L'idée (stupide) de DSK pour sauver la zone euro ...
L'article paru dans les Echos aujourd'hui intitulé "L'idée de DSK pour sauver l'euro" a fait un petit buzz
dans le monde des médias. Non pas que l'idée de DSK soit lumineuse, mais cet article signe le retour
de Dominique Strauss-Kahn sur la scène économique. Et pour son retour, l'ancien directeur du FMI se
propose carrément de "sauver la zone euro" ! Mais comment ?
Lors du forum "Yalta European Strategy", DSK a suggéré que les pays les mieux notés de la zone
(Allemagne, Autriche, Finlande ... et la France) "remettent au pot une partie de l’écart de taux d’intérêt"
au profit des pays en difficultés de la zone euro. L'idée sous-jacente est de se dire qu'étant donné que
l'Allemagne ne souhaite pas mettre en place des "eurobonds" (pour ne pas se porter garant de la dette
des autres pays) une solution serait que l'Allemagne (et les autres pays AAA ou AA dans une moindre
mesure) reverse une partie du surplus généré par les taux actuels très faibles aux pays en difficultés.
Pour le dire autrement, supposons que l'Allemagne emprunte à 1,7% et que l'Espagne emprunte à 6% à
10 ans (valeur réelle du jour). Alors l'Allemagne pourrait accepter de reverser une partie à l'Espagne, ce
qui aurait pour conséquence indirecte un taux d'emprunt pour l'Allemagne par exemple de 2,7% et de
5% pour l'Espagne.
Avant la crise, tous les pays de la zone empruntaient quasiment au même taux. Mais depuis la crise, il y
a une très forte divergence, qui est de plus renforcé par ce que l'on appelle le "fligh to quality effect",
c'est à dire le fait que de nombreux investisseurs veulent éviter à tout prix le risque (ou bien sont
contraints de part leur statut) et donc n'achètent que des obligations notées AAA. Du coup, la demande
par les investisseurs en bonds souverains AAA augmente (donc les taux de ces pays diminuent), et à
l'inverse les taux dans les pays en difficultés explosent. Si la France emprunte autour de 2,3% à 10 ans
(un taux historiquement bas), il faut indirectement remercier les autres pays de la zone d'être encore
plus en difficulté que nous (et donc relativement aux autres pays, comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce,
la France s'en sort plutôt pas mal).
Pour rappel, la France est toujours noté AAA par les agences Fitch et Moody's (et AA+ par Standard &
Poor's).
L'Allemagne, qui emprunte même à taux négatif à court terme, aurait économisé depuis 30 mois environ
60 milliards d'euros via la diminution de la charge d'intérêt de la dette induite par la baisse des taux pour
le pays ! En France, selon le projet de loi de finance rectificative 2012 "le niveau très bas des taux
d’intérêts sur la dette souveraine française, constaté depuis le début de l’année, conduit à réviser à la
baisse de 1,4 Md€ la prévision de charge d’intérêts sur les bons du Trésor à court terme. Cette
économie est en partie compensée par le constat d’une inflation plus importante qu’anticipée sur la
période de mai 2011 à mai 2012, conduisant à un ressaut de 0,7 Md€ de la charge d’indexation des
titres indexés sur l’inflation. Au total, la prévision sur la charge de la dette est revue à la baisse de
manière prudente de 0,7 Md€, démontrant ainsi la confiance des marchés sur la qualité de la dette
française."
Alors, on pourrait donc reverser une partie de ce "surplus" à nos gentils amis espagnols, italiens, grecs
ou portugais, non? Dans l'article des Echos, il est écrit que ce type de technique permet d'arriver aux
mêmes résultats que l'émission d'euro-obligations. Le Captain' espère que ce n'est pas DSK qui a dit
cela, car ça serait tout de même une sacrée connerie. Voici la différence avec un exemple simple.
Supposons deux amis, Wolfgang Becker et Marco Parero, qui souhaitent emprunter chacun 1000 euros.
Wolfgang a la confiance de son banquier (revenu stable, sérieux budgétaire) et peut donc emprunter à
1% (soit 10 euros d'intérêt à la fin de l'année). A l'inverse, Marco a des difficultés à emprunter à sa
banque, car il a tendance à être à découvert dès le 1er dimanche du mois. Il emprunte donc à 8% (soit
80 euros d'intérêt à payer sur un an). Dans la proposition de DSK, Wolfgang pourrait aider Marco en lui
reversant une partie du différentiel de taux d'intérêt, de tel sorte à ce que Marco paye 7% et lui 2%.
