p. 12-18 - La Commission des Cadrans solaires du Québec

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12 Volume XVI numéro 1, mars 2009
Quelques chemins de ma mémoire commémorative
(mes hommages à Newton et à Darwin)
par André E. Bouchard
Note: pour ne pas allonger le texte, les explications
concernant les illustrations apparaissent à la fin.
(AEB) __
Le cerveau humain renferme des milliards d’impressions,
les unes sont fluctuantes et volatiles, les autres sont durables
et imprimées pour toute une vie. C’est le monde fascinant de
la mémoire. J’aime me rappeler que mon intérêt pour les
cadrans solaires remonte à une période de mon temps de
collège, âgé entre quinze et dix-sept ans. En revanche, toute
mon enfance s’est passée sans intérêt pour ces objets insoli-
tes. Pourtant, je regardais souvent le cadran historique sur
les murs de mon établissement d’enseignement, et je me
souvenais ne pas pouvoir trouver quelqu’un qui pouvait
m’expliquer son fonctionnement ni son principe d’organisa-
tion. Je m’étais dit qu’il faudrait bien que je m’y mette un
jour de manière à m’initier à l’art des cadrans et à parer aux
lacunes de mon ignorance. Ce souvenir m’est revenu trente
ans plus tard. J’imagine que cette information appartenait à
un fragment interne logé dans les compartiments de ma
vaste bibliothèque neurale. Aujourd’hui encore, je garde
même le souvenir vif de la transformation de cette informa-
tion mémorisée en des fragments de mes rêves, avant de de-
venir un sujet d’étude, un passe-temps incroyablement pro-
ductif, voire une passion dévorante et satisfaisante de mes
vingt dernières années. Ainsi la première fois que j’ai entendu parler de certaines
fonctions d’un cadran solaire, c’est le souvenir d’une lecture
d’Aristote — l’utilisation par Anaximandre (611-547 av. J.-
C.) du cadran solaire à tige verticale, inventé par les Chal-
déens avec le polos, sphère concave présentant la voûte du
ciel inversée, où l’ombre d’un style dessine à toute heure du
jour la position du Soleil et décrit un arc parallèle à l’équa-
teur.. Et parmi les influences et contenus de savoirs de mon
temps de collège, je garde des souvenirs importants qui, à la
manière d’une spirale, sont venus nourrir régulièrement mon
imagination et mes activités ludiques et professionnelles. Cha-
que souvenir choisi est significatif, mais limité dans le temps.
Dans cet article, je veux participer à la commémoration de
certains événements passés qui renvoient à des souvenirs au
sujet de deux scientifiques — l’invention du télescope à mi-
roir, long seulement de 6 pouces (environ 15 cm) par Newton
(1642-1727) grossissant quarante fois, performance supérieure
à celle d’un télescope à réfraction de six pieds — et le voyage
autour du monde de Darwin (1809-1882) qui, montant à bord
du H.M.S. Beagle en tant que naturaliste, réfléchira et décrira
l’existence de tortues dans l’importance de ce périple de cinq
ans sur sa conception et son mystérieux cheminement vers
sa théorie de l’évolution. Il ne faudra pas réduire leur œuvre
respective à ces quelques exemples mineurs rapportés; je les
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choisis, de façon à illustrer ma propre démarche dans ma
découverte et mon approfondissement de l’art des cadrans.
Mais, dans ces deux cas pré-cités, je tâcherai de voir des
liens avec la gnomonique, et avec d’autres exemples québé-
cois d’utilisation de ces mêmes objets.
Une dernière information sur le contexte de ces souvenirs.
Ma formation générale et préuniversitaire était centrée sur
l’étude de langues modernes et anciennes, et sur une hon-
nête manipulation des mathématiques, et des sciences physi-
ques et expérimentales. Pourtant, malgré mon intérêt mani-
festé auprès de mes enseignants, je suis resté un autodidacte
en biologie et en astronomie. J’ai souvent cru que l’énoncé
du curriculum du baccalauréat ès arts n’avait pas retenu plu-
sieurs cours structurés sur ces disciplines, pour des raisons
idéologiques et par souci d’orthodoxie philosophique. J’ai
dû par mes travaux universitaires, mes lectures et mes parti-
cipations à des congrès et conférences scientifiques pallier
les lacunes d’information que j’estimais nécessaire pour
comprendre le monde dans lequel je vivais.
