Vétérinaire, faune et environnement PTM-4411 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Travail présenté à : Dr Daniel Martineau Par : Régine Bélanger Isabelle Bérubé Faculté de médecine vétérinaire Université de Montréal Le 26 février 2003 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Le HIV, lentivirus responsable du développement du Syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA), soulève un intérêt soutenu au sein du milieu scientifique depuis maintenant vingt ans. Or, les recherches menées à ce jour convergent vers l'hypothèse que le HIV originerait d'une transmission interspécifique d'un virus immunosuppresseur simien (SIV). En effet, le Singe vert d’Afrique, le Mandrill, le « Sykes monkey », le « Sooty mangabey » et le chimpanzé ont été déclarés officiellement porteurs de SIV. De plus, sachant que la dernière espèce citée possède 98,8 % (P1) de gènes communs avec l'homme, la possibilité de zoonose et, par conséquent, de répercussions dans le domaine de la santé publique sont au centre de la polémique. Maintes interrogations en découlent : Cette transmission inter-espèces est-elle unidirectionnelle ? Où se situe-t-elle dans l'espace-temps ? Existe-t-il un seul ou plusieurs foyers d'émergence ? À l’égard de ce questionnement, la seconde proposition semble la plus plausible étant donné la démonstration moléculaire et phylogénétique de l'existence de deux variants principaux du SIV provenant du chimpanzé et du sooty mangabey et menant respectivement aux HIV-1 et HIV-2 chez l'Homo sapiens sapiens. En un mot, le SIV s'avère-t-il être le seul responsable de la pandémie actuelle de SIDA ? Les pages suivantes présentent un résumé de la littérature portant, entre autres, sur les principales hypothèses de l'origine de cette pathologie, les différences propres aux HIV-1 et HIV-2, de même que les inquiétudes face à l’émergence de nouveaux variants, recombinants et d’un possible HIV-3, sans oublier les conséquences en santé publique et un survol des principes de vaccination. En tant que professionnels de la santé, y a-t-il lieu de s'inquiéter ? 1. LES HYPOTHÈSES DE TRANSMISSION : Depuis une vingtaine d'années, les sociétés actuelles sont confrontées à une bien triste réalité : la pandémie de SIDA. Ramenée inlassablement sur la sellette, les médias et les professionnels de la santé publique ont contribué à faire de cette affection un virus connu de tous. La vulgarisation à ce sujet a fait en sorte que nombre de gens peuvent préciser que le SIDA est une maladie immunosuppressive et que son principal agent est un lentivirus nommé HIV. Mais qu'en est-il de l'origine de la maladie ou plutôt de celle de son agent causal ? Ici seront présentées les principales hypothèses posées jusqu’à ce jour. De ces propositions, certaines ont été démenties alors que d'autres demeurent à élucider, quoique plus probables aux yeux des 2 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? scientifiques. Dans un premier temps, il faut garder à l'esprit le point commun à toutes ces hypothèses, soit le SIV. Le SIV (Simian Immunodeficiency Virus) est un virus immunosuppresseur retrouvé chez plusieurs espèces de primates non-humains. Certaines souches de ce lentivirus ont été reconnues comme étant très similaires à celles de HIV. Cette observation implique donc que ces primates aient pu jouer un rôle de réservoir quant à la transmission de l'infection aux humains (31) . Cependant, malgré toutes les recherches faites à ce jour, un mystère reste encore à élucider : quand exactement les diverses souches de SIV ont-elles été transmises des primates non-humains aux hommes (19) ? Par les analyses phylogénétiques d'échantillons (cheveux) d’âge connu, Korber et al. (24) ont réussi à estimer l'année d'origine du HIV-1 groupe M, principal responsable de la pandémie actuelle de SIDA. À vrai dire, le HIV-1 groupe M est un variant d'un ancêtre commun s'étant diversifié. Le moment exact de la transmission n'est toujours pas connu, mais la date d'émergence de cet ancêtre commun (retrouvé dans les populations de primates) fut tout de même estimée. Par le fait même, cette date correspond au moment où le virus type 1 s'est mis à muter, donnant ainsi naissance aux multiples groupes et sous-types de HIV-1. Les recherches menées ont conduit à la date fatidique de 1931, avec un intervalle de confiance de 95 %, soit entre 1916 et 1941(19). Trois hypothèses viennent soutenir cette affirmation (19): ! L'hypothèse de la transmission précoce (Transmission Early hypothesis): Par cette proposition, le virus aurait été transmis aux hommes dans les années 1800 ou au tout début du siècle suivant, et ce, suite à la consommation de viande de chimpanzé. Puis, l’agent serait demeuré isolé dans une communauté locale jusqu'en 1930, moment où il aurait alors été transmis à d'autres populations humaines et aurait, par conséquent, commencé à se diversifier. ! L'hypothèse de la transmission comme cause immédiate d'épidémie (Transmission Causes Epidemic hypothesis) : Ici, le virus aurait été transmis du chimpanzé à l'homme aux environs de 1930. Dès lors, il aurait commencé à se diversifier et à se transmettre au sein des populations. 3 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? ! L'hypothèse de la transmission parallèle tardive ( Parallel Late Transmission hypothesis) : Dans ce dernier cas, plusieurs souches de SIV (source de la diversification du HIV-1) auraient été transmises simultanément à l'humain, et ce, entre 1940 et 1950. De plus, la caractérisation des SIVsim, de même que la distribution géographique mondiale du virus du SIDA mènent à l'évidence que le HIV résulterait effectivement d'interaction entre simiens et humains(10). Voici des explications plus approfondies concernant ces trois hypothèses afin d’en faciliter la compréhension. L'hypothèse de la transmission précoce (Transmission Early hypothesis) Au sein de l'Afrique équatoriale de l'Ouest, la consommation de viande sauvage, dite de brousse, est chose commune. En effet, afin d'équilibrer le mieux possible leur régime alimentaire, les populations rurales pratiquent la chasse, ce qui mènent les habitants des communautés à consommer régulièrement la chair des animaux qu'ils traquent. De surcroît, ces derniers s'avèrent majoritairement des simiens, potentiellement porteurs du SIV. C'est donc dire que la viande de singe est très présente, que ce soit sur les étalages des marchés ou parmi les denrées des vendeurs itinérants(8,10,19). Il devient alors évident que chasseurs et bouchers, qui manipulent fréquemment cette viande, sont fortement sujets à être contaminés, par les primates non-humains infectés. Il ne suffit que d'une simple coupure accidentelle lors de la préparation des carcasses pour que la plaie ne s'emplisse de sang de singe et que la personne concernée ne se retrouve infectée(10). Même en supposant ce processus, tant que l’homme maintenant séropositif demeure dans une communauté isolée des grands centres urbains, l’infection sera confinée à cet endroit. Le hic apparaît avec le mouvement des populations. Comme de fait, aux environs des années 1960, l'Afrique rurale connaît de grands bouleversements sociaux, politiques et économiques, résultant en un exode vers les villes (fort taux d'émigration). Les habitants des campagnes se déplacent vers les grands centres urbains du continent, ce qui, sans contredit, résulte en un rapprochement physique risqué. Ce contact accru et le mouvement global des populations ont donc grandement facilité la propagation du virus au-delà de ses frontières géographiques d'origine (19). Il est à noter que les guerres civiles, l'introduction de programmes de vaccination avec réutilisation des aiguilles, la révolution sexuelle (tourisme sexuel), de même que l'augmentation des voyages internationaux 4 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? sont tous des événements propres aux bouleversements des années 1960 et ont donc contribué fortement à l'émergence de la pandémie de SIDA(19). L'hypothèse de la transmission comme cause immédiate d'épidémie (Transmission Causes Epidemic hypothesis) Aucun exemple précis n’existe pour supporter cette hypothèse de transmission. Elle peut, par contre, être aussi associée à la contamination de l'homme par du sang de chimpanzé, lors de la chasse ou de la consommation de la viande de cette espèce. Toutefois, l'infection se serait ici transmise immédiatement au sein de la population, sans qu'il n'y ait une longue période de latence comme il en est question pour la transmission précoce. Fait à noter : ces deux hypothèses sont les plus probables. L'hypothèse de la transmission parallèle tardive ( Parallel Late Transmission hypothesis) L'hypothèse de la transmission parallèle tardive serait reliée au développement d’un vaccin contre le virus de la Polio(19). Dans son livre intitulé The River : A journey to the Source of HIV and AIDS, Edward Hooper défend ardemment cette théorie. Il explique que, à cette époque, Koprowski et son équipe de scientifiques travaillaient sur un vaccin oral contre la polio, à Stanleyville, aujourd'hui appelé Kisangani (Afrique). Un refuge de chimpanzés appelé Lindi se retrouvait à cet endroit. Or, selon Hooper, bien que le destin de ces primates n'ait jamais été documenté, certains d'entre eux auraient été utilisés pour expérimenter la sécurité du vaccin. De plus, 80 paires de reins de ces chimpanzés auraient été excisées, hachées et envoyées aux USA, lieu de production de ces doses vaccinales(21). Le virus de la Polio aurait donc été mis en culture sur des cellules provenant de ces broyats de reins de singes, dont certains étaient potentiellement porteurs du SIVcpz. Cette hypothèse suggère donc que l'épidémie de SIDA serait due à l'exposition, via les muqueuses buccales, à un vaccin de la Polio, contaminé par le SIVcpz . Ce vaccin aurait été administré à plus de 400 millions de personnes du Congo, du Rwanda et du Burundi(8), et ce, entre 1952 à 1982(10). Toutefois, plusieurs scientifiques s'opposent à cette allégation d’Edward Hooper compte tenu du manque de preuves. Bien au contraire, tout tendrait à réfuter cette idée. Dans un premier 5 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? temps, un PCR réalisé sur des échantillons congelés du vaccin de la Polio, supposément contaminé, n'a révélé la présence d’aucun acide nucléique relié au HIV-1, ni d’aucune trace d'ADN mitochondriale de chimpanzés. De plus, il semblerait que les cellules utilisées dans la fabrication du vaccin venaient de macaques et non de chimpanzés, et donc que ces dernières ne pouvaient être contaminées par le SIVcpz, à l'origine du HIV-1(9) (le macaque n’est pas porteur de SIV à l’état naturel). Finalement, Korber et al.(24), par leurs recherches, ont estimé la date d’émergence de l'ancêtre commun des différentes souches de HIV-1 du groupe M à 1915-1941(8). Ces dates se retrouvent bien avant que les expériences sur le vaccin oral du virus de la Polio ne débutent. Ainsi, selon Korber, ces résultats ne démentissent pas l'hypothèse du vaccin de la Polio, mais contribuent néanmoins à la rendre fort peu probable(8). Plusieurs autres hypothèses ont également été émises, certaines semblant quelques fois hurluberlues. Par exemple, il a déjà été question que le HIV soit originaire de l'espace intersidéral(34) ou encore qu'il soit le résultat d'un virus fabriqué de toute pièce en tant qu'arme biologique, ayant été testé sur des prisonniers(34). De là, le HIV aurait été transmis au sein de la population, causant ainsi la pandémie aujourd'hui bien connue. Une dernière hypothèse ne peut être passée sous silence. Il s'agit de celle de Duesberg. En effet, selon ce scientifique, le HIV ne serait pas la cause du SIDA et cette maladie ne serait aucunement d'origine infectieuse(34). Question de supporter cette idée, Duesberg s'appuie sur les postulats de Robert Koch qui permettraient d'identifier les causes d'une maladie infectieuse. Ces postulats se présentent ainsi : • L'agent est présent dans chaque cas où la maladie se manifeste et est en quantité suffisante pour causer des effets pathologiques. • L'agent en question n'est pas retrouvé dans d'autres affections ou en tant que parasite nonpathogène. • Après isolation et croissance en série sur culture pure, l'agent peut induire à nouveau la maladie. C'est ainsi que Duesberg en vient à affirmer que le HIV ne répond à aucun des trois postulats et qu'il ne s'agit donc pas de la cause infectieuse du SIDA. Le HIV échoue au premier postulat qui 6 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? veut que trop peu de lymphocytes-T infectés, en circulation, ne peuvent causer pas la maladie du SIDA. Puis, en ce qui a trait au deuxième postulat, il affirme qu'il existe des porteurs asymptomatiques du HIV et finalement, le troisième postulat n'est pas rempli puisqu'il n'avait pas été prouvé, à ce moment, que le HIV isolé de culture pure pouvait induire le SIDA chez l'humain. Voilà pourquoi, en se basant sur les postulats de Koch, Duesberg avance que le HIV n'est pas la cause du SIDA. Toutefois, Duesberg est en faute en ce qui concerne le premier postulat. De plus, il a appliqué les postulats tels qu'ils avaient été rédigés cent ans plus tôt, sans prendre en considération les amendements apportés, depuis