Wolfgang reverserait donc 10 euros à Marco à la fin de l'année. Mais si l'on regarde le total d'intérêt
payé, il est simplement égal à la somme des intérêts des deux amis, soit 90 euros (cela change juste la
répartition "qui paye combien").
Avec des eurobonds, Wolfgang et Marco emprunterait ensemble 2.000 euros, et chacun serait garant
de l'autre sur la somme totale. L'idée est que le taux auquel le banquier prêtera à ce "couple" sera
inférieur à 4,5% (la moyenne des deux taux dans l'exemple précédent), car la garantie apportée par
Wolfgang rassurera le banquier (Wolfgang étant capable de "couvrir" les pertes de Marco). La somme
des intérêts payés par le "couple" sera donc inférieure à 90 euros; il y aura donc une baisse de la
charge d'intérêt total. De plus, en créant un marché plus "grand" et donc plus liquide, les taux devraient
ainsi baisser (le spread de taux étant expliqué principalement par le risque de liquidité, le risque de
crédit et l'aversion internationale au risque).
Même si cet exemple est simplifié (il peut y avoir une réaction des marchés amplifiant la baisse des taux
si le marché ressent une plus forte solidarité au sein de la zone, signe d'une potentielle future union
budgétaire), la phrase de l'article des Echos, expliquant que "les euro-obligations– des titres émis au
nom de tous les pays de la zone euro – permettraient d’aboutir au même résultat" est pour moi
totalement fausse.
Bref, la question est maintenant de savoir "mais pourquoi donc irait-on, en France, reverser les
économies réalisées grâce à la baisse de taux à nos voisins en difficultés?". La première raison serait
de se dire "car il faut éviter une explosion de la zone, et donc être solidaire en aidant les pays en
difficultés à réduire la charge d'intérêt de leur dette". C'est bien beau sur le papier, mais en faisant cela
on récompense la mauvaise gestion des actuels PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne).
"Vous avez fait n'importe quoi avec vos finances publiques depuis 10 ans? Pas grave, on va vous aider
sans rien vous imposer en retour !"
Il fallait absolument que les taux italiens et espagnols diminuent par rapport à leur niveau du début de
l'été, car cela devenait insoutenable. Mais l'action de la BCE de rachat de dette illimité (en imposant en
échange des réformes aux pays recevant une aide) semble tellement plus logique que la "solution DSK"
(solution uniquement à court terme pour empêcher la panique, et qui entraine un énorme aléa moral).
La solution de la BCE pourrait ne pas coûter un euro ni même créer d'inflation, si finalement le simple
fait que la banque centrale "puisse intervenir au cas où" rassure les marchés. Si l'on regarde le taux
italien à 3 ans, la situation s'est bien calmée depuis juillet, les taux à court terme ayant quasiment éte
divisé par 2 en 2 mois! L'écart sur les maturités plus importantes (10 ans par exemple) s'est réduit,
même si les taux restent tout de même très élevés (exemple en Espagne, le taux 10 ans était il y a deux
mois de près de 7,5%, contre 6% aujourd'hui).
Conclusion: Il existe encore d'autres propositions pour diminuer les taux des PIIGS et ainsi éviter un
éclatement de la zone euro (comme par exemple la "dette bleue / dette rouge", ou bien encore les
"eurobills"). Bien sûr, chaque proposition à ses avantages et ses inconvénients, et il n'existe pas de
recette miracle. Mais la proposition de DSK, qui explique que "ces pays ont intérêt à accepter un
surcoût pour éviter l'explosion de la zone euro [...] il s'agirait d'un dispositif temporaire qui permettrait de
ramener les taux à des niveaux raisonnables et de retrouver le calme sur le marché de la dette" est je
pense la pire solution que j'ai pu lire sur le sujet. Le Captain' est un peu dur avec notre ami Dominique
sur le coup (qui est pourtant brillant et doit sûrement avoir pas mal d'explications en réserve dans son
sac), mais je suis absolument pas convaincu par cette "solution", dont le seul avantage est la vitesse de
mise en place et le signe d'un premier pas vers une union budgétaire.
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