire des Mutations de l’Etat dans l’Espace Européen • Axe "Etat Nation Territoire" 154 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 • Axe "Droits fondamentaux et Transition Démocratique" • Axe "Relations Internationales et construction européenne" Date de création de l’Equipe : 2004 Les thèmes de recherche (2/6) • Le développement de la protection des droits fondamentaux en Europe de l’Est (Axe "Droits fondamentaux et Transition Démocratique") • L’essor de la justice constitutionnelle en Europe de l’Est (Axe "Droits fondamentaux et Transition Démocratique") http://www.u-clermont1.fr/?Id=29&Lang=fr Center for Democratic Transition, East West Parliamentary Practice Project (Monténégro) "Legislatures and Citizens: Strengthening democratic institutions and civil society in the Western Balkans" Three-year program, aimed at assisting the parliaments and NGOs of the Western Balkan countries to improve the functioning of democratic institutions and civil society participation in the decision making process. This programme aims to assist the Western Balkan countries in the difficult process of transition. http://www.csvr.org.za/projects/truthcom.htm Monde arabe Conférences : 15 Avril 2005, Paris « La transition démocratique au Maroc une révolution silencieuse? » organisée par AMGE-Caravane animée par Pierre VERMEREN, normalien agrégé d’histoire et spécialiste du Maghreb. http://216.239.59.104/search?q=cache:mh9uQIEiTCMJ:www.amgecaravane.org/+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr 17 mars 2005, Paris Transition démocratique dans le Golfe Persique: Illusion ou réalité ? Jean-François SEZNEC Professeur à SIPA, Columbia University Introduction par : Gilles KEPEL Professeur des Universités, Sciences Po http://216.239.59.104/search?q=cache:gTetqrcG7U4J:americancenter.sciencespo.fr/en/activities/activities/affiches/2005-03-17-transdemocratique.pdf+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr 22 février 2004, Al Hoceima (Maroc) « Le Rif, la vérité et la réconciliation possible » Colloque scientifique par le journal «Al Yassar Al mowahad» (Gauche unifiée) Axe 1 : vérité et justice lecture dans le processus marocain Axe 2 : réconciliation et transition démocratique : spécificités : cas du rif http://216.239.59.104/search?q=cache:4Z8j7Yazcs0J:www.yabiladi.com/article-agenda55.html+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr 155 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Afrique Conférences 22 juin 2005, Bruxelles organisé par l’Institut Panos Paris et par le Grip Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs. Quel appui aux dynamiques en cours ? Programme Médias pluralistes pour la paix et la démocratie en Afrique Centrale http://www.panosparis.org/fr/doc/Programme_Conference_FR_06_06_05.pdf Publication La transition en République Démocratique du Congo : Bilan, enjeux et perspectives Sous la direction de Mwayila Tshiyembe, Etudes africaines, juillet 2005 Deux causes objectives peuvent expliquer pourquoi le calendrier des élections avant la date du 30 juin 2005 n'a pas été tenu: le contexte de la transition et les acteurs de la transition. Cet ouvrage en dresse le bilan : bilan de la formation d'une armée nationale, bilan économique, des Droits de l'homme et de la justice, de la réconciliation nationale, du soutien de la communauté internationale. Il s'interroge ensuite sur les enjeux et perspectives, au-delà de la transition: quel Etat et quelle gouvernance ? quel défi économique, social, culturel ? http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=19600 RDC : La justice sacrifiée sur l’autel de la transition démocratique, Rapport publié par la FIDH le 29 juin 2004 Il présente les enjeux et perspectives, après l’annonce de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Procureur. Depuis 3 ans, la FIDH et ses organisations membres en RDC se penchent sur la problématique de la Justice et de la transition démocratique dans ce pays. http://216.239.59.104/search?q=cache:b3BPhHY3xloJ:www.fidh.org/article.php3%3Fid_artic le%3D1477+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr Connell, Dan Building a new nation, Collected articles on the Eritrean Revolution (19832002), Vol.2, The Red Sea Press, Inc., Trenton NJ, 2004 centres et programmes de recherche Centre de recherche et d'Etude sur les Pays d'Afrique Orientale (CREPAO) de Université de Pau et des Pays de l’Adour objectif : ouvrir la recherche française en sciences sociales et humaines sur des espaces nonfrancophones : l’Afrique