Actes du 25
e
Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009
Nature et portée du démarketing environnemental
Eric MILLIOT
IAE - Université de Poitiers - CEREGE
Actes du 25
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Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009
Nature et portée du démarketing environnemental
Résumé (FR):
La multiplication des problèmes écologiques engendrés par la forte croissance de la
consommation mondiale a des conséquences sur les attentes des prospects et les décisions des
entreprises. Le concept de démarketing prend, dans ce contexte, une dimension stratégique et
opérationnelle particulière. Pour étudier cette dimension, nous proposons dans cet article
d’élaborer une typologie présentant les multiples facettes de cette pratique atypique. La grille
de lecture qui en découle permet de cerner les divers enjeux sociétaux et managériaux de cette
politique commerciale.
Mots clés : marketing, développement durable, communication
The nature and scope of environmental demarketing
Abstract (EN):
The multiplication of ecological problems, created by the rapid growth in world consumption,
has consequences on prospects' expectations and companys’ decisions. In this context,
demarketing is a concept offering interesting strategic and operational perspectives. To
understand these perspectives, we propose a typology presenting the multiple facets of this
atypical practice. The resulting framework allows for better understanding of the various
social and managerial stakes of this marketing policy.
Key words: marketing, sustainable development, communication
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Introduction
Le concept de démarketing est défini, par Kotler et Levy (1971), comme l’aspect du
marketing qui cherche à décourager les consommateurs en général ou une certaine classe de
consommateurs en particulier de manière temporaire ou permanente (p. 75).
Concrètement, cette pratique présente une inversion des logiques de mise sur le marché. Si
nous prenons le mix commercial pour illustrer ces propos, le produit est alors présenté à un
prix élevé, distribué de manière limitée et ouvertement dévalorisé ou protégé.
Très peu de recherches académiques ont tenté, depuis les années 1970, de développer cette
approche paradoxale (Cullwick, 1975 ; Dubois et Evrard, 1975). Les études qui font référence
au démarketing portent essentiellement sur les produits qui engendrent des problèmes de santé
ou qui sont considérés comme dangereux (tabacs, armes à feu…). Rares sont celles qui ont
tenté d’approfondir le concept pour préciser son champ d’application et mieux cerner sa mise
en œuvre. Souhaitant aller dans ce sens, nous proposons d’apprécier la pertinence du
démarketing fondé sur les principes de développement durable.
A l’heure certaines matières premières commencent à manquer, les déchets
s’accumulent…, le démarketing environnemental interpelle. Comment se manifeste-t-il ? Qui
sont ses maîtres d’œuvre ? Quels sont leurs objectifs ? Peut-il partiellement répondre aux
problèmes écologiques actuels ? Peut-il alimenter une réflexion managériale originale ?...
Pour tenter de répondre à ces questions, nous proposons dans un premier temps d’identifier
les différentes formes de démarketing associé à l’écologie. Nous étudierons, ensuite, les
enjeux et les conditions de mise en œuvre des politiques préconisant la déconsommation de
certains produits.
I-
U
NE TYPOLOGIE RELATIVE AU DEMARKETING ENVIRONNEMENTAL
Ce démarketing particulier a une large vocation. Dans ce travail, il est défini comme
l’ensemble des logiques et pratiques commerciales qui invitent, en utilisant et/ou en défendant
la cause écologique, à réduire ou à stopper la consommation de certains produits. Il peut être
explicite ou implicite, direct ou indirect, formel ou informel, proactif ou réactif…
Pour comprendre la nature et la portée du démarketing environnemental, nous proposons une
grille de lecture structurée à partir du profil des entités qui l’initient, à savoir : les entreprises
ou les parties prenantes.
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A- Le démarketing émanant des entreprises
Dans la logique du champ d’étude retenu par Kotler et Levy, nous nous concentrerons ici sur
les actions de dévalorisation ou de restriction commerciale développées par les firmes. Les
implications de ces actions, quelle que soit la motivation des entreprises qui s’engagent, sont
plurielles. Elles diffèrent selon le caractère explicite ou implicite des messages adressés.
* Le démarketing explicite
Ce démarketing est de nature variée. Il peut être interne ou externe, intégral ou partiel, amont
ou aval, engagé ou démagogique… Présentons les principaux modes d’action identifiés.
