de Bernard-Marie Koltès
éditions de Minuit
Mise en scène Camille Brunel Aoun et Adrien Ledoux
Production L’abadis
Co-production
Théâtre de L’Union, Centre Dramatique National du Limousin
Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale d’Aubusson
Théâtre du Cloître, Scène conventionnée de Bellac
Avec le soutien de la DRAC du Limousin et du Conseil régional du Limousin
Avec l’aide du Secours Populaire de Limoges
co-réalisé avec la compagnie Sans Bagages, La Métive - Lieu International de rési-
dence de création artistique
L’homme cesse de se représenter victime quand il prend le rôle de bourreau .
J. Allendy
Roberto Zucco
est un rêve éveillé.
Succo resurgit de la cuisse du Koltès.
La tragédie contamine le fait divers, le féminin le masculin, le pouvoir la soumission et
le destin la révolte. Zucco dénonce la persécution minuscule et menue des hommes :
il devrait effrayer… il rassure. Il devrait être fuit… il séduit. Il devrait être achevé… il
console. Zucco lit l’invisible chez ceux qui l’entourent, il est au delà des lois, dans la
pure nécéssité. Surgissent le héros tragique, l’humour, Shakespeare, la pantalonnade,
le grand-guignol, le grotesque...
Des comédiens souples, mous, informes, interchangeables, personnages de ce
rêve, changent d’habits et de sexe en permanence, échangistes. Se volent la parole
et l’histoire. Se bouffent le bec. Se mangent. Différents membres invertébrés d’une
seule bête monstrueuse, terrifi ante et drôle. Des clowns d’une cruauté jamais vue.
Les gamins du gouvernement armés jusqu’aux dents, les musulmans en colère, les
travelos en déroute, les bourgeoises de sortie et toute cette humaine vulgarité.
Sauf Zucco. Son carnage est une purifi cation. Son réseau s’étend, son poids
disparaît. La tâche est sombre. Mais il ne peut pas cacher le sang. Comment alors
accoucher devant tous ? Il veut être Icare, la sanction des dieux le transmue en Sisyphe.
Tout semble s’inverser, c’est Zucco qui est halluciné. Mais ce qu’il voit est vrai :
les images de notre violence dans la relation aux immigrés, à la religion, à la loi, aux
petites frappes, au viol, aux genres. Médiatisées. Les démanteler, démantibuler.
Regarder ce qui existe en vrai. Qu’avons-nous fait ? Qui avons-nous fabriqué ?
Nos sociétés ont les criminels qu’elles méritent ! Les XXème et XXIème siècles ont
fabriqué des détraqués solitaires kamikazes et sans masques. C’est peut-être votre
ls madame !
C’est une histoire sublime. Sublime. Et c’est un tueur...
Quand on me dira que je fais l’éloge du meurtrier,
ou des choses comme ça... Parce qu’on va me le dire!
Moi je dis que c’est un tueur... exemplaire!
Bernard-Marie Koltès à propos de Roberto Succo
La représentation de la pièce : la terreur de Zucco. Mystère moyenâgeux, rituel,
cérémonie hommage de Koltès au sublime si ambigu de Succo.
Dans un éclat festif et coloré, dans une outrance du jeu ! Une célébration des
morts amérindienne.
Se réveiller avec la sensation du vrai, comme on se réveille en train de pleurer ou bien
après un rêve érotique avec l’incertitude d’avoir joui et ce trouble qui colle à la peau
jusqu’au rêve suivant.
Reconstitution des faits, déjà vécus, impression de déjà vu, déjà dit. Dans l’enquête
Zucco revit le même cauchemar.
Comme un jeu vidéo, des paliers franchis, des décors aux mêmes formes. Les morts
sont différents ou pas, de nouveaux ennemis abattus au l des parties. Suis-je déjà
venu ici... Ai-je déjà tué ma mère ?
Le crime constitue une des énigmes majeures du comportement humain.
L’adolescence, qui est a priori un moment promoteur de vie, accentue cette
énigme en stigmatisant l’étrangeté de la mort donnée, à soi comme à l’autre.
Les études épidémiologiques soulignent la forte prévalence
de suicide ou de meurtre chez l’adolescent, l’enfant soldat,
dans les quartiers de mineurs incarcérés pour récidive criminelle.
Michel Foucault, le premier, analyse Pierre Rivière et ses terreurs incestueuses
qui ont déclenché les meurtres de son père, de sa mère, son frère et sa sœur.
Nous retrouvons cette même terreur chez Roberto Succo.
Philippe Bessolle in
le crime adolescent
.
Le crime adolescent est une tentative de se dégager de l’état originaire de l’enfant
soumis aux soins maternels. Il vient séparer dans le réel l’inséparable de la fusion.
La nécessité de tuer ne vient pas d’une haine de l’objet ni du sadisme à le détruire
mais d’«une condition à se faire advenir soi-même et tenter de réparer la blessure
d’amour propre». Paradoxalement, le crime est une conduite «parapsychotique» aux
enjeux identitaires majeurs. Le crime adolescent empêche l’accession à l’angoisse de
castration, qui permettrait de sortir de la relation de dépendance de l’enfant à la mère.
Il ré-actualise les angoisses archaïques du processus de séparation, en maintenant
l’enfant dans cette dépendance. Il stigmatise l’impuissance infantile.
Je m’éloigne de plus en plus de tout réalisme.
Je me rends compte que j’éprouve comme indispensables des formes
qui renvoient à la tragédie classique.
Bernard-Marie Koltès
En 1988 l’italien Roberto Succo surgit en France, après avoir
disparu 4 ans, pour une cavale au cours de laquelle il tue 8 personnes.