orientale et australe anglophone et lusophone Le CREPAO a le statut d'équipe "d'accueil" du Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche , et constitue l'un des interlocuteurs privilégiés du Ministère des Affaires Etrangères dans le domaine du soutien à la recherche scientifique en Afrique orientale et australe Les thèmes de recherche menés au CREPAO portent sur l'analyse de la construction de l'Etat (transition démocratique, administration locale), les relations entre religion et politique (place des communautés musulmanes et des Eglises chrétiennes dans la société estafricaine), les politiques de l'environnement (ressources naturelles, eau, ville...) et les relations internationales (insertion de l'espace est-africain dans les systèmes transnationaux). Les programmes de recherche actuels sont plus particulièrement centrés sur : • La gestion de l'eau (responsable : B. Contamin) 156 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 le problème de la crise et recomposition du monde urbain (responsables : H. Maupeu et C. Thibon) • les mobilisations et médiations politiques (reponsable : J. Lafargue) http://www.univ-pau.fr/RECHERCHE/CREPAO/lecrepao.htm • Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) Institut sur la gouvernance démocratique Thème : les média dans la gouvernance africaine L’Institut sur la Gouvernance démocratique du CODESRIA est un forum interdisciplinaire de chercheurs africains travaillant sur le large thème de la gouvernance. Le but de cet institut est de promouvoir la recherche et le débat sur des questions relatives à la conduite des affaires publiques et à la gestion du processus de développement en Afrique. Asie Conférences : 30-31 juillet 2005, San Francisco Association of Chinese Political Studies "International Symposium on China's Transition and Ascension" Thèmes abordés: China's democratic transition, State-Society Relations in Transition, New Trends in Developing a Modern System of Political Legitimation… http://acps.sfsu.edu/acps/meetings/ACPS2005/ACPS%2018th%20meeting.htm 17 janvier 2002 Afghanistan and Beyond : The challenges of Reconstruction, Organisé par the Carnegie Endowment for Peace www.carnegieendowment.org/events 25 septembre 2002, Washington DC Center for Strategic and International Studies, National Committee on United State-China Relations, Carnegie Endowment for International Peace "China in Transition, a Look Behind the Scene" Thèmes abordés: A Historical Perspective on China's Domestic Transitions - Challenges to Legitimacy: The Party in Transition - Off the Beaten Track: Rural China in Transition http://www.carnegieendowment.org/events/index.cfm?fa=eventDetail&id=522&&prog=zch Publication Ho Peter, Institutions in Transition: Land Ownership, Property Right and Social Conflict in China, Oxford University Press, Oxford, 2005 Feillard, Andrée, Indonésie : la transition démocratique, La Documentation française, collection « Problèmes politiques et sociaux » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/informations/presse/2002/indonesie.shtml Appels d'offre Direction des Affaires Stratégiques, Ministère de la Défense, 2005 157 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 "Afghanistan: Les défis de la stabilisation politique et militaire après l’élection présidentielle" Amérique latine Conférences 15-23 avril 2004, Mexico La réconciliation en temps de transition : le rôle des parlementaires et des structures interparlementaires Préparé pour la 110ème Assemblée de l’Union Interparlementaire (UIP) http://www.idea.int/conflict/upload/La_Reconcilation_en_temps_de_transition_IDEAlogo.pdf Publication ALIJANI Sharam, Transition démocratique, crises et réformes dans les pays émergents. Etude comparative et institutionnelle de l'Argentine et du Mexique. Date de la soutenance : 26/05/05 Résumé : Cette thèse a pour objet d’apporter de nouveaux éclaircissements à la problématique de la transition démocratique en prenant pour références deux des principaux pays émergents d’Amérique latine ; l’Argentine et le Mexique. Menée dans un cadre historique et comparatif, cette étude met en lumière l’économie politique de la transition démocratique en s’appuyant sur un large corpus de sciences économiques et politiques. Nous avons mis en résonance la relation entre le contexte économique, les intérêts des acteurs sociaux et les institutions représentatives telles que les partis politiques. http://www.univ-mlv.fr/recherche/presentation/soutenances.php?date=2005/05/26&num=217 