la découverte de certains virus et de l'étude de maladies chroniques. De plus, ce scientifique affirme que le HIV ne peut être à l’origine du SIDA, puisque « les virus et les bactéries travaillent vite ». Or, le SIDA prend en moyenne huit à dix ans avant de causer des manifestations cliniques(34). Selon certains chercheurs, Duesberg, par cette affirmation, aurait confondu la réplication virale au niveau cellulaire avec la manifestation de la maladie chez l'individu affecté. En conclusion, bien qu'aujourd'hui, il a été prouvé épidémiologiquement et virologiquement que le HIV, originant d’une transmission zoonotique d’un virus simien, soit la cause du SIDA, il n'en demeure pas moins que certains chercheurs se questionnent encore afin d’élucider tous les chaînons manquants de cette transmission. En effet, n'est-il pas le dû de la pensée scientifique que de remettre en question les dogmes établis ? Les hypothèses générales quant à l’origine des premières transmissions inter-spécifiques ayant été énoncées, il serait maintenant intéressant de s’attarder sur les particularités respectives du HIV-1 (responsable de l’épidémie actuelle) et du HIV-2 (forme peu virulente retrouvée primairement en Afrique de l’Ouest). En effet, bien que la majorité des théories concernant l’ancêtre du SIDA demeurent incertaines, il ne fait nul doute que le HIV-1 et le HIV-2 proviennent de deux foyers distincts de transmission d’un virus simien (SIV). En effet, leur similarité génétique est supérieure à celle de tous les autres lentivirus retrouvés, par exemple, chez les équins, bovins, caprins ou félins. 7 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Comme mentionné précédemment, plusieurs espèces de primates africains sont porteurs asymptomatiques du rétrovirus dont le Singe vert d’Afrique (traduction libre de « African green monkey »)(SIVagm), le Mandrill (SIVmnd), le « Sykes monkey » (SIVsyk), le « Sooty Mangabey » (SIVsm) et le chimpanzé (SIVcpz). Heureusement, seules les deux dernières espèces mentionnées ont été prouvées aptes à transmettre le virus à l’homme. Fait intéressant : les recherches actuelles supposent que ces lignées de SIV découlent toutes d’un ancêtre viral commun, et ce, avant de se propager entre les espèces. Toutefois, l’hôte initial demeure toujours inconnu. Il est à noter que le virus d’immunodéficience simien n’est pas retrouvé naturellement chez les espèces asiatiques, telles le macaque. Ce phénomène soulève une controverse, sachant que ce dernier est l’animal actuellement le plus utilisé dans les laboratoires étudiant l’évolution du HIV( VOIR SECTION HIV-2 ). 2. VIRUS D’IMMUNODÉFICIENCE HUMAIN TYPE 1 (HIV-1) : Responsable de l’actuelle pandémie du « syndrome d’immunodéficience acquise », le HIV1 origine vraisemblablement d’une transmission zoonotique d’un lentivirus de chimpanzés (SIVcpz). Toutefois, quoique la première séroconversion humaine date de 1959, en Afrique centrale de l’Est, de récentes études tentent toujours de confirmer scientifiquement cette hypothèse. La technique actuellement développée détecte les anticorps anti-SIVcpz dans les excréments (fèces et urine) de chimpanzés, retrouvés à l’état sauvage. La collecte s’effectue à l’aide de parapluies renversés et ce, sous les « nids » des chimpanzés, pouvant se situer jusqu’à dix mètres du sol. Cette expérimentation non invasive, réalisée en Côte d’Ivoire, en Ouganda et en Tanzanie, pourrait être la source future d’indices définitifs quant à l’origine et la propagation du SIVcpz , plus proche parent phylogénétique du HIV-1, lui-même responsable du développement du SIDA chez l’homme. Malheureusement, les résultats laissent place à une interprétation mitigée : sur 58 chimpanzés testés, un seul individu s’est révélé séropositif (Gombe National Park)(6, 17). Cette prévalence inférieure à 1%, par opposition à celle dépassant 90% chez d’autres primates, tels le Singe vert d’Afrique, suppose une propagation intra-spécifique lente d’un virus loin d’être superinfectieux. Pourquoi alors retrouve-t’on au Cameroun et au Gabon, premiers foyers de transmission suspectés, les souches de SIVcpz les plus similaires à celles du HIV-1? Le comportement social (indépendance des colonies) de l’espèce Pan troglodytes et la 8 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? déforestation massive du continent africain expliquerait ce paradoxe. En effet, ces phénomènes résultent en une restriction des mouvements, en l’isolement des colonies entres elles et donc en une diminution des probabilités de transmission du virus simien. Par conséquent, la faible prévalence obtenue dans cette étude n’est peut-être pas représentative de celle d’autres colonies de chimpanzés pouvant, elles aussi, être le point de départ de la transmission. Cependant, cette faible proportion de chimpanzés séropositifs, à l’intérieur d’une colonie, peut souligner une autre faiblesse à la théorie par laquelle la transmission originerait de la contamination d’un vaccin oral contre la Polio par des cellules rénales de primates infectés. En effet, pour que cette contamination soit responsable de la pandémie actuelle, une charge virale massive aurait été nécessaire, ce qui est peu probable avec un taux d’infection inférieure à un par 100 individus, dans la population de chimpanzés. La complexité de la compréhension de la transmission ne s’arrête pas à ce niveau. En effet, il existe trois groupes génétiquement distincts de HIV-1, soit M, O, N. Le premier signifiant « MAIN or MAJOR group » est responsable de l’épidémie mondiale de SIDA et compte 10 soustypes, classifiés de A à J. Quant au groupe O (« OUTLIER »), il a émergé au début des années 1990. Il se retrouve au Gabon, en Guinée Équatoriale et au Cameroun, où il représente 9% des 700 cas de HIV-1 recensés à l’époque(2). Finalement, le groupe N (pour « NON M et NON O »), retrouvé aussi au Cameroun, est un nouveau variant décelé uniquement à deux occasions, chaque fois chez des femmes(2). Cette catégorisation est compatible avec la répartition géographique de l’espèce Pan troglodytes, en faisant ainsi l’hôte naturel le plus probable et correspond donc à trois foyers indépendants de transmission du HIV-1. Il est à noter qu’actuellement, sur le continent africain, il existe quatre sous-espèces de chimpanzés, toutes porteuses du SIVcpz transmissible à l’homme, et ce, afin de compliquer davantage la pathogénie. Toutefois, selon toute vraisemblance, la sous-espèce Pan troglodytes troglodytes serait responsable des trois foyers d’infection principaux, les autres (P.t.verus, P.t.vellerosus, P.t.schweinfurthii) n’ayant transmis que sporadiquement la maladie chez