La fibromyalgie : quelles causes ? – Fibromyalgia: which causes?

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La fibromyalgie : quelles causes ?
Fibromyalgia: which causes?
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Mots-clés : Fibromyalgie – Douleur chronique – Maladie bio-psycho-sociale.
Keywords: Fibromyalgia – Chronical pain – Bio-psycho-social disease.
“Nihil est sine ratione.”
E
(Rien n’est sans raison.)
Leibniz
n 1980, les médecins de SOS Médecins Paris étaient appelés plusieurs
fois par nuit pour des crises de tétanie. En 2007, sans que cela atteigne
la fréquence des appels pour cause de spasmophilie, ils sont demandés
pour des crises de douleur nocturne chez les patients atteints de fibromyalgie.
Ce parallèle a pour but d’éclairer sociologiquement cette seconde maladie,
en espérant que nous ne rencontrerons pas le même triple échec que pour la
première, c’est-à-dire l’absence d’explication concernant son expansion puis
sa disparition, la non-compréhension de son mécanisme, et, enfin, l’absence
de traitement. Mais soyons positifs et observons le remarquable challenge que
constitue pour la médecine la prise en charge de la fibromyalgie. Ce challenge,
c’est l’émergence d’un mal qui nous contraint à nous ouvrir simultanément à
une approche biologique, psychologique et sociologique.
En effet, le modèle bio-psycho-social s’impose pour chercher toutes les pistes
de travail possibles, sans en oublier aucune, et surtout en respectant le point
de vue de tous les spécialistes concernés par la fibromyalgie.
La clairvoyance par la pluridisciplinarité
Le premier axiome de ce modèle est la pluricausalité. Il n’est pas facile de l’affronter en clinique et de l’expliquer au patient. Très probablement, face à la
fibromyalgie, le rhumatologue a raison de parler de désadaptation neuromusculaire à l’effort, le psychiatre de trouble de la communication interpersonnelle
lié à un manque de reconnaissance lors de la préadolescence, le sociologue
médical du bilan négatif de l’identité représentationnelle sociale. Comment,
dès lors, face au patient, utiliser de manière compétente tous ces outils pour
une synthèse opérante ?
Un premier conseil s’impose : ne pas se crisper sur une approche, et savoir
s’enrichir du regard de l’autre spécialiste, afin de s’approprier des compétences
nouvelles, qui aideront à la prise en charge de nouveaux patients atteints de
fibromyalgie.
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* Président du Collège national des médecins de la douleur, responsable du Centre d’évaluation
et de traitement de la douleur du CHRU de Montpellier.
Adhérent au SNPM
Revue indexée dans la base PASCAL
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Éditorial
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Le deuxième impératif est de considérer la pondération
variable de ces trois paramètres de causalité, le biologique,
le psychologique et le sociologique, imbriqués de façon unique
chez chaque patient fibromyalgique. Cette pondération originale s’entend aussi dans la construction chronologique des
événements bio-psycho-sociaux de la vie du patient.
Plusieurs étiologies différentes peuvent aboutir au même
symptôme fibromyalgique.
Mais analysons plus finement chacun de ces aspects, le social,
le biologique et l’existentiel.
Le social
Chaque génération a ses challenges : dans l’après-guerre, ce
fut la mutation de la ruralité vers l’urbanité (les plus fragiles
exprimant ce difficile combat par l’extraversion spasmophilique) ; depuis 1975, le défi réside dans le passage du local au
mondial (les moins armés faisant dysfonctionner le système
social et médical par l’exclusion fibromyalgique).
Les contraintes sociales de la mondialisation ont assigné
aux femmes un nouveau rôle : celui de travailleuse, en
plus de leurs fonctions d’épouse, de mère et d’icône de la
féminité. Ce challenge est, pour bon nombre d’entre elles,
démesuré, d’où la défaillance qui apparaît chez certaines,
déstabilisées par la lutte vers l’accomplissement de ces
quatre fonctions.
Inaccessible modèle de réussite
La plainte fibromyalgique serait-elle une avancée sur les
35 heures ?
