économie 973 - Gestion et Finances Publiques

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économie
Pierre LLAU
Professeur émérite d’économie des Finances publiques
Université Paris-Ouest - Nanterre-La Défense
Les stabilisateurs automatiques
relevant du domaine social
INTRODUCTION
R. M. Solow, Nobel d’économie en 1987, un des pères de la
théorie traditionnelle de la croissance exogène et auteur typiquement représentatif du Keynésianisme de la synthèse depuis les
années 1960, s’interrogeait à juste titre en 2002 (1) sur l’éclipse de
la politique budgétaire au sein du policy-mix, clé de la politique
conjoncturelle stabilisatrice. Le phénomène lui paraissait imputable au rôle analytico-prescriptif décisionnel du main-stream
développé par la nouvelle économie classique (NEC) [2]. Pour
cette dernière, le seul véritable objectif de la politique économique doit être le contrôle de l’inflation, tâche qui incombe à la
politique monétaire conduite par une banque centrale indépendante. « La politique budgétaire serait quant à elle, impraticable,
ou indésirable, voire l’un et l’autre » (3). Critiquant l’argumentaire
de la NEC, Solow aboutit à une conclusion quasi inverse : même
si la politique monétaire ne doit pas être négligée, la politique
budgétaire peut être un instrument utile. Il propose de revenir en
ce sens à une approche plus basique, omise à tort, celle dite des
stabilisateurs automatiques ou de la flexibilité incorporée.
Avec la crise mondiale actuelle, moins de sept ans après les propositions de Solow, les politiques budgétaires de relance, encore
récemment vouées aux gémonies, sont revenues sur le devant
de la scène, tant analytique que politique. Conformément aux
recommandations des organisations économiques internationales (FMI, OCDE...) ou nationales (par exemple FED ou CEA aux
USA...), ainsi qu’à celles de nombreux « ténors » de l’analyse de
la politique économique, nobélisés (J. Stiglitz, P. Krugman) ou non
encore (N. Roubini, O. Blanchard...), la politique budgétaire
active a retrouvé une nouvelle importance, tout au moins dans
les pays qui estiment avoir les moyens de la pratiquer. On sait
qu’en Europe, une mini-convergence de plans de relance juxtaposés (4) s’est faite jour avec des vigueurs nationales différenciées, ce qui a implicitement frappé d’obsolescence (provisoire ?) les exigences du Pacte de stabilité et de croissance,
jusqu’à la reprise... La France pour sa part a opté pour une politique budgétaire i.e. une politique de prélèvements obligatoires
et de dépenses publiques et sociales totales de l’ensemble des
administrations publiques (APU au sens d’EUROSTAT) à double
dimension. La première dimension est celle d’une relance budgétaire par une politique d’investissement public (primauté de
l’offre supposée inductrice de demande) et accessoirement de
consommation (renforcement de la demande par la création du
revenu de solidarité active, RSA, par un allégement fiscal ciblé,
par le relèvement des petites retraites...). La deuxième dimension
est l’insistance sur la prise en compte systématique des effets des
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stabilisateurs automatiques économiques et notamment sociaux.
La politique économique française, refusant pour le moment un
relèvement des prélèvements obligatoires, les déficits se creusent
d’autant plus que les dépenses publiques (nonobstant la norme
restrictive existante pour le seul Etat ou administration publique
centrale) et surtout sociales augmentent automatiquement avec
la récession/dépression mondiale, tout en se rappelant, caractéristique marquante du « modèle social français », que ces
dépenses totales sont en ratio du PIB les secondes les plus élevées
d’Europe après la Suède (5).
La stabilisation automatique appelée aussi flexibilité incorporée,
traduit la capacité des finances publiques à atténuer l’impact
des évènements conjoncturels sur l’activité économique. Il existe
en effet des éléments incorporés dans les budgets de toutes les
APU (et notamment des administrations de Sécurité sociale [ASS])
qui entraînent en dehors de toute décision discrétionnaire
publique, législative ou réglementaire, des variations de recettes
et de dépenses des APU par réaction aux variations à court terme
de la conjoncture. Bien entendu ces réactions automatiques
contracycliques atténuent les variations du revenu national brut
sur les revenus disponibles des agents économiques et stabilisent
ainsi la demande effective. Tout budget built in flexibility réduit
automatiquement l’ampleur des effets des chocs responsables
des écarts conjoncturels de production.
Les stabilisateurs économiques et sociaux actuels relèvent-ils
d’une approche keynésienne renouvelée ou d’une approche
classique traditionnelle élargie ? Quelles sont les modalités techniques d’appréhension de ces stabilisateurs ? Quelle est la portée
empirique, notamment en France à l’heure actuelle, des stabilisateurs automatiques relevant du domaine social, dans
l’ensemble des stabilisateurs ? Voilà trois questions, à notre sens,
essentielles auxquelles on tentera d’apporter quelques éléments
de réponse.
(1) C’est en septembre 2002 que Solow a prononcé à Lisbonne (en anglais), au
Congrès de l’Association économique internationale, une conférence sur le thème
« Peut-on recourir à la politique budgétaire ? Est-ce souhaitable ? ». Le texte a été
publié en version française dans la Revue de l’OFCE, nº 83, septembre 2002.
(2) Solow cite en ce sens les théoriciens du cycle réel et leurs épigones, les tenants
de l’équivalence ricardienne et les analystes de la nouvelle économie politique
appliquée à la politique budgétaire.
(3) R. Solow, art. cit., p. 10.
(4) On notera avec intérêt le jugement récent porté par l’ancien commissaire européen Mario Monti, un des plus ardents zélateurs de la politique « libérale » de
concurrence « libre et non faussée », à propos de la politique budgétaire en Europe :
« Je n’ai jamais été keynésien, mais je crois que l’Europe ne l’a pas été assez la
seule fois en soixante ans où on aurait dû l’être ». Le Monde, 7-8 juin 2009, p. 10.