l’humain(15). Cependant, malgré une organisation génomique similaire et une coïncidence géographique, certains scientifiques remettent en cause la relation directe entre le SIVcpz et le HIV1. En effet, la prévalence inférieure à 1% chez les chimpanzés en milieu naturel et la 9 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? détection du lentivirus simien dans des régions d’Afrique, non atteintes par l’épidémie de SIDA, suggèrent la possibilité d’un primate amplificateur, voire d’un vecteur de l’agent causal(15). Cet intermédiaire pourrait être le chaînon manquant dans la compréhension de l’évolution de la pathologie. De plus, il est intéressant de noter que le groupe N constitue lui-même une recombinaison du HIV-1 groupe M et d’une souche émergente du virus simien, désignée par l’abréviation SIVcpzUS, et ce, au sein de l’espèce Pan troglodytes(15). Cette découverte d’une souche virale unique crée des inquiétudes quant à l’éclosion possible d’une nouvelle épidémie de SIDA chez l’humain. Il devient donc essentiel d’adapter les tests de détection actuels, afin d’y inclure cette souche d’apparition récente, ne serait-ce que pour maintenir un sentiment de sécurité parmi la population, en ce qui concerne les transfusions sanguines, les xénogreffes… L’émergence du groupe N mène également à un questionnement quant à l’existence de d’autres souches latentes (variants, recombinants…) chez les primates en milieu naturel, en attente des conditions favorables à leur transmission à l’homme. Comme mentionné, chacun des trois groupes compte également plusieurs sous-types, désignés selon la distribution géographique. Par exemple, en Ouganda, selon une analyse phylogénétique de la région gp41 de l’enveloppe virale, les sous-types A (49%) et D (48%) sont prévalents depuis 1985, par opposition au sous-type C impliqué dans seulement 2,5% des cas de HIV1(12). Cependant, ce dernier prédomine au Sud-Est de l’Afrique. NB : Ces sous-types sont ceux inclus dans le « major group ». Le groupe O compte, quant à lui, trois sous-types. En résumé, à la lumière des données actuelles, il est cohérent de considérer le chimpanzé, de la sous-espèce Pan troglodytes troglodytes comme l’hôte naturel et le réservoir du HIV1. 3. VIRUS D’IMMUNODÉFICIENCE HUMAIN TYPE 2 (HIV2) : Forme moins virulente que son prédécesseur, le HIV-2 origine également d’une transmission interspécifique d’un primate vers l’humain. En effet, le réservoir naturel de ce lentivirus est le « sooty mangabey », et ce, sans aucune incertitude scientifique. Les coïncidences géographiques, quant à l’épicentre de l’épidémie en Afrique de l’Ouest, lieu de résidence de ce primate, et les similarités génomiques du SIVsm et du HIV-2 appuient cette hypothèse. En effet, le « sooty mangabey », de son nom latin Cercocebus torquatus atys vit au Sierra Leone et dans le tiers ouest de la Côte d’Ivoire (il fait partie de la famille C.torquatus qui compte 10 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? deux autres espèces non naturellement porteuses du SIV(5)). Or, la première évidence géographique de transmission zoonotique, en lien avec la garde de cette espèce comme animal domestique, fut notée chez des villageois de ces pays(5). À ce point, une réflexion s’impose quant à la dangerosité réelle des « sooty mangabeys » gardés comme animaux de compagnie. En effet, selon une étude datant de 1996, la séroprévalence de l’infection est de seulement 4,4% chez les « sooty mangabeys » « domestiques », par opposition à un résultat de 22,2% obtenu dans une colonie, à l’état sauvage(5). Cette observation peut aisément s’expliquer par le fait que la majorité des membres apprivoisés de cette espèce sont des jeunes orphelins, n’ayant pas atteint leur maturité sexuelle. Or, sachant que le virus se transmet principalement par les accouplements (corrélation séropositivité et capacité reproductrice), il est plausible d’observer cette faible incidence. Le risque de transmission à l’humain n’est donc pas relié directement aux nombre d’individus infectés, mais plutôt à la proximité de ces derniers avec les villageois. Il est à noter que certains habitants d’Afrique consomment la viande du « sooty mangabey », d’où un risque additionnel de contracter la maladie (voir HYPOTHÈSES DE TRANSMISSION). Tout comme son prédécesseur, le HIV-2 compte plusieurs sous-types distincts (17-24% de différences entre eux dans leur chaîne de nucléotides), nommés de A à E, et tous potentiellement responsables d’un foyer de propagation. Cette observation pose la même inquiétude quant au risque d’émergence de nouvelles « épidémies », certaines souches étant peutêtre encore latentes en milieu naturel, et donc, inconnues. Toutefois, cette hypothèse est remise en cause par certains scientifiques, ceux-ci affirmant que cette diversité dans les sous-types de HIV-2 n’est pas retrouvée dans le SIVsm en nature (Afrique de l’Ouest). Cela suppose, selon eux, une diversification du lentivirus une fois la transmission à l’homme effectuée(5). Toutefois, certains de leurs opposants émettent la théorie du processus graduel d’évolution du SIVsm pour expliquer l’existence de ces sous-types. Selon eux, ces variants du HIV-2 se retrouveraient également à l’état sauvage et origineraient tous d’un ancêtre viral commun(5) (théorie la plus probable). Quant aux possibilités de recombinaisons et de mutations de ce virus ARN, elles sont multiples. En 1996, un « nouveau » SIVsm (recombinant) a été isolé chez un « sooty mangabey » 11 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? à l’état sauvage(5). Cette espèce peut même être infectée simultanément par deux souches divergentes de SIVsm et ce, à l’état sauvage. Dans un autre ordre d’idées, sachant que le macaque utilisé à outrance dans les recherches sur le HIV n’est pas naturellement porteur d’un lentivirus simien, l’historique de la propagation du SIVsm répond à maintes interrogations. En effet, le « sooty mangabey », préalablement porteur du SIVsm, fut importé en Amérique du Nord au XIXème siècle pour combler les demandes des zoos et de quelques richissimes souhaitant étoffer leurs collections privées. Par la suite, dans la décennie 1960, plusieurs descendants de C.torquatus atys se retrouvèrent dans des centres américains pour primates. À cette époque, la cohabitation avec des macaques résulta en l’introduction du SIV dans ces populations (transmission interspécifique du « sooty mangabey » vers le macaque). Le SIV du macaque semble donc être, à la base, le même que celui du « sooty mangabey », la preuve étant une réaction sérologique croisée entre le SIV de ces deux espèces(5). En résumé, le virus d’immunodéficience humain type 2 origine d’une transmission zoonotique du « sooty mangabey », gardé comme animal de compagnie, à l’homme. Malheureusement, les détails concernant le processus exact de la propagation de l’épidémie (foyer primaire) demeurent encore à l’étude. 