Regards croisés sur le colonialisme et le post

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REGARDS CROISÉS SUR LE COLONIALISME ET LE POSTCOLONIALISME EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Mathieu Petithomme
Institut Universitaire Européen de Florence
C
et article s’intéresse à l’influence de la période coloniale sur les
développements politiques postcoloniaux. Il s’agit de mettre en évidence les
principales caractéristiques de l’État colonial, afin de comprendre et de mettre en
perspective l’influence de celui-ci sur le long terme. En d’autres termes, il sera
définit quels sont les restes en Afrique de l’État colonial. La période coloniale modifia
profondément les ordres politiques africains précoloniaux, marginalisant
radicalement les autorités traditionnelles en leur déniant toute légitimité. Les
colonisateurs tentèrent ainsi d’introduire et de gérer un système de domination des
sociétés africaines, ayant pour objectif explicite de bénéficier du contrôle effectif
des systèmes politiques et économiques du continent. 1 L’appropriation par le
colon des terres conquises sera progressivement présentée comme une démarche
politique légitime et historiquement nécessaire afin de permettre le progrès des
nations et de soutenir « l’illumination » du colonisé. Notre présentation procédera
en trois temps.
Premièrement, nous mettrons en évidence la rupture que constitua l’introduction
de l’économie politique coloniale en soulignant ses principales caractéristiques.
Dans un second temps, afin d’illustrer plus précisément notre propos, nous
verrons comment s’est constitué progressivement, entre le XVIème et le XXème
siècle, l’Empire puis la République coloniale Française en Afrique, la France étant
certainement la puissance européenne ayant la plus systématiquement imposée sa
domination sur le continent. La France, pays symbole du triomphe du droit
républicain, impulsera une dualité juridique et morale, favorisant un état de nondroit et d’exception permanent au sein de ses colonies. En tant que pays des droits
de l’homme, l’entreprise de « civilisation » des peuples « sauvages » sera légitimée,
justifiant l’usage systématique de la violence politique et de la coercition. Au final,
suivant la perspective croisée retenue, il sera considéré l’impact de la colonisation
EUROSTUDIA — REVUE TRANSTLANTIQUE DE RECHERCHE SUR L’EUROPE
vol. 3; n°2 (dec. 2007) : Europe – Afrique : Regards croisés sur une “Europe spirituellement indéfendable”
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EUROSTUDIA 3:2
sur les développements politiques ultérieurs, montrant comment, loin de faire
table rase d’un passé traumatique, de nombreux dirigeants postcoloniaux
s’inspireront de la domination coloniale afin de consolider leurs propres pouvoirs
personnels et de favoriser la persistance d’États faibles aux régimes politiques
paradoxalement omnipotents.
1.
LA DOMINATION
D’EXTRACTION
POLITIQUE COLONIALE ET LA GENÈSE D’UNE ÉCONOMIE
En premier lieu, il s’agit de mettre en lumière les caractéristiques majeures de
l’économie politique coloniale qui s’est inscrit en profonde rupture avec les
traditions d’autosuffisances précoloniales, jouant donc de fait un rôle majeur dans
la déstabilisation du continent. L’économie précoloniale était avant tout une
économie fondée sur une agriculture et un élevage très faiblement mécanisés se
développant à une petite échelle, celle des communautés villageoises. Il s’agissait
d’une économie visant à l’autosuffisance, afin de permettre la vie en quasi-autarcie
de groupements de populations parfois très éloignés les uns des autres. Ainsi,
l’imposition de l’économie politique coloniale va profondément bouleverser la
scène africaine. Après l’installation des colons le long des côtes Atlantiques, le plus
souvent, où avaient été construits les comptoirs permettant la déportation des
esclaves vers l’Amérique, les colons européens tentèrent de s’approprier la majeure
partie des richesses de leurs territoires respectifs, avant tout grâce à l’usage
délibéré de la violence politique et de la soumission.
Suivant l’intérêt commercial des colonisateurs, la période favorisera la mise en
place de prospections sans précédent et une évolution réelle dans la connaissance
géographique du continent africain. Les colons stimulèrent l’expropriation active
et massive des ressources nouvellement contrôlées, propriétés « naturelles » du
colonisateur qui se posait en représentant de « la civilisation » alors que les peuples
africains étaient associés à la « barbarie ». Une fois que le contrôle des marchés
subsahariens ait été assuré, la production fut délibérément orientée vers les besoins
de la métropole. Les biens du continent furent exportés massivement, permettant
une accumulation de capital substantielle et sans précédent en Europe. 2
L’économie politique coloniale se caractérisait donc par une absence totale de
souveraineté africaine sur les choix économiques, ainsi que par une domination
externe décourageant fortement la contestation vis-à-vis du nouvel ordre établi et
la participation de la société civile au sein des affaires publiques. 3 En d’autres
termes, l’économie africaine constituait alors de fait « le domaine réservée » des
européens. L’objectif intrinsèque au colonialisme de construire des réserves
extérieures plutôt que de promouvoir la modernisation interne et progressive des
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme
3
structures productives a donc facilité l’émergence et la prédominance de tendances
extractives au sein des systèmes économiques subsahariens. 4 Les colonisateurs
imposèrent une spécialisation et une dépendance de la production africaine vis-àvis du secteur primaire relatif aux produits agricoles, secteur le moins rentable et le
plus dépendant sur le marché mondial. 5
Par exemple, à la veille de 1914, le commerce colonial restait fondé sur une
économie de traite entre l’importation de marchandises européennes surévaluées
et l’exportation de matières premières africaines à faible coût. Les exportations de
l’Afrique Occidentale Française (AOF), principalement du caoutchouc, du bois, de
l’arachide et de l’huile de palme, progresseront ainsi pour passer d’un montant
d’environ 800000 euros en 1896 à 16 millions en 1912. L’Empire représentait alors
9,4% des importations de la métropole française entre 1900 et 1913. 6 Dès cette
période, il est possible d’observer la mise en place progressive d’un commerce
ouvertement unilatéral, dans le sens où le prix des marchandises importées vers
l’Afrique progressa toujours plus vite que celui des produits exportés, posant les
conditions du développement d’un futur « néo-colonialisme » en défaveur de
l’Afrique subsaharienne.
De plus, le « pacte colonial » établit entre les différents colonisateurs stimula la
partition du continent en plusieurs sphères d’influences ainsi que la perpétuation
d’une économie de rente basée sur l’exportation. 7 Ces dynamiques ont
progressivement renforcé l’urbanisation littorale autour des ports d’exportations
tels Dakar, Lomé, Cotonou ou Luanda. Ceci renforcera d’autant les migrations vers
les villes, l’exode rural ainsi que la marginalisation des zones à faibles enjeux
stratégiques pour le colonisateur. 8 Suivant la distribution géostratégique de
l’espace africain entre les puissances européennes, la période coloniale a contribué
à la formation de frontières artificielles sans tenir compte des réalités ethniques et
géographiques africaines. 9 De même, en l’absence d’un cadre juridique définit, il se
développera ainsi une synthèse progressive entre les positions de pouvoir et celles
d’enrichissement au sein du système colonial, contribuant d’autant plus à réduire
la différentiation entre les sphères économiques et politiques. 10 Cette fusion
coloniale entre le monde politique et le monde économique a très certainement
influencée la difficile consolidation de l’État postcolonial.
