Petithomme — Regards croisés sur le colonialisme et le post-colonialisme 5
colonies. Suivant Gourévitch, « le texte réaffirme la souveraineté du roi sur les
colons et celle des colons sur leurs esclaves, qui n’ont ni droits ni personnalité
juridique. Les esclaves ne peuvent rien posséder ni vendre. Le mariage mixte est
interdit et la loi réprime sévèrement toute révolte ou violence ».15 Plus tard, le
pouvoir révolutionnaire décrète l’égalité des noirs avec les blancs en avril 1792 et la
convention du 4 février 1794 abolira théoriquement l’esclavage. L’échec de
l’aventure de conquête européenne entreprise par Napoléon aurait du sonner le
glas de l’Empire colonial, mais en pratique, la France reconstruira progressivement
son influence mondiale à partir de 1815.16 Inéluctablement, la conquête de l’Algérie
en 1830 va poser à nouveau les bases de l’Empire colonial Français.
De la sorte, dès la période postrévolutionnaire et tout au long du XIXème siècle, la
plupart des Républicains défendrons, suivant des motifs différents mais
complémentaires, la centralité de l’Empire colonial et la nécessité de son
développement, considéré comme un joyau de la culture Française, achèvement de
la « mission civilisatrice » de la France dans le monde. Alors que l’Église justifiera
la colonisation au nom du devoir d’évangélisation des peuples « barbares », la
patrie des droits de l’homme présentera la colonisation comme le résultat de
l’exportation de son modèle soi-disant universel, même si en pratique, la
République coloniale mettra en place au sein de ses colonies un système fondé sur
la domination, la hiérarchie entre blancs et noirs, et l’assujettissement délibéré de
ses sujets. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, de nombreuses générations de
républicains ont voulu construire un Empire colonial où s’épanouiraient les idéaux
de la République. Alors que la République métropolitaine s’est créée sur l’idée
révolutionnaire du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, la République
coloniale a institutionnalisée un état d’exception permanent au sein de ses colonies.
Bien que l’Empire colonial Français fut formellement soumis du XVIème siècle
jusqu’en 1960 aux règles juridiques de la métropole, la réalité politique des
territoires coloniaux souligne la prédominance du pouvoir discrétionnaire des
administrateurs coloniaux. Le passage suivant souligne bien ce paradoxe de la
persistance de la force, de l’arbitraire et de l’arrangement informel au sein d’une
mission qui paradoxalement se voulait civilisatrice:
Le discours républicain impérial prétend à l’assimilation des peuples colonisés,
même si cela signifie en fait l’acculturation de sociétés entières à la culture française,
acculturation qui doit fonctionner comme une ‘révélation’ aux yeux des peuples
conquis. On peut parler d’une laïcisation de la mission civilisatrice chrétienne. Il ne
s’agit plus de convertir de force les peuples non européens au christianisme. En
revanche, il s’agit de convertir les peuples à l’idéal républicain qui offre le salut dans
le monde : la liberté et l’égalité, mais une liberté et une égalité définies, portées par la
France. (…) La légitimité de l’aventure impériale se fonde depuis sur l’idée d’une
supériorité de la civilisation française car elle seule aurait réinventé l’universel.17