(5) Statistiques standardisées des budgets 2006 d’après Y. Bertonchini et A. BarbierGauchard. Tableau de bord sur les dépenses publiques de l’Union européenne et
de ses Etats membres, Centre d’analyse stratégique, juin 2009.
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économie
LA STABILISATION ÉCONOMIQUE
CONTEMPORAINE :
APPROCHE KEYNÉSIENNE RENOUVELÉE
OU APPROCHE CLASSIQUE
TRADITIONNELLE ÉLARGIE ?
Les débats sur les vertus attendues des stabilisateurs automatiques
sont nés dans l’immédiat après-guerre (6), opposant l’interventionnisme keynésien de la « finance fonctionnelle » à la
A. Lerner (7) au laisser-faire des automatismes stabilisateurs du
Committee for Economic Development (CED), dont M. Friedman
était un des inspirateurs (8).
L’interventionnisme keynésien de la « finance fonctionnelle » est
basé sur une idée simple. La dépense publique doit combler
l’insuffisance de la dépense privée de façon à maintenir la
demande globale de l’économie, socle d’une économie de
plein emploi. Lerner propose en ce sens une série d’actions éclectiques : par la dépense publique (investissement et consommation) ; par l’impôt (fiscalité redistributrice des revenus, fiscalité correctrice de l’épargne excessive) ; par l’emprunt (car, en
économie faiblement ouverte, c’est la génération actuelle
– créanciers « riches » – qui supporte la charge de l’emprunt, par
sa restriction de consommation, ne léguant pas de charge autre
que les intérêts aux générations futures) ; par la création monétaire car cette dernière permet l’ouverture de crédits à la production, sans inflation, tant que l’économie n’est pas revenue au
plein emploi. Fait notable, la puissance publique doit décider de
façon discrétionnaire de l’usage des instruments de la finance
fonctionnelle : elle ne doit pas être tenue (corsetée) par une
règle.
Le manifeste du CED a fourni, dès 1947, une argumentation
opposée à la finance fonctionnelle. Ce qui est fondamental pour
les auteurs de ce manifeste est que même si le programme théorique présenté était juste, des erreurs humaines (imperfection de
la prévision...) et des déficiences institutionnelles (lourdeur des
procédures du législatif, de l’exécutif... voire de l’administratif) ne
permettraient pas la rapidité d’action nécessaire à la politique
budgétaire. Il est préférable de se référer à une règle (9) : laisser
jouer les stabilisateurs automatiques inhérents à la flexibilité interne
du budget built in flexibility. Pour le CED, une norme d’équilibre
budgétaire dans le temps, allant de pair avec une flexibilité automatique des composantes budgétaires, doit être la règle dans
une perspective de plein emploi (10). En effet, la majorité des
recettes publiques (et sociales) a un caractère contra-cyclique.
Un ralentissement de l’activité creuse les déficits, puisque les
dépenses s’accélèrent alors que les recettes (notamment la fiscalité progressive) ralentissent. L’alternance des phases d’expansion et de récession doit à long terme conduire à l’équilibre
budgétaire.
On ne présentera pas ici le détail des controverses sur la question
depuis un demi-siècle. On évoquera simplement les lignes essentielles. A la fin des années 1950, la clé de l’analyse est le débat
sur la sensibilité et l’élasticité fiscale. R.A. Musgrave (11) propose
l’analyse du coefficient 웂 dit coefficient de sensibilité stabilisatrice.
Cette analyse est basée sur un modèle keynésien simple avec
variation du niveau des dépenses publiques, intégration du multiplicateur budgétaire et jeu de l’élasticité fiscale par rapport au
revenu. Le coefficient 웂 est tel que 웂 = c tm/1 – c (1 – tm) avec
c propension marginale à consommer et tm taux marginal effectif
d’imposition. Selon la conjoncture, si 웂 = 0 la sensibilité fiscale
stabilisatrice automatique est inexistante ; par contre si 웂 = 1 elle
est totale. Au début des années 1960 apparaît une nouvelle
approche encore essentielle de nos jours. A la suite des travaux
de Schultze, Stein et Okun, on distingue désormais deux composantes déterminantes du solde budgétaire : une composante
active liée à l’orientation volontariste de la puissance publique et
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une composante passive liée au jeu spontané des stabilisateurs
automatiques. Les travaux menés à l’OCDE par B. Hansen ont
donné dans cette perspective une bonne illustration comparative
menée sur sept pays en 1968 (12). Les experts allemands introduiront en 1975 le terme de déficit (solde) structurel pour désigner la
composante volontariste de la politique budgétaire, terme repris
par l’OCDE en 1983 et depuis lors couramment utilisé, par opposition à déficit (solde) conjoncturel (lieu d’action des stabilisateurs
automatiques).
En définitive, l’accent mis sur les deux composantes des soldes
budgétaires est bien représentatif d’une approche keynésienne
assez traditionnelle renouvelée, plus sur le plan technique que sur
le plan analytique. Quant à l’insistance mise sur l’importance de
la composante « passive » des stabilisateurs automatiques, elle
relève de l’approche d’une politique budgétaire traditionnelle,
désormais élargie par la prise en compte des amortisseurs sociaux,
liée à l’importance de la taille des APU et au rôle important
(notamment en France), dévolu aux prestations sociales dans la
formation du revenu des salariés.