Il faut de même signaler que la substitution d’une économie fondée sur le troc par
l’obligation de l’impôt colonial déstructura profondément les circuits économiques
traditionnels. La volonté coloniale d’imposer la généralisation de la pratique de
l’impôt de l’extérieur, aura en pratique l’effet inverse, consolidant l’économie
informelle « alors même qu’on se préoccupait de développer l’économie
formelle ». 11 L’administration coloniale et la réalité politique de chaque territoire
4
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différait en fait profondément. Des pactes spécifiques avaient été instaurés entre les
colons et les chefs noirs traditionnels de chaque colonie. La collecte de l’impôt ne
pouvait donc pas s’appliquer uniformément, ce qui eut pour conséquence de
permettre le développement d’un système économique à géométries variables. Les
administrateurs coloniaux accordaient plus ou moins de faveurs à un chef noir qui
était chargé de collecter telle ou telle somme. Par la suite, lui-même détenait un
pouvoir discrétionnaire quant à la quantité d’argent qu’il imposait à payer aux
populations sous son contrôle. Il est ainsi possible de comprendre que le système
économique intérieur colonial, loin de faciliter la consolidation d’un
fonctionnement viable, introduisit une anarchie en apparence organisée, dont les
conséquences seront d’autant plus grandes lors de la transition vers l’économie
postcoloniale.
Finalement, l’une des plus importantes implications de la période coloniale sur les
développements ultérieurs fut sans doute le fait que l’État colonial a établit un
ordre politique d’exception, de part l’absence de règles formelles de droit et le nonrespect de la légalité. Ce nouvel ordre politique profitera de l’absence de traditions
d’écritures, de la prédominance de civilisations orales en Afrique subsaharienne
pour asseoir sa domination. Par exemple, le code de l’indigénat en France
proclamait alors l’infériorité et l’incapacité juridique du colonisé, la prohibition
explicite de vendre le produit de son travail, de même que son impossibilité de
posséder des biens et de conclure quel contrat que ce soit. 12 Le droit colonial
constituait en pratique un « droit frappé de dissymétrie », dans le sens où « il
codifie l’injuste et veut faire oublier qu’il fonde la loi sur la tromperie et le meurtre.
Non seulement le droit autorise la spoliation de l’indigène, mais il autorise sa
punition s’il résiste à cette spoliation (…). C’est l’ordinaire de la conquête : voler et
punir celui qui est volé ». 13 L’État colonial manquait donc fondamentalement de
légitimité politique, en tant qu’entité exogène au continent ayant été imposé par
l’intermédiaire de la coercition. 14
2.
LE PARADOXE DE LA RÉPUBLIQUE COLONIALE : UNE RUPTURE DANS L’HISTOIRE
AFRICAINE
En second lieu, nous illustrerons notre propos grâce à une conceptualisation plus
précise de l’Empire colonial Français, le plus important en Afrique, et donc, le plus
à-même de rendre compte de l’impact du colonialisme sur la période
postcoloniale. L’Empire colonial Français s’est développé à partir de Colbert lors
de la conquête des Antilles, de Madagascar et du Sénégal. Les colonies étaient alors
considérées comme une propriété de la France. Le Code Noir, promulgué par
Louis XIV en 1685, instaura le monopole de la métropole sur le commerce de ses
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme
5
colonies. Suivant Gourévitch, « le texte réaffirme la souveraineté du roi sur les
colons et celle des colons sur leurs esclaves, qui n’ont ni droits ni personnalité
juridique. Les esclaves ne peuvent rien posséder ni vendre. Le mariage mixte est
interdit et la loi réprime sévèrement toute révolte ou violence ». 15 Plus tard, le
pouvoir révolutionnaire décrète l’égalité des noirs avec les blancs en avril 1792 et la
convention du 4 février 1794 abolira théoriquement l’esclavage. L’échec de
l’aventure de conquête européenne entreprise par Napoléon aurait du sonner le
glas de l’Empire colonial, mais en pratique, la France reconstruira progressivement
son influence mondiale à partir de 1815. 16 Inéluctablement, la conquête de l’Algérie
en 1830 va poser à nouveau les bases de l’Empire colonial Français.
De la sorte, dès la période postrévolutionnaire et tout au long du XIXème siècle, la
plupart des Républicains défendrons, suivant des motifs différents mais
complémentaires, la centralité de l’Empire colonial et la nécessité de son
développement, considéré comme un joyau de la culture Française, achèvement de
la « mission civilisatrice » de la France dans le monde. Alors que l’Église justifiera
la colonisation au nom du devoir d’évangélisation des peuples « barbares », la
patrie des droits de l’homme présentera la colonisation comme le résultat de
l’exportation de son modèle soi-disant universel, même si en pratique, la
République coloniale mettra en place au sein de ses colonies un système fondé sur
la domination, la hiérarchie entre blancs et noirs, et l’assujettissement délibéré de
ses sujets. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, de nombreuses générations de
républicains ont voulu construire un Empire colonial où s’épanouiraient les idéaux
de la République. Alors que la République métropolitaine s’est créée sur l’idée
révolutionnaire du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, la République
coloniale a institutionnalisée un état d’exception permanent au sein de ses colonies.
Bien que l’Empire colonial Français fut formellement soumis du XVIème siècle
jusqu’en 1960 aux règles juridiques de la métropole, la réalité politique des
territoires coloniaux souligne la prédominance du pouvoir discrétionnaire des
administrateurs coloniaux. Le passage suivant souligne bien ce paradoxe de la
persistance de la force, de l’arbitraire et de l’arrangement informel au sein d’une
mission qui paradoxalement se voulait civilisatrice:
Le discours républicain impérial prétend à l’assimilation des peuples colonisés,
même si cela signifie en fait l’acculturation de sociétés entières à la culture française,
acculturation qui doit fonctionner comme une ‘révélation’ aux yeux des peuples
conquis. On peut parler d’une laïcisation de la mission civilisatrice chrétienne. Il ne
s’agit plus de convertir de force les peuples non européens au christianisme. En
revanche, il s’agit de convertir les peuples à l’idéal républicain qui offre le salut dans
le monde : la liberté et l’égalité, mais une liberté et une égalité définies, portées par la
France. (…) La légitimité de l’aventure impériale se fonde depuis sur l’idée d’une
supériorité de la civilisation française car elle seule aurait réinventé l’universel. 17
6
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La profonde rupture introduite par la colonisation au sein de l’histoire africaine
peut de même être mis en évidence au travers de l’institutionnalisation de « la
violence principielle » et du non-droit. L’humiliation physique et morale, la
violence, l’usage de la force sont intimement liés à la colonisation. Dans ce sens, le
rêve de République coloniale s’appuie sur un aveuglement à la réalité de la
colonisation caractérisée par la promotion de l’état d’exception comme norme de la
République. 18 De fait, une étude succincte du discours colonial permet de
souligner comment l’entreprise de domination coloniale a fait l’objet des
justifications les plus variées. Jules Ferry, lui-même père de la troisième
République et de l’école publique, théorisa pourtant le devoir de colonisation des
«races supérieures» envers les « races inférieures ». 19 De même, Victor Hugo
déclara au sujet de la conquête d’Algérie: « Notre nouvelle conquête est chose
heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche contre la barbarie. C’est un
peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Notre mission s’accomplit ».
