sa mort choisir

publicité
Choisir sa mort ? Éternelle question…
Ces Repères pour les citoyens et ceux qui les soignent
balisent avec précision les contours des débats sur
la fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté.
Pour aider chacun à en comprendre les enjeux de
société, Bernard Devalois propose une réflexion
éthique, un décryptage de la loi d’avril 2005,
et démonte les manipulations médiatiques de
certaines affaires retentissantes, de Vincent Humbert
à Chantal Sébire. Des cas vécus, bouleversants
d’humanité, sont analysés à la lumière du respect
des patients et de leur famille, mais aussi de ceux
qui les soignent.
Dans sa préface, Jean Leonetti souligne que les
professionnels de santé « trouveront dans cet
ouvrage aux nombreuses facettes une source très
utile pour asseoir ou conforter leurs pratiques
professionnelles et pour nourrir leurs réflexions sur
ce sujet complexe. »
Le docteur Bernard DEVALOIS, qui a été le président
de la Société Française d’Accompagnement et de Soins
Palliatifs, est anesthésiste-réanimateur de formation. Il est
actuellement responsable de l’unité des soins palliatifs de
l’hôpital de Puteaux (92).
ISBN 978-284932-022-8
13 €
PEUT-ON VRAIMENT CHOISIR SA MORT ?
PEUT-ON VRAIMENT CHOISIR SA MORT ?
Bernard Devalois
Dr Bernard Devalois
PEUT-ON VRAIMENT
?
CHOISIR
SA MORT Repères
pour les citoyens
et ceux qui les soignent
Préface
de Jean Leonetti
Dans la même collection
Superman va mourir
Journal d’une infirmière en soins palliatifs
par Pascale Boumédiane
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Jean de la Fontaine
ISBN 978-284932-022-8
© Éditions Solilang
28, rue Camille-Jullian, 87000 Limoges
www.solilang.net
Préface
Pour n’importe lequel d’entre nous, parler de la mort
et de la fin de vie requiert beaucoup d’humilité. Parce que
par formation et par culture, ils sont souvent plus attachés
à une médecine technique conquérante qu’au « prendre
soin », l’exercice n’est pas plus facile pour les professionnels
de santé. Faire le choix exclusif d’une rhétorique lyrique,
loin de la réalité et des gestes quotidiens du soin ne saurait
correspondre aux attentes des patients et de leurs proches.
S’abriter derrière un discours fondé sur la seule compétence
et l’expérience professionnelle, pas davantage.
Dans son essai à la fois brillant, synthétique et
pédagogique, intitulé Choisir sa mort ?, le docteur Bernard
Devalois, responsable de l’unité de soins palliatifs de
l’hôpital de Puteaux et président de la Société française de
soins palliatifs de 2005 à 2007, sait surmonter ces obstacles.
En ayant le ton juste et en nous faisant partager une vision
humaniste du soin, il nous invite à la réflexion, face à des
situations souvent complexes, toujours personnelles, ne
s’accommodant pas de raisonnements simplistes. Qu’il
s’agisse de l’obstination déraisonnable, du double effet, de
l’arrêt de l’alimentation ou de l’hydratation et du recours à
la sédation, il inscrit sa démarche dans le sillon des bonnes
pratiques professionnelles, et affronte les questions
médicales sans esquiver les interrogations éthiques. Il
rappelle qu’au terme d’une longue maturation, la loi du
22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de
vie a tenté de trouver une réponse sage et mesurée aux
décisions de limitation ou d’arrêt de traitement et a récusé
l’ouverture d’un droit à la mort dont on peut mesurer les
dérives dans les pays qui ont choisi cette voie.
Préface
En décryptant avec minutie les questions qui émergent
en présence d’une situation potentielle d’obstination
déraisonnable, en déclinant des analyses de cas cliniques
tirés de sa riche expérience, il plaide avec fermeté pour
l’accompagnement des malades, pour la prise en compte
de leurs souhaits à travers les directives anticipées et la
personne de confiance ainsi que pour la transparence
des décisions médicales. Maîtrisant tous les enjeux
médicaux, éthiques, sociaux, juridiques et humains
de cette problématique, il appelle à l’application des
recommandations de la Mission parlementaire d’évaluation
de la loi de 2005 qu’il suit avec une extrême vigilance et
qu’il a largement inspirés.
Nul doute que les professionnels de santé, qui
connaissent encore souvent mal ces règles, trouveront dans
cet ouvrage aux nombreuses facettes une source très utile
pour asseoir ou conforter leurs pratiques professionnelles
et pour nourrir leurs réflexions sur ce sujet complexe.
Jean LEONETTI
Député des Alpes maritimes.
Rapporteur de la Mission d’information de l’Assemblée nationale
de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la
fin de vie.
Rapporteur de la Mission d’information de l’Assemblée nationale
sur l’accompagnement de la fin de vie.
À l’homo sapiens et à l’homo galacticus,
à cette chaîne de tous mes frères humains
venant du passé ou tendant vers l’avenir,
qui nous lie dans le temps comme dans l’espace.
À tous ceux dont la sincérité
l’emporte sur la croyance en des dogmes,
À celles et ceux que j’aime
(en référence aux trois amours des Grecs :
Eros, Philia et Agapè).
Ils/Elles se reconnaîtront !
1. Prologue
Les faits ne pénètrent pas
dans le monde où vivent nos croyances,
ils n’ont pas fait naître celles-ci,
ils ne les détruisent pas ;
ils peuvent leur infliger les plus constants démentis,
sans les affaiblir.
Marcel Proust
10
1. Prologue
Prologue
La mort pour parrain
Il était une fois un homme pauvre qui avait douze
enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour et
nuit. Quand le treizième vint au monde, ne sachant plus
comment faire, il partit sur la grand-route dans l’intention
de demander au premier venu d’en être le parrain. Le
premier qu’il rencontra fut le Bon Dieu. Celui-ci savait déjà
ce que l’homme avait sur le cœur et il lui dit :
« Brave homme, j’ai pitié de toi ; je tiendrai ton fils sur les
fonts baptismaux, m’occuperai de lui et le rendrai heureux
durant sa vie terrestre.
L’homme demanda :
— Qui es-tu ?
— Je suis le Bon Dieu.
— Dans ce cas, je ne te demande pas d’être parrain de
mon enfant, dit l’homme. Tu donnes aux riches et tu laisses
les pauvres mourir de faim.» L’homme disait cela parce qu’il
ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvreté.
Il prit donc congé du Seigneur et poursuivit sa route. Le
Diable vint à sa rencontre et dit :
« Que cherches-tu ? Si tu me prends pour parrain de ton
fils, je lui donnerai de l’or en abondance et tous les plaisirs
de la terre par-dessus le marché.
L’homme demanda :
— Qui es-tu ?
— Je suis le Diable.
Un conte des frères Jacob et Wilhem Grimm, Der Gevatter Tod in Kinderund Hausmärchen, 1812, traducteur inconnu.
— Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les
hommes et tu les emportes. Il continua son chemin.»
Le Grand faucheur aux ossements desséchés venait
vers lui et l’apostropha en ces termes :
« Prends-moi pour parrain.
L’homme demanda :
— Qui es-tu ?
— Je suis la Mort qui rend les uns égaux aux autres.
Alors l’homme dit :
— Tu es ce qu’il me faut. Sans faire de différence, tu
prends le riche comme le pauvre. Tu seras le parrain. Le
Grand faucheur répondit :
— Je ferai de ton fils un homme riche et illustre, car qui
m’a pour ami ne peut manquer de rien.
L’homme ajouta :
— Le baptême aura lieu dimanche prochain ; sois à
l’heure.»
Le Grand Faucheur vint comme il avait promis et fut
parrain. Quand son filleul eut grandi, il l’appela un jour et
lui demanda de le suivre. Il le conduisit dans la forêt et lui
montra une herbe qui poussait en disant :
« Je vais maintenant te faire ton cadeau de baptême. Je
vais faire de toi un médecin célèbre. Quand tu te rendras
auprès d’un malade, je t’apparaîtrai. Si tu me vois du côté
de sa tête, tu pourras dire sans hésiter que tu le guériras. Tu
lui donneras de cette herbe et il retrouvera la santé. Mais
si je suis du côté de ses pieds, c’est qu’il m’appartient ; tu
diras qu’il n’y a rien à faire, qu’aucun médecin au monde ne
pourra le sauver. Et garde-toi de donner l’herbe contre ma
volonté, il t’en cuirait ! »
11
12
1. Prologue
Prologue
Il ne fallut pas longtemps pour que le jeune homme
devînt le médecin le plus illustre de la terre. « Il lui suffit de
regarder un malade pour savoir ce qu’il en est, s’il guérira
ou s’il mourra », disait-on de lui. On venait le chercher de
loin pour le conduire auprès de malades et on lui donnait
tant d’or qu’il devint bientôt très riche. Il arriva un jour
que le roi tomba malade. On appela le médecin et on lui
demanda si la guérison était possible. Quand il fut auprès
du lit, la Mort se tenait aux pieds du malade, si bien que
l’herbe ne pouvait plus rien pour lui.
« Et quand même, ne pourrais-je pas un jour gruger la
Mort ? Elle le prendra certainement mal, mais comme je
suis son filleul, elle ne manquera pas de fermer les yeux.
Je vais essayer. »
Il saisit le malade à bras-le-corps, et le retourna de façon
que maintenant, la Mort se trouvait à sa tête. Il lui donna
alors de son herbe, le roi guérit et retrouva toute sa santé.
La Mort vint trouver le médecin et lui fit sombre figure ; elle
le menaça du doigt et dit :
« Tu m’as trompée ! Pour cette fois, je ne t’en tiendrai pas
rigueur parce que tu es mon filleul, mais si tu recommences,
il t’en cuira et c’est toi que j’emporterai ! »
Peu de temps après, la fille du roi tomba gravement
malade. Elle était le seul enfant du souverain et celui-ci
pleurait jour et nuit, à en devenir aveugle. Il fit savoir que
celui qui la sauverait deviendrait son époux et hériterait de
la couronne. Quand le médecin arriva auprès de la patiente,
il vit que la Mort était à ses pieds. Il aurait dû se souvenir
de l’avertissement de son parrain, mais la grande beauté
de la princesse et l’espoir de devenir son époux l’égarèrent
tellement qu’il perdit toute raison. Il ne vit pas que la Mort
le regardait avec des yeux pleins de colère et le menaçait
de son poing squelettique. Il souleva la malade et lui mit
la tête, où elle avait les pieds. Puis il lui fit avaler l’herbe
et, aussitôt, elle retrouva ses couleurs et en même temps
la vie.
Quand la Mort vit que, pour la seconde fois, on l’avait
privée de son bien, elle marcha à grandes enjambées vers
le médecin et lui dit :
« C’en est fini de toi ! Ton tour est venu ! »
Elle le saisit de sa main, froide comme de la glace, si
fort qu’il ne put lui résister, et le conduisit dans une grotte
souterraine. Il y vit, à l’infini, des milliers et des milliers de
cierges qui brûlaient, les uns longs, les autres consumés
à demi, les derniers tout petits. À chaque instant, il
s’en éteignait et s’en rallumait, si bien que les petites
flammes semblaient bondir de-ci de-là, en un perpétuel
mouvement.
« Tu vois, dit la Mort, ce sont les cierges de la vie humaine.
Les grands appartiennent aux enfants ; les moyens aux
adultes dans leurs meilleures années, les troisièmes aux
vieillards. Mais, souvent, des enfants et des jeunes gens
n’ont également que de petits cierges.
— Montre-moi mon cierge, dit le médecin, s’imaginant
qu’il était encore bien long.»
La Mort lui indiqua un petit bout de bougie qui
menaçait de s’éteindre et dit :
« Regarde, le voici !
— Ah ! Cher parrain, dit le médecin effrayé, allumemoi en un nouveau, fais-le par amour pour moi, pour que
je puisse profiter de la vie, devenir roi et épouser la jolie
princesse.
— Je ne le puis, répondit la Mort. Il faut d’abord qu’il s’en
éteigne un pour que je puisse en allumer un nouveau.
— Dans ce cas, place mon vieux cierge sur un nouveau
de sorte qu’il s’allume aussitôt, lorsque le premier s’arrêtera
de brûler, supplia le médecin.»
13
14
15
Prologue
Le Grand Faucheur fit comme s’il voulait exaucer son
vœu. Il prit un grand cierge, se méprit volontairement en
procédant à l’installation demandée et le petit bout de
bougie tomba et s’éteignit. Au même moment, le médecin
s’effondra sur le sol et la Mort l’emporta.
2. Des problématiques aussi vieilles que
l’homme
La mort est dans la vie,
la vie aidant la mort.
La vie est dans la mort,
la mort aidant la vie.
Jacques Prévert
16
Des problématiques aussi vieilles que l’homme
Une parabole prémonitoire de la tentation
médicale de toute puissance ?
Le décryptage des contes, outils essentiels de la
transmission des croyances populaires, intéresse tous ceux
qui se préoccupent du fonctionnement humain et tentent
d’en comprendre les mécanismes. François Flahault, dans
« Be Yourself », attire l’attention sur le conte des frères
Grimm, « la Mort pour parrain », prologue de cet ouvrage.
L’histoire est un thème classique des contes populaires. Il
comporte trois parties, chacune porteuse d’un signifiant
différent :
• Le choix, par le père, de la mort comme parrain de
son fils, plutôt que le Bon Dieu ou le Diable, puisque c’est
celle qui respecte le mieux l’équité.
• Le don conféré au médecin de prévoir la mort, et
la tentation qu’il lui inspire de chercher à tromper un
destin fatal au profit de certains (désir de lutter contre
l’inéluctabilité de la mort, rupture de l’équité devant la
mort).
• La nécessité qu’une mort rachète une vie (retour à
l’équité).
Si les trois thématiques proposées sont également
intéressantes, c’est la seconde qui va retenir ici notre
attention. Le médecin du conte pourrait ainsi être présenté
comme le premier médecin réanimateur.
Et on peut lire le conte comme une métaphore de la
tentation de toute-puissance médicale. La médecine peutelle, doit-elle et à quel prix, empêcher la survenue d’une
mort inéluctable ?
C’est avec la découverte des techniques de réanimation
qu’ont commencé à émerger ces questionnements,
Voir Belmont Nicole, Fonction de la croyance, L’Homme, 1973, n° 3,
pp. 72- 81.
Flahaut François, Be Yourself, Mille et Une Nuits, 2006.
Conte-type 0332 de la classification d’Aarne-Thomson.
2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme
parallèlement au développement de la médecine
triomphante des trente glorieuses de cette fin de
XXe siècle.
La signification étymologique du mot ré-animation est
bien l’action de redonner la vie, de faire revenir à la vie.
Anima désigne en latin le souffle vital, l’âme. Les AngloSaxons utilisent d’ailleurs volontiers des termes encore
plus signifiants ; « resuscitation », « to resuscitate ».
Que fait donc d’autre le médecin du conte, quand il
retourne le patient pour empêcher la mort de survenir ? Si
la première fois, cela se passe bien, par contre la seconde,
il va le payer de sa propre vie. Il trahit l’équité devant la
mort inévitable en faveur du pouvoir (le roi) et l’amour (de
la princesse) mais pas pour le « commun des mortels » (pas
assez beau, pas assez puissant ?).
N’est-ce pas également une représentation symbolique
de la tentation d’une forme d’acharnement thérapeutique,
dans une dimension faustienne du médecin qui se croit
tout permis, puisqu’il a su déjouer une première fois la
mort. Une autre fable très classique consiste d’ailleurs
à s’interroger sur la différence qu’il y a entre Dieu et un
médecin ? La réponse est bien sûr que Dieu ne s’est jamais
pris pour un médecin…
La capacité donnée au médecin de repousser une issue
fatale ne lui donne pas nécessairement un droit (voire une
obligation) à exercer cette capacité, au risque sinon de
graves périls (sa propre mort dans notre conte, une mort
symbolique dans la réalité ?).
Comment tracer la limite entre ce qui est du juste soin
(ce que l’on attend du médecin) et ce qui est une obstination
Grosclaude Michèle, Réanimation et coma : soin psychique et vécu du patient, Elsevier Masson, 2002.
Il faut bien sûr entendre ici, comme dans la première partie du conte
des frères Grimm, le mot Dieu non pas dans une acceptation directement
théiste, mais dans un sens métaphorique, dans lequel chacun reste libre
d’y associer ses croyances personnelles … ou son absence de croyances.
17
18
Des problématiques aussi vieilles que l’homme
déraisonnable (ce que l’on redoute du médecin). Souvent
la frontière est terriblement floue. Mais n’est-ce pas ce que
l’on attend d’un « bon » médecin que d’aller jusqu’à la
limite, sans jamais la franchir ?
La question du refus de l’obstination déraisonnable,
terme désignant plus précisément le concept grand
public d’acharnement thérapeutique, est au cœur de cet
ouvrage, et surtout au cœur de la loi d’avril 2005, dite
relative aux droits des malades et à la fin de vie. Elle est
en relation directe avec la tentation de la toute-puissance
qui guette tous les professionnels de santé, surtout quand
ils prennent en charge des êtres humains affaiblis par
la maladie et rendus vulnérables par l’approche de la
mort. C’est bien à la loi de la République de protéger les
citoyens de ce risque. Et c’est justement ce que fait la loi
d’avril 2005. Nous allons nous efforcer de le démontrer.
Mais encore faut-il rappeler que si nul n’est censé ignorer
la loi, beaucoup ne connaissent pas suffisamment celle-ci.
Un des objectifs de cet ouvrage est de mieux informer les
citoyens, et ceux qui les soignent, des avancées que cette
loi représente. Un autre objectif est de leur permettre de
mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière les
revendications d’un droit à la mort.
De tout temps les hommes se sont débattus avec
la complexité de certaines situations liées à la fin
de vie.
Déjà, dans Les Trachiniennes de Sophocle, presque 500
ans avant notre Ère, la question aporétique de la demande
d’aide à mourir est évoquée clairement. Hercule ordonne
à son fils Hyllos, de le tuer afin de soulager ses souffrances.
Hercule est en effet atteint par d’horribles douleurs,
provoquées par la tunique que lui a offerte son épouse.
Celle-ci, jalouse de la nouvelle favorite de son mari, voulait
le reconquérir en lui faisant porter ce vêtement magique,
soi-disant enduit d’un philtre d’amour par le défunt
centaure Nessus (tué justement par Hercule). Mais en fait,
Cf. Geoffroy Marc, Un bon médecin, La Table Ronde, 2007.
2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme
c’est un poison mortel qui imprègne la tunique (réalisant
ainsi la prophétie prédisant que c’est par la main d’un
mort que périrait le héros des célèbres douze travaux !).
Le poison dévore ses chairs et finit par avoir raison de son
courage légendaire, l’amenant donc à préférer la mort à
ces horribles douleurs. Et c’est vers son fils qu’il se tourne,
pour obtenir sa « délivrance ». Il lui demande de l’immoler
sur un bûcher au sommet du mont sacré de l’Œta, puisque
seules les flammes de ce bûcher pourront le délivrer de son
calvaire. Celui-ci est alors confronté à un dilemme éthique
(aporétique) : doit-il obéir à son père et se rendre ainsi
coupable de parricide ou refuser de commettre ce geste
tabou, mais ne pas répondre au devoir sacré d’obéissance
filiale.
En voici un extrait significatif, dans la traduction
française de R. Pignarre.
HYLLOS. — Tu m’invites, ô mon père, à me faire ton
meurtrier, à teindre mes mains de ton sang !
HÉRACLÈS. — Au contraire, j’attends de toi l’apaisement
de mes souffrances : tu es mon seul médecin.
HYLLOS. — Et comment te guérirais-je en te livrant aux
flammes ?
HÉRACLÈS. — Si cette idée te fait horreur, exécute au
moins le reste.
HYLLOS. — Je ne me refuserai pas à te porter là-haut.
HÉRACLÈS. — Ni à dresser le bûcher, ainsi qu’il a été dit ?
HYLLOS. — Excepté d’y mettre la main, je veillerai à tout,
et tu n’auras rien à me reprocher.
Déjà donc, dans la tragédie de Sophocle, Héraclès
interpelle Hyllos comme son seul médecin (ἰατρός)
tandis que Hyllos, s’il finit par céder aux demandes
http://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Trachiniennes2.
htm
19
20
Des problématiques aussi vieilles que l’homme
de son père à le laisser mourir, ne peut se résoudre à
souiller symboliquement ses mains du sang de son père.
Il n’allumera pas le bûcher : c’est la limite qu’il ne peut
franchir.
Hyllos avait bien compris que laisser mourir, ce n’est
pas pareil que faire mourir…
Le souhait que meurt vite un être cher, soumis aux affres
de l’agonie, n’est pas non plus une problématique récente.
Ainsi on en retrouve la trace dans le récit de la mort d’un
grand talmudiste, Rabbi Yehouda Hanassi.
Le jour de la mort de Rabbi, les Sages décrétèrent un
jeûne public afin de prier et d’empêcher la mort de Rabbi. Sa
femme de ménage monta sur le toit et s’écria : « Ceux d’en
haut réclament Rabbi et ceux d’en bas le réclament aussi, que
ce soit Ta volonté que ceux d’en bas l’emportent ». Toutefois,
quand elle vit la souffrance qu’endurait Rabbi à cause de ses
épreuves, elle monta à nouveau sur le toit et dit : « Que ce
soit Ta volonté que ceux d’en-haut l’emportent ». Cependant,
les Sages n’arrêtaient pas de prier, empêchant l’âme de Rabbi
de quitter le corps du Tsadik. La servante remonta sur le toit,
prit une cruche en argile et la jeta du toit. En tombant, elle fit
un bruit tel que les Sages, surpris, s’arrêtèrent de prier. À ce
moment précis, l’âme de Rabbi retourna à son Créateur. 10
David Le Breton11, à propos de cet épisode, rapporte
l’avis du rabbin Ernest Gugenheim : « Il est tout à fait licite
de souhaiter la fin d’un malade qui souffre beaucoup, sans
espoir de guérison, et on peut prier en ce sens. Témoin
l’épisode de la mort de Rabbi. Cette prière euthanasique
est licite car dans ce cas on ne s’arroge pas un droit réservé
à Dieu, mais on lui adresse une requête. »
Cet épisode peu connu de la tradition hébraïque apporte
un éclairage très intéressant. Il permet de comprendre
combien il est parfaitement « humain » qu’émerge le désir
que la mort vienne délivrer un mourant.
Le mot hébreu tsadik (‫ )קידצ‬désigne un homme juste.
10 www.hessedvedavid.com
11 Le Breton David, Anthropologie de la douleur, Éditions Métailié, 2006.
2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme
Mais, le désir euthanasique, à l’identique de la prière
de la servante de Rabbi, s’il est donc profondément
humain, ne justifie en rien, bien au contraire le passage à
l’acte euthanasique et encore moins la banalisation de ce
passage à l’acte transgressif par une autorisation explicite
donnée par la loi. C’est bien le choix fait par le législateur
français lors du vote de la loi d’avril 2005.
21
23
3. Ce qui a déclenché la procédure
législative : la mort de Vincent Humbert
Toute la vie des sociétés
dans lesquelles
règnent les conditions modernes de production
s’annonce
comme une immense accumulation de spectacles.
Tout ce qui était directement vécu
s’est éloigné dans une représentation.
Guy Debord
24
Ce qui a déclenché la procédure législative
Une tragédie en trois actes
La loi d’avril 2005 a été conçue dans un contexte
bien particulier : celui de « l’affaire Humbert » comme
on a coutume de la nommer. Avant de se pencher sur
le contenu de la loi, un rappel de ce contexte apparaît
nécessaire. En fait, il existe plusieurs « affaires Humbert »
dont l’imbrication, voire la confusion, a contribué à bien
des approximations.
Acte I : Vincent Humbert : « Je demande le droit de
mourir. »
Vincent Humbert était un jeune homme, vivant seul
avec sa mère Marie Humbert, séparée de son mari depuis
plusieurs années. Victime d’un très grave accident de la
route en septembre 2000, il est secouru par ses collègues
pompiers et admis en réanimation dans un contexte
très péjoratif de poly traumatisme, dont un traumatisme
cérébral très sévère. Il est plongé dans un coma qui va
durer plusieurs mois.
Suivant la filière classique de ce type de pathologie,
il va finalement se retrouver au Centre Héliomarin de
Berck-sur-Mer, dans un service spécialisé dans la psychoréhabilitation des patients comateux. C’est, selon
l’histoire abondamment racontée dans les médias, sa
mère qui va finalement mettre en évidence la capacité
retrouvée de Vincent Humbert à communiquer par une
pression de la main. En utilisant des techniques connues
de communication avec des personnes dans ce type de
situation (choix dune lettre après l’autre pour former des
mots), Marie Humbert rétablit une communication avec
son fils.
La première exposition médiatique nationale de la
situation tragique de Vincent Humbert remonte en fait
au 16 décembre 2002, et à l’article paru dans France Soir.
Il s’agit de la lettre écrite « sous la dictée » par une des
membres de l’équipe (et « en cachette de sa mère ») par
Vincent Humbert. Cette lettre est adressée au président
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
de la République d’alors, Jacques Chirac. Vincent Humbert
lui réclame, au nom de son droit de grâce présidentielle, le
« droit de mourir12 ».
Rapidement c’est le quotidien Le Monde qui répercute
et amplifie l’info, suivi par toute la presse. La « France
profonde » est émue par la tragédie que vit ce jeune
pompier, sauveteur et victime à son tour de la terrible
violence routière. Paralysé, sans espoir, il est présenté
comme une victime des médecins qui le maintiennent en
vie contre son gré et lui refuse « le droit de mourir ».
Mais comme pour toutes les « affaires » montées en
épingle par notre société du spectacle, bien dépeinte par
Guy Debord, les médias vont oublier rapidement l’histoire
terrible de Vincent Humbert, et focaliser nos émotions sur
d’autres spectacles tragiques. Ce n’est que quelques mois
plus tard que va réapparaître, à la une, ce qui va maintenant
constituer le second acte de la tragédie : l’affaire Marie
Humbert.
Acte II : Marie Humbert : « Je lui ai donné la vie, c’est à
moi de la lui ôter. »
Les premières apparitions médiatiques de Marie
Humbert, remontent à la première poussée de fièvre
médiatique, lors de l’envoi de la lettre à Jacques Chirac,
fin 2002. Elle expose sa détresse face à la demande de son
fils.
Elle déclare alors à l’AFP : « En tant que maman, ne me
demandez pas d’approuver. »
Elle confie : « Je fais ce qu’il veut parce que je l’aime »,
puis elle ajoute : « il en a marre, il est très déterminé. Si cela
ne se fait pas, on ira en Suisse ou en Belgique. »
Après ce premier épisode, de nombreuses tentatives
pour aider à une meilleure prise en charge de la situation
de Vincent et Marie Humbert ont été mises en œuvre.
12 Cf. le texte complet de cette lettre sur www.collection-omega.fr
25
26
Ce qui a déclenché la procédure législative
Le président Chirac et son épouse ont été touchés par le
drame. Ils délèguent différents intervenants qui proposent
d’organiser un retour à domicile, de traiter d’éventuels
éléments dépressifs. L’équipe du Centre d’éthique clinique
de Cochin (dirigé par Véronique Fournier, très soutenue
par le médiatique Bernard Kouchner) est intervenue
pour une « évaluation de la situation ». Rien n’y fait. Seule
modification notable : Marie Humbert semble avoir
totalement basculé du côté du désir « exprimé » par son
fils : obtenir qu’il soit mis fin à ses jours. C’est son nouveau
combat et elle va y mettre une détermination sans faille.
Un journaliste, collaborateur occasionnel du Nouvel
Observateur, Frédéric Veille, a pu pénétrer dans l’intimité du
couple fusionnel mère-fils. À l’origine de la médiatisation
nationale de la lettre de Vincent Humbert (initialement
seulement reprise dans un quotidien local) c’est lui qui va
« recueillir sous la dictée » les éléments du livre signé par
Vincent Humbert. L’éditeur décide que sa sortie officielle
aura lieu pour la date anniversaire de l’accident de Vincent
Humbert et annonce par avance sur son site internet que
l’auteur sera peut-être mort à cette date.
Marie Humbert est devenue le principal sujet du drame.
Une mère qui veut obtenir pour son enfant le soulagement
de ses souffrances. Elle annonce, dans Le Parisien,
l’euthanasie prochaine de son fils. Un acte mûrement
réfléchi et préparé « depuis des mois », indique-t-elle. « La
mort de Vincent est programmée maintenant. C’est moi
qui vais l’aider à mourir. Je vais l’aider parce que personne
n’a le courage de le faire et parce que c’est sa demande ».
Elle dénonce l’acharnement thérapeutique qui a empêché
son fils d’aller « au ciel » et précise « j’ai la mission d’aider à
changer la loi, peut-être pour permettre l’euthanasie dans
des cas identiques ». Elle témoigne dans le même sens
dans une émission sur TF1 (Sept à Huit, le 21 septembre
2003). Comme elle l’a raconté à plusieurs reprises, elle va
recevoir, mystérieusement, un colis postal contenant de
quoi « donner satisfaction » à son fils. Il s’agit d’un flacon de
penthiobarbital, barbiturique d’action rapide qui, ingéré,
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
provoque une mort rapide, précédée d’un coma profond.13
Suivant de toutes aussi mystérieuses instructions, elle va
administrer ce produit dans la sonde de gastrostomie de
son fils. La gastrostomie est l’introduction d’un tube dans
l’estomac des patients incapables de s’alimenter et qui
permet d’assurer leur nutrition artificielle. Après un délai
qu’elle juge (à tort) suffisant – et peut être par une réaction
paradoxale de sursaut de culpabilité – elle prévient ensuite
l’équipe soignante du geste qu’elle vient de commettre.
Aussitôt, et comme cela est parfaitement logique,
la machine médicale va se déclencher. Le réanimateur
de garde intervient et fait ce qu’il doit faire en pareil
cas : il réanime. Et il fait bien son travail puisqu’il permet
d’éviter la mort promise. Vincent Humbert est transféré
dans le service de réanimation de celui qui va accéder
à une célébrité éphémère en raison de cette affaire : le
Dr Chaussoy. Le procureur de la République est saisi et
engage des poursuites immédiates contre Marie Humbert,
tandis que démarre le troisième acte du drame : l’affaire
Chaussoy.
Acte III : Le Docteur Chaussoy : « Je ne suis pas un
assassin. »
Confronté à une situation assez inhabituelle du fait
de la surexposition médiatique (les journalistes campent
devant l’hôpital) le Dr Chaussoy, responsable du service
de réanimation s’occupe de Vincent Humbert. Il va réagir
dans un premier temps d’une manière parfaitement
adaptée. Il décide de prendre le temps de la réflexion
pour savoir s’il convient ou non de mettre en œuvre ce
qu’en réanimation on appelle une limitation ou arrêt
des traitements actifs. Autrement dit : « Faut-il se battre à
tout prix pour sauver la vie de Vincent Humbert ou doiton laisser la mort survenir sans acharnement inutile ou
déraisonnable ? » En effet, celui-ci est dans une situation
très précaire du fait de l’intoxication barbiturique
provoquée par sa mère. L’hypotension sévère a provoqué
13 Il s’agit du même produit qui a servi à Chantal Sébire pour se suicider,
produit utilisé par les associations d’aide au suicide en Suisse.
27
28
Ce qui a déclenché la procédure législative
une mauvaise irrigation du cerveau et par voie de
conséquence une altération des cellules cérébrale (alors
qu’on se rappelle que le cerveau du patient était déjà très
altéré par le traumatisme initial). La détresse respiratoire
(liée à l’inhibition des centres de commande par les
barbituriques) a nécessité une intubation (un tuyau a été
introduit dans la trachée) et une ventilation assistée (une
machine assure artificiellement la respiration). Dans ces
conditions, faut-il donc continuer à réanimer ? Notons dès
à présent que ce sera justement un des points clefs de la
loi d’avril 2005 que d’organiser la procédure permettant de
répondre à ce type de questions (comme on le verra plus
loin).
Suivant en cela les recommandations de la
Société de Réanimation de Langue Française (SRLF)
le Dr Chaussoy évoque la question lors d’une réunion
d’équipe pluridisciplinaire. Pour le Dr Chaussoy, le patient
a suffisamment fait savoir, par médias interposés, qu’il
souhaitait mourir. Par contre la question de la culpabilité,
tant morale que judiciaire, de Marie Humbert se pose. Si on
laisse mourir son fils, quel sera son sort ?
D’autre part le patient est jeune, il peut s’en sortir,
mais avec quelles nouvelles séquelles neurologiques ?
Finalement la décision est prise : on va procéder à une
limitation des traitements. Cela signifie que tous les moyens
actifs de maintien en vie vont être stoppés. La décision,
rendue publique, est approuvée par un communiqué
commun de la SFAP (Société Française d’Accompagnement
et de soins Palliatifs) et de la SRLF (Société de Réanimation
de Langue Française)14. Concrètement le respirateur
(machine qui provoque la respiration artificielle) est
stoppé. En l’absence d’une respiration naturelle cela
implique normalement le décès rapide du patient qui ne
sera plus alors maintenu artificiellement en vie. Lors de ces
procédures, toujours particulièrement difficiles pour les
équipes sur le plan émotionnel, les recommandations sont
très claires : il faut administrer un traitement sédatif afin
d’éviter toute souffrance ou signes pouvant être interprété
14 Cf. le texte sur www.collection-omega.fr
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
comme témoignant d’une telle souffrance. Le produit
recommandé est une benzodiazépine (le midazolam)
qui en raison de ces propriétés pharmacologiques est
parfaitement adapté à ces situations. Le Dr Chaussoy
connaît ces recommandations, comme il en témoigne
explicitement dans son livre15. Cependant, de manière
assez inexplicable, ce n’est pas la procédure qu’il va suivre. Il
pratique d’abord une injection de thiopental, barbiturique
utilisé en anesthésie, très voisin du produit administré
à doses massives par sa mère. Dans ce contexte, c’est un
choix étonnant.
Comme cela était parfaitement prévisible, et
probablement du fait d’une hyperactivation du catabolisme
hépatique (destruction accélérée du médicament par
le foie), le produit s’avère inefficace. Après l’arrêt du
respirateur le patient se met à avoir des mouvements
respiratoires spontanés désordonnés. C’est alors que le
Dr Chaussoy commet ce qu’il faut bien appeler une faute
professionnelle incompréhensible. Au lieu de recourir au
midazolam (comme il aurait pu et dû le faire dès le début) il
va injecter une quantité massive de chlorure de potassium
afin de provoquer un arrêt cardiaque immédiat. Cette
pratique est formellement prohibée par la loi et le code
de déontologie (puisqu’il s’agit bien alors de provoquer
délibérément la mort) et également de matière très
explicite par les recommandations professionnelles des
réanimateurs16. Le Dr Chaussoy le reconnaît d’ailleurs dans
son livre. Pour sa défense il explique que lui reprocher cette
injection létale est une hypocrisie et que peu importe la
façon dont est finalement mort Vincent Humbert, puisque
la décision de le laisser mourir était légitime. On reviendra
plus loin sur ce raisonnement qui pose des questions
morales importantes.
Au total, ce qui sera reproché par la justice au
Dr Chaussoy est bien d’avoir provoqué artificiellement la
mort de son patient par l’administration du potassium.
15 Chaussoy Frédéric, Je ne suis pas un assassin, Éditions Oh !, 2004.
16 Les limitations et arrêts de thérapeutique(s) active(s) en réanimation
adulte, SRLF., 2002.
29
30
Ce qui a déclenché la procédure législative
Il a finalement fait l’objet d’une ordannance de non-lieu
pour ce chef d’inculpation. La justice a donc tranché et on
ne saurait revenir sur une décision de justice. Rappelons
simplement que personne n’a reproché au Dr Chaussoy la
décision de ne pas poursuivre la réanimation de ce patient.
La défense du Dr Chaussoy a su très habilement occulter
le véritable chef d’inculpation pour mettre en avant le
geste courageux d’un médecin osant ne pas poursuivre un
épouvantable acharnement thérapeutique. Ainsi accusé
d’une faute, il s’est défendu d’une autre, que nul ne lui
reprochait. Il a ensuite adopté une posture « héroïque »
devenant un des chevaliers de la cause de la légalisation des
injections létales en France. Souhaitons-lui en tout cas que
le retour à l’anonymat, que rien ne le prédestinait à quitter,
lui ait apporté la sérénité nécessaire à un réexamen de ce
qui s’est passé et une réflexion approfondie sur les enjeux
éthiques mobilisés par la pratique de la réanimation. Les
moindres de ces enjeux ne sont ni la tentation de la toutepuissance et le sentiment de pouvoir exercer un droit de
vie et de mort, ni celle de vouloir à tout prix justifier a
posteriori ce qui apparaît à l’évidence comme une erreur
pour continuer à faire croire aux autres et à soi-même que
l’on est infaillible.
De nombreuses interrogations sur la réalité des
faits rapportés
Dans cette affaire, de nombreux points restent à
éclaircir ou à préciser.
Vincent Humbert était paralysé, non pas en raison d’une
tétraplégie, comme cela a souvent été rapporté, mais par
une double hémiplégie. La différence est plus importante
qu’il n’y paraît. Dans le cas de la tétraplégie, le cerveau est
intact, c’est la moelle épinière qui est atteinte. Il existe à son
niveau une interruption des voies nerveuses qui empêche
aussi bien de sentir (atteinte des voies sensitives) que de
bouger (atteinte des voies motrices) les parties du corps
sous jacentes au traumatisme médullaire. Si l’atteinte est
au niveau dorsal on constate une paralysie des membres
inférieurs (paraplégie) ; si l’atteinte est au niveau cervical ce
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
sont les quatre membres qui sont paralysés (tétraplégie). Au
contraire dans le cas de l’hémiplégie, c’est bien le cerveau
qui est atteint : précisément une partie du cerveau (l’aire
corticale motrice). Et la moitié du corps correspondant
(la partie opposée à la lésion : l’hémicorps droit en cas
d’atteinte dans la partie gauche du cerveau) ne peut plus
bouger.