Le modèle imposé aux femmes et parfois aux hommes
constitue un véritable “burn-out social”. Thomas Philippon (1)
a bien décrit ce phénomène qui fait que les rapports modernes
au travail s’inscrivent à travers le “management du petit
chef”, dans une pression concurrentielle injuste et parfois
humiliante. Le symptôme fibromyalgique est alors l’alarme et
le témoin que la société met en place pour signaler l’excès de
dogmes tels que le rendement toujours croissant et mondialisé. Quand la vie n’a plus de goût, la maladie en crée un
même s’il est amer.
Une thèse (2) que j’ai codirigée en sociologie comparait
30 patients français et 30 patients slovaques atteints de fibromyalgie. Pour trouver ce type de patients en Slovaquie, pays
qui a 20 ans de décalage par rapport à nous si l’on se fonde
sur des critères occidentaux, il a fallu interroger les médecins
de famille, en sachant que si ces derniers en connaissent, de
tels patients ne consultent jamais pour ce motif de douleur
ou de fatigue, tant l’autocensure interdit, surtout aux femmes,
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de telles plaintes. Même si toutes les civilisations semblent
connaître la fibromyalgie, son explosion médico-sociale est
le reflet d’une “modernité”. Ce rôle social de la maladie est
amplifié et explique la place que les associations de fibromyalgiques ont prise. La représentation de la médecine est
technique mais déshumanisée. Mettre celle-ci en échec permet
au patient de demander une présence médicale certes inefficace mais redevenue de ce fait terriblement humaine. Parfois
même, l’impuissance des moyens scientifiques est telle que la
médecine est mise hors jeu, au profit de la “patamédecine”
chère à M.F. Kahn. L’esprit de lucre de certains complète le
tableau, et les fibromyalgiques abandonnés par la médecine
sont alors mûrs pour la BBM (blind-based medicine), au
détriment de la médecine fondée sur les preuves, ou EBM
(evidence-based medicine).
I Le signe comme maladie
Le discours “algophile” ambiant se substitue à l’impéritie du
discours sur les mécanismes et les traitements (les voitures
avaient auparavant des pannes mécaniques, puis elles ont
eu des pannes électriques ; aujourd’hui, celles-ci sont électroniques). Face aux grandes maladies, le discours est connu
et n’étonne plus dans une société de médiatisation de la
souffrance, mais faire de la souffrance seule un discours, c’est
revenir à l’essence même de la maladie. Pour paraphraser
Jean de La Fontaine, la douleur est moins criante que la souffrance, qui l’est moins que la plainte, elle-même moins forte
que la demande.
La fibromyalgie se caractérise au début par la mise en échec
des laboratoires, mais elle s’épanouit en devenant une maladie
des laboratoires. Ces laboratoires furent accusés de désintérêt
pour la fibromyalgie, puis de cacher les découvertes, enfin de
jouer le rôle d’amplificateur socio-économique de la plainte
fibromyalgique.
I Injustice
L’injustice sociale est constante (non-reconnaissance de la
maladie par la Sécurité sociale, par la médecine, etc.). Le
sentiment d’abandon après l’échec de tous les traitements,
et de toutes les explorations, qui se sont révélées normales, se
double du sentiment d’exaspération suscité chez les médecins
et perçu par le patient. La recherche sur Internet est la seule
issue avec l’inscription à une association de patients (essai de
reconstruction identitaire sociale). Comprendre ce rôle des
associations, c’est mieux gérer les éventuels excès.
L’injustice vécue par le patient fibromyalgique est sociologique.
Elle s’inscrit aussi dans le passé du sujet et dans son avenir
(pas d’espoir de traitement, pas de juste pension, donc la
solitude, voire la déchéance).
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Le biologique
La fibromyalgie est une maladie ubiquitaire.
Rien de simple dans cette souffrance : tout est perturbé,
toutes les disciplines sont touchées, de l’ophtalmologie à la
gastroentérologie, de la rhumatologie à la psychiatrie. Comme
le réglage des grands automatismes est défaillant, c‘est une
véritable “cyber-maladie”.
Les algologues ont récupéré ce discours : défaut du système de
contrôle de la douleur, donc allodynie généralisée. La cause
de cette défaillance du contrôle inhibiteur diffus de la nociception reste, contrairement au défaut du système de défense
immunitaire, sans interprétation psycho-sociale claire (2).
Ici, prenons garde à l’effet “trou noir”, qui happe tous les
autres diagnostics ! La fibromyalgie englobe et fait trop facilement disparaître ou sous-évaluer les autres diagnostics et
composantes tels la dépression, la conversion, les avantages
secondaires intrapsychiques ou interpersonnels.