L’idée d’une conquête positive parce qu’amenant la civilisation s’est donc
développée parallèlement à celle de l’assimilation qui prétend modeler les colonies
et les colonisés à l’image de la France. Il était défendu que la France avait une
mission universelle à remplir, celle d’apporter la civilisation aux peuples qui
l’ignore. Grâce à un artifice rhétorique, il s’agissait de banaliser ce qui constitue
une violence politique afin de la présenter comme l’achèvement d’une cause pour
l’humanité. Selon cette vision, le rayonnement et la place de la France dans le
monde dépendrait alors du succès de cette mission que l’humanité lui avait
confiée. Par exemple, Leroy-Beaulieu dans De la Colonisation chez les peuples
modernes, défendra en 1874 que le colonisateur est un visionnaire, un homme en
avance sur son temps, dans le sens où il promeut, développe et vulgarise au
monde entier les valeurs de la civilisation européenne que sont la raison et le
progrès scientifique. 20
Un exemple éloquent est sans doute celui de l’école coloniale, dont l’impact se fait
sentir jusqu’à nos jours. L’école coloniale fut le lieu même de l’utopie impériale,
tentant de promouvoir une éducation uniforme à la métropole au sein des colonies
Françaises, sans jamais tenir compte des réalités historiques et culturelles propres
au continent africain. L’idée sous-jacente était ainsi de dénier aux africains la
maîtrise de leur propre histoire, afin de mieux les assimiler de force au sein de
l’histoire Française, sans pour autant les reconnaître en tant que partie prenante, en
tant qu’acteurs au sein de celle-ci. « Assimile toi tu es différent » sera en quelque
sorte le paradoxe principal de l’injonction coloniale. Le déni d’une histoire
africaine spécifique s’ajoutera à l’inclusion de force au sein d’une histoire exogène.
Aujourd’hui encore, de nombreux programmes scolaires des États postcoloniaux
se focalisent exclusivement sur l’histoire européenne, ou pour le moins, réservent
une très large part à la connaissance du monde occidental, alors que très peu de
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme
7
langues africaines ont été codifiées, ce qui ne permet pas leur enseignement dans
un cadre différent que celui de la famille et de la transmission orale des
connaissances. Bien qu’il faut reconnaître que l’école en Afrique n’existait pas
avant la colonisation sous sa forme actuelle (traditions précoloniales
d’enseignement et de transmission orale des connaissances), il est
intellectuellement dangereux et moralement irrecevable de positiver l’entreprise
coloniale sous prétexte qu’elle aurait permis l’éducation des africains. Au contraire,
par son européocentrisme, l’école coloniale était avant tout un fabuleux moteur
d’acculturation et de négationnisme culturel pour les peuples d’Afrique
subsaharienne. Sous des angles complémentaires, il est donc possible de percevoir
dans quelle mesure le colonialisme a introduit une profonde rupture dans l’histoire
africaine. Néanmoins, la partie suivante définira un certain nombre de continuités
entre le colonialisme et le post colonialisme. En effet, tant les structures des États
que les stratégies des acteurs postcoloniaux doivent beaucoup à l’héritage colonial.
3.
COLONIALISME
ET POST COLONIALISME
:
REGARDS CRITIQUES SUR DES
RÉALITÉS CROISÉES
Contrairement à l’idée préconçue suivant laquelle la décolonisation aurait ouvert
un ordre politique entièrement nouveau, dont la réalité politique serait
essentiellement indépendante de la période historique précédente, au contraire, un
certain nombre de contraintes et d’influences coloniales ont particulièrement pesé
sur la politique postcoloniale des États indépendants. Il ne s’agit donc pas de
comprendre le post colonialisme en tant que rupture avec le colonialisme, mais
plutôt, en tant qu’une tentative de réappropriation par les acteurs africains des
instruments de leurs propres histoires. De nombreux facteurs historiques et
politiques compliqueront néanmoins cette transition. En effet, les dirigeants
africains indépendantistes, pourtant enclin à faire table rase, à impulser une
révolution radicale avec le passé colonial, inscriront paradoxalement leurs
pratiques politiques en continuité avec l’illégitimité de l’ordre colonial. Plutôt que
d’impulser un ordre nouveau fondé sur le droit, le progrès et le développement, la
période postcoloniale soulignera la centralité de stratégies personnelles de
prédation des ressources et de conservation du pouvoir politique par les élites, au
détriment d’efforts de développements maîtrisés.
Tout d’abord, afin de mieux percevoir le dilemme de l’externalité historique de
l’État en Afrique subsaharienne, il convient de rappeler que l’impératif
d’hégémonie coloniale fut facilité par la légalisation de la doctrine de l’occupation
effective, adoptée lors du Congrès de Berlin en 1884-85. Il fut alors stipulé qu’un
territoire pourrait être officiellement reconnu par la communauté internationale
8
EUROSTUDIA 3:2
comme partie prenante d’un Empire colonial, à partir du moment où le
colonisateur consacrerait son occupation territoriale par la promotion d’entités
institutionnelles et administratives de base. Au regard de cette doctrine,
l’institutionnalisation de la domination coloniale pouvait alors prendre place en
toute légalité internationale. De futurs administrateurs coloniaux pourront ainsi
développer et renforcer les nouvelles structures existantes de domination. À partir
de cet événement historique majeur, le partage de l’Afrique entre les puissances
coloniales fut alors présenté comme moralement acceptable, car juridiquement
reconnu par une conférence internationale souveraine. 21
Dans ce sens, lors de la Conférence de Berlin, plusieurs principes seront alors
codifiés et reconnus de fait: (1) la colonisation d’une zone côtière africaine donne
automatiquement des droits d’occupations sur l’espace intérieur proche; (2) toute
occupation nécessite une conquête réelle du territoire, si besoin démontrée grâce à
la signature de traités avec les chefs africains traditionnels; (3) le colonisateur
constitue la seule autorité politique reconnue internationalement. Les populations
du continent seront exclues du processus de négociation, déniant de fait toute
personnalité politique aux acteurs subsahariens. L’État colonial impliqua ainsi le
développement d’un ordre politique caractérisé par une importante concentration
des pouvoirs aux mains des élites coloniales, des régulations politiques violentes, des
systèmes politiques et économiques dominés par l’informalité, ainsi qu’un sérieux déficit
de légitimité politique. En continuation, il sera examiné chacune de ces
caractéristiques afin de comprendre les implications de la période coloniale sur la
progressive instrumentalisation politique de l’État postcolonial en Afrique
subsaharienne.
4.
