
La portée empirique des stabilisateurs automatiques afaitl’objet
au cours de la dernière décennie de nombreuses controverses.
Divers modèles non keynésiens mettent en évidence des pro-
priétés déstabilisatrices des finances publiques. Gali montre en
1994 (31), dans un modèle de cycle réel, que l’effet automatique
des impôts proportionnels sur l’offre de travail peut avoir un effet
négatif sur l’économie. Cotis et alii se demandent en 1996 (32) si
les stabilisateurs automatiques sont encore efficaces en France
dans les années 1990. Il existe en effet, à l’époque, une apparente
insensibilité de l’activité et du taux d’épargne nationale à la poli-
tique budgétaire. Cette singularité peut s’expliquer selon les
auteurs : par l’apparition de comportements ricardiens (non key-
nésiens) ; par un renforcement de l’effet d’éviction (la transition vers
l’UEM contribuant à développer la réactivité des taux d’intérêt aux
déficits publics) ; par le fait que le taux d’épargne des ménages
serait devenu procyclique. Le problème ne serait donc pas tant, la
moindre efficacité des stabilisateurs économiques publics, que
l’affaiblissement des stabilisateurs automatiques dans la sphère
privée, dans un univers d’incertitude. Plus généralement certains
auteurs inspirés par l’analyse de Sutherland (33) estiment qu’il existe
des effets de seuil au-delà desquels les finances publiques voient
leurs effets stabilisateurs s’affaiblir. Buti et alii (34) et Buti et Van Den
Noord (35) estiment en 2003 qu’il existe un niveau de dépenses
publiques au-delà duquel une hausse de la taille du secteur public
peut aggraver la volatilité de l’activité économique et agir sur l’offre
globale. Des modèles keynésiens centrés sur l’impact des stabilisa-
teurs ou les effets directs sur la demande globale montrent les dif-
férentes capacités de stabilisation en fonction de l’origine des
chocs (chocs sur la consommation ou choc sur l’atténuation de la
volatilité du PIB par exemple). Une comparaison des résultats de
trois modèles macroéconométriques multinationaux d’inspiration
« nouvelle économie keynésienne », menée à l’orée des années
2000, présente le degré de stabilisation fourni par les stabilisateurs
automatiques en pourcentage du PIB. Le modèle de l’OCDE (INTER-
LINK) suggère, au cours des années 1990, une réduction de la varia-
bilité conjoncturelle de près de 25 % par les stabilisateurs automa-
tiques mais avec des variations considérables d’un pays à l’autre
(31 % pour l’Allemagne et 14 % pour la France) [36]. Le modèle du
NIESR (NIGEM) donne des résultats nettement plus faibles (réduction
moyenne de 11 % avec 18 % pour l’Allemagne et 7 % pour la
France) [37]. Le modèle de la CE (QUEST) donne pour sa part des
résultats intermédiaires (réduction moyenne de 12 % avec 14 % pour
l’Allemagne et 15 % pour la France) [38]. Ces résultats comparatifs
sont plutôt décevants pour la France, le modèle social français se
caractérisant par une taille importante des APU, par des revenus
salariaux dont plus de 30 % sont constitués par des transferts publics,
etparlefaitque23%delapopulationactiverelèvedestrois
fonctions publiques... Il faut cependant noter que les résultats pré-
cédents sont quantifiés sur la base des années 1990, qu’il y a
d’importantes différences de sensibilité budgétaire selon les pays,
et qu’il n’y a pas de véritable consensus entre les modèles sur ce
que contiennent exactement les finances structurelles. Seul un
modèle macroéconométrique spécifiant finement le rôle de
chaque variable de finance publique semble pouvoir éclairer le
débat, notamment à propos des stabilisateurs sociaux
La portée empirique des stabilisateurs sociaux avec étude fine des
variables de finances publiques a été récemment étudiée pour la
France par R. Espinoza (39). L’auteur part des résultats partiellement
décevants, des modèles INTERLINK, NIGEM et QUEST, évoqués anté-
rieurement et s’appuie sur un modèle macroéconométrique de
type néo-keynésien dans lequel le PIB à court terme est déterminé
essentiellement par la demande (mais avec prise en compte d’un
environnement international et d’une politique monétaire exo-
gènes). Il s’agit du modèle MESANGE élaboré en 2002 (40) par la
DP, modèle trimestriel estimé sur vingt-cinq années de comptes
nationaux trimestriels et comportant environ 500 équations (41). Ce
modèle permet de calculer la capacité de stabilisation suite à
divers chocs de demande et d’offre sur la base d’une comparaison
de deux versions du modèle (version avec modélisation réaliste des
finances publiques, version avec gel des stabilisateurs automatiques
pour fixer la valeur des variables de finances publiques au niveau
d’un scénario de référence). Les divers types de chocs de
demande étudiés sont des chocs sur la consommation, l’investisse-
ment, les exportations, la productivité, le prix du pétrole et les
salaires. Les résultats de l’action stabilisatrice indiquent les effets à
court terme (1 et 2 ans). Les calculs font apparaître, et c’est là un
intérêt important pour notre propos, le rôle de chaque poste bud-
gétaire potentiellement stabilisateur (TVA, IR et CSG, cotisations
sociales différenciées, allocations de chômage...). Les divers types
de chocs d’offre étudiés sont au nombre de trois : productivité,
pétrolier, salarial. On ne présentera pas ici, ni le cadre théorique de
MESANGE, ni la méthode de calcul détaillée suivie par R. Espinoza.
