REGARDS CROISÉS SUR LE COLONIALISME ET LE POST-
COLONIALISME EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Mathieu Petithomme
Institut Universitaire Européen de Florence
et article s’intéresse à l’influence de la période coloniale sur les
développements politiques postcoloniaux. Il s’agit de mettre en évidence les
principales caractéristiques de l’État colonial, afin de comprendre et de mettre en
perspective l’influence de celui-ci sur le long terme. En d’autres termes, il sera
définit quels sont les restes en Afrique de l’État colonial. La période coloniale modifia
profondément les ordres politiques africains précoloniaux, marginalisant
radicalement les autorités traditionnelles en leur déniant toute légitimité. Les
colonisateurs tentèrent ainsi d’introduire et de gérer un système de domination des
sociétés africaines, ayant pour objectif explicite de bénéficier du contrôle effectif
des systèmes politiques et économiques du continent.1 L’appropriation par le
colon des terres conquises sera progressivement présentée comme une démarche
politique légitime et historiquement nécessaire afin de permettre le progrès des
nations et de soutenir « l’illumination » du colonisé. Notre présentation procédera
en trois temps.
C
Premièrement, nous mettrons en évidence la rupture que constitua l’introduction
de l’économie politique coloniale en soulignant ses principales caractéristiques.
Dans un second temps, afin d’illustrer plus précisément notre propos, nous
verrons comment s’est constitué progressivement, entre le XVIème et le XXème
siècle, l’Empire puis la République coloniale Française en Afrique, la France étant
certainement la puissance européenne ayant la plus systématiquement imposée sa
domination sur le continent. La France, pays symbole du triomphe du droit
républicain, impulsera une dualité juridique et morale, favorisant un état de non-
droit et d’exception permanent au sein de ses colonies. En tant que pays des droits
de l’homme, l’entreprise de « civilisation » des peuples « sauvages » sera légitimée,
justifiant l’usage systématique de la violence politique et de la coercition. Au final,
suivant la perspective croisée retenue, il sera considéré l’impact de la colonisation
EUROSTUDIA REVUE TRANSTLANTIQUE DE RECHERCHE SUR L’EUROPE
vol. 3; n°2 (dec. 2007) : Europe – Afrique : Regards croisés sur une “Europe spirituellement indéfendable”
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sur les développements politiques ultérieurs, montrant comment, loin de faire
table rase d’un passé traumatique, de nombreux dirigeants postcoloniaux
s’inspireront de la domination coloniale afin de consolider leurs propres pouvoirs
personnels et de favoriser la persistance d’États faibles aux régimes politiques
paradoxalement omnipotents.
1. LA DOMINATION POLITIQUE COLONIALE ET LA GENÈSE DUNE ÉCONOMIE
DEXTRACTION
En premier lieu, il s’agit de mettre en lumière les caractéristiques majeures de
l’économie politique coloniale qui s’est inscrit en profonde rupture avec les
traditions d’autosuffisances précoloniales, jouant donc de fait un rôle majeur dans
la déstabilisation du continent. L’économie précoloniale était avant tout une
économie fondée sur une agriculture et un élevage très faiblement mécanisés se
développant à une petite échelle, celle des communautés villageoises. Il s’agissait
d’une économie visant à l’autosuffisance, afin de permettre la vie en quasi-autarcie
de groupements de populations parfois très éloignés les uns des autres. Ainsi,
l’imposition de l’économie politique coloniale va profondément bouleverser la
scène africaine. Après l’installation des colons le long des côtes Atlantiques, le plus
souvent, où avaient été construits les comptoirs permettant la déportation des
esclaves vers l’Amérique, les colons européens tentèrent de s’approprier la majeure
partie des richesses de leurs territoires respectifs, avant tout grâce à l’usage
délibéré de la violence politique et de la soumission.