158 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Sources Les ouvrages Ackerman, Peter and Duvall, Jack A force more powerful, a century of nonviolent conflict, Palgrave, New York, 2000. Barber, James South Africa in the Twentieth Century, Blackwell Publishers, Oxford, 1999. Béja, Jean-Philippe A la recherche d'une ombre chinoise, le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004), Seuil, L'histoire immédiate, 2004. Calame, Pierre. La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Ed. CharlesLéopold Mayer, Descartes et Cie, Paris, 2003. Chua, Amy World on Fire, How exporting free market democracy breeds ehnic hathred and global instability, Anchor Books, New York, 2004. Connell, Dan Building a new nation, Collected articles on the Eritrean Revolution (19832002), Vol.2, The Red Sea Press, Inc., Trenton NJ, 2004. Fazelly, Kacem L’Afghanistan du provisoire au transitoire. Quelles perspectives ?, Langues Mondes –l’Asiathèque, Paris, 2004. Hurbon, Laënnec (sous la direction de), Les transitions démocratiques, Actes du Colloque International de Port-au-Prince, Haïti, Ed. Syros, Paris, 1996. 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New York and London 1997. 159 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Solioz, Christophe et Dizdarevic, Svebor André La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, L'Harmattan, Paris, 2003. Yan Chen L'éveil de la Chine, les bouleversements intellectuels après Mao (1976-2002), Editions de l'Aube, 2003. Les publications des institutions, la presse et les périodiques African Center for the Constructive Resolution of Disputes Revue African Journal on Conflict Resolution Revue Conflict Trends Berghof Research Centre for Constructive Conflict Management Berghof Handbook for Conflict Transformation CEMOTI The Centre for Peace, Non-violence and Human Rights, Osije, Croatie. Centre d'Etudes sur les Conflits Revue trimestrielle de sciences politiques, Cultures et Conflits (St Ouen, France) CERI, Institut d'Etudes Politiques, Paris Revue Critique Internationale Carnegie Endowment for Peace European Centre for Conflict Prevention, Utrecht, Pays Bas European Platform for Conflict Prevention (and Peacebuilding activities) Freedom House, ONG basée à New York, Washington, Budapest, Bucharest, Belgrade, Kiev, Varsovie. L'Institut Français d'Etudes sur l'Asie centrale (IFEAC), Tachkent Les Cahiers d'Asie centrale, Editions Edisud, Aix-en-Provence International Crisis Group International Peace Academy (United Nations University) and Carr Center for Human Rights Policy (Harvard University) Programme on Making States Work The Journal of Peace Research, Sage Publications, International Peace Research Institute, Oslo. The London School of Economy, The centre for the Study of Global Governance Crisis States Programme development research center Revue Journal of International Sudies Réseau Pax Christi International Revue Foreign Affairs Revue Journal of Democracy Revue ORBIS, A Journal of World Affairs. Foreign Policy Research Institute. SOAS (School of Oriental and African Studies), University of London, Centre for Development Policy and Research (CDPR) Stanford University, Californie, Etats-Unis Center on Democracy, Development and The Rule of Law (CDDRL) Center for International Security and Cooperation (CISAC) Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Institut d'Etude du Développement Econmique et Social (IEDES) Université de Californie de Berkeley, département de Science politique Université de Princeton, publications en ligne 160 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Texte de recherche n°46 Contre-pouvoirs et démocratisation : Une étude comparative du rôle des syndicats et des associations dans 4 pays (Algérie, Bosnie-Herzégovine, Mexique, Roumanie) Une lecture critique de ces sources écrites est faite grâce aux entretiens avec des personnes de terrain: chercheurs, témoins, acteurs de la vie sociale, politique et économique. Les entretiens Svetlana Jacquesson, ethnologue, EHESS Kirghizstan, organisation sociale, relations de pouvoir, généalogies Guy Caussé, médecin, Médecins du Monde Afghanistan, système de santé, pratiques de légitimité Marie Mendras, politologue, CERI Russie, distribution du pouvoir, bureaucratie, oligarques Kathy Rousselet, CERI Russie, gouvernance Bruno Drweski, INALCO Pologne, sociologie du changement, héritage soviétique Dominique Colas, CERI PECO, gouvernance Karim Pakzad, IRIS et PS Afghanistan, Iran et Irak, élections, états en