LES MODALITÉS TECHNIQUES
D’APPRÉHENSION DES STABILISATEURS
Les modalités techniques d’appréhension des stabilisateurs ressortissent aujourd’hui essentiellement de trois approches. La première est la version contemporaine de l’analyse des soldes budgétaires en double composante ; elle est de fait largement utilisée
par les organisations internationales ainsi que par les « prévisionnistes » nationaux. La seconde, plus novatrice, a recours à des
modèles statistiques qui permettent de quantifier les effets recherchés sans recourir à des hypothèses théoriques a priori sur le
comportement des agents économiques. La troisième, peut-être
moins originale mais plus intéressante pour notre propos, marque
un retour aux modèles « traditionnels » de simulation de la politique économique. L’intérêt de ces modèles est d’intégrer désormais une modélisation fine des finances publiques et de faire
apparaître ainsi la capacité stabilisatrice de chaque instrument,
et notamment des instruments qualifiables de « stabilisateurs
sociaux ».
La première approche dite en double composante est la référence usuelle internationale à fin d’appréciation de l’orientation
des politiques budgétaires. Elle conduit à décomposer le solde
public effectif (des APU) en deux éléments : le solde dit conjoncturel qui est affecté par la position de l’économie dans le cycle
(déficit de recettes et surplus de dépenses, notamment via les
allocations de chômage, lorsque le PIB effectif est inférieur à son
niveau potentiel, et situation opposée dans le cas de supériorité,
rare, du PIB effectif par rapport à son niveau potentiel) ; le solde
dit structurel qui est le solde public effectif corrigé des conséquences budgétaires des fluctuations du cycle économique i.e.
des variations du solde conjoncturel. Le problème essentiel est
bien entendu de parvenir à bien distinguer les soldes et de savoir
(6) Le problème avait été anticipé par G. Myrdal dès 1939, dans le cas de
l’approche suédoise des budgets cycliques dans « Fiscal policies in the business
cycle », American Economic Review, mars 1939, p. 183.
(7) A. Lerner, « Functional Finance and the federal debt », Social Research, février
1943 ; Economics of control, Mac Graw Hill, New York, 1945 ; Economics of employment, Mac Graw Hill, New York, 1948.
(8) Taxes and the budget: a program for prosperity in a free economy, Committee
for Economic Development, New York, 1947 ; M. Friedman,« A monetary and fiscal
framework for economic stability », American Economic Review, juin 1948, p. 245.
(9) C’est là l’origine des débats rule vs discretion que l’on retrouve encore
aujourd’hui tant en politique budgétaire qu’en politique monétaire.
(10) Comme bien noté dès 1959 par H. Brochier et P. Tabatoni (Economie financière,
Paris, PUF, Thémis, 1re éd., p. 553), « les conceptions du CED s’apparentent au budget
cyclique par leur prétention de combiner stabilisation économique et discipline
budgétaire ».
(11) R.A. Musgrave, The theory of public finance, New York, Mac Graw Hill, 1959,
p. 508 ; R.A. Musgrave et M.H. Miller,« Built in flexibility », American Economic Review,
mars 1948, p. 122.
(12) B. Hansen, La politique budgétaire dans sept pays (1955-1965), OCDE, 1969.
Cf. aussi les remarques de W. Snyder, « La mesure des résultats des politiques budgétaires françaises de 1955 à 1965 », Revue économique, novembre 69, p. 929.
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économie
mettre en évidence la portée et les limites de la distinction. On
se réfèrera ici à la méthodologie traditionnelle présentée par
Blinder et Solow en 1974 (13), modernisée par celle de Gordon
en 1980 (14). Si l’on connaît, pour une année donnée, le solde
effectif des APU, le PIB effectif, le PIB potentiel (PIB pouvant être
réalisé dans la durée sans génération de déséquilibres), le taux
global des prélèvements obligatoires (TGPO), ainsi que les
dépenses publiques, on peut par un calcul simple, présenté dans
l’encadré ci-après, décomposer le solde effectif en deux composantes. La première composante appelée solde conjoncturel
dépend du TGPO et de l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel (output gap ou écart de production). La deuxième composante appelée solde structurel dépend, quant à elle, de l’écart
existant entre le TGPO appliqué au produit potentiel d’une part,
et les dépenses publiques d’autre part. Le solde conjoncturel ou
composante passive de l’activité budgétaire met en évidence
les effets des stabilisateurs automatiques ; le solde structurel ou
composante active met en évidence pour sa part les effets des
actions volontaristes des pouvoirs publics. Toutes les variables précédentes sont données par la comptabilité nationale à l’exception du produit potentiel, et des élasticités budgétaires qui permettent d’approfondir l’analyse du TGPO. L’estimation du produit
potentiel (trend de référence) est une étape importante et
controversée.
Décomposition du solde effectif des APU
Si l’on nomme St le solde effectif des APU, Yt le PIB effectif,
Y* le PIB potentiel, θ le taux global des prélèvements obligatoires TGPO, Gt les dépenses publiques, t représentant le
temps, on peut écrire :
St = θYt – Gt
[1]
Ceci peut aussi s’écrire (par artifice de calcul)
St = θYt – Gt – θY* + θY*
[2]
Ce qui peut aussi s’écrire (en réarrangeant les termes)
St = θYt – θY* + θY* – Gt
[3]
Ceci conduit par simplification à
St = θ(Yt – Y*) + (θY* – Gt)
[4]
Le premier terme de droite de l’équation est le solde conjoncturel, le second terme est le solde structurel.