Arrêté, la folie est invoquée. Déprimé d’être considéré fou alors qu’il aurait
voulu être pris pour un tueur, il se suicide dans une prison psychiatrique.
Mohammed Merah a tué 7 personnes en mars 2012. La réponse de la société à ses
actes a été un «rejet» violent, condamnant sans observer. Les explications qui ont été
avancées par les médias ont orienté le débat public vers ses aspects idéologiques et politico-
religieux, délaissant presque systématiquement les outils psychologiques. Mais la nature
de la pulsion de meurtre trouve ses racines dans une zone antérieure. Sur cette zone
plus dif cile à déceler et qui pour être débusquée nécessite une durée que les médias ne
peuvent pas contenir, le silence s’est refermé dans la condamnation à mort pure et simple.
En 20 ans les crimes adolescents se sont multipliés, devrait-on dire démultipliés,
puisque les revendications de leurs auteurs sont désormais plurielles :
sentiment d’humiliation, déséquilibre mental, code d’honneur appelant à la
vengeance etc… Les violences constatées sont commises par des individus
toujours plus jeunes, quasi toujours de sexe masculin, pour des raisons de
plus en plus futiles, selon des modus operandi de plus en plus barbares :
fusillade collective, lynchages, lapidations, viols et meurtres collectifs, bûcher.
La seule réponse à ces actes est souvent la condamnation et le refus de leur analyse
construite.
Les raisons, les circonstances et les ferments de ces crimes sont divers et ne doivent
pas être rapprochés à outrance. Mais un point commun doit être souligné. La nécessité
de tuer. Une pulsion de mort vitale mène l’individu vers le sentiment de se «réaliser»
dans son geste.
L’humanité ingurgite et digère ces événements en une kyrielle de petites
amnésies. Or si la planète vit aujourd’hui une des périodes les plus paisibles, ses
individus n’ont jamais été confrontés aussi fréquemment à des actes de violence aussi
amoraux et répétés dans leur quotidien. De cette gangrène vient la désintégration des
codes d’honneur, des tribus et des familles, du rapport à son propre corps, du plaisir,
du partage et de tout moyen d’accéder chaque instant à un sentiment de bonheur.
En tant qu’hommes et en tant qu’artistes nous sommes préoccupés par cette
mutation anarchique qui génère des comportements pathologiques allant
jusqu’au meurtre et dont l’humanité souffre. Nous voulons nous interroger sur ces
phénomènes afi n de les comprendre en profondeur.
Ma mère, folle, folle
M’a écrasé dans la casserole.
Ma sœur, belle, belle,
M’a posé dans la corbeille.
Mon papa en catimini
M’a mangé d’une seule bouchée.
Par l’amour de Saint Martin,
Je suis devenu un bel oiselet.
Cui cui cui !
Contine traditionnelle Italienne
Mie mama mata mata
la m’ha mis dentar in t’la pignata.
Mia surela bela bela
l’ha m’ha mis in t’la ziztela.
Mie popà luin luon
al m’ha magnà tutt’in tun con.
Par l’amor ad San Martin
son d’vantà un bel uslin:
cirolo cirolo cirolo!
Koltès ne savait que peu de choses sur le tueur italien Succo. Mais
se sachant mourant et dans l’urgence de l’écriture, fasciné par l’apparence
angélique du jeune homme, il fait de son parcours celui d’un héros. Il
plonge le fait divers dans l’amnios traumatique de la tragédie. Le monstre qui
en émerge est un Zucco dé-monstrateur, un dénonciateur d’un monde qui, à
fuir ses peurs et ses réalités, à ne vivre que dans l’idée de ce qu’il est, perd
la conscience de son apparence, et par toute raison d’être épargné.
L’auteur inscrit son oeuvre dans un continuum littéraire depuis les légendes populaires,
les textes bibliques et les tragiques grecs jusqu’à Barjavel, Beckett ou Bond jusqu’à
Sarah Kane. Dans
Roberto Zucco
il cite le culte de Mithra, Hugo et Dante, évoque Dalila.
Mais sa référence principale dans cette dernière pièce est Shakespeare et notamment
la tragédie du prince d’Elseneur, à la fois par la scène d’introduction qui est une mise
en abîme de la scène première d’
Hamlet
, mais aussi dans le marquage du sceau
d’Ophélie, éponyme de la scène XIII. Hamlet doit renoncer à son apparence
et aux préjugés de la cour pour se réaliser pleinement dans sa mission
en tant que vengeur de la mémoire du père. Un tueur légitimé en somme.
Dès la première scène de
Roberto Zucco
, les deux gardiens de prison ont un
échange dialectique autour de «l’idée et de sa réalisation», de ce qu’on l’on perçoit
ou croit percevoir, introduisant explicitement ce qui tout au long de la pièce sera
décliné : les personnages sont chacun contraints de confronter l’idée qu’ils
se font d’eux-mêmes à la réalité qui les incarne et au regard porté sur eux.
Zucco distille lui aussi tout au long de son parcours l’ambivalent «être ou ne pas être»…
qui devient «suis-je ou ne suis-je pas ?» et tend vers le «où suis-je?» cher à Beckett.
«Ne vous trompez pas entre ma personnalité et mon attitude, ma personnalité
représente ce que je suis et mon attitude dépend de qui vous êtes» explique le
footballeur tunisien Karim Saïdi.
Dans le passage à l’acte de Zucco nous voulons défendre l’idée que si le meurtrier se
construit et se (dé)forme dès son apprentissage de la vie, le meurtre, lui, nécessite
une contamination du meurtrier par l’environnement qui lui fournit sa victime.
Zucco est un double théâtral dans lequel se mire notre propre tueur intime,
un prisme pour observer à la loupe une société difforme et monstrueuse dont
la violence souterraine resterait sinon indécelable.
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !