Blois 2015 - La décolonisation en Afrique noire
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Marc Michel
Marc Michel
Blois 2015 - La décolonisation en Afrique noire
Blois 2015 - La décolonisation en Afrique noire
par Marc Michel
Mise en ligne : lundi 12 octobre 2015
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Vaste sujet ! Il concerne 53 pays sur les 56 existants sur le continent africain à la fin du siècle
dernier. Tous ont été des possessions coloniales de l’Europe, ce qui a fait de l’Afrique le continent
le plus colonisé du monde… Si l’on limite l’analyse aux 38 pays appartenant à ce qu’il est convenu
d’appeler de l’expression impropre d’Afrique « noire » (Madagascar exclue), leur décolonisation fut
un phénomène encore plus frappants par son ampleur et sa rapidité. Du moins en apparence…En
tout cas, il fallait faire face à un triple défi.
Premier défi. L’entreprise est d’autant plus ambitieuse que les programmes d’enseignement
ne consacrent que quelques heures dans toute une scolarité à la colonisation et à la
décolonisation dans le monde. Un premier défi est donc représenté par la difficulté à rendre
compte d’un phénomène qu’on croit connaître à travers quelques exemples en Afrique
« francophone » en négligeant les « autres Afriques », les pays d’expression anglaise ou
portugaise…
Second défi : il réside dans les ambiguïtés du vocabulaire. Le mot « décolonisation » lui-même
aurait été inventé en anglais dans les années 1930 ; mais il n’est apparu dans la langue
française que dans les années 1950 et il n’est entré dans les dictionnaires anglais et français
que dans les années 1970. Son corollaire, « indépendance », a donné lieu à d’interminables
débats. Il existe, néanmoins, quelques éléments de consensus. Pour les colonisés, il devait
être synonyme de « libération » (Uhuru en swahili, Dipanda décalque inversé de dépendance
en lingala), concept flou et fan tasmé ; mais, du point de vue juridique de droit international,
il implique la reconnaissance d’une souveraineté internationale et le transfert des pouvoirs
d’Etat aux nouvelles autorités nées de cette décolonisation.
Troisième défi : éviter l’anachronisme car il s’agit d’une histoire lue « après coup ». On a
souvent l’illusion d’un mouvement irrésistible, inscrit dans le « sens de l’Histoire », n’en
représentant qu’un court « moment » dans les es années 60… presque comme si la
colonisation n’en avait été qu’une parenthèse et la décolonisation le bref épisode terminal
dans la longue histoire de l’Afrique. Effectivement, 52 pays sur 53 ! ont acquis leur
indépendance après 1945, la majorité en une seule décennie1956-1966. Mais, en réalité, la
décolonisation du continent s’est étalée sur un demi-siècle, au moins jusqu’aux années 1990,
et est loin d’avoir été « un long fleuve tranquille ».
Au total, analyser ce passé sans le simplifier à outrance est le défi majeur. Même s’il y a bien eu
un mouvement général de libération, la décolonisation, au sens classique qu’on lui a donné, n’a
pas revêtu partout les mêmes caractères et le même rythme. Elle a été marquée par des décalages
et des contrastes considérables. Comment en rendre compte ? Comment les expliquer ?
Pour faire comprendre cette diversité, je tenterai d’abord, d’établir une sorte de typologie des
décolonisations en Afrique selon deux indicateurs : le caractère plus ou moins intégrateur, - ou
assimilationniste- des colonisations elles-mêmes et celui des modalités plus ou moins radicales des
processus de décolonisations eux-mêmes. Mais, évidemment, on ne saurait passer sous silence au
moins les suites immédiates. A partir de ces éléments, je m’efforcerai de proposer une construction
raisonnée de ce grand mouvement qui a changé le destin de l’Afrique « noire ».
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I. Essai de typologie
I. Essai de typologie
La carte des décolonisations de
l’Afrique. 1945-1989
1. selon les colonisations elles-mêmes.
À cet égard, colonisation et décolonisation sont deux faces inséparables d’une même histoire ;
plusieurs « modèles » ou plutôt « modalités » de colonisation peuvent être distingués, intégrant plus
ou moins les colonies à la métropole et donc plus ou moins disposés à permettre des processus de
décolonisation.
1er cas, la colonisation « à l’anglaise » : en séparant l’exercice de la citoyenneté sur le territoire
métropolitain et dans les colonies, la colonisation britannique a sûrement représenté le moins
« intégrateur » des modèles. Cela a eu pour conséquence que depuis très longtemps, les colonies
britanniques possédèrent leurs propres institutions représentatives et exécutives dans lesquelles
furent progressivement admis des représentants des populations locales. On a vu dans ce
processus tantôt le reflet de l’expérience américaine et d’un pragmatisme de principe, tantôt la
manifestation d’une tactique de retardement d’une évolution inévitable vers une autonomie de
plus en plus grande. Quoiqu’il en soit, elle s’opposait à la colonisation « intégrationniste » affirmé
par exemple par la France à la fameuse Conférence de Brazzaville en 1944 qui, elle, écartait toute
idée d’autonomie et de self-determination.