L’estimation de ce produit se fait à partir d’une pluralité d’approches dont on trouve en France un panorama dans les travaux de
Ph. Cour, et alii (15), la méthodologie retenue par l’OCDE étant
une des références classiques traditionnelles (16). Si l’on s’en tient
à la méthodologie française, l’estimation repose sur le calcul
d’une fonction de production combinant travail et capital de
telle sorte que le produit obtenu permette le maintien de la stabilité de l’inflation et de la croissance des salaires, associée à un
niveau de chômage dit d’équilibre. Si l’on retient une fonction de
production de type Cobb-Douglas augmentée, il convient
d’estimer successivement l’emploi, le capital et la productivité
globale des facteurs potentiels (ainsi qu’un paramètre caractéristique de la structure productive de l’économie étudiée). L’estimation des divers éléments de la fonction s’opère de la façon
suivante. L’emploi potentiel dépend : de la population active
potentielle (population en âge de travailler à laquelle on
applique des taux d’activités tendanciels par grandes catégories
constitutives), ainsi que du taux de chômage d’équilibre (taux de
croissance qui va de pair avec une stabilité à long terme de
l’inflation et de la croissance des salaires ou NAIRU selon la terminologie anglo-saxonne non accelerating inflation rate of unemployment). Le capital potentiel (qui n’est pas indépendant du
niveau du produit potentiel) est supposé croître au même rythme
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que ce dernier (hypothèse classique dans les analyses traditionnelles de la croissance équilibrée). Par voie de conséquence, le
rapport du stock de capital au produit global est supposé
constant. On peut donc le mesurer à partir de son niveau moyen
sur la période étudiée et en déduire par voie de conséquence
le capital potentiel (en supposant une stabilité du taux d’intérêt
réel dans la période étudiée, ce qui est une hypothèse peu
tenable dans les années actuelles et affecte de ce fait la validité
du calcul dans des proportions difficilement estimables). L’estimation de la productivité potentielle globale des facteurs se fait en
en prenant en compte le surplus de productivité et les parts respectives des salaires et des revenus non salariaux dans la valeur
ajoutée, ce qui peut être calculé soit directement, soit par estimation économétrique de la fonction de production. Cette
méthode d’estimation du produit potentiel paraît relativement
fragile compte tenu des incertitudes qui apparaissent en de nombreuses étapes de calcul. Sur un plan empirique le calcul précédent de Y* est généralement doublé d’estimations statistiques
sans référence explicite à des comportements économiques,
donnant un produit tendanciel y** (on notera la non-neutralité
du glissement de vocabulaire du qualitatif de potentiel à celui de
tendanciel). Les méthodes statistiques retenues, de la plus simple
dite méthode de la tendance coudée (estimation de deux tendances du produit global avant et après le second choc pétrolier), aux plus sophistiquées (filtre de Hodrick-Prescott, méthodes
de type Beveridge-Nelson ou Harvey...) s’efforcent de faire apparaître, pour des périodes significatives, une tendance moyenne
d’activité lissant l’évolution du produit global. En définitive, l’ordre
de grandeur retenu pour Y* en France au cours des années
récentes a été de l’ordre de 2,50%, mais la crise actuelle a conduit
dans un premier temps à retenir le taux de 1,50 %, taux qui ne va
pas sans interrogations. L’estimation des élasticités budgétaires
(par rapport au PIB) est très simple dans la méthodologie française
actuelle et ne pose donc pas de grave problème pour la connaissance du TGPO. On suppose en effet que dans le calcul du solde
conjoncturel, l’élasticité est unitaire par rapport au PIB, tout au
moins en moyenne sur le cycle économique, ce qui est une hypothèse « simple ». D’autres études ont été menées sur ce point sur
des organismes internationaux. L’estimation des élasticités budgétaires se fait dans ce cas par méthodes économétriques ou
par simulations. Les méthodes économétriques ont été utilisées
par la Commission européenne CE en 1995 (17) et la Banque
centrale européenne (BCE) en 2001 (18). La CE a calculé des
élasticités de recettes agrégées E(R) et de dépenses agrégées D(R).
On a ainsi des variables de moyen terme de sorte que le solde
corrigé des fluctuations cycliques est la différence entre recettes
et dépenses corrigées des fluctuations cycliques (ce qui dépend
de la fiabilité des variables régressives et des biais éventuels dans
la composition des dépenses et des recettes). La BCE propose
une estimation des élasticités par un modèle à correction d’erreur
qui conduit à distinguer les élasticités de court et de long terme.
Cette approche plus désagrégée permet de calculer des élasticités pour chaque poste budgétaire selon sa propre assiette, et
prend mieux en compte les effets de composition liés à la structure interne du budget. Les simulations macroéconométriques,
point sur lequel on reviendra ultérieurement, se réfèrent à des
chocs simulés montrant l’impact d’un choc de un pour cent du
(13) A. Blinder et R. Solow, « Analytical foundations of the fiscal policy », in « The
economics of public finance », Blinder et alii, Washington, Brookings institution, 1974.
(14) R.J. Gordon, Macroeconomics, Harper et Collins, 1980, 3e éd., cf. aussi sur le
même point M. Blejer et A. Cheasty, « The measurement of fiscal deficits: analytical
and methodological issues », décembre 1991 ; ainsi qu’en Français B. Landais,
« Leçons de politique budgétaire », Bruxelles, De Boeck, 1998, p. 102.
(15) Ph. Cour, H. Le Bihan et H. Sterdyniak, « La notion de croissance potentielle
a-t-elle un sens ? », Economie internationale, 1997, p. 17. Cf. aussi S. Doisy, « La
croissance potentielle de l’économie française. Une évaluation », Doc. Travail, DP,
Paris, 2001.
(16) G. Giorno, P. Richardson, D. Roseveare et P. Van den Noord, « Production
potentielle, écarts de production et soldes structurels », Revue de l’OCDE, 1995,
p. 179.
(17) CE, « The commission services’ method for the cyclical adjustment of government budget balances. Technical note », European Economy, 1945, nº 6.
(18) BCE, C. Bouthevillain et alii, « Cyclically adjusted balances: an alternative
approach », ECB, Working paper, nº 77, 2001.
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économie
PIB sur les variables budgétaires, en prenant en compte les élasticités de divers types de recettes ou de dépenses. Une synthèse
des résultats obtenus par diverses études montre une relative
convergence des méthodes. Par exemple pour la France, la sensibilité des déficits publics au PIB compte tenu des estimations des
élasticités budgétaires est de 0,42/0,45/0,53 pour l’OCDE, la CE et
la BCE avec un écart type de 0,06, ce qui montre comme pour
les écarts de production une bonne convergence des
méthodes (19).
Si l’on accepte, sous réserve des incertitudes et biais précédents
les méthodologies de calcul, la distinction soldes conjoncturels/
soldes structurels, on dispose désormais d’indicateurs d’action de
la politique budgétaire : soldes conjoncturels champ d’action
des stabilisateurs automatiques économiques et sociaux, et
soldes structurels champ d’action des volontarismes politiques...
ou du poids du passé des prégnances administratives en mal de
réformes (20).
La deuxième approche consiste en une estimation simultanée
d’un ensemble d’équations de façon à repérer empiriquement
les relations existant entre plusieurs variables endogènes, tout en
ne se fondant pas sur des hypothèses a priori en ce qui concerne
le comportement économique des agents. Cette approche statistique s’est développée dans les années 1980 suite aux travaux
de Sims (21) et de Blanchard et Quah (22). On spécifie en ce sens
des modèles vectoriels autorégressifs (VAR) de telle sorte que
chaque variable dépend de ses valeurs passées et de la valeur
des autres variables du modèle. Les VAR simples ne contraignent
pas les paramètres mais on peut imposer certaines restrictions
(issues d’analyses théoriques), ce qui conduit à une modélisation,
dite VAR structurelle. Ce type de modèle permet ainsi d’évaluer
les effets de chocs macroéconomiques de politiques économiques (par exemple budgétaire). On notera cependant que le
caractère agrégé de ces modèles ne leur permet généralement
pas d’être utilisés pour des analyses de politique économique très
fines. Ces modèles, notamment ceux de la lignée BlanchardPerotti (23) permettent d’éviter, entre autres, le calcul des élasticités budgétaires (et dans certains cas des écarts de production),
tout en rendant compte des interactions entre activité économique et politique budgétaire. Un perfectionnement par des
modèles dits MS-VAR permet de croiser la situation conjoncturelle
d’une économie (expansion ou récession) avec la politique budgétaire (équilibre ou déficit). Henin et N’Diaye (24) en 2001, puis
Schalck (25) en 2006, ont montré ainsi qu’en France la politique
budgétaire joue un rôle global assez classique pour les premiers
(existence d’un effet global moyennement efficace de stabilisation automatique), résultat confirmé par la seconde étude pour
laquelle c’est la Finlande qui a, en Europe, la situation réactive la
plus globale à la politique budgétaire.
La troisième approche, particulièrement intéressante pour notre
propos, a recours aux modèles « traditionnels » de simulation de
politique économique. On sait que la modélisation de la politique
économique est née dans les années 1950 à la suite des travaux
de Tinbergen (1939) puis de Klein (1950). Les MMIK (modèles
macroéconométriques d’inspiration keynésienne), basés sur la
comptabilité nationale, sont une représentation formalisée et
quantifiée des comportements macroéconomiques des agents
représentés par des équations agrégées dont les paramètres sont
estimés sur la base des observations passées. Les modèles sont
ainsi utilisables pour la prévision (à partir d’hypothèses sur les variables exogènes) ou pour la simulation des effets d’une mesure de
politique économique (par exemple budgétaire). Ces modèles,
atteints par les critiques de Lucas (26) et celles de la théorie des
cycles réels (27), ont été amenés à se perfectionner (anticipations
rationnelles vs anticipations adaptatives, intégration des effets
d’offre...). Maniés précautionneusement, ils fournissent des indications grossières mais fiables sur les effets des politiques budgétaires
et monétaires, ce qui explique leur utilisation actuelle par les institutions internationales (FMI, OCDE, CE, BCE) et les instituts de prévisions nationaux (OFCE en France, NIESR au Royaume-Uni)... [28]
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Les MEGC (modèles d’équilibre général calculable), reposent sur
une formalisation détaillée des microdécisions économiques des
agents tenant compte des contraintes budgétaires, des identités
comptables... aboutissant à des fonctions d’optimisation explicites. Fait notable, les paramètres correspondants sont calibrés i.e.
ont des valeurs choisies sur la base d’informations jugées pertinentes et ajustées pour correspondre aux situations initiales données. Ces modèles sont aujourd’hui largement utilisés pour évaluer
les conséquences à moyen et long terme de décisions économiques affectant un nombre important de marchés et d’agents (par
exemple : effet des décisions potentielles des négociations à
l’OMC). Ils sont à l’évidence peu adaptés à l’analyse de la stabilisation conjoncturelle qui n’est pas dans le champ direct de leur
approche. Ces modèles sont aujourd’hui dépassés ou synthétisés
par les modèles dits DGSE (équilibre général dynamique stochastique) [29], intégrant à la fois des enseignements de modèles de
cycles réels, d’analyse à la Lucas... et des rigidités nominales de
la nouvelle économie keynésienne. Inspirés par la recherche fondamentale (30), ils sont aujourd’hui adoptés tant par des institutions internationales (FMI en 2004) que des banques centrales (BCE
en 2003). Malgré leur richesse ces nouveaux modèles ne sont pas
encore aptes à l’analyse fine de l’action des instruments de la
politique budgétaire dans une optique stabilisatrice. C’est pour
cela que l’on devra recourir, comme indiqué précédemment, à
des modèles plus traditionnels mais récents, pour tenter de quantifier la stabilisation automatique budgétaire dans sa dimension
sociale.
LA PORTÉE EMPIRIQUE
DES STABILISATEURS AUTOMATIQUES
RELEVANT DU DOMAINE SOCIAL
La portée empirique des stabilisateurs automatiques relevant du
domaine social, issue des méthodologies d’approches précédemment évoquées, implique de donner de brèves indications
sur la portée générale des stabilisateurs automatiques, avant
d’affiner l’analyse à ceux relevant du domaine social.
