ANNEE 2001 THESE : 2001 - TOU 3 - 4075
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ECOLE
NATIONALE
VETERINAIRE
T O U L O U S E
IMAGERIE MEDICALE APPLIQUEE A
L’ANATOMIE CLINIQUE DES CHELONIENS
EN CONSULTATION
Modèle de la Tortue de Floride,
Trachemys scripta subsp. elegans (Wied, 1839)
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THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR VETERINAIRE
DIPLOME D'ETAT
présentée et soutenue publiquement en 2001
devant l'Université Paul-Sabatier de TOULOUSE
par
Christian GAUDRON
né le 3 mai 1971 à Marseille (Bouches-du-Rhône)
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Directeur de thèse : M. le Professeur Yves LIGNEREUX
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JURY
PRESIDENT :
M. Jean BECUE Professeur à l'Université Paul-Sabatier de TOULOUSE
ASSESSEUR :
M. Yves LIGNEREUX Professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de TOULOUSE
M. Jacques DUCOS de LAHITTE Professeur à l'Ecole Nationale Vétérinaire de TOULOUSE
MEMBRE INVITE :
M. Richard REY Radiologue à l’Ecole Nationale Vétérinaire de TOULOUSE
Définitions et étymologie
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de préciser quelques termes et racines
étymologiques relatifs à ce plaisant animal qu'est la Tortue, seul Reptile à ne pas susciter
d'aversion dans le grand public. A tel point qu'il n'est pas rare, à l'occasion d'une consultation,
d'entendre à la question : “Quel est votre Reptile préféré ?” le discours suivant :
“- Aucun ! (répulsion marquée)
- Et les Tortues alors ?
- Ah ! Oui… Mais en fait, je ne les voyais pas comme des Reptiles…”
Pour sympathique qu'il soit, ce “crapaud cuirassé”, der Schildkröte comme l'appellent nos
voisins allemands, répond à plusieurs dénominations. L'explication est à rechercher dans les
deux principales racines grecque et latine. Les termes grecs “

υς” (“khelys”) et “

υ
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(“khelônê”), tortue, ont donné respectivement Chelidae et Chélonien, tandis que Testudinae
tire ses origines de “testudo”, tortue en latin, issu de “Testa”, tuile, coquille.
Aux U.S.A., les nuances sont encore plus complexes puisque sont distinguées, à partir de
notre unique terme français de Tortue, trois dénominations, encore susceptibles de varier
selon les latitudes :
turtle, vocable générique ou, dans certains cas, référence aux tortues aquatiques d'eau
douce et de mer
tortoise, qui s'applique plutôt aux tortues terrestres, mais aussi à celles colonisant des
milieux franchement marécageux
terrapin, habituellement utilisé pour les tortues comestibles traditionnellement
destinées à la consommation des populations locales, plus ou moins aquatiques et en
tout cas amphibies, à carapace rigide
Selon Larousse, le mot “tortue” vient du latin “tartaruca“, qui signifie “bête infernale du
Tartare” : c'est effectivement un animal d'enfer, nous aurons l'occasion de le démontrer. Par
extension, ce mot est devenu le “terme général désignant tous les Reptiles chéloniens à corps
court, renfermé dans une double cuirasse osseuse et écailleuse nommée carapace”. Cette
définition annonce deux points remarquables.
D'une part, la carapace est l'élément le plus caractéristique de cet animal. Non seulement,
toute Tortue possède une carapace, mais tout Reptile à carapace est une Tortue. Voilà au
moins une évidence, qui méritait d'être soulignée d'emblée car c'est la justification du présent
travail : cette particularité anatomique exceptionnelle impose des méthodes d'examen
spécifiques. Les techniques modernes d'imagerie médicale sont les plus appropriées à cet
organisme emprisonné dans une boîte osseuse.
D'autre part, la définition même de la Tortue précise la double origine, épidermique et
dermique, de cette fameuse carapace. Or, c'est de cette structure composite que découle toute
l'anatomie de l'animal, puisqu'au cours de l'Evolution, une fusion osseuse en a impliqué une
autre pour aboutir à la disparition des éléments rigides à l'intérieur de l'enveloppe cuirassée,
répétant, en quelque sorte, le schéma des Arthropodes.
Pour en finir avec l'étymologie, le mot “tortue” trouverait son origine dans le mot “tordu”,
peut être en rapport avec la forme de son cou. Par ailleurs, le mot américain “terrapene” vient
d'un mot indien signifiant “petite tortue”. Enfin, “galapago” signifie “tortue” en espagnol, de
même que “tortuga”. En effet, les premiers marins à découvrir ces îles célèbres furent fascinés
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par la taille et le nombre des tortues qu'ils y découvrirent. Ils baptisèrent donc cet archipel les
“Galapagos”.