Enfin, l’étude d’Aristote (Phys. III) m’interpella, car j’appris
encore qu’Anaximandre pouvait, grâce à son cadran solaire,
déterminer les points cardinaux, le midi vrai, l’époque des
solstices, et de manière indirecte les équinoxes, l’obliquité
de l’écliptique et la hauteur du pôle au lieu. Quelle révéla-
tion! Ce fut ma première initiation à l’astronomie. Mais je
demeurai convaincu que je saurais exploiter ces informa-
tions un jour ou l’autre; mais j’ignorais que ce serait quelque
vingt-deux ans plus tard, lors de l’achat d’un télescope à
mon fils de 9 ans, et à la suite de nos conversations à l’occa-
sion de l’observation de la Lune ou des Perséides.
Essentiellement, il s’agit d’une façon de relier mon passé
aux questions identitaires de mon milieu familial, social et
politique. Mes deux exemples (Newton et Darwin) me servi-
ront de catalyseurs pour démontrer la nature intrinsèque
d’une commémoration, en tant que phénomène social et po-
litique profondément ancré dans le milieu d'où elle est issue.
Et enfin pour montrer qu’elle est l'une des manifestations de
la mémoire en proposant une lecture du passé et en l’asso-
ciant au processus patrimonial.
Ainsi, à l’occasion de l’année 2009, pourquoi vouloir parti-
ciper à la commémoration de deux anciens savants et à par-
tir d’anecdotes pour évoquer mes souvenirs? Pourquoi célé-
brer seulement l’année mondiale de l’astronomie? Pourquoi
ne pas aussi fêter celle de la théorie de l’évolution?
1. Isaac Newton et son télescope à miroir
Souvenons-nous de l’arrivée des hommes sur la Lune, en
juillet 1969. "That's one small step for a man, one giant leap
for mankind", disait Neil Armstrong (le premier à marcher
sur la Lune). Je vivais déjà une expérience d’enseignement
en Afrique de l’Est. Le jour de l’arrivée des Américains sur
la Lune, je discutais d’un problème de mathématiques mo-
dernes avec mes élèves d’ Éthiopie.
J’avais alors vingt-sept ans; et ils en avaient 10 ou 12 ans de
moins que moi. Les images de la Lune à la télévision
étaient-elles réelles? Certainement pas pour eux!
Surtout, ils contestaient cette information au nom de leurs
préceptes religieux qui enseignaient, à partir de la Bible, que
la terre n’était pas ronde, et à partir de leur langue mater-
nelle, qui ne possède pas de forme de futur dans sa structure
linguistique. Je ne crois pas avoir réussi à leur transmettre
autre chose que mon goût de l’aventure et mon enthou-
siasme pour le savoir, la langue anglaise et les mathémati-
ques… En campant sous la tente dans la savane, cet été
1969, je me souviens avoir utilisé mes lunettes d’approche
en direction de la Lune, pour voir si les Américains n’a-
vaient pas laissé des traces de leur séjour (car je n’avais pas
de télescope en ma possession)!
Trouvez-moi donc un savant plus anglais qu’Isaac Newton.
Même la monnaie anglaise a émis un billet de ONE POUND
à son effigie, montrant le savant avec des livres et son
télescope! « Ayant eu accès aux premiers ouvrages d'inspi-
ration scientifique pour la jeunesse, Isaac Newton étonnait
le personnel de la ferme familiale en fabriquant cadrans
solaires, horloges à eau et cerfs-volants à pétards. Il est
clair que le futur génie de la mécanique a puisé dans ces
livres une partie de son inspiration » témoignage de Nicolas
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Sir Isaac Newton (4 janvier 1643 G – 31 mars 1727 G (25
décembre 1642 J – 20 mars 1726 J)) est un philosophe, ma-
thématicien, physicien et astronome anglais. Figure emblé-
matique des sciences, il est surtout reconnu pour sa théorie
de la gravitation universelle et la création, en concurrence
avec Leibniz, du calcul infinitésimal.