(19) Voir sur ce point la synthèse de Ch. Schalck, « Les politiques budgétaires de
stabilisation dans la zone euro : évaluation et perspectives », thèse, Paris-X - Nanterre,
2006, p. 42.
(20) Les évaluations de soldes menées en France dans le cadre des annexes aux
lois de finances ont bien conscience des limites des méthodes de calcul de soldes.
Il est ainsi généralement noté que les variations du solde structurel sont souvent
brouillées par le fait que l’hypothèse d’élasticité unitaire est difficilement tenable à
court terme (variabilité de l’IS) et conduit à répercuter sur le solde structurel les
fluctuations de l’élasticité des recettes (expliquées par la position dans le cycle). Il
est aussi mentionné le fait que d’autres facteurs (recettes hors prélèvements obligatoires [PO]) voient leurs variations affecter le solde structurel. Pour avoir un véritable solde discrétionnaire, il est en ce sens suggéré d’enlever du solde structurel
les effets d’élasticité et les recettes hors PO : on obtient ainsi une « variation discrétionnaire du solde structurel », ou « effet structurel » pour retracer plus fidèlement la
maîtrise des dépenses et les nouvelles mesures de PO décelées par les pouvoirs
publics. Par contrecoup, le rôle de stabilisateur automatique du budget, le solde
conjoncturel, peuvent se trouver mieux mis en évidence.
(21) C. Sims, « Macroeconomics and reality », Econometrica, 1980, p. 1.
(22) O. Blanchard et D. Quah, « The dynamics effects of aggregate demand and
supply disturbances », American Economic Review 1989, p. 655.
(23) O. Blanchard et R. Perotti, « An empirical characterization of the dynamic
effects of changes in government spending and taxes on output », Quarterly Journal
of Economics 2002, p. 1329.
(24) P.-Y. Henin et P. N’Diaye, « L’effet des politiques budgétaires sur l’activité : une
fonction des conditions conjoncturelles et du régime budgétaire », Economie et
Prévision 2001, p. 73. (On parle de MS-VAR car la transition entre les régimes suit un
processus markovien [Markov-Switching] ).
(25) Ch. Schalck, op. cit., p. 63 et s.
(26) R.J. Lucas, « Studies in Business cycle theory », MIT Press, 1980. Le premier article
de la révolution « lucassienne » est de 1969.
(27) F. Kydland et E. Prescott, « Time to build and aggregate fluctuations », Econometrica 1982, p. 1345.
(28) A. Benassy-Quéré, B. Coeuré , P. Jacquet, J. Pisani-Ferry, Politique économique,
Bruxelles, De Boeck, 2009, 2e éd., p. 52.
(29) M. de Vroey et P. Malgrange, « Théorie et modélisation macro-économiques,
d’hier à aujourd’hui », Revue française d’économie 2007, p. 3. A. Epaulard, J.-P. Laffargue, P. Malgrange, présentation de « La modélisation macroéconomique DGSE »,
Economie et prévision, nº 2008, 2-3.
(30) M. Goodfriend et R. King, « The new neo-classical synthesis and the role of
monetary policy », NBER, Macroeconomics Annual, p. 231, 1997. Cf. aussi F. Smets
et R. Wouters, « An estimated stochastic dynamic general equilibrium model of the
euro-area », Journal of Economie Association 2003, p. 1123.
No 12 - Décembre 2009 -
économie
La portée empirique des stabilisateurs automatiques a fait l’objet
au cours de la dernière décennie de nombreuses controverses.
Divers modèles non keynésiens mettent en évidence des propriétés déstabilisatrices des finances publiques. Gali montre en
1994 (31), dans un modèle de cycle réel, que l’effet automatique
des impôts proportionnels sur l’offre de travail peut avoir un effet
négatif sur l’économie. Cotis et alii se demandent en 1996 (32) si
les stabilisateurs automatiques sont encore efficaces en France
dans les années 1990. Il existe en effet, à l’époque, une apparente
insensibilité de l’activité et du taux d’épargne nationale à la politique budgétaire. Cette singularité peut s’expliquer selon les
auteurs : par l’apparition de comportements ricardiens (non keynésiens) ; par un renforcement de l’effet d’éviction (la transition vers
l’UEM contribuant à développer la réactivité des taux d’intérêt aux
déficits publics) ; par le fait que le taux d’épargne des ménages
serait devenu procyclique. Le problème ne serait donc pas tant, la
moindre efficacité des stabilisateurs économiques publics, que
l’affaiblissement des stabilisateurs automatiques dans la sphère
privée, dans un univers d’incertitude. Plus généralement certains
auteurs inspirés par l’analyse de Sutherland (33) estiment qu’il existe
des effets de seuil au-delà desquels les finances publiques voient
leurs effets stabilisateurs s’affaiblir. Buti et alii (34) et Buti et Van Den
Noord (35) estiment en 2003 qu’il existe un niveau de dépenses
publiques au-delà duquel une hausse de la taille du secteur public
peut aggraver la volatilité de l’activité économique et agir sur l’offre
globale. Des modèles keynésiens centrés sur l’impact des stabilisateurs ou les effets directs sur la demande globale montrent les différentes capacités de stabilisation en fonction de l’origine des
chocs (chocs sur la consommation ou choc sur l’atténuation de la
volatilité du PIB par exemple). Une comparaison des résultats de
trois modèles macroéconométriques multinationaux d’inspiration
« nouvelle économie keynésienne », menée à l’orée des années
2000, présente le degré de stabilisation fourni par les stabilisateurs
automatiques en pourcentage du PIB. Le modèle de l’OCDE (INTERLINK) suggère, au cours des années 1990, une réduction de la variabilité conjoncturelle de près de 25 % par les stabilisateurs automatiques mais avec des variations considérables d’un pays à l’autre
(31 % pour l’Allemagne et 14 % pour la France) [36]. Le modèle du
NIESR (NIGEM) donne des résultats nettement plus faibles (réduction
moyenne de 11 % avec 18 % pour l’Allemagne et 7 % pour la
France) [37]. Le modèle de la CE (QUEST) donne pour sa part des