Dans le cas de Vincent Humbert ce sont donc les parties
droites et gauches du cerveau commandant la motricité
avaient été touchées par le traumatisme. Cette double
atteinte cérébrale explique donc une double hémiplégie
séquellaire. Rien à voir avec un cas de tétraplégie, ni avec
une autre atteinte neurologique très particulière, le lockin syndrom (comme par exemple pour l’auteur du livre Le
Scaphandre et le Papillon17) dans laquelle le cerveau est
également intact. Vincent Humbert présentait des atteintes
majeures du tissu cérébral, en lien avec la violence du
traumatisme initial.
Les spécialistes de ce type de pathologies savent bien
qu’avec de tels dégâts cérébraux il est particulièrement
difficile d’imaginer que Vincent Humbert ait réellement pu
écrire (dicter lettre après lettre selon l’histoire racontée) les
deux cents pages du livre Je vous demande le droit de mourir.
À défaut de vouloir enquêter sur qui avait réellement
rédigé le livre, et dans quelle intention, il était bien plus
facile de reprendre avec le chœur médiatique le terme
de « tétraplégie » et de laisser se faire des comparaisons
indues (avec l’écriture du livre de Jean-Dominique Bauby).
Il aurait fallu sinon se poser la question bien dérangeante
de savoir comment un jeune homme de vingt-cinq ans,
gravement cérébrolésé, a pu reprendre pratiquement
mot à mot des argumentaires très élaborés d’associations
favorables à la légalisation de l’euthanasie. Alors qu’il est
peu probable qu’il ait porté un intérêt quelconque à ces
questions avant son accident.
17 Bauby Jean‑Dominique, Le Scaphandre et le Papillon, Éditions Robert
Laffont, 1997.
31
32
Ce qui a déclenché la procédure législative
Le témoignage d’un de ses kinésithérapeutes est
ainsi passé totalement inaperçu dans un premier temps
avant d’être médiatisée plusieurs années plus tard, par
l’intermédiaire d’une association pro-vie de catholiques
fondamentalistes (ce qui en a largement brouillé le
message) 18 .
Un mois après la mort de Vincent Humbert, dans une
tribune libre publiée dans un hebdomadaire local (Le Réveil
de Berck du 26 octobre 2003), Hervé Messager adressait
« un hommage à Vincent » aussi troublant que touchant
(reproduit in extenso ci-dessous). On comprend à sa lecture
que n’allant pas dans le sens du roman abondamment
raconté à longueur de colonnes et d’antennes, il est passé
totalement inaperçu19.
Vincent,
Tu accepteras, j’en suis sûr, que je te parle aujourd’hui,
même si tu ne peux plus me répondre ; on a tant parlé…
avant.
Tu ne m’en voudras pas, non plus, de dire que tu étais
devenu exigeant, tant pour la place millimétrée de ta
têtière et de ton pied gauche que pour l’horaire précis de ta
séance de rééducation !
Tu m’accorderas de préciser, j’en suis certain, que
ton handicap avait une origine cérébrale te rendant
doublement hémiplégique (et non tétraplégique) et que
tes décisions, si réfléchies soient-elles, étaient empreintes
de persévérations dont tu n’étais pas maître à cause
justement de ton atteinte cérébrale.
18 SOS Fin de vie, présidée par le Dr Mirabel, animateur de mouvements
anti IVG, association membre de l’Alliance pour les Droits de la Vie, très
marquée sur le plan idéologique.
19 L’ensemble de son témoignage, rédigé en 2007 est disponible par l’intermédiaire du site www.collection-omega.fr dans la partie consacrée au
présent ouvrage.
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
Tu reconnaîtras sans nul doute que nous en avons ri
ensemble et que tu m’avais promis une dédicace de ton
livre en reconnaissant ne l’avoir que suggéré mais non
écrit, et dont tu ne connaissais, le 23 septembre dernier,
que les quelques lignes que l’on a bien voulu te lire.
Et tu m’autoriseras probablement à dire que ton choix
de mourir n’était qu’un appel à l’aide et le simple désir
réel d’un avenir différent dont tu avais si peur que tu n’en
voulais connaître aucune alternative.
De tout cela, tu n’es pas responsable mais la
médiatisation fut si forte que même ta maman s’y est
noyée en oubliant ta vie et en te faisant culpabiliser de
celle qu’elle menait.
Je ne sais où tu es maintenant mais je ne peux oublier
le son de tes rires quand ensemble on blaguait et que je te
traitais de « tâtasse » à chacune de tes exigences, même si
je les comprenais.
Je t’aimais bien, tu sais ; mais ce qui me rend triste et
révolté aujourd’hui, c’est de savoir que beaucoup de monde
s’est servi de ta souffrance morale pour faire de ta mort un
hymne à l’euthanasie alors que ta seule demande était, à
défaut d’un suicide assisté, la simple aspiration à une vie
différente, voire meilleure. Mais l’inconnu, aussi, te faisait
peur et tu le refusais.
Je ne supporte pas ces médias et associations qui
ne t’ont pas connu mais ont provoqué ton destin fatal
parce qu’il leur ferait vendre leur soupe. Aujourd’hui, ils
t’ont oublié ; seul le classement des meilleures ventes de
la semaine nous a rappelé ce matin la deuxième place
du livre qui porte ton nom. Encore un peu plus d’argent
dans l’escarcelle de ton éditeur et des futurs profiteurs
potentiels…
Mais ta vérité, je la connais… On en a parlé, si souvent.
Malheureusement, la seule vérité qui soit bonne est celle
qui arrange tout le monde…
33
34
Ce qui a déclenché la procédure législative
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
Celle qui t’est attribuée ne m’arrange pas… Si mon
opinion et ma certitude sont aujourd’hui publiées, c’est
qu’au moins quelqu’un a cru au respect que j’ai de ta
mémoire et à la tristesse que je ressens.
Étant donné l’impact qu’a eu cette affaire sur nos
concitoyens, il serait souhaitable qu’un jour, un véritable
travail d’investigation soit mené pour tenter d’éclairer les
nombreuses zones d’ombre qui demeurent.
Paix à ton âme, si cela existe, et excuse-moi de n’avoir
su faire mieux.
Un nécessaire décryptage en trois dimensions
D’autres témoignages de membres de l’équipe
qui prenait Vincent Humbert en charge à Berck (parus
notamment dans Le Quotidien du Médecin20) n’ont pas
davantage attiré l’attention, car d’évidence trop à contrecourant de la thèse « officielle » racontée aux médias. « Les
gens ont tous adhéré à la présentation des médias sans
bien comprendre nos problèmes et notre travail. Alors on
est tous en rébellion contre certaines choses qui sont dites.
On se demande jusqu’où ils vont aller ? » (Mme Guillemotto,
cadre infirmier du service).
Le Dr Rigaux, chef de service, témoigne également
dans cet article :
Les derniers jours la médiatisation galopante a fini
par faire baisser les bras à l’équipe. Le plan média était
tellement énorme et bien orchestré que les médecins ont
eu très vite l’intime conviction qu’un mouvement militant
très expérimenté dirigeait de l’extérieur les opérations. (…)
C’est le règne de la pensée unique. Et tant pis si, en s’alignant
comme un seul homme les télévisions passent par pertes et
profits notre métier, sans jamais se demander si Vincent ou sa
maman n’avaient pas pu être eux-mêmes les victimes d’une
instrumentalisation. Étaient-ils réellement libres de leur choix
ou victimes de manipulateurs profitant de leurs fragilités
respectives ? Quel dommage que ces propos, tenus moins d’une
semaine après la mort de Vincent Humbert, comme ceux
d’Hervé Messager, soient restés totalement sans échos.
20 Mort de Vincent Humbert : ce qui n’a pas été dit, Article du
1er octobre 2003.
Un décryptage des questions soulevées par ces trois
affaires intriquées apparaît indispensable. En effet c’est
bien dans l’émoi de l’opinion publique que se trouvent
les racines de la loi de 2005. Loin de la rigueur rationnelle
nécessaire, l’opinion a été entraînée dans une mélasse
émotionnelle la conduisant à des conclusions forcément
erronées. Choquée par le sort tragique de ce jeune
homme, émue par l’opiniâtreté d’une mère à tout sacrifier
pour son enfant fauché par un sort funeste, convaincue
par le choix d’un médecin « à visage humain » décidant de
ne pas s’acharner à faire vivre « un légume », cette opinion
publique (conduite par les médias comme le peuple par le
coryphée dans la tragédie grecque) ne pouvait que dire son
adhésion aux thèses sous jacentes. Oui décidément – leur
faisait-on penser - il faut que la France se dote d’un arsenal
législatif permettant que des telles situations ne puissent
plus exister. Certains prétendaient rendre le chômage
illégal, ici c’est la souffrance, la tragédie, et pourquoi pas
l’agonie, qu’il convenait d’interdire par la loi !
Avec le recul des années, tentons donc une première
esquisse de ce nécessaire décryptage, en essayant
notamment de voir en quoi l’influence de ces trois affaires
a été si importante dans l’élaboration de la loi de 2005.
Vincent Humbert et les questions de l’acharnement
thérapeutique et d’un « droit au suicide »
L’affaire « Vincent Humbert » proprement dite pose
essentiellement deux questions.
La première est celle de l’obstination déraisonnable :
l’acharnement thérapeutique, selon le langage courant.
Maintenu en vie artificiellement, contre sa volonté,
35
36
Ce qui a déclenché la procédure législative
Vincent Humbert a incarné pour l’opinion une forme
archétypale de cet acharnement thérapeutique. Celuici est une des craintes majeures entretenues vis-à-vis du
pouvoir médical depuis que la médecine a cessé d’être
impuissante face à la maladie. Caractéristique d’une dérive
scientiste, l’obstination déraisonnable consiste à oublier le
sujet derrière l’objet de soins. Le maintien en vie « coûte
que coûte » (le coût est ici humain et non économique)
est la crainte justifiant la plupart des opinions favorables
à la « légalisation de l’euthanasie ». Il représente la dérive
du pouvoir médical absolu – longtemps incarné par le
paternalisme médical. Le médecin sait mieux que le malade
ce qui est bon pour lui. Et il vaut mieux, pour le médecin,
que le malade soit vivant que mort. On le verra, la loi de
2005 représente à cet égard un tournant fondamental : elle
va rendre l’obstination déraisonnable illégale et obliger les
médecins à ne pas s’en rendre coupables.
La seconde question posée par Vincent Humbert est
celle d’un « droit au suicide » que pourraient réclamer
certains citoyens incapables physiquement de mettre
en œuvre cette liberté individuelle fondamentale que
chacun d’entre nous peut normalement mettre en œuvre :
le suicide. Incapable, du fait de son handicap physique
majeur de mettre fin et ses jours, et désireux d’en finir
avec ce qu’il considérait être un calvaire, Vincent Humbert
réclamait donc « le droit de mourir ». En s’adressant au
Président de la République pour lui demander d’exercer
son « droit de grâce » (comme on parle du « coup de
grâce ») il interpellait effectivement la société sur une
question complexe. Dans la confusion entre ce « droit au
suicide » et la demande d’une légalisation des injections
létales en fin de vie, l’affaire Humbert n’a pas réellement
permis de clarifier ce débat. Il faudra attendre d’autres
« affaires » (Maia Simon, et surtout Chantal Sébire) pour
que la distinction entre ces problématiques ne commence
à apparaître dans les médias21.
21 Lire à ce sujet en annexe, l’article écrit avec Louis Puybasset : L’histoire
tragique de Mme Sébire ne doit pas ouvrir un droit au suicide, paru dans Le
Figaro, le 19 mars 2008.
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
Le Dr Chaussoy : comment doivent être mises en œuvre
les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements de
réanimation ?
La première question soulevée par l’affaire Chaussoy
est celle de la façon de décider la limitation ou l’arrêt de
traitements actifs de maintien artificiel en vie. On l’a vu, la
réanimation est une discipline médicale récente (milieu du
XXe siècle). Confrontés directement au pouvoir faustien et
aux limites à ne pas franchir impunément, les réanimateurs
se sont rapidement penchés sur les enjeux éthiques de
leurs pratiques. Le devoir du réanimateur est de réanimer
(en laissant la priorité au maintien en vie en cas de doute
sur la situation). Mais il doit prendre en considération les
éventuelles conséquences de ce maintien artificiel en vie
pouvant conduire à un maintien en vie artificielle, dans des
conditions ni souhaitées, ni souhaitables. La réanimation
« dans le doute », loin de bénéficier au patient chez qui
« tout a été tenté », peut parfois entraîner une situation
particulièrement difficile, à l’image par exemple des
états végétatifs chroniques. Bien avant le vote de la loi,
les réanimateurs avaient compris que malheureusement
(ou heureusement ?) nulle formule mathématique ne
permettait de résoudre à coup sûr ce type d’équation
complexe, cet équilibre fragile à trouver au cas par cas entre
tout ce qui est possible et ce qui est réellement souhaitable.
Il est clair que la décision la plus sage n’est pas celle prise
par un seul individu, fut-il le plus grand savant du monde,
mais bien celle prise collectivement en écoutant l’avis de
chacun et en tentant de trouver un consensus. C’est le sens
des recommandations élaborées par la SRLF22 en 2002. C’est
bien ce que le Dr Chaussoy a très justement mis en œuvre
pour savoir si, oui ou non, il fallait « s’acharner à réanimer »
Vincent Humbert, alors que sa situation était critique.
Cette façon de prendre une décision après une discussion
à plusieurs (la décision collégiale) est celle qu’imposera la
loi de 2005, lorsque le patient ne peut décider de ce qu’il
souhaite pour lui-même.
La seconde question posée par l’affaire Chaussoy est
22 S.RLF. ou Société de Réanimation de Langue Française.
37
38
Ce qui a déclenché la procédure législative
la façon dont doivent être mises en œuvre les limitations
ou arrêt de traitement de maintien artificiel en vie quand
elles sont décidées. Le raisonnement du Dr Chaussoy est
très simple (voire simpliste). À partir du moment où la
décision est prise de ne pas tout mettre en œuvre pour
maintenir artificiellement en vie, la mort étant inéluctable,
autant alors qu’elle survienne le plus vite possible, et par
tout moyen à disposition du médecin. Il l’explique dans
son livre23 et le reprécise dans une interview à Libération
parue le 3 janvier 2006 : « Le produit ne change rien. En
débranchant le respirateur, on a arrêté la vie. Bien sûr, on
aurait pu injecter de la morphine24. Mais il ne souffrait pas.
Il était dans le coma . La prochaine fois, je prendrai une
seringue électrique de je-ne-sais-quoi. Avec l’électrique ce
n’est même pas moi qui pousse. (…) On s’en fout. Ce qui
compte, c’est la décision, difficile à prendre. Après, la fin de
vie doit être le plus digne possible. »
J’avais déjà pointé les effets paradoxaux d’une telle
analyse lors d’une interview avec Sandrine Blanchard
pour le quotidien Le Monde du 12 juillet 2006. « Dans
l’affaire Vincent Humbert, on nous dit que provoquer la
mort avec du chlorure de potassium (qui provoque un
arrêt cardiaque), c’est la même chose que laisser mourir le
patient, puisque le résultat est le même… Mais imaginez
que le docteur Chaussoy ait étranglé Vincent Humbert
pour mettre fin à ses souffrances : aurait-on fait la même
analyse ? » Je n’ai jamais eu de réponse, ni du Dr Chaussoy,
ni des autres partisans de ces méthodes radicales pour
l’accompagnement de fin de vie « dans la dignité ».
Dans la loi d’avril 2005, le législateur va apporter d’autres
23 Opus cité, pp. 126-128.
24 Ce n’est pas un antalgique comme la morphine qu’il aurait fallu utiliser
mais bien un sédatif anxiolytique, le midazolam. À la lecture de cet entretien on peut se demander, si comme il l’affirme ici, « il ne souffrait pas, il
était dans le coma », quelle était l’urgence à arrêter d’un coup de revolver
chimique – le chlorure de potassium – la vie de Vincent Humbert, jugé
incapable de respirer par lui-même et dont la mort allait donc survenir à
brève échéance. À moins d’avoir voulu à tout prix endosser sa mort, pour
éviter que la charge n’en pèse sur les épaules de sa mère.
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
réponses, plus complexes, certes, mais plus satisfaisantes,
tant pour le patient et son entourage que pour les équipes
soignantes en charge de leur mise en œuvre. Les médecins
vont ainsi avoir l’obligation d’accompagner les malades et
leurs familles durant le temps de « laisser mourir » qui ne
devra jamais être celui du « faire mourir ».
Marie Humbert : les ressorts classiques de la tragédie
Quand aux mécanismes qui sous-tendent l’affaire
« Marie Humbert », ils sont d’une nature encore différente.
Il s’agit, comme dans la tragédie grecque, de mettre en
scène les drames de la destinée humaine, en faisant appel
à l’émotion du spectateur, plus qu’à sa raison.
Ainsi, comment ne pas évoquer à son propos, le mythe
de Médée, poussée par les circonstances à sacrifier ses
enfants. Ce n’est pas tant la Médée du latin Sénèque qui
nous intéresse ici, mais la version plus ancienne du grec
Euripide. En effet, dans la tragédie latine, elle est dépeinte
comme principalement animée par sa blessure narcissique
de femme bafouée. Jason, le père de ses enfants, héros de
l’épopée des Argonautes, la répudie pour une autre femme
plus jeune, et d’un rang social plus favorable à ses intérêts.
Elle va alors choisir de tuer, en un sanglant sacrifice, les
enfants qu’elle a eus avec Jason, pour se venger et faire
souffrir le mari volage. Mais la Médée d’Euripide s’inquiète
également pour le sort de ses enfants. Elle craint que ceuxci ne se retrouvent parias, exilés, après le remariage de leur
père qui leur préférera sans doute les enfants nés de sa
nouvelle couche. Cette mère, possessive et fusionnelle, ne
peut accepter la déchéance sociale de ses enfants (la perte
de leurs dignités au sens grec), du fait des aléas de la vie.
Prise par sa folie passionnelle, épuisée par le tourbillon des
événements qu’elle ne contrôle pas, c’est donc au motif de
« sauvegarder leur dignité » qu’elle va choisir de les sacrifier.
On laisse le lecteur voir en quoi cette version grecque nous
interpelle dans ce contexte particulier25.
25 Les psychanalystes ont beaucoup travaillé sur des situations similaires
à ce thème mythologique. Voir par exemple : Depaulis Alain, Le complexe
de Médée - Quand une mère prive le père de ses enfants, Boeck, 2008.
39
40
Ce qui a déclenché la procédure législative
Marie Humbert nous a bien été présentée, dans cette
dramaturgie moderne, dans la situation d’avoir à choisir
de provoquer la mort de son fils plutôt qu’accepter sa
déchéance. Elle aurait agi pour défendre ce qui représentait
pour elle les intérêts de celui-ci. « Puisque Vincent
réclamait la mort, c’était bien à moi, qui lui ait donné la vie
de la lui retirer » a-t-elle expliqué à tous ceux qui voulaient
l’entendre. Applaudissant à ce sophisme, le grand public
entame alors, sous la houlette du coryphée moderne que
sont les mass-médias, les louanges de son courage ! Elle
s’impose comme un personnage emblématique d’une
moderne (mais éternelle) tragédie mobilisant l’émotion
de toutes les mères, légitimement bouleversées par sa
tragique destinée. Fragile et émouvante, Marie Humbert
a ainsi incarné la Mater Dolorosa moderne d’une Pietà
revisitée. Elle utilise les médias comme une forme de
résilience et elle est utilisée par eux pour produire de
l’émotion à bon compte.
Mais, revers de la médaille, son statut d’icône médiatique
la transforme, pour l’opinion publique, en une référence
morale. Elle devient une sorte d’oracle, dont les sentences
concernant les situations dramatiques dont elle était une
des victimes, s’imposent sans discussion possible26. C’est ce
qu’avaient bien pressenti les partisans d’une légalisation
de l’euthanasie qui ont trouvé en elle un porte-parole aussi
idéal qu’inespéré27.
Il aurait été sacrilège alors (et peut-être l’est-ce encore
aujourd’hui ) d’oser s’attaquer à la totale vacuité de son
discours et à ses incohérences itératives. Ainsi elle a déclaré
être opposée à toute euthanasie tout en réclamant qu’une
loi (portant le nom de son fils, évidemment) autorise le
« geste d’exception » qu’elle avait commis. Invoquant
régulièrement cette notion d’exception d’euthanasie,
elle semble n’avoir jamais pris réellement connaissance
26 Elle sera ainsi très présente dans les médias lors du procès de Périgueux en 2007, ou à propos de l’affaire Sébire en 2008, cf. plus loin.
27 Une première tentative avec Christine Malèvre, l’infirmière de Mantes‑la‑Jolie, qui achevait ses malades sans leur demander leur avis, ne
s’étant pas avérée efficace.
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
des subtilités de l’avis 63 du Comité consultatif national
d’éthique, qui a mis en avant ce concept. Elle n’en a
visiblement retenu qu’une exégèse simplificatrice. Si elle
a confié avoir eu le sentiment d’être manipulée par les
partisans d’une légalisation de l’euthanasie28, elle a ensuite
démenti ses propos. Elle a servi de caution et de symbole à
l’association Faut qu’on s’active dont le rôle exact au profit
de la carrière politique de son principal animateur reste
à étudier. Prise dans la frénésie émotionnelle générée
par ses interventions, plusieurs centaines de milliers de
citoyens ont signé une pétition en faveur d’une loi Vincent
Humbert29.
L’enquête judiciaire s’est terminée en février 2006,
pour Marie Humbert comme pour le Dr Chaussoy, par
une ordonnance de non-lieu. Mais les termes exacts de
l’ordonnance de la juge d’instruction Anne Morvan n’ont pas
fait l’objet d’explications complètes pour le grand public.
Aurait-il donc été gênant de faire savoir ce qu’elle concluait
à propos de l’égérie de la légalisation de l’euthanasie ?
Aurait-il été contre-productif à la cause qu’elle incarnait
qu’elle y soit, par exemple, décrite comme « atteinte d’une
dépression majeure mélancoliforme confirmée par le
médecin psychiatre » et sous l’emprise, contrairement à
ses dénégations « d’un traitement médical lourd composé
d’un anti épileptique, d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et
d’un somnifère » et qu’ainsi « elle se trouvait au moment
des faits privée de son libre arbitre » ?
Dans son article du 1er mars 2006, le journal Le Monde
donne bien de courts extraits de cette ordonnance, mais
ceux-ci semblent renforcer l’idée que la juge d’instruction
comprend, si ce n’est approuve, la décision de cette mère
ne faisant qu’obéir à son fils.
28 Entretien accordé au journal Le Parisien, le 6 mars 2007 : « Je me suis
rendu compte que j’avais été manipulée, pour défendre une cause qui me dépassait. L’impact médiatique était tel que j’étais dépassée par la situation. »
29 Présentée à l’occasion du premier anniversaire de la tentative d’empoisonnement de Vincent Humbert par sa mère, le 24 septembre 2004.
La première signataire de la proposition de loi fut évidemment … Marie
Humbert. Analyse de cette « Loi V. Humbert », dans le dernier chapitre.
41
42
Ce qui a déclenché la procédure législative
Ce n’est qu’à la lecture du texte exhaustif de l’ordonnance
de non-lieu, qui a circulé « sous le manteau »30 que l’on
comprend la colère de Marie Humbert face à cette décision
de justice. Officiellement elle explique que cela la prive de
l’acquittement médiatique qui lui était promis, devant le
jury populaire d’une cour d’assises forcément acquis à sa
cause (curieuse conception de la justice). Elle fait cette
étonnante déclaration : « J’avais fait une chose qui était
hors-la-loi, je devais être punie. Et maintenant voilà : ils
disent non-lieu. Ils veulent se débarrasser de la chose. »
En fait, il semble que si les motifs explicites de ce
non-lieu étaient portés à la connaissance du public,
cela constituerait une atteinte inacceptable pour l’icône
qu’elle a décidé d’incarner. Loin d’une mère-courage, c’est
une femme seule, épuisée, dépressive, dépassée par les
événements et la volonté tyrannique d’un fils lui imposant
cette terrible épreuve, que la justice décide de ne pas
poursuivre pour ne pas l’accabler davantage. Comme le
souligne fort justement le communiqué de l’ADMD31 « cette
ordonnance de non-lieu, avec ses motivations scandaleuses,
jette le plus total discrédit sur le combat mené par Vincent
Humbert et relayé par sa mère ». C’est parfaitement vrai, et
on ne saurait mieux dire. Mais, heureusement pour Marie
Humbert et l’ADMD, malheureusement pour les amateurs
de vérités, ce texte n’est donc pas public.
Il est intéressant de revenir sur les mécanismes
médiatiques qui sous-tendent cette affaire. On y retrouve
des ingrédients similaires à ceux mis en œuvre dans les
émissions dites de téléréalité. D’une part des velléités
individuelles expiatoires mettent en jeu des phénomènes
de résilience. D’autre part, une récupération de ces
situations permet de délivrer un « prêt à penser » via
des solutions simplistes. Ce qui compte ici, n’est pas la
30 Protégée par le respect de la vie privée, elle n’est pas officiellement
disponible.
31 Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, indéfectible
soutien de tout ce qui concourt à une légalisation de l’euthanasie et du
droit au suicide. Communiqué publié à propos du non-lieu dans l’affaire
Humbert-Chaussoy.
3. Ce qui a déclenché la procédure législative
profondeur du raisonnement ou sa valeur, mais sa capacité
à être immédiatement adopté comme une évidence par
la « ménagère de moins de cinquante ans », chère aux fils
de pub.
À ce propos, il est intéressant de rappeler ce que
déclarait en 2004 Patrick Le Lay, P.D.G. de TF132 :
Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que
le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions
ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le
divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages.
Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau
humain disponible (...). Rien n’est plus difficile que d’obtenir
cette disponibilité. Il faut chercher en permanence les
programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les
tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se
multiplie et se banalise. Là encore, on ne peut qu’évoquer la similitude entre le
rôle du coryphée, chef du chœur dans la tragédie grecque,
et celui des médias dans ces tragédies modernes du
quotidien que nous racontent les grand- messes du JT.
C’est donc fort logiquement que la société de
production de Christophe Dechavanne a acheté les droits
de cette histoire pour en tirer un téléfilm hagiographique
appartenant au genre dit docu-fiction, mêlant habilement
réalité et réécriture des faits. Il s’agit bien de boucler la
boucle. « Marie Humbert, l’amour d’une mère », diffusé à
une heure de grande écoute sur TF1, va permettre d’inscrire
dans notre mémoire collective une histoire débarrassée de
tout ce qui pourrait jeter un trouble dans la démonstration.
Ainsi le mythe viendra se substituer définitivement à la
réalité qui en est à l’origine.
L’analyse sans concession de l’affaire Marie Humbert
n’enlève rien, bien au contraire, au respect dû à sa
souffrance, encore sûrement bien vive aujourd’hui. Il n’est
pas sacrilège, cependant, de rappeler que cette souffrance
32 Interrogé parmi d’autres patrons dans le livre Les dirigeants face au
changement, Éditions du Huitième jour, 2004.
43
44
45
Ce qui a déclenché la procédure législative
n’est ni plus ni moins respectable que celle de tant de
femmes et d’hommes, touchés eux aussi par d’horribles
tragédies de la vie quotidienne.
Chacun à leur façon, les trois acteurs principaux de la
tragédie ont donc contribué à l’émergence des questions
auxquelles la loi d’avril 2005 va répondre. Le personnage de
Vincent Humbert a permis de poser celle de la nécessaire
prééminence de l’avis du patient sur ce qui constitue
une obstination déraisonnable, par rapport à l’avis des
médecins. Celui du Dr Chaussoy a conduit à une réflexion
sur la complexité des procédures à mettre en œuvre pour
prendre une décision d’arrêt de l’obstination déraisonnable
quand le patient n’est plus en situation d’en juger par
lui-même, ainsi que sur les conditions de mise en œuvre
pratique de telles décisions, dans le respect de la dignité
ontologique du patient. Enfin, il est probable que, sans le
personnage de Marie Humbert, ces questions n’auraient
pas suscité des approches législatives aussi précises (en
tout cas sûrement pas dans un délai aussi rapproché).
4. Comprendre les principes de la loi
d’avril 2005
Penser est facile, agir est difficile,
mais agir selon sa pensée
est ce qu’il y a au monde de plus difficile.
Léonard de Vinci
46
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
C’est dans le contexte si particulier des affaires Humbert,
qu’a été constituée en 2003 la mission d’information
parlementaire sur l’accompagnement de fin de vie. La
présidence en est confiée à Jean Leonetti, médecin
cardiologue et député-maire d’Antibes. Entre 2003 et 2004,
cette commission, qui rassemble une trentaine de députés
de tous horizons politiques, va travailler, auditionner et
finalement faire une proposition de loi. Celle-ci va être
adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, puis par
le Sénat, pour être promulguée le 22 avril 2005.
Comme nous le verrons, la loi a tenté de trouver
des réponses sages aux questions cruciales posées par
l’acharnement thérapeutique et les modalités de décision et
de mise en œuvre des limitations ou arrêts de réanimation.
Elle a, par défaut, répondu négativement à la demande de
reconnaissance d’un droit au suicide, posée par Vincent
Humbert. Par ailleurs, et malgré la pression médiatique,
elle a su éviter l’écueil de vouloir répondre à une situation
particulière pour poser le cadre d’une approche originale,
celle du double refus du « faire mourir » et du « laisser
crever »33.
La loi rend l’acharnement thérapeutique illégal
Face à l’émoi médiatique, les parlementaires se sont
attachés à traiter ce qui apparaît en fait comme la principale
raison de la crise de confiance couvant entre les citoyens
et le monde médical : la crainte de subir un acharnement
thérapeutique.
Ce qui dans les enquêtes d’opinion semble
principalement justifier la volonté d’une loi permettant
« de choisir sa mort » est bien la crainte de devenir un
cobaye sans défense, victime de médecins préoccupés
par d’autres motivations que l’intérêt du malade : celui
de la Science par exemple. C’est peut-être une séquelle
inattendue des horreurs pratiquées par les médecins nazis
33 Cf. Leonetti J., Laisser mourir, ce n’est pas laisser crever, paru dans
Libération, les 6 et 7 septembre 2008.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
utilisant sans vergogne le « matériel humain » mis à leur
disposition pour faire « avancer la science »34. Chacun
sent confusément que ce risque de dérives existe. C’est
bien à la loi de protéger le citoyen d’éventuels dérapages
de médecins se prenant pour des apprentis sorciers
(repensons au conte du prologue). Sans aucun doute
ce sont là des dérives injustifiables qui ont conduit nos
concitoyens à un sentiment de méfiance vis-à-vis de ceux
qui, pourtant, sont chargés de veiller sur leur santé.
Certes, le Code de déontologie médicale prohibe depuis
longtemps ce qu’il nomme obstination déraisonnable. Ce
terme est d’ailleurs plus exact que celui d’acharnement
thérapeutique, retenu par le langage courant. Stricto sensu
c’est bien ce qu’on attend du médecin, que de s’acharner à
traiter, et de ne pas abandonner trop vite le combat contre
la maladie et ses symptômes, si elle peut-être guérie ou
s’ils peuvent être soulagés. Par contre s’obstiner au-delà du
raisonnable, ne plus utiliser l’outil de la raison pour fixer
les bornes de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas
faire, oublier l’intérêt du patient au profit d’autres intérêts
(fussent-ils en apparence aussi nobles que l’avancée de la
science) voilà ce que chacun ne veut pas voir mis en œuvre,
ni pour lui-même, ni pour ses proches.
C’est à propos de cette obstination déraisonnable que
la loi va créer, de fait, un droit et un devoir. Il s’agit pour les
patients du droit à ne pas subir d’obstination déraisonnable
et pour tous les professionnels de santé du devoir de ne
pas faire subir d’obstination déraisonnable aux patients
dont ils ont la charge.
C’est bien autour de ce double concept, de droit de ne
pas subir et de devoir de ne pas faire subir, que doit se faire
la lecture de l’esprit de cette loi. Les différents dispositifs
mis en place ne vont faire qu’en permettre l’application
pratique. En effet, une fois énoncé le principe, il reste
à déterminer, concrètement, ce qui est du domaine de
l’obstination déraisonnable (et donc interdit) et ce qui n’en
34 Lire par exemple : Bonah C., Danion-Grillat A., Off-Nathan J.,
Schappacher N., Nazisme, Science et Médecine, Éditions Glyphe, 2006.
47
48
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
est pas (et donc non seulement autorisé mais attendu).
La loi crée35 par ailleurs un autre droit pour celui qui
meurt, et donc un autre devoir pour les professionnels de
santé, celui de la sauvegarde de la dignité et de l’accès à un
accompagnement.
Article L 1110-5 du Code de Santé Publique : la loi de
2005 y introduit le droit à ne pas subir d’obstination
déraisonnable et à la sauvegarde de la dignité du mourant.
Toute personne a, compte tenu de son état de santé
et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le
droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et
qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard
des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état
des connaissances médicales, lui faire courir de risques
disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces
actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination
déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être
entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité
du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les
soins visés à l’article L 1110-1036.
La fin définitive du paternalisme médical :
c’est le malade qui décide.
La loi donne un principe général en précisant que sont
visés par le terme d’obstination déraisonnable les actes
de soins qui « apparaissent inutiles, disproportionnés ou
n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la
vie ».
35 Ou plus exactement réaffirme, puisqu’il a été, de fait, créé par l’article 1
de la loi de 1999 sur les soins palliatifs.
36 Définissant les soins palliatifs, cf. plus loin.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
L’obstination déraisonnable concerne donc les
soins dont l’utilité n’est pas démontrée37. Sa définition
fait également référence à une notion fondamentale :
la proportionnalité. Il s’agit de la proportion entre le
bénéfice attendu et le risque encouru par l’utilisation
d’un traitement. Ainsi, si la possibilité de guérison est
infime mais que les risques générés sont majeurs, alors
le traitement est disproportionné. Enfin cette définition
englobe la complexe question du maintien artificiel de la
vie, posant ainsi la question des limites entre le « naturel »
et « l’artificiel », faisant une référence à la distinction faite
notamment par de nombreux théologiens catholiques
entre les moyens thérapeutiques ordinaires (naturels ?) et
les moyens extra-ordinaires (artificiels ?).
S’en tenant à des grands principes, le législateur a
fort sagement évité l’écueil d’un impossible inventaire
de l’ensemble des gestes, actes, traitements pouvant
constituer en fonction de la situation, une obstination
déraisonnable.
Un tel catalogue aurait été bien entendu aussi inopérant
que vain et obsolète, avant même sa validation !
C’est un autre choix qui a donc été fait : celui de ne
confier ni aux législateurs, ni aux médecins, le soin de
tracer la frontière entre raisonnable et déraisonnable. C’est
en dernier recours au patient de décider ce qui est, pour
lui-même, une obstination déraisonnable.
Ce choix s’inscrit dans la suite logique de la Loi de
juin 1999, confirmée par la Loi de mars 2002 sur les droits
des patients. Il s’agit en fait de la mise en œuvre d’un
principe éthique fondamental : le principe d’autonomie. Le mieux placé pour décider de ce qu’il convient de
décider à son propos, c’est le patient lui-même. Cette
évidence fut longtemps contestée par le paternalisme
médical. Le médecin considérait le malade comme un père
37 Les Anglo-Saxons utilisent le terme de « futilities » pour désigner les
traitements déraisonnables.
49
50
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
considère son jeune enfant : incapable de discerner ce qui
est bon pour lui en raison de son immaturité. Inutile donc
de l’informer, ni de lui demander son avis. Le médecin,
garant de la défense de son intérêt, était bien mieux placé
pour prendre les « bonnes décisions ».
La méthode retenue par la loi pour décider ce qui est
ou pas de l’obstination déraisonnable signe donc la fin
définitive, en droit, de ce paternalisme médical. Ce n’est
pas le moindre de ses mérites, même si ce fait est passé
relativement inaperçu.
Ainsi sont reconnues les singularités de chaque
patient, et de chaque situation. Deux patients, atteints
d’une pathologie grave mettant en jeu identiquement
leur pronostic vital, et confrontés à la même proposition
thérapeutique par leur médecin, peuvent faire deux choix
opposés. L’un peut accepter le traitement qui va peut-être
le sauver, au prix d’un risque auquel il consent (et dont il
doit donc être parfaitement informé). L’autre, considérant
qu’il s’agit pour lui d’une obstination déraisonnable, peut
demander à son médecin de l’arrêter ou de ne pas le
mettre en œuvre.
L’application du principe d’autonomie, retenu pour
décider ce qui est de l’obstination déraisonnable dans une
situation donnée, est facile à mettre en œuvre lorsque le
patient est capable d’exprimer son avis. Il suffit de le lui
demander ! Ainsi la loi va élargir le droit de la personne
malade, qui pouvait déjà s’opposer à toute investigation
ou thérapeutique38, au droit de refuser ou d’interrompre
tout traitement même si cela met sa vie en danger39. Le
corollaire évident à ce droit au refus de tout traitement est,
bien sûr, que le malade soit clairement informé de ce qu’on
va lui faire. Finies donc (en théorie du moins) les pratiques
scandaleuses (et pourtant pas si exceptionnelles) où
l’équipe médicale camouflait les traitements entrepris ;
soit par défaut ( Ne vous inquiétez pas je vous fais un petit
38 Depuis la loi de 99, article 1er .
39 Article 3 de la loi de 2005, modifiant le paragraphe 2 de l’article
L 1111- 4.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
traitement préventif pour éviter que votre maladie ne dégénère
en cancer ), afin d’éviter d’annoncer une chimiothérapie
musclée ; soit par excès (utilisation de placebo à la place
de morphine) 40.