- Le marketing interne. Pour des raisons écologiques, les entreprises décident,
spontanément ou sous la pression du marché, de déprécier commercialement certains de leurs
produits. Cette dépréciation permet, avant le retrait des biens ou services visés, de préparer le
changement de gamme ou de laisser un temps d’adaptation aux clients. Les fabricants
d’ampoules à incandescence adoptent parfois cette approche pour assurer le lancement des
ampoules fluorescentes beaucoup plus efficientes sur le plan énergétique.
- Le démarketing externe. La communication environnementale des entreprises peut être
axée sur la critique militante de produits considérés comme peu respectueux de la nature. Les
firmes assurent, dans ce cas, le démarketing de produits qu’elles ne vendent pas. Allant dans
ce sens, The Body Shop dénonce depuis sa création en 1976 les produits cosmétiques
développés sur la base de tests faits sur des animaux.
- Le démarketing intégral. Il s’agit ici de préparer l’abandon temporaire ou définitif d’un
produit pris dans sa globalité. Les centres commerciaux Migros, par exemple, invitent leurs
clients en Suisse à ne pas consommer certains poissons pour ne pas compromettre la
reproduction de ces espèces. Une affiche publicitaire de la compagnie montre un bateau de
pêche sorti de l’eau avec une bannière indiquant : Les poissons ont aussi besoin de vacances.
- Le démarketing partiel. Avec cette approche, le produit n’est pas dénoncé entant que tel.
Seule une composante est ouvertement dévalorisée pour des raisons environnementales. Pour
illustrer ce cas, nous pouvons rappeler la démarche d’Henkel concernant le lancement en
1986 de la lessive Le Chat sans phosphates.
- Le démarketing amont. Les entreprises cherchent ici à modifier, voire à abandonner,
certaines pratiques d’approvisionnement non écologiques pour confectionner leurs biens.
Elles proposent à leurs fournisseurs de ne plus intégrer certains éléments et utilisent ensuite
cette composition éco-responsable du produit comme thème de communication auprès de
leurs clients. S’inscrivant dans cette logique, American Apparel propose une gamme de
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vêtements faite à partir de coton biologique fabriqué dans des usines les droits des salariés
sont respectés.
- Le démarketing aval. Cette démarche consiste à réduire, voire éliminer, les résidus et
pollutions découlant de la consommation du produit vendu. Ce sont donc les conséquences de
l’utilisation du bien qui sont ici visées. Par exemple, les enseignes de la grande distribution en
France se sont engagées, auprès du ministère de l’Ecologie, à réduire d’au moins 10% par an
la production de déchets d’emballage sur la période 2008-2012.
- Le démarketing engagé. Avec cette politique, les firmes cherchent en priorité à protéger la
nature. Le calcul commercial est a priori inexistant ou secondaire. Cette approche, parfois
radicale, peut même aller contre les souhaits et les attentes des clients. Les autorités du
Yosemite National Parc aux Etats-Unis refusent ainsi d’accueillir les touristes quand un
certain quota est atteint. Pour éviter tout risque de dégradation importante de l’éco-système,
elles réorientent les vacanciers vers d’autres zones naturelles protégées. Cette approche est
également adoptée par certaines réserves privées comme celle de Berenty au Sud de
Madagascar. A la limitation du nombre de visiteurs s’ajoute, dans ce cas, un droit d’entrée
relativement élevé.
- Le démarketing démagogique. A l’inverse de la politique précédente, nous retrouvons ici
les entreprises qui encouragent ouvertement les prospects à réduire leur consommation sans
prendre de mesures particulières pour les y aider. Cette attitude est gulièrement dénoncée
par les organisations non gouvernementales (ONG) et les associations de consommateurs.
Pour illustrer ces propos, nous pouvons rappeler le relatif agacement de ces groupes face à la
campagne lancée par Carrefour en 2004 sur le thème : Arrêtons de consommer plus pour
consommer mieux. Des observateurs vigilants ont considéré que le groupe français n’était pas
crédible car il n’avait pas associé, à cette campagne, un marketing stratégique et opérationnel
adapté.
- Le démarketing induit. Il concerne les politiques commerciales qui visent à réduire la
consommation de certains produits non écologiques pour des raisons économiques. Par
exemple, quand la production de ressources énergétiques ou naturelles est insuffisante par
rapport à la demande, les entreprises invitent parfois leurs clients à moins consommer. Ce
démarketing régulateur vise essentiellement à éviter des ruptures de stocks préjudiciables,
mais il permet en même temps de lancer un message environnemental qui peut sensibiliser les
populations visées. Pacific Gas and Electric Company (PG&E), aux Etats-Unis, a déjà adopté
une telle approche.
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