Éditorial
Éditorial
La Lettre du Rhumatologue - n° 339 - février 2008
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LE BIOLOGIQUE
La fibromyalgie est une maladie ubiquitaire.
Rien de simple dans cette souffrance : tout est perturbé,
toutes les disciplines sont touchées, de l’ophtalmologie à la
gastroentérologie, de la rhumatologie à la psychiatrie. Comme
le réglage des grands automatismes est défaillant, c‘est une
véritable “cyber-maladie”.
Les algologues ont récupéré ce discours : défaut du système de
contrôle de la douleur, donc allodynie généralisée. La cause
de cette défaillance du contrôle inhibiteur diffus de la noci-
ception reste, contrairement au défaut du système de défense
immunitaire, sans interprétation psycho-sociale claire (2).
Ici, prenons garde à l’effet “trou noir”, qui happe tous les
autres diagnostics ! La fibromyalgie englobe et fait trop faci-
lement disparaître ou sous-évaluer les autres diagnostics et
composantes tels la dépression, la conversion, les avantages
secondaires intrapsychiques ou interpersonnels.
À l’inverse, la fibromyalgie peut cacher une classique maladie
rhumatologique exclusive ou être une composante de celle-ci.
Corriger ou compléter le diagnostic est alors souvent coûteux
en explorations et difficile à expliquer au patient, qui le vit
comme une injustice tant la représentation de cette affection
est forte et profondément gravée dans les circuits médiatiques.
La maladie s’imprime tel un circuit neuronal, dans lequel le
discours sur la maladie est lui-même matérialisé en image
d’IRM fonctionnelle (en tout cas, l’imagerie fonctionnelle
cérébrale est maintenant quotidiennement reproduite dans
la presse magazine).
LE PSYCHOLOGIQUE
L’évaluation psychiatrique n’est pas simple. Il y a, comme dans
les autres maladies douloureuses chroniques “classiques”, trois
grands tableaux de personnalité d’après le multi-dimensional
pain inventory (MPI) [3].
On peut être authentiquement fibromyalgique et avoir une
personnalité dépressive, conversive ou proche de l’état limite.
Donc pas d’avancée nouvelle par rapport au social et au
biologique. Pourtant, les chercheurs des sciences fondamen-
tales affinent leurs protocoles de recherche sur l’animal en
étudiant les outils biologiques ou d’imagerie à la lumière de
protocoles expérimentaux mimant les scénarios de la vie des
hommes. Tel animal stressé artificiellement en présence ou
en l’absence d’un congénère de sa fratrie sera ou non allo-
dynique (abaissement des seuils de la douleur, comme cela
est observé chez le patient fibromyalgique).
L’interrogatoire historiographique précis montre la grande
fréquence du sentiment d’injustice vécu dès l’enfance, vis-à-vis
d’un membre de la fratrie, pour la part d’amour reçue du
père ou de la mère, ressentie comme manifestement insuf-
fisante par rapport à celle reçue par le frère ou la sœur. Un
questionnaire complété par 100 fibromyalgiques appartenant
à une association de patients relevait ce scénario, entre l’âge
de 7 ans et 14 ans, sans jalousie à l’égard du membre de la
fratrie favorisé et avec en plus une acceptation résignée de
cet état de fait. Cela reste à confirmer par votre expérience
clinique (4).
Les pathologies de défaillance du contrôle de la douleur,
comme la fibromyalgie, seraient plus subtilement perturbées
par des ambiances existentielles particulières que par les
grands cataclysmes (deuil, divorce, violences, etc.). Ici, l’hypo-
thèse pathogénique proposée pourrait être qu’une première
expérience refoulée d’injustice (au moment où l’enfant devient
un être social, entre 7 et 14 ans) reste quiescente pendant
20 ans jusqu’à l’apparition d’une nouvelle situation sociale
injuste mimant toutes les composantes émotionnelles de la
première “vaccination”, pour être amplifiée par cette frustra-
tion d’adulte au point de parasiter les systèmes de contrôle
descendants, notamment ceux de la douleur.
Belle logique, qui expliquerait aussi le sentiment de n’être
jamais compris, reconnu, ni par la société, ni par les méde-
cins, ni par ses proches. Incompréhension accentuée par la
distorsion entre la gravité de la plainte et la normalité de
l’habitus. Même si vous n’adhérez pas à cette hypothèse,
recherchez ce schéma chez vos patients, car soit vous serez
étonné de sa pertinence et déclencherez une étude multi-
centrique, soit vous serez surpris de la facilité avec laquelle
se déroule la consultation de ce patient fibromyalgique qui,
pour la première fois depuis bien longtemps, aura lu dans
vos yeux un intérêt aiguisé pour son cas. Puissent les patients
fibromyalgiques stimuler notre créativité médicale et l’empa-
thie dont ils ont tant besoin, car, comme dit Roland Barthes,
“bien nommer, c’est soulager”. ■
RéféRences bibliogRaphiques
1. Philippon T. Le capitalisme d’héritiers : la crise française du travail. Paris :
Seuil, 2007, 110 p.
2. Giniès P. Atlas de la douleur. Paris : Prime Time éditions, 1999, 314 p.
3. Turk DC. Directions in perspective chronic pain management based on dia-
gnostic characteristics of the patient. APS Bulletin 1998;8(5):5-11.
4. Giniès P. La fibromyalgie d’une baronne hongroise. Douleurs 2005;6(6):283-4.