En bref, si la question se pose d’une situation
potentiellement apparentée à une obstination
déraisonnable pour un patient capable d’exprimer son avis,
il convient simplement de lui poser la question directement.
Après les explications nécessaires, soit il consent à ce qui
lui est proposé, soit il s’y oppose, considérant qu’il s’agit
pour lui d’un « acharnement thérapeutique ».
Que faire quand un patient n’est pas capable de
décider pour lui-même ?
Par contre la question devient particulièrement
complexe lorsque le patient n’est pas, ou plus, en capacité
de déterminer ce qui est, pour lui et dans le contexte
donné, une obstination déraisonnable. La loi détaille donc
les procédures à suivre pour recueillir cet « avis putatif ».
Plusieurs possibilités s’offraient au législateur pour tenter
de régler ces délicates situations.
Il aurait été possible de considérer – comme le font
souvent à tort les équipes médicales – que, par délégation
implicite, c’est « à la famille » que revient la décision si le
malade ne peut pas s’exprimer (voire lorsque l’on ne veut
pas lui demander son avis !). Il faut d’abord réaffirmer avec
force qu’il n’est pas acceptable de faire peser une telle
décision sur l’entourage au risque grave de générer une
culpabilité ultérieure insurmontable pour des proches
que l’on aurait ainsi investi d’un véritable droit de vie ou
de mort41. Dans quel ordre de prééminence classer les avis
contradictoires d’enfants entre eux, celui de parents contre
40 Ou pratiques de fausses chimiothérapies : perfusion de sérum glucosé
en faisant croire à un patient qu’il s’agit d’un produit anticancéreux pour
éviter d’avoir à lui annoncer que, sa maladie étant trop évoluée, il n’est
pas possible de lui faire subir le traitement initialement prévu.
41 Rappelons-nous la tragédie de Hyllos, dont son père lui annonce : « tu
es mon seul médecin » le chargeant ainsi d’une trop lourde responsabilité.
51
52
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
celui d’un conjoint, celui d’une femme légitime, mais
délaissée depuis dix ans contre celui d’une compagne,
partageant elle la vie du malade depuis la même durée ?
L’exemple de l’affaire Terri Schiavo aux USA a montré la
profondeur possible des discordes entre un mari et des
parents42.
Même la question de savoir qui constitue la « famille »
pose des problèmes aussi complexes qu’insurmontables.
La notion de « famille » est devenue suffisamment floue
dans notre société actuelle pour ne plus permettre
efficacement l’identification de personnes ressources
capables de représenter « à coup sûr » l’avis d’un patient
incapable de l’exprimer directement.
L’impasse de la délégation implicite, s’avérant évidente,
restait donc l’hypothèse de la délégation explicite. Il s’agit
pour un patient de désigner par avance celui qu’il charge
de représenter ses intérêts en matière de décision sur sa
santé s’il en est empêché. Cette procédure permet d’être
certain de la volonté du patient de confier à la personne
désignée une forme de délégation de décision. C’est la
piste retenue par la loi d’avril 2005, tout en pondérant la
portée de cette délégation. Le législateur a souhaité que
ce soit un simple avis qui soit demandé à la personne
de confiance désignée43 par le patient et non pas une
décision, à la différence de certains états des États‑Unis
42 Terri Schiavo a été victime d’un arrêt cardiaque prolongé, en raison
de troubles métaboliques liés à des troubles alimentaires (boulimie/
anorexie). Cet arrêt cardiaque a engendré une atteinte cérébrale qualifiée d’état irréversible. Son mari demandait que l’on cesse de l’alimenter
artificiellement alors que ses parents, catholiques fondamentalistes, s’y
opposaient.
À l’issue d’un conflit très largement médiatisé et de différentes péripéties
juridico-politiques, elle est finalement décédée en 2005, après l’arrêt de
la nutrition médicalement assistée.
Voir le site www.collection-omega.fr
43 La loi de mars 2002 sur les droits des patients avait créé cette notion
de personne de confiance désignée par le patient, par exemple pour l’accompagner lors des consultations.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
où le « surrogate44 » prend une décision qui s’impose aux
médecins (au même titre que la décision que peut prendre
le patient lui-même). Comme on va le voir, l’avis exprimé
par la personne de confiance va être important, mais n’aura
pas le même poids que l’avis du patient lui-même.
En effet, l’esprit de la loi est de renvoyer à la seule
personne directement concernée, et au moment où elle
est concernée, l’avis sur le caractère déraisonnable ou non
de la procédure proposée. Si elle en est empêchée, il faudra
tenter de constituer un faisceau de présomptions afin de
s’approcher au mieux de ce qu’aurait été sa décision si elle
n’en était empêchée au moment opportun.
Ce faisceau de présomptions va s’appuyer (par ordre
croissant d’importance) :
• Sur l’avis de la famille et des proches ;
• Sur l’avis de la personne de confiance éventuellement désignée ;
• Sur d’éventuelles consignes concernant les conditions de limitation ou d’arrêt de traitements, rédigées
avant que son état actuel ne le rende incapable d’exprimer
sa décision.
C’est à l’issue de cette procédure que le médecin traitant
(c’est-à-dire le médecin en charge du patient lorsque se pose
la question d’un éventuel acharnement thérapeutique) est
chargé de respecter deux impératifs complémentaires :
• L’interdiction de poursuivre une situation
d’obstination déraisonnable ;
• Le respect de ce qu’aurait été la décision du patient
s’il avait été en capacité d’exprimer sa décision telle qu’elle
a pu être approchée par l’ensemble des éléments de
présomptions recueillis.
Pour prendre sa décision il devra recueillir l’opinion
de tous les autres professionnels de santé impliqués dans
la prise en charge : c’est l’étape de concertation. Puis il
44 Issu du latin surrogatus, participe passé de surrogare, choisir à la place
d’un autre.
53
54
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
disposera de l’avis motivé d’au moins un (et si besoin
deux) collègues médecins : c’est la procédure collégiale
proprement dite.45
Deux questions préalables à poser face à une
situation potentielle d’obstination
déraisonnable.
Face à une situation éventuelle d’obstination
déraisonnable, il convient de se poser deux questions
préalables, à la fois pour déterminer si cette situation entre
bien dans le champ d’application de la loi de 2005 et pour
choisir les modalités adéquates de prise de décisions.
1. Le patient concerné est-il dans une problématique
de maintien artificiel en vie ou dans une phase avancée ou
terminale d’une pathologie grave et incurable ?
2. Le patient est-il en capacité de donner son avis
sur le caractère déraisonnable ou non de la procédure
thérapeutique en question ?
En effet le champ d’application de la loi, porte, non pas
sur l’ensemble du champ de la décision médicale, mais
uniquement sur une des deux situations concernées par la
première question.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les procédures
sont différentes selon que la malade est, ou non, hors
d’état d’exprimer sa volonté.
Si le patient est en état d’exprimer sa décision sur le
caractère déraisonnable du traitement proposé, cette
décision doit être respectée.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
Phase avancée ou terminale ou maintien artificiel en
vie ?
La notion de phase avancée ou terminale d’une
affection grave et incurable n’est pas forcément aussi facile
à caractériser qu’il y paraît. S’il est clair que le rhume n’en
fait pas partie, et que la phase agonique d’un cancer en
fait évidemment partie, il reste des zones d’application
discutables. Il est raisonnable d’utiliser comme repère pour
définir la possibilité de survenue du décès à moyen terme
(quelques semaines) ou à court terme (quelques jours et a
fortiori quelques heures). Un délai de plusieurs mois, voire
de plusieurs années, ne correspond pas à cette définition.
Toutes les études entreprises ont montré l’incapacité des
médecins à prédire exactement ce délai46. Cette échelle
de grandeur – heures, jours, semaines, mois, années – a le
mérite d’être la moins irréaliste quand à sa fiabilité.
La notion de maintien artificiel en vie peut également
faire l’objet de questionnements complexes. Il est
raisonnable de considérer qu’il s’agit de patients qui, en
raison de la défaillance d’une (au moins) de leurs fonctions
vitales ne pourraient survivre si des techniques médicales
de suppléance de cette fonction vitale défaillante ne leur
étaient pas assurées. Ces techniques de « réanimation »
portent par exemple sur la fonction respiratoire (le malade
ne peut plus respirer seul), la fonction alimentaire (le
malade ne peut plus ingérer des aliments), etc. Le maintien
de la technique de suppléance assure le maintien artificiel
en vie. L’arrêt de la technique de suppléance conduit à ne
plus maintenir artificiellement en vie (et donc à laisser le
malade mourir « naturellement »).
En état d’exprimer sa volonté ?
Si le malade est jugé « hors d’état d’exprimer sa
volonté », une procédure spécifique devra être entreprise
pour tenter de déterminer ce qu’aurait été sa décision s’il
avait été en état de l’exprimer.
La notion de patient « hors d’état d’exprimer sa
volonté » mérite également une attention particulière.
Entre le patient parfaitement conscient (capable donc
d’exprimer sa volonté) et le patient dans un coma végétatif
(et donc parfaitement incapable d’exprimer sa volonté) il
45 Cf. plus loin la mise en œuvre pratique de ces dispositions.
46 Ce que les Anglo-Saxons formulent ainsi : withholding or withdrawing.
55
56
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
existe une multitude de situations intermédiaires. Ainsi,
s’il est raisonnable de considérer le patient totalement
dément comme incapable d’exprimer sa volonté,
comment considérer l’avis exprimé par un patient
psychiatrique, pour lequel il est possible d’avancer que
son jugement est altéré par sa pathologie mentale ?
Comment considérer si le patient en phase précoce d’une
pathologie neurodégénérative de type Alzheimer est
hors d’état d’exprimer sa volonté ? La notion de capacité
à exprimer sa volonté ne fait pas seulement appel à une
capacité physique mais surtout à une capacité cognitive,
intellectuelle. Cette marge d’appréciation est à la fois
salutaire (il serait inquiétant que la loi renvoie à une
définition précise de ce qu’est l’état d’exprimer sa volonté)
mais aussi problématique. À l’évidence il s’agit d’une
possibilité (d’un pouvoir ?) laissée aux médecins de ne pas
mettre en œuvre une décision de limitation ou d’arrêt de
traitements réclamée par le patient.
Il suffirait de considérer que celui-ci étant « hors
d’état d’exprimer sa volonté », l’obligation de respecter
sa décision ne s’applique pas. Il est donc sage d’examiner
avec une grande prudence, et dans le cadre de discussions
pluridisciplinaires, les situations limites de ce type, pour
éviter toute dérive permettant au « pouvoir médical » de
reprendre le dessus sur la volonté du patient.
Des modalités de décisions qui varient selon les
réponses
Les modalités à suivre pour envisager la limitation ou
l’arrêt de telles procédures d’obstination déraisonnable
dépendent donc surtout de la capacité du patient à
exprimer son avis. Elles sont par contre relativement
similaires en fonction du contexte (maintien artificiel en
vie, ou phase terminale d’autre part), mais répondent à des
articles différents de la loi.
L’article L 1111-4 concerne l’ensemble des patients
(donc non spécifiquement en fin de vie). Ce sont les
paragraphes 1 (patient capable d’exprimer sa volonté) et
4 (personne hors d’état d’exprimer sa volonté) qui nous
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
intéressent ici tout particulièrement. Le texte intégral des
paragraphes de cet article concernant la problématique
de l’obstination déraisonnable est reproduit ci-dessous.
Les articles L 1111-10 et L 1111-13 traitent spécifiquement de l’expression de la volonté des malades en
fin de vie en ce qui concerne les situations d’obstination
déraisonnable. Ils détaillent la procédure selon que le
patient est capable de décider pour lui-même (L 1111-10)
ou non (L 1111-13).
Paragraphes de l’article L 1111-4 du Code de Santé
Publique concernant la problématique générale de
l’obstination déraisonnable
§ 1 Le médecin doit respecter la volonté de la personne
après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la
volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout
traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps
médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans
son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du
mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant
les soins visés à l’article L 1110-10.
§ 2 Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut
être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la
personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
§ 3 Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être
réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L 1111-6, ou la famille, ou
à défaut, un de ses proches ait été consulté.
§ 4 Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de
57
58
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale47 et sans que la personne de confiance48
prévue à l’article L 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de
ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées49 de
la personne, aient été consultés. La décision motivée de
limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.
§ 5 Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à
exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le
cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de
l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des
conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.
Article L1111-10 du Code de Santé Publique
Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit
la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le
médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des
conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la
dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en
dispensant les soins visés à l’article L 1110-10150.
Article L1111-13 du Code de Santé Publique Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause,
est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation
artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté
la procédure collégiale définie par le code de déontologie
médicale et consulté la personne de confiance visée à l’ar47 Cf. plus loin le chapitre sur ce sujet.
48 Idem
49 Idem
50 Cf. note 26
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
ticle L 1111-6151, la famille ou, à défaut, un de ses proches
et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne.
Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la
qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-10152.
Les quatre situations envisagées par la loi
Situation 1 : Patient en situation de maintien artificiel
en vie par un traitement et en capacité de le refuser
C’était le cas par exemple de Vincent Humbert, présenté
comme parfaitement conscient53 et qui devait son maintien
en vie à différentes méthodes thérapeutiques que l’on peut
qualifier sans aucun doute d’artificielles. C’est le cas de
certains patients atteints de maladies neurodégénératives
en phase avancée (au premier rang desquelles la maladie
de Charcot54 ou SLA - Sclérose Latérale Amyotrophique).
Certains de ces patients sont, ou peuvent devenir,
dépendants d’un appareil respiratoire pour survivre, du
fait de leur incapacité à respirer seuls. D’autres sont, ou
peuvent devenir, dépendants de techniques de nutrition
médicalement assistée du fait de leur incapacité à déglutir
seuls les aliments. Mais leurs capacités cognitives sont
parfaitement conservées et ils restent en capacité d’émettre
un avis sur ce qu’ils considèrent pour eux-mêmes comme
une obstination déraisonnable.
Dans toutes ces situations où le maintien en vie
dépend d’une méthode artificielle de maintien en vie
51 Cf. plus loin le chapitre sur la personne de confiance.
52 Cf. note 26.
53 Tout en considérant la possibilité évoquée par ceux qui le prenait
en charge de l’existence d’un syndrome frontal, susceptible d’altérer en
partie son discernement.
54 Les Américains l’appellent la maladie de Lou Gehring du nom d’un
célèbre joueur américain de base-ball décédé en 1941 et qui en fut
victime.
59
60
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
par la substitution thérapeutique d’une fonction vitale
défaillante, ce n’est pas la technique qui constitue
l’obstination déraisonnable mais le refus du patient de
poursuivre sa vie dans ces conditions. Ainsi, pour deux
patients atteints de SLA et dans la même situation de
dépendance d’un appareil d’assistance respiratoire, l’un
se jugera dans une situation d’obstination déraisonnable
(et demandera qu’elle cesse) tandis que l’autre souhaitera
poursuivre sa vie le plus longtemps possible grâce aux
progrès de la technique médicale. La loi ne tranche en
aucun cas sur le bien fondé de ces deux positions, et se
contente d’affirmer le droit de chacun des deux à voir sa
volonté respectée.
Situation 2 : Patient en situation de maintien artificiel
en vie par un traitement et incapable d’exprimer son
opinion
C’était la situation d’Hervé Pierra, sur laquelle on
reviendra plus loin. Il a été maintenu en vie dans un coma
végétatif durant plusieurs années après que son cerveau
a été privé d’oxygène suite à une tentative de suicide
par pendaison. C’était aussi la situation de Terry Schiavo
ou celles d’Eluana Englaro en Italie55. C’est une situation
malheureusement non exceptionnelle qui peut concerner
par exemple des patients en état végétatif ou pauci
relationnels, après un traumatisme crânien, une anoxie
cérébrale, un accident vasculaire, etc.
La plupart de ces patients se retrouvent dans cet état à
la suite de soins qui ont permis leur maintien en vie. Pour
rester en vie ils doivent donc notamment bénéficier d’une
nutrition médicalement assistée. Pour certains de ces
patients (mais c’est loin d’être le cas pour tous) peut alors se
poser la question de savoir si cette nutrition médicalement
assistée permettant le maintien artificiel en vie, représente
ou non une obstination déraisonnable. En réalité il s’agit de
savoir quelle aurait été leur décision concernant le maintien
ou non de cette technique artificielle s’ils avaient été en
capacité d’exprimer leur volonté. On a vu que la loi pose les
55 Cf. article en annexe à son sujet.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
conditions d’une éventuelle suspension de ce traitement
de maintien artificiel en vie. Mais il s’agit probablement de
la question la plus complexe posée par la problématique
de l’obstination déraisonnable. Cette question appelle des
réponses différenciées et à apprécier au cas par cas, dans le
respect des cultures, des croyances (ou des non-croyances)
de chacun. Nous y reviendrons au chapitre 9.
Situation 3 : Patient en phase avancée ou terminale
en capacité de refuser un traitement vécu comme une
obstination déraisonnable
C’est une situation classique par exemple en cancérologie
lorsque l’on propose à un patient en phase avancée de la
maladie, une procédure « de la dernière chance », sans
qu’on puisse garantir une guérison (opération chirurgicale
très délabrante, nouvelle chimiothérapie agressive ou
nouveau traitement expérimental). Ici encore ce ne sont
ni la loi ni les médecins qui peuvent dire ce qui est ou
non de l’obstination déraisonnable, mais chaque patient
pour ce qui le concerne. Telle procédure récusée comme
déraisonnable par l’un, sera considérée par l’autre comme
parfaitement légitime pour lui.
Par contre, il est évident qu’en cas d’obstination
déraisonnable d’un médecin, faisant subir contre son gré
à un patient telle ou telle procédure que celui-ci aurait
explicitement refusé, la justice pourrait être saisie et
sanctionner le coupable.
Situation 4 : Patient en phase avancée ou terminale
incapable d’exprimer son opinion
Il s’agit ici probablement des situations les plus
couramment rencontrées, mais qui ne font l’objet
d’aucune surexposition médiatique. Ce sont des patients
dont la mort est inéluctable à cour terme, souvent en
phase agonique et qui font parfois l’objet de manœuvres
thérapeutiques dont la seule finalité est de prolonger de
quelques heures ou de quelques jours une existence qui
prend fin. C’est par exemple cette personne âgée victime
61
62
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
d’une aggravation de son état de santé précaire et pour
qui doit être discuté l’intérêt ou non d’un transfert aux
urgences du grand hôpital voisin, qui vraisemblablement
ne pourra la sauver, mais qui, à coup sûr, ne lui offrira pas
les conditions d’une mort digne et apaisée. C’est ce patient
cancéreux en phase agonique qui ne peut plus s’alimenter
suffisamment pour se nourrir, ni boire suffisamment pour
s’hydrater, et pour qui on met en place une nutrition/
hydratation médicalement assistée. Pourtant celle-ci, n’a
pas d’autre objectif que de tenter de le maintenir peutêtre en vie un temps supplémentaire. Elle ne lui apportera
aucun confort, bien au contraire.
Parfois, on y ira jusqu’à une contention mécanique
(attacher ses mains !) pour l’empêcher d’arracher la
perfusion. Cette situation inadmissible est encore, hélas,
loin d’être exceptionnelle en ce début de XXIe siècle. Elle
provoque chez les proches une colère légitime vis-àvis de ce pouvoir médical si irrespectueux de la dignité
humaine.
Deux impératifs pour les professionnels de
santé : l’accompagnement et la transparence
« Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et
assure la qualité de la fin de vie en dispensant les soins
visés à l’alinéa L 110-10. ».
Cette phrase revient comme un leitmotiv dans la loi
d’avril 2005 (articles 1, 4, 6, 9). Dans chaque des 4 situations
envisagées, ce devoir est rappelé comme une obligation
légale faite aux médecins. Rappelons ce que dit cet article
L11110-10 ; « Les soins palliatifs sont des soins actifs et
continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en
institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur,
à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité
de la personne malade et à soutenir son entourage ».
La portée de cette obligation forte est souvent mal
connue par certains professionnels qui n’en ont pas perçu
l’importance. De nombreuses équipes médicales devraient
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
davantage avoir conscience du risque de poursuites
judiciaires qu’elles prennent en ne respectant pas cette
obligation.
Ne pas mettre en œuvre les traitements visant à
soulager la douleur, ne pas entreprendre les mesures visant
à soulager la souffrance psychique, ne pas porter une
attention particulière au respect de la dignité due à tout
être humain (y compris dans les circonstances entourant la
fin de sa vie), ne pas faire ce qui est nécessaire pour soutenir
un entourage éploré par la perte d’un être cher, représente
non seulement une conduite éthiquement inadmissible et
déontologiquement prohibée : elle constitue désormais
une conduite réprimée par la loi.
Il faudra donc probablement attendre que surviennent
des jurisprudences condamnant des équipes médicales
n’ayant pas rempli ces obligations, pour que chacun prenne
enfin conscience de l’importance de ce devoir fondamental
d’accompagner le mourant et son entourage.
Ainsi peut-on légitimement s’interroger (en tout
cas à la lecture des récits qui en ont été faits56) sur la
façon dont ont été « accompagnés » les membres de la
famille d’Hervé Pierra, dans le cadre de l’application de la
procédure d’arrêt de sa nutrition médicalement assistée. À
voir la colère et la révolte du père de ce jeune homme au
soir de sa mort, devant les caméras du JT de 20 heures de
France 2, il n’est probablement pas illégitime de considérer
que l’accompagnement réalisé n’a pas permis de « soutenir
l’entourage » de la manière la plus adaptée. Se réfugiant
avec une certaine rigidité derrière de pseudo arguments
médicaux ou légaux, les équipes soignantes cachent mal
une grande ignorance des réalités juridiques et une grande
détresse à affronter des situations complexes et délicates.
Bien sûr, ces situations, remettant en cause leurs certitudes
ou leurs convictions personnelles, génèrent chez les
56 Antonowicz Gilles, Moi, Hervé Pierra, ayant mis six jours à mourir, Éditeur
B. Pascuito, 2008. Voir également le témoignage bouleversant de ses
deux parents en 2008 devant la commission parlementaire d’évaluation.
Lien disponible sur www.collection-palliatif.fr
63
64
Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
professionnels de santé une lourde charge émotionnelle.
Néanmoins, il ne paraît pas acceptable de reporter cette
charge, de manière plus ou moins inconsciente, sur
l’entourage, pas plus évidemment que sur le malade luimême. On reviendra plus loin sur des exemples concrets
de la difficulté engendrée par certaines situations de
demandes d’arrêt de traitement de maintien artificiel en
vie.
La nécessité d’inscription des procédures suivies et des
décisions prises est l’autre constante des dispositions de
la loi d’avril 2005 (citée dans les articles 2, 4, 5, 6 et 9). Il
s’agit d’une mesure permettant la totale transparence
des décisions prises (conforme au principe kantien de
publicité). C’est aussi une façon de permettre un contrôle
a posteriori du respect des procédures légales.
En cas de doute, l’ouverture d’une instruction judiciaire
doit permettre au juge de vérifier non pas la justesse de la
décision prise, mais le respect des procédures telles que
définies par la loi.
Dans les situations où le malade est en état d’exprimer
sa volonté : Comment celle-ci a été recueillie ? Quel délai
raisonnable a été fixé pour qu’il réitère sa volonté ? etc.
Dans les situations ou le malade est hors d’état
d’exprimer sa volonté : Quelles sont les motivations
justifiant la décision prise ? Comment la procédure
collégiale a été mise en œuvre ? Comment sont motivés les
avis médicaux ? Comment s’est déroulée la concertation
pluridisciplinaire, et avec qui ? Comment s’est effectuée la
recherche des indications sur ce qu’aurait été la volonté
du patient (directives anticipées, personne de confiance,
famille et proches) ? Quelles mesures ont été prises pour
soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique,
sauvegarder la dignité, soutenir l’entourage ?57
57 Cf. par exemple en annexe la proposition d’un rapport-type lors d’une
telle procédure, permettant une traçabilité exhaustive des éléments requis.
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005
C’est bien sûr l’ensemble des traces écrites contenues
dans le dossier du patient que le juge pourra vérifier la
conformité ou la non-conformité de la procédure suivie.
Il convient donc de sensibiliser tout particulièrement les
professionnels de santé au respect de cette traçabilité.
65
67
5. La mise en œuvre pratique des
dispositions prévues par la loi
On a divers sujets de mépriser la vie,
mais on n’a jamais raison de mépriser la mort.
François de la Rochefoucauld
68
La mise en œuvre pratique
La loi de 2005 met en œuvre trois procédures
sur lesquelles il convient de revenir, pour en préciser
clairement la nature. Ces trois procédures interviennent
seulement pour permettre au médecin de répondre à
la question S’agit-il d’une obstination déraisonnable ? 58
dans les situations 2 et 4 (c’est-à-dire dans les cas où
le malade n’est pas en capacité de donner son avis59).
Dans ces situations (les plus complexes à résoudre) le
médecin devra suivre une procédure précise pour prendre
sa décision qui s’appuiera sur les directives anticipées
(élaborées par le patient avant son état d’incapacité) et
sur l’avis de la personne de confiance (désigné par le
patient avant son incapacité). Si le malade n’a pas utilisé
l’un ou l’autre moyen (ou les deux) mis à sa disposition par
la loi, cela n’empêchera pas le médecin de devoir quand
même répondre à la question. Mais ce sont des éléments
importants qui permettent au malade de faire connaître
de manière anticipée ses souhaits en matière de limitation
ou d’arrêt de traitements.
Écrire des directives anticipées
Les directives anticipées sont encadrées par les
modifications apportées par la loi de 2005 au Code de Santé
Publique (article L 1111-11) et par des textes réglementaires
issus des décrets d’application de février 2006 (R1111-17 à
20). Ils sont reproduits ci-dessous.
Les points importants à souligner sont les suivants :
Les directives anticipées portent exclusivement
sur « les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie
concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de
traitement ». Certains cantons helvétiques ont adopté
la même terminologie, mais les directives anticipées
suisses portent sur un champ beaucoup plus large (parfois
qualifié très improprement de « testament de vie » ou
58 Et donc doit-on ne pas l’entreprendre ou l’arrêter (cf. supra) ?
59 On se rappelle que si le malade peut donner son avis, le médecin est
tenu de suivre cet avis.
5. La mise en œuvre pratique
« testament biologique »). Elles sont par exemple élargies
aux volontés post-mortem et ont une portée juridique
plus forte (à l’image de la législation de certains états des
USA concernant les « advance directives60 »)
Il s’agit d’une déclaration sur papier libre, datée et
signée. Elle comporte, outre le nom et prénom, la date et
le lieu de naissance de celui qui les rédige.
Pour les patients physiquement empêchés de signer, il
existe une procédure de validation par témoins. Par contre
les mineurs et les majeurs protégés ne peuvent pas écrire
des directives anticipées « officielles ». Rien ne les empêche
toutefois d’en écrire, et rien n’empêche les médecins d’en
tenir compte.
Elles doivent être réactualisées tous les trois ans (mais
sont bien sûr modifiables ou révocables à tout moment).
Si, dans cette période de validité de trois ans, l’auteur
des directives anticipées se retrouve dans l’incapacité de
les renouveler, la notion de délai de validité de trois ans
n’est plus opposable. Imaginons par exemple un patient
ayant rédigé des directives anticipées il y a deux ans
et demi. À la suite d’un accident, il tombe dans le coma
et n’est donc plus capable de les revalider au bout des
six mois de validité restants. Dans ce cas, ses directives
resteront valables même après le délai de six mois, tout le
temps qu’il restera incapable de les modifier.
Le mode de conservation et de communication de
ces directives anticipées est très ouvert. Il est bien sûr
fortement recommandé d’en faire part au médecin qui
prend en charge le patient. Si elles sont conservées
dans un coffre dont personne ne connaît l’existence, la
probabilité qu’elles soient consultées reste faible. Il est
fortement recommandable que les établissements de
santé se renseignent systématiquement à l’admission d’un
60 Pour plus de renseignements sur les procédures américaines, consulter le site www.uslivingwillregistry.com
69
70
La mise en œuvre pratique
patient sur l’existence de directives anticipées61 afin de les
noter dans la partie du dossier spécifiquement prévue à
cet effet.
Lors de la procédure collégiale, le médecin doit
s’enquérir de l’existence de directives anticipées « auprès
de la personne de confiance, si elle est désignée, de la
famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès
du médecin traitant de la personne malade ou du médecin
qui la lui a adressée ».
Article L1111-11 du Code de Santé Publique Toute personne majeure peut rédiger des directives
anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les
souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant
les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles
sont révocables à tout moment. À condition qu’elles aient
été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience
de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la
concernant. Un décret en Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des
directives anticipées.
Article R 1111-17 du Code de Santé Publique Les directives anticipées mentionnées à l’article L 111111 s’entendent d’un document écrit, daté et signé par leur
auteur dûment identifié par l’indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance. Toutefois lorsque l’auteur
de ces directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté,
est dans l’impossibilité d’écrire et de signer lui-même le
document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance lorsqu’elle est désignée en application
de l’article L 1111-6, d’attester que le document qu’il n’a
pu rédiger lui-même est l’expression de sa volonté libre et
éclairée. Ces témoins indiquent leur nom et qualité et leur
attestation est jointe aux directives anticipées. Le médecin
61 En même temps, par exemple, qu’ils remplissent cette obligation légale pour la désignation d’une personne de confiance. Cf. chapitre suivant.
5. La mise en œuvre pratique
peut, à la demande du patient, faire figurer en annexe de
ces directives, au moment de leur insertion dans le dossier
de ce dernier, une attestation constatant qu’il est en état
d’exprimer librement sa volonté et qu’il lui a délivré toutes
informations appropriées.
Article R 1111-18 du Code de Santé Publique issu du
décret d’application de la loi publié en février 2006
Les directives anticipées peuvent, à tout moment,
être soit modifiées, partiellement ou totalement, dans les
conditions prévues à l’article R 1111-17, soit révoquées
sans formalité. Leur durée de validité de trois ans est renouvelable par simple décision de confirmation signée
par leur auteur sur le document ou, en cas d’impossibilité
d’écrire et de signer, établie dans les conditions prévues au
second alinéa de l’article R 1111-17.
Toute modification intervenue dans le respect de ces
conditions vaut confirmation et fait courir une nouvelle
période de trois ans. Dès lors qu’elles ont été établies dans
le délai de trois ans, précédant soit l’état d’inconscience de
la personne, soit le jour où elle s’est avérée hors d’état d’en
effectuer le renouvellement, ces directives demeurent valides quel que soit le moment où elles sont ultérieurement
prises en compte.
Article R 1111-19 du Code de Santé Publique issu du
décret d’application de la loi publié en février 2006 Les directives anticipées doivent être conservées selon des modalités les rendant aisément accessibles pour
le médecin appelé à prendre une décision de limitation
ou d’arrêt de traitement dans le cadre de la procédure collégiale définie à l’article R 4127-37. À cette fin, elles sont
conservées dans le dossier de la personne constitué par un
médecin de ville, qu’il s’agisse du médecin traitant ou d’un
autre médecin choisi par elle, ou, en cas d’hospitalisation,
dans le dossier médical défini à l’article R 1112-2.
Toutefois, les directives anticipées peuvent être conservées par leur auteur ou confiées par celui-ci à la personne
de confiance mentionnée à l’article L 1111-6 ou, à défaut,
à un membre de sa famille ou à un proche. Dans ce cas,
leur existence et les coordonnées de la personne qui en est
71
72
La mise en œuvre pratique
détentrice sont mentionnées, sur indication de leur auteur,
dans le dossier constitué par le médecin de ville ou dans le
dossier médical défini à l’article R 1112-2.
Toute personne admise dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social peut signaler
l’existence de directives anticipées ; cette mention ainsi que
les coordonnées de la personne qui en est détentrice sont
portées dans le dossier médical défini à l’article R 1111-2.
Article R 1111-20 du Code de Santé Publique issu du
Décret d’Application de la loi publié en février 2006 Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement en application des articles
L 1111-4 ou L 1111-13, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession,
le médecin s’enquiert de l’existence éventuelle de celles-ci
auprès de la personne de confiance, si elle est désignée,
de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant,
auprès du médecin traitant de la personne malade ou du
médecin qui la lui a adressée. Le médecin s’assure que les
conditions prévues aux articles R 1111-17 et R 1111-18
sont réunies.
Désigner une personne de confiance
La désignation d’une personne de confiance, chargée
de représenter le patient est encadrée par deux articles
de loi, l’un issu de la loi de mars 2002 (article L1111-6) et
l’autre de la loi d’avril 2005 (L1111-12). Ils sont reproduits
pp. 78-79.
Les points à souligner :
Le patient peut désigner la personne de son choix. Il
convient toutefois de bien réfléchir à cette désignation.
Ainsi la désignation d’un conjoint peut mettre celui-ci
dans une situation complexe. C’est le cas, par exemple,
si les volontés exprimées par le patient sont la limitation
des traitements actifs, alors que la personne de
confiance, émotionnellement très impliquée, l’épouse par
5. La mise en œuvre pratique
exemple, souhaite éviter à tout prix le décès62. Parfois la
désignation d’un autre proche, avec qui on a pu aborder
plus sereinement la question de l’éventualité de la mort
prochaine, est préférable. De la même façon, même si la
loi le permet explicitement, la place du médecin traitant
(entendu au sens de médecin généraliste ?) n’est peut-être
pas assimilable au rôle dévolu à la personne de confiance.
Il est par contre évident que le médecin « de famille » doit
être associé à la décision dans le cadre de la procédure
collégiale (par exemple comme un des consultants
sollicités63).
Tous les établissements hospitaliers ont l’obligation
(depuis 2002) de proposer au malade de désigner une
personne de confiance lors de toute admission. Évidemment
les malades n’ont pas l’obligation d’en désigner une. C’est
bien le malade, et personne d’autre qui désigne par écrit la
personne de confiance. Assimiler la personne « à prévenir
en cas de problème » avec la personne de confiance est
une erreur encore trop fréquente dans les établissements
hospitaliers.
Aucune obligation légale n’impose à la personne de
confiance de manifester son acceptation. Un patient peut
donc désigner une personne de confiance sans l’en informer,
voire même sans la connaître. Il est parfaitement évident
que cela n’a, en pratique, aucun sens. Pour représenter les
volontés du patient, notamment en matière de limitation
ou d’arrêt de traitements actifs, la personne de confiance
doit être informée de ces volontés. Les patients doivent
donc discuter de ce sujet avec la personne de confiance
qu’ils désignent. Cela peut se faire par exemple à l’occasion
de la remise d’une information sur ces procédures64.
La durée de validité de la désignation de la personne
de confiance est limitée par défaut à la durée de
l’hospitalisation. L’attention des patients doit être attirée
62 Elle pourrait alors témoigner davantage de ses propres souhaits que
de ceux du malade.
63 Cf. au chapitre suivant la procédure collégiale.
64 Cf. un exemple en annexe de documents d’information.
73
74
5. La mise en œuvre pratique
La mise en œuvre pratique
sur ce point afin que ce délai puisse être explicitement
allongé. Une durée illimitée peut même être clairement
mentionnée.
Les mineurs et les majeurs protégés n’ont pas la
possibilité légale de désigner une personne de confiance.
Rien n’empêche cependant qu’elles indiquent au médecin
qui elles souhaitent investir d’un rôle semblable et personne
n’empêche le médecin d’en tenir compte. Toutefois le rôle
du tuteur légal, ou du détenteur de l’autorité parentale,
reste la référence juridique pour ces patients à statut
protégé. Un flou persiste sur le rôle respectif de la personne
de confiance (désignée antérieurement à la mesure de
protection) et du mandataire dans le cadre du mandat
de protection future, si le mandat de protection inclut les
questions de santé.
La question se pose souvent de la possibilité de
désigner plusieurs personnes de confiance. Dans une
acceptation purement juridique du terme, ce n’est pas
possible. Désigner plus d’une personne de confiance
revient à n’en désigner aucune en stricte application des
termes de la loi. Ce point est parfois un élément bloquant
pour un patient se refusant à choisir entre deux personnes
de confiance possibles. Il est toutefois assez facile de
résoudre très pratiquement cette question. Il suffit de
demander qu’une seule personne soit inscrite sur le papier
« officiel » mais que le médecin s’engage auprès du patient
à consulter de manière équivalente les deux personnes
désignées. Si la seconde n’a pas le statut juridique de
personne de confiance, elle en aura ainsi, pour le patient et
pour le médecin, le rôle qui est, de toute façon, consultatif
et non décisionnel.
Le rôle de la personne de confiance est important dans
le cadre de la prise de décisions concernant des situations
possibles d’obstination déraisonnable lorsque le patient
n’est pas en capacité de donner son point de vue (situation
2 et 4). Cet avis doit avoir pour le médecin (à qui, dans ces
deux cas seulement, revient la décision) une importance
supérieure à celui exprimé par la famille et les proches.
Cela peut entraîner des situations désagréables, surtout
quand la famille (un conjoint par exemple) ignore cette
désignation et qu’il faut lui expliquer que c’est l’avis de
cette personne (explicitement désignée par le malade) qui
sera considéré comme plus important que le sien. On voit
l’embarras qu’une telle situation peut générer si les avis
sont contradictoires.