résultats intermédiaires (réduction moyenne de 12 % avec 14 % pour
l’Allemagne et 15 % pour la France) [38]. Ces résultats comparatifs
sont plutôt décevants pour la France, le modèle social français se
caractérisant par une taille importante des APU, par des revenus
salariaux dont plus de 30 % sont constitués par des transferts publics,
et par le fait que 23 % de la population active relève des trois
fonctions publiques... Il faut cependant noter que les résultats précédents sont quantifiés sur la base des années 1990, qu’il y a
d’importantes différences de sensibilité budgétaire selon les pays,
et qu’il n’y a pas de véritable consensus entre les modèles sur ce
que contiennent exactement les finances structurelles. Seul un
modèle macroéconométrique spécifiant finement le rôle de
chaque variable de finance publique semble pouvoir éclairer le
débat, notamment à propos des stabilisateurs sociaux
La portée empirique des stabilisateurs sociaux avec étude fine des
variables de finances publiques a été récemment étudiée pour la
France par R. Espinoza (39). L’auteur part des résultats partiellement
décevants, des modèles INTERLINK, NIGEM et QUEST, évoqués antérieurement et s’appuie sur un modèle macroéconométrique de
type néo-keynésien dans lequel le PIB à court terme est déterminé
essentiellement par la demande (mais avec prise en compte d’un
environnement international et d’une politique monétaire exogènes). Il s’agit du modèle MESANGE élaboré en 2002 (40) par la
DP, modèle trimestriel estimé sur vingt-cinq années de comptes
nationaux trimestriels et comportant environ 500 équations (41). Ce
modèle permet de calculer la capacité de stabilisation suite à
divers chocs de demande et d’offre sur la base d’une comparaison
de deux versions du modèle (version avec modélisation réaliste des
- No 12 - Décembre 2009
finances publiques, version avec gel des stabilisateurs automatiques
pour fixer la valeur des variables de finances publiques au niveau
d’un scénario de référence). Les divers types de chocs de
demande étudiés sont des chocs sur la consommation, l’investissement, les exportations, la productivité, le prix du pétrole et les
salaires. Les résultats de l’action stabilisatrice indiquent les effets à
court terme (1 et 2 ans). Les calculs font apparaître, et c’est là un
intérêt important pour notre propos, le rôle de chaque poste budgétaire potentiellement stabilisateur (TVA, IR et CSG, cotisations
sociales différenciées, allocations de chômage...). Les divers types
de chocs d’offre étudiés sont au nombre de trois : productivité,
pétrolier, salarial. On ne présentera pas ici, ni le cadre théorique de
MESANGE, ni la méthode de calcul détaillée suivie par R. Espinoza.
On se limitera aux résultats obtenus à la suite des chocs de
demande étudiés et (brièvement) des chocs d’offre.
Les résultats afférents aux chocs de demande permettent tout
d’abord de faire apparaître les contributions à la stabilisation automatique de chaque instrument de finances publiques ainsi que
l’indique le tableau page suivante.
Les cotisations sociales, les allocations de chômage sont à l’instar
de la TVA, et dans une moindre mesure l’IR et la CSG de bons outils
de stabilisation. Les cotisations sociales et les allocations de chômage sont les meilleurs stabilisateurs automatiques relevant du
domaine social, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de leur
importance dans les transferts de revenus aux ménages (comme
par ailleurs dans les recettes des APU). On notera avec intérêt le
profil temporel des effets : la TVA et les impôts sur la production ont
des effets efficaces dès la première année (ainsi que dans une
moindre mesure les allocations de chômage) ; par contre l’IR et la
CSG sont peu efficaces la première année du choc (absence de
retenue à la source pour l’IR) [42] ; de même, les cotisations sociales
déploient l’essentiel de leurs effets la seconde année. Il y a en effet
des différentiels temporels de multiplicateurs des instruments de
finances publiques étudiés par MESANGE, ainsi que des sensibilités
à un et deux ans variables selon les recettes et les dépenses en
fonction des chocs de demande (43). La variation du budget
public étant à la fin de la deuxième année plus du double de
celle de la première année, montre bien la non-instantanéité de
l’ajustement des comportements stabilisateurs des ménages et
des entreprises. Une conclusion découle des résultats précédents
en termes de politique économique. Une meilleure stabilisation
(31) J. Gali, « Government size and macroeconomic stability », European economic
review 1994, nº 38, p. 117.
(32) J-.Ph. Cotis, B. Crepon, Y. L’Horty et R. Meary, « Les stabilisateurs automatiques
sont-ils encore efficaces ? Les cas de la France dans les années quatre-vingt-dix »,
Document de travail, DP 1996 et article dans la Revue d’économie financière 1998,
nº 45, p. 95.
(33) A. Sutherland, « Fiscal crisis and aggregate demand: can high public debt
reverse the effects of fiscal policy ? », Journal of public economics 1995, nº 65.
(34) M. Buti et alii, « Automatic stabilizers and market flexibility in EMU: is there a
trade-off? », Working Papers 2003, nº 335.
(35) M. Buti et P. Van Den Noord, « What is the impact of taxes and welfare reforms
on fiscal stabilizes? A simple model and an application to EMU », CE, Economie
Papers 2003, nº 186.
(36) OCDE, P. Van Den Noord, « The size and role of automatic stabilizers in the 1990
and beyond », 2000, OECD, Working Papers, nº 230. Voir aussi dans Perspectives
économiques de l’OCDE, décembre 1999, p. 155, « L’ampleur et le rôle des stabilisateurs budgétaires automatiques » (article qui insiste paradoxalement sur le rôle
stabilisateur de la taille du secteur public !).