DE LA DOMINATION COLONIALE AU PRÉSIDENTIALISME POSTCOLONIAL
Premièrement, il peut être pertinemment défendu que la concentration du pouvoir
politique introduite par le système de domination colonial a compliqué la
transition et la consolidation des systèmes politiques postcoloniaux. Les structures
de l’État africain résultent d’un processus d’importation. L’État Africain est un
nouvel État, successeur d’une création coloniale, et cette nouvelle souveraineté
alliée avec l’absence de préparation africaine pour l’indépendance, engendra « un
important scepticisme sur sa viabilité ». 22 Ainsi, exercer le pouvoir de manière
effective constituera le principal challenge des nouvelles élites africaines, devant
consolider leur leadership tout en remplaçant les administrateurs coloniaux, et ce
malgré l’absence de personnel compétent et le niveau d’éducation très faible des
populations et des élites africaines de l’époque. Les élites africaines durent
s’adapter à la transition de leurs territoires du statut de colonie à celui d’États
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme
9
indépendants et souverains. L’ensemble des projets postcoloniaux de construction
nationale furent donc basés sur l’appropriation de l’État colonial par les élites
africaines. Suivant le propos d’Englebert, « les nouvelles élites domestiques,
formées dans les écoles de leurs colonisateurs, parlant leurs langages, et portant
souvent le style vestimentaire du colonisateur, s’approprièrent alors l’État du
colonisateur ». 23
De plus, la souveraineté des nouveaux États postcoloniaux s’est fondée avant tout
sur une dimension externe, à savoir la reconnaissance internationale de
l’indépendance, plus que sur une réelle capacité de contrôle interne et
d’administration du pouvoir. Non seulement les gouvernements africains
héritèrent d’une importante concentration de pouvoirs léguée par l’État colonial,
mais ils bénéficièrent d’une souveraineté négative octroyé par le système
international sans pour autant présenter la souveraineté positive liée au contrôle
effectif d’un territoire donné. Cette souveraineté, dépourvue de fondements
internes, dut ainsi être consolidée tout en marginalisant les institutions politiques
précoloniales existantes. Par exemple, le Moro Naba, roi des Mossis au BurkinaFaso, ou le roi Ashanti du Ghana perdirent progressivement leurs illusions de
regain de pouvoir politique, poussant ce dernier à défendre que l’État postcolonial
institua « un déni pervers des anciennes indépendances ». 24 La coercition et la
préférence pour l’informalité dans le management des territoires coloniaux, le
manque d’institutionnalisation de l’entité politique résultante, l’absence de
tradition de souveraineté étatique, la faiblesse empirique des nouveaux États
africains et la quasi-inexistence d’une société civile organisée, sont un ensemble de
facteurs qui permirent ainsi aux gouvernements postcoloniaux de concentrer le
pouvoir politique en leur mains. Malgré leurs faiblesses, les États africains devaient
surmonter ce contexte, et dans ce sens, les gouvernements utiliseront leurs
nouvelles légitimités internationales afin de mieux contrôler leurs États.
Cependant, les nouveaux leaders postcoloniaux bénéficieront rapidement de
l’apparente contradiction entre la persistance d’États faibles aux régimes pourtant
puissants, permettant à Christopher Clapham de souligner que « dans le sens où
les régimes tentèrent d’établir une nouvelle forme de légitimité gouvernementale,
il fut plus probable que celle-ci fut basée sur la personnalité de leur leader que sur
la structure constitutionnelle de l’État ». 25 En effet, la centralisation du pouvoir
politique est une condition nécessaire mais insuffisante pour favoriser le
développement d’un type d’État « moderne ». La consolidation de la souveraineté
et de l’autorité étatique requiert de même l’émancipation institutionnelle de l’État
vis-à-vis de la société permettant le développement d’une bureaucratie
indépendante, la mise en vigueur de règles de droit ainsi que la pratique de
normes rationnelles dans la gestion des affaires publiques. Au contraire, la période
10 EUROSTUDIA 3:2
postcoloniale en Afrique s’est caractérisée par la prédominance d’un néopatrimonialisme présidentiel, dans le sens où l’accès au pouvoir s’est converti en
source d’enrichissement personnel. La fusion entre économie et politique propre à
la période coloniale s’est donc reproduite dans une certaine mesure lors de la
période postcoloniale.
Une contradiction centrale de la vie politique africaine postcoloniale est donc qu’il
existe une résilience très forte des régimes politiques malgré l’importance de la
crise d’autorité du continent. Depuis les indépendances, « les leaders africains sont
restés au pouvoir en moyenne deux fois plus longtemps que ceux de l’Asie ou de
l’Amérique Latine ». 26 Les systèmes politiques subsahariens sont indéniablement
dominés par des acteurs politiques prépondérants qui dévouent leurs vies aux
longues entreprises du conservatisme politique et de la paralysie des politiques
publiques. Certainement, « l’Afrique est la seule région au monde où le degré
d’ouverture n’a pas progressé de manière significative au long des deux dernières
décennies ». 27 Les mandats politiques autoritaires et les multiples réélections sont
sans aucun doute plus fréquents en Afrique subsaharienne qu’ailleurs dans le
monde, permettant de caractériser la vie politique africaine par « les longues
carrières politiques au cours desquelles le contrôle des dissidents a été la seule
préoccupation de l’État ». 28
La faiblesse de la légalité et du respect de l’État de droit dans la pratique politique,
l’instrumentalisation du pouvoir politique par des leaders intéressés au cours de la
reproduction de leurs pouvoirs ont eut pour conséquences régulières de
systématiser l’amendement des Constitutions nationales afin de faciliter la
réélection des présidents sortants. 29 De part la domination incontestée de la
branche exécutive, les systèmes politiques postcoloniaux ont développé de fortes
tendances présidentialistes. 30 Le pouvoir en « post colonie » s’est donc très souvent
centralisé à outrance autour d’un seul individu qui contrôle la plupart des réseaux
clientélistes et qui détient de nombreux pouvoirs discrétionnaires sur les
ressources de l’État. 31 Comme pourrait l’illustrer par exemple le cas sénégalais.
Une fois au pouvoir, les dirigeants politiques subsahariens se sont caractérisés par
la fâcheuse tendance de se convertir en « démocrates patrimoniaux », utilisant
leurs contrôles des institutions d’États pour mieux conserver leurs pouvoirs. 32
Suivant la difficulté pour les perdants électoraux de survivre au sein du régime, les
dirigeants africains ont tentés de coopter où de subordonner l’institution militaire
afin de limiter la possibilité d’émergence d’un pôle politique opposé. 33 Au final, la
persistance d’un « recyclage des élites » en Afrique subsaharienne a
paradoxalement renforcé la domination politique des régimes subsahariens tout en
permettant la persistance d’États dont la viabilité en elle-même est mise en
question. 34
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 11
5.