Suivant l’intérêt commercial des colonisateurs, la période favorisera la mise en
place de prospections sans précédent et une évolution réelle dans la connaissance
géographique du continent africain. Les colons stimulèrent l’expropriation active
et massive des ressources nouvellement contrôlées, propriétés « naturelles » du
colonisateur qui se posait en représentant de « la civilisation » alors que les peuples
africains étaient associés à la « barbarie ». Une fois que le contrôle des marchés
subsahariens ait été assuré, la production fut délibérément orientée vers les besoins
de la métropole. Les biens du continent furent exportés massivement, permettant
une accumulation de capital substantielle et sans précédent en Europe.2
L’économie politique coloniale se caractérisait donc par une absence totale de
souveraineté africaine sur les choix économiques, ainsi que par une domination
externe décourageant fortement la contestation vis-à-vis du nouvel ordre établi et
la participation de la société civile au sein des affaires publiques.3 En d’autres
termes, l’économie africaine constituait alors de fait « le domaine réservée » des
européens. L’objectif intrinsèque au colonialisme de construire des réserves
extérieures plutôt que de promouvoir la modernisation interne et progressive des
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 3
structures productives a donc facilité l’émergence et la prédominance de tendances
extractives au sein des systèmes économiques subsahariens.4 Les colonisateurs
imposèrent une spécialisation et une dépendance de la production africaine vis-à-
vis du secteur primaire relatif aux produits agricoles, secteur le moins rentable et le
plus dépendant sur le marché mondial.5
Par exemple, à la veille de 1914, le commerce colonial restait fondé sur une
économie de traite entre l’importation de marchandises européennes surévaluées
et l’exportation de matières premières africaines à faible coût. Les exportations de
l’Afrique Occidentale Française (AOF), principalement du caoutchouc, du bois, de
l’arachide et de l’huile de palme, progresseront ainsi pour passer d’un montant
d’environ 800000 euros en 1896 à 16 millions en 1912. L’Empire représentait alors
9,4% des importations de la métropole française entre 1900 et 1913.6 Dès cette
période, il est possible d’observer la mise en place progressive d’un commerce
ouvertement unilatéral, dans le sens où le prix des marchandises importées vers
l’Afrique progressa toujours plus vite que celui des produits exportés, posant les
conditions du développement d’un futur « néo-colonialisme » en défaveur de
l’Afrique subsaharienne.
De plus, le « pacte colonial » établit entre les différents colonisateurs stimula la
partition du continent en plusieurs sphères d’influences ainsi que la perpétuation
d’une économie de rente basée sur l’exportation.7 Ces dynamiques ont
progressivement renforcé l’urbanisation littorale autour des ports d’exportations
tels Dakar, Lomé, Cotonou ou Luanda. Ceci renforcera d’autant les migrations vers
les villes, l’exode rural ainsi que la marginalisation des zones à faibles enjeux
stratégiques pour le colonisateur.8 Suivant la distribution géostratégique de
l’espace africain entre les puissances européennes, la période coloniale a contribué
à la formation de frontières artificielles sans tenir compte des réalités ethniques et
géographiques africaines.9 De même, en l’absence d’un cadre juridique définit, il se
développera ainsi une synthèse progressive entre les positions de pouvoir et celles
d’enrichissement au sein du système colonial, contribuant d’autant plus à réduire
la différentiation entre les sphères économiques et politiques.10 Cette fusion
coloniale entre le monde politique et le monde économique a très certainement
influencée la difficile consolidation de l’État postcolonial.
Il faut de même signaler que la substitution d’une économie fondée sur le troc par
l’obligation de l’impôt colonial déstructura profondément les circuits économiques
traditionnels. La volonté coloniale d’imposer la généralisation de la pratique de
l’impôt de l’extérieur, aura en pratique l’effet inverse, consolidant l’économie
informelle « alors même qu’on se préoccupait de développer l’économie
formelle ».11 L’administration coloniale et la réalité politique de chaque territoire
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différait en fait profondément. Des pactes spécifiques avaient été instaurés entre les
colons et les chefs noirs traditionnels de chaque colonie. La collecte de l’impôt ne
pouvait donc pas s’appliquer uniformément, ce qui eut pour conséquence de
permettre le développement d’un système économique à géométries variables. Les
administrateurs coloniaux accordaient plus ou moins de faveurs à un chef noir qui
était chargé de collecter telle ou telle somme. Par la suite, lui-même détenait un
pouvoir discrétionnaire quant à la quantité d’argent qu’il imposait à payer aux
populations sous son contrôle. Il est ainsi possible de comprendre que le système
économique intérieur colonial, loin de faciliter la consolidation d’un
fonctionnement viable, introduisit une anarchie en apparence organisée, dont les
conséquences seront d’autant plus grandes lors de la transition vers l’économie
postcoloniale.
Finalement, l’une des plus importantes implications de la période coloniale sur les
développements ultérieurs fut sans doute le fait que l’État colonial a établit un
ordre politique d’exception, de part l’absence de règles formelles de droit et le non-
respect de la légalité. Ce nouvel ordre politique profitera de l’absence de traditions
d’écritures, de la prédominance de civilisations orales en Afrique subsaharienne
pour asseoir sa domination. Par exemple, le code de l’indigénat en France
proclamait alors l’infériorité et l’incapacité juridique du colonisé, la prohibition
explicite de vendre le produit de son travail, de même que son impossibilité de
posséder des biens et de conclure quel contrat que ce soit.12 Le droit colonial
constituait en pratique un « droit frappé de dissymétrie », dans le sens où « il
codifie l’injuste et veut faire oublier qu’il fonde la loi sur la tromperie et le meurtre.