Ajoutons que bien des vétérinaires sont enclins à considérer ce curieux essai de Dame Nature
comme un animal véritablement infernal… à soigner ! Les millénaires ont appris à la Tortue à
masquer aux yeux de tous le moindre indice de maladie ou même de faiblesse, politique de
défense passive répandue dans le Règne Animal. Elle masquera plutôt son état critique jusqu'à
n'avoir d'autre solution que de se laisser mourir à l'abri de sa cuirasse, devenue son cercueil.
Mais cette symptomatologie plutôt fruste, n'est pas le seul souci du vétérinaire.
L'examen clinique est un véritable tour de force. Même très affaiblie, une Tortue est capable
de résister de manière extraordinaire à l'extraction d'un membre ou de la tête, grâce à ses
puissants muscles rétracteurs dont les lointaines insertions sont à rechercher du côté opposé à
la traction exercée. La sémiologie passe donc par le recours à une trousse d'examen aux
instruments aussi divers qu'insolites, de la pince tire-langue de Young au bouchon de liège,
sans oublier les abaisse-langues troués, les élastiques, le polystyrène, la pâte à modeler…
A supposer qu'un diagnostic satisfaisant soit finalement établi, le traitement lui-même est
aussi un exploit. Il est fréquent que le propriétaire soit réticent à l'idée de prendre deux fois
par jour plus d'une demi-heure pour extirper une tête et autant pour réussir à ouvrir le bec sans
le léser, le tout sans aucune expérience. Vous proposez alors la voie injectable… Horreur !
L'idée de piquer à l'aveuglette à travers la carapace terrifie votre client. Vous l'achevez en lui
expliquant que les injections (deux fois par jour, Docteur ?) seront prolongées bien plus
longtemps que pour son matou quand il est venu vous voir avec cet énorme abcès : au moins
10 jours, plutôt 15, 1 mois si l'affection a viré à la chronicité… “Merci Docteur, je crois que je
préfère que vous l'hospitalisiez.” Fin de la discussion : quoiqu'il en soit, c'est à vous
d'assumer. Et vive la Tortue.
CHAPITRE I : PHYLOGENESE ET RAPPELS ANATOMIQUES
La médecine vétérinaire est un art dont la difficulté est accrue par la diversité des
animaux concernés. Les connaissances médicales de base relatives à l'espèce humaine font
l'objet de plusieurs longues années d'études. Force est de constater qu'il est impossible de
consacrer la même durée d'enseignement à chaque espèce animale dans la formation du
praticien vétérinaire. Malgré le devoir de formation permanente de toute profession de santé,
une vie entière ne saurait suffire à approfondir le vaste sujet d'études et le large champ
d'expérience que représentent nos patients de tous les jours.
Dès lors, il semble judicieux de circonscrire l'acquisition des données fondamentales à un
domaine particulier, ayant trait soit à un groupe animal plus homogène, soit à une discipline
médicale. En pratique, c'est le cas de vétérinaires qui se consacrent à la médecine des
carnivores domestiques, aux soins des animaux de rente, à la santé de la plus noble conquête
de l'Homme, ou encore aux nouveaux animaux de compagnie (NAC). Ce dernier groupe est
très varié, car il concerne à la fois les oiseaux de cage et de volière, les rongeurs et
lagomorphes de compagnie, les poissons d'ornement, les amphibiens de terrariophilie et les
Reptiles (sans parler des porcs nains du Vietnam, ratons laveurs et autres agréables
compagnons plus ou moins domestiques). Il est probable que les animaux “à sang froid“
restent encore les parents pauvres de la médecine. La formule “Primum non nocere“ (d'abord,
ne pas nuire !) est plus que jamais applicable à ces singulières créatures. En effet, avant même
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de soigner, il importe de connaître les mœurs et l'élevage de la bête en bonne santé, sous peine
d'aggraver la situation. Dans le même ordre d'idée, le but de cette première partie est de
présenter les Chéloniens dans leur contexte phylogénétique et d'exposer leur anatomie pour
mieux comprendre leur physiologie. Parce qu'on ne soigne bien que ce que l'on connaît…
I. UN PEU D’HISTOIRE, OU LA PREHISTOIRE DES CHELONIENS
L'objectif de ce survol historique, adapté de l’Encyclopédie de la Préhistoire de Z. V.