4. LES RECOMBINANTS : Comme précisé précédemment, les recombinants sont une source d’inquiétude, quant à la possibilité d’émergence de nouveaux foyers épidémiques. Ces recombinaisons s’avèrent possibles par le caractère diploïde du HIV, un rétrovirus où chaque virion contient deux brins d’ARN. Aussi, lors d’une coinfection par deux souches similaires (deux provirus), il y a transcription d’un brin d’ARN de chaque provirus pour former une particule virale « hétérozygote » et ce, uniquement à la condition que l’enzyme « reverse transcriptase » soit apte à « voyager » d’un génome à l’autre. Par la suite, toute nouvelle cellule infectée par ce virion possédera ce génome recombinant(4). Plusieurs souches recombinantes de SIV et de HIV-1 ont déjà été démontrées en nature. La première évidence fut une chimère entre un SIVagm et un SIVsm, retrouvée chez un singe sabeus(4). Malheureusement, connaissant l’existence des différents sous-types et la susceptibilité aux 12 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? mutations des virus ARN, l’émergence d’une infinité de « variants » sera toujours probable, tout en considérant certaines barrières géographiques (déforestation et isolement des populations). Fait intéressant : jusqu’à maintenant, aucune recombinaison naturelle n’a été démontrée entre un HIV-1 et un HIV-2, dans la population humaine. Toutefois, les recherches dans ce domaine étant limitées, rien n’en exclut l’existence(4). 5. SIV, HIV, SIDA ET PROCESSUS IMMUNITAIRE : Sachant que les primates ne développent que très rarement le syndrome d’immunodéficience acquise, tel que décrit chez l’humain, les scientifiques se sont concentrés sur le 1,2%(P1) de différence entre les génomes du chimpanzé et le nôtre pour comprendre notre susceptibilité à cette pathologie. L’hypothèse proposée est une diminution marquée de la diversité génétique chez l’homme, par opposition au Pan Troglodytes. La population mondiale aurait moins de diversité dans son génome qu’une seule colonie de chimpanzés, en Afrique centrale(11). En effet, notre adaptation à la société industrialisée a résulté en une perte des gènes essentiels à la vie en nature (masse musculaire moindre, maturité retardée,...) nous rendant ainsi moins résistants aux agents pathogènes, dont le HIV. La médecine contribue à ce phénomène, en diminuant la sélection naturelle (soins aux patients). À la limite, le clônage, en minimisant la diversité génétique, pourrait rendre l’Homo sapiens sapiens davantage à risque de développer le SIDA, une fois infecté. Dans le même ordre d’idées, Ronald Bontrop(11), du centre de recherche biomédical sur les primates, en Nouvelle-Zélande, affirme que le CMH (complexe majeur d’histocompatibilité), élément central de la réponse immunitaire, constitue le principal responsable de la susceptibilité de l’humain au HIV. En effet, comparativement à l’homme, le chimpanzé possède une diversité moindre de CMH, indiquant une sélection naturelle positive des individus de cette espèce possédant un variant du CMH non susceptible au SIV, équivalent simien du HIV. Cette sélection découle vraisemblablement d’une épidémie virale, jadis survenue parmi les primates à l’état sauvage(11). David Mindell renforce cette hypothèse par ces travaux analysant les variations dans la séquence moléculaire du lentivirus (gag, pol, env) entre une infection simienne et humaine. Lors de cette dernière, le rétrovirus sélectionne un « variant » de faible expression de son génome, 13 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? échappant ainsi au système immunitaire (perte de reconnaissance des antigènes viraux et échappement à la neutralisation par les anticorps) sans compter la résistance à la médication antivirale(25). Le résultat en découlant est une infection persistante, et ce, dès la contraction du virus. Malgré cette différence de susceptibilité entre les deux espèces, les processus immunitaires primaires pour tenter de contrôler la progression de la maladie sont similaires. En effet, suite à une transmission sexuelle (muqueuses) ou sanguine, le lentivirus active les macrophages et/ou les cellules dendritiques, pour ensuite stimuler les lymphocytes T CD4+ par un contact cellule à cellule. Selon l’efficacité du système immunitaire, la réplication et la dissémination virale seront plus ou moins rapides et efficaces. Pour obtenir un ordre de grandeur, des scientifiques ont inoculé le SIV intravaginalement à des macaques, pour ensuite les euthanasier à des intervalles de temps précis (1,3,7,12 jours), et ce, afin de visualiser la vitesse de réplication virale sur coupes tissulaires. La cellularité (ARN) fut détectée la première fois à 3 jours post-inoculation et ce, au niveau du cervix. Jusqu’au jour 7, une augmentation de la vitesse de réplication est présente, mais demeure localisée au cervix. La dissémination du lentivirus est notée au jour 12; avec envahissement secondaire du système lymphatique et des organes creux, sans atteinte du système nerveux central(36). Il découle donc de cette étude que le niveau d’ARN plasmatique (indice de cellularité systémique) constitue un indicateur non négligeable de pronostic. NB : Il est important de mentionner que le SIV et le HIV peuvent rester latents dans les lymphocytes T CD4+, et ce, même suite à une thérapie antivirale. Dans le même ordre d’idées, la capacité d’infecter les cellules T inactivées est tout aussi primordiale, pour la propagation virale, que celle concernant les lymphocytes T activés(36). En effet, la première situation renforce la persistance de l’infection dès le début, en maintenant une propagation locale, peu importe l’état de la cellule T adjacente. Quant à la seconde, elle permet une multiplication virale considérable et donc une dissémination systémique, renforçant cette multiplication (cercle vicieux du maintien de la maladie par activation continue des lymphocytes T). Ce dernier phénomène maximise le risque de transmission au moindre contact, la charge virale étant considérable. 