Il faut donc retenir :
• Que ce n’est pas la personne de confiance qui s’autodésigne en remplissant elle-même le papier, c’est le patient
(sa signature n’est pas explicitement requise par la loi mais
semble implicitement indispensable),
• Que la désignation de la personne de confiance n’a
pas à être contresignée par la personne de confiance ellemême,
• Qu’une notice explicative sur le rôle, le mode de
désignation, la durée de validité de la désignation de la
personne de confiance devrait être systématiquement
remise lors d’une hospitalisation,
• Que la personne de confiance sera obligatoirement
consultée lors d’une procédure de détermination du
caractère déraisonnable ou non de traitements de maintien
artificiel en vie,
• Que son avis, sans qu’il s’impose au médecin, influencera de manière forte la décision finale de celui-ci.
Article L1111-6 du Code de Santé Publique issu de la loi
de mars 2002 Toute personne majeure peut désigner une personne
de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même
serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin.
Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable
à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de
confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux
entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. Lors
de toute hospitalisation dans un établissement de santé,
75
76
La mise en œuvre pratique
il est proposé au malade de désigner une personne de
confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent.
Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement.
Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas
lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée. Toutefois, le
juge des tutelles peut, dans cette hypothèse, soit confirmer la mission de la personne de confiance antérieurement désignée, soit révoquer la désignation de celle-ci.
Article L1111-12 du Code de Santé Publique issu de la
loi d’avril 2005 Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la
cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une
personne de confiance en application de l’article L 11116, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité,
prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des
directives anticipées, dans les décisions d’investigation,
d’intervention ou de traitement prises par le médecin.
Mettre en œuvre une procédure collégiale
Elle est encadrée par la loi (article L 111-4 § 4 et article
L 1111-13) issu de la loi d’avril 2005 et par le Code de
Déontologie Médicale (modification de l’article 37 par
le décret de février 2006). Ils sont reproduits à la fin du
présent chapitre. Par ailleurs des précisions utiles sont
apportées dans les commentaires du Code déontologie,
rédigés par le Conseil National de l’Ordre des Médecins65.
La loi précise bien que c’est seulement pour des patients
dans les situations 2 et 4 qu’intervient cette procédure
collégiale.
Dans la situation 2, il s’agit donc de patients non en état
d’exprimer leur volonté pour lesquels se pose la question
de la limitation ou de l’arrêt d’un traitement susceptible de
65 Accessibles sur le site du CNOM, lien disponible sur le site Internet
www.collection-omega.fr
5. La mise en œuvre pratique
mettre leur vie en danger. Dans la situation 4, il s’agit de
personne non en état d’exprimer leur volonté, en phase
avancée ou terminale d’une affection grave et incurable,
quelle qu’en soit la cause, pour lesquels se pose la
question de la limitation ou l’arrêt d’un traitement inutile,
disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule
prolongation artificielle de la vie.
Outre la traçabilité de la procédure et de la mise en
œuvre obligatoire de soins de confort respectant la dignité
du mourant66, la loi insiste sur l’importance de la motivation
de la décision prise67.
Le déroulement précis de la procédure collégiale est
détaillé par l’article 37 du Code de déontologie médicale. Il
convient de bien différencier le rôle de chacun dans cette
procédure en fonction des différentes étapes :
1. Le rôle des membres de la famille et, à défaut, des
proches qui doivent être consultés afin de recueillir leur
avis. Notons que, dans la rédaction de la loi, l’avis des
membres de la famille semble prévaloir sur l’avis d’un
proche. Nous vivons pourtant dans une société où il
est fréquent de rencontrer des situations dans lesquels
certains non-membres de la famille stricto sensu sont
bien plus proches du patient que sa « famille » (ce terme
englobe-t-il un conjoint, marié, pacsé, concubin notoire
ou non, un collatéral, un ascendant, un descendant, etc. ?).
Il est également fréquent de rencontrer des familles très
divisées sur un tel sujet. Parfois le parent le plus proche…
est géographiquement éloigné. Vaste question que la loi
ne règle pas, mais qui devrait inciter chacun à désigner
explicitement une personne de confiance.
2. Le rôle particulier de la personne de confiance, dont
la consultation est obligatoire (si elle a été désignée) pour
recueillir son avis (qui prévaut sur celui de la famille et des
66 Cf. plus haut le chapitre sur les principes de la loi.
67 Ce point, probablement insuffisamment pris en compte est renforcé
par les propositions du rapport parlementaire de décembre 2008. Cf. plus
loin.
77
78
La mise en œuvre pratique
proches), et s’enquérir auprès d’elle d’éventuelles directives
anticipées rédigées par le patient.
3. L’importance des directives anticipées qui, si elles
ont été rédigées, sont réputées refléter le plus fidèle
témoignage des volontés qu’aurait exprimé le patient s’il
n’avait pas été dans l’incapacité de le faire, en matière de
limitation ou d’arrêt de soins.
4. Le rôle de l’équipe soignante qui doit être réunie
pour une concertation (se concerter, c’est s’entendre
pour agir ensemble68). D’une part les membres de cette
équipe soignante peuvent être, de par leurs fonctions,
plus proches des malades que le médecin et avoir recueilli
des indications sur ses volontés. D’autre part, il est très
important que chacun puisse exprimer son opinion sur
un sujet aussi complexe, afin de garantir le maintien de la
cohésion de l’équipe. On évite ainsi que ne s’installent des
malentendus ou des incompréhensions préjudiciables aux
prises en charge ultérieures. Cette interdisciplinarité est
une garantie indispensable à la qualité des soins apportés
aux patients concernés.
5. Le rôle du, ou des, médecin(s) appelé(s) en tant que
consultants. L’avis motivé d’au moins un autre médecin
appelé à titre de consultant est imposé par la procédure.
Le consultant (terme défini dans le Code de déontologie,
article 60), est un médecin qui dispose des connaissances,
et de l’expérience requise. Il est souhaitable qu’il soit
étranger à l’équipe en charge du patient69. Aucun lien
hiérarchique ne doit exister entre les deux médecins70.
Le consultant joue un rôle important auprès du médecin
référent du patient, à qui il apporte son recul et son
impartialité. Il intervient également auprès de l’entourage,
qu’il doit rencontrer dans la mesure du possible. Comme le
précisent les commentaires du Conseil National de l’Ordre
68 Petit Larousse 2009.
69 Cf. les recommandations des commentaires du Code de Déontologie
par le CNOM.
70 On ne saurait imaginer un chef de service appeler comme second médecin d’une procédure collégiale son jeune interne…
5. La mise en œuvre pratique
des Médecins, « ni la loi ni le code de déontologie n’exigent
le consensus entre les deux médecins, mais il est difficile
d’imaginer qu’une telle décision soit prise par le praticien
en charge du patient en cas de désaccord. Aussi l’article
37 prévoit-il la consultation d’un troisième praticien si l’un
des deux médecins le juge utile. Dans les cas difficiles,
même si l’appréciation de la situation du patient est dans
l’ensemble partagée entre les deux premiers praticiens, il
peut persister des incertitudes justifiant de faire appel à un
avis complémentaire. »
6. Le rôle (décisif ) du médecin qui a en charge le patient.
Au final c’est bien lui qui après avoir respecté l’ensemble de
la procédure prescrite par la loi, va prendre la décision de
limitation ou d’arrêt des traitements jugés déraisonnables,
en fonction de ce qu’aurait été la décision du patient
s’il avait été en capacité de l’exprimer. Il doit forger son
opinion sur la base de l’ensemble des indices recueillis lors
de la procédure collégiale. Il doit inscrire clairement dans
le dossier les motivations de sa décision. Il est fortement
recommandé de colliger dans le dossier un rapport précis
de l’ensemble de la procédure suivie71. Enfin c’est bien à
lui qu’il revient de vérifier que conformément à la loi, sont
assurés au patient les soins actifs et continus pratiqués par
une équipe interdisciplinaire visant à soulager la douleur,
apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignité de
la personne malade et que son entourage est correctement
accompagné durant le temps nécessaire.
La solitude apparente du médecin en charge du
patient (c’est bien en définitive sur lui que repose la
décision, étape 6), doit être totalement compensée par la
pratique de la concertation (étape 4) et le partage avec des
collègues médecins (collégialité de l’étape 5). Plus qu’un
exercice simplement multidisciplinaire (somme des avis de
plusieurs disciplines soignantes) il faut ici comme ailleurs,
privilégier l’interdisciplinarité (dialogue et interactions de
plusieurs disciplines soignantes). C’est de la richesse des
échanges que l’on peut espérer la sagesse de la décision
qui sera finalement prise.
71 Cf. en annexe VI un modèle de rédaction d’un tel rapport.
79
80
La mise en œuvre pratique
Un autre point important à souligner : cette procédure
collégiale n’est pas requise lorsqu’il s’agit pour un
médecin de décider qu’il n’y a pas lieu de mettre en
œuvre un traitement jugé inutile ou dépourvu de sens.
Les recommandations contenues dans les commentaires
du Conseil de l’Ordre des Médecins concernant l’article
37 sont très claires : « chez un malade hors d’état de
communiquer, lorsqu’il s’agit d’entreprendre un traitement,
particulièrement dans l’urgence, le médecin décide de son
opportunité et peut s’abstenir de toute thérapeutique
ou investigation qu’il juge inutile. L’absence d’indication
d’un traitement dans ces conditions ne relève pas de la
procédure collégiale. »
Dans ce type de situations, il convient donc de rappeler
le schéma que devrait suivre la décision médicale :
• Interrogation autour de la pertinence ou non de tel
ou tel traitement,
• Décision médicale (dans la mesure du possible suite
à un échange collégial et/ou une concertation pour en
assurer au mieux la sagesse) :
– En cas de décision d’abstention, il est hautement
souhaitable d’expliciter dans le dossier les motivations de
cette décision ,
– En cas de décision de mise en œuvre, si le
patient est capable de donner son avis : nécessité qu’il
consente à cette décision.
Article L1111-4 : § 4 du Code de Santé Publique
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible
de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir
respecté la procédure collégiale définie par le code de
déontologie médicale et sans que la personne de confiance
prévue à l’article L1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de
ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées
de la personne, aient été consultés. La décision motivée
de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le
dossier médical.
5. La mise en œuvre pratique
Article L1111-13 du Code de Santé Publique Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la
cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin
peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile,
disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule
prolongation artificielle de la vie de cette personne, après
avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de
déontologie médicale et consulté la personne de confiance
visée à l’article L 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses
proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la
personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier
médical.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure
la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à
l’article L 1110-10
Article R4127-37 (paragraphe II) du Code de Santé Publique : Code Déontologie Médicale72
Dans les cas prévus aux articles L 1111-4 et L 1111-13,
lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le
médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre
une procédure collégiale dans les conditions suivantes :
La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle
existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé
en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de
nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient
et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant
est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.
La décision prend en compte les souhaits que le patient
aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de
confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille
ou, à défaut, celui d’un de ses proches.
Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur
protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis
72 Cet article 37 du Code déontologie médicale est en cours de révision
suite aux propositions du rapport de la commission d’évaluation parlementaire de la Loi de 2005. Cf. plus loin.
81
82
83
La mise en œuvre pratique
des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis
les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.
La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et
le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits
dans le dossier du patient.
Article R 1111-20 du Code de Santé Publique issu du
Décret d’Application de la loi publié en février 2006 Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement en application des articles
L 1111-4 ou L 1111-13, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession,
le médecin s’enquiert de l’existence éventuelle de celles-ci
auprès de la personne de confiance, si elle est désignée,
de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant,
auprès du médecin traitant de la personne malade ou du
médecin qui la lui a adressée. Le médecin s’assure que les
conditions prévues aux articles R 1111-17 et R 1111-18
sont réunies.
6. Les situations à double effet
La peur de la mort, la crainte du néant,
la sidération face au vide qui suit le trépas,
génèrent des fables consolatrices,
des fictions qui permettent au déni
de disposer des pleins pouvoirs.
Michel Onfray
84
Les situations à double effet
La loi d’avril 2005 contient un article qui n’était pas
proposé initialement dans le rapport de la commission
parlementaire. Il s’agit de l’article 2 souvent désigné (à tort
on va le voir) comme une mise en œuvre de la théorie du
double effet.
6. Les situations à double effet
cheval de Troie par lequel pourra se glisser la légalisation
du faire mourir, sous couvert du laisser mourir.
« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la
souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la
cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir
pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer
le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut,
un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le
dossier médical. »
Il s’agit sans aucun doute de la partie la plus originale
et la plus discutable du texte de loi, bien qu’il ait fait l’objet
de peu de commentaires. Relevons cependant celui d’une
juriste qui s’est penchée sur l’impact en droit pénal de la
loi de 2005 : « la loi a été bien imprudente en autorisant,
sans contrôle, l’usage des médicaments à double effet. Elle
donne ainsi la possibilité de contourner les principes qu’elle
voulait réaffirmer avec force »75. On verra que cette vision
pessimiste est probablement erronée et que les gardefous existent pour que ce double effet ne se traduise pas
par une légalisation des injections létales.
Un article de la loi non prévu initialement
Le principe thomiste du double effet
L’ajout de cet article73 semble avoir eu deux objectifs :
1. Inscrire la question de la sédation dans la loi, devant
les réticences du Conseil de l’Ordre à l’inscrire dans le Code
de déontologie. Rappelons que si le Code de déontologie
résulte d’un décret en Conseil d’État, il doit obligatoire
émaner d’un texte proposé par le Conseil National de
l’Ordre des Médecins.
2. Obtenir l’unanimité du vote de l’Assemblée
nationale. Il permet en effet de rallier à la proposition de loi
les députés les plus favorables à une ouverture permettant
des pratiques d’euthanasie, tout en permettant par sa
formulation ambivalente et ses références thomistes74 de
préserver le vote de ceux qui sont résolument hostiles à
toute ouverture de ce type.
Selon l’interprétation qui en est, ou en sera faite,
notamment via des jurisprudences encore à venir, soit
cet article est la clef de voûte de l’ensemble du dispositif
original que constitue la loi de 2005, soit il est un véritable
73 En commission spéciale du 17 novembre 2004.
74 Le principe du double effet est un principe mis en exergue par Saint
Thomas d’Aquin in Summa theologica II,II,64, Éditions du Cerf (1985).
Le principe du double effet est issu de la pensée
théologique de Thomas d’Aquin. Il s’agissait de trouver une
solution pour juger de la moralité chrétienne des actes qui
peuvent à la fois avoir une conséquence bonne ou une
conséquence mauvaise.
Ainsi on peut examiner la question de l’autodéfense :
« Est-il moralement acceptable de se servir d’une arme contre
celui qui cherche à vous tuer ? ». L’utilisation d’une arme
peut avoir un effet « bon » (sauver votre vie) et/ou un effet
« mauvais » (tuer quelqu’un).
L’approche thomiste, reprise ensuite par la plupart
des moralistes catholiques, consiste à « disséquer » très
finement l’acte en cause et son intentionnalité afin de
déterminer si un certain nombre de conditions (qui en
assurent ou non l’acceptabilité morale) sont présentes :
• L’acte en lui-même ne doit pas être un acte interdit ;
• L’effet positif ne doit pas résulter de la réalisation de
l’effet négatif pour se produire ;
• L’effet négatif ne doit pas être intentionnel mais
simplement potentiel ;
75 Alt Maes Françoise, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, La Semaine
Juridique, N° 10-11, le 8 mars 2006.
85
86
Les situations à double effet
• L’effet positif doit avoir une probabilité de survenue
raisonnable par rapport à la survenue de l’effet négatif et il
ne doit pas y avoir d’autres moyens d’y parvenir que l’acte
en cause.
L’acte de l’exemple choisi (utiliser une arme pour se
défendre ; effet positif : sauver sa vie ; effet négatif : tuer
un autre être humain), est moralement acceptable si (et
seulement si) :
• Utiliser une arme n’est pas interdit ;
• Sauver sa vie ne nécessite pas obligatoirement d’avoir
à tuer l’autre ;
• Tuer l’autre n’est pas le but recherché mais seulement
le risque encouru en se défendant et il n’existe pas d’autres
solutions pour sauver sa vie ;
• Il existe une probabilité raisonnable de sauver sa
vie en se servant de son arme sans pour autant tuer son
agresseur.
On voit que cette théorie est particulièrement complexe
à mettre en œuvre. Elle fait appel à une vision religieuse
de la moralité et fait une part essentielle à l’examen de
l’intentionnalité d’un acte plutôt qu’à ses conséquences.
Ainsi un acte peut avoir les mêmes conséquences
mais avoir une valeur morale différente en fonction des
intentions différentes des auteurs.
L’application à la fin de vie
Dans la problématique de la loi d’avril 2005, l’application
du principe du double effet pourrait être ainsi résumée :
dans quelles conditions peut-on accepter l’administration
de certains médicaments (acte en cause) qui peuvent
entraîner un soulagement (effet positif ) au risque de
provoquer la mort du patient (effet négatif ) ?
Selon une approche thomiste, pour que cette
administration soit moralement acceptable, il faut
que les quatre conditions suivantes soient remplies
simultanément :
6. Les situations à double effet
1. L’administration de ce médicament n’est pas
interdite ;
2. La mort du patient n’est pas le seul moyen de le
soulager ;
3. La mort du patient n’est pas le but recherché ;
4. La probabilité de soulager le malade sans le tuer est
significative.
Ainsi il est clair que l’utilisation du chlorure de potassium
(KCl) à doses massives76 ne résiste pas un instant au crible
de la doctrine du double effet. L’utilisation de ce produit
à ces doses est interdite, elle ne soulage le patient qu’en
provoquant sa mort, et la probabilité de soulager le malade
sans le tuer est nulle. Même si l’auteur affirme que son but
n’est pas de tuer le malade mais de le soulager (condition
3) les trois autres conditions ne sont pas remplies77.
Par contre l’utilisation de traitements à visée sédative
pour soulager les symptômes inconfortables d’un patient
en fin de vie, est, elle, rendue moralement acceptable,
même s’il existe un risque de raccourcir la vie.
• L’administration de ces traitements (midazolam) n’est
pas interdite78;
• L’accélération éventuelle de la survenue du décès
n’est pas le moyen du soulagement ;
• L’accélération de la survenue du décès n’est pas le
but recherché ;
• La probabilité de soulager le malade sans pour autant
provoquer sa mort est très importante.
Une situation peut poser un sérieux problème
d’interprétation : l’utilisation de morphine pour soulager la
douleur d’un patient, mais à des doses manifestement très
76 Comme l’ont fait par exemple le Dr Chaussoy dans l’affaire Vincent
Humbert ou le Dr Tramois dans l’affaire de Saint Astier.
77 Il est très surprenant de constater que c’est pourtant principalement
sur cet argument de l’intentionnalité que se base la juge d’instruction
dans son ordonnance de non-lieu en faveur du Dr Chaussoy. Cf. le texte
disponible sur www.collection-omega.fr
78 Elle fait au contraire l’objet de recommandations professionnelles.
87
88
Les situations à double effet
supérieures aux doses nécessaires à soulager (sciemment
ou par une ignorance coupable).
• Certes, l’administration de morphine n’est pas
interdite, l’accélération éventuelle de la survenue du
décès n’est pas le moyen du soulagement, et il est toujours
possible d’affirmer que l’accélération de la survenue du
décès n’est pas le but recherché ;
• Mais la probabilité de soulager le malade sans pour
autant provoquer sa mort est infime puisque les surdoses
utilisées vont justement provoquer la mort par arrêt
respiratoire.
Si l’on voulait utiliser la règle thomiste du double effet
pour juger de la moralité de l’administration de morphine
dans une situation donnée, il conviendrait donc de savoir si
réellement les doses de morphine utilisées représentaient
les doses nécessaires et suffisantes pour soulager le
malade (recherche de la dose minimale efficace) ou si elles
constituaient un surdosage manifeste dont l’intention
cachée (ou l’erreur manifeste d’appréciation) conduisait
bien à provoquer la mort du patient.
Au final, et malgré sa réhabilitation dans le domaine
de l’éthique soignante par certains bioéthiciens nordaméricains, le principe du double effet reste un principe
certes intéressant sur un plan pédagogique et didactique,
mais lourd, complexe et finalement assez inopérant dans la
pratique soignante quotidienne. Il est par trop dépendant
de l’examen des intentions et pas assez des conséquences
des actes examinés. Enfin, il reste très imprégné de la
morale catholique dont il est un des piliers.
De la théologie à la loi, puis de la loi
aux bonnes pratiques
On l’a vu, l’introduction inopinée de l’article 2 de la
loi par la commission spéciale chargée de l’examen de la
proposition de loi déposée par les parlementaires membres
de la commission Leonetti, s’est largement appuyée sur les
références thomistes du principe du double effet.
6. Les situations à double effet
Pourtant en pratique la traduction par la loi en est
fort éloignée, n’en conservant que les prémisses. Si elle
reprend bien l’examen de situations « à double effet »
les conditions posées pour que l’acte à double effet soit
légal sont très différentes des conditions thomistes pour
qu’il soit moralement acceptable. Pour que son acte soit
légal, il suffit que le médecin qui administre un traitement
qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie d’un
patient en fin de vie, dans le but de le soulager, en informe
le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut,
un des proches. La procédure suivie doit être inscrite dans
le dossier médical. On est donc bien loin des conditions
complexes de Thomas d’Aquin.
Il suffit donc d’informer et d’écrire dans le dossier. La
loi ne dit d’ailleurs pas clairement quand il faut informer
le patient et quand on peut se contenter d’informer la
personne de confiance, la famille ou les proches. On peut
supposer (au vu du reste de la loi) que le malade doit être
informé lorsqu’il est capable de refuser (donc capable
de prendre une décision pour lui-même). Néanmoins, il
convient de prendre garde que faute de vouloir affronter
une conversation difficile avec un patient en fin de vie,
certaines équipes ne croient pouvoir se dédouaner de
leur devoir d’information, en s’adressant à d’autres que le
malade lui-même, pourtant directement concerné.
On le voit les conditions pour mettre en œuvre un
traitement « pouvant avoir comme effet secondaire
d’abréger la vie du patient » sont assez minimalistes : une
lecture superficielle pourrait même y voir une autorisation
des pratiques d’euthanasie.
Ainsi, certains ont pu plaider que, conformément à
l’article 2, il était possible d’utiliser une substance létale
si le patient était d’accord (a fortiori s’il le réclamait !) et
si la procédure était inscrite dans le dossier. L’avocat du
Dr Chaussoy a un temps évoqué cet argument juridique pour
expliquer que son client n’avait fait qu’appliquer cet article
avant l’heure en injectant du potassium à Vincent Humbert
« pour le soulager » alors qu’il présentait des symptômes
89
90
Les situations à double effet
d’asphyxie aiguë après l’arrêt du respirateur (cf. plus haut).
L’avocat de Chantal Sébire, Maître Gilles Antonowicz, s’est
aussi largement appuyé sur cet article 2 pour réclamer au
Tribunal le droit pour un médecin désigné par Mme Sébire
d’obtenir puis de lui administrer un poison capable de
provoquer sa mort « afin de soulager ses souffrances ».
Il convient cependant de relire très attentivement
les alinéas 4 et 5 de l’article L1110-5 du Code de Santé
Publique, intégrant l’article 2 de la loi d’avril 2005.
4. Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à
soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance
prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
5. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous
les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie
digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut
soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée
ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle
qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui
peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit
en informer le malade, sans préjudice des dispositions
du quatrième alinéa de l’article L 1111-2, la personne de
confiance visée à l’article L 1111-6, la famille ou, à défaut,
un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le
dossier médical. 6. Les situations à double effet
D’une part, il ne s’agit pas de soulager la douleur
(question traitée à l’alinéa 4), mais de soulager la souffrance.
Or, la souffrance n’est pas la douleur, pour reprendre le
titre d’un texte remarquable de Paul Ricœur79. Pour aller
(trop) vite on pourrait dire que la douleur c’est avoir mal,
quand la souffrance c’est être mal. Le législateur, dès la loi
de 99 sur les soins palliatifs, fait bien la différence entre
douleur et souffrance. En définissant le champ d’action des
soins palliatifs (actuel article L 1110-10 du Code de Santé
Publique), il précise qu’ils visent notamment « à soulager la
douleur » et « à apaiser la souffrance psychique » qui ne sont
à l’évidence pas équivalentes.
D’autre part l’utilisation de la morphine (et de ses
dérivés) en fin de vie pour soulager la douleur ne renvoie
pas à des situations à double effet. Le maniement correct
des morphiniques consiste précisément à trouver la dose
qui soulage, sans entraîner d’effets secondaires notables,
tant sur le niveau de vigilance que sur la respiration. Dans
l’immense majorité des cas, chez un patient en fin de vie,
la prescription d’une surdose de morphine qui risque
s’avérer mortelle, témoigne soit de l’incompétence grave
de celui qui la prescrit, soit de sa volonté de provoquer
délibérément la mort. Il faut réaffirmer haut et fort que
bien utilisée la morphine ne provoque jamais une « mort
fine » et que si elle est utilisée correctement la morphine ne
peut (et ne doit) pas « avoir pour effet secondaire d’abréger
la vie ».
Les conditions dans lesquelles il s’applique sont donc
celles où « le médecin constate qu’il ne peut soulager la
souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la
cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir
pour effet secondaire d’abréger sa vie ».
En fait, les situations de fin de vie à double effet
possible (soulagement ou accélération du décès) sont
essentiellement celles pour lesquelles se pose la question
de l’utilisation de traitements à visée sédative. Il s’agit ici
de soulager une souffrance (être mal), lié à un symptôme
réfractaire et impossible à soulager autrement.
On a souvent réduit le champ de cet article 2 (traduit
dans le Code de Santé Publique par l’alinéa 5 du L11105) à l’utilisation de doses importantes de morphine. Cette
interprétation ne résiste pas à un examen attentif.
Cette pratique de la sédation (terme imprécis auquel
on préférera donc celui d’utilisation de traitements à visée
sédative) est bien le véritable sujet de l’article 2. Il est
79 Ricoeur Paul, La souffrance n’est pas la douleur, revue Autrement, n° 142,
février 1994.
91
92
Les situations à double effet
nécessaire que soient déterminées précisément les limites
qui doivent encadrer ces pratiques afin d’éviter qu’elles
ne se transforment en pratiques « d’euthanasie lente »
ou soient perçues comme telles. Il existe en effet une
tendance récurrente à assimiler dans l’opinion publique
la pratique d’une sédation à une pratique « d’euthanasie
déguisée ». Depuis l’adoption de la loi légalisant
l’euthanasie la question est régulièrement posée aux PaysBas80. On constate en effet une augmentation significative
du pourcentage de décès liés à cette pratique entre 2001
et 2005 (5.6 % vs 7.1 %) alors que dans le même temps le
nombre d’euthanasies déclarées était en baisse (2.6 % vs
1.7 %)81.
De même, en France, à l’occasion des débats
médiatiques récurrents, la confusion est fréquente entre
deux pratiques pouvant apparaître comme similaires. Il est
donc très important, comme s’y attachent les nouvelles
recommandations sur la sédation en fin de vie, conduites
sous l’égide de la SFAP et sous le patronage de la HAS82, de
bien préciser la limite entre des pratiques visant à soulager
le patient et/ou améliorer son confort, et des techniques
de sédation utilisées dans un but euthanasique.
Afin d’exclure des visées euthanasiques les produits
sédatifs utilisés permettent à la fois une titration (recherche
du niveau minimum de sédation permettant d’assurer
le confort du patient) et une réversibilité (retour à une
conscience normale rapide après l’arrêt de l’administration).
Il ne s’agit jamais de provoquer la mort par le moyen de
la sédation, par exemple en empêchant les fonctions
naturelles d’alimentation et de boisson chez un patient qui
en serait capable s’il n’était pas endormi artificiellement. La
mise en œuvre d’une sédation permanente sans nourrir
80 Van Delden J.J.M., Terminal sedation. Source of a restless ethical debate.
J Med Ethics 2007:33 ;187-188.
81 Sheldon T., Incidence of euthanasia in the Nederland falls, British Medical
Journal, 2007:334 ; 1075.
82 Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs et Haute
Autorité de Santé. À consulter via le site www.collection-omega.fr dès
qu’elles seront officiellement validées.
6. Les situations à double effet
et hydrater artificiellement, comme solution technique au
désir de mort d’un patient qui, n’étant pas en situation de
maintien en vie artificielle, ne peut pas mettre en œuvre
une procédure volontaire d’arrêt d’un tel traitement,
ne constituerait rien d’autre qu’une méthode d’aide
médicalisée au suicide.
La reconnaissance de ce type de pratiques constituerait
sans aucun doute l’ouverture d’un droit au suicide
médicalement assisté. Il convient donc de réserver
l’utilisation de traitements à visée sédative :
• À l’initiative des professionnels de santé et non à
l’initiative du malade ou de son entourage réclamant une
sorte de « droit à la sédation » ;
• Dans le cadre précis du traitement médical de
situations extrêmes envisagées dans les recommandations
de bonnes pratiques ;
• Après discussion dans un cadre interdisciplinaire ;
• En excluant toute visée euthanasique «déguisée» ;
• Après avoir obtenu l’accord du patient et/ou de son
entourage selon les circonstances (conformément aux
préconisations légales).
Il est important de pouvoir expliciter au patient et/
ou à son entourage la possibilité de mise en œuvre de
traitements à visée sédative en tant que de besoin dans
les conditions décrites ci-dessus. C’est souvent une vraie
réponse aux questions amenant à la demande de suicide
assisté et/ou d’euthanasie. D’une part, il est rassurant pour
tous de savoir qu’on ne laissera pas le patient vivre une
situation insupportable. L’utilisation de traitements à visée
sédative, aux doses nécessaires et suffisantes, entraînera
une diminution de sa conscience, proportionnelle à cette
sensation « d’insupportable ». D’autre part, cela permet
de respecter les valeurs du soin concernant le refus de
provoquer artificiellement la mort, tout en faisant tout ce
qui est nécessaire pour soulager le patient et son entourage
de leurs souffrances. C’est une des réponses possibles pour
certaines situations extrêmes.
93
95
7. Des décisions parfois bien complexes
pour des patients en capacité de décider
pour eux-mêmes
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Paul Éluard
96
7. Des décisions parfois bien complexes…
Des décisions parfois bien complexes…
M. S. : « Arrêtez ce respirateur qui me
maintient en vie contre ma volonté. »
M. S.83 est un homme de cinquante ans, atteint
depuis vingt-cinq ans d’une SLA (sclérose latérale
amyotrophique).
Il y a treize ans, alors que la maladie progressait et faisait
craindre une détresse respiratoire, M. S. avait formellement
exprimé son désir que, dans une telle éventualité, on
le laissât mourir, sans pratiquer la trachéotomie et une
respiration artificielle qui, seules, pourraient permettre de
le maintenir en vie. Malgré tout, lorsque survint l’épisode
asphyxique, les médecins qui le prirent en charge,
pratiquèrent une trachéotomie et mirent en œuvre une
assistance respiratoire. Il continua donc à vivre. Du fait
de l’évolution de sa terrible maladie, il était incapable de
bouger une quelconque partie de son corps, à l’exception
de sa tête (et d’une minuscule contraction au niveau de
la paume). Sa vie était maintenue artificiellement par une
machine, qui respirait à sa place, et un tube dans l’estomac
qui lui apportait les nutriments qu’il ne pouvait ingérer.
Tout maintien à domicile s’avérant impossible dans sa
situation, il fut transféré dans une maison de retraite où
il vécut pendant ces treize dernières années. Grâce à
l’extraordinaire mobilisation de toute l’équipe qui le prit
en charge, sa qualité de vie était aussi bonne que possible
dans une telle situation. Très entouré par sa famille, il put
voir sa fille grandir, et s’orienter vers des études d’infirmière.
Néanmoins pendant toutes ces années il demanda à
intervalles réguliers l’arrêt du respirateur ou une aide pour
mettre fin à ces jours. L’équipe, mobilisée pour lui assurer
la meilleure qualité de vie possible, vivait très mal ses
demandes répétées, ne pouvant, évidemment, envisager
d’y répondre concrètement.
Devant une majoration de ses demandes qu’on le
laissa mourir et en raison du malaise grandissant qu’elles
engendraient au sein de l’équipe, le médecin responsable
83 Les initiales ont été modifiées comme toutes celles des autres patients
dont le cas est évoqué dans cet ouvrage.
fit appel à un réseau de soins palliatifs. Deux membres de
ce réseau intervinrent pour tenter de trouver une solution.
Informé du vote de la loi d’avril 2005, M. S. demandait
explicitement à ce qu’elle lui fut appliquée. Les membres
du réseau proposèrent alors un transfert dans une unité
de soins palliatifs (USP), pour que soient étudiées les
conditions de mise en œuvre de la loi. Après l’accord du
patient, de sa famille, et de l’équipe de la maison de retraite,
le principe du transfert fut retenu et notre prise en charge
commença.
Une première rencontre entre le patient et le
médecin de l’USP est organisée à la maison de retraite. La
communication passe par la formulation progressive de
mots, à partir du choix de lettres sur un alphabet84. Elle est
donc longue et laborieuse, même si, parfois, on arrive à lire
sur ses lèvres quelques mots. Les termes exacts de la loi et
les conditions d’évaluation de son éventuelle application
lui sont réexpliqués. Il est précisé que l’objectif du séjour
est d’évaluer la réalité de la volonté que soit arrêté le
respirateur. Les conséquences de cet éventuel arrêt sont
clairement explicitées : le décès vraisemblable dans les
heures qui suivront. Il est, dès ce premier entretien, expliqué
que, conformément à la loi, tout ce qui est possible de faire
pour le soulager après l’arrêt de la machine sera entrepris.
La possibilité du recours à des traitements à visée sédative
est notamment évoquée, La question de la poursuite ou
non de la nutrition assistée est posée.
Un mois plus tard, après confirmation par le malade
de son souhait d’y être transféré, il est accueilli dans l’USP,
accompagné par les deux membres du réseau qui le
suivent depuis maintenant plusieurs mois, et qui font le
lien entre les deux équipes.
Le séjour de M. S. dure trois semaines. Durant cette
période il lui est à de nombreuses reprises, expliqué que si,
conformément à la procédure prévue par la loi, il demande
le retrait de la machine d’assistance respiratoire, celle-ci
sera arrêtée. Mais que rien ne l’oblige, bien au contraire,
84 Comme pour Vincent Humbert.
97
98
Des décisions parfois bien complexes…
à persévérer dans cette demande. Il lui est rappelé que
conformément aux engagements pris, sa chambre l’attend
à la maison de retraite. Qu’il peut donc – maintenant qu’il
sait qu’on accédera à sa demande quand il le souhaitera –
décider d’y surseoir. Il lui suffira le moment venu de la
reformuler pour retrouver des conditions similaires dans le
service. Pendant quelques jours, les membres de l’équipe
pensent qu’ils l’ont convaincu de surseoir à sa demande.
Mais, finalement, le patient énonce clairement sa demande
d’arrêt du traitement de maintien artificiel en vie que
constitue pour lui l’assistance respiratoire. Parfaitement en
état d’exprimer sa volonté, celle-ci doit donc être respectée
après son renouvellement dans un délai raisonnable, fixé à
une semaine d’un commun accord avec le médecin.
Conformément aux résultats de longues discussions,
aussi bien avec lui, qu’avec l’équipe soignante et sa famille,
la procédure suivante est mise en œuvre, et inscrite dans
le dossier. Une « prémédication » est réalisée par voie
sous-cutanée (utilisation d’un traitement à visée sédative,
du midazolam). La famille de M. S., reste à ses côtés
jusqu’à son endormissement paisible. Ils cèdent ensuite la
place à l’équipe (médecin et infirmière) qui s’assure d’un
niveau de sédation suffisant pour éviter toute sensation
consciente d’étouffement. C’est le médecin qui procède au
débranchement de la machine. L’autonomie respiratoire
de M. S. (le temps durant lequel il peut respirer seul, sans
l’aide de la machine) est habituellement d’environ une
demi-heure. C’est le temps (lors de la toilette par exemple)
au bout duquel il demande à ce que l’on rebranche la
machine car il manque d’air.
Mais après plus d’une heure sans la machine, M. S.
respire toujours paisiblement. Aucun signe d’inconfort ne
se manifeste, le niveau de sédation est maintenu au niveau
minimum nécessaire. Malgré la demande initialement
formulée par M. S., il lui a clairement été expliqué qu’en
aucun cas ne serait administrée une substance provoquant
ou accélérant la survenue de la mort. C’est la ligne
infranchissable qui permet à l’équipe de s’inscrire dans le
cadre à la fois éthique et légal.
7. Des décisions parfois bien complexes…
Garantissant à M. S. tous les soins nécessaires à son
confort après l’arrêt à sa demande de ce qui le maintient
artificiellement en vie, l’équipe soignante remplit
pleinement son rôle. Elle accompagne jusqu’au bout ce
patient ayant revendiqué son droit au « laisser mourir »
que la loi d’avril 2005 lui a conféré.
Finalement c’est au bout de presque cinq heures
de sevrage de la machine que la respiration de M. S. va
s’amenuiser, son rythme cardiaque se ralentir, et que la
mort va survenir, paisible délivrance.
Quelques jours après le décès, une séance spécifique
avec le superviseur85 de l’équipe rassemble celles et ceux qui
ont participé à cette prise en charge assez inhabituelle dans
un service dont l’activité principale est l’accompagnement
de patients en fin de vie. C’est l’occasion pour chacune et
chacun de raconter son vécu, ses questions, ses doutes.
