Images et représentations de la folie

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Images et représentations de la folie:
De l’autre coté du miroir de la normalité.
Stéphane MALYSSE 1
« C´est lorsque les normaux et les stigmatisés viennent à se trouver
matériellement en présence les uns des autres, et surtout s´ils s´efforcent
de soutenir conjointement une conversation, qu´a lieu une des scènes
primitives de la sociologie, car c´est bien souvent à ce moment-là que les
deux parties se voient contraintes d´affronter directement les causes et les
effets du stigmate. »
Erving Goffman, Stigmate.
Voir ailleurs (Salvador de Bahia, Brésil) et voir autrement (à travers l’objectif d’une
caméra photographique et vidéographique) et découvrir, presque la même chose, voire ce
que l’on attendait, au delà de l’exotisme, en cherchant à y voir et rencontrer les folies
ordinaires, quotidiennes et pathologiques d’un groupe de femmes, internées dans un hôpital
public de santé mentale, un hôpital « psychanalytique ». Comment voir la folie des autres ?
Comment la comprendre à partir des images que l’on s’en fait et qu’elle diffuse
irrémédiablement dans le champs des interactions sociales ? Comment l’expérimenter
anthropologiquement entre construction et révélation ? Cet article propose une réflexion en
1
Docteur de l’E.H.E.S.S en Anthropologie et Chercheur/ Professeur de l’Université Fédérale de Bahia, Salvador, Brésil.
1
images autour d’une expérience d’anthropologie visuelle du corps appliquée au vaste thème
de la folie féminine2.
En revoyant les images de la folies, rendues publiques par des psychiatres
« visualistes » comme les docteurs Charcot, Luys, Bourneville et Régnard, Londes et
Duchenne de Boulogne, puis en cherchant à élucider les relations entre ces images et les
manifestations de la folie, j’ai suivit deux parcours de terrain : le premier cherche à penser
les relations entre les « images du corps »3 et la folie, tandis que le second s’appuie sur mes
propres expériences de terrain anthropologique, effectuées au sein de l’hôpital Juliano
Moreira à Salvador4. A partir d’une méthodologie appliquée à mes terrains de recherche
antérieurs ( Hygiène corporelle parisienne5 et Culte du corps à Rio de Janeiro6), définie
comme une anthropologie visuelle du corps, j’ai réalisé une recherche de terrain d’une
durée de huit mois dans un Hôpital de Salvador, en focalisant mon regard sur l’aspect
audiovisuel du monde social et matériel d’un groupe d’internées et en cherchant à
comprendre la façon dont cet univers était vu et vécu subjectivement par ces femmes.
En passant de l’autre coté de la normalité en produisant des images et des
enregistrements sonores comme données de recherches, j’ai essayé d’ouvrir un espace de
réflexion interdisciplinaire (Psychiatrie, Psychologie, Psychanalyse, Anthropologie visuelle
et sonore, Anthropologie du corps, Herméneutique...) et réflexif (en tenant compte de mon
contre-transfert et de mes à priori) afin de mettre en évidence non seulement la prolifération
des discours et des représentations que la folie suscite mais également la polysémie de la
folie en soi. Pour renouveler le discours sur la folie, une des possibilité évoquée par le
directeur de l’hôpital Juliano Moreira, consiste à se diriger vers le patient sans aucune
2
Pour des raisons de stratégie de terrain anthropologique et parce qu’il est facile de voir que la folie « version masculine »
est bien différente, dans ses manifestations extérieures, que celle observable dans les aires féminines d’un hôpital
psychiatrique. En outre, le caractère plus “performatique” de la folie féminine explique sans doute le fait que la
photographie psychiatrique française du XIXème siècle ( Archives photographiques de la Salpetrière...) se soit concentré
presque exclusivement et de manière symptomatique sur les études de l’hystérie féminine.
3
Le terme d’image du corps désigne de façon générique, une représentation photographique ou vidéographique du corps,
tout en gardant le sens de représentation sociale du corps mise en image.
4
L’hôpital Juliano Moreira accueille actuellement 168 patients, séparés par sexe en deux espaces : 102 femmes et 66
hommes. L’ hôpital, dirigé par le psychanalyste lacanien Marcello Veras, réalise plus de 3000 consultations par mois. En
effet, depuis un an, l’hôpital fonctionne de manière ouverte, et favorise la sortie des patients qui rentrent chez eux
rapidement (internement d’un mois en moyenne) et qui ne reviennent à l’hôpital que pour des entretiens et pour retirer
leurs médicaments.
5
D.E.S.S d’Ethnométodologie, Sales d’eau: les mises en scènes de l’hygiène corporelle parisienne,1996.
2
connaissance préalable et se soumettre complètement à la narration des délires et des
performances en jeux dans cet espace clos.