Non seulement le droit autorise la spoliation de l’indigène, mais il autorise sa
punition s’il résiste à cette spoliation (…). C’est l’ordinaire de la conquête : voler et
punir celui qui est volé ».13 L’État colonial manquait donc fondamentalement de
légitimité politique, en tant qu’entité exogène au continent ayant été imposé par
l’intermédiaire de la coercition.14
2. LE PARADOXE DE LA RÉPUBLIQUE COLONIALE : UNE RUPTURE DANS LHISTOIRE
AFRICAINE
En second lieu, nous illustrerons notre propos grâce à une conceptualisation plus
précise de l’Empire colonial Français, le plus important en Afrique, et donc, le plus
à-même de rendre compte de l’impact du colonialisme sur la période
postcoloniale. L’Empire colonial Français s’est développé à partir de Colbert lors
de la conquête des Antilles, de Madagascar et du Sénégal. Les colonies étaient alors
considérées comme une propriété de la France. Le Code Noir, promulgué par
Louis XIV en 1685, instaura le monopole de la métropole sur le commerce de ses
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 5
colonies. Suivant Gourévitch, « le texte réaffirme la souveraineté du roi sur les
colons et celle des colons sur leurs esclaves, qui n’ont ni droits ni personnalité
juridique. Les esclaves ne peuvent rien posséder ni vendre. Le mariage mixte est
interdit et la loi réprime sévèrement toute révolte ou violence ».15 Plus tard, le
pouvoir révolutionnaire décrète l’égalité des noirs avec les blancs en avril 1792 et la
convention du 4 février 1794 abolira théoriquement l’esclavage. L’échec de
l’aventure de conquête européenne entreprise par Napoléon aurait du sonner le
glas de l’Empire colonial, mais en pratique, la France reconstruira progressivement
son influence mondiale à partir de 1815.16 Inéluctablement, la conquête de l’Algérie
en 1830 va poser à nouveau les bases de l’Empire colonial Français.
De la sorte, dès la période postrévolutionnaire et tout au long du XIXème siècle, la
plupart des Républicains défendrons, suivant des motifs différents mais
complémentaires, la centralité de l’Empire colonial et la nécessité de son
développement, considéré comme un joyau de la culture Française, achèvement de
la « mission civilisatrice » de la France dans le monde. Alors que l’Église justifiera
la colonisation au nom du devoir d’évangélisation des peuples « barbares », la
patrie des droits de l’homme présentera la colonisation comme le résultat de
l’exportation de son modèle soi-disant universel, même si en pratique, la
République coloniale mettra en place au sein de ses colonies un système fondé sur
la domination, la hiérarchie entre blancs et noirs, et l’assujettissement délibéré de
ses sujets. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, de nombreuses générations de
républicains ont voulu construire un Empire colonial où s’épanouiraient les idéaux
de la République. Alors que la République métropolitaine s’est créée sur l’idée
révolutionnaire du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, la République
coloniale a institutionnalisée un état d’exception permanent au sein de ses colonies.
Bien que l’Empire colonial Français fut formellement soumis du XVIème siècle
jusqu’en 1960 aux règles juridiques de la métropole, la réalité politique des
territoires coloniaux souligne la prédominance du pouvoir discrétionnaire des
administrateurs coloniaux. Le passage suivant souligne bien ce paradoxe de la
persistance de la force, de l’arbitraire et de l’arrangement informel au sein d’une
mission qui paradoxalement se voulait civilisatrice:
Le discours républicain impérial prétend à l’assimilation des peuples colonisés,
même si cela signifie en fait l’acculturation de sociétés entières à la culture française,
acculturation qui doit fonctionner comme une ‘révélation’ aux yeux des peuples
conquis. On peut parler d’une laïcisation de la mission civilisatrice chrétienne. Il ne
s’agit plus de convertir de force les peuples non européens au christianisme. En
revanche, il s’agit de convertir les peuples à l’idéal républicain qui offre le salut dans
le monde : la liberté et l’égalité, mais une liberté et une égalité définies, portées par la
France. (…) La légitimité de l’aventure impériale se fonde depuis sur l’idée d’une
supériorité de la civilisation française car elle seule aurait réinventé l’universel.17
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