Tout  récemment  encore,  elle  a  mis  toute  son  énergie  au  service  de 
l’université  d’été  qui  sous  le  titre  «  Observation  et  pensée  »  a  le  mois 
dernier  réuni  à  Paris  Diderot  des  physiciens,  des  historiens  d’art,  des 
psychanalystes,  des  mathématiciens,  des  philosophes,  des 
astrophysiciens…  Une  fois  encore,  durant  cette  semaine  de  débats  et  de 
rencontres, Karine a su accomplir ce partage de l’intelligence sans lequel 
l’aventure de l’esprit n’est rien ou si peu. 
 
Car  elle  sait,  comme  peu  dans  notre  communauté,  que  rien  n’est  digne 
d’être  mis  au  jour,  d’être  pensé  peut-être  qui  ne  puisse  se  donner  en 
partage,  qui  ne  puisse  nourrir  l’intelligence  commune  qui  doit  faire 
avancer la recherche. De Rutgers à Stanford, de Palerme à Princeton, du 
Max  Planck  Institut  de  Berlin  à  Columbia,  elle  a  su  faire  rayonner  cette 
intelligence  du  partage et  a  su  rendre  lumineuse,  comme  évidente  cette 
injonction amicale d’ouverture au monde. 
Au  quotidien,  Karine  le  sait  aussi,  ceci  implique  de  souvent  pacifier  les 
passions,  lorsque  loin  de  nous  faire  oeuvrer  en  amitié,  de  nous  faire 
avancer ensemble, elles parasitent la pensée et nous rendent ennemis de 
nous-mêmes. 
 
Récemment,  alors  que  notre  université  était  parcourue  par  des  tensions 
graves,  embarrassantes,  elle  a  su  inlassablement,  patiemment, 
modestement,  retisser  les  liens  rompus  de  l’amitié,  elle  a  tenté 
l’impossible synthèse des contraires, elle a espéré dépasser les apories de 
l’institution.  De ces  moments  délicats,  je  garde de  Karine  le  souvenir  de 
son  sourire  calme  et  généreux,  de  sa  grande  patience  encore,  de  sa 
présence  discrète  et  obstinée  pourtant,  de  sa  volonté  de  croire  que 
dialoguer était possible, que concorder était un devoir, que 
l’amitié était à ce prix. 
 
“La  sensation  de  l’être  est  toujours  déjà  partagée  et  l’amitié  nomme 
justement  ce  partage”.  L’oeuvre  de  Karine  Chemla  —  son  oeuvre  de 
philosophe,  son  oeuvre  de  mathématicienne,  son  oeuvre  au  sein  de  la 
communauté universitaire et scientifique qui est la sienne — cette oeuvre 
nomme  ce  partage,  elle  le  rend  possible.  Cette  médaille  d'argent  te 
récompense,  puisse-t-elle  également  rendre  fier  tout  le  département 
Histoire  et  Philosophie  des  Sciences  qui  s'installe  dans  ses  nouveaux 
locaux  au  coeur  du  bâtiment  Condorcet,  ce  qui  rendra  possible  de 
nouvelles  occasions  de  partage.  Et  c’est  pour  cette  oeuvre  patiente  et 
passionnée,  exigeante  et  originale,  ambitieuse  et  subtile  que  nous  te 
sommes redevables, à Paris Diderot et au-delà et c’est pour cette oeuvre 
que  je  souhaite  aujourd’hui  te  dire  simplement  mon  admiration  et  mon 
amitié.