Les psychanalystes lacaniens se posent comme des «secrétaires de la psychose » et
considèrent cette entrée dans le monde psychique de leurs patients comme une forme de
psychanalyse sur le vif. En entrant dans « le laboratoire tragique des cliniques
psychiatriques, où l´étude des démontages des gestes humains projette parfois de si vives
lumières sur les lois profondes qui en commandent la marche normale » (Jousse,1974:12),
j’ai résolument suivi les perspectives de recherche ouvertes par Erving Goffman et David
Le Breton, en cherchant à observer les échanges de regards et le langage corporel dans un
champs de visibilité mutuelle et de co-présence. En réalité, cette tentative d’observer la
folie à partir d’une anthropologie visuelle et sonore ne prétend pas expliquer la folie en soi,
mais simplement élucider et interpréter ma propre interaction avec le groupe de pacientes
que je rencontrais régulièrement, en étudiant les visions qu’une personne « normale » peut
construire de la folie en pénétrant pour la première fois dans son univers « officiel ». Mon
travail de terrain s’est concentré dans l’espace féminin et plus particulièrement dans ce que
Goffman appelle les « espaces libres » – espaces dans lesquels le patient peut, avec une
certaine amplitude, se livrer à des activités interdites en d’autres lieux. Dans ce qui
apparaît clairement comme un “non-lieux” (Augé, 1992), un grand couloir à l’air libre, mon
expérimentation a prit la forme de sessions d’enregistrement d’images et de sons, dans
lesquelles ma propre interaction-filmée occupait le rôle central, vu « qu’il faut sans cesse
agir et justifier l’action, sous le regard d’autrui et que l’hôpital est un endroit d´observations
intenses et croisées.» (Peneff, 1992) A partir de cette expérience de visibilité mutuelle et
outillée, je me suis demandé comment je voyais la folie en interaction avec ces patientes, en
entrant, sans blouse blanche, dans leurs délires et performances et finalement j’ai cherché à
voir comment je pouvais distinguer le normal du « pathologique » à travers les images et
les sons que j’avais entre les mains et surtout à l´esprit ?
6
Doctorat de l’E.H.E.S.S, Corps à corps: regards dans les coulisses de la corpolatrie carioca, 1999.
3
1.
Images de la psychiatrie au XIXème Siècle:
Du regard clinique au regard anthropologique.
“La visibilité est un piège.”
Michel Foucault
L’anthropologie et, avant elle, l’ethnographie, a toujours été fascinée par l’apparence
corporelle de l’Autre. Jusqu’en 1950, le corps était considéré comme le meilleur moyen de
comprendre les différences culturelles, une véritable clé pour étudier scientifiquement les
différences ethniques, esthétiques et éthique qui se reflétaient sur sa surface. C’est à partir
de cette vision du corps comme preuve visible, que le racisme scientifique se développe,
donnant
naissance
à
deux
nouvelles
disciplines :
l’anthropologie
physique
et
l’anthropométrie. Sans aucun doute, ces nouveaux « savoirs » sur le corps, en créant de
toute pièce la notion de type, ont influencé profondément l’utilisation de la photographie en
psychiatrie. Dès lors que le corps était vu comme une preuve, une évidence des différences
humaines, les scientifiques pensaient le corps comme « symptôme » et imaginaient, dans
cette logique, que les différences psychologiques et culturelles s’exprimaient exclusivement
à travers son apparence, ses signes visibles. En pensant le corps comme un simple
indicateur visuel de l’émotion, comme symptôme de l’âme, les psychiatres du final du
XIXème siècle, fascinés par la récente invention de la photographie, crûrent fermement en
son caractère « scientifique » et tombèrent tous dans l’illusion épistémologique et
méthodologique d’une photographie médicale. A partir du final du XIXème siècle, le
regard porté sur la maladie et sur le malade changent irrémédiablement, tout comme
changent les représentations du corps et les visions de ce dernier. Les psychiatres de cette
époque considère le corps comme un écran sur lequel se projettent les conflits intérieurs et
espèrent rendre visibles les traits spécifiques et la physionomie symptomatique du fou.