Chacun s’accorde sur le fait que nous nous sommes bien
conformés à la vocation du service, qui est de prendre en
charge les situations complexes de fin de vie. En arrêtant
le respirateur, conformément à la loi et à la demande du
patient, l’équipe n’a fait que réparer l’erreur commise il y a
treize ans, lorsque des manœuvres de réanimation ont été
entreprises contre la volonté préalablement exprimée par
le patient. Une discussion s’engage autour des dernières
« paroles » que M. S. a adressées à l’équipe avant de
s’endormir : « Vous êtes des gens formidables ». Ce n’était
pas forcément l’impression qu’ils avaient d’eux-mêmes
alors qu’ils allaient laisser mourir un homme, certes
dramatiquement atteint par sa maladie, mais qui, s’il avait
accepté de continuer à subir son assistance respiratoire,
pouvait rester en vie de nombreuses années.
N’était-ce donc pas là une sorte d’assistance au suicide,
entendu comme mort désirée, pour un patient incapable
de mettre en œuvre lui-même cette ultime atteinte à son
intégrité ? Le point le plus important qui se dégage de
85 Psychologue qui anime régulièrement un groupe de parole ou d’analyse de pratiques au sein d’équipes soignantes confrontées à des situations difficiles.
99
100 Des décisions parfois bien complexes…
cette discussion est le fait que rien d’actif n’a été fait pour
provoquer la mort. C’est ce qui rend l’attitude adoptée
compatible avec la conception de l’éthique soignante que
se fait le groupe.
La maladie de M. S. ne lui permettait pas de rester en
vie sans le recours à un moyen artificiel qu’il refusait (alors
qu’il lui avait été imposé contre son gré).
Face à cette situation, deux postures auraient semblé à
l’équipe tout aussi inacceptables l’une que l’autre.
La première aurait été de lui dire que l’on avait bien
compris son refus du moyen technique qui le maintenait
en vie, mais qu’il n’était pas possible de réparer ce qu’il
considérait comme une erreur médicale. Et donc qu’en
quelque sorte, il était condamné à vivre comme un héros
(enfermé conscient dans son corps paralysé) suite à une
décision médicale prise contre son gré. Pour tous ceux qui
participaient à la discussion, c’était bien à lui de choisir si,
comme d’autres, tout aussi respectables dans leur décision,
il voulait bénéficier des progrès de la médecine ou si, au
contraire, il souhaitait qu’on le laisse mourir en paix.
La seconde posture aurait été de considérer trop
vite comme acquis son désir d’en finir, de passer à l’acte
sans entamer le travail complexe d’accompagnement du
patient et de sa famille. De même accéder à sa demande
d’assistance à un suicide rendu impossible par la maladie,
en lui administrant une substance létale, est apparu à tous
tout aussi contraire à nos valeurs de soignants, quelles
que soient nos positions philosophiques ou religieuses,
d’ailleurs très hétéroclites. Les acteurs directs des derniers
instants ont pu dire combien, finalement, il leur avait
paru important que la mort ne survienne qu’au bout
de cinq heures (et non cinq minutes) après l’arrêt de la
machine. Cela leur a permis ainsi de bien faire la part entre
ce qui était du respect de la volonté du patient (l’arrêt
de la machine), et ce qui était de leur nécessaire travail
d’accompagnement de celui qui doit pouvoir mourir en
paix.
7. Des décisions parfois bien complexes… 101
La limite infranchissable, autant pour des raisons
éthiques que pour des raisons légales, aurait été de vouloir
accélérer la survenue de la mort. Cette demande avait bien
sûr été formulée. La réponse faite était sans ambiguïté.
« Nous ferons tout ce que nous savons faire pour vous
soulager jusqu’au bout. Mais nous ne ferons rien pour vous
tuer car nous vous respectons trop ». Cette réponse avait
été comprise : « Je sais bien qu’il faut que vous puissiez
continuer, après » avait répondu M. S. avec son inimitable
sourire.
Heureusement, il s’agissait là d’une situation très
exceptionnelle. Grâce à la prise en charge par une équipe
parfaitement entraînée à gérer de manière interdisciplinaire
la complexité et la singularité des fins de vie et dotée des
outils nécessaires à cette gestion, des solutions acceptables
ont pu être trouvées. Cela a nécessité beaucoup de temps
de discussion avec le patient lui-même, sa famille, et l’équipe
qui avait assuré sa prise en charge pendant des années. À
situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.
C’est bien là un des rôles des unités de soins palliatifs.
Tous les membres impliqués se sont néanmoins accordés
sur le fait qu’il n’était pas envisageable « de faire ça tous les
jours ». Laissez mourir un patient par l’arrêt d’un moyen de
maintien artificiel en vie est – et doit rester – un geste grave,
dont la proximité avec un geste transgressif doit conduire
à un encadrement rigoureux. En ce sens les dispositifs de
la loi de 2005 sont particulièrement aidants à condition de
les connaître… et de les appliquer correctement.
M. N. : « Je ne veux pas qu’on arrête
ma nutrition artificielle. »
Le cas de M. N. est tout aussi exemplaire, même s’il
semble opposé à celui de M. S.
Ce patient est atteint d’une maladie très rare, voisine
de la SLA. Le corps, qui ne répond plus ou mal à la
commande de l’esprit, est en plus agité de tremblements
identiques à ceux de la maladie de Parkinson. Cela fait
102 Des décisions parfois bien complexes…
plusieurs années qu’il ne peut s’exprimer qu’en désignant
en tremblant sur un alphabet les lettres constituant les
mots qu’il veut prononcer. Il est hospitalisé dans notre
USP pour un second séjour dit « de répit familial ». Grâce
à une organisation complexe, il vit habituellement à son
domicile, ce qui est son souhait. Mais sa femme a besoin de
repos et il est donc convenu qu’il passe trois semaines dans
notre structure qu’il connaît déjà, pour y avoir séjourné, six
mois auparavant.
À son arrivée, il est clair que la situation n’est pas
bonne. Incapable de s’alimenter naturellement il est
nourri depuis plusieurs mois par gastrostomie (sonde
introduite directement dans l’estomac à travers la paroi
abdominale). C’est lui qui en a fait la demande lorsqu’il a
été clair que les troubles de déglutition qu’il présentait,
allaient entraîner sa mort par dénutrition. Depuis, il
est maintenu artificiellement en vie par les substances
nutritives administrées, par l’intermédiaire d’une pompe,
dans son estomac. Malgré tout, il est très dénutri. En
effet, il est de plus en plus difficile de lui apporter les
quantités nécessaires car le liquide nutritif remonte dans
son œsophage et pénètre dans ses poumons, provoquant
des épisodes d’asphyxie. Cela provoque des infections
pulmonaires nécessitant des hospitalisations itératives et
des traitements antibiotiques lourds.
Dans le service, il fait plusieurs crises de ce type qui
mettent clairement en jeu son pronostic vital à court terme
et qui apparaissent à tous (famille, équipe soignante)
comme aussi éprouvantes qu’inconfortables. Un dilemme
se pose.
Soit on continue ainsi à le nourrir artificiellement
par la gastrotomie et ses crises asphyxiques font courir
le risque probable qu’il en meure dans des conditions
dramatiques. Soit on diminue encore les apports, mais
on laisse s’aggraver la dénutrition, avec ses conséquences
potentiellement inconfortables, et la certitude d’une mort
inéluctable en quelques semaines86.
86 Voir le chapitre sur les questions liées à l’arrêt de la nutrition.
7. Des décisions parfois bien complexes… 103
Comment faire en sorte de ne pas franchir la limite du
raisonnable ? La loi de 2005 est claire : si le malade est en
état d’exprimer sa volonté, c’est à lui de décider de ce qui
est, pour lui, une obstination déraisonnable.
Mais, avec M. N. la communication est complexe, voire
incertaine. La maladie dont il est atteint peut entraîner une
altération des fonctions cognitives, et il présente, comme
Vincent Humbert, un syndrome frontal87. La question à
résoudre est donc : « Est-il en état d’exprimer sa volonté ? ».
En cas de réponse positive, ce sera à lui de nous dire ce
que nous devons faire. Sinon, nous aurons à déclencher,
dans le cadre prévu par la loi de 2005, une procédure
collégiale permettant de décider si, oui ou non, il y a lieu de
considérer la nutrition artificielle comme une obstination
déraisonnable (et donc s’il y a lieu ou non de procéder à
une limitation ou un arrêt de ce traitement de maintien
artificiel en vie). Autrement dit est-ce que nous sommes
dans la situation 1 ou la situation 2, telles qu’envisagées par
la loi88 ? La réponse à la question du délai de l’espérance de
vie (quelques semaines plutôt que quelques mois ?) n’est
pas évidente non plus. Mais cela ne change pas vraiment
les choses quand à la procédure (situations 3 ou 4 ?).
Le médecin, qui le suit depuis de nombreuses années,
grand spécialiste de cette maladie, est consulté. Il confirme
que, selon lui, malgré certaines altérations cognitives et les
grandes difficultés de communication, il faut considérer
M. N. comme en état de décider pour lui-même. Nous
sommes donc face à un patient correspondant à la situation
1 (comme M. S. du chapitre précédent) ou éventuellement
3 (ce qui ne change rien à la procédure) : c’est à lui de
décider.
Il faut lui exposer clairement le dilemme posé par la
situation actuelle et les trois solutions possibles pour y
faire face, afin d’obtenir son avis. Bien entendu sa famille
87 Le syndrome frontal est l’association de plusieurs symptômes observés lors d’atteinte du lobe frontal du cerveau : il associe souvent des troubles comportementaux et cognitifs.
88 Cf.le chapitre ci-dessus sur les principes de la loi d’avril 2005.
104 Des décisions parfois bien complexes…
(femme, enfants) est tenue informés de cette démarche.
Une première solution, s’il souhaite poursuivre la nutrition
médicalement assistée, consiste à lui mettre en place une
nutrition intraveineuse. Cela nécessite l’implantation d’un
cathéter dans sa veine sous-clavière. Une seconde solution,
s’il ne souhaite pas poursuivre le maintien artificiel en vie
par une nutrition médicalement assistée, est l’arrêt de tout
apport (hydrique et nutritionnel), ce qui conduira à ce que
la mort survienne dans un délai d’environ une semaine
dans des conditions de confort qu’il est possible de lui
garantir89. Enfin la troisième solution est le statu quo actuel,
qui nous apparaît comme la plus discutable.
À la plus grande surprise, à la fois de l’équipe soignante,
et de son entourage, M. N. va, sans aucune ambiguïté,
refuser la première solution (pose d’un cathéter veineux et
mise en route d’une nutrition parentérale) et la seconde
(arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée).
Il exprime clairement le souhait que les apports par la
gastrotomie ne soient pas suspendus, malgré les risques
de survenue des épisodes d’inhalations bronchiques. Dans
ses conditions, la première solution est impossible (pas de
consentement au traitement proposé). La seconde serait
inacceptable (arrêt d’un traitement de maintien artificiel en
vie contre la volonté d’un patient capable de décider pour
lui-même). Seule la troisième solution est donc possible.
Reste l’obligation d’assurer au patient le meilleur confort
possible (ou le moins mauvais).
C’est pourquoi il lui est proposé que soient utilisés,
lors de ces épisodes asphyxiques, désagréables et
angoissants, des traitements à visée sédative, dont l’action
est rapidement réversible après la fin de la crise. Il accepte
cette proposition.
C’est donc ce qui est fait à chaque épisode asphyxique.
Le traitement à visée sédative administré provoque une
perte de conscience. Puis au bout d’une heure environ,
M. N. se réveille, sans garder de souvenirs de l’épisode qui
89 Notamment l‘absence de toute sensation de faim ou de soif, grâce à
une prise en charge appropriée.
7. Des décisions parfois bien complexes… 105
vient de se dérouler en raison du pouvoir amnésiant du
produit utilisé. Mais quelques jours plus tard, au cours de
l’administration de la nutrition dans l’estomac, un nouvel
épisode de détresse respiratoire particulièrement sévère
survient. Cette fois, au bout de plusieurs heures, M. N. ne
se réveille pas. Il est dans le coma. Sa famille est prévenue
de l’aggravation et du pronostic très réservé. Douze heures
plus tard, après avoir repris conscience et passé un long
moment seul avec son fils, M. N. meurt paisiblement et
sereinement, comme s’éteint une bougie, entouré des
siens. Cela faisait huit ans qu’il avait été rendu partiellement
puis complètement dépendant par une maladie horrible
qui avait totalement bouleversé la quiétude familiale. Cela
faisait presqu’un an qu’il était maintenu, à sa demande,
artificiellement en vie.
L’histoire de M. N. rappelle que la première question à
se poser est « Le patient est-il ou non en état de décider
pour lui-même ? » Il est plus que probable que, dans cette
situation très particulière, si la décision avait dû être prise
par le médecin (dans le cadre de la procédure collégiale), ce
n’est pas celle que le patient a finalement choisie qui aurait
été mise en œuvre. Cela illustre la difficulté incombant
au médecin de tenter de prendre la décision la plus en
adéquation possible avec ce qu’aurait été celle du patient,
sans évidemment aucune certitude d’y parvenir.
M. A. : « Je veux qu’on me laisse mettre fin à mes
jours. »
L’histoire de M. A. va nous amener à nous interroger sur
les limites entre l’application de la loi et une certaine forme
d’assistance au suicide.
M. A. est un homme d’une quarantaine d’années,
lui aussi atteint d’une sclérose latérale amyotrophique.
Révolté par la maladie qui le frappait et par l’inacceptable
atteinte à son autonomie qu’elle lui imposait, il avait
envisagé différents moyens de mettre fin à ses jours. Il
s’était même rendu en Belgique, afin de « bénéficier » de
la loi autorisant la pratique des injections létales. Il y avait
106 Des décisions parfois bien complexes…
renoncé, notamment en raison de l’impact psychologique
probable que cela aurait eu sur sa femme et ses jeunes
enfants. Parfaitement informé, lors d’un de ces précédents
séjours dans notre unité de soirs palliatifs, des dispositions
de la loi d’avril 2005, il avait écrit des directives anticipées,
et désigné une personne de confiance. L’évolution de sa
maladie, si elle le laissait totalement dépendant pour
tout acte de la vie quotidienne, ne le plaçait pas dans
une situation de maintien artificiel en vie. S’il ne pouvait
plus mobiliser son corps, ni même parler90, il était capable
de respirer de manière autonome, et de s’alimenter en
ingérant les aliments qu’on lui portait à la bouche. Il ne
pouvait donc invoquer les dispositions légales pour obtenir
qu’on le laisse mourir. Il exprimait une grande colère, face à
ce qui lui semblait une injustice scandaleuse.
Notre propos n’est pas de revenir ici sur la profonde
– mais légitime, respectable et compréhensible –
ambivalence de sa demande « d’en finir »91. Ce qui est
intéressant à ce moment de notre réflexion, est la décision
qu’il prend en début d’année 2008, probablement après
plusieurs mois de réflexion. Il décide d’organiser une grande
fête avec tous ces amis92, puis de cesser de s’alimenter
(et de boire). Il s’agit pour lui de la seule façon de mettre
fin à ses jours. Il est toutefois inquiet sur l’inconfort que
pourrait lui entraîner cette décision. Il émet le souhait
d’être accompagné – et soulagé – dans ses derniers jours
en étant hospitalisé dans notre unité de soins palliatifs où
il a déjà séjourné à plusieurs reprises. Nous donnons un
accord de principe.
90 Pendant un temps capable de taper sur un clavier d’ordinateur il avait
fallu l’équiper d’un capteur frontal lui permettant de taper les mots sur un
écran pour lui permettre de poursuivre sa vie relationnelle. Jusqu’à ses
tout derniers jours il communiqua par mail et tint à jour son blog.
91 Sur cette question la lecture de son blog est édifiante. Il était toujours
en ligne au moment de la rédaction de cet ouvrage. Un lien est disponible
sur le site www.collection-omega.fr
92 Le remarquable ouvrage (Retour en Terre, 2007) que Jim Harrison a
consacré a un de ses héros atteint de cette même terrible maladie, évoque des circonstances similaires, même si les moyens utilisés diffèrent.
7. Des décisions parfois bien complexes… 107
Pour des raisons connexes, ce n’est finalement pas dans
notre unité qu’il est hospitalisé, lorsqu’après avoir mis en
œuvre sa décision d’arrêter de boire et de manger (i.e. son
suicide), son état devient incompatible avec le maintien
à domicile. Confrontés à une situation très inhabituelle
et à un patient qu’ils ne connaissent pas directement, les
médecins de ce service prennent la décision de perfuser
M. A., afin de le maintenir en vie. Il tente désespérément
de faire valoir son droit à refuser la perfusion. L’équipe
médicale évoque, elle, son devoir de ne pas le laisser mourir
ainsi. Finalement, après quelques heures, c’est son épouse,
qui arguant de son statut de personne de confiance, et des
directives anticipées de son mari, débranche la perfusion et
organise dans la journée le transfert vers notre USP tel que
prévu initialement. C’est là que M. A., apaisé, décède moins
de quarante-huit heures après son arrivée, en présence de
son épouse, et après avoir pu dire au revoir à ses enfants.
Au cours de cette ultime hospitalisation, M. A. a reçu,
aux doses nécessaires et suffisantes, les médicaments
permettant le soulagement de son angoisse et de la
douleur entraînée par les mobilisations. II a également reçu
les soins nécessaires à la prise en charge de sa sécheresse
de bouche.
Ainsi, la situation médicale de M. A. ne lui permettait
pas d’obtenir, contrairement à M. S., un moyen via la loi
d’avril 2005, de faire cesser une vie dont il ne voulait plus.
Il a néanmoins bénéficié des droits ouverts par cette loi
en refusant la perfusion qu’on a voulu lui imposer (avec
difficulté en raison d’une méconnaissance certaine de la
part des professionnels de santé qui l’avait pris en charge)
et en obtenant le droit à être soulagé des symptômes
gênant la qualité de sa fin de vie (traitements antalgiques et
anxiolytiques, soins de confort). Si cela avait été nécessaire,
il aurait également reçu des traitements à visée sédative
(provoquant une diminution de son état de conscience
pour contrôler des symptômes gênants incontrôlables par
un autre moyen), conformément à ce que permet l’article 2
de la loi93.
93 Cf. plus haut : le principe du double effet.
109
108 Des décisions parfois bien complexes…
Nous en sommes arrivés, avec le cas de M. A., à la limite
extrême de ce qu’encadre la loi (le laisser-mourir) et de la
frontière, tenue mais efficace, qu’elle trace avec le « fairemourir ». Il convient de rester très vigilant sur cette limite.
En effet, comme aimait à le rappeler le savant Cosinus, un
des protagonistes des épisodes truculents des aventures
de la famille Fenouillard94 : « Au-delà des bornes, il n’y a plus
de limite ». C’est peut-être un des points fondamentaux
d’une éthique soignante responsable : respecter les bornes
fixées collectivement.
8. Répondre à la question d’un éventuel
arrêt des techniques de maintien artificiel
en vie pour des patients incapables d’en
décider eux-mêmes Vous voudriez connaître le secret de la mort.
Mais comment le trouverez-vous
sinon en le cherchant dans le cœur de la vie ?
Car qu’est-ce que mourir
sinon se tenir nu dans le vent et se fondre dans le soleil ?
Khalil Gibran
94 Bande dessinée de Christophe parue à la fin du XIXe siècle, La citation
exacte est «Quand la borne est franchie, il n’est plus de limites». Pierre Dac
et Jacques Lacan ont également utilisé cette maxime définitive.
110 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques…
Mme X. : jusqu’où ne pas aller trop loin ?
Mme X. était une femme de soixante-dix ans, active
retraitée, qui s’adonnait à de nombreuses activités dont
le tennis qu’elle continuait à pratiquer avec assiduité. Elle
fut brutalement victime d’un accident vasculaire cérébral
hémorragique (une « attaque cérébrale ») qui la plongea
dans un coma profond pendant plusieurs semaines. Objet
de soins attentifs de réanimation, elle survécut à la phase
aiguë malgré la gravité de la situation initiale. Mais ne
récupéra pas ses fonctions intellectuelles. Si elle respirait
toute seule, elle était parfaitement incapable de manger,
ni même d’ingérer les aliments qu’on lui glissait dans la
bouche. Elle « avalait de travers », inhalant les particules
alimentaires dans ses poumons, ce qui provoquait
de graves infections pulmonaires. Les médecins afin
de permettre sa survie malgré son incapacité de se
nourrir, proposèrent alors une technique de nutrition
médicalement assistée (l’administration de solutés
nutritifs via un tube de gastrostomie, directement dans
son estomac). En état quasi végétatif (elle répondait en
fait mieux à la définition d’un état pauci-relationnel car
elle restait sensible à quelques rares stimulations) elle
nécessitait une prise en charge constante rendant tout
retour à domicile impossible. Elle échoua dans un EHPAD95
où les jours s’écoulaient, rythmés par les visites de sa fille.
Celle-ci était particulièrement éprouvée par l’état de sa
maman, avec qui aucune véritable communication n’était
possible ni aucune vie relationnelle quelconque. Les mois
passèrent sans évolution favorable de l’état neurologique.
Par contre des escarres apparurent, notamment au niveau
du sacrum, en lien avec son alitement permanent. Ces
escarres se creusèrent de plus en plus, malgré des soins
adaptés. Une fistule finit même par se créer avec l’intestin.
Les matières fécales s’évacuant désormais par l’escarre
du sacrum, un chirurgien fut consulté. Il proposa une
intervention chirurgicale permettant de dériver le tube
digestif sur une colostomie équipée d’une poche, afin
d’envisager la fermeture de la fistule et (pourquoi pas ?) la
95 Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes :
nouvelle appellation des maisons de retraite médicalisées.
8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 111
guérison de l’escarre. C’est à ce moment que fut posée la
question d’une éventuelle obstination déraisonnable, par
l’équipe soignante et par la fille de la patiente. Le médecin
responsable de la patiente, peu familier de ce type de
questionnements et de l’application de la loi Leonetti,
préféra, à juste titre, demander un avis complémentaire à
notre équipe.
Constatant la complexité de la situation, les questions
posées sur une éventuelle douleur ressentie par la patiente,
sur la souffrance importante de l’entourage, il lui fut alors
proposé de transférer la patiente dans notre service afin
de procéder à une évaluation plus précise de la situation. Il
était convenu qu’à l’issue de cette évaluation (une ou deux
semaines) et, le cas échéant, la patiente pourrait réintégrer
son équipe soignante habituelle. Cette proposition étant
acceptée par toutes les personnes concernées, la patiente
fut donc transférée dans l’USP.
C’est à ce moment que commença donc notre prise
en charge. Il est tout d’abord procédé à un ajustement
du traitement antalgique permettant d’assurer l’absence
de douleurs (notamment lors des soins). L’état pauci
relationnel, stable depuis plus de neuf mois est avéré,
ainsi que le maintien artificiel en vie par une nutrition
médicalement assisté, sans aucun espoir raisonnable
d’amélioration. La patiente est totalement hors d’état
de manifester sa volonté de poursuivre ou non cette
situation de maintien artificiel en vie. L’équipe, constate
que sans aucun doute, on se trouve devant une situation
de type 2 ou 4 (maintien artificiel en vie, patient hors d’état
d’exprimer sa volonté, avec une espérance de vie possible
allant de plusieurs semaines à plusieurs mois). Il va donc
falloir, à l’issue d’une procédure collégiale, s’efforcer de
reconstituer ce qu’aurait été la volonté de cette dame,
si elle avait pu décider pour elle-même, pour prendre
la décision la plus proche de ce qu’aurait été la sienne.
En l’absence de directives anticipées et de désignation
explicite d’une personne de confiance, c’est au travers
des avis de la famille et des proches que va se faire cette
recherche. La fille de la patiente, par ailleurs prise en charge
112 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques…
par la psychologue du service, parle longuement de la vie
très active de sa mère, de son désir maintes fois exprimé de
ne pas « terminer en chaise roulante » et de son absence
de convictions religieuses (qui aurait pu lui faire considérer
l’alimentation, même par des voies artificielles, comme
un devoir sacré de respect de la vie). Le fils de la patiente,
est également impliqué dans la discussion. Une réunion
d’équipe pluridisciplinaire ne recueille aucun avis favorable
à l’intervention chirurgicale, ni même à la poursuite de la
nutrition médicalement assistée.
Dans le cadre de la procédure collégiale prévue par
la loi, l’avis d’un second médecin, indépendant de tout
lien hiérarchique avec le médecin de l’USP en charge de
la patiente est requis. C’est le médecin de l’EPHAD qui est
sollicité. Il se prononce également en faveur d’un arrêt
de toutes les mesures de maintien artificiel en vie, mais
souhaite que l’accompagnement de ce « laisser mourir en
paix » soit réalisé dans l’USP, en continuité de la prise en
charge actuelle. L’ensemble de la procédure est inscrit dans
le dossier. Les deux enfants sont informés de la décision
prise d’arrêter le maintien artificiel en vie de leur maman,
tout en lui assurant l’ensemble des soins de confort
nécessaires au maintien de sa qualité de vie. Plusieurs
entretiens permettent à sa fille d’exprimer son inquiétude
sur le fait que sa mère allait « mourir de faim et de soif »
et que la phase d’agonie précédant la mort risquait d’être
pénible et douloureuse.
Conformément à la décision prise suite à la procédure
collégiale, les apports hydriques et nutritionnels par
la sonde de gastrostomie sont stoppés. Évidemment
il n’est pas procédé à l’ablation de cette sonde ce qui
constituerait une double erreur. D’une part, il s’agirait d’un
geste parfaitement inutile et très stigmatisant (évoquant
à tort un abandon et/ou un arrêt de tous les soins).
D’autre part, ce serait se priver d’une voie d’administration
d’éventuels médicaments permettant de soulager tels ou
tels symptômes au cours des jours précédents la survenue
naturelle de la mort.
8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 113
Tout au long des jours qui vont suivre, la patiente va
bénéficier de soins attentifs (notamment des soins de
bouche, permettant d’éviter toute sécheresse de la bouche,
auxquels est associée sa fille, massages de la peau, toilette
après prévention de tout inconfort par administration
préventive de traitements à visée anxiolytique, sédative et
antalgique, etc.). La mort va survenir huit jours après l’arrêt
de la nutrition/hydratation médicalement assistées.
Durant cette période sa fille est très présente. Elle
exprime souvent des sentiments de culpabilité. Elle trouve
chaque fois qu’elle le désire une oreille disponible et
attentive à sa souffrance. Elle évoque les souvenirs de sa
mère quand elle était « vivante ». Elle nous fait part vers
le cinquième jour de son impression d’avoir pu rétablir
une certaine communication avec sa mère (qu’elle n’avait
jamais constatée depuis le début de la maladie) et parle
des larmes qui se seraient écoulées des yeux de la patiente
lorsqu’elle évoquait – dans un énième monologue avec
sa mère – la décision prise de laisser s’arrêter cette vie qui
semblait n’avoir plus de sens. Elle dit avoir interprété ses
larmes comme un acquiescement, voire un soulagement
de la part de sa mère. Elle exprime aussi combien elle
trouve ce temps long et combien elle se dit parfois qu’il
aurait mieux valu « que ça aille vite » puisque la décision
était prise. Disposant de la possibilité de dormir auprès de
sa mère, elle reste auprès d’elle vingt-quatre heures sur
vingt-quatre durant les deux derniers jours et est présente
au moment où sa mère s’éteint tranquille et apaisée, sans
aucun symptôme gênant.
Loin d’une vision angélique, cette histoire vraie illustre
ce qu’il est possible (et impératif ) de faire (apaiser la
douleur et les différents symptômes gênant la qualité de
vie restante, accompagner une famille…) et ce qu’il n’est
pas possible de faire (empêcher la souffrance liée à la
perte d’un être cher, accéder à une demande d’accélérer la
survenue d’une mort inéluctable,...)
S’il est parfaitement compréhensible que l’on
puisse ressentir au moment de la mort d’un proche le
114 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques…
8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 115
désir que « cela finisse vite »96, il est par contre du rôle
des professionnels de santé de ne pas entendre cette
demande comme une demande de passage à l’acte . C’est
le témoignage de l’orage émotionnel que provoque le
fait d’assister impuissant à une agonie. Il doit contribuer
au début du travail de deuil, indispensable à la poursuite
de la vie. Ce qui est inacceptable et inadmissible, c’est la
survenue d’épisodes interprêtés (à tort ou à raison) comme
inconfortables par l’entourage sans que cela n’entraîne de
la part de l’équipe soignante le déploiement de tous les
moyens nécessaires pour les faire cesser. Les équipes qui
laissent perdurer sans réagir de telles situations doivent
comprendre que c’est une conduite fautive vis-à-vis du
patient et de ses proches.
Par contre il ne s’était pas réveillé du coma profond
dans lequel il était plongé depuis l’accident. Il était nourri
artificiellement par une sonde de gastrostomie.
En accréditant ainsi l’idée que l’agonie n’est pas
compatible avec le « laisser mourir en paix », ils
renforcent ceux qui voudraient autoriser (voire obliger)
la médecine à provoquer artificiellement la mort rapide
des patients en fin de vie. C’est bien un certain désintérêt
et une certaine incompétence du monde médical pour
l’accompagnement de la toute fin de vie qui a nourri le
mouvement de société favorable à la mise en œuvre d’une
loi autorisant les injections létales en phase agonique. Il
serait pourtant dramatique que notre société fixe « des
délais réglementaires » pour le temps du mourir et impose
aux médecins de les faire respecter.
Devant cette situation l’équipe mobile de soins
palliatifs de l’hôpital où il était hospitalisé fut appelée. Elle
proposa un transfert pour évaluation vers notre unité de
soins palliatifs. Cette proposition fut acceptée aussi bien
par l’épouse pensant qu’on accédait ainsi à sa demande
de cesser tout acharnement, que par l’équipe qui ne
comprenait pas que ne soit pas reconnue par l’épouse
l’excellence des soins prodigués, qui avait permis d’éviter la
mort du patient, malgré la gravité initiale du traumatisme.
Le contre-exemple de M. B.
M. B. était un homme de soixante-cinq ans, victime
six mois aupravant d’un traumatisme crânien suite à une
chute. Il avait été hospitalisé pendant plusieurs mois en
réanimation en raison des graves dégâts neurologiques
provoqués. Il avait été trachéotomisé pour permettre
une assistance respiratoire. Ayant finalement récupéré
son autonomie respiratoire, il ventilait spontanément au
travers de sa canule de trachéostomie.
96 Voir en début d’ouvrage la « prière euthanasique » de la tradition
talmudique.
Il était resté hospitalisé depuis son accident dans
un service non spécialisé dans la prise en charge des
cérébrolésés. Son épouse était très présente depuis
l’accident. Elle était épuisée et faisait part régulièrement à
l’équipe qui prenait en charge son mari de son impression
d’acharnement thérapeutique. Elle ne comprenait pas
qu’on veuille maintenir en vie à tout prix celui en qui elle
ne reconnaît plus, selon ses dires, « qu’un légume ». À
plusieurs reprises elle avait demandé à ce qu’on arrête ce
qu’elle appelait son « gavage ».
À son arrivée dans notre service, la situation est
évaluée de manière pluridisciplinaire. À nos yeux, l’état de
conscience du patient s’avère moins critique qu’annoncé
initialement. M. B. réagit nettement à des stimulations
auditives comme la télévision et la musique qu’il apprécie.
La prévention de la douleur et de l’anxiété générées par
les mobilisations, un bain dans la baignoire à ultrasons
du service, permettent de noter une diminution de la
crispation qui caractérisait son visage. L’analyse du dossier
révèle que l’état de vigilance s’est significativement
amélioré depuis quelques semaines.
L’épouse est prise en charge par la psychologue du
service. Elle exprime son épuisement face à une situation
qu’elle ne comprend pas. Elle se plaint d’un manque de
communication avec l’équipe médicale. Elle a longtemps
116 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques…
cru que son mari allait se réveiller un jour et reprendre sa vie
comme avant. Devant l’absence d’amélioration évidente,
elle craint que l’on ne renvoie son mari à la maison dans
cet état. Elle exprime son refus de devoir passer le reste de
son existence à s’en occuper ainsi, seule. Ses enfants vivent
à l’étranger et ne peuvent lui être d’aucun secours. Son
mari était hyperactif et représentait pour elle un soutien
indispensable pour tous les actes de la vie quotidienne.
Elle se sent totalement désemparée par la situation.
Elle va également longuement discuter avec un
médecin du service. Cela va lui permettre de mieux
comprendre la démarche thérapeutique qui a conduit son
mari dans la situation présente, qu’elle n’avait pas compris.
Les dispositifs de la loi Leonetti lui sont détaillés. Elle
comprend que ce n’est pas à elle qu’il revient de prendre
une décision de limitation d’arrêt de traitement. Il lui
est expliqué que son avis est important mais que ce qui
compte surtout pour nous c’est d’essayer de savoir quelle
aurait été la décision de son mari. Elle explique qu’il était
un battant. C’est ce qui explique pour elle qu’il s’en soit
sorti. Elle pense qu’il aurait sûrement voulu continuer à se
battre, et que d’ailleurs c’est ce qu’il fait. Alors qu’elle, au
contraire, ne s’en serait pas senti la force et aurait préféré
qu’on la laisse mourir.
Un contact téléphonique est établi avec les enfants,
établis chacun à un bout du monde. Ils disent leur
désarroi, leur manque d’information. Ils ont bien compris
cependant la situation de détresse de leur mère. Ils n’ont
pas connaissance de souhaits particuliers exprimés par
leur père dans de telles circonstances, mais confirment son
caractère opiniâtre.
À l’issue de cette évaluation, qui a duré une dizaine de
jours, une réunion pluridisciplinaire est organisée pour
définir le projet de soins pour ce patient. Étant donné
les différents renseignements obtenus, et l’amélioration,
même modeste, de l’état neurologique, il est proposé
d’orienter le patient vers une filière spécialisée dans la
psycho réhabilitation des cérébrolésés. Aucun argument
8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 117
ne conduit à proposer une limitation ou un arrêt de certains
traitements. Il paraît légitime de poursuivre la nutrition
médicalement assistée.
Cet avis est présenté à l’épouse du patient, tout en
lui expliquant que cela ne signifie pas que son mari va se
réveiller de son coma à brève échéance. L’intérêt d’une
prise en charge spécialisée et d’une stimulation sensorielle
lui est détaillé. Sans être totalement convaincue, elle
dit sa confiance dans une équipe qui a pris le temps de
l’écouter.
Le patient quitte donc l’USP pour retourner dans son
service d’origine qui va se charger d’organiser la suite de la
prise en charge.
Cette histoire illustre la nécessité d’un encadrement
scrupuleux des procédures de décisions d’éventuelle
limitation ou arrêt de soins. Face au double épuisement
d’une épouse et d’une équipe soignante, il s’en est
probablement fallu d’un rien que ne soit procédé à l’arrêt du
maintien en vie de M. B. Or, selon notre propre évaluation,
évidemment sujette à caution, il ne semble pas que l’on
ait pu parler dans ce cas d’une obstination déraisonnable
qu’il convenait de faire cesser. Nous n’avons plus eu de
nouvelles de M. B, qui est peut-être mort, ou qui a peutêtre récupéré suffisamment de capacités neurologiques
pour rentrer chez lui.
Son cas reste en tout cas, pour nous, un garde-fou, une
balise qui nous permet de garder en mémoire l’importance
extrême qu’il faut apporter à ces décisions. Et l’incertitude
qui s’y rattache…
119
9. Quelles évolutions pour la loi
depuis 2005 ?
Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ;
il en fut toujours ainsi ;
il en est ainsi pour nous tous.
Mais l’incertitude du lieu, du temps et du mode,
qui nous empêche de bien distinguer
ce but vers lequel nous avançons sans trêve,
diminue pour moi
à mesure que progresse ma maladie.
Marguerite Yourcenar
120 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
Le contexte : l’activisme pro-légalisation
(2007- 2008)
La campagne présidentielle de 2007 donne lieu à une
intense médiatisation sur la question de l’euthanasie.
En mars se déroule le procès de Périgueux : deux
professionnelles de santé (un médecin et une infirmière)
sont accusées97 d’avoir l’une prescrit, et l’autre injecté un
produit mortel à une patiente en fin de vie, « pour abréger
ses souffrances ». Les partisans d’une légalisation pensent
tenir leur procès de Bobigny.98
Reprenant le parallèle avec le combat des années
soixante-dix en faveur d’une légalisation de l’IVG, ils
organisent la publication dans Le Nouvel Observateur du
Manifeste des deux mille. On retrouve à l’initiative de ce
texte, signé par deux mille professionnels affirmant avoir
pratiqué des euthanasies99, par solidarité avec les accusées
de Périgueux, le Dr Denis Labayle. Il avait déjà activement
soutenu en 1998 l’infirmière de Mantes, Christine Malèvre
et deviendra une des cautions médicales de l’ADMD qui
fera la promotion de son livre100. Ce manifeste se veut le
reflet de la parution, dans le même journal, en avril 1971,
du Manifeste des trois cent quarante-trois salopes, pétition
signée par trois cent quarante-trois femmes affirmant avoir
subi un avortement, et s’exposant ainsi à des poursuites
pénales.
Le message subliminal est clair. Euthanasie, IVG : même
combat. Comme du côté des catholiques intégristes
97 Finalement seul le médecin sera condamné à une peine symbolique
(un an avec sursis), tandis que, de manière surprenante, l’infirmière,
supposée dégagée de sa responsabilité par la prescription médicale est
acquittée.
98 Procès d’une mère et de sa fille accusée d’avortement après un viol et
qui en 1972 avait ému la France et permis de faire basculer la cause de la
légalisation de l’IVG.