À contrario, la France, la Belgique et le Portugal fournissent des exemples paradoxaux et
contradictoires du modèle « intégrateur ». En effet, le « système » colonial français a eu pour
caractéristiques une extrême concentration du pouvoir administratif sous une forme pyramidale
(territoires, fédérations, métropole), mais aussi un projet d’assimilation politique. En réalité, la
France n’a jamais surmonté la contradiction originelle entre citoyens et sujets (« sujets » comme on
disait sous l’Ancien Régime des « sujets du souverain »), intégration/assimilation. Après 1945, elle a
même renforcé ses liens avec l’outre-mer par la proclamation d’une Union française fort
idéologique dans ses principes et, concrètement, une série de réformes politiques (droit de vote, en
particulier) et sociales (droit du travail), d’esprit assimilateur à une époque l’assimilation était
mise en question. Compte tenu de l’hétérogénéité des territoires qui la composait, l’Union
française fut une construction contradictoire et boiteuse. Tandis que certaines parties de l’ex-
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Empire, comme les « Vieilles colonies », achevèrent leur évolution vers l’assimilation totale par la
citoyenneté et le statut départemental, les autres divergèrent plus ou moins vite de ce modèle. La
réalité est que la République française (du moins sa classe politique) a cherché une formule qu’elle
n’a jamais pu bien définir, ni a fortiori réaliser.
Troisième cas : la colonisation belge. La Belgique, métropole, n’a certes pas assimilé le Congo (80
fois la Belgique !). Même si le Congo a été proclamé « dixième province de la Belgique », partie
intégrante du royaume belge depuis sa dévolution à la Belgique en 1908, il est resté une simple
colonie de domination et d’exploitation. Ses institutions publiques fondamentales, son système
administratif, le droit des personnes etc…, ne n’évoluèrent guère jusqu’à la décolonisation. Le seul
changement notable concerna certains évolués de la « population civilisée » (une douzaine de
milliers dans les années 1950), à qui fut concédé après bien des hésitations une carte du « mérite
civique », et/ou par immatriculation, un statut de droit civil européen. Presque à la veille de
l’indépendance, la colonisation belge reste profondément enracinée dans la différenciation raciale
et paternaliste sur le plan social ; en 1955, le colonisateur n’envisage que la création d’une
« communauté belgo-congolaise », « au moment les évolués, las d’espérer en vain leur
assimilation, commençaient à rêver d’un autre avenir ».
Quatrième cas, le Portugal. Si les régimes constitutionnels et les modes de gouvernement
avaient été comparables, on aurait pu établir un parallèle avec le Portugal. Mais les principes en
étaient évidemment opposés. Après la guerre, le Portugal, placé sous la dictature salazariste depuis
1926, renforça aussi ses liens avec ses colonies. En 1951, celles-ci sont transformées en Provinces
d’Outre-mer de l’Estado Novo ; le régime prétend ainsi avoir assimilé ses territoires d’outre-mer et
leurs ressortissants dans un même ensemble. Il s’appuie sur une idéologie en principe multiraciale,
le luso-tropicalisme, dont le grand intellectuel brésilien Gilberto Freyre se fait alors le chantre. En
réalité, l’esprit en est conservateur ; il maintient la distinction entre civilizados et assmilados d’un
côté et indigenas de l’autre qui continuent à représenter 99% des habitants de l’Angola, par
exemple et vise d’abord à justifier une émigration portugaise vers ces « Provinces », surtout en
Angola. aussi, comme au Congo, l’idéologie assimilatrice est déjà dépassée par les nouvelles
élites. Surtout, elle s’identifie à un régime qui est en bout de course avant même le départ du
pouvoir de Salazar en 1968. Comme l’a observé une spécialiste, « c’est une des caractéristiques des
mouvements nationalistes des colonies portugaises que d’être nés en partie de l’opposition à la
dictature ».
D’autres freins tenant moins à l’idéologie qu’à à la nature des colonisations ont pu jouer également
contre l’émancipation des colonisés. Le principal a été l’existence de minorités coloniales dans les
zones d’Afrique subsaharienne les moins inhospitalières au peuplement blanc : Kenya, Rhodésie
du Sud, certaines parties des colonies portugaises et aussi dans certaines régions de l’Afrique
tropicale comme le Kivu au Congo… Il ne faudrait pas toutefois en exagérer l’importance en
Afrique tropicale car les blancs y ont toujours été des « oiseaux de passage » .
Au Kenya, le colonat des « White Highlands » était peu nombreux, 2200 « fermiers » (farmers),
véritables colons (settlers), sur la dizaine de milliers de personnes résidant au Kenya dans les
années 20. Après la Seconde Guerre mondiale, la Grande Bretagne encouragea de nouvelles
installations après la Première Guerre mondiale par le soldier settlement scheme ; en fait, leur
nombre culmina à 55.000 en 1962. Surtout, les settlers accaparèrent des terres, le quart de bonnes
terres des Highlands dans les années 50, et transformé ainsi nombre d’habitants, majoritairement
des Kikuyus en ouvriers agricoles ou en les obligeant à migrer vers les villes. Accusés de constituer
une véritable caste, les settlers avaient des appuis puissants en Grande-Bretagne et freinèrent le
plus possible l’évolution vers une indépendance dont ils avaient tout à craindre.
En Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe), le colonat était encore plus nombreux et surtout plus
puissant (plus de 200.000) Il contrôlait la moitié du domaine forestier et 58% des terres cultivables
à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dominé par les ranchers, il a été suffisamment fort pour
s’opposer ouvertement à Londres et, finalement, en 1965, proclamer unilatéralement
l’indépendance de la colonie ; la Rhodésie devient une République blanche, régie par l’apartheid,
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hors du Commonwealth. Le colonat pensait réaliser ainsi une aspiration à la Sécession, qui a été
celle de toutes les minorités colonisatrices depuis l’émancipation des colonies d’Amérique. En
1965, la Rhodésie rejoignait l’Afrique du Sud rebelle sortie, elle, du Commonwealth depuis 1961.
Dans les colonies portugaises, le peuplement blanc fut encore plus important que dans les autres
colonies européennes. Du moins, dans les années 60, il atteint alors des proportions peu
différentes en % avec celui de l’Algérie par les Pieds Noirs. Mais il était pour la majorité formé par
des colons pauvres d’origine et récent, au point qu’on a pu dire que le Portugal commença
réellement à coloniser quand les autres repliaient le drapeau.
Cette présence, fortement aiguillonnée par le pouvoir salazariste, a été instrumentalisée pour
démontrer la « vocation » colonisatrice du Portugal et justifier sa présence outre-mer, avec les
investissements massifs des plans quinquennaux des années 60 (avec des capitaux étrangers), plus
qu’il n’a constitué une force véritable en lui-même. L’obstination d’un pouvoir cramponné
jusqu’au bout, avril 1974, à la ligne fixée par Salazar en avril 1961,« Rapidement et massivement »,
pour justifier l’envoi des troupes outre-mer, s’explique surtout par cette idéologie d’un lien quasi-
organique du Portugal avec « son » outre-mer.
Au total, la nature profonde des colonisations plus ou moins assimilatrices, plus ou moins
différencialistes, et la présence ponctuelle d’un peuplement allogène ont donc constitué des
facteurs non négligeables des processus de décolonisation. Ils ne suffisent pas, cependant, à eux
seuls, à en dresser une typologie.
2. Selon les modalités des processus de décolonisation
Seconde possibilité de classement des décolonisations en Afrique « noire ». Evidemment, on fait
toujours la distinction entre l’indépendance « conquise » et non « attribuée », les décolonisations de
« lutte armée » et les décolonisations « négociées », les secondes correspondant plutôt à une
première phase de décolonisation jusqu’au début des années 60, les secondes à la phase
postérieure.
Cas des luttes armées : colonies portugaises, (1961-1974, une guerre-guérilla de treize ans) ;
Rhodésie du Sud (1965-1979-80), une guerre de quatorze ans)… On y reviendrai loin plus.
Cas des décolonisations « négociées ». L’évolution des territoires français vers les indépendances de
1960 est bien connue. On ne la reprendra pas dans le détail. On soulignera cependant trois points.
1. Elle ne fut pas véritablement souhaitée par les premiers leaders africains rapidement très à l’aise
dans le système parlementaires français, comme le montre les nombreux cas de ministres noirs
dans les gouvernements de la 4e République. 2. Elle fut accélérée brusquement par une série
d’accélérateurs des années 50 : la pression populaire en Afrique et la rupture franco-guinéenne
ou plus exactement entre Sékou Touré et Charles de Gaulle - de 1958. 3. Elle fut comme un by-
product de la Guerre d’Algérie et celle-ci dictait à la France une attitude souple vis à vis de
l’Afrique noire.
Plus important, pour notre propos ici, est l’exemple de la Gold Coast (actuel Ghana). Pourquoi ?
Parce que la Gold Coast donna le signal des demandes d’indépendance en Afrique « noire » et
fournit le meilleur exemple de décolonisation négociée. La précocité et l’exemplarité du Ghana, a
plusieurs raisons : l’existence d’une véritable classe intermédiaire, une sorte de bourgeoisie formée
d’intellectuels, de professions libérales et de commerçants ; l’irruption des masses rurales et
surtout urbaines sur la scène politique à travers de multiples associations religieuses, sportives,
musicales, de jeunesse, de femmes etc… et la montée en puissance des syndicats ; enfin la prise en
charge des aspirations populaires par un chef charismatique, Kwame Nkrumah. Celui-ci s’est
imposé d’abord au Congrès panafricain de Manchester en 1945, puis en 1949, à son retour en Gold
Coast où il fonde un parti de masse le Convention People’s Party (CPP) sur le modèle du Parti du
Congrès indien,. Après une phase d’affrontement avec le pouvoir britannique, celui-ci choisit
l’accommodement lorsque les élections de 1951 démontrèrent l’emprise du jeune parti sur tout le
pays. On entra désormais dans une phase de transfert programmé des responsabilités vers
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