ŠPINAR (1972), est de rappeler l'incroyable et fascinante épopée de la vie sur Terre, à travers
toute l'évolution de la Tortue depuis ses origines obscures jusqu'à l'apparition des Testudinae
sous leur forme actuelle. Ce passé biologique se fond insensiblement dans l'anatomie actuelle,
puisque son empreinte conditionne aujourd'hui la mise en application des techniques
modernes de diagnostic clinique par imagerie médicale.
A. ERE PRECAMBRIENNE
(4 600-570 millions d'années)
Elle s'étend des origines de la croûte terrestre à la formation des premières roches
recelant des fossiles. Aux temps précambriens, les tous premiers animaux n’avaient qu’un
corps très simplement organisé, puisque même les Arthropodes marins ne possédaient pas de
véritable squelette. Leur apparition marque d'ailleurs la fin de cette ère géologique.
De cette tranche de plus de 3 milliards d'années qui représente les 4/5èmes, voire les 9/10èmes de
tout le temps géologique, nous retiendrons la naissance de la vie sur notre planète, sous la
forme de bacilles de quelques 3 200 millions d'années. Mais au début du Paléozoïque la faune
est déjà si diverse que les représentants de presque tous les grands groupes d'Invertébrés y
sont représentés. Or ce haut degré de différenciation dès la période Cambrienne implique une
longue histoire préliminaire, bien que les matériaux de cette période Précambrienne soient si
rares que beaucoup de détails nous en demeurent inconnus (lire à ce propos “La vie est belle”
de SJ. Gould).
B. ERE PALEOZOÏQUE (“vie ancienne”) ou PERIODE PRIMAIRE
(570-225 millions d'années)
Les Tortues constituent un groupe très ancien : au bout d'une longue évolution
entamée dès le Cambrien, il y a 570 millions d'années, que nous lui connaissons, il aboutit à la
forme cuirassée dans la seconde moitié du Permien, dernière période de l'ère Paléozoïque.
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1. Cambrien (570-500 millions d'années)
Le terme vient du latin Cambria, qui désignait, chez les Romains, le Pays de Galles.
C'est là que furent étudiés les premiers rocs contenant des fossiles de cette époque. Il est
probable que la concentration de l’oxygène atmosphérique s’y est accrue au point de
permettre l’apparition d’organismes supérieurs. En effet, la surabondance de cette source
d'énergie gazeuse, indispensable aux différents processus métaboliques et en particulier aux
réactions d'oxydoréduction, ainsi que la protection assurée par la couche d'ozone, qui atténuait
davantage les effets néfastes des radiations ultraviolettes, autorisèrent une adaptation
relativement rapide (quelques dizaines de millions d’années!) aux changements de
l'environnement. Les êtres vivants formèrent alors différents types de coquilles, carapaces et
squelettes durs. Quoique très diversifiés, ils vivaient tous encore dans la mer, car les
conditions n’étaient pas encore favorables à l’apparition d’animaux capables de respirer
l’oxygène atmosphérique.
Leurs successeurs héritèrent donc d’un exosquelette dur, protégeant et soutenant les parties
vulnérables de leur anatomie. Ils se dotèrent alors de corps plus gros et plus complexes, tout
en s’assurant une meilleure protection contre leurs ennemis.
2. Ordovicien (500-445 millions d'années)
Le nom de cette seconde étape est celui d'une tribu galloise du temps de la conquête
romaine, les Ordovici, sur l'ancien territoire de laquelle les roches de l'époque ont été
reconnues pour la première fois. C'est dans les sédiments de cette période que les premiers
débris de Vertébrés sont mis au jour. Il s'agit en particulier des fragments de cuirasse des
premiers Vertébrés, les Ostracodermes (“peau-coquille”), qui ressemblaient à des poissons
sans mâchoire, protégés par de petits boucliers cuirassés. Ces protections externes se
renforcèrent lorsqu'apparurent les premiers Poissons à mâchoires, les Placodermes (“peau-
cuirasse”). Certains étaient pourvus d’une épaisse couche de plaques osseuses, et leur taille
augmenta bientôt jusqu'à atteindre une douzaine de mètres (Dessin 1).
3. Silurien (445-395 millions d'années)
Cette dénomination fut attribuée dans le Pays de Galles, en souvenir d'une ancienne
tribu britannique appelée Silures par les Romains. Au Silurien se développèrent divers
groupes de Poissons véritables, dotés d’un squelette cartilagineux puis osseux, et en
particulier les Crossoptérygiens (poissons “à nageoires frangées”), à l'origine des ancêtres des
Vertébrés devant vivre sur la terre ferme. Ils possédaient d’étranges nageoires, analogues à
des brosses fixées à des “membres” trapus, et colonisèrent d'abord les eaux douces, une étape
majeure de l'évolution.
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