14 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Fait intéressant : les caractéristiques du HIV in vitro ne sont pas représentatives des conditions in vivo ; ces dernières influencent la transmission virale, la pathogénie et la progression de la maladie. En effet, une étude publiée en 1999 dans la revue Nature(22) affirme que le HIV deviendrait progressivement plus virulent, au fur et à mesure de son évolution in vivo, accélérant par conséquent le progression vers le syndrome d’immunodéficience acquise. Cette évolution virale, suite à l’inoculation, semblerait irréversible. Pour le démontrer, des singes séronégatifs ont été inoculés par des variants de SIV, provenant de macaques infectés, à différents stades de la maladie. Un contrôle de la réplication virale par le système immunitaire était possible lors du stade précoce de la pathologie (asymptomatiques 57 semaines post-inoculation), alors que celui tardif produisait une virémie importante et aboutissait au développement du SIDA. Ces singes expérimentalement infectés développèrent des signes cliniques (anémie, entérite chronique, cachexie) entre 52 et 68 semaines post-injection(23). Les trois stades existants (précoce, intermédiaire et tardif) sont antigéniquement et phénotypement distincts. Plus précisément, l’infection dans la forme précoce résiste à la neutralisation par les anticorps (via une mutation ajoutant des liens carbohydratés à la surface externe de l’enveloppe protéique virale), mais n’induit aucun syncytium intercellulaire. Par opposition, celle tardive, en plus d’être apte à stopper la défense immunitaire, induit la formation de syncytias et présente une réplication virale agressive (1 X 105 copies ARN par mg versus 6 X 102 pour le stade précoce(23)), à l’intérieur des lymphocytes T CD4+ (cytopathique)(23). Ces faits mènent à un questionnement quant à la relation unidirectionnelle entre l’augmentation de la virulence in vivo et le développement du SIDA. En effet, est-il possible que ce soit l’immunosuppression créée par l’évolution de la maladie qui permette au virus de maximiser sa virulence, et non le contraire ? Actuellement, nul n’a de réponse à cette interrogation. Curieusement, la période asymptomatique (stade précoce) est prolongée lors d’infections au HIV, comparativement à celles au SIV. Cette observation s’expliquerait par une utilisation différente des co-récepteurs par ces deux lentivirus, soit le CCR5 pour le SIV et le CCR5 et le CXCR4 pour le HIV-1. Il en découle un ralentissement de la réplication virale et une perte d’habileté à produire des syncytias, diminuant ainsi la propagation intercellulaire du HIV-1, et ce, au stade précoce de la maladie(22). Toutefois, cette hypothèse, rejetée par plusieurs scientifiques, reste à confirmer. 15 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? En résumé, l’habileté du système immunitaire de l’hôte à se défendre contre l’infection est essentielle pour minimiser la réplication virale et, par conséquent, limiter la progression vers le syndrome d’immunodéficience acquise. Les facteurs de pronostic sont le niveau d’ARN viral plasmatique (dissémination systémique) et la quantification des lymhocytes T CD4+ (le stade tardif est cytopathique et résulte en une diminution des cellules T). 6. IMPLICATIONS EN SANTÉ PUBLIQUE ET ASPECT ZOONOTIQUE : Comme mentionné précédemment, le lentivirus responsable du SIDA origine d’une transmission zoonotique du primate vers l’Homo sapiens sapiens. Cette épidémie cause actuellement des ravages parmi les populations mondiales, et ce, depuis près de vingt ans. En effet, cette infection d’origine simienne a occasionné le décès de plus de 16 millions d’humains depuis son émergence. De plus, il est à considérer qu’à lui seul le HIV-1 est responsable de l’infection de plus de 50 millions d’individus. L’intérêt des scientifiques est d’autant plus grandissant, sachant que l’incidence annuelle de nouvelles séroconversions est de 6 millions, et ce, mondialement(16). Il a été démontré que les contacts sexuels et les échanges sanguins (transfusions, aiguilles réutilisables…) constituent les principales routes de transmission virale. De ce fait, des chercheurs américains ont constaté que les femmes (contraceptifs oraux), les minorités visibles, de par leurs us et coutumes (polygamie, utilisation limitée des contraceptifs…) et les jeunes homosexuels masculins(16) constituent les populations à risque de contraction du virus d’immunodéficience type 1. Par exemple, un traitement à long terme de progestérone orale (contraceptifs) contribuerait à l’amincissement de l’épithélium vaginal, et donc à une susceptibilité accrue d’infection au HIV, via les relations sexuelles avec un individu séropositif. Ce phénomène fut démontré histologiquement chez les primates, mais demeure toujours hypothétique chez la gent féminine(7). Bien qu’initialement le syndrome d’immunodéficience acquise origine d’un lentivirus simien, il faut garder à l’esprit qu’une fois la transmission zoonotique effectuée, la virulence s’intensifie in vivo, rendant ainsi la progression de la maladie inévitable. Ajoutés à cela, les comportements sociaux de la population (mentionné ci-haut) contribuent grandement à la propagation du HIV au sein de notre espèce. Sachant qu’un contrôle strict des activités humaines à risque est irréaliste, nous sommes en droit de s’interroger sur le pertinence de l’éradication du 16 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? lentivirus simien en milieu naturel. En effet, l’extinction des chimpanzés et des «sooty mangabeys» ne mènerait nullement à l’élimination du virus chez l’homme. Toutefois, bien que ce questionnement soit justifié quant à la pandémie de HIV-1 actuellement reconnue, l’apparition de nouveaux variants est toujours à craindre. Ce fait justifie donc la poursuite des recherches quant à la détection des mutations du SIV afin de minimiser la transmission interspécifique de nouvelles souches du lentivirus. Il est à noter que certaines recherches détectant les anticorps antiHIV-1 dans les excréments de chimpanzés , en milieu naturel, sont présentement en développement. Peut-être aideront-elles à la découverte de ces nouveaux variants, et mieux encore, préviendrontelles l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, potentiellement zoonotiques, par leur identification précoce ? 