99 «Nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à
mourir…» Le Nouvel Observateur, Nº2209, le 8 mars 2007.
100 Labayle Denis, Pitié pour les hommes. L’Euthanasie : le droit ultime, Stock, 2009.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 121
pro-vie, mais pour des raisons évidemment opposées, le
message est le même, il passe facilement dans l’opinion
publique et rentre dans les poncifs de café du commerce.
Dans le cadre d’un redoutable plan média, un livre
blanc Fin de vie : une nouvelle loi indispensable est diffusé
très largement à tous les responsables politiques, Gérard
Payen, alors président de l’ADMD, est clair : il s’agit de « faire
du tam-tam et imposer le sujet aux présidentiables101. »
Et cet activisme parfaitement organisé des partisans
de la légalisation va échouer d’un rien102 à faire basculer
de leur côté celui qui sera finalement élu à la fonction
suprême, Nicolas Sarkozy. Dans un de ses discours de
campagne, à la Mutualité, le 11 février 2007, il improvise,
sortant de son texte préparé :
Quand j’entends les débats sur l’euthanasie, je veux me
dire : les principes, je les respecte ; les convictions, je les
respecte, mais je me dis quand même au fond de moi : il y a
des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain. On
ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d’un
de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout
simplement parce qu’il n’en peut plus103.
Une réunion entre pro et anti légalisation est prévue
au QG de campagne du candidat. Il semble qu’il devait à
ce moment-là, sous l’influence de certains membres de
son entourage, se prononcer clairement en faveur d’une
légalisation. J’étais un des invités de cette réunion, en tant
que président de la SFAP. J’ai été décommandé une heure
avant le rendez-vous prévu. Après un intense lobbying
téléphonique, la réunion, qui devait se poursuivre par la
visite d’un hôpital de l’Ouest parisien, a été finalement
101 Lobbying - les vraies raisons des militants de l’euthanasie, Le Point, le
19 avril 2007.
102 Voir sur cette question l’excellent papier du site rue89 : Sarkozy est-il
favorable à l’euthanasie ? ou celui sur le blog d’Eric Favereau : Euthanasie :
quel Sarkozy choisir ? Voir les liens sur www.collection-omega.fr
103 Une partie de cette déclaration sera reprise dans l’avis d’obsèques de
Maia Simon, publié par Le Monde. Cf. plus bas le cas de M. Simon.
122 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 123
annulée. Ensuite, tant le candidat, que le Président, se
positionneront très clairement contre toute évolution
législative en faveur des injections létales.
média bien étudié, tombe à pic. La station RTL, forte de son
interview exclusive, matraque les ondes, vite relayée par
les autres médias.
En septembre 2007, quelques mois plus tard, une
nouvelle affaire « relance le débat sur l’euthanasie ».
L’actrice Maia Simon monte une dernière fois en scène
pour médiatiser son suicide assisté. Elle part en Suisse,
avec l’actif soutien du nouveau président de l’ADMD. Il faut
dire qu’il s’agit aussi pour J.‑L. Romero d’une opération
interne à l’ADMD.
Dans son communiqué du 19 septembre 2007, le
président de l’ADMD affiche donc une position sans
ambiguïté en faveur du suicide assisté : « Maïa Simon
est morte, l’exil était sa seule solution ! La France doit
respecter les libertés individuelles ». Saluant « celle qui a
choisi, pour abréger ses souffrances et vivre sa fin de vie
selon sa propre acceptation de la dignité, de s’exiler dans
un pays de liberté », il rappelle que « son témoignage
bouleversant et fort sera diffusé sur RTL ce jeudi 20 à 6h,
7h, 8h15, 8h35, et 12h30 » et conclut en estimant « qu’il est
temps de légiférer pour que des situations qui existeront
toujours soient traitées en France, avec les garanties de
la France et de ses institutions, dans le cadre familier et
familial des candidats au départ ». La rhétorique est bien
rodée. L’amalgame entre les pratiques d’injections létales
pour des patients en fin de vie, et l’instauration d’un droit
au suicide est en place. L’acte suivant peut s’ouvrir.
Peu de temps auparavant Henri Caillavet, fondateur
historique de l’association, a claqué la porte avec des mots
très durs104. Il l’accuse pêle-mêle de dépenses somptuaires,
de vouloir récupérer l’association à des fins politiques
personnelles (J.‑L Romero est conseiller régional UMP d’Île -de-France et s’efforce de poursuivre une carrière politique
aux marges de la droite105) et de trahir les combats
fondamentaux de l’association. Il évoque le virage qu’aurait
effectué l’ADMD en abandonnant la revendication d’un
droit au suicide. Il interdit d’ailleurs que son nom ne soit
désormais utilisé par l’association, notamment sur le
site Internet. Il est vrai que J.‑L Romero s’est livré à une
véritable OPA sur l’ADMD. Venant du monde associatif très
remuant des militants contre le SIDA, il bouscule certaines
habitudes dans la vieille maison. Le départ d’Henri Caillavet,
s’accompagne d’un certain nombre d’autres départs, dont
l’importance est minimisée par le nouveau président. Le
bateau tangue, il faut vite reprendre la barre. Et le voyage
sans retour de Maia Simon, comédienne ayant un certain
renom, jusqu’à Zurich106, guidé par l’ADMD, et avec un plan
104 Les courriers de démission adressés aux délégués de l’ADMD par
Henri Caillavet sont disponibles sur le site www.collection-omega.fr
105 Après avoir soutenu le candidat Sarkozy, il change de cheval au milieu du gué et se prononce pour F. Bayrou (Romero votera Bayrou, communiqué de presse de J.-L Romero – Aujourd’hui, Autrement – le 9 avril 2007).
Un an plus tard, c’est Bertrand Delanoë qu’il soutiendra pour les élections
municipales à Paris.
106 Un voyage à l’étranger du fait d’une législation liberticide … c’est
bien la scène du vote de la loi sur l’IVG que nous rejoue encore l’excellent
Fin février 2008, éclate une nouvelle affaire destinée
« à relancer le débat sur l’euthanasie » (air connu). Chantal
Sébire est atteinte d’une tumeur déformant son visage. Elle
va, assez complaisamment et non sans un exhibitionnisme
aux limites de l’obscène107, exposer celui-ci à ceux qui
communicateur J.‑L Romero.
107 Le reportage, diffusé après sa mort sur M6, dans l’émission Zone
Interdite qui lui était spécialement consacrée, est à ce titre particulièrement
édifiant. Il permet à ceux qui veulent entendre de capter sa détresse au
milieu de ses étonnantes desinhibitions, liées là encore – comme dans
le cas de Vincent Humbert – à un évident syndrome frontal. À l’occasion
d’une séquence étonnante où son médecin traitant montre à l’écran une
image d’IRM cérébral de sa patiente, au mépris de tout respect du secret
professionnel, on distingue nettement l’envahissement du lobe frontal.
Son comportement, filmé par les caméras qui l’ont accompagnée dans
sa vie quotidienne, confirme ce diagnostic, presque jamais évoqué. Pas
plus que pour Vincent Humbert, ou pour M. B. – dont le cas est exposé
plus haut - ce diagnostic n’est infamant. Il permet simplement de mieux
comprendre certaines choses.
124 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
veulent le voir (et même à ceux qui ne demandaient rien
de ce genre). Impossible d’y échapper, même si certains
journalistes ont le courage de refuser de l’exposer. Je
garde en mémoire, lors d’un débat sur I>Télé auquel je
participai, la courageuse attitude de l’animateur, JeanJérôme Bertolus, presque obligé de se mettre en colère en
régie pour obtenir la garantie qu’à aucun moment de son
émission, on ne projetterait cette image atroce.
Sans revenir en détail sur le fond de cette affaire,
pourtant intéressante à bien des égards, il est tout de
même fascinant de noter que très peu de gens ont relevé
l’énormité oxymorique de sa requête. Alors qu’elle répète
à l’envi qu’elle est opposée au suicide (et non empêchée
physiquement comme Vincent Humbert ou M. A.108),
elle demande à la justice d’autoriser un médecin à lui
appliquer la procédure suisse d’assistance au suicide. Elle
finira d’ailleurs par mettre fin à ses jours, un mois et demi
après la diffusion du premier reportage la concernant sur
France 3.
Son avocat, Gilles Antonowicz, affirmera lui aussi
maintes fois son opposition (que je crois sincère109) au
suicide assisté. C’est même la raison qu’il mettra en avant
pour quitter l’ADMD avec fracas, alors qu’il en était le viceprésident, en juin 2008, quelques mois seulement après
la mort de Chantal Sébire. « Je ne veux plus cautionner le
suicide assisté » affirme-t-il dans son interview dans Le
Figaro, le 26 juin 2008 : « Jean‑Luc Romero, il est là ou le
vent tourne. Ce qui l’intéresse, c’est de ratisser large. Pour
avoir le plus d’adhérents possibles, il maintient l’ambiguïté.
Dans les discours publics, il ne parle pas de suicide assisté.
Mais en interne, le discours est ambigu.»
Interrogé sur le droit revendiqué par certaines
personnes de mettre fin à leurs jours, il répond : «Je leur
reconnais parfaitement le droit de sauter par la fenêtre, ou
de trouver des moyens plus agréables s’il en existe. Mais je
108 Cf. plus haut.
109 Nous en avons parlé ensemble plusieurs fois, et nous avons même
signé une tribune commune dans Le Monde. Cf. en annexe II.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 125
ne reconnais pas à la société le devoir de porter assistance
à ces gens-là pour qu’ils meurent proprement.»
Et il conclut en proposant que coexistent deux
associations, « une qui serait très clairement pour la
légalisation de l’euthanasie sur des critères médicaux, avec
le développement des soins palliatifs. De l’autre côté, ces
gens qui rêvent à cette espèce de monde imaginaire, où,
quand on serait vieux et un peu malade on irait chercher
une pilule pour mourir tranquillement.»
Au total on peut donc se demander si les deux
principaux acteurs de ce nouveau drame médiatique
(Chantal Sébire et son avocat) ont été des manipulateurs
de l’opinion, prétendant dire blanc, alors qu’ils pensaient
noir ?
Ou bien s’ils n’ont pas été les victimes manipulées « à
l’insu de leur plein gré » des partisans d’une cause qu’ils
n’approuvaient pas ?
Les récentes déclarations du médecin traitant de
Chantal Sébire110 apportent un début de réponse à ces
questions. « Chantal Sébire savait que la législation ne
serait pas pour elle. Elle a agi par altruisme, pour les autres.
Je trouve que les médias ont été très dignes111. Par contre,
je me suis senti mal à l’aise avec l’Association pour le droit
de mourir dans la dignité (ADMD). Elle entretient une
confusion entre euthanasie et suicide assisté. Ce n’est pas
un bon argument pour faire évoluer la législation et c’est
sans doute ce qui a entravé l’évolution de la loi. Pour ma
part, je défends le droit à une mort digne des personnes
souffrant d’une pathologie incurable. Mais je ne suis pas
pour le suicide assisté de gens qui en ont assez de la vie. Il
ne faut pas mélanger les genres. »
110 Entretien avec le Dr Debost, paru dans Le Bien Public, le 25 mars 2009,
à l’occasion du classement sans suite de l’enquête ouverte à l’occasion de
la mort de Chantal Sébire.
111 Sic ! NdA
126 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
Les vingt propositions de la commission
d’évaluation
C’est dans ce contexte, que, conjointement, le Premier
ministre et le président de l’Assemblée nationale, chargent,
fin mars 2008, le député UMP Jean Leonetti d’une nouvelle
mission. Il s’agit d’évaluer l’application de la loi qu’il a
contribué à faire adopter en avril 2005. Cette fois, Jean
Leonetti s’entoure seulement de 3 autres députés (1 PS,
1 PC, 1 Nouveau Centre).
Ils vont auditionner publiquement une cinquantaine
de personnes en privilégiant des témoignages de
terrain. C’est ainsi qu’ont été entendus des malades, des
proches de malades, des représentants d’associations
de patients, de bénévoles et de mouvements militants
pour la reconnaissance d’un droit à la mort. Il a aussi été
fait appel à l’expérience de médecins et d’infirmières
directement concernés dans leurs pratiques quotidiennes.
Toutes les auditions ont été filmées, retransmises sur la
chaîne parlementaire. Elles sont visionnables112 en ligne
sur le site de l’Assemblée nationale, et un DVD devrait
être prochainement disponible. Le très long et exhaustif
rapport de la mission d’évaluation113 se conclut par vingt
propositions destinées à améliorer l’efficacité de la loi
d’avril 2005. Tout en recommandant vivement la lecture du
rapport dans sa globalité, ce sont ces vingt propositions qui
font ici l’objet d’un rappel et de commentaires explicatifs.
Cinq propositions visent à mieux faire connaître la loi,
tant est évident le constat de la méconnaissance du
grand public, mais aussi des professionnels de la santé
et même du droit
Les trois premières portent sur la création d’un
Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie.
112 Suivre le lien sur www.collection-omega.fr
113 Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi
n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de
vie n° 1287 déposé le 28 novembre 2008.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 127
Étant directement à l’origine de cette idée114 je ne peux
que souscrire à cette proposition, tout en restant très
attentif à la façon dont elle sera réellement mise en œuvre.
C’est finalement une double mission qui lui a été dévolue :
mission d’information et d’évaluation.
Les deux suivantes (4 et 5) visent à favoriser les
échanges entre juges et médecins, en créant des liens
entre structures juridiques et structures de réflexions
éthiques, et en renforçant l’attention des parquets sur les
dispositions de la loi de 2005.
Quatre propositions visent à renforcer les droits des
malades
Le recours à la procédure collégiale devrait être élargi
à une volonté anticipée du patient, via ses directives
anticipées, et sa personne de confiance (proposition 6).
Cette proposition est intégrée dans la nouvelle rédaction
de l’article 37 du Code de déontologie, adoptée par le
CNOM : rajout au paragraphe II de la phrase : « Cette
procédure peut également être initiée dans le respect
des directives anticipées du patient ou à la demande de la
personne de confiance ».
En cas de décisions contraires à l’avis exprimé par
les directives anticipées ou la personne de confiance, le
rapport insiste sur la motivation qui devrait être renforcée
(proposition 7). On se souvient que la loi exige déjà un
avis motivé, inscrit dans le dossier. En cas de décisions
contraires à celles exprimées par les directives anticipées
ou la personne de confiance, la motivation devra expliciter
clairement ce qui conduit à ne pas suivre ce qui semble
la pente naturelle. Il faudra expliquer ce qui permet de
penser que la volonté du patient, s’il avait pu l’exprimer,
114 J’ai émis cette idée pour la première fois en 2005 lors d’une
intervention au colloque organisé par la DHOS sur l’accompagnement
de fin de vie. J’ai ensuite très régulièrement insisté sur ce concept, mais
c’est la tribune parue dans Le Monde en mars 2008, cosignée avec l’avocat
de Chantal Sébire, et reproduite en annexe, qui a permis à cette idée de
rallier de nombreux suffrages.
128 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
aurait été différente que ce qu’en rapportent ses directives
anticipées et la personne de confiance qu’il a désignée.
Autant dire qu’il y faudra de très solides arguments, ce
qui est une garantie supplémentaire pour les patients que
la procédure collégiale ne se basera pas sur les positions
personnelles de tel ou tel médecin, mais sera un reflet
le plus fidèle possible de ce qu’aurait été la volonté du
patient.
Des médecins référents en soins palliatifs pourraient être
désignés pour intervenir dans les cas litigieux ou les plus
complexes (proposition 8). Ils pourraient ainsi apporter leur
compétence dans des situations conflictuelles entre une
équipe soignante, d’une part, et le patient et ses proches,
d’autre part. Il s’agirait de permettre lors de désaccords
de rechercher des solutions évitant une exacerbation du
conflit, laissant toujours des traces douloureuses115. Dans
chaque région serait ainsi désigné un médecin référent
sur ces questions, sorte de « médiateur de la loi de 2005 ».
Reste à déterminer, à l’heure où est rédigé cet ouvrage,
comment et par qui seront désignés ces référents. Il
serait souhaitable que le Comité de Suivi, présidé par
Régis Aubry, élabore un profil de compétences et lance
un appel à candidature, permettant ainsi de proposer, en
lien avec le futur Observatoire116, une liste de personnes
qui seraient nommées par le/la ministre de la Santé pour
une période donnée (trois ans par exemple). Il serait
souhaitable qu’un ou plusieurs référents supplémentaires
soient identifiés et que tous s’engagent dans le sens d’une
démarche interdisciplinaire dans le cadre de leur mission
de médiation. Des questions aussi pragmatiques que la
prise en charge des frais engendrés par leurs missions
devront être clairement envisagées.
Le droit à un congé pour accompagner un proche en fin
de vie a été créé par la loi de juin 1999. Le rapport propose
de prévoir une rémunération à ce congé, actuellement
sans solde (proposition 9). Une proposition de loi, signée
115 Cf. par exemple les cas de la famille Pierra ou de la famille K., exposés
plus haut.
116 Cf. propositions 1 à 3.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 129
par les quatre députés signataires du rapport, a été votée
à l’unanimité par l’Assemblée nationale, en février 2009.
Elle devrait recueillir un vote conforme du Sénat pour
permettre sa promulgation prochaine (avant juin 2009 ?).
Cette allocation est destinée à être versée à un ascendant,
descendant, frère, sœur ou toute personne partageant le
domicile d’une personne en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable. L’allocation serait versée
pour une durée maximale de trois semaines et devrait être
fixée à 49 € par jour.
S’il n’est pas certain que ce dispositif soit encore suffisamment incitatif, il s’agit indéniablement d’une avancée
très positive allant dans le sens d’une reconnaissance de la
nécessaire solidarité que la société doit consentir, non seulement vis-à-vis de ceux qui meurent, mais aussi vis-à-vis
de ceux qui les accompagnent, en perdant un être cher.
Trois propositions pour aider les médecins à mieux
répondre aux enjeux éthiques du soin
Les trois propositions suivantes visent à mieux former
les professionnels de santé aux questions posés par la
question du « laisser mourir » (proposition 10 : développer
l’enseignement de l’éthique) en créant, dans un premier
temps une dizaine de chaires de soins palliatifs dans les
facultés de médecine (proposition 11). Il s’agit réellement
d’un enjeu important, car dans le système médical français
(restant imprégné par le système mandarinal) le fait de
donner une valence universitaire à une discipline est un
facteur déterminant de sa reconnaissance comme une
discipline « noble ». L’exemple britannique a montré la
pertinence de cette reconnaissance universitaire à la
médecine palliative. Afin d’éviter tout mauvais procès, il
faut préciser qu’il s’agit bien de reconnaître une spécialité
universitaire et sûrement pas de réserver la pratique des
soins palliatifs à des spécialistes ! Vu l’importance des
enjeux de formation et de recherche dans le domaine de
l’accompagnement de fin de vie, il est parfaitement logique
que des universitaires, issus du terrain et justifiant d’une
bonne pratique, puissent se consacrer spécifiquement
130 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
à cette activité. Reste maintenant à observer la mise en
œuvre pratique de cette proposition, et la réaction des
membres actuels du Collège National des universités, seuls
habilités à organiser le concours de l’agrégation nécessaire
pour occuper une chaire dans une faculté.
La proposition 12 porte sur des précisions à apporter
dans le code de déontologie médicale concernant les
modalités des traitements à visée sédative qui doivent
accompagner les arrêts de traitement de survie lorsque
la douleur du patient n’est pas évaluable. Il s’agit en fait
d’une conséquence directe du témoignage des parents
d’Hervé Pierra devant la commission sur les conditions du
décès de leur fils. Ils ont eu (à tort ou à raison) le sentiment
que la douleur de leur fils n’était pas suffisamment prise en
charge durant la période pendant laquelle il n’a plus reçu
l’hydratation et la nutrition artificielle qui le maintenait
jusque-là en vie117. Soulignons que ce sentiment résulte
probablement avant tout du conflit les ayant opposés à
une équipe opposée à l’arrêt des traitements de maintien
artificiel en vie.
Néanmoins, il s’agit de situations particulièrement
complexes à gérer118. Le principe fondamental de
l’utilisation de traitements à visée sédative, est la recherche
du niveau minimum nécessaire au soulagement du patient,
permettant une adaptation en fonction de la situation. Or,
dans le cas de ces patients cérébrolésés, il est très difficile
d’apprécier le niveau d’inconfort. Il n’est pas possible
d’affirmer avec certitudes (même si c’est probable) qu’étant
donné la destruction des tissus cérébraux, il n’existe plus
de perception de la douleur, ni des autres symptômes.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 131
symptômes liée à l’approche de la fin de vie et qu’une
antalgie et une sédation systématiques sont pratiquées, on
lui évite l’inconfort y afférant. Si on ne la pratique pas, on
laisse survenir cet inconfort. S’il n’existe pas chez le patient
cérébrolésé de forme de perception de la douleur ou des
autres symptômes, que l’on pratique ou non une antalgie
ou une sédation systématique, cela ne change rien, étant
bien posé qu’en aucun cas la pratique d’une antalgie ou
d’une sédation ne sont des moyens d’accélérer la survenue
du décès120.
Dans le doute, il apparaît donc très souhaitable (il y a
tout à gagner et rien à perdre pour reprendre la métaphore
pascalienne) de pratiquer une antalgie et une sédation
systématique chez le patient cérébrolésé, lors de la mise
en œuvre d’une procédure de limitation ou d’arrêt de
traitement (situation 2 de la loi de 2005).
Cette disposition en cours de traduction dans le nouveau
projet d’article 37 du Code de déontologie doit néanmoins
faire l’objet d’une grande attention. Les risques de dérives
ne sont pas négligeables de voir s’instaurer une sorte de
« droit à la sédation » créant un « devoir de sédation » dans
d’autres circonstances que celles évoqués ci-dessus121.
La proposition du rapport consiste donc en une sorte
de pari pascalien119. S’il existe chez le patient cérébrolésé
une forme de perception de la douleur ou d’autres
La validité du raisonnement repose sur l’absence totale
de possibilité d’évaluation des symptômes ressentis, et ne
concerne donc qu’un nombre très restreint de patients. Il
serait dangereux qu’une pratique systématique du recours
à des traitements sédatifs systématiques, sans consacrer
le temps et l’attention nécessaire à un accompagnement
de qualité, se trouve légitimée par une rédaction ambiguë
du Code de déontologie ou de ses commentaires. La
proposition 12 vise à renforcer la nécessité posée par
la loi de soulager les patients en respectant les bonnes
pratiques. Elle ne saurait servir à en justifier de mauvaises.
117 Cf. plus haut un résumé du cas d’Hervé Pierra.
118 Cf. plus haut l’histoire de Mme X. dans notre USP.
119 Le pari de Pascal est le nom donné à un passage des Pensées de Blaise
Pascal où il démontre par le recours aux statistiques du jeu qu’il y a tout à
gagner et rien à perdre à croire en Dieu.
120 Cf. le chapitre sur le double effet.
121 C’est-à-dire procédure d’arrêt des traitements de maintien artificiel
en vie chez un cérébrolésé.
132 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
Huit propositions pour adapter l’organisation du
système de soins aux problèmes de la fin de vie
Afin de poursuivre le développement de l’offre de soins
palliatifs, le rapport propose de doter chaque département
d’au moins une USP d’ici cinq ans (proposition 13), et de
développer la prise en charge palliative dans les structures
de moyens et longs séjours (proposition 14). C’est une
déclinaison de la volonté, affichée par le plan présidentiel
de développement des soins palliatifs122, de diffuser la
culture palliative partout où se trouvent des patients en fin
de vie.
Le rapport insiste sur l’urgence de republier le décret
relatif aux conditions d’exercice des professionnels de
santé délivrant des soins palliatifs à domicile pris pour
l’application de l’article L 162-1-10 du code de la sécurité
sociale. Une première version qui prévoyait notamment
un contrat type fixant les relations entre les professionnels
de santé exerçant à titre libéral ou les centres de santé et
les organismes d’assurance-maladie pour la délivrance de
soins palliatifs à domicile a été cassée par un recours en
Conseil d’État en 2004.
Par voie de conséquence, actuellement, la délivrance
de soins palliatifs à domicile par des médecins et des
infirmiers libéraux sans adossement à un réseau de soins
palliatifs est très difficile. La proposition 15 demande que
le ministère de la Santé accélère la publication de ce texte
ayant comme objectif de faciliter la rémunération des
activités de soins palliatifs délivrées à domicile, en dehors
de réseaux constitués.
Afin de soulager les proches qui prennent en charge un
malade en fin de vie à domicile, la proposition 16 suggère
de développer les structures d’hospitalisation de répit. Ce
type de séjour est souvent difficile à organiser, bloquant
ainsi la possibilité du maintien à domicile de patients dont
l’entourage craint de ne pouvoir trouver d’alternative en cas
122 Programme de développement des soins palliatifs 2008-2012,
présenté le 13 juin 2008 à Bourges par Nicolas Sarkozy.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 133
d’épuisement. Il faut rappeler que la plupart des unités de
soins palliatifs organisent déjà ce type de séjour lorsqu’ils
s‘avèrent nécessaires. Le développement d’indicateurs
prenant en compte la qualité des soins dispensés dans les
établissements de santé et évaluant les pratiques médicales
au regard de la proscription de l’obstination déraisonnable
(proposition 17) et l’affectation d’une partie significative
des tarifs versés au titre des lits identifiés de soins palliatifs,
au développement des soins palliatifs (proposition 18)
doivent renforcer l’exigence de qualité des indicateurs de
soins.
Concernant la dernière proposition il s’agit du constat
que la rémunération par le système de la tarification
à l’activité (T2A) de l’activité au sein des controversés
lits identifiés de soins palliatifs123, est l’objet de dérives
budgétaires préoccupantes. Très bien rémunérés (presque
trois fois la rémunération d’un séjour moyen dans un
service de médecine) les séjours génèrent des sommes
servant rarement à la mise en place de moyens améliorant
réellement la prise en charge des patients en fin de vie,
mais à bien d’autres dépenses hospitalières.
S’il existe des réussites remarquables, il semble que
dans la majorité des cas, les séjours tarifés en lits identifiés
soient avant tout un des moyens de régulation budgétaire
permettant aux établissements hospitaliers publics ou
privés d’éviter leur déficit structurel ou améliorer leur
rentabilité, selon les cas. C’est bien ce que pointe le rapport,
en termes diplomatiques.
Les deux dernières propositions portent sur
l’aménagement nécessaire du financement par la
tarification à l’activité (T2A) afin de mieux prendre en
123 Ce concept, introduit par la circulaire d’organisation des soins palliatifs de février 2002, n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Il n’a jamais
fait l’objet d’une quelconque évaluation ou d’une validation par une société savante. Il s’agit en fait d’une sorte d’OANI (Objet Administratif Non
Identifié) puisqu’il ne concerne pas des lits (mais des places virtuelles) qui
de toute façon ne sont pas identifiés (mais soumis à une vague reconnaissance de la part des agences régionales de l’hospitalisation).
134 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ?
compte la durée des séjours (proposition 19) et l’adapter
dès 2011 au secteur de moyens et longs séjours. En effet,
depuis 2005 un nouveau mode de tarification a été mis en
place, le système dit de la T2A. Tous les séjours d’un même
type (groupe homogène de séjour) sont rémunérés par
un tarif forfaitaire, quelle que soit la durée de ce séjour.
Le système a comme avantage théorique d’inciter à une
prise en charge par les hôpitaux la plus courte possible. Si
pour une même maladie un hôpital garde un patient deux
fois moins longtemps il peut théoriquement gagner deux
fois plus d’argent puisque dans le même laps de temps il
peut prendre en charge deux patients. Censé générer des
économies le système a fait l’objet de critiques, notamment
de la Cour des Comptes. Mais son application dans le
domaine des soins palliatifs apparaît comme une des plus
problématiques.
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 135
Désormais, il existe une proportionnalité logique entre les
tarifs payés selon la longueur du séjour de soins palliatifs.
Ainsi un séjour de trente jours «rapporte» aujourd’hui trois
fois plus qu’un séjour de trois jours.
Au total, les vingt propositions du rapport reposent sur
le constat concret de dysfonctionnements et apportent des
solutions pratiques et efficaces. Encore faudra-t-il qu’elles
soient effectivement mises en œuvre. Pour l’instant les
choses semblent plutôt bien parties :il serait raisonnable
que la note de 10/20 soit atteinte avant la fin de l’année
2009 124.
En effet, pour des séjours compris entre au moins
deux jours et au plus trente-cinq jours le tarif payé aux
établissements de santé était le même. Ainsi une structure
multipliant les séjours très courts de soins palliatifs (trois
jours) pouvait obtenir un financement dix fois supérieur
à celui d’un service accueillant les malades en fin de vie
trente jours. Or, si pour une cure d’appendicite, il est
possible de tenter de diminuer la durée moyenne de
séjour, on imagine assez facilement que les méthodes
permettant de raccourcir les séjours des patients en fin de
vie ne sont pas simples à mettre en œuvre, en tout cas tant
que la légalisation de l’euthanasie ne sera pas effective en
France…
Face à ce constat, largement développé dans le texte
du rapport, c’est donc fort logiquement que la commission
d’évaluation a saisi le Comité Consultatif National d’Éthique
de cette question et a souhaité que les responsables du
système puissent modifier la mécanique perverse qui
s’appliquait aux séjours de soins palliatifs. Cette proposition
a déjà été entendue puisqu’à l’occasion de la mise en place
de la version 11 du système au 1er mars 2009, la mission
T2A a totalement modifié le système, intégrant de manière
très significative les préconisations de la proposition 19.
124 Cette progression du score de réalisation des vingt propositions sera
disponible sur le site www.collection-omega.fr
137
10. Des questions qui dérangent encore
Si ton activité consiste à appliquer
des règles de conduite générales
aux cas particuliers qui se présentent,
alors tu te retrouveras paralysé,
car aucune règle ne peut soutenir le vent de la pensée.
Hannah Arendt
138 Des questions qui dérangent encore
Une nécessaire réflexion autour des cérébrolésés
L’exposition médiatique de cas de patients cérébrolésés
pour lesquels leur entourage souhaitait un arrêt du
maintien artificiel en vie par le moyen de la nutrition
médicalement assistée a conduit à une prise de conscience
du problème. C’était le cas aussi bien de Terri Schiavo aux
USA, que d’Hervé Pierra. Plus récemment Eluana Englaro
en Italie125 ou M. K. en France126 ont également vu leur cas
exposé sur la place publique.
Ce sont des patients ayant retrouvé, à l’issu de semaines
ou de mois de réanimation, des fonctions végétatives. Ils
sont capables de survivre (leur cœur bat, ils respirent seuls)
mais ils ont perdu toute capacité de vie relationnelle. Le
contact avec les autres n’est plus possible. Les fonctions
supérieures du cerveau ont disparu. C’est une épreuve
terrible pour l’entourage, d’autant que ces « victimes
de la réanimation » peuvent survivre ainsi des années.
Les infrastructures pour les accueillir sont en nombre
insuffisant, laissant souvent à la charge des familles, et non
à la solidarité nationale, le soin de trouver des solutions
adaptées. Le retour à domicile est la plupart du temps
impossible, en raison de la nécessité de soins importants.
Incapables de s’alimenter seuls ils doivent pour survivre
être nourris artificiellement (nutrition médicalement
assistée) le plus souvent via une sonde de gastrostomie
qui permet d’administrer des solutés nutritionnels par
l’intermédiaire d’une pompe. C’est ce moyen de maintien
artificiel en vie qui est évoqué, dans certaines situations,
comme une obstination déraisonnable. La loi d’avril 2005
ouvre sans aucun doute la possibilité d’arrêter la nutrition
médicalement assistée chez un patient en état végétatif
ou pauci-relationnel chez qui elle est considérée, après
une procédure individualisée, comme une obstination
déraisonnable. Comme on l’a vu, à travers les exemples de
Mme X. et de M. B. ce n’est pas la technique qui représente
une obstination déraisonnable, mais sa mise en œuvre
125 Cf. article reproduit en annexe à propos de l’affaire Eluana.
126 Cf. article reproduit en annexe III à propos de M.K.
10. Des questions qui dérangent encore 139
inadaptée dans telle ou telle situation particulière. La loi
ne dit heureusement pas que la nutrition médicalement
assistée permet un maintien artificiel en vie des patients
en état végétatif ou pauci relationnel et qu’il faut donc
l’arrêter. Elle dit127 que dans certaines situations, il est
possible d’être amené à se poser la question et d’y répondre
affirmativement. Elle dit aussi que c’est bien là le rôle du
médecin que de prendre la décision se rapprochant le plus
de celle qu’aurait prise l’intéressé s’il en était capable.
La modification de l’article 37 est en cours, conformément
à la proposition 12 de la commission d’évaluation128. Avec
ses difficultés inhérentes à une formulation qui ne peut être
que vague, mais qui doit empêcher toutes dérives, c’est un
bon exemple de la complexité du problème que posent
ces victimes du maléfice du doute, parce que réanimées au
bénéfice du doute. Victimes dont toutes les familles, loin
s’en faut, ne souhaitent la fin de vie, malgré leur situation,
mais dont la prise en charge par la société est notoirement
problématique.
La nutrition médicalement assistée a-t-elle
un statut particulier quant à la question de
l’obstination déraisonnable ?129
Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la
nutrition/hydratation médicalement assistée ?
Il convient avant tout de préciser les mots utilisés sous
peine d’impossibilité de toute compréhension du débat.
L’alimentation est une composante déterminante de la
fonction nutritive, indispensable à la vie. Elle désigne
127 Dans ses attendus.
128 Cf. plus haut.
129 Pour plus de détails et des références bibliographiques complètes se
référer à l’article publié dans Médecine Palliative : 7 (2008), pp. 222-228 ;
Devalois Bernard, Gineston Laurence, Leys Arnaud : Peut-on ou non discuter
d’un éventuel arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée ou
doit-on les considérer comme des soins « de base » ?
140 Des questions qui dérangent encore
explicitement l’ingestion orale d’aliments. Pour clarifier
le débat on préférera donc le terme de nutrition pour
désigner ce qui a trait à la fonction physiologique. Une
fonction nutritive satisfaisante nécessite un certain nombre
de conditions complexes. Il s’agit de la capacité d’avoir à
disposition des aliments, de la capacité de les porter à sa
bouche, de la capacité de les déglutir pour les diriger vers
les voies digestives, de les transformer pour permettre
leur absorption vers la circulation sanguine, puis de les
métaboliser. Il n’existe donc pas seulement des mécanismes
physiologiques mais aussi des mécanismes psychologiques,
sociologiques et mêmes anthropologiques. Il faut toujours
garder à l’esprit la charge symbolique liée à l’alimentation.
Elle est une part déterminante du lien social. Il existe une
interaction affective complexe que matérialise « l’obligation
alimentaire » dans la plupart des sociétés organisées. C’est
l’organisation sociale qui permet à chacun de pouvoir
disposer des aliments nécessaires à sa survie. La mère
nourrit son enfant (au sein, au biberon, à la cuillère,…).
Les enfants ont une obligation morale (et même légale)
de nourrir leurs parents empêchés de pouvoir se nourrir
par eux-mêmes en raison de leur pathologie ou l’altération
de leurs capacités physiques ou cognitives. D’un autre
côté, l’avancée de la science médicale permet (depuis une
trentaine d’années seulement) d’envisager des techniques
de substitution à une fonction nutritive défaillante : on
les regroupera sous le terme de nutrition artificielle ou
mieux de nutrition médicalement assistée. Lorsqu’un
dysfonctionnement conduit à des troubles de déglutition
(rendant impossible le passage vers l’estomac d’une
quantité suffisante) ou une obstruction œsophagienne
(tumorale par exemple) il est possible de proposer une
nutrition entérale (passage des nutriments dans le tube
digestif, via une sonde). Des techniques de nutrition
parentérale permettent même de se substituer à un tube
digestif défaillant en administrant directement dans la
circulation sanguine des nutriments adaptés.
Les soins de confort se préoccupent non pas de la
maladie mais du confort du malade et de son entourage.
C’est un des acquis du mouvement des soins palliatifs que
10. Des questions qui dérangent encore 141
d’avoir replacé cette composante des soins au cœur de la
prise en charge. Il s’agit comme on l’a vu de soins reconnus
comme un droit pour le patient via l’article 1-2 de la loi de
juin 1999 sur les soins palliatifs qui figure désormais dans
le Code de Santé Publique (Art 1110-10). Les médecins ont
le devoir de les fournir aux malades qu’ils accompagnent
dans leur fin de vie, y compris lors des limitations ou arrêts
de traitements, comme le martèle à différentes reprises la
loi d’avril 2005.
Différentes approches de la question spécifique
de la nutrition médicalement assistées sont possibles.
L’approche théologique est très prégnante dans le débat. Le
point de vue catholique a été réaffirmé avec force par le
Vatican en septembre 2007. Et l’affaire d’Eluana Englaro au
début 2009 en Italie a montré la force de la mobilisation
de l’appareil vatican sur ce point de doctrine. En 2005,
aux USA, les évêques américains s’étaient aussi fortement
mobilisés dans l’affaire Terri Schiavo. Pour l’Église romaine,
certains traitements de maintien d’une fonction vitale
peuvent être suspendus, ou non entrepris, s’ils constituent
des moyens extraordinaires ainsi que l’affirmait déjà
Pie XII dans son discours de 1957. Mais la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi (à la demande de l’église nord
américaine, d’ailleurs) a rappelé que « l’administration de
nourriture et d’eau même par des voies artificielles est en
général un moyen ordinaire et proportionné de maintien
de la vie130 ».