Dans les premières collaborations entre la photographie et la psychiatrie, « la photographie
ne servait pas seulement à identifier les patients mais elle aidait à reconnaître les
symptômes, à élaborer les typologies noséographique des maladies mentales et finalement
4
pouvait servir de substrat thérapeutique.”(Samain,1992). En réalité, le regard clinique qui
apparaît à la fin du XIXème, cherche à comprendre les maladies mentales en les rendant
visibles au niveaux de l´apparence corporelle. En passant de la maladie mentale
« invisible » au stigmate corporel photographié, les psychiatres semblent ne pas avoir pris
conscience, aveuglés par le contexte général de visualisation des maladies (catalogues des
maladies de peau et des malformations physiques, rayon X...) et par l´illusion réaliste de la
photographie, que le corps signifiant, porteur de messages passibles d´interprétations de la
part du médecin et du patient dépend également des représentations sociales du corps et de
la maladie. Ainsi, la photographie était considérée comme une aide précieuse pour décrire,
nommer et classer les différentes maladies « mentales », vu que le corps livrait finalement
ses profondeurs au scalpel de la photographie. La psychiatrie n’a pas échappé aux pièges de
la visibilité dont parle Foucault, et, dans l’immense oeuvre photographique de Charcot, le
rôle joué par l’image dans le déchiffrement des troubles mentaux montre à quel point, tout
le savoir sur la folie reste intimement lié aux images et autres représentations sociales de la
folie. De Charcot, nous passons à Freud, de Freud à Lacan et il semble finalement que, tout
comme le racisme scientifique, le rôle de l’image dans la compréhension de la folie soit
plus profond qu’il n’y parait à première vue et qu’il continue, de nos jours, à orienter
profondément les diagnostics en psychiatrie clinique tout comme en psychanalyse. A partir
de la relation ambiguë entre l’apparence et le nature des maladies dites « mentales », ces
représentations médicales de la folie invitent à questionner la nature même de l’image :
« Qu´est-ce aujourd´hui que l´image : un objet bien réel que l´on manipule ? Une
construction spirituelle que l´on accole aux choses et aux hommes ? Un élément important
du dossier médical ? » (Escande J-P, 1995) Peut-on encore croire aux pouvoirs de
révélation de l’image ?
A les regarder de plus près, ces images de la folie apparaissent toutes comme des
figures de la douleur, car « en image », la souffrance de l’autre n’est plus un simple
discours mais apparaît de façon hyperbolique. Ces images montrent également que les
médecins-psychiatres du XIXème siècle n’imaginaient pas à quel point leur propre
présence influençait les scènes de folie qu’ils enregistraient : le processus complexe de
création d’images de la folie ne confronte pas directement le médecin-photographe à son
5
patient, mais plutôt l’artiste-photographe et le patient, ce qui est bien différent. Produire une
image de l’autre, c’est également voir, écouter et participer à son histoire personnelle, et
dans ce sens, les images ne peuvent pas servir à décrire, définir et identifier les symptômes
de la folie, mais doivent accompagner de façon réflexive et révélatrice le discours et les
incertitudes du chercheur : son « appréhension » subjective de la folie. L’image en soi, tout
comme le corps, cette autre « image », est une fiction culturelle, une réalité révélée, qui
obéit plus à la logique du point de vue qu’à une logique de vérité : ni l’image ni le corps ne
peuvent servir de preuve scientifique dans une recherche anthropologique. Ce que les
images du corps peuvent produire, se sont des rencontres de sens, des croisements de
regards, qui permettent parfois de déjouer les pièges du réel et d’étudier les iconologies en
oeuvre dans les différentes interprétations de la folie. Comme le rappelle David Mac
Dougall, « si l’anthropologie s’est toujours intéressée au visual, son problème a toujours été
de savoir comment le traiter. » (1997), et ce problème heuristique apparaît comme
intimement lié à ceux qui surgissent avec les notions maussiennes de « personne » et de
« technique du corps ». C’est pourquoi, en cherchant à ne pas me perdre dans les
labyrinthes d’une anthropologie « mentale », j’ai considéré la folie comme un « fait social
total » (Mauss, 1950) qui doit être abordé tant comme un indice de chute sociale que
comme le mystère d’un des plus puissants symboles négatifs du social. Après avoir
contextualisé ma pratique de terrain, il me semble important d’aborder maintenant les
« techniques du corps » dans le contexte a-normal, extra-ordinaire et extra-quotidien de la
folie féminine.
2.
La folie sur l’écran des corps:
Interactions et révélations.
« L´idiot est celui qui ne joue avec aucune forme, le
perturbé est celui qui en joue trop. Le premier reste bouche
bée, le second demeure intarissable. L´un s´entête à ne rien
exprimer, l´autre à tout dire... »
Alain Gauthier, Du visible au visuel.
6
Dans ma pratique de l’anthropologie, les corps et leurs images me servent de
catalyseurs de sens, de fils directeurs de mes observations et analyses. D’une certaine
manière, l’anthropologie visuelle et sonore permet de stimuler un nouveau regard sur le
corps et je commence toujours pas constituer un vaste corpus d’images (produites ou
empruntées) avant d’aborder les détails significatifs des différents usages sociaux du corps
à travers l’analyse de leurs représentations. Dans cette interprétation des images, mon
regard sur le corps est profondément orienté par les travaux de David Le Breton, qui invite
à penser le signifiant corps comme une « fiction, mais une fiction culturellement opérante
et vivante » (Le Breton, 1992 :36) et à le considérer comme un « observatoire privilégié des
imaginaires sociaux et des pratiques qu´ils suscitent. » (Le Breton, 1992:41). Dans cette
expérimentation anthropologique, la notion de « corps » apparaît comme le point de
rencontre et de tension signifiante entre les Sciences Humaines et les Sciences de la Santé,
c’est pourquoi, en pensant le corps comme direction de recherche et non comme une
réalité en soi, j’ai tenté de l’utiliser comme une interface entre l’observation et
l’interprétation, entre le concret et l’abstrait, entre le visible et l’invisible. Dans la lignée
des réflexions de Merleau-Ponty, j’ai également considéré mon propre corps comme « mon
point de vue sur le monde », comme « la sentinelle discrète » de mes observations sur le
terrain. A partir de cet entrelacement de visions, j’ai rapidement remarqué qu’il existe de
multiples façons de penser et de voir le corps du « malade mental » et que dans cette
recherche, les notions de personne et de corps devenaient presque synonymes étant donné
que la maladie mentale est une pathologie incarnée du lien social. David le Breton, note que
« la psychanalyse vient briser l’un des verrous qui maintient le corps sous l´égide de la
pensée organiciste. Freud montre la malléabilité du corps, le jeu subtil de l´inconscient dans
la chair de l´homme. » (1992 :17) Dès lors, comment penser les relations signifiantes qui
se tissent entre le visuel, le corporel et le culturel dans le contexte très particulier de la folie
féminine ? Comment analyser anthropologiquement les images des corps interactants,
produites au sein de l’hôpital J.M. ? En Anthropologie, les représentations en images des
corps individuels se heurtent irrémédiablement à cette double ambiguïté heuristique : que
faire d’images qui ne montrent qu’une infime partie du moi visible d’une personne
immergée dans une certaine culture et à un certain moment? En considérant le corps
7
comme une image que l’individu projette de soi-même, il convient alors de prendre
conscience de la double mise en abyme à laquelle les images du corps invitent le chercheur.
Dans le cadre de mon interaction filmée avec les patientes de l’hôpital J.M, j’ai observé
à posteriori, les mouvements du corps comme un écran révélateur de l’affectivité et de la
symbolique corporelle en jeux au cours de ces rencontres. Le Breton explique que la
symbolique corporelle varie suivant la condition culturelle, la condition sociale, l’âge, le
sexe, l’histoire personnelle et le contexte de l’interaction. Dans le cas spécifique de la
symbolique corporelle anormale, « la dissociation entre les mouvements extérieurs du corps
et le cours des idées n´indique ni que l´unité entre le corps et l´âme s´est défaite, ni que
chacune des parties ait retrouvé, dans la folie, son autonomie. Sans aucun doute, l´unité
demeure compromise dans sa rigueur et sa tonalité. » (Foucault,1973:231). Dans ce sens,
c’est toute la symbolique corporelle qui révèle l’affectivité mutuelle en jeu dans la
rencontre entre le chercheur et les patientes de l’hôpital qui est rendue visible par la
médiation du matériel audiovisuel.
Si l’on considère le corps comme un tissu social d’inscriptions symboliques, il
apparaît que, dans le cas limite de la folie, le corps cesse de répondre à la conscience
collective, habitus ou biopouvoir
ambiant, et
ne répond plus aux pouvoirs
d’autorégulation sociale de sens commun parce qu’il est soumis directement aux systèmes
de régulation de la folie offerts aux patients par l’équipe dirigeante de l’hôpital. On
remarque rapidement que la folie apparaît dans les interactions sociales comme un type de
performance a-sociale, et que les différences, perceptibles à la surface des corps, font
effectivement la démonstration d’un manque de rigueur, tenue et tonalité très
caractéristique. Le spectacle de la folie offre à la vue une totale déconstruction et
décontextualisation d’actions et de gestes, qui restent souvent aux frontières des actions et
des gestes les plus élémentaires et anodins de la vie quotidienne. Dans ses aspects sonores,
la folie est à la fois polyphonique et faite de longs monologues : chacun semble parler pour
soi mais à quelqu’un, et l’irrespect du chacun son tour élève souvent le volume sonore de
ses dialogues, qui n’en sont pas. Dans l’état de folie, la « personne » vit une relation
8
fantasmatique avec son corps, qui devient visiblement ce réel-plein d´irréel dont parle
souvent Merleau-Ponty.
Mais avant de considérer la folie comme une performance, il me semble important
d’analyser l’activité qui consiste à filmer la folie des autres7 comme une performance
anthropologique. Dans son célèbre essai sur la folie, Foucault invite le lecteur à une totale
redécouverte du visible, et je pense que c’est cette volonté de montrer ce qui reste en
grande partie invisible, retranché entre les murs des institutions psychiatriques, qui a
alimenté profondément cette recherche. En ayant envie de voir la folie, j’ai commencé à
percevoir et à penser l’image de l’autre, non pas comme l’image que je voyais devant moi,
mais comme l’image qui me regardait et m’interpellait dans ma propre normalité. Ces effets
de contagion et d’interrogation de l’image m’ont déstabilisés en me montrant à quel point le
regard du fou était capable d’inquiéter l’édifice de notre vision du monde. Je pensais
n’avoir jamais rencontré de « vrais » fous et maintenant, un peu comme l’aliéniste de
Machado de Assis, j’en repérait à tous les coins de rue. Dans l’idée de mettre en place un
regard en miroir, qui serait idéalement le contraire du regard panoptique, je cherchais à
mettre en évidence le fait que « l´altération est socialement transformée en stigmate, la
différence engendre le différent. Le miroir de l´autre n´est plus susceptible d´éclairer le sien
propre. A l´inverse, son apparence intolérable met en question un instant l´identité
humaine, la précarité inhérente à toute vie.» (Le Breton, 1992 :94)
Dans mon expérience de tournage à l’hôpital J.M., la situation d’interaction
m’interdisait de dissocier la paire voir-être vu, et la recherche est rapidement devenue une
interaction personnelle avec la folie, interaction dont je gardait traces, notes et sensations au
travers des images et des sons que cette rencontre de face à face produisait de façon
expérimentale. C’est pourquoi, mon regard s’est concentré beaucoup plus sur l’effet du
stigmate qu’autour d’une tentative d’interprétation des causes des malaises que
l’inexpertise de mon regard ne me permettait pas de comprendre fondamentalement. Sur le
terrain, la logique de négociation entre celui qui filme et les protagonistes des images est
toujours un mode négocié de voir et d’être vu : la première fois que je suis entré dans l’aire
7
L’autre sexe, l’autre culture ,l’autre état de santé... l’autre coté de la normalité.
9
féminine avec une caméra à la main, je voulais mettre en pratique ce que Jean Rouch
appelle « l´anthropologie partagée », qui
consiste à
impliquer les protagonistes à la
production des images et à la mise en place du scénario. En invitant toutes les patientes à
collaborer à la production du film, je me suis rapidement retrouvé très « embarrassé », tant
pour filmer (le champs de la caméra et le volume sonore, surchargés, ne me permettaient ni
de voir ni d’écouter, encore moins de comprendre ce qui se passait autour de moi) que dans
mon espace physique (mon corps est devenu l’objet de toutes les interactions, le support
passif de nombreux alo-contacts, et c’est la seule fois où, en me sentant agressé, j’ai résolu
de sortir sur le champs.) A partir de ce premier essai d’interaction avec la folie, j’ai pris
conscience du fait que mon travail d’observation impliquait une nouvelle gestion de mes
gestes, regards et autres comportements d’interaction sociale et que la seule chose à
laquelle je pouvais vraiment collaborer était la folie elle-même, en entrant avec empathie
dans les dialogues, les délires et les performances que ma présence stimulait, sans pouvoir
orienter ou contrôler quoi que ce soit.
“Viens que je te montre tout, en avant, suis-moi !”8 Quand je filmais9, les patientes me
suivaient, me guidaient dans leurs folies et les premières questions étaient toujours relatives
à ma différence, à mon apparence étrangère : “Qui est tu ?” “D’où viens tu ? ” “ Qu’est-ce que
tu fais ici ? ”. Dans une tentative d’explication simple du travail d’un anthropologue visuel,
j’expliquais alors que je n’était ni médecin, ni psychiatre, ni thérapeute, et que je voulais
filmer la vie quotidienne au sein de l’hôpital. “Tu es un père de saint, un prince, un ange...”
“Comme tu es beau, tu rayonnes !” : leurs réponses, indiquaient qu’elle m’observaient elles-
aussi et se faisaient de moi une image qui ne correspondait pas vraiment à la réalité,
premier glissement caractéristique d’une pathologie du lien social et surtout qui me révélait
que, pour elles, j’étais un homme avant d’être un chercheur, et que je ne pouvais pas
oublier le fait que l’observation-participante est l’exposition volontaire de son propre corps
et de sa personnalité aux imprévus et aux aléas du terrain, moments vécus dans lesquels le
sexe de l’observateur joue un rôle central.
8
Les textes en gras sont extraits de mes dialogues avec les patientes de l’hôpital J.M.
9
Il est important de préciser que je filmais seul, sans être accompagné par un médecin ou autre personnel
soignant, et que la caméra digitale que j’utilisait me permettait non seulement une grande souplesse
d’interaction ( distance intime et expression corporelle) mais libérait mon regard de l’angle du viseur .
10
3.
La folie comme performance :
Les pathologies des interactions sociales.
“La performance est ce qui brise les frontières entre les
disciplines et les langages, un regard sans compromis avec
tous les mouvements antérieurs.”
Richard Schechner
Pour Goffman, la totalité des activités d’un individu, réalisées en présence d’autres
individus et qui produisent un effet, quel qu’il soit, sur ces derniers peut être désigné
génériquement par le terme de performance, et il explique qu’ il « n´existe pas d´interaction
dans laquelle les participants ne courent pas un risque sérieux de se trouver légèrement
embarrassés, ou au contraire un léger risque de se trouver sérieusement humiliés. »
(Goffman,1973:230) En cherchant à étudier les implications corporelles de ce que l’on
nomme « maladie mentale », on découvre rapidement que l’immersion dans un état de folie
implique des expériences et des performances corporelles qui ne sont pas reconnues par la
communauté et que la folie est un fait social total, une maladie mentale, corporelle,
sociale... D’une certaine manière, il est possible de voir la folie comme un effet social du
fou sur les normaux, même si comme le remarque I. Joseph, « les symptômes mentaux, qui
n´existent pas pour eux-mêmes, n´existent pas non plus par leur étiquette. Le fou n´existe
pas seulement dans le regard des autres. » (1998:88)
“Suis-je belle ?” Lors de mes interactions avec les patientes de l’hôpital, la majeure
partie des dialogues était alimentée par les questions de présentation de soi et d’apparence
physique. « La présentation physique de soi semble valoir socialement pour une
présentation morale... La mise en scène de l´apparence livre l´acteur au regard évaluatif de
l´autre. » (Le Breton, 1992 :97) et, en ma présence, les femmes que je rencontrais
cherchaient toujours à maîtriser les impressions que je pouvais me faire de leur état actuel,
et surtout devant ce qu’elles appelaient, la “télévision pour voir ”10. A travers la mise en
pratique de nombreux rituels de présentation, elles me montraient également qu’elles
avaient pleinement conscience du fait d’être filmée et qu’elles savaient encore se préparer
avant d’entrer en scène, dans le champs de ma caméra ou dans celui de mon regard. Se
10
En dirigeant l’écran de ma caméra dans leur direction, les patientes se voyaient “comme dans un miroir”
dans le champs de la caméra.
11
peigner, se laver le visage, s’essuyer les contours de la bouche, s’habiller ou se déshabiller,
se maquiller, se mettre des bijoux... les stratégies de présentation de soi étaient nombreuses
et souvent réalisées avec le plus grand naturel devant le regard de ma caméra. L’esthétique
corporelle et la beauté apparaissent rapidement comme le principal centre d’intérêt de ces
femmes, et j’étais très surpris par la quantité d’accessoires11 dont elles disposaient pour
palier à la difficulté, réelle et matérielle, de prendre soin de soi et d’entretenir son
apparence physique au sein de l’hôpital. Cette préoccupation constante chez ces patientes
d’entretien de la « façade personnelle » démontre à quel point les relations entre maladie et
beauté sont profondes et significatives. Dans le cadre de cette expérimentation
audiovisuelle, le regard-miroir de ma caméra semblait accentuer plus encore cette recherche
d’une bonne image de soi : a partir du moment où le patient entre à l’hôpital, des
changements profonds bouleversent sa carrière morale et l’image qu’il se fait de lui même,
comme celle que son réseau social se fait de lui, se transforment irrémédiablement en
troublant ses repères de visibilité et d’introspection.
“En enlevant les vêtements de son ancien moi – ou en ayant ses vestes arrachées – la
personne peut ne plus sentir ni le besoin de s’habiller ni celui de se préparer avant
d’apparaître en public. Au contraire, elle peut apprendre, au moins pendant une certaine
période, à présenter, devant tout le monde, les arts immoraux de l’absence de pudeur.”
(Goffman,1973 :221) Les femmes qui désiraient être filmées ou photographiées, celles qui
se communiquaient régulièrement avec moi, n’étaient pas celles qui vivaient leur folie
repliées sur elles-mêmes (en passant la majeure partie du temps sous l’effet somnolant des
médicaments ou tout simplement en s’isolant des autres patientes et de la caméra...), mais
toujours les mêmes, les plus réveillées, animées et performatives, que cherchaient à se
replier sur l’interaction elle-même. Dans ce contexte, l’absence de pudeur était frappant et
les limites entre présentation de soi et provocation sexuelle s’estompaient pour laisser
place à mon embarras lié à la nudité : « face à ses acteurs, le système d´attente n´est plus de
mise, le corps se donne soudain avec une évidence incontournable, il se fait embarrassant.
Il devient difficile de négocier une définition mutuelle de l´interaction hors des repères
coutumiers. Un jeu subtil s´immisce dans la rencontre, engendrant l´angoisse ou le
malaise. » ( Le Breton, 1992 :93) Ce déraillement de la rencontre semblait être renforcé par
11
Sacs en tous genres, rouge à lèvre, bandeaux et autres foulards, peignes, brosses, boucles d’oreille, colliers...
12
le fait que je fabriquait des images et rapidement, les patientes les plus provocantes ont
compris que mon propre regard était moins important que celui de ma caméra, elles
commencèrent à délaisser mon corps observant, à respecter mes distances intimes, afin de
se concentrer sur l’acte filmique lui-même, en inventant de nombreuses stratégies pour
entrer dans le film, dans le champs de ma caméra.
“Elle m’a volé mon peigne (en pleurant)... cette femme m’a volé mon peigne jaune ...” Etant
donné l’importance que ces préoccupations avec l’apparence constituent dans la vie
quotidienne des patientes de l’hôpital, les accessoires de beauté et les lutes interindividuelles pour utiliser les moyens disponibles (accès à la salle de bain, regards dans le
miroir...) sont apparues comme l’essentiel des sujets de tension entre les patientes et l’objet
de nombreuses disputes. Dans l’aire hospitalière, le patient n’a plus accès à sa réserve
d’informations, sa façade personnelle est en friche et j’ai observé que les patientes créaient
de nombreuses stratégies de substitution afin de reconstruire leur image personnelle, leur
apparence visuelle. Les difficultés esthétiques, engendrées par le contexte d’internement,
expliquent en grande partie les agressions et autres attaques qui constituent les interactions
routinières au sein de l’aire féminine : disputes que peuvent apparaître comme des
régressions infantiles à première vue mais qui doivent être comprises comme des moyens
de substitution de la construction de l’image de soi, des lutes pour l’apparence. Les crises
et les attaques s’intensifiaient quand les pacientes voulaient se voir dans le miroir de ma
caméra et quand plusieurs d’entre-elles se disputaient mon attention. “ Cet homme n’est pas
à toi !” Mes interactions créaient indéniablement une certaine jalousie et à certains moments
ma présence devenait conflictuelle : “Pose moi des questions !” “Tire mon portrait ! ” “Filme
ma main !”. Dans ces moments de repli sur l’interaction, les alo-contatcs agressifs, les
insultes et autres vexations échappaient totalement à mon contrôle. “Satan, diable, peste,
immondice, folle, criminelle, lesbienne, droguée, pute....”. A partir de l’image qu’elle
construisaient verbalement les unes des autres, elle cherchaient à former, par contraste,
l’image qu’elles voulaient que je me fasse d’elles par opposition à celle qu’elles se faisaient
des autres « folles » : dans ce sens, le fou, c’est toujours l’autre.
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“L’interné tend à créer une histoire, une stratégie, un conte triste, un type de
lamentation et de défense qu’il raconte sans cesse à ses compagnons comme une façon
d’expliquer sa basse position actuelle.” (Goffman,1973:173 )
Dans l’hôpital J.M, les
patientes, dans de vrais délires confessionnels, me racontaient leurs histoires, leurs versions
de la réalité et répondaient avec empathie et spontanéité à la seule question que j’avais
résolu de ne pas poser directement:
- “Qu’est-ce que vous faites ici ?”
-
“Je suis ici pour travailler !”, “Je suis psychologue et je suis ici pour aider les personnes
déficientes”.“ Mon Père de Saint m’a demandé de faire un culte à Oxalá, il a lavé ma tête et il a
tout retiré...” . “ Je suis la fille des photos de la télévision, je travaille dans le porno et j’ai arrêté
parce que vous ne m’aidez pas... je suis enceinte et je veux élever mon enfant”. “ça va faire huit
jours que je suis ici, mais je ne suis pas rentré comme folle, non, je suis venue pour apporter
l’aide de Jésus Christ, c’est lui qui m’a demandé de venir ici, sinon toutes ses vieilles, ses folles
allaient sentir tellement mauvais !”. “Avec la marijuana, on devient folle!”. “Je vais sortir d’ici
aujourd’hui ! ”...
Dans la carrière morale du malade mental, le passage du statut de personne à celui de
patient, se fait sous le regard d’autrui, regards des autres patients et du corps médical
(psychanalystes, médecins, infirmières, personnel d’entretien...) C’est pourquoi, en me
racontant sans cesse les vicissitudes de leurs histoires, elles me montraient toujours à quel
point la fou est, dans son expérience ordinaire et quotidienne, la figure typique de la
« distance au rôle social » (Goffman,1973). Dans l’hôpital, les patientes, dont les
compétences sociales étaient limitées par le contexte même de la rencontre, démontraient
souvent une difficulté symptomatique à respecter les distances sociales et à ne pas envahir
complètement la distance intime de l’autre. Les violations de ce que Goffman nomme « les
territoires du moi » n’étaient pas suivies par des rituels de réparation (excuses, explication,
gestes de recul...) et donnaient à voir le dérèglement profond de ces interactions. Dans ces
situations, les mécanismes psychosociaux d’autorégulation ne fonctionnent plus et le
« pathologique » apparaît de façon hyperbolique au cœur de l’interaction même. Dans le
cas de la folie, la grammaire sociale des conduites déraille et les stratégies sociales
deviennent de véritables performances asociales : « Les symptômes mentaux sont des actes
accomplis par un individu qui proclame ouvertement devant les autres qu´il lui faut une
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idée de lui-même que son organisation sociale ne peut ni lui permettre ni influencer
beaucoup. Il s´ensuit que, si le malade persiste dans son comportement symptomatique, il
provoque nécessairement un ravage dans l´organisation et dans l´esprit des membres... Ce
ravage indique que les symptômes médicaux et mentaux sont radicalement différents par
leurs conséquences sociales et leurs caractère. C´est ce ravage que doit affronter la
philosophie du maintien du milieu. C´est ce ravage que les psychiatres ont tristement
échoué à considérer et que les sociologues ignorent quand ils traitent de la maladie mentale
comme une simple question de désignation. C´est ce ravage qu´il nous faut explorer »
(Goffman,1973:332).
Que signifie pour un anthropologue, cette collaboration avec le « ravageur » ou le
« ravagé », dont le comportement attaque la syntaxe des conduites et détruit l’accord usuel
entre la posture, le lieux et la position sociale ? Il faut d’abord se positionner soi-même,
faire « bonne impression », comme dit Goffman, mais alors, comment faire bonne
impression d’anthropologue dans ce contexte déconcertant de pathologie du lien social ?
Dès le début de cette expérience, j’ai vu que les résistances inhérentes au terrain allaient
paradoxalement constituer l’essentiel de mes observations, et dans ses résistances, il faut
inclure ma propre résistance à la dite folie... En revoyant, a posteriori les interactions que
j’avais vécu au sein de l’hôpital, j’ai remarqué que la folie peut être comprise et décrite
comme un effet de contagion : la folie est contagieuse et c’est bien pour cette raison qu’elle
est placée « hors du social ». Dans les espaces libres de l’hôpital, j’avais remarqué que les
alo-contacts et les auto-contacts étaient plus fréquents que dans un cadre « normal »12
d’interaction, les gestes à l’autre, qu’ils soient d’agression ou de compassion sortaient du
cadre de la compréhension pour se transformer en de véritables danses offertes à la
cantonade, performances sociales totales. Isolé et perdu dans cette cacophonie de gestes et
de sens, j’avais l’impression que ma présence et ma caméra stimulaient plus encore la folie,
au point que je me demandais si, au delà de la folie même, ces femmes ne faisaient pas
« les folles » devant moi, comme pour m’impressionner plus encore et me montrer que
malgré leur état, elles n’avaient pas pour autant perdu, ni le sens du drame ni celui de la
provocation sexuelle. Dans ce sens, mon intervention « en image » participait effectivement
12
Ce qui est “normal” pour Salvador (Bahia) et qui serait bien différent pour Paris par exemple.
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de la folie collective, en l’intensifiant et en la matérialisant dans le viseur de ma caméra.
Pendant les tournages, les patientes envahissaient le champs visuel de ma caméra et je me
retrouvait un peu comme dans le rôle du caméraman qui obéit passivement aux caprice des
stars. Et, si au début de cette expérience, mon corps étaient le vecteur de toutes les
interactions, rapidement, les patientes ont commencé à changer de comportement et à non
seulement m’oublier pour se concentrer sur l’acte filmique lui-même, mais également à
protéger mon corps filmant des alo-contacts de celles qui n’avaient pas encore compris ce
que je faisait ou qui venaient d’être internée à l’hôpital : « Enlèves ta main du jeune
homme ! » « Laissez-le respirer ! » « Laisses son bras » « Ne le touches pas !, il n´aime
pas ça ! » « Il ne fume pas ! » « Il n´arranges rien, il vient juste nous voir ... »
Finalement, à travers cette expérience anthropologique, la folie apparaît au regard
sensible de l’anthropologue non plus seulement par le biais des puissances de l’horreur et
de l’aversion, mais le malaise et la tension laissent rapidement la place à la sympathie et à
l’échange spontané, qui permet au chercheur de se libérer de la peur qui l’empêchait
d’accomplir son activité principale : l’observation d’une situation d’interaction sociale.
Dans ce sens, en explorant « en images » les ravages de la folie, on peut passer de la
sidération à l’observation et les images viennent rapidement construire une sorte de filtre,
un moyen de passer par l’art au travers de l’horreur, des déformations, du morbide et du
scatologique sans perdre conscience de ce qui ce cache derrière ce que l’on voit. Si l’on
essaye de penser l’image en dehors de la catégorie du « sujet » ( et la folie est bien une crise
du « sujet »), l’image devient un évènement structuré par un regard et on doit alors se
demander de quoi ses images de la folie sont-elles le symptôme. Penser l’image comme
symptôme, c’est aussi la laisser penser par et pour elle-même et la constituer en tant
qu’objet anthropologique à part entière. A la fois épreuves et preuves, les images de la folie
cherchent à toucher la sensibilité du voyeur en l’invitant à une interprétation qui ne les
réduits pas à des textes. L’image est alors comme une rencontre qui se commente d’ellemême et j’espère que ces hallucinations visuelles permettront pour un instant que
l’ambiguïté de la folie ne soit pas réduite par une mise en discours et que les représentations
de la folie par le « normal »n’aveugle plus aucun corps médical.
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