LA PERSISTANCE DE RÉGULATIONS POLITIQUES VIOLENTES
Deuxièmement, l’État colonial fut caractérisé par des régulations politiques
violentes, au travers desquelles le colonisateur exploita les ressources du colonisé
en poursuivant son propre bénéfice, imposant sa domination par la force et non
par la légitimité. Lors de la colonisation Française tout autant que lors de la
colonisation Portugaise, les colonies étaient considérées comme parties prenantes
de l’État central. Nonobstant, un dualisme juridique existait de fait, les colons ne se
soumettant pas en pratique aux règles de la métropole. Le rapport entre le
colonisateur et le colonisé était avant tout un rapport de servitude de ce dernier qui
devait allégeance et obéissance à son maître. L’État colonial ne prétendait pas
devoir distribuer les dividendes économiques et sociaux de sa politique impériale à
ses vassaux. Au contraire, l’État colonial défendait n’avoir aucune dette vis-à-vis
du colonisé, si ce n’est celle de sa bonté, qu’il s’octroyait par ailleurs le droit de lui
retirer quand bon lui semblait. 35 Ainsi, au sein de la vie politique coloniale, le seul
rapport possible du colonisateur avec son domestique est « un rapport de violence,
de servitude et de domination. Au cœur de ce rapport, le colonisé ne peut être
envisagé comme la propriété et la chose du pouvoir. Il est un outil subordonné à
celui qui, l’ayant fabriqué, l’emploie et peut le modifier à son gré. À ce titre, il
appartient à la sphère des objets ». 36 Le commandement constituait alors la
caractéristique principale de la domination coloniale, celle-ci ayant pour objectif
principal l’acceptation de la servitude et de la soumission à l’injonction coloniale.
Cette logique politique permettait le développement « d’une forme de
souveraineté qui s’appliquait tant aux hommes, aux choses qu’au domaine public
proprement dit, et mêlait constamment les impératifs de la morale, de l’économie
et de la politique ». 37
Tzetan Todorov défendit de même au sujet de la violence politique coloniale que
« les autres ont été réduits au rôle d’objets, il est après tout secondaire de savoir si
on aime ces objets ou si on les déteste; l’essentiel c’est qu’ils ne sont pas des êtres
humains à part entière ». 38 L’analyse de Vergès, Bancel et Blanchard recoupe
d’ailleurs celle de Mbembe lorsqu’ils déclarent au sujet de la politique de
domination coloniale, que « le modèle politique républicain de relation est une
relation de gouvernance. Cependant, dans le cadre colonial, il ne s’agit pas de
construire un espace où les lois et projets de la République soient débattus, il s’agit
d’assujettir des peuples et de les faire désirer un but inatteignable: devenir
français ». 39 Au sein des colonies, la souveraineté étatique avait deux
caractéristiques principales. D’une part, elle conjuguait faiblesse et inflation de la
notion de droit. Faiblesse du droit dans la mesure où, dans les relations de pouvoir
et d’autorité, le modèle colonial était en théorie comme en pratique, à l’exact
12 EUROSTUDIA 3:2
opposé du modèle libéral de la discussion ou de la délibération. Inflation dans le
sens où, puisqu’il se déployait le plus souvent sous l’espèce de l’arbitraire et du
droit de conquête, le concept même de droit se dévoilait souvent comme un lieu
vide. Ainsi, selon Mbembe,
c’est la raison pour laquelle, dans la mise en œuvre de ses projets, l’État colonial
n’excluait ni l’exercice de la force brute contre l’indigène, ni la destruction des
formes d’organisation sociale qui lui préexistaient, ni même leur récupération à des
fins autres que celles pour lesquelles elles furent autrefois ordonnées. Injustice des
moyens et illégitimité des fins conspiraient pour faire place à une sorte d’arbitraire,
d’inconditionnalité intrinsèque dont on peut dire qu’ils furent le propre de la
souveraineté coloniale. 40
Selon l’auteur, considérant la prévalence de l’autoritarisme, de l’absence de liberté
d’expression et de la faible marge de manœuvre des partis d’opposition au sein de
régimes aux leaders prépondérants, il semblerait que « les formes étatiques
postcoloniales ont hérité de cette inconditionnalité et du régime d’impunité qui en
était le corollaire ». 41
6.
LA PRÉFÉRENCE POUR L’INFORMALITÉ
Troisièmement, en cohérence avec notre argument, nous défendons que la période
coloniale ait introduit une entité politique nouvelle déterminée par la faiblesse de
ses fondations formelles, contraignant de manière significative la nature de l’État
postcolonial. Dans ce sens, la probabilité que se développe la sousinstitutionnalisation de l’État postcolonial, son manque de différentiation vis-à-vis
de la société civile de même que l’informalisation de ses sphères économiques et
politiques, était assez importante, étant donné la faiblesse de ses fondements
empiriques ainsi que le processus historique ayant donné lieu à son émergence.
La fusion, l’ « hybridisation » des différentes sphères de la vie sociale durant la
période coloniale, compliquera la consolidation d’un ordre public formel,
clairement différencié de la sphère privée des individus lors de la période
postcoloniale. En effet, le nouvel impératif de souveraineté imposa la promotion de
nouvelles régulations politiques par des élites occidentalisées. 42 Cependant,
suivant Crawford Young, les élites africaines durent s’adapter à de fortes
contraintes historiques ne favorisant pas la promotion d’un ordre politique légal :
L’État colonial, en général, bien qu’insistant sur l’ascendance de ses lois, ne mis pas
en vigueur un monopole légal complet. L’ordre colonial légal confinait ses
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 13
demandes d’exclusivités aux sphères économiques et sociales couvrant l’activité des
européens. 43
Dérivant leur pratique politique de l’héritage colonial, de nombreuses élites
postcoloniales ont progressivement instrumentalisé l’État postcolonial dans la
mesure où les acteurs politiques au pouvoir ont bénéficié de la prédominance de
l’informalité au sein des sphères économiques et politiques. Promouvoir
l’institutionnalisation de l’autorité étatique impliquerait nécessairement la
rationalisation de l’appareil d’État et l’instauration de l’état de droit. Au contraire,
dans de nombreux cas, l’État fut l’objet d’une instrumentalisation croissante,
répondant à la volonté des élites de profiter du chevauchement entre les sphères
formelles et informelles du politique, étant donné que les structures de pouvoir
étaient de toute façon sous leurs contrôles.