(37) NIESR, R. Barrel et A.M. Pinna, « How important are automatic strabilizers in
Europe? A stochastic simulation assessment », Economic modelling 2003, vol. 21,
p. 1.
(38) CE, A. Brunila et alii, « Fiscal policy in Europe: how effective are automatic
stabilizers ? », Economic Papers 2002, nº 177. Voir aussi A. Brunila, « Fiscal policy
coordination, discipline and stabilization », MIMEO, avril 2002. Brunila montre que la
source de variation des activités étant prépondérante, un choc sur la consommation des ménages serait en France important, induisant dans ce cas une capacité
de stabilisation de 23 %.
(39) L’étude de Raphaël Espinoza a été conduite à la DP (devenue aujourd’hui
composante de la DGTPE du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi).
Elle est publiée dans Economie et Prévision 2007, nº 177, p. 1 sous le titre « Les
stabilisateurs automatiques en France ».
(40) C. Allard-Prigent, C. Audenis, K. Berger, N. Carnot, S. Duchêne et F. Pessin,
« Présentation du modèle MESANGE », DP, Doc. travail, 2002.
(41) MESANGE s’inscrit dans la lignée bien connue des MMIK français, METRIC et
AMADEUS.
(42) La CSG est par simplification traitée dans le modèle comme l’IR.
(43) Dont on trouvera le détail dans R. Espinoza, art. cité, p. 11 et 12. On notera par
ailleurs que les chocs de demande voient leur capacité de stabilisation directement
influencée par la sensibilité et le multiplicateur de la variable fiscale utilisée.
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économie
Contribution à la stabilisation de l’activité
Consommation
Investissement
Exportations
Type de choc
1 an
2 ans
1 an
2 ans
1 an
2 ans
TVA ....................................................................................
IR et CSG ..........................................................................
Cotisations sociales des salariés ..................................
Cotisations sociales employeurs ..................................
Taxes sur le tabac, TIPP... ..............................................
Impôts sur la production ...............................................
Allocations de chômage ..............................................
Subventions sur les produits ..........................................
4,1 *
0
0,9
1,5
1,6
1,4
0,9
– 0,3
5,5
1,2
4,2
6,5
1,3
2,6
4
– 0,6
3,4
0
0,9
1,4
0,4
1,4
0,8
–0,3
5,6
1,1
4,1
6,4
0,3
2,7
3,8
– 0,5
1,5
0
0,8
1,4
0,5
1,6
0,8
–0,3
3,3
1,1
4
6,5
0,4
2,8
3,8
–0,5
Ensemble des stabilisateurs ..........................................
10
25
8
23
6
21
(*) La hausse du PIB due à une augmentation de la consommation est réduite de 10 % par le jeu des stabilisateurs automatiques la première année pendant laquelle le choc a lieu.
De ces 10 %, 4,1 % sont le fait de la TVA.
Source : R. Espinoza, art. cit, p. 10.
automatique découlerait d’une variation du poids relatif des postes
les plus sensibles soit la TVA, les impôts sur la production et les allocations de chômage, et aussi de la CSG et de l’IR si celui-ci était
perçu par voie de retenue à la source, et dans une moindre mesure
des cotisations sociales.
Les résultats des chocs d’offre influençant les finances publiques
sont très différents de ceux obtenus par les chocs de demande.
Signalons brièvement que : dans le cas de chocs de productivité,
les stabilisateurs automatiques réduiraient l’impact du choc sur le
revenu disponible brut des ménages et atténueraient l’écart de
production de 8 % au bout de deux ans ; dans le cas de chocs
pétroliers, compte tenu de l’influence inflationniste de ces chocs
sur les recettes et dépenses publiques, il n’y aurait pas de rôle stabilisateur des finances publiques (ce qui plaide pour un mécanisme
de compensation de la hausse du prix du pétrole) ; dans le cas de
choc salarial (hausse du SMIC) la stabilisation automatique serait
peu significative, car la hausse du coût réel du travail contrebalancerait celle du pouvoir d’achat des ménages, la variation du PIB
étant négligeable dans le cadre des deux ans du modèle.
L’apport de l’étude de R. Espinoza est in fine de faire apparaître
un rôle des stabilisateurs automatiques (avec les précisions précédentes afférentes aux stabilisateurs sociaux qui ne sont qu’une
partie des précédents), proche de 10 % d’atténuation des chocs
de demande la première année, et de plus de 25 % la
seconde (44), [mais avec les limites afférentes aux modèles néokeynésiens de court terme : faibles fondements théoriques microéconomiques, absence d’anticipations rationnelles et de
contraintes budgétaires intertemporelles, modélisation sensible à
la critique de Lucas – ce qui en affaiblit la portée empirique –
ainsi qu’à l’inconsistance temporelle de Kydland et Prescott...].
CONCLUSION
Les stabilisateurs automatiques, notamment ceux relevant du
domaine social, sont incontestablement, même au-delà des
controverses analytico-modélisatrices, des instruments « spontanément » utilisables pour la stabilisation des chocs de demande
dans le cadre de politiques économiques nationales. Mais se
contenter de laisser jouer ces stabilisateurs, en les accompagnant des réformes structurelles nécessaires, serait dans la crise
actuelle, d’une efficacité limitée. Indépendamment d’éventuelles politiques discrétionnaires de stabilisation, il est sans doute
souhaitable d’accélérer la réaction des finances publiques à
l’activité économique et de modifier les poids relatifs des postes
budgétaires les plus efficaces et les plus sensibles à l’évolution
économique.
(44) A comparer avec les résultats OCDE, NIESR et ceux précédemment présentés.
Vous pouvez consulter notre site Internet :
www.gestionfipu.com
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No 12 - Décembre 2009 -
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