transition Béatrice Pouligny, CERI Opérations de l’ONU et populations locales Mme Goucha, UNESCO Démocratisation Eric Brunat, PNUD Ex-URSS, transition politique et économique Michel Lelièvre Le Salvador JF Leloutre Missions d’observation des processus électoraux Maurice Goldring Université Paris-VIII-Saint-Denis, Irlande Général Hugues de Courtivron (er), DCAF Bosnie-Herzégovine, développement, démocratie Dr. Hans Born, DCAF Europe de l’Est, contrôle civil des forcés armées François Ponchaud Prêtre des Missions Etrangères de Paris, a vécu 40 ans au Cambodge 161 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 162 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Annexes Annexe 1 Proposition de cours par Internet Annexe 2 Agir au Cambodge Annexe 3 Agir en Bosnie Herzégovine Annexe 4 Agir en Colombie 163 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 164 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Annexe 1 Proposition de cours par Internet « La transition vers la démocratie » Proposition de programme : 1. Introduction Définition et typologie des transitions : post-conflit et post-communistes : pourquoi les étudier ensemble? Vue d’ensemble de 10 études de cas : Afghanistan, Afrique du Sud, Bosnie-Herzégovine, Cambodge, Chine, Ethiopie, Ouzbékistan, Pologne, Russie, Salvador. Approche de l’analyse des transitions : sociologique et anthropologique. 2. Origine de l’impulsion pour le changement Facteurs internes, externes et combinaison des deux. Convergence d’intérêts. La légitimité de l’intervention étrangère. 3. La représentation du pouvoir La relation au pouvoir : stabilité des modèles de pouvoir et définition des groupes identitaires (généalogies, ethnies, classes sociales, territoires…). La quête de légitimité : électorale, traditionnelle, idéologique, économique ; personnalisation du pouvoir. Mise en débat : comment la démocratie peut s’adapter aux modèles politiques traditionnels ? 4. La construction de l’Etat Etat, démocratisation, mondialisation et sécurité. L’Etat importé. L’émergence d’un pouvoir central : comment fédérer la multitude des pouvoirs sur le terrain en un centre unique? Interdépendance, partage du pouvoir, décentralisation. Les conditions d’un pouvoir stable. Les processus instituants : quelle collectivité ? quelle identité nationale ? comment est organisé le bien public ? Mise en débat : L’absence de volonté de vivre ensemble dans certains pays doit-elle conclure à la nécessité de revoir les frontières ? L’origine des Etats pose parfois problème dans le cas de leur création par des puissances étrangères. 5. La société civile Les ferments de la démocratisation dans les structurations et modes d’organisation locaux ? Place particulière des diasporas. Mise en débat : L’opportunité de susciter la participation de la population par des moyens étrangers à ces sociétés. 6. Economie Mondialisation, quelle autonomie des politiques économiques nationales ? Création d’un secteur privé Mise en débat : L’économie comme vecteur de démocratisation. 165 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 166 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 167 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Annexe 2 Agir au Cambodge Les conditions dans lesquelles se réalise la reconstruction matérielle et humaine du Cambodge sont inquiétantes et préoccupent de nombreux observateurs. Les dégâts de la guerre sont encore présents ; le redémarrage de l’économie s’est traduit par un véritable pillage des ressources du pays qui se poursuit ; plus gravement, peut être, l’histoire se répète et recrée les conditions d’une nouvelle explosion. Peut-il y avoir un avenir pour le Cambodge ? Dans un tel contexte, on est impressionné par la convergence des points de vues entendus sur la situation politique et morale. Le pouvoir est accusé de mettre le pays en coupe réglée, de se montrer insensible aux besoins du peuple, de manipuler tout le monde (la royauté, la religion bouddhiste, la communauté internationale, etc.), de ne pas avoir le sens des responsabilités et de vision globale, d’apparaître tel un « mur » contre lequel on ne peut rien et de ne pas hésiter à aller jusqu’à l’élimination physique des opposants. Respect des droits de l’homme, développement et transformation sociale et renforcement de l’Etat de droit sont les principaux progrès qui devraient être faits pour que le pays sorte véritablement de la guerre. Comment y parvenir ? Le leitmotiv fait penser à une sorte de « réarmement moral » qu’il