7. QU'EN EST-IL DES VACCINS ? Il existe, dans les pays industrialisés, un traitement basé sur l'utilisation de drogues anti-rétrovirales permettant d'obtenir un certain contrôle sur le développement de l'infection au virus du HIV. Mondialement, toutefois, ce traitement n'est pas disponible et surtout hors de prix, ayant pour conséquence une forte diminution de l'espérance de vie dans les pays sousdéveloppés. Que doit-on en penser quand on sait qu'à elle seule, l'Afrique Sud-saharienne compte plus de 25 millions d'individus infectés(V2) ? Ces questions d’ordres social et économique ne font qu'amener la communauté scientifique à réaliser encore plus l'urgent besoin de créer un vaccin contre cette affection. Le défi est grand pour celui qui tente de percer le secret du vaccin qui sera efficace contre le HIV. C'est que les obstacles auxquels il faut faire face sont nombreux. Tout d'abord, il faut se rappeler que le HIV possède plusieurs souches différentes et qu'il est très sensible aux mutations (virus ARN), y compris lorsqu'en circulation dans un hôte infecté. C'est un agent infectieux qui persiste si longtemps dans l'organisme que les individus infectés en demeurent porteurs à vie. De plus, les chercheurs ont réalisé, après maints essais décevants, qu’un vaccin idéal devrait pouvoir stimuler quatre facettes du système immunitaire : l'immunité à médiation cellulaire, l'immunité humorale, l'immunité des muqueuses et le système immunitaire inné (défenses naturelles). De cette façon, il serait apte à agir efficacement contre les différentes voies de transmission. 17 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Ce n'est donc pas du jour au lendemain que les scientifiques en sont arrivés à ces suppositions. Bien au contraire, il leur a fallu essayer différents protocoles et se butter à des résultats peu satisfaisants afin qu'ils puissent en arriver à un tel raisonnement. Comme de fait, les premiers essais ont mené à des résultats plutôt décevants. C'est que la première idée des spécialistes était de créer un vaccin qui allait stimuler uniquement l'immunité humorale. Ils supposaient alors que la production d'anticorps allait permettre de neutraliser le virus et d'ainsi prévenir son entrée au sein des cellules cibles. Or, le vaccin ne permettait pas la production d'une assez grande gamme d'anticorps. Il était alors impossible de neutraliser suffisamment rapidement le virus hautement mutagène et très variable. Puis, le nouvel objectif devint celui de fabriquer un vaccin qui allait stimuler l'immunité à médiation cellulaire. On désirait favoriser la production de lymphocyte-T cytotoxiques qui permettraient alors la destruction des cellules infectées. Bien que ce nouveau vaccin ait permis de diminuer la réplication virale, de ralentir la progression de la maladie et d'en diminuer la transmission, les chercheurs en sont venus à la conclusion que le vaccin idéal allait devoir stimuler à la fois l'immunité à médiation cellulaire et celle humorale(V1). Encore aujourd'hui, les recherches dans ce domaine portent sur cette idée. On tente maintenant de trouver des substances immunogènes qui permettront la production d'une plus vaste gamme d'anticorps différents. Pour y arriver, George Lewis(V1) a pensé créer une telle substance en se basant sur la présence de glycoprotéines sur l'enveloppe virale du HIV, soit gp120 ou gp 140, jumelée à la présence du CD4 humain des cellules cibles. Le mode d'action de ce vaccin est que lorsque la glycoprotéine se lie à une portion du récepteur (CD4), il se crée alors des échanges de liens qui viennent stabiliser le complexe ainsi formé. Ces mêmes échanges occasionnent des modifications chimiques et structurales qui permettent alors l'exposition de nouveaux antigènes viraux, inaccessibles auparavant. Des anticorps peuvent alors être produits contre tous ces antigènes, et non seulement contre gp120, élargissant ainsi les possibilités d'action du vaccin. D'autres essais ont récemment été réalisés en utilisant, entre autres, une souche atténuée du virus de la stomatite vésiculeuse. Cette dernière agirait comme vecteur permettant l'expression 18 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? de deux protéines qu’elle partage avec le HIV, soit Env et Gag. Ainsi, une réponse immunitaire pourrait potentiellement être déclenchée. Selon Rose(V1), ce vaccin est très prometteur puisqu'il amène une réponse immunitaire humorale et cellulaire intéressante. De plus, il ne s'agit pas d'un agent pathogène humain, ce qui fait qu’il ne s’insèrera pas de gène viral dans le génome humain. Un dernier point est à prendre en considération quant à la mise au point d'un vaccin contre le HIV. En utilisant une souche virale vivante et atténuée pour créer le vaccin, il pourrait y avoir mutations et recombinaisons. Si cela venait à se produire, la souche alors créée pourrait redevenir pathogène pour le sujet en question. Afin d'éviter un problème de la sorte, il faudrait créer une souche virale capable de se limiter à un seul cycle de réplication, la rendant ainsi inapte à se propager aux autres cellules environnantes de l'hôte. Cela ferait en sorte de réduire les probabilités de générer un virus capable de se répliquer. Malgré tous les efforts faits jusqu'à maintenant, rien n'est encore au point et reconnu comme efficace contre le HIV. Voilà donc un domaine de la santé auquel il faudrait bien apporter temps, support et argent puisque pour sa part, le virus ne cesse de se propager. 8. LE FUTUR : À QUOI FAUT-IL S’ATTENDRE ? Malgré toutes les recherches effectuées à ce jour, il reste encore plusieurs facettes de la maladie à élucider et beaucoup de sensibilisation à faire auprès des populations. En effet, comme l’hypothèse la plus plausible demeure celle de la transmission du primate à l’homme lors de la chasse et/ou de la consommation de viande crue contaminée (contact sanguin), il est primordial d’en informer la population. De surcroît, encore trop d’habitants d’Asie ou d’Afrique gardent des primates possiblement séropositifs comme animal de compagnie, exposant inutilement l’humain à un foyer potentiel de transmission. Il est bon, ici, de garder à l’esprit que toutes les pratiques cihaut mentionnées sont illégales, ou du moins à déconseiller, non seulement pour la sauvegarde de ces espèces menacées, mais aussi pour protéger la population contre le HIV et ses variants potentiels. La notion de variants est des plus importantes quant à l’avenir de cette maladie, sachant que l’agent causal en question est un rétrovirus ARN qui, par définition, est grandement susceptible aux mutations. Par conséquent, il s’avère inévitable de voir à l’élaboration de 19 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? nouveaux tests plus adaptés à la détection de ces variants(16). L’émergence de ces mutations renforce l’idée de l’importance de la limitation de la transmission zoonotique afin de prévenir tout nouveau foyer épidémique. La transmission du virus via les transfusions sanguines et les xénotransplantations se révèle comme étant une source additionnelle de préoccupation. Sachant que cette transmission de rétrovirus est possible entre espèces aussi divergentes que le porc et l’homme(35), y a-t-il lieu de s’inquiéter de l’utilisation en médecine d’organes