Discours, interviews et articles Questions internationales Wolfgang Schäuble : « Sans une politique budgétaire sérieuse, on ne peut pas générer de croissance durable. » Date 19.07.2014 Dans une interview publiée sur le site Internet du journal Le Monde le 18 juillet 2014, le ministre fédéral des Finances Wolfgang Schäuble s’exprime sur la politique économique allemande, l’Europe, la situation en France, l’avenir de la zone euro et la création d’une banque de développement des BRICS. Le Monde : Le projet de budget allemand pour 2015 ne prévoit pas de nouvelle dette. Pourquoi ne pas profiter des taux d'intérêt très bas pour investir davantage ? Wolfgang Schäuble : On profite des taux très bas car notre niveau de dette reste élevé. Le remboursement des intérêts de la dette constitue le deuxième poste du budget. Et notre endettement représente encore 77 % du produit intérieur brut, au-delà des 60 % prévus par les traités européens. Par ailleurs, nous avons une bonne situation économique, un bon marché du travail et j’ai lu Keynes : c’est dans ces circonstances qu’il faut réduire sa dette. Enfin, nous l’avons promis pendant la campagne électorale et nous tenons nos promesses. C’est aussi pour cela que les investisseurs et les consommateurs nous font confiance. Du coup, la propension à investir s’améliore. La demande des consommateurs n’a jamais été aussi élevée. Notre croissance effective est plus élevée que notre croissance potentielle. Le Monde : Il y a débat en Europe sur la politique de Berlin. Wolfgang Schäuble : J’en suis convaincu : les pays qui ont encore des difficultés sur le plan économique les ont parce qu’ils n’ont pas résolu leurs problèmes structurels. Il n’y a pas à choisir entre austérité et croissance. Sans une politique budgétaire sérieuse, on ne peut pas générer de croissance durable. La preuve en est apportée par les pays européens qui ont mis en place les programmes d’ajustement macroéconomique – l’Espagne, le Portugal et l’lrlande – et qui vont mieux. Ce n’était pas facile mais c’était le bon chemin. Il y a des pays qui doivent réformer leur cadre institutionnel, d’autres qui doivent réformer leur marché du travail et leur système social... C’est inévitable. Le Monde : Et l’Europe doit-elle davantage soutenir l’investissement ? Wolfgang Schäuble : J’ai donné à la chancelière, en vue du Conseil européen, le montant des fonds structurels et des fonds régionaux européens que les pays n’ont pas réclamés. Ils sont énormes. De même, il y a deux ans, il y a eu un débat en Europe sur la lutte contre le chômage des jeunes, 6 milliards d’euros ont été débloqués. Mais rien n’a été utilisé. Le Monde : Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, veut investir 300 milliards d’euros dans les infrastructures. Etes-vous d’accord ? Wolfgang Schäuble : C’est une bonne idée. Si nous utilisions de manière intelligente les fonds européens et faisons davantage appel à des fonds privés, ça ne devrait pas poser de problème. Le Monde : Que pensez-vous de la situation en France ? Wolfgang Schäuble : Je sais que c’est difficile et j’ai un grand respect pour la France. Mais je constate que l’Allemagne a consacré en 2012 environ 3 % de son PIB à la recherche et développement, alors que la France n’a consacré que 2,26 %. Je pense que le pacte de responsabilité est une très bonne initiative et j'espère que ceux qui sont concernés, y compris les syndicats, comprennent qu’ils doivent prendre leurs responsabilités. Tous les syndicats. Bien sûr qu’il y a des intérêts divergents entre les partenaires sociaux mais il y a une responsabilité commune. L’économie ne peut pas aller bien sans stabilité sociale, vous ne pouvez pas améliorer les prestations sociales sans une économie qui marche. Le Monde : La France vous déçoit ? Wolfgang Schäuble : Non. La France est un grand pays. Il n’est pas toujours facile pour la majorité de mettre en œuvre les décisions du président François Hollande ou du premier ministre, Manuel Valls. Mais I’UMP aussi a quelques problèmes, peut-on dire de façon diplomatique. Les partis démagogiques profitent de cette situation. Je ne crois pas que les Français, dans leur grande majorité, se détournent de l’Europe. Je n’ai pas de conseil à donner, mais sans une France forte l’Europe ne peut pas aller bien. Le Monde : On dit Berlin opposé à la nomination de Pierre Moscovici comme commissaire européen chargé de la politique économique et monétaire. Jugez-vous que l’endettement de la France discrédite l’ex-ministre des finances ou bloque toute candidature française à ce poste ? Wolfgang Schäuble : J’ai une relation de confiance avec Pierre Moscovici. On a toujours bien travaillé ensemble. Les décisions sur la composition de la future Commission doivent renforcer la confiance dans la capacité d’agir de la Commission. Elle devra faire appliquer de manière objective et fiable les règles européennes mises en place ces dernières années. Le Monde : Le faible niveau d’inflation en Allemagne vous inquiète-t-il ? Wolfgang Schäuble : II n’y a pour le moment aucun signe de déflation. Je pense que ni les banques centrales ni les économistes ne sont capables d’expliquer pourquoi, au niveau mondial, avec la masse de liquidités que l’on a et avec l’endettement très élevé des pays industriels, comparable en fait à celui de l’après-guerre, l’inflation reste si basse. Les recettes classiques de la croissance engendrée par des déficits publics ou par de la création monétaire ne fonctionnent plus. Le Monde : Comment voyez-vous l’avenir de la zone euro ? Wolfgang Schäuble : Avec l’union bancaire, nous avons fait un grand pas pour stabiliser encore davantage la zone euro, mais nous devons améliorer sa gouvernance avec une meilleure participation du Parlement européen et de la Commission. Le droit primaire européen doit mieux refléter la situation dans la zone euro. Certains pensent qu’il faut modifier les traités, d’autres non. Mais il faut modifier la gouvernance de la zone euro. Le Monde: Les pays émergents, Chine, Inde, Russie, Brésil et Afrique du Sud, veulent créer leur banque de développement et une sorte de Fonds monétaire international. Qu’en pensez-vous ? Wolfgang Schäuble : C’est dans tous les cas pour le G 7 et pour l’Occident un signal que les institutions internationales ne doivent pas être utilisées d’une façon telle que certains aient le sentiment qu’elles ne servent que d’autres intérêts. J’espère que le Congrès américain va comprendre qu’il doit enfin mettre en place les réformes décidées en 2010, prévoyant d’accorder davantage de sièges aux pays émergents au sein du FMI. © Ministère fédéral des Finances