Je retiens que Newton a inventé le télescope en 1668 en uti-
lisant un miroir concave sphérique en bronze poli. Le princi-
pal intérêt de ce télescope par rapport aux lunettes utilisées à
cette époque est l'absence d'aberrations chromatiques. Ce
télescope lui ouvre la porte de la Royal Society, qui de-
mande à voir l'appareil en 1671. Le Newton expérimenta-
teur, inventeur et constructeur depuis l'enfance, se devait, en
parallèle avec ses travaux sur l'optique, d'améliorer l'obser-
vation de l’étendue céleste issue de la lunette de Galilée. La
lunette, dispositif utilisant la réfraction de la lumière par des
lentilles, présentait des aberrations chromatiques. Pour éli-
miner ces dégradations des couleurs, Newton décide de rem-
placer les lentilles par des miroirs, et donc d'en faire un -
flecteur. Gain en luminosité et en résolution pour des diamè-
tres d'optique équivalents, efficacité, coût modique du mi-
roir par rapport aux lentilles, le télescope connut un succès
immédiat. Presque trois siècles et demi plus tard, il reste le
principe de base de l'astronomie moderne d’observation.
Partout dans le monde, Newton apparaît comme LE savant
par excellence. Son télescope a été reproduit à des milliers
d’exemplaires. Même aujourd’hui, des reproductions exis-
tent et apparaissent sur des dizaines de liens internet. On le
voit souvent jumelé à la lunette de Galilée. Pourtant ce n’est
qu’en 1993 que je devais aussi apprendre l’existence de ma-
quettes à l’échelle, réalisées par des cadraniers et astrono-
mes amateurs du Québec (Réal et Lorenzo Manseau ). Nous
trouverons en page 15 quelques photos attestant de cette
participation de gens d’ici à une manifestation de nature
scientifique et universelle.
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Déjà en 1987, le cadranier Réal Manseau a réalisé
deux maquettes du télescope « Newton » avec son
oncle Lorenzo Manseau. On peut trouver un rappel
dans Le Gnomoniste de décembre 2004, pages 4-5.
Il suffit de cliquer l’adresse suivante sur le Web:
http://cadrans_solaires.scg.ulaval.ca/v08-08-04/
pdf/XI-4.pdf
Bien sûr, la Commission des Cadrans solaires du
Québec n’existait pas à ce moment-là. Il se faisait
des cadrans aux Québec dans ces années-là, mais les
artisans ne se connaissaient pas entre eux. Pour ma
part, c’est à Paris que tout a débuté. En effet, je ne
fus mis au courant de l’existence de ces maquettes
qu’en octobre 1993. Et voici comment. Dès ma pre-
mière rencontre avec Monsieur Robert Sagot, à la
Société astronomique de France, rue Beethoven à
Paris, il me remit des schémas, des dessins et des
photos comprenant des informations sur des noms
des informations sur des noms de cadraniers québé-
cois, et sur des descriptions de cadrans ou d’appa-
reils scientifiques que l’on retrouve au Canada. J’é-
tais comblé!
Depuis cette rencontre à la Commission des Ca-
drans solaires de la Société d’astronomie de France
(SAF), j’ai vraiment été étonné de voir et d’appré-
cier les nombreux sites internet qui font aussi réfé-
rence au télescope « Newton » et aux diverses co-
pies qui en existent.
Au cours des années qui suivirent, j’ai trouvé et col-
lectionné au moins une vingtaine d’images diffé-
rentes de copies de ce télescope, tant en Europe
qu’en Amérique. Et chaque fois, je pensais à l’in-
fluence de Newton sur des moments de ma vie!
En regardant le télescope de fabrication japonaise de
mon fils, je pense encore parfois aux échanges entre
lui et moi, aux nombreuses allusions portant sur les
études des sciences à l’époque des jours de Newton
au Trinity College de Cambridge, et aux cadran solai-
res qu’on y trouve sur les bâtisses des divers collèges
ou dans les musées de la ville universitaire. Tout cela,
à partir de ce petit télescope!