provenant de primates? Cette question se répond par l’affirmative, le chimpanzé partageant 98,8 % de son génome avec l’humain(P1). En revenant aux hypothèses d’origine, certains auteurs vont même jusqu’à remettre en cause l’idée que le SIDA résulterait d’une transmission unidirectionnelle du singe vers l’homme. En effet, ils soutiennent plutôt que ce dernier pourrait s’avérer être l’hôte initial, ce qui est phylogénétiquement possible(25). Toutefois, très peu de suivis ont été réalisés quant à cette hypothèse, ce qui laisse place à d’éventuelles recherches. La proposition mentionnée précédemment trouve son fondement dans une transmission bidirectionnelle certaine lors de la vivisection. Effectivement, les chercheurs étudiant l’évolution du HIV injectent des doses virales massives à des chimpanzés afin d’en extrapoler les résultats. Cette pratique semble toutefois d’une utilité douteuse puisque le chimpanzé, contrairement à l’humain, développe rarement le Syndrome d’immunodéficience acquise tel qu’on le connaît aujourd’hui. De ce fait, l’homme est non seulement responsable de la propagation de la maladie au sein de son espèce, mais aussi parmi les Pan troglotytes troglotytes. En conclusion, étant donné qu'il reste encore de nombreuses questions sans réponse quant aux répercussions et à la fréquence relative de transmission du SIDA à l'homme, un recensement complet des populations de primates sauvages serait opportun, et ce, afin d'établir la prévalence de séropositivité au sein des espèces non-humaines. Malheureusement, bien que cet inventaire soit théoriquement envisageable, il est toutefois irréalisable en pratique. Aussi, des recherches supplémentaires, bénéfiques tant à l'homme qu'aux singes, seraient essentielles afin de démystifier la relation exacte unissant le SIV, le HIV et le SIDA. 20 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? 9. VIVISECTION ET FONDATION FAUNA Le chimpanzé occupe un vaste territoire, soit du Sénégal à la Tanzanie(P3). Depuis quelques temps, la population de chimpanzés ne cesse de s'amoindrir. Au XIXe siècle, on en comptait plus d'un million alors qu'ils sont maintenant moins de 125 000 à vivre au sein du continent africain. Rien ne sert de spécifier que les pertes d'habitats (déforestation) et le braconnage y sont pour beaucoup. Alors que le chimpanzé est actuellement reconnu comme espèce en voie de disparition, comment les laboratoires médicaux font-ils pour s'approvisionner en sujets expérimentaux ? Pour les fins de la cause, on a réussi à faire en sorte que les chimpanzés en captivité soient reconnus non pas comme en voie de disparition, mais bien à titre d'espèce menacée. De ce fait, il est parfaitement légal d'utiliser ces primates en recherche. Ce qui demeure toutefois le plus à craindre, c'est la provenance des reproducteurs. La capture d'animaux exotiques vient au troisième rang sur le marché noir, après le trafic des stupéfiants et la vente d'armes. Un laboratoire peut bien avoir les meilleures intentions, il n'en demeure pas moins que personne ne semble détenir le plein contrôle quant aux moyens d'approvisionnement des fournisseurs. De plus, il faut considérer que pour chaque chimpanzé juvénile capturé pour vente illégale, la mère sera bien souvent éliminée de même que les autres membres du groupe sur place qui pourraient s'interposer lors de l'opération. Il faut donc, pour chaque bête viable sur le marché noir, en tuer une moyenne de dix. Il devient évident que dans une région du monde où les denrées sont rares, ces dix carcasses seront fort probablement récupérées et vendues comme viande de singe. Bien qu'il ait précédemment été spécifié que les chimpanzés en milieu sauvage étaient peu infectés par le HIV, il n'en demeure pas moins que ces méthodes de capture contribuent à la propagation de la maladie. Question de terminer sur une note positive, voici un petit clin d'œil sur ce qui peut attendre les chimpanzés de laboratoire suite à leurs années de loyaux services. Dans toute l'Amérique du Nord, il existe seulement quatre sanctuaires pour chimpanzés, dont un au Québec. C'est en 1997, dans la région de Carignan, que le vétérinaire Dr Richard Allen et Mme Gloria Grow en mis sur pied la Fondation Fauna. Cet organisme à but non-lucratif a pour mission le bien-être de ces retraités. Le sanctuaire est situé sur une ferme de 200 acres et permet de garder approximativement une quinzaine de chimpanzés. Ils y sont nourris comme des rois puisqu'une 21 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? variété d'environ 20 types d'aliments différents leur est proposée chaque jour(P3). De plus, les restrictions alimentaires ne sont appliquées que lors de problèmes de santé particuliers. Il est sans contredit que la venue d'un tel sanctuaire n'a pas plu à tous les membres de la population de Carignan. En effet, il faut garder à l'esprit que ces animaux sont tout de même porteurs du HIV, ce qui constitue une source de contamination possible pour les membres de la communauté. Mais soyons sans crainte puisque les installations de l'établissement sont des plus sécuritaires. La solidité des cages est vérifiée de façon régulière, les portes et fenêtres de l'établissement sont renforcées de grilles d'acier et le site est protégé par une clôture électrique de trois mètres de haut(P3). Disons qu'il faut avoir plus qu'une banane dans sa poche pour qu'un singe veuille à tout prix et réussisse à vous rattraper sur le chemin du retour ! De surcroît, tous les employés et bénévoles se voient dans l'obligation de suivre des directives strictes, lesquelles furent pensées par la Fondation et la Santé publique de la Montérégie. Il y aurait plus de 1700 chimpanzés à placer, mais seulement 200 de ces bêtes trouveront un peu de quiétude parmi les quatre sanctuaires nord-américains. Peut-être serait-ce une idée à noter pour les vétérinaires qui en désirent toujours plus. Un seul petit hic : le Québec n'est muni d'aucun laboratoire suffisamment sécuritaire pour pouvoir réaliser les autopsies de ces animaux, chose qui pourrait peut-être apporter des informations éventuelles quant à l'évolution du HIV chez le chimpanzé. C'est dire qu'il y a encore place à amélioration… 22 Pandémie de SIDA : le SIV est-il le seul responsable ? Bibliographie 1. ANDREWS., Charla « The Duesberg Phenomenon : What does It Mean ? », Science, Vol 267, 13 janvier 1995, p. 157. 2. BALTER, Michael. « New HIV Strain Could pose Health Threat », Science, Vol 281, no 5382, p. 1425a. 3. BERGER, E.A. et al. « A new classification for HIV-1 », Nature, Vol 391, 15 janvier 1998, p. 240. 4. 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