À l’inverse, la fibromyalgie peut cacher une classique maladie
rhumatologique exclusive ou être une composante de celle-ci.
Corriger ou compléter le diagnostic est alors souvent coûteux
en explorations et difficile à expliquer au patient, qui le vit
comme une injustice tant la représentation de cette affection
est forte et profondément gravée dans les circuits médiatiques.
La maladie s’imprime tel un circuit neuronal, dans lequel le
discours sur la maladie est lui-même matérialisé en image
d’IRM fonctionnelle (en tout cas, l’imagerie fonctionnelle
cérébrale est maintenant quotidiennement reproduite dans
la presse magazine).
Le psychologique
L’évaluation psychiatrique n’est pas simple. Il y a, comme dans
les autres maladies douloureuses chroniques “classiques”, trois
grands tableaux de personnalité d’après le multi-dimensional
pain inventory (MPI) [3].
On peut être authentiquement fibromyalgique et avoir une
personnalité dépressive, conversive ou proche de l’état limite.
Donc pas d’avancée nouvelle par rapport au social et au
biologique. Pourtant, les chercheurs des sciences fondamentales affinent leurs protocoles de recherche sur l’animal en
étudiant les outils biologiques ou d’imagerie à la lumière de
protocoles expérimentaux mimant les scénarios de la vie des
hommes. Tel animal stressé artificiellement en présence ou
en l’absence d’un congénère de sa fratrie sera ou non allodynique (abaissement des seuils de la douleur, comme cela
est observé chez le patient fibromyalgique).
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Éditorial
É ditorial
L’interrogatoire historiographique précis montre la grande
fréquence du sentiment d’injustice vécu dès l’enfance, vis-à-vis
d’un membre de la fratrie, pour la part d’amour reçue du
père ou de la mère, ressentie comme manifestement insuffisante par rapport à celle reçue par le frère ou la sœur. Un
questionnaire complété par 100 fibromyalgiques appartenant
à une association de patients relevait ce scénario, entre l’âge
de 7 ans et 14 ans, sans jalousie à l’égard du membre de la
fratrie favorisé et avec en plus une acceptation résignée de
cet état de fait. Cela reste à confirmer par votre expérience
clinique (4).
Les pathologies de défaillance du contrôle de la douleur,
comme la fibromyalgie, seraient plus subtilement perturbées
par des ambiances existentielles particulières que par les
grands cataclysmes (deuil, divorce, violences, etc.). Ici, l’hypothèse pathogénique proposée pourrait être qu’une première
expérience refoulée d’injustice (au moment où l’enfant devient
un être social, entre 7 et 14 ans) reste quiescente pendant
20 ans jusqu’à l’apparition d’une nouvelle situation sociale
injuste mimant toutes les composantes émotionnelles de la
première “vaccination”, pour être amplifiée par cette frustration d’adulte au point de parasiter les systèmes de contrôle
descendants, notamment ceux de la douleur.
Belle logique, qui expliquerait aussi le sentiment de n’être
jamais compris, reconnu, ni par la société, ni par les médecins, ni par ses proches. Incompréhension accentuée par la
distorsion entre la gravité de la plainte et la normalité de
l’habitus. Même si vous n’adhérez pas à cette hypothèse,
recherchez ce schéma chez vos patients, car soit vous serez
étonné de sa pertinence et déclencherez une étude multicentrique, soit vous serez surpris de la facilité avec laquelle
se déroule la consultation de ce patient fibromyalgique qui,
pour la première fois depuis bien longtemps, aura lu dans
vos yeux un intérêt aiguisé pour son cas. Puissent les patients
fibromyalgiques stimuler notre créativité médicale et l’empathie dont ils ont tant besoin, car, comme dit Roland Barthes,
“bien nommer, c’est soulager”. ■
Références bibliographiques
1. Philippon T. Le capitalisme d’héritiers : la crise française du travail. Paris :
Seuil, 2007, 110 p.
2. Giniès P. Atlas de la douleur. Paris : Prime Time éditions, 1999, 314 p.
3. Turk DC. Directions in perspective chronic pain management based on diagnostic characteristics of the patient. APS Bulletin 1998;8(5):5-11.
4. Giniès P. La fibromyalgie d’une baronne hongroise. Douleurs 2005;6(6):283-4.
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