faudrait organiser en misant sur l’éducation et la formation des jeunes qui sont l’avenir du Cambodge : nécessité, à la fois, d’une éthique et de connaissances techniques. Nos interlocuteurs principaux oeuvrent déjà auprès de différents publics ou souhaiteraient être aidés dans ce sens. Sur le plan politique, le problème de la gouvernance est clairement évoqué en même temps que ses liens avec, notamment, le développement social, le processus démocratique, la décentralisation. Contacts au Cambodge Nous devrions pouvoir miser sur des relations anciennes ainsi que sur de nouveaux acteurs motivés. François Ponchaud, prêtre des Missions Etrangères de Paris - MEP Thun Saray, Président de la Cambodian Human Rights and Development Association – ADHOC Lao Mong Hay, Chef du département juridique du Center for Social Development Sopheak Ok Serei, analyste politique et consultant pour la construction de la paix Virorth Doung et Sedara Kim, chercheur du Centre for peace and development du Cambodia Development Resource Institute - CDRI 168 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 169 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Annexe 3 Agir en Bosnie-Herzégovine La conférence Ten years of Dayton and Beyond qui s’est tenue à Genève les 20 et 21 octobre 2005 a permis de confirmer l’intérêt de la part des acteurs de la transition en BosnieHerzégovine pour notre travail et leur enthousiasme pour l’organisation de rencontres. Ils dénoncent en effet « l’agression sophistiquée qui a été portée contre les esprits », la propagande nationaliste qui les a convaincu qu’ils ne pouvaient pas vivre ensemble. « Le conflit a été importé et demeure jusqu’à aujourd’hui ». Ainsi la méfiance est bien réelle et pousse les gens à agir – et en l’occurrence voter – contre leurs intérêts. Ils s’interrogent comment « dégeler » les consciences. Les contacts suivants nous permettront, dans un premier temps, d’ouvrir le dialogue, sur la base du travail d’analyse déjà réalisé, avec des militants des partis citoyens, des professeurs d’université, des étudiants, des fonctionnaires et des acteurs de la société civile. Dans un second temps et à partir des contacts qu’auront permis ces premières mises en débat, il sera possible de mettre en place des formations. Trois rencontres sont envisagées à Sarajevo, le centre historique du cosmopolitisme yougoslave, Tuzla, la ville où les partis citoyens ont su résister aux partis nationalistes et Banja Luka en Republika Srpska. Contacts en Bosnie-Herzégovine : Srđan Dizdarević, vice-président de International Helsinki Federation, Sarajevo. Jovan Divjak, directeur, Education Builds, Association Bosnia and Herzegovina, Sarajevo. Ibrahim Prohić, psychologue et analyste politique, quotidien Oslobođenje, Tuzla. Dragoljub Stojanov, professeur d’économie, Université de Sarajevo, Premier ministre du Gouvernement clandestin de Republika Srpska, Banja Luka, parti citoyen Alternativna Vlada. 170 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 171 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005 Annexe 4 Agir en Colombie On a l’habitude, depuis quelques années, de considérer la situation colombienne comme un « laboratoire de paix ». Sa « crise » a justifié que l’on cherche à mieux comprendre les origines et les mécanismes de la violence qui y sévit et il faut aussi relever les nombreuses initiatives de tous ordres qui sont prises, notamment par une société civile qui se cherche. Bien que ne faisant pas partie de la liste des pays dont nous avons choisi d’analyser la situation, le cas colombien mérite de constituer une référence particulièrement intéressante pour notre étude compte tenu qu’il peut clairement être observé sous son aspect de « sortie de conflit ». C’est ainsi, en effet, que peuvent être interprétées les initiatives prises par les autorités gouvernementales mais aussi celles de diverses organisations qui se mettent dans cette perspective. Contacts en Colombie Un partenaire de poids : le Centre de recherche et d’éducation populaire – CINEP, à Bogota Des personnalités qui comptent : Francisco de Roux, prêtre, directeur du Programme développement et paix du Magdalena Medio – PDPMM Henry Medina, général (CR), conseiller sécurité de la mairie de Bogota Ana Mercedes Gomez, directrice du journal El Colombiano, à Medellin Des potentialités importantes avec des universités, des fondations et autres organisations de la société civile, des collectivités locales 172 Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005