On se limitera aux résultats obtenus à la suite des chocs de
demande étudiés et (brièvement) des chocs d’offre.
Les résultats afférents aux chocs de demande permettent tout
d’abord de faire apparaître les contributions à la stabilisation auto-
matique de chaque instrument de finances publiques ainsi que
l’indique le tableau page suivante.
Les cotisations sociales, les allocations de chômage sont à l’instar
de la TVA, et dans une moindre mesure l’IR et la CSG de bons outils
de stabilisation. Les cotisations sociales et les allocations de chô-
mage sont les meilleurs stabilisateurs automatiques relevant du
domaine social, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de leur
importance dans les transferts de revenus aux ménages (comme
par ailleurs dans les recettes des APU). On notera avec intérêt le
profil temporel des effets : la TVA et les impôts sur la production ont
des effets efficaces dès la première année (ainsi que dans une
moindremesurelesallocationsdechômage);parcontrel’IRetla
CSG sont peu efficaces la première année du choc (absence de
retenue à la source pour l’IR) [42] ; de même, les cotisations sociales
déploient l’essentiel de leurs effets la seconde année. Il y a en effet
des différentiels temporels de multiplicateurs des instruments de
finances publiques étudiés par MESANGE, ainsi que des sensibilités
à un et deux ans variables selon les recettes et les dépenses en
fonction des chocs de demande (43). La variation du budget
public étant à la fin de la deuxième année plus du double de
celle de la première année, montre bien la non-instantanéité de
l’ajustement des comportements stabilisateurs des ménages et
des entreprises. Une conclusion découle des résultats précédents
en termes de politique économique. Une meilleure stabilisation
(31) J. Gali, « Government size and macroeconomic stability », European economic
review 1994, nº 38, p. 117.
(32) J-.Ph. Cotis, B. Crepon, Y. L’Horty et R. Meary, « Les stabilisateurs automatiques
sont-ils encore efficaces ? Les cas de la France dans les années quatre-vingt-dix »,
Document de travail, DP 1996 et article dans la Revue d’économie financière 1998,
nº 45, p. 95.
(33) A. Sutherland, « Fiscal crisis and aggregate demand: can high public debt
reverse the effects of fiscal policy ? », Journal of public economics 1995, nº 65.
(34) M. Buti et alii, « Automatic stabilizers and market flexibility in EMU: is there a
trade-off? », Working Papers 2003, nº 335.
(35) M. Buti et P. Van Den Noord, « What is the impact of taxes and welfare reforms
on fiscal stabilizes? A simple model and an application to EMU », CE, Economie
Papers 2003, nº 186.
(36) OCDE, P. Van Den Noord, « The size and role of automatic stabilizers in the 1990
and beyond », 2000, OECD, Working Papers, nº 230. Voir aussi dans Perspectives
économiques de l’OCDE, décembre 1999, p. 155, « L’ampleur et le rôle des stabi-
lisateurs budgétaires automatiques » (article qui insiste paradoxalement sur le rôle
stabilisateur de la taille du secteur public !).
(37) NIESR, R. Barrel et A.M. Pinna, « How important are automatic strabilizers in
Europe? A stochastic simulation assessment », Economic modelling 2003, vol. 21,
p. 1.
(38) CE, A. Brunila et alii, « Fiscal policy in Europe: how effective are automatic
stabilizers ? », Economic Papers 2002, nº 177. Voir aussi A. Brunila, « Fiscal policy
coordination, discipline and stabilization », MIMEO, avril 2002. Brunila montre que la
source de variation des activités étant prépondérante, un choc sur la consomma-
tion des ménages serait en France important, induisant dans ce cas une capacité
de stabilisation de 23 %.
(39) L’étude de Raphaël Espinoza a été conduite à la DP (devenue aujourd’hui
composante de la DGTPE du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi).
Elle est publiée dans Economie et Prévision 2007, nº 177, p. 1 sous le titre « Les
stabilisateurs automatiques en France ».
(40) C. Allard-Prigent, C. Audenis, K. Berger, N. Carnot, S. Duchêne et F. Pessin,
« Présentation du modèle MESANGE », DP, Doc. travail, 2002.
(41) MESANGE s’inscrit dans la lignée bien connue des MMIK français, METRIC et
AMADEUS.
(42) La CSG est par simplification traitée dans le modèle comme l’IR.
(43) Dont on trouvera le détail dans R. Espinoza, art. cité, p. 11 et 12. On notera par
ailleurs que les chocs de demande voient leur capacité de stabilisation directement
influencée par la sensibilité et le multiplicateur de la variable fiscale utilisée.
économie
-N
o12 - Décembre 2009
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