Une déclaration commune du 26 mars 2007 de
Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris et David Messas,
Grand rabbin de Paris, avait déjà conduit les autorités
françaises catholiques et juives à remettre partiellement
en cause la loi d’avril 2005 sur ce point précis :
Il apparaît clairement, dans nos traditions respectives, que
l’apport d’eau et de nutriments destinés à entretenir la vie
répond à un besoin élémentaire du malade. L’alimentation et
l’hydratation par la voie naturelle doivent donc toujours être
130 Cf. le lien vers le texte complet, en français sur http://www.collectionomega.fr
142 Des questions qui dérangent encore
maintenues aussi longtemps que possible. En cas de véritable
impossibilité, ou de risques de « fausse route » mettant en
danger la vie du malade, il convient de recourir à une voie
artificielle. Seules des raisons graves dûment reconnues
(non assimilation des nutriments par l’organisme, souffrance
disproportionnée entraînée par l’apport de ceux-ci, mise en
danger de la vie du malade du fait de risques d’infections ou
de régurgitation) peuvent conduire dans certains cas à limiter
voire suspendre l’apport de nutriments. Une telle limitation
ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la
vie.
Juifs et catholiques, nous jugeons donc que, en ce qui
concerne l’apport de nutriments, la loi du 22 avril présente une
réelle ambiguïté. Il n’y est pas précisé que pour les malades
chroniques hors d’état d’exprimer leur volonté l’alimentation
et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle doivent être
maintenues, même lorsque la décision a été prise de limiter
les traitements médicaux proprement dits. Il convient que
les instances compétentes favorisent et garantissent cette
interprétation de la loi. Cette position religieuse entre complètement en
contradiction avec les différents avis ou recommandations
éthiques internationales.
Les structures médicales et/ou les sociétés savantes
(à l’exception notable des associations spécifiques de
médecins catholiques logiquement alignées sur la
position vaticane) sont relativement unanimes. Elles
considèrent toutes que la nutrition médicalement assistée
doit être considérée comme un traitement de maintien
d’une fonction vitale défaillante pouvant donc à ce titre
faire l’objet de discussions sur son arrêt ou sa non mise
en œuvre. Citons par exemple le point de vue explicite de
l’Association Médicale Américaine, qui stipule :
Un traitement de maintien artificiel en vie est un traitement
médical qui permet de prolonger la vie sans pouvoir rendre
réversible l’état médical du patient. Un traitement de maintien
artificiel en vie inclut, sans s’y limiter, la ventilation mécanique,
la dialyse rénale, la chimiothérapie, les antibiotiques et
l’alimentation et l’hydratation artificielles.
10. Des questions qui dérangent encore 143
De même, en Grande Bretagne, suite à l’affaire Tony
Bland et aux décisions de la Chambre des Lords, la British
Medical Association a pris des positions parfaitement
similaires.
Enfin, la question de savoir si la nutrition-hydratation
artificielle est concernée par le terme « tout traitement »
de l’article 3 de la loi de 2005 et peut donc être refusée
par le patient (ou concernée par une éventuelle décision
de suspension ou de non mise en œuvre) est clairement
affirmée dans l’exposé des motifs de la loi. La question a
d’ailleurs été abordée par certains parlementaires lors de
la discussion. Ils se sont très majoritairement prononcés
favorablement à cette interprétation. Des amendements
contraires (excluant explicitement la nutrition/hydratation
artificielle de la catégorie des traitements pouvant être
stoppés) ont été repoussés lors du vote par les sénateurs.
Tant du côté des professionnels que de la loi, les choses
sont donc claires. Oui, la question de la nutrition/hydratation
artificielle peut être concernée par une discussion autour
de son caractère éventuellement déraisonnable.
Pourquoi la question de l’hydratation est-elle
indissociable de celle de la nutrition ?
Un point capital est d’insister sur la nécessité de
traiter conjointement la question de l’hydratation et
la question de la nutrition médicalement assistée. Les
ingestions alimentaires incluent de facto un apport
hydrique indispensable à la vie. Si ces apports hydriques
ne sont pas suffisants, leur déficit va entraîner la mort
beaucoup plus rapidement (une semaine environ sans
aucun apport hydrique) que le déficit nutritionnel (quatre
à cinq semaines sans aucun apport nutritionnel). Ainsi
lorsque la maladie rend les ingestions insuffisantes, c’est
bien la question de l’hydratation qui va d’abord menacer
le maintien en vie, bien avant que ce ne soit la question
nutritionnelle. Afin d’éviter tout malentendu on utilisera
donc le terme d’hydratation artificielle pour désigner des
144 Des questions qui dérangent encore
apports thérapeutiques, en perfusion131, essentiellement
liquidiens (sans composante nutritionnelle significative)
alors que le terme boisson sera réservé aux apports
liquidiens oraux. Il convient de rappeler très clairement
que la mise en œuvre de moyens d’hydratation artificielle
sans une nutrition artificielle satisfaisante (c’est-à-dire
répondant à l’ensemble des besoins de l’organisme), alors
que par ailleurs les apports alimentaires sont insuffisants
ou nuls, revient dans les faits à empêcher le patient de
mourir en quelques jours de déshydratation, pour le laisser
mourir de dénutrition en quelques semaines.
Ces situations, loin d’être exceptionnelles, sont
pourtant éminemment discutables sur le plan éthique.
Le faux prétexte du confort du patient souvent utilisé
est basé sur le mythe de la « mort de soif » liée à la
déshydratation terminale en fin de vie. On sait, depuis de
nombreuses années, l’ineptie de ce concept en fin de vie.
Bien au contraire une certaine déshydratation, à condition
d’être accompagnée par des soins de bouche et une
humidification correcte des muqueuses buccales, est un
facteur de confort chez le mourant. Il convient d’intégrer
ce paramètre dans les décisions sur ce sujet. Il faut se
rappeler que la dénutrition est de loin plus inconfortable
que la déshydratation.
Faut-il entreprendre systématiquement une nutrition
et/ou une hydratation artificielle pour un malade
en phase terminale qui ne boit et ne mange pas
suffisamment ?
La réponse est clairement non. Pour ces patients,
comme pour tout autre, des soins appropriés doivent
être utilisés de façon raisonnable et proportionnée, sans
obstination déraisonnable qui n’aurait comme seul but
que le maintien artificiel de la vie. L’hydratation/nutrition
artificielle systématique (par sonde gastrique ou par
perfusion intraveineuse) s’apparente clairement dans cette
situation particulière à une obstination déraisonnable, de
la même façon d’ailleurs qu’une nutrition artificielle.
131 Le « goutte-à-goutte » intraveineux ou éventuellement sous-cutané.
10. Des questions qui dérangent encore 145
Il convient plutôt d’accompagner le patient dans le
passage d’une alimentation à visée nutritionnelle à une
dimension visant seulement au plaisir et à la sociabilité. Il
vaut mieux qu’un patient en toute fin de vie mange avec
plaisir une bouchée de son plat favori, préparé par un
être cher avec amour, que de lui faire couler à toute force
un liquide vaguement laiteux dans ses pauvres veines
fatiguées. Si besoin, pour combattre les effets d’apports
hydriques rendus insuffisants par la maladie, il est légitime
de recourir à des moyens efficaces comme l’eau gélifiée
en cas de difficulté de déglutition, de soins de bouche et
de brumisation (gestes auxquels peuvent être associés les
membres de l’entourage qui le souhaitent).
Le recours à un « goutte-à-goutte » pour hydrater un
patient en toute fin de vie ne répond la plupart du temps
qu’à une réflexion insuffisante, et/ou à une pression
familiale exigeant (à tort) cette mesure « de confort pour
éviter qu’il meure de soif », sans qu’il n’ait été pris le temps
d’expliquer que cette mesure n’améliore pas le confort et
qu’elle n’empêche pas la sécheresse de bouche132.
Pourquoi la nutrition entérale médicalement assistée
n’est pas un soin « ordinaire » contrairement à
l’alimentation ?
Lorsque des troubles du carrefour oro-pharyngé
rendent impossible un apport suffisant d’aliments (et d’eau)
dans l’estomac afin d’assurer les besoins nutritionnels
et hydriques, il est possible de recourir à une nutrition
entérale. Elle consiste à introduire un tube dans l’estomac
(sonde naso gastrique ou de gastrostomie) et à utiliser ce
tube pour introduire des substances nutritives directement
dans le système digestif. Ces substances sont des produits
pharmaceutiques, élaborés dans le respect de normes
précises afin d’éviter des complications iatrogènes133. Elles
132 Qui, lorsqu’elle est présente, doit être traitée par d’autres moyens
beaucoup plus efficaces, cf. ci-dessus.
133 L’alimentation artisanale (nourriture quotidienne mixée puis injectée
sur sonde) est fortement déconseillée. En effet, les nutriments, trop épais,
bouchent facilement les sondes. De plus, le risque de diarrhée infectieuse
146 Des questions qui dérangent encore
sont administrées via une pompe mécanique pour assurer
une administration régulière. Comparons les moyens
nécessaires pour cette nutrition médicalement assistée
par voie entérale à ceux mobilisés lors d’une ventilation
non invasive134 (VNI). Pour la VNI, contrairement à la
nutrition entérale, il n’y a pas de tube dans l’organisme,
pas de produits vendus en pharmacie administrés
quotidiennement mais un simple appareil, poussant
mécaniquement de l’air ambiant, via un masque facial,
vers les poumons du patient. Les moyens mobilisés pour la
VNI apparaissent clairement moins « extraordinaires » que
ceux mobilisés pour la nutrition entérale. Or le retrait (ou
la non mise en œuvre) de la VNI semble poser beaucoup
moins de questions que le retrait (ou la non mise en œuvre)
de la nutrition entérale. Il n’y a personne pour affirmer
que la VNI est un soin ordinaire de base qui devrait être
maintenu jusqu’au décès. On voit bien là l’importance de
la dimension symbolique de l’obligation alimentaire.
Est-il scandaleux de faire cesser une nutrition entérale
chez un patient maintenu en vie artificiellement par ce
traitement médical ?
Dans certaines situations c’est un patient conscient,
dépendant de cette technique de nutrition artificielle
qui juge que c’est pour lui une obstination déraisonnable
et qui demande l’arrêt (ou la non mise en œuvre) de la
technique (exemple fréquent dans les SLA). Dans cette
situation (de type 1) pas de doute possible, conformément
à la loi de 2005, le médecin n’a pas le droit de poursuivre
(ou d’entreprendre) la nutrition entérale.
D’autres, encore plus complexes sont celles où, pour un
patient en état végétatif chronique (ou pauci relationnel),
totalement incapable d’ingérer des aliments et maintenu en
vie par une nutrition artificielle entérale, par l’intermédiaire
d’une sonde gastrique. La question posée (dans une
lié à un défaut d’hygiène lors de la préparation, de la conservation ou de
la mise en poche est important.
134 Méthode utilisée pour assister la fonction respiratoire de patients ne
pouvant plus suffisamment respirer par eux-mêmes.
10. Des questions qui dérangent encore 147
proportion de situation de ce type inconnue à ce jour)
est celle d’un éventuel arrêt de ce qui est alors qualifié de
traitement de maintien artificiel en vie. Pour la loi française,
c’est possible, sans aucun doute. Mais possible ne veut
pas forcément dire souhaitable. La seule obligation faite
au médecin est de ne pas se retrouver dans une situation
d’obstination déraisonnable qu’aurait refusée le patient
s’il avait pu s’exprimer. C’est donc le déclenchement de la
procédure collégiale qui devra permettre de prendre (ou
de ne pas prendre) cette décision, qui, on l’a vu à travers les
exemples de Mme X. et de M. B., est complexe et unique.
Quid du patient qui veut obtenir la garantie
d’être maintenu artificiellement en vie même s’il
n’est plus conscient ?
L’histoire d’Oliver Leslie Burke, amenant ce postier
anglais devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme
(CEDH), n’est pas ordinaire. Cet homme de quarante-six
ans se savait atteint d’une maladie neurodégénérative
qui le conduirait inexorablement à une situation de perte
de conscience suffisante pour l’empêcher de s’alimenter
naturellement. Il aurait donc besoin, pour rester en vie,
d’une nutrition médicalement assistée. Les règles en
vigueur au Royaume-Uni permettent dans une situation
d’altération irrémédiable des fonctions cognitives, l’arrêt
de la nutrition médicalement assistée.
La crainte de Mr Burke, fervent catholique, était donc de
ne pas bénéficier, comme il le souhaitait, et conformément
à la doctrine catholique, d’une nutrition médicalement
assistée après qu’il aurait perdu ses capacités cognitives.
N’ayant pu obtenir cette garantie de la justice britannique,
il s’est tourné vers la CEDH à Strasbourg. Il a été finalement
débouté, la Cour européenne considérant qu’elle n’avait
pas à s’immiscer dans des décisions d’ordre médical. Cette
affaire pose une question intéressante : si un patient a
le droit de refuser par avance un traitement qu’il juge
déraisonnable, cela crée-t-il le droit pour un patient d’exiger
un traitement, qui plus est par anticipation, et même s’il est
jugé déraisonnable par les médecins ?
149
148 Des questions qui dérangent encore
La loi française ne permet pas plus que la loi britannique
de répondre à la situation de Mr Burke. En effet, malgré une
erreur d’interprétation assez fréquente, la loi ne confère
pas au malade le droit de choisir son traitement, et donc
exiger tel ou tel traitement contre l’avis de son médecin.
Ce n’est donc pas dans la loi qu’il faut trouver des solutions
à ce type de problèmes, mais dans la qualité de la relation
médecin – malade.
C’est ce dialogue qui doit permettre de régler au mieux
d’éventuelles différences d’appréciation. D’évidence, ce
n’est pas devant les tribunaux qu’un patient pourra exiger
tel soin plutôt que tel autre.
C’est à chaque médecin de s’enquérir par avance des
souhaits de son patient sur des sujets aussi cruciaux. C’est
aux malades d’exprimer clairement, à leur médecin, à leur
personne de confiance et via leurs directives anticipées, ce
qu’ils souhaitent. Les souhaits doivent être discutés et faire
l’objet, dans toute la mesure du possible, d’engagements
clairs de la part du médecin. Ainsi ceux qui comme
Mr Burke, souhaitent un maintien en vie par l’intermédiaire
d’une nutrition médicalement assistée maintenue jusqu’au
bout, doivent pouvoir obtenir satisfaction. Et ceux, qui au
contraire, ne le souhaitent pas, doivent également pouvoir
obtenir satisfaction. Et dans les deux cas, indépendamment
des options philosophiques ou religieuses de ceux qui les
soignent.
11. Un droit à choisir sa mort ?
Faut-il distinguer entre une mort hideuse
et une mort préparée par la main des génies ?
Entre une mort à visage de bête
et une mort à visage de mort ?
René Char
150
11. Un droit à choisir sa mort ? 151
Un droit à choisir sa mort ?
Un échange intéressant, consultable sur Internet135, a
opposé l’avocat de Chantal Sébire, Gilles Antonowicz, qui
venait de démissionner de la vice-présidence de l’ADMD,
et un délégué départemental de cette association, autour
des concepts d’euthanasie et de suicide assisté. Cet
échange éclaire significativement certains éléments du
débat interne aux adeptes d’un droit à la mort, sous ses
différentes formes. Le militant « canal historique » rappelle
tout d’abord à Gilles Antonowicz : « Le suicide assisté, plus
précisément la dépénalisation de l’assistance à un suicide
humain préalablement légitimé, ce que vous avez demandé
pour Chantal Sébire au Tribunal de Dijon, d’ailleurs, sera le
premier pas, le moins difficile à franchir si on parvient à le
démarquer du « droit de tuer ». Il poursuit en inversant le postulat de l’avocat :
N’est-ce pas parce que le droit à l’euthanasie nuit au
suicide assisté que nous tournons en rond depuis vingt-cinq
ans et non l’inverse ?
En conclusion de leurs échanges, il précise : Je distingue l’euthanasie du suicide de la façon suivante :
dans le suicide, l’acte qui aboutit à la mort est décidé, organisé
et déclenché par l’intéressé, tandis que dans l’euthanasie il
est décidé, organisé et déclenché par un tiers, en l’occurrence
un médecin. Je soutiens que l’assistance au suicide, lorsque
l’état de l’intéressé ne lui permet pas de procéder à un geste
essentiel de l’acte (porter le verre à sa bouche par exemple)
ne requalifie pas le suicide en euthanasie. C’est l’intention qui
qualifie l’acte.
Cette position est révélatrice de la rhétorique des
partisans de la cause du droit au suicide, comme « ultime
liberté ».
Afin de clarifier le débat, il paraît effectivement
intéressant de réfléchir à une véritable classification des
différents droits envisageables autour des questions de
la maîtrise de la fin de vie, et de faire préciser à chacun
135 Lien disponible sur www.collection-omega.fr
où se situe le souhaitable, l’acceptable, l’interdit. Ainsi
chaque citoyen pourrait, en connaissance de cause, et sans
être victime de manipulations d’aucune sorte, prendre
position en comprenant les tenants et les aboutissants
des nombreux textes proposant « de relancer le débat sur
l’euthanasie » ou de nous accorder « le dernier des droits
de l’homme ». Il pourrait comprendre les enjeux par une
analyse rationnelle et non émotionnelle, passionnelle,
s’appuyant sur des dogmes ou des idées reçues. Cette
classification pourrait aussi contribuer à l’élaboration d’une
cartographie européenne ou mondiale des droits à choisir
sa mort. Examinons quels pourraient en être les contours.
Droit à une mort apaisée (A)
Il s’agit de conférer à chacun le droit à des soins
palliatifs, entendus comme l’obligation de déployer tous
les moyens existants nécessaires à contrôler la douleur,
et les autres symptômes gênant la qualité d’une vie qui
prend fin, à apaiser les souffrances du patient et de son
entourage, conformément aux recommandations de
bonne pratiques professionnelles. C’est l’esprit de la loi
française de juin 1999.
Droit au laisser-mourir (B)
Il impose un devoir aux professionnels de santé de ne
pas faire subir un acharnement thérapeutique. C’est la voie
choisie par la loi de 2005.
Droit pour un patient conscient de refuser ce qu’il
considère pour lui-même comme un acharnement
thérapeutique (B1)
C’est le sujet seul qui intervient. Le médecin, moyennant
l’observation de précautions procédurales fixées par la loi,
a l’obligation de respecter la décision.
Le contrôle passe par le juge qui peut intervenir si le
droit du patient ou si la procédure n’est pas respectée.
152
Un droit à choisir sa mort ?
Élargissement de ce droit au patient qui n’est plus
capable de décider pour lui-même (B2)
• Le sujet intervient de manière anticipée ou via un
mandataire (B21)
Par le biais de directives anticipées, qui prévoient
explicitement les conditions d’un refus de tel ou tel
traitement susceptible de représenter un moyen de
maintien artificiel en vie, le sujet intervient seul. Il est
également envisageable de prévoir la désignation d’un
mandataire, dont la décision, représentant celle que le
malade aurait prise, s’impose. Dans les deux cas, la décision
s’impose au médecin qui ne peut aller contre. Le contrôle
passe par le juge qui intervient si le droit du malade
n’est pas respecté voire éventuellement pour imposer
une décision (de poursuite ou d’arrêt) aux médecins.
C’est plutôt la voie suivie par certains des états des USA.
• Appréciation de ce droit par le médecin pour le
patient qui n’est pas capable de décider pour lui-même
(B22)
C’est le médecin qui est chargé de prendre la meilleure
décision possible, dans l’intérêt du patient, en recherchant
tous les éléments lui permettant d’essayer d’apprécier
quelle aurait été la décision du malade. Le médecin a donc
dans ce cas un pouvoir de décision, à l’image d’un juge qui
fait appel à son intime conviction, après une procédure
définie. C’est précisément ce que fait la loi française d’avril
2005. Le contrôle par le juge porte uniquement sur le
respect de la procédure prévue, pas sur la décision prise.
Droit à un raccourcissement de la phase
agonique (C)
Droit pour un patient en phase agonique à recevoir une
injection létale (C1)
Il s’agit de conférer aux malades le droit de voir leur
phase agonique abrégée par une intervention médicale
11. Un droit à choisir sa mort ? 153
provoquant une mort rapide. Il impose aux médecins136,
pour les patients concernés, de pratiquer cette injection.
C’est la forme la plus communément désignée sous le
terme d’euthanasie. C’est la direction initialement suivie
par les pays du Benelux. La phase agonique peut être
définie comme une situation dans laquelle le patient a
perdu ses capacités cognitives et relationnelles et pour qui
la mort est susceptible de survenir dans les heures ou plus
tard dans les jours qui suivent. Le patient ne peut pas, par
définition (perte de ses capacités cognitives liée à la phase
agonique), en faire directement la demande. Ce droit peut
être (ou pas) limité exclusivement à ceux qui en ont fait
la demande anticipée. On peut aussi élargir cette décision
à une personne mandataire désignée à cet effet par le
malade137. Certains envisagent que le geste euthanasique
puisse être fait à la demande d’un proche ou même de
l’équipe soignante, considérant l’intérêt supposé du
patient138. Un exemple poignant de cette problématique
est donné par le texte C’est fini, Debbie139 paru en 1988
qui a donné lieu à de nombreux commentaires dans la
littérature médicale.
Cet éditorial anonyme relate l’euthanasie d’une jeune
fille en phase agonique, par un jeune interne se basant sur
les propos laconiques de la patiente : « Finissons-en avec
ça » et sur l’acquiescement implicite de sa mère, épuisée
de voir sa fille mourir. Dans cette hypothèse, loin de limiter
le pouvoir médical, on le renforce considérablement. C’est
le médecin qui juge seul si le patient est bien en phase
agonique irrémédiable140, ouvrant ainsi le droit à l’injection
136 Sous réserve d’une clause de conscience leur imposant de confier
le patient à un autre collègue qui ne fera pas jouer cette clause de
conscience.
137 C’est le choix fait dans la législation belge par exemple.
138 C’est ce que revendiquaient par exemple les soignants soutenant les
accusées de Périgueux en 2007 ou C. Malèvre, l’infirmière de Mantes en
1998.
139 It’s over Debbie, JAMA 1988 ; 259:272. Cf. le site www.collectionomega.fr pour une traduction française de ce texte.
140 Comme le médecin dans le prologue, prédisant à coup sûr l’issue
fatale.
154
Un droit à choisir sa mort ?
létale. C’est ensuite à lui141 de pratiquer cette injection,
pour provoquer une mort « douce et rapide » (selon le
vocabulaire généralement employé par les partisans de
cette solution).
Outre que cette hypothèse repose donc sur le pouvoir
du médecin à savoir déterminer que la mort est inéluctable
à court terme, elle considère de facto que « l’agonie ne sert
à rien142 » et qu’il n’est pas délétère pour les proches de la
raccourcir artificiellement143.
Droit pour un patient pour qui les moyens artificiels de
maintien en vie sont arrêtés à recevoir une injection
létale pour raccourcir le temps du mourir (C2)
C’est par exemple, ce que revendiquent, plus ou moins
explicitement, la famille Pierra ou la famille K.144, ou même
le Dr Chaussoy dans l’affaire Humbert :
Puisque la décision du laisser-mourir est prise, autant que
les choses aillent vite. Ce droit imposerait donc le devoir pour
les médecins de faire mourir dans des délais prescrits : cinq
minutes, deux heures, trois jours ?
Droit au suicide médicalement assisté (D)
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients
incapables physiquement de se suicider (D1)
Il s’agit de considérer que le suicide étant un droit
fondamental de l’individu, la société doit rétablir l’équité
pour ceux qui en sont matériellement empêchés par
leur atteinte physique. C’était la revendication de Vincent
Humbert, réclamant à Jacques Chirac le droit de mourir.
C’est le sujet conscient qui réclame ce droit. Le médecin
141 Il n’existe pas à ce jour de propositions visant à confier le geste luimême à un autre professionnel.
142 Sur ce thème voir l’incontournable article L’agonie ne sert à rien de
Isabelle Marin dans la revue Esprit (N° 6, 243, pp. 27-36,1998).
143 Alors que de nombreux éléments de preuves indiquent l’inverse.
144 Voir plus haut ces « affaires ».
11. Un droit à choisir sa mort ? 155
serait alors obligé de procéder à l’injection létale145. Certains
ont imaginé qu’un contrôle pourrait intervenir a priori pour
valider (ou non) la demande (exemple de la proposition
de Gaëtan Gorce146, de créer une Haute Autorité Morale
jugeant notamment de telles demandes).
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients
en phase terminale de leur maladie (D2)
C’est l’esprit des lois hollandaises et belges, réservant
le droit à une injection létale aux malades dans cette
situation d’une mort probable dans les semaines ou les
mois à venir. C’est bien ce que réclamait Chantal Sébire,
dans sa requête, rejetée par le tribunal de Dijon, ou Maia
Simon dans son interview posthume.
Le rôle du médecin, ici encore, est très important
puisque c’est lui qui juge si le pronostic ouvre ou non
le droit à l’injection létale. Cet avis est extrêmement
discutable, puisque de nombreuses études montrent
que, contrairement au filleul de la Mort du conte des
frères Grimm, les médecins se trompent de manière très
significative lorsqu’ils se risquent à un pronostic à un délai
supérieur à quelques jours. Par ailleurs l’interprétation
de cette clause varie d’un médecin à l’autre. Ainsi en
mars 2009 une nonagénaire belge a été jugée par un
médecin comme ne correspondant pas aux critères requis
pour obtenir le droit à l’injection létale car elle n’était pas
atteinte d’une maladie grave. Une semaine plus tard un
autre médecin, militant actif de la cause pro-euthanasie, en
jugeait différemment et procédait lui à l’injection létale147.
En Hollande et en Belgique, la conformité du respect de
la procédure est confiée à une commission qui examine a
posteriori les dossiers. En Belgique, cette commission n’a
jamais émis le moindre doute sur la conformité à la loi de
l’ensemble des euthanasies déclarées. La proposition de
145 Sous les réserves exprimées plus haut de la clause de conscience.
146 Député PS, membre des deux commissions Leonetti.
147 Cf. sur www.collection-omega.fr les liens concernant Amelie Van
Esbeen, finalement décédée par euthanasie, le 1er avril 2009.
156
Un droit à choisir sa mort ?
Gaëtan Gorce148 consistait à créer une commission chargée
de l’examen a priori de ces demandes, et dont seul l’avis
favorable permettrait d’ouvrir le droit à l’injection létale.
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients
atteints d’une maladie incurable ou présentant une
souffrance insupportable (D3)
Dans les mêmes conditions, certaines propositions
ouvrent le droit à un suicide médicalement assisté à
« toute personne majeure en mesure d’apprécier les
conséquences de ses choix et de ses actes (…) lorsqu’elle
fait état d’une souffrance ou d’une détresse constante,
insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident
ou à une affection pathologique, ou alors lorsqu’elle est
atteinte d’une maladie neurodégénérative incurable149 ».
C’est évidemment la tendance naturelle de l’évolution de la
position précédente. Ainsi on a vu apparaître en Hollande
des discussions concernant l’élargissement du droit au
suicide médicalement assisté aux grands mélancoliques.
En Belgique, l’euthanasie médiatique de Hugo Claus en
mars 2008 est une illustration de la limite très floue entre
ceux qui « ont le droit » et les autres. Il était atteint, selon
ses dires, d’une maladie d’Alzheimer à un stade pour le
moins précoce. Le célèbre écrivain, militant du droit à
mourir, a demandé et obtenu le droit de pouvoir bénéficier
d‘une injection létale, dans la crainte d’une détérioration
mentale ultérieure. Son geste fut quasiment salué à l’instar
du suicide de Socrate.
Droit à un suicide médicalement assisté pour tous ceux
qui le souhaitent (D4)
C’est la forme ultime des positions précédentes. Il
s’agit par exemple de la revendication sous entendue par
Benoit Groult dans son roman La touche étoile paru en
2006. Il s’agit du rêve que fait Tereza, dans le roman de
Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être150, lorsque par
148 Cf. plus haut.
149 Extrait de l’article 1 de la proposition de « Loi Vincent Humbert ».
150 Cf. extraits sur le site www.collection-omega.fr
11. Un droit à choisir sa mort ? 157
désespoir amoureux elle s’imagine avoir recours au service
de fonctionnaires chargés d’exécuter « proprement » ceux
qui veulent mourir (ce qui est important à vérifier chez les
candidats, c’est leur volonté, pas leurs raisons).
Il s’agit également d’une demande régulièrement
exprimée par le président de l’ADMD, Jean‑Luc Romero,
qui affirme que ce droit, s’il était reconnu aux personnes
âgées, permettrait de leur éviter le drame des suicides
par pendaisons151. On peut ainsi imaginer que ce droit
soit restreint à certaines catégories : seniors de plus
de soixante-dix ans (soixante-cinq, soixante-quinze ?),
déprimés disposant d’un certificat médical, arthritiques,
cacochymes, égrotants, etc.
Il faut noter que pour les adeptes les plus farouches du
« droit au suicide », toute limitation apportée à l’exercice
de ce droit serait liberticide.
Les médecins n’interviendraient ici que pour certifier
le respect des conditions (plus ou moins restrictives on l’a
vu). Il leur faudrait ensuite passer à l’acte.
Le contrôle pourrait se faire a priori (position jugée
inacceptable par l’ADMD par exemple, car trop restrictive)
ou a posteriori comme c’était la proposition de la « Loi
Vincent Humbert ». Ce contrôle a posteriori est celui qui est
régulièrement retenu par les propositions de loi déposées
par des parlementaires de tous bords (cf. les trois textes
soumis ces derniers mois à l’Assemblée nationale).
Droit à une sédation à la demande, permettant un
suicide indirect (D5)
Face à la demande d’assistance médicalisée pour mourir,
une sorte de « droit à la sédation » a pu être évoquée. Ainsi,
dans le cas de Chantal Sébire, la réalisation d’une sédation
a été proposée par certains responsables politiques,
probablement mal informés. Il s’agirait de provoquer un
151 Audition devant la commission parlementaire d’évaluation en
juin 2008. Cf. lien sur www.collection-oméga.fr
158
Un droit à choisir sa mort ?
coma artificiel, rendant ainsi impossible l’alimentation et
la boisson, ce qui conduirait inéluctablement à la mort,
dans un délai de quelques jours. C’est une pratique qui se
répand en Hollande. Elle est là-bas qualifiée à juste titre de
slow-euthanasia. Elle présente comme seul intérêt pour
les médecins qui y recourent d’éviter d’avoir à remplir le
fastidieux dossier de déclaration des cas d’euthanasie. Il
ne s’agit de rien d’autre que d’un détournement abusif de
l’utilisation de traitements à visée sédative, parfois rendus
nécessaires dans des circonstances spécifiques152.
Droit à obtenir les moyens d’un suicide « propre » (D6)
Il s’agit de créer un devoir pour la société de fournir à
ceux à qui on accorde ce droit, les moyens d’un suicide dans
des conditions apparaissant acceptable (médicaments
dans la plupart des cas153).
• Droit réservé aux patients en phase avancée ou
terminale d’une maladie grave et incurable (D61)
C’est ce droit que confère en Oregon le Death with
Dignity Act depuis octobre 1997 aux patients répondant
à une quinzaine de critères très restrictifs. On peut citer
par exemple : espérance de vie limitée (certificat médical),
absence de dépression (certificat d’un psychiatre),
demande écrite certifiée par des témoins, etc.154
• Droit ouvert à tous ceux qui souhaitent mettre fin à
leurs jours (D62)
Certains imaginent et proposent que ce droit à obtenir
les produits destinés à leur suicide ne soit pas aussi
restreint qu’en Oregon et que tous ceux qui font preuve
de détermination dans leur désir de mettre fin à leurs jours
puissent en bénéficier afin d’éviter d’avoir à subir les affres
152 Cf. sur ce sujet le chapitre sur le double effet.
153 Si l’on excepte les propositions de sacs en plastique proposés par
certains extrémistes australiens par exemple.
154 Cf. liens vers les documents sur cette législation ( site www.collectionomega.fr).
11. Un droit à choisir sa mort ? 159
d’un suicide raté et/ou de faire subir à l’entourage des
circonstances dramatiques (pendaisons, défenestration,
gaz, etc.).
Droit à une dépénalisation de l’assistance au
suicide (E)
Certains réclament l’instauration du droit à aider un
proche à se suicider, éventuellement limité au cas où le
sujet n’en est pas capable lui-même. C’est la revendication
du militant historique de l’ADMD cité en préambule du
présent chapitre. C’était également la requête de Diane
Pretty en avril 2002 devant la Cour Européenne des Droits
de l’Homme (CEDH) que celle-ci a refusée155. Elle demandait
en fait que son mari soit autorisé à la faire mourir.
Ce droit créerait de fait le devoir pour la justice de ne
pas poursuivre ceux qui s’en rendraient coupables. En
France si l’incitation au suicide est pénalisée (loi Gayssot
de 1986) le flou persiste sur le caractère répréhensible ou
non de l’assistance matérielle au suicide156. En Suisse, du
fait de l’ambiguïté de la rédaction, au début du XXe siècle
de l’article 115 du code pénal, une dépénalisation de fait
existe pour ceux qui ne sont pas animés « par un mobile
égoïste ».
Ainsi ce sont développées plusieurs associations qui
organisent le suicide de celles et ceux qui le souhaitent.
Chaque structure s’est fixé ses propres règles, plus ou
moins encadrées par une jurisprudence marquant les
limites à cette tolérance157.
155 Dans son arrêt, la CEDH estime que le « droit à la vie » ne peut être
interprété « sans distorsion de langage » comme un « droit de mourir », et
qu’au contraire il appartient à l’État de « protéger la vie ».
156 Cf. sur cette question l’audition d’Alain Prothais, professeur de droit
pénal, le 23 septembre 2008 devant la commission parlementaire (lien
sur www.collection-omega.fr).
157 Cf. les pages consacrées à la Suisse dans le rapport de la mission
d’évaluation de 2008.
160
Un droit à choisir sa mort ?
Un outil de décodage précieux
Nous avons ainsi tracé l’esquisse de ce qui serait une
classification des différentes possibilités de légiférer sur le
droit à choisir sa mort. Ce travail d’approfondissement des
questions complexes en lien avec ce qui ressemble à un
droit du mourir devra être poursuivi dans les prochaines
années pour éclairer le nécessaire débat citoyen qui
ne saurait se cantonner à une discussion de café du
commerce.
À titre d’exemple de l’intérêt d’une telle grille, il est
édifiant de se pencher sur la « proposition de loi d’initiative
populaire pour une loi Vincent Humbert », évoquée ici à
plusieurs reprises. Elle a été signée par plusieurs centaines
de milliers de personnes, convaincues par les propos
lénifiants de Marie Humbert. L’exposé des motifs affirme
« qu’il ne s’agit pas de légaliser l’euthanasie mais d’introduire
une exception dans le code pénal » (sic !). Les dirigeants
de l’association ont à maintes reprises expliqué qu’ils
étaient (contrairement à l’ADMD selon eux) parfaitement
opposés à l’instauration d’un droit au suicide. Mais le titre
premier de leur proposition de loi affirme « le droit au
respect de tout être humain d’exprimer sa volonté de fin
de vie » (et pas « en fin de vie »). L’article 1er explicite ce
droit qui est bien un droit au suicide médicalement assisté
en l’ouvrant pratiquement à tous ceux qui souhaitent
mourir. Il ne prévoit pas d’autre limitation que « la volonté
de la personne de mettre fin à ses jours en raison d’une
souffrance ou d’une détresse à mettre en lien avec un
accident, une affection pathologique158 ou une maladie
neurodégénérative incurable ». Cette proposition est donc
sans aucun doute à classer dans la catégorie des textes
les plus « ouverts » en matière de suicide assisté (D3 voire
D4).
Il n’est pas certain que tous les signataires du texte aient
réellement pris conscience des conséquences sociétales de
ce qui était ainsi proposé. Mais aucun sondage n’est jamais
158 Sic ! Doit-on y classer ou non la maladie d’amour ? la psychose
maniaco-dépressive ?
11. Un droit à choisir sa mort ? 161
fait pour répondre à la question : « Êtes-vous favorable à
l’instauration d’un droit au suicide, créant le devoir pour
la société de suicider tous ceux qui le souhaitent ? » Les
résultats en seraient pourtant bien intéressants.
163
12. Conclusions : persévérer dans la voie
de la sagesse
Toutes choses sont dites déjà ;
mais comme personne n’écoute,
il faut toujours recommencer.
André Gide
164 Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse
Une dépêche de l’AFP de mars 2009 révèle que vingtsix mineurs ont été activement euthanasiés au cours des
deux dernières années en Belgique, par l’administration
de drogues létales. Il s’agit d’une enquête publiée dans
l’American Journal of Critical Care, portant sur les pratiques
professionnelles de cent quarante et une infirmières et
infirmiers affectés dans cinq des sept unités des soins
intensifs pédiatriques du pays. C’est une violation flagrante
des dispositifs légaux belges sur l’euthanasie.
Pourtant, en France, les partisans d’une légalisation « à
la belge » avaient longuement disserté sur la performance
et la fiabilité du dispositif belge, s’insurgeant des réserves
émises par exemple par la commission d’évaluation de
2008159.
Nous voyons là une parfaite illustration de la théorie
dite de la pente glissante. C’est probablement le meilleur
argument contre toute tentation d’autoriser une aide
active à mourir. Selon cette théorie, même si on permet
celle-ci seulement dans des cas exceptionnels, on ouvre à
tout coup la porte à des abus et on glisse vers une situation
qui n’était pas prévue. Aucune barrière ne peut résister
durablement et empêcher la glissade le long de la pente.
Hans Jonas, nous a mis en garde, avec son principe
responsabilité160, sur le fait que l’homme a désormais les
capacités de s’autodétruire en peu de temps. Une des
principales déclinaisons de sa théorie est le principe de
précaution (devenu constitutionnel en France depuis
2005). C’est au nom de ce principe que l’on s’interroge
sur les conséquences d’un développement de l’industrie
nucléaire ou celles de la dissémination des Organismes
Génétiquement Modifiés.
C’est au nom de cette éthique du futur (pour reprendre
un autre concept adjacent de Hans Jonas) et en pensant aux
159 Cf. par exemple l’encart publicitaire acheté par l’ADMD dans le journal
Le Monde en décembre 2008 (à consulter sur www.collection-omega.fr).
160 Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation
technologique (1979) traduction française Édition du Cerf (1990).
12. Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse 165
générations qui nous suivrons, que nous nous interrogeons
sur les « féeries anatomiques » que nous promettent
certains, amateurs de pactes faustiens (notamment dans
le cadre de la révision des lois de bioéthique).
C’est au nom de ces mêmes principes, et par crainte
de cette funeste pente glissante, que nous devons récuser
l’idée d’organiser un « droit à mourir ».161
Affirmer qu’il n’y aura jamais de dérives, c’est se
tromper avec une certitude absolue. Il existe suffisamment
d’indications de l’existence de ces dérives, aussi bien
pour l’euthanasie légalisée en Belgique, que pour la
dépénalisation du suicide assisté en Suisse, pour se
convaincre de la justesse de la voie française. C’est celle de
la prudence, de la sagesse, de la phronèsis aristotélicienne.
C’est celle de la détermination politique à faire valoir le
droit des malades sur la toute puissance des médecins.
C’est celle de la défense des principes de la République
et de l’intérêt collectif des citoyens sur des impératifs
individualistes, dogmatiques ou religieux.
Faisons le pari que dans dix ans, les pays qui n’ont pas
choisi cette voie, nous y rejoindrons, jurant, mais un peu
tard, qu’on ne les y reprendrait plus.
161 Jonas Hans, Le Droit de mourir, Payot, 1996, est souvent cité par les
partisans de la légalisation, se fiant à son titre. Ils devraient le lire ! Jonas
se prononce très clairement contre toute idée d’aide active à mourir
(euthanasie ou suicide assisté). Il revendique par contre pour tout malade
le droit de refuser un traitement de maintien en vie C’est très exactement
le sens de la loi de 2005.
167
13. ANNEXES
Quand à la mort,
la mort de mam. me donnait la certitude
(jusque-là abstraite)
que tous les hommes sont mortels
– qu’il n’y aurait jamais de discrimination –
et la certitude de devoir mourir par cette logique-là
m’apaisait.
Roland Barthes
13. ANNEXES 169
168 ANNEXES
Annexe i : L’histoire tragique de Mme Sébire ne doit
pas ouvrir un droit au suicide
Article paru dans Le Figaro du 19 mars 2008.
Au lendemain du décès de Mme Sébire et au-delà de
l’émotion suscitée par cet événement tragique il convient
de revenir sur un certain nombre d’approximations faites
à cette occasion. Une grande confusion est généralement
entretenue autour des « affaires » qui sont destinées « à
relancer le débat sur l’euthanasie ». Or il convient de bien
distinguer trois problématiques différentes.
La première est celle de l’acharnement thérapeutique
(les affaires V. Humbert ou H. Pierra par exemple). Nous
approuvons pleinement la volonté de faire reconnaître
le droit des patients à refuser des soins qu’ils considèrent
comme inutiles ou disproportionnés. La loi du 22 avril
2005 – dite loi Leonetti – est une réponse législative à
ces questions. Elle impose aux médecins de respecter
la volonté des malades en ce domaine. Elle institue des
outils permettant de mettre en œuvre ce principe lorsque
le patient n’est plus en état de décider pour lui-même
(procédure collégiale, concertation d’équipe, directives
anticipées, désignation d’une personne de confiance, avis
de la famille et des proches). C’est le système juridique le
plus avancé au monde dans ce domaine. Un problème
demeure : cette loi n’est ni assez connue, ni bien appliquée.
Notons toutefois que dans l’affaire Sébire, aucune
obstination déraisonnable n’est évoquée.
Une autre problématique est celle de la phase ultime,
agonique, de la vie. Ainsi dans l’affaire de Saint-Astier, un
médecin a été reconnu coupable d’avoir abrégé la vie
d’une malade moribonde. La phase agonique, qui peut
durer plusieurs jours, est d’autant plus difficile à supporter
pour le patient et ses proches que les symptômes ne sont
pas correctement pris en charge (douleur, essoufflement,
angoisse, etc.) et qu’un accompagnement adapté n’est pas
mis en œuvre. Certains proposent de mettre en place des
procédures légales qui permettraient aux médecins de
raccourcir cette phase ultime par la pratique d’injections
létales. Sans revenir ici sur l’ensemble des arguments
qui plaident contre cette solution, mais plutôt pour une
meilleure formation des médecins et une augmentation
des moyens pour les soins palliatifs, il faut souligner que
dans l’affaire Sébire, nous ne sommes pas non plus dans
cette situation.
Mme Sébire réclamait le droit pour son médecin de
mettre fin à ses jours, car elle ne souhaitait ni se suicider
elle-même, ni accepter les traitements susceptibles de lui
procurer un soulagement. Elle exigeait de la société (via la
justice qu’elle a saisie) le droit au suicide, pour elle et ceux
qui auraient la même volonté. Une légitime émotion est
suscitée par sa situation tragique (mais ni plus ni moins
que celle de milliers d’autres : la souffrance et la mort sont
toujours tragiques).
Mais, en écartant un moment le rideau de l’émotion,
que découvre-t-on ? Que la demande ainsi adressée
à la société est inopérante au regard des problèmes
soulevés. Si notre société mettait en place un tel « droit
au suicide » chaque citoyen pourrait exiger « d’être suicidé
à sa demande ». Autrement dit : faites ce que je n’ose pas
me faire à moi-même, me rayer de la vie. Comment ne
pas voir le caractère contradictoire d’un tel transfert sur
autrui de la responsabilité première de chacun sur luimême ? Les partisans de cette mesure évoquent certes un
encadrement, des limites précises.
Et c’est là que les choses se compliquent.
Quelle position adopter pour des patients qui refusent
les traitements que la médecine peut leur apporter ? Quel
encadrement juridique faudra-t-il mettre en place pour
s’assurer qu’aucun intérêt ne se cache derrière la demande ?
Le suicide doit rester la quintessence de la liberté
individuelle. Ce serait dévoyer toute notre philosophie
politique et juridique, héritée des Lumières, que d’en faire
un nouveau « droit à » opposable. L’incitation au suicide
d’autrui est d’ailleurs prohibée dans notre pays. C’est donc
13. ANNEXES 171
170 ANNEXES
bien à un débat beaucoup plus dérangeant encore qu’il
n’y parait auquel nous sommes conviés. Il convient d’y
faire bien réfléchir nos concitoyens et leurs responsables
politiques afin d’éviter des chantages compassionnels du
type : « si le cas de Mme Sébire vous a touché, alors vous
approuvez la cause qu’elle avait décidé de défendre ».
Un second point touchant directement à la situation
de Mme Sébire devra être éclairci. Au plan médical, des
doutes sérieux pèsent sur le caractère « impossible à
contrôler » de la douleur de Mme Sébire. Il semble bien
qu’elle ait en réalité systématiquement refusé toutes les
possibilités qui lui étaient offertes pour tenter de contrôler
les phénomènes douloureux qu’elle présentait.
Il faut rappeler que si des effets secondaires peuvent
accompagner la mise en œuvre d’un traitement par la
morphine, nous disposons fort heureusement de moyens
pour les traiter. En cas d’échec, une technique (dite de
rotation des opioïdes) permet de choisir parmi différents
autres morphiniques un produit entraînant moins d’effets
secondaires.
D’autres voies d’administration que la voie orale
permettent de diminuer ces effets secondaires gênants.
Des solutions plus sophistiquées peuvent aussi être mises
en œuvre (Pompes d’Analgésie Contrôlée par le Patient,
par exemple). Seule une expertise pluridisciplinaire de son
dossier, indispensable du fait des conséquences sociétales
que cette histoire tragique pourrait avoir, permettra
de vérifier si oui ou non ces alternatives ont bien été
proposées à Mme Sébire et si oui ou non, c’est elle qui les
a refusées, ce qui était son droit le plus strict, mais qui
modifierait significativement les conséquences à tirer de
cette situation extrême.
Vouloir à tout prix mettre en avant des drames humains
afin de faire croire à la nécessité de substituer un nouveau
droit au suicide à l’actuelle liberté de se suicider, est pour
nous une erreur. Cela créerait de graves problèmes, aux
impacts transgénérationnels sans régler pour autant ceux
qui se posent aujourd’hui. Notre société doit être capable
de trouver des solutions raisonnables, tant par la loi
qui pose des limites, que par la réflexion collégiale pour
affronter les situations exceptionnelles.
À la dictature des passions, nous préférons le règne de
la raison.
Dr Bernard DEVALOIS,
Médecin d’Unité de Soins Palliatifs
Pr Louis PUYBASSET,
Anesthésiste-Réanimateur
172 ANNEXES
Annexe ii : Tribune concernant la création d’un
Observatoire des fins de vie
Texte paru dans Le Monde du 22 mars 2008.
Le rapprochement de nos deux signatures au bas
d’un texte commun était a priori hautement improbable.
En effet, nous avons, sur les questions de fin de vie, des
conceptions très opposées. L’un est médecin dans une
unité de soins palliatifs et ancien président de la Société
française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).
Il est opposé à une légalisation de l’euthanasie et, ou à
l’instauration d’un droit au suicide médicalement assisté.
L’autre est avocat de Chantal Sébire et le vice-président de
l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).
Cette association milite en faveur de la légalisation d’une
aide active à mourir, sous contrôle médical, à la demande
expresse de patients « en phase avancée ou terminale
d’une affection grave et incurable».
Nous avons notamment une analyse très opposée
concernant la situation de Mme Sébire. L’un dénonce
l’hypocrisie du code de la santé publique et considère,
au nom du respect de la dignité du malade, qu’elle aurait
dû pouvoir bénéficier de l’aide du médecin acceptant
de mettre définitivement fin à ses souffrances selon un
protocole autre que celui dit de la « sédation terminale ».
L’autre soutient que, comme pour des milliers de situations
toutes aussi tragiques, il convient de déployer les moyens
nécessaires au contrôle de la douleur physique, d’entendre
et d’accompagner la souffrance psychologique de la
patiente et de ses proches, pour leur apporter une réponse
adaptée. Pour lui, un « droit au suicide assisté » ne saurait
se substituer à la liberté de se suicider, et la société ne peut
pas confier cette mission aux médecins.
Néanmoins, nous pensons tous les deux que la loi
d’avril 2005 dite loi Leonetti est une avancée considérable
en faveur du respect des droits des patients. Elle met
la question du sens des actes médicaux au cœur de son
dispositif. Elle reconnaît à chaque patient le droit de refuser
13. ANNEXES 173
toute forme de traitement. Elle permet aux médecins de
ne pas prolonger sans raison la vie artificielle de certains
patients en coma végétatif. Pour soulager les souffrances,
elle autorise l’utilisation de traitements pouvant avoir pour
effet secondaire d’abréger la vie.
Le problème majeur que pose aujourd’hui cette loi est
qu’elle est très mal connue par nos concitoyens et même
par une partie importante des professionnels de santé.
Combien de personnes à ce jour ont désigné une personne
de confiance ? Combien de personnes ont rédigé des
directives anticipées permettant, en cas d’inconscience,
de faire connaître leurs souhaits en matière de limitation
ou d’arrêt des traitements ?
Combien de patients se heurtent aujourd’hui au refus
de certains médecins d’appliquer la loi ? Combien de
familles, de proches, ne peuvent obtenir une délibération
collégiale pour examiner la question d’une éventuelle
situation d’obstination déraisonnable pour un patient en
état végétatif chronique ? Combien de patients cancéreux
acquiescent à une énième ligne de chimiothérapie
« palliative » par crainte d’un abandon en cas de refus ?
Malgré nos opinions fort divergentes sur la nécessité
de faire ou non évoluer la loi, nous nous accordons sur
un point fondamental : la nécessité – urgente - d’une
évaluation rigoureuse des conditions dans lesquelles se
déroulent les fins de vie en France. À quelques exceptions
près, comme celle d’Edouard Ferrand (anesthésisteréanimateur à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil), les études
en ce domaine sont trop rares pour ne pas laisser la place à
des convictions assénées avec passion plutôt qu’à l’analyse
rationnelle de la réalité.
Nous insistons donc sur la place d’un observatoire
national des pratiques médicales en fin de vie. Sa mission
pourrait être un outil de médiation et de recours pour tous
ceux qui se sentent éventuellement concernés par une
situation d’obstination déraisonnable, voire, si nécessaire,
exercer des missions d’expertise de manière à éviter tout
risque de judiciarisation de ces questions.
13. ANNEXES 175
174 ANNEXES
Si la loi venait à être modifiée (ce que l’un souhaite
et l’autre pas), cet observatoire pourrait éventuellement
préfigurer la haute autorité qui, en Belgique comme aux
Pays-Bas, contrôle et évalue les actes d’euthanasie. Il
permettrait de recueillir les paramètres nécessaires à une
véritable politique d’évaluation des pratiques médicales
en fin de vie afin d’offrir des outils validés pour alimenter la
réflexion des citoyens et de leurs représentants. Seule une
évaluation précise de la situation nous semble pouvoir
permettre d’éclairer le nécessaire débat citoyen et politique
qui s’impose à nous.
Bernard DEVALOIS et Gilles ANTONOWICZ
Annexe iii : À propos de la mort de M. K.
Article envoyé au Monde et non accepté, paru dans
Le Courrier de l’éthique médicale.
Dans son édition datée du 14 mars 2009, Le Monde
revient sur la fin de vie d’un patient cérébrolésé, pour qui,
en application de la loi d’avril 2005, un arrêt des traitements
de maintien artificiel en vie a été mis en œuvre. Cette
situation est tout à fait similaire à celle d’Eluana Englaro qui
a secoué l’Italie en février. Contrairement à ce qu’affirme
l’article, nous pensons que la fin de vie de M. K. ne repose
pas la question des limites de la loi d’avril 2005, mais
pointe une nouvelle fois combien sa connaissance, son
application et son appropriation par les professionnels de
santé restent insatisfaisantes presque quatre ans après sa
promulgation. Ces difficultés ne sont sans doute pas sans
relation avec la difficulté et la complexité du sujet abordé,
c’est-à-dire celui de la fin de vie, tant pour les malades et
leurs proches que pour les soignants.
Les obstacles opposés à la demande de mise en œuvre
des dispositifs légaux, tels que rapportés par l’épouse
du patient, apparaissent anormaux. Cela montre bien la
justesse de la préconisation du rapport de la commission
parlementaire d’évaluation de la loi de 2005, consistant à
faciliter l’organisation de la procédure collégiale et à exiger
une motivation des décisions prises (proposition 6 et 7 du
rapport).
Il s’agit de ne pas laisser les convictions personnelles
d’un professionnel de santé l’emporter sur l’application
de la loi. Avec la modification en cours de la rédaction
de l’article 37 du code de déontologie, la personne de
confiance ou les directives anticipées du patient, pourront
désormais permettre de lancer la procédure. De même,
pour éviter que ne soit opposé à l’entourage, un refus
de traitement à visée sédative, le rapport préconise
(proposition 12) une modification du même article 37 du
code de déontologie, recommandant dans ce type de
situation (arrêt d’un traitement de maintien artificiel en
13. ANNEXES 177
176 ANNEXES
vie, alors que l’évaluation de la douleur physique et de la
souffrance psychique est rendue impossible par les lésions
cérébrales) l’administration de traitements à visée sédative
et antalgique, aux doses nécessaires et suffisantes pour
garantir le confort du patient.
pour répondre aux besoins de confort du patient et d’autre
part l’ouverture d’un droit à la mort, opposable à notre
structure sociale qui serait alors tenue « de faire mourir
dans des délais réglementaires ».
En aucun cas ces traitements n’interviennent dans
le but d’accélérer le délai de survenue du décès. Ils ne
peuvent se substituer ni aux soins dus au patient luimême, ni à l’accompagnement, complexe et nécessitant
une grande expertise, de son entourage, conformément
aux préconisations de la loi d’avril 2005.
Bernard DEVALOIS,
médecin, Unité de Soins Palliatifs, CH Puteaux
En ce sens, la fin de vie de M. K. ne fait que renforcer
l’urgence de l’application de plusieurs propositions
déterminantes du rapport parlementaire de décembre 2008
(outre celles déjà citées plus haut). La création annoncée
d’un Observatoire des pratiques médicales en fin de vie
(propositions 1 à 3 du rapport), permettra de répertorier
afin de les analyser, les difficultés rencontrées dans
l’application de la loi afin d’en tirer des préconisations
pratiques et un rapport annuel significatif.
Emmanuel HIRSCH,
Professeur des universités,
Directeur de l’Espace éthique Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
La désignation de correspondants régionaux
(proposition 8) en lien avec l’Observatoire permettra si
nécessaire de solliciter leur intervention en cas d’obstacles
constatés dans la mise en œuvre des procédures
conformes à la loi. Structures spécialisées, les Unités de
Soins Palliatifs plus nombreuses et dotées de davantage
de places (proposition 13), disposeront des compétences
indispensables afin d’accompagner au mieux les situations
complexes de fin de vie. Le transfert de M. K. dans une telle
structure, qui avait été proposé mais refusé en raison de
l’éloignement familial qu’il aurait imposé, aurait sans doute
permis d’atténuer la souffrance de sa femme et de ses
enfants, en permettant un suivi adapté au tragique d’une
telle situation.
Il apparaît discutable que soit entretenue
volontairement une confusion entre d’une part la pratique
médicale de traitements à visée sédative ou antalgique
Louis PUYBASSET,
Professeur d’Anesthésie-Réanimation,
Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière
178 ANNEXES
Annexe iv : Les vraies questions posées par la mort
d’Eluana en Italie
Cet article, initialement proposé dans les grands
quotidiens ou hebdomadaires nationaux, mais jamais
publié, a été repris sous forme d’éditorial dans la revue
Médecine Palliative 2009. Une traduction en Italien a été
déposée sur le site internet de La Repubblica.
La mort d’Eluana Englaro, en février 2009 en Italie, après
dix-sept ans de maintien artificiel en vie, a déclenché une
tempête médiatique et politique162. Les autorités vaticanes
ont pesé de tout leur poids dans cette affaire, cherchant à
imposer à l’Etat et à la justice italienne leur point de vue.
Silvio Berlusconi a décidé de faire de cette affaire un casus
belli avec son opposition. De nombreux observateurs
ont conclu hâtivement que « le débat sur l’euthanasie
était relancé en Italie ». Ce raccourci ne fait qu’entretenir
la confusion sur les sujets complexes de la fin de vie. La
mort de cette jeune femme ne pose pas la question de
l’euthanasie mais celle de l’obstination déraisonnable. Elle
ne concerne pas non plus ni le droit au suicide légalement
assisté ni celui d’une éventuelle autorisation donnée aux
médecins de raccourcir la durée d’une agonie.
Le terme d’euthanasie désigne, dans son acceptation
actuelle, l’administration d’une substance létale dans
le but de provoquer la mort, le plus souvent par une
injection létale, administrée par un médecin, dans un
but dit compassionnel. Dans le cas d’Eluana, rien de tel.
La question posée était celle de l’éventuel arrêt de la
nutrition médicalement assistée qui la maintenait en
vie, conformément à la demande de son père, se faisant
l’interprète de ses volontés antérieurement exprimées.
Mais il est intéressant de noter que face à un tel dilemme,
les partisans de la légalisation des injections létales
(inspirée des Pays-Bas ou de la Belgique) et les tenants des
théories « pro-vie» (s’appuyant sur le caractère sacré de la
162 Blanchard Sandrine, Eluana et le « laisser mourir », Le Monde, le
11 février 2009
13. ANNEXES 179
vie pour s’y opposer) se sont entendus sur un seul point :
brandir l’étendard du mot « euthanasie ». Ils n’ont réussi
ainsi, les uns et les autres, qu’à apporter une réponse plus
dogmatique que rationnelle aux situations complexes du
type de celle d’Eluana.
Les uns ont une nouvelle fois voulu faire croire
que l’euthanasie (l’injection létale) serait la solution à
l’acharnement thérapeutique visant au seul maintien
artificiel de la vie. C’est évidemment faux. Et être opposé à
un tel maintien, ce n’est pas nécessairement être favorable
à l’injection létale. Les autres ont voulu imposer leurs
croyances (respectables mais relevant de la sphère intime)
à une société sécularisée rassemblant des citoyens ayant
sur ces questions des positions différentes. Et être opposé
aux injections létales, ce n’est pas nécessairement être
favorable au maintien en vie « à tout prix ».
Quand à nous, comme une grande majorité de
professionnels de santé et du grand public, nous ne nous
reconnaissons dans aucun de ces deux camps. Opposés
à une légalisation des injections létales, nous sommes
favorables à ce que dans des situations comme celle
d’Eluana, il soit possible d’envisager, pour laisser mourir,
la limitation ou l’arrêt de traitements comme la nutrition
médicalement assistée.
Ces situations, loin d’appeler des réponses simplistes,
conduisent à se poser des questions aussi essentielles
que complexes. Quand est-il possible de considérer que le
maintien dans un état végétatif chronique n’a pas d’autre
objet que le maintien artificiel en vie ? Le maintien artificiel
en vie est-il l’équivalent du maintien en vie artificielle ?
Comment intégrer la volonté (et les valeurs) de la personne
concernée quand elle ne peut plus l’exprimer directement ?
Comment faire en sorte que le médecin puisse respecter
la volonté d’un catholique désirant se conformer aux
positions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
en recevant une nutrition médicalement assistée pour le
maintenir en vie s’il est en coma végétatif ?
180 ANNEXES
Et comment pourra-t-il pour un autre, placé dans la
même situation mais porteur d’autres valeurs morales,
suspendre cette même nutrition médicalement assistée
si elle n’a d’autre objet que le maintien artificiel de
sa vie ? Comment garantir, dans les deux situations,
l’accompagnement du patient et de son entourage ?
C’est bien à une telle approche plus dépassionnée de
ces questions que nous invite, en France, la loi d’avril 2005.
Face à une situation similaire à celle d’Eluana, la procédure
appliquée par les médecins en charge de la patiente
aurait été clairement. Il s’agit en effet d’un des quatre cas
différenciés par la loi : situation de maintien artificiel en vie
d’un patient non capable d’exprimer sa volonté.
« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté,
la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie
en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure
collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans
que la personne de confiance prévue à l’article L 1111-6 ou
la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant,
les directives anticipées de la personne, aient été consultés.
La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement
est inscrite dans le dossier médical » (article L1111-4 § 4 du
Code de la Santé Publique).
Ainsi, en France, après avoir pris connaissance des
éléments susceptibles d’approcher ce qu’aurait pu être
l’avis d’Eluana sur la question (notamment à travers les
témoignages de son père et de son entourage), après une
concertation avec l’équipe soignante, et sur l’avis motivé
d’au moins un autre médecin sans lien hiérarchique avec
lui, le médecin responsable de la patiente aurait pu s’il
avait jugé que la situation était celle d’une obstination
déraisonnable, décider de mettre fin à la nutrition
médicalement assistée. Il aurait ainsi respecté eu à décider
de ce qui était le meilleur intérêt de sa patiente, dans le
contexte précis d’une situation forcément unique. Ce
« laisser-mourir » ne saurait en aucun cas être confondu
avec le « faire-mourir » par injection létale des partisans de
l’euthanasie.
13. ANNEXES 181
Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que la nutrition
médicalement assistée est toujours une obstination
déraisonnable qu’il faudrait faire cesser chez les patients
en état végétatif ou pauci relationnel, mais seulement que,
dans certains cas, il peut en être jugé ainsi.
Malgré le vote de cette loi en 2005, il reste beaucoup
à faire pour améliorer les conditions de la fin de vie
dans notre pays. L’affaire Pierra et d’autres affaires non
médiatisées, ont permis de bien prendre conscience
que la loi ne faisait pas tout, et qu’il convenait de la faire
connaître, de la faire appliquer et de faire évoluer certaines
pratiques professionnelles inadaptées. C’est ce qu’a
montré en décembre dernier le rapport de la commission
d’évaluation de la loi d’Avril 2005.
Plusieurs propositions de ce rapport sont en cours
de mise en œuvre et doivent attirer notre attention. La
rémunération du congé d’accompagnement est un progrès
indéniable, même s’il ne concerne que l’entourage d’un
patient à domicile (et pas celui d’un patient hospitalisé), si
la durée en est limitée à trois semaines et si sa rémunération
(inférieure au SMIC) n’est probablement pas très incitative.
La modification de l’article 37 du code de déontologie
proposée au gouvernement par le Conseil National de
l’Ordre des Médecins devrait inciter à une meilleure
pratique de l’utilisation de traitements à visée sédative lors
des limitations et arrêt de traitements de maintien artificiel
en vie en réanimation. Il conviendra d’être attentifs à ce
qu’il ne banalise pas la pratique de la sédation en fin de
vie ou qu’il ne constitue pas les prémisses d’un « droit à
la sédation ». Les prochaines recommandations de la
SFAP, validées par la HAS, viendront utilement préciser
les recommandations de bonnes pratiques sur ce sujet
difficile. Un point important de la nouvelle rédaction de
l’article 37, proposé par le CNOM, est qu’une telle procédure
peut également être initiée dans le respect des directives
anticipées du patient ou à la demande de la personne de
confiance (et non plus seulement laissée à l’initiative du
médecin).
13. ANNEXES 183
182 ANNEXES
D’autres propositions de ce rapport (5) mériteraient
également d’être très rapidement mises en chantier :
Observatoire des pratiques médicales en fin de vie, mise
en place de correspondants départementaux, réflexion sur
l’incidence de la tarification à l’activité (T2A) sur l’obstination
déraisonnable, etc. C’est de la mise en ouvre pratique de
l’ensemble des recommandations du remarquable travail
de la commission d’évaluation que dépend la crédibilité
qu’il faudra accorder à la volonté politique affichée au plus
niveau de l’Etat concernant l’accompagnement de la fin de
la vie.
La leçon à tirer de l’affaire d’Eluana est bien que le cadre
législatif doit permettre que de telles situations trouvent
des solutions humainement acceptables et respectueuses
des valeurs de tous et de chacun sans donner lieu à des
affrontements politiques et idéologiques. C’est la voie
qu’a choisie la France. Espérons qu’elle saura faire école en
Europe, et dans le monde, tout en poursuivant sa réflexion
pour améliorer les conditions de l’accompagnement de la
fin de la vie.
Bernard DEVALOIS*,
Anne Marie DICKELÉ**,
Michèle SALAMAGNE*
* Médecins de soins palliatifs,
Ancien-ne-s Président-e-s de la SFAP
(Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs)
**Psychologue travaillant en soins palliatifs,
Membre du CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences
de la vie et de la santé)
Annexe v : Modèles de désignation d’une personne
de confiance et d’une information sur la rédaction
de directives anticipées163
Désigner une personne de confiance :
Vous venez d’être admis en hospitalisation au centre
hospitalier de XXX. Nous vous informons que la loi du 4 mars
2002 sur les droits des patients offre la possibilité à tout
patient de désigner une personne de confiance. Son rôle
est de vous aider dans les démarches à accomplir et assister
à vos entretiens afin de vous conseiller dans les meilleurs
choix thérapeutiques à adopter. Sa présence pourra
également s’avérer indispensable si vous ne deviez plus
être en mesure de recevoir les informations médicales, ni
consentir à des actes thérapeutiques. Elle deviendrait alors
un interlocuteur privilégié et serait la personne consultée
en priorité par l’équipe médicale afin d’adapter au mieux
le traitement pour vous garantir tout à la fois les meilleurs
soins possibles et vous éviter par ailleurs toute obstination
déraisonnable, conformément à la loi d’avril 2005. C’est
pourquoi nous vous conseillons d’aborder ces questions
avec la personne que vous désignez afin qu’elle puisse, au
mieux, vous représenter en cas de besoin.
Si vous le souhaitez vous pouvez utiliser le formulaire
ci-dessous pour cette désignation.
Nous vous rappelons par ailleurs que vous pouvez
également écrire des directives anticipées afin de faire
connaître vos souhaits au cas où vous ne pourriez plus
les exprimer directement en raison d’une altération de
vos capacités cognitives. Nous tenons à votre disposition
une fiche d’information sur ces directives anticipées et la
manière de les rédiger.
163 Ces modèles peuvent être réutilisés sous réserve d’en citer la
provenance.
184 ANNEXES
Modèle de formulaire
M. / Mme : …………………………………………….,
né(e) le : …………,
déclare, à l’occasion de son hospitalisation dans le
centre hospitalier XXX
désigner comme personne de confiance
M./ Mme ………………………………
J’ai bien noté que cette désignation est révocable
(oralement ou par écrit) à tout moment et que faute
de révocation elle est valable pendant toute mon
hospitalisation.
Si je le souhaite, je peux indiquer une prolongation de
cette désignation au-delà de cette période d’hospitalisation
sur la période de mon choix. Si c’est le cas je l’indique ici :
• Je souhaite que la désignation de la personne de
confiance que j’ai choisie soit valable durant …………..
mois / années ou pour une durée illimitée (rayer la mention
inutile) et que cette durée soit consignée dans mon dossier
médical.
• Je signale par ailleurs que j’ai rédigé des directives
anticipées
Le patient,
Fait à , le 13. ANNEXES 185
Comment et pourquoi rédiger des directives anticipées
(modèle de texte pouvant être remis à chaque personne
hospitalisée)
En application de la loi d’avril 2005, vous avez la
possibilité de rédiger si vous le souhaitez, des directives
anticipées.
Il s’agit d’instructions que donne par avance une
personne consciente, sur la conduite à tenir au cas où
elle serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Elles
lui permettent de garder un contrôle sur les décisions
qui le concernent. Ces directives anticipées sont prises en
considération pour toute décision concernant un patient
hors d’état d’exprimer sa volonté chez qui est envisagé
l’arrêt ou la limitation d’un traitement inutile ou le maintien
artificiel de la vie.
Rappel : la loi d’avril 2005 donne à un patient conscient
le droit de refuser tout traitement ou investigation
qu’il considère représenter pour lui une obstination
déraisonnable. C’est seulement au cas où le patient est
devenu incapable d’exprimer sa volonté que les directives
anticipées sont prises en compte par l’équipe médicale.
Les directives anticipées sont valables pour une durée de
trois ans. Elles doivent avoir été établies moins de trois
ans avant l’état d’inconscience de la personne concernée
(ou avant le jour où la personne s’est avérée hors d’état
d’exprimer sa volonté).
Les directives anticipées doivent donc être renouvelées
tous les trois ans (confirmation signée de l’auteur sur le
document). Ces directives anticipées sont modifiables et
révocables librement à tout moment. Toute modification
fait courir une nouvelle période de trois ans. Pour être
valides les directives anticipées doivent être rédigées en
respectant les règles suivantes :
• Si la personne peut rédiger elle-même ses directives
anticipées : elles sont écrites, datées et signées par leur
auteur, qui doit s’identifier en indiquant ses prénom, nom,
13. ANNEXES 187
186 ANNEXES
date et lieu de naissance. L’auteur peut demander au
médecin auquel il confie ses directives anticipées d’établir
une attestation certifiant qu’il est en état d’exprimer sa
volonté lors de la remise de ces directives.
• Si la personne ne peut pas rédiger elle-même ses
directives anticipées : la personne de confiance ou une
autre personne peut rédiger les directives pour l’auteur.
Deux témoins (la personne de confiance si elle est
désignée et/ou d’autres personnes librement choisies)
doivent attester que les directives sont l’expression de la
volonté de l’auteur. Ces deux témoins indiquent leur nom
et qualité. L’attestation est jointe aux directives. L’auteur
des directives doit être identifié par ses prénom, nom,
date et lieu de naissance. Les directives anticipées doivent
être facilement accessibles pour le médecin qui devra en
tenir compte. Elles peuvent être conservées en plusieurs
exemplaires à différents endroits : par l’auteur lui-même,
dans le dossier médical du médecin libéral (médecin
traitant ou autre médecin), dans le dossier médical de
l’hôpital, par la personne de confiance, par un membre de
la famille ou par un proche.
Si les directives anticipées ne sont pas conservées
dans un dossier médical, le médecin doit indiquer dans ce
dossier leur existence et les coordonnées de la personne
qui les détient. Lorsqu’une personne est hospitalisée, elle
peut signaler qu’elle a écrit des directives anticipées et faire
inscrire les coordonnées de la personne qui les détient
dans son dossier médical.
Annexe vi : Modèle de rapport de procédure
collégiale à inclure dans le dossier médical
1. Exposé de la situation justifiant le cadre du
déclenchement de la procédure collégiale (situation 2 ou
situation 4).
Dans la situation 2, il s’agit de patients non en capacité
d’exprimer leur volonté pour lesquels se pose la question
de la limitation ou de l’arrêt d’un traitement susceptible
de mettre leur vie en danger. Dans la situation 4, il s’agit
de personne non en capacité d’exprimer leur volonté,
en phase avancée ou terminale d’une affection grave
et incurable, quelle qu’en soit la cause, pour lesquels se
pose la question de la limitation ou l’arrêt d’un traitement
inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la
seule prolongation artificielle de la vie de cette personne.
2. Consultation des membres de la famille (nom, place
dans le génogramme familial, date de l’entretien, avis
recueilli,…).
3. Consultation de la personne de confiance (si elle
a été désignée) : date de désignation par le patient,
conformité de la désignation, date de consultation et
résultats de celle-ci.
4. Consultation des directives anticipées si elles
existent : date et conformité de leur rédaction. En cas
d’absence de directives anticipées, rappel des démarches
faites pour tenter d’en retrouver une trace éventuelle
(auprès de la personne de confiance, si elle est désignée,
de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant,
auprès du médecin traitant de la personne malade ou du
médecin qui la lui a adressée conformément à l’article
R 1111-20 du CSP).
5. Concertation avec l’équipe soignante : date de
la concertation, personnes présentes, résumé de la
discussion.
188 ANNEXES
6. Intervention du second médecin (et le cas échéant du
troisième ) : choix conforme du consultant, date et compte
rendu de son intervention, avis motivé sur la question de la
limitation ou de l’arrêt des traitements actifs.
7. Décision motivée du médecin en charge du patient.
Condition de sa mise en œuvre. Mesures prises pour assurer
les soins conformes à l’article L11110-10 : « Les soins
palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par
une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile.
Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance
psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade
et à soutenir son entourage.»
Table des matières
Préface de Jean Leonetti
5
1. Prologue
9
2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme
15
Une parabole prémonitoire de la tentation médicale de
toute puissance ?
16
De tout temps les hommes se sont débattus avec la
complexité de certaines situations liées à la fin de
vie
18
3. Ce qui a déclenché la procédure législative :
la mort de Vincent Humbert
Une tragédie en trois actes
Acte I : Vincent Humbert
mourir. »
23
24
: « Je demande le droit de
24
Acte II : Marie Humbert : « Je lui ai donné la vie, c’est à moi
de la lui ôter. »
25
Acte III : Le Docteur Chaussoy : « Je ne suis pas un assassin.»
27
De nombreuses interrogations sur la réalité des faits
rapportés
30
Un nécessaire décryptage en trois dimensions
35
Vincent Humbert et les questions de l’acharnement
thérapeutique et d’un « droit au suicide »
35
Situation 4 : Patient en phase avancée ou terminale
incapable d’exprimer son opinion
61
Le Dr Chaussoy : comment doivent être mises en œuvre
les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements de
réanimation ?
37
Deux impératifs pour les professionnels de santé :
l’accompagnement et la transparence
62
Marie Humbert : les ressorts classiques de la tragédie
39
4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 45
La loi rend l’acharnement thérapeutique illégal
46
La fin définitive du paternalisme médical : c’est le
malade qui décide
48
Que faire quand un patient n’est pas capable de
décider pour lui-même ?
51
5. La mise en œuvre pratique des dispositions
prévues par la loi67
Écrire des directives anticipées
68
Désigner une personne de confiance
72
Mettre en œuvre une procédure collégiale
76
6. Les situations à double effet
83
Un article de la loi non prévu initialement
84
Le principe thomiste du double effet
85
Phase avancée ou terminale ou maintien artificiel en vie ? 55
L’application à la fin de vie
86
En état d’exprimer sa volonté ?
De la théologie à la loi, puis de la loi aux bonnes
pratiques
88
7. Des décisions parfois bien complexes pour des
patients en capacité de décider pour eux-mêmes
95
Deux questions préalables à poser face à une
situation potentielle d’obstination déraisonnable 54
55
Des modalités de décisions qui varient selon les réponses 56
Les quatre situations envisagées par la loi
59
Situation 1 : Patient en situation de maintien artificiel en
vie par un traitement et en capacité de le refuser
59
Situation 2 : Patient en situation de maintien artificiel en vie
par un traitement et incapable d’exprimer son opinion 60
Situation 3 : Patient en phase avancée ou terminale en
capacité de refuser un traitement vécu comme une obstination
déraisonnable
61
M. S. : « Arrêtez ce respirateur qui me maintient en vie
contre ma volonté. »
96
M. N. : « Je ne veux pas qu’on arrête ma nutrition
artificielle. »
101
M. A. : « Je veux qu’on me laisse mettre fin à mes
jours. »
105
8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des
techniques de maintien artificiel en vie pour des
patients incapables d’en décider eux-mêmes 109
M X : jusqu’où ne pas aller trop