D’autres pourront faire un choix différent dans la vie
ou l’œuvre de notre savant britannique. L’important,
à mon avis, c’est de trouver une vraie et bonne raison
de célébrer l’année mondiale de l’astronomie en
2009. Et Newton et son télescope sont, de mon point
de vue, des exemples légitimes pour représenter l’as-
tronomie en ces journées de festivité. Mais retenons
que l’astronomie partage avec d’autres événements
scientifiques l’honneur d’être l’objet de festivités en
2009. Ce sera l’objet des pages qui suivent.
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2. Charles Darwin et les tortues des
Îles Galapagos
L’an 2009 va exacerber aussi un paradoxe. C’est l’année
Darwin, en raison de deux anniversaires. Le bicentenaire de
sa naissance le 12 février 1809, et le cent cinquan-
tième anniversaire de la parution, en novembre 1859, de
L’origine des espèces par la voie de la sélection naturelle,
ouvrage pivot de l’histoire des sciences. Des milliers de
scientifiques et vulgarisateurs y voient l’occasion de dé-
ployer tous les moyens - livres, articles, films, Web, confé-
rences - pour populariser le darwinisme et les résultats ou
questions actuelles des évolutionnistes.
À défaut de pouvoir lire les livres de Darwin, chacun voudra
se procurer l’excellent numéro de la revue Les Dossiers de
la recherche (de novembre 2008), un numéro anniversaire
portant sur les 150 ans de théorie de l’évolution.
On peut aussi trouver dans Le Gnomoniste de septembre
2005 un texte de Mélanie Desmeules qui nous présente le
cadran solaire de Darwin sur le terrain de sa résidence, et
l’utilisation régulière qu’il en faisait pour ajuster son hor-
loge de la maison: voir http://cadrans_solaires.scg.ulaval.
ca/v08-08-04/pdf/XII-3.pdf .
Pour ma part, parmi toutes les théories et les écrits de Dar-
win, je suis resté un lecteur attentif, et intéressé au récit des
observations de voyages, et aux tortues des Iles Galapagos
qui alimentent encore certains de mes souvenirs personnels.
Car la tortue a pris valeur de symbole lors d’un voyage en
Amérique latine, dans le cas de la création d’un logo pour
mes élèves, et en utilisant ma carte professionnelle au Japon.
Dans les trois cas, ou j’ai souhaité voir des tortues; ou j’ai
dessiné une tortue stylisée pour mes élèves en communica-
tions qui avaient besoin d’un logo rassembleur pour leurs
productions de télévision, et j’ai reproduit ce logo sur ma
carte de ma compagnie de recherche, lors d’une mission
pour le Québec en 1991 auprès des sociétés de télévision
privées du Japon et de la société publique dénommée NHK
(Nippon Hoso Kyokai). Revenons sur deux de ces cas.
-En 1973, j’ai fait le tour de l’Amérique du Sud. Le prétexte
consistait à aller à Cusco, ancienne capitale des Incas pour
voir des amis qui y travaillaient leur doctorat respectif. Je
serai passé bien près des Iles Galapagos, sans même songer
à m’y arrêter, compte tenu des distances et du projet de
voyage qui devait durer quarante-cinq jours. Mais à chaque
jour, j’enviais presque Darwin d’avoir vu ces animaux dont
le symbolisme s’étend sur toutes les régions de l’imagi-
naire...
-Autre souvenir. En 1991, au Japon, j’ai fait des entrevues
(une vingtaine) auprès de responsables de la télévision japo-
naise. Or chaque fois, en présentant ma carte professionnelle
dont la composition comprenait un logo d’une tortue styli-
sée, j’avais le plaisir de me faire demander les raisons pour
lesquelles ma société avait choisi un tel symbole. Je tentais
d’expliquer mon choix d’un tel logo. Or je savais que pour
les Japonais, la tortue est une représentation de l’univers et
un symbole de longévité. Je devais donc à Darwin et à son
voyage sur le H.M.S. Beagle d’avoir des souvenirs savou-
reux à raconter et à méditer!
Mais je trouve aussi d’autres raisons de nature intellectuelle.
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