Ainsi, il pourrait pertinemment être défendu que le colonialisme ait créé l’État
africain bien qu’il n’ait aucunement fait disparaître les pratiques politiques
précoloniales. Chabal formula explicitement cet argument, soutenant qu’ « il est
loin d’être certain que l’expérience administrative coloniale ait en fait éradiqué les
traditions politiques ‘précoloniales’ et laissa des fondations solides pour une
institutionnalisation propre de l’État après l’indépendance ». 44 Pourtant, les
administrateurs coloniaux avaient bien tenté de créer une nouvelle autorité
politique représentée par l’État, au détriment des autorités coutumières
traditionnelles, instrumentalisant puis affaiblissant celles-ci. Si les distinctions
entre le politique et l’économique, le public et le privé, le légal et l’illégal sont si
faiblement instituées au sein des systèmes politiques postcoloniaux, c’est avant
tout parce que ces différentiations ne se sont jamais vraiment imposées sur le
continent africain. L’informalisation du politique a donc été favorisé par l’absence
d’émancipation de l’ordre public vis-à-vis de la sphère privée des individus. Celleci est par exemple éclairée par la prévalence du néo-patrimonialisme sur le
continent, une gestion personnelle des affaires publiques s’étant le plus souvent
érigée en norme, malgré la façade formelle d’une bureaucratie indépendante. 45
Alors que dans les modèles politiques occidentaux, il est généralement considéré
que les positions de pouvoir ne doivent pas nécessairement offrir de positions
privilégiées et de richesses, suivant l’expérience coloniale, les frontières du
politique en Afrique subsaharienne soulignent l’interdépendance des sphères
politiques et économiques:
En Afrique, il est attendu que la politique mènera à l’enrichissement personnel
comme il est attendu que la richesse aura une influence directe sur les affaires
politiques. Les personnes riches sont puissantes. Les puissants sont riches. La
richesse et le pouvoir sont intrinsèquement liés. (…) La sphère du politique se
chevauche extensivement avec toutes les autres sphères de l’activité humaine
14 EUROSTUDIA 3:2
profitable, du religieux au commercial. Il n’y a pas de frontière rigide reconnaissable
définissant ses limites vis-à-vis de la richesse. 46
Ainsi, au sein de l’ordre politique postcolonial, la souveraineté par l’externalité,
c’est aussi et surtout la faiblesse de la souveraineté formelle, politiquement
compensée par un ordre politique fondé avant tout sur l’informalité. Jean-François
Bayart a souvent parlé de « gouvernementalité » afin de conceptualiser les modes
d’organisation des pouvoirs politiques postcoloniaux. Par exemple, « la
gouvernementalité du ventre », métaphore faisant référence au système
néopatrimonial, a permis de comprendre la prédominance en Afrique
subsaharienne de stratégies politiques ayant pour objectif la prédation des
ressources naturelles et a ainsi ouvert de nombreuses pistes d’investigation pour
nombre de chercheurs. Bien que formellement comparables à de nombreux autres
Etats du monde de part leurs institutions politiques affichées (Constitution,
séparation des pouvoirs, représentants élus…), les Etats d’Afrique subsaharienne
présentent pourtant plusieurs visages. D’une part, ils se caractérisent comme tous
les Etats par une souveraineté extérieure, des indicateurs de développement socioéconomiques, des déclarations officielles, des comptes étatiques, des chiffres et des
statistiques vis-à-vis de la situation économique et financière du pays. Cependant,
ils présentent d’autre part un quotidien et une réalité politique souvent toute
différente, faite de non-dits, de faveurs, de prébendes et de règles officieuses qui
s’éloigne généralement d’une occidentalisation de façade. 47
7.
LA PERSISTANCE D’UN DÉFICIT DE LÉGITIMITÉ POLITIQUE
Finalement, il semble que le déficit de légitimité de l’État colonial se soit transposé
à la fois sur l’État postcolonial, mais aussi, sur les acteurs politiques en euxmêmes. 48 Alors que l’État colonial a délibérément promu la domination et
l’extraction des biens du colonisé, de nombreux dirigeants politiques
postcoloniaux se sont volontairement appropriés de la même logique de pouvoir et
d’autorité sans partage. Les élites africaines postcoloniales ont consolidé leurs
survies politiques grâce à la coercition et ce, malgré de très faibles fondations
légitimes, en instrumentalisant le pouvoir politique et le développement
économique suivant leurs intérêts privés. De cette façon, Richard Sandbrook
considère que les États africains sont devenus « fictifs ». Incapables de promouvoir
la stabilité économique et politique essentielle pour le développement, beaucoup
d’États africains seraient en fait devenus des États « anti-développementaux » au
sein desquels « la mauvaise gestion, les inefficiences, la corruption massive du
secteur public, l’instabilité politique et l’incapacité de faire respecter la loi limitent
toutes possibilités de croissance ». 49 Ce déficit crucial de légitimité permet à
Jackson et Rosberg de qualifier l’ordre politique postcolonial subsaharien comme
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 15
étant constitué d’un ensemble de « quasi États », ou « d’artefacts juridiques »,
considérant leurs incapacités à promouvoir des normes sociales cohérentes et à
assurer un minimum de protection pour leurs citoyens. 50 Ainsi, le déficit de
légitimité des acteurs politiques postcoloniaux serait à même d’expliquer la
faiblesse des États postcoloniaux. Sur ce point, Robert Bates a brillamment
démontré comment de mauvais choix gouvernementaux, des politiques publiques
délibérément faussées ainsi que de nombreuses irrationalités économiques
pouvaient être compensées par la rationalité politique permettant la conservation
des structures de pouvoir. La persistance de politiques irrationnelles et antidéveloppementales peut être élucidée par la volonté des élites de maximiser
l’immobilisme politique et l’extraction des ressources économiques à court terme
plutôt que de promouvoir une politique de développement sur le long terme. 51
Dans l’explication de cette faillite chronique, la prédominance du clientélisme et du
néo-patrimonialisme intrinsèquement liés à la nature des systèmes politiques
africains ont joué un rôle déterminant dans l’absence de rénovation des acteurs
politiques et la faible probabilité de mise en place de changements sur le long
terme. Le clientélisme potentiel d’un leader, à savoir, sa propension à être plus ou
moins généreux vis-à-vis de la société civile a aussi influencé, dans de nombreux
cas, le soutien tacite ou l’opposition populaire ouverte à un dirigeant défini. 52 En
fait, la nature profondément instrumentale du pouvoir politique en Afrique
subsaharienne a conditionné les élites dans leurs oppositions fondamentales à
l’ouverture démocratique et au changement politique. 53 Ainsi, généralement en
Afrique subsaharienne, « un dirigeant au pouvoir forcé à libéraliser le système
politique va tendre de placer en priorité sa survie politique au détriment de l’Etat
en tant qu’entité capable de pourvoir aux besoins de la société et susceptible
d’augmenter sa légitimité ». 54 Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la
désintégration de la viabilité d’un Etat peut être politiquement acceptable pour des
acteurs politiques intéressés avant tout par leurs survies politiques.
En outre, la classification de Samuel Huntington au regard des trois voies possibles
de transition démocratique, de l’élite vers la société civile, de la société civile vers
l’élite ou du changement politique négocié (réforme par le haut, rupture ou pacte),
permet de consolider l’argument selon lequel les transitions politiques au sein des
régimes néopatrimoniaux africains auraient d’autant plus de chance de trouver
leurs origines au sein de rebellions armées et de protestations radicales dirigées
par des entrepreneurs politiques, plutôt que de résulter d’une ouverture du régime
au pouvoir lui-même. 55 L’absence de négociateurs et de parties susceptibles de
proposer un compromis ainsi que des ouvertures politiques réelles au sein du
régime politique lui-même conditionne les élites à placer leurs survies politiques
au premier plan de leurs agendas, résistant le plus longtemps possible le
16 EUROSTUDIA 3:2
changement politique et encourageant le développement de stratégies permettant
la reproduction du régime. En conséquence, la faible probabilité d’impulser
quelconque changement au sein du régime en lui-même conduit bien souvent les
challengers potentiels à utiliser les mêmes moyens radicaux que ceux de l’Etat
pour exhorter le changement. La radicalisation sociétale répond alors à la violence
d’Etat.
Dans ce sens, il est éloquent d’observer comment peu de nouvelles figures
politiques ont émergé en Afrique subsaharienne au cours de la période
contemporaine, et comment, pour une bonne partie d’entres elles, le coup d’Etat
militaire a été de loin la stratégie la plus utilisée et la plus réussie. 56 Les leaders
politiques ont en effet peu de raison de sponsoriser des politiques et des réformes
qui remettraient en cause leurs propres positions et l’accès qu’ils détiennent aux
ressources nationales. Les transitions politiques en Afrique subsaharienne
s’effectuent donc avant tout par le bas: « sur vingt et un cas de transitions en
Afrique subsaharienne entre Novembre 1989 et Mai 1991, l’initiative de mettre en
place une réforme politique a été prise par des protestataires opposants au régimes
en place dans seize cas et par les leaders politiques désavoués dans seulement cinq
cas ». 57 Cependant, nombreux furent les cas d’ouvertures partielles de la part du
pouvoir politique, ou, comme le médiatise le cas de Mobutu dans l’ex-Zaïre, les
pays où le pouvoir politique a promu une «conférence nationale» formelle afin de
mieux paraître transparent aux yeux de la communauté internationale et de
coopter par la suite les groupes d’opposition au sein du pouvoir en place.
8.
CONCLUSION
En conclusion, il semble donc que dans le cas subsaharien, la compréhension de la
« postcolonialité », entendue comme le fait et la réalité politique postcoloniale,
requiert avant tout une conceptualisation sur le long terme de la genèse historique
ayant présidé à l’imposition puis à l’appropriation des structures étatiques sur le
continent. Contrairement aux approches conservatrices se focalisant exclusivement
sur l’étude des politiques publiques ou sur les structures formelles de pouvoir, il
s’avère que les développements politiques postcoloniaux doivent nécessairement
être appréhendés à partir des implications de la période coloniale, rupture
fondamentale dans l’histoire subsaharienne. L’instrumentalisation de l’État
colonial par ses dominateurs influencera largement les handicaps de celui-ci à
l’indépendance. La période coloniale impliquera la naissance de structures
politiques dotées de déficits de légitimité que les élites postcoloniales
instrumentaliseront dans leurs propres intérêts. Si les États postcoloniaux sont
avant tout des « États faibles », c’est aussi et surtout parce que les gouvernements
Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 17
africains n’ont trouvé aucun intérêt dans l’institutionnalisation d’une
administration publique rationnelle, ainsi que dans la promotion de la légalité et
d’un système politique formel capable de faire respecter les droits individuels et
collectifs. 58 Suivant la même logique propre à la domination coloniale, il ne
pouvait pas être espéré que les dirigeants postcoloniaux entreprennent des
réformes économiques qui modifieraient l’influence des forces sociales qui les
maintenaient au pouvoir.
Notes
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12
Dans ce sens, Mbembe souligne comment le discours de légitimation de l’ordre politique
colonial était entièrement constitué par l’idéologie de la servitude légitime, de l’infériorité et de
la nécessaire domination du sujet colonisé. Voir A. Mbembe, De la Postcolonie : Essai sur
l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris : Karthala, 2000, p. 26.
E. D. Said, Orientalism, London: Penguin Books, 2002, p. 129.
O. Likaka, Rural Society and Cotton in Colonial Zaire, Madison/WI: University of Wisconsin Press,
1997, p. 10.
J. H. Frimpong-Ansah, The Vampire State in Africa: The Political Economy of Decline in Ghana, Trenton:
Africa World Press, 1992, p. 40.
Par exemple, l’économie politique de la Côte-d’Ivoire fut délibérément orientée durant la période
coloniale vers la production et l’exportation de cacao, expliquant la création de la ligne de chemins de fer
Ouagadougou-Abidjan afin de faciliter la liaison entre les lieux de production et les ports d’exportation.
Les colonisateurs français opteront de même pour stimuler la production de coton dans l’actuel Mali. Il est
frappant d’observer à quel point qu’aujourd’hui encore, ces deux pays restent très dépendants de la
production et de la vente de ces matières premières.
J. P. Gourévitch, La France en Afrique. Cinq siècles de présence : vérités et mensonges, Paris : Le Pré aux
Clercs, 2004, p. 166.
J. Marseille, Empire colonial et capitalisme français, Paris : Albin Michel, 1984, p. 11.
L’histoire politique du Sahel, les migrations historiques massives des Burkinabés vers la Côted’Ivoire, ou encore l’extrême isolement du Niger, qui ne comptait à son indépendance que
cinquante-cinq kilomètres de routes asphaltées pour un pays grand comme trois fois la France,
reflètent bien ces conséquences de l’impérialisme colonial.
De nombreux peuples sont devenus obligés de vivre à cheval sur plusieurs États à la fois. Par exemple,
traditionnellement nomades du Sahara, les Touaregs sont ainsi aujourd’hui répartis entre sept pays
principaux dont le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, la Lybie, le Niger, le Mali et le Burkina-Faso. Autant
dire que l’émergence d’une nation Touarègue fut tout simplement balayée par la colonisation, entraînant
de même la précarisation de ce peuple qui doit aujourd’hui continuellement monnayé son passage sur des
frontières le plus souvent géographiquement fictives, mais considérées comme politiquement
déterminantes par l’ensemble des régimes postcoloniaux africains. À ce sujet, cf. C. Coquery-Vidrovitch,
Afrique Noire, permanences et ruptures, Paris : Payot, 1985, p. 112.
J. F. Bayart, “L’Historicité de l’Etat importé”, in id. (dir.), La Greffe de l’Etat, Paris : Karthala, 1996, p.
32. Voir de meme K. Hart, The Political Economy of West African Agriculture, Cambridge: Cambridge
University Press, 1982, p. 14.
Gourévitch, op. cit., p. 169.
A. D. Traoré, Le viol de l’imaginaire, Paris : Fayard, 2002, p. 111.
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N. Bancel/P. Blanchard/F. Vergès, La République Coloniale. Essai sur une utopie, Paris : Albin Michel,
2003, p. 44.
B. Badie, L’Etat importé : L’occidentalisation de l’ordre politique, Paris : Fayard, 1992, 127.
Gourévitch, op. cit., p. 96.
À cet égard, l’expédition d’Egypte avait pourtant montré un autre visage de la colonisation,
permettant la participation de savants, d’artistes, et associant les militaires Français aux notables
locaux. La promotion vers l’Égypte des acquis de la société occidentale (imprimerie, presse…)
s’était effectué en échange de la vulgarisation de la civilisation égyptienne en France, comme en
témoigne d’ailleurs l’offre par les Égyptiens d’un des plus beaux monuments de Paris,
l’Obélisque de Louxor de la Place de la Concorde, réplique de sa jumelle restée en Égypte.
Bancel,/Blanchard/Vergès, op. cit., p. 44. Sur la légitimation de l’Empire colonial, consulter de
même E. Saada, « L’Empire », in V. Duclert/C. Prochasson (dir.), Dictionnaire Critique de la
République, Paris : Flammarion, 2002, p. 481.
Ibid., p. 20.
De même, c’est durant le ministère de Jules Ferry qu’eut lieu l’expansion méthodique et
rationnelle de la colonisation française entre 1883 et 1885, permettant successivement de
renforcer le protectorat français en Tunisie et au Dahomey, de s’approprier le Soudan et de
réorganiser l’Afrique Equatoriale.
Sur ce point, de nombreux économistes influents, relayés par le personnel politique, notamment
au travers de la Ligue Coloniale à partir de 1903, mettaient aussi en avant les bienfaits de la
colonisation, perçue comme étant à l’origine de la création de débouchés économiques,
permettant une plus-value sans précédent pour la France.
À ce propos, Gourévitch souligne bien ce processus de partition de l’Afrique entre les colonisateurs :
« L’Espagne a acheté l’île de Fernando-Po, et s’est installée en Guinée espagnole et au Rio de Oro. Le
Portugal exploite le café, le cacao et la canne à sucre sur les côtes de l’Angola, du Mozambique et de la
Guinée portugaise. La France tient le Sénégal et le Gabon, a étendu son protectorat sur le Fouta-Djalon
(Guinée) et sur la rive gauche du Niger jusqu’à Tombouctou, possède quelques comptoirs en Côted’Ivoire et au Dahomey, et s’est installée à Bamako. Les Anglais contrôlent la Sierra Leone dès 1808, la
Côte-de-l’Or depuis 1850, la ville de Lagos et une partie du Nigéria à partir de 1861. Les Allemands
guignent le Cameroun et le Togo et le roi des Belges Léopold, qui intrigue pour occuper le Congo, veut
aussi sa part du gâteau. Pour la première fois dans l’histoire, une conférence internationale réunissant les
délégués de quatorze nations, Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, Etats-Unis,
France, Grande-Bretagne, Hollande, Italie, Portugal, Russie, Suède, Turquie, se tient sur les problèmes
africains à Berlin. Un ‘Acte général’ est promulgué, qui présidera au découpage de l’Afrique en 1914 » ;
cf. J. P. Gourévitch, La France en Afrique. Cinq siècles de présence : vérités et mensonges, Paris : Le Pré
aux Clercs, 2004, p. 154.
I. W. Zartman (ed.), Collapsed States: The Disintegration and Restoration of Legitimate Authority,
London: Lynne Rienner, 1995, p. 1 (ma traduction).
P. Englebert, State Legitimacy and Development, Boulder/Colorado: Lynne Rienner, 2001, p. 76
(ma traduction).
B. Davidson, The Black Man’s Burden. Africa and the Curse of the Nation-State, New York: Times
Books, 2002, p. 73.
C. Clapham, Africa and the International System: The Politics of State Survival, Cambridge:
Cambridge University Press, 1996, p. 53.
H. S. Bienen/ N. van de Walle, Of Time and Power: Leadership Duration in the Modern World, Palo
Alto/CA: Stanford University Press, 1991, pp. 55-6.
N. van de Walle, African Economies and the Politics of Permanent Crisis 1979-1999, Cambridge:
Cambridge University Press, 2001, p. 80.
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J. A. A. Ayoade, “States without citizens: An emerging African phenomenon”, in D. Rothchild/N. Chazan
(eds.), The Precarious Balance: State and Society in Africa, Boulder & London: Westview Press, 1988, p.
114.
R. Tangri/A. M. Mwanda, “Military corruption and Ugandan politics since the late 1990s”, Review of
African Political Economy 98, 2003, p. 551.
Chabal/Daloz, op. cit., p. 33.
Van de Walle, op. cit., p. 52.
L. J. Beck, “Senegal’s ‘Patrimonial Democrats’: Incremental reform and the obstacles to the consolidation
of democracy”, Canadian Journal of African Studies 31 (1), 1997, p. 27.
Tangri/Mwanda , op. cit., p. 539.
Chabal/Daloz, op. cit., p. 31.
Mbembe, op. cit., p. 58.
Ibid., p. 44.
Mbembe, op. cit., 2000.
T. Todorov, Nous et les autres, Paris : Seuil, 1989.
Bancel/Blanchard/Vergès, op. cit , 2003, p. 32.
Mbembe, op. cit., p. 42.
Ibid.
Davidson, op. Cit., p. 68.
C. Young, “The African colonial state and its political legacy”, in D. Rothschild/N. Chazan
(dir.), The Precarious Balance: State and Society in Africa, Boulder/London: Westview Press, 1988,
p. 36.
P. Chabal, Power in Africa: An Essay in Political Interpretation, Basingstoke: Mac Millan, 1992, p.
11.
W. Reno, Warlord’s Politics and African States, Boulder/Col.: Lynne Rienner, 1998, p. 250.
Chabal/Daloz, op. cit., p. 52.
Voir à ce sujet R. Arnaut, L’Afrique du Jour et de la Nuit, Paris : Presses de la Cité, 1976. Consultez
de même A. T. Hazoumé/E. G. Hazoumé, Afrique, Un Avenir en Sursis, Paris : L’Harmattan,
1988.
En effet, le déficit de légitimité de l’État postcolonial permet d’expliquer en partie la
prolifération des oppositions armées en Afrique subsaharienne. Le système politique ne laissant
généralement que très peu de place à une opposition démocratique, celle-ci se manifeste ainsi
sous d’autres formes, par la violence notamment.
R. Sandbrook, “The State and economic stagnation in tropical Africa”, World Development 14 (3),
1996, p. 321.
R. H. Jackson/C. G. Rosberg, “Sovereignty and underdevelopment: Juridical statehood in the
African crisis”, Journal of Modern African Studies 24 (1), 1986, p. 30. Voir aussi l’article de R. H.
Jackson/C. G. Rosberg, , “Why Africa’s weak states persist: The empirical and the juridical in
statehood”, World Politics 35 (1), 1982, pp. 1-24.
R. H. Bates, Markets and States in Tropical Africa: The Political Basis of Agricultural Policies, Berkeley:
University of California Press, 1981, p. 153.
L. Wantchekon, “Clientelism and voting behavior: Evidence from a field experiment in Benin”, World
Politics, 55, 2003, p. 422.
R. Snyder, “Explaining transitions from neopatrimonial dictatorships”, Comparative Politics 24 (4), 1992,
p. 379.
M. Katumanga, “A city under siege: Banditry and modes of accumulation in Nairobi, 1991-2004”, Review
of African Political Economy 106, 2005, p. 511.
S. P. Huntington, The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century, Norman: University of
Oklahoma Press, 1991, p. 54.
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P. Chabal/J. P. Daloz, Africa Works: Disorder as Political Instrument, Bloomington: Indiana University
Press, 1999, p. 33.
N. Bratton/N. van de Walle, “Neopatrimonial regimes and political transitions in Africa”, World Politics
46 (4), 1994, pp. 453-89.
J. Migdal, Strong Societies and Weak States: State-Society Relations and State Capabilities in the Third
World, Princeton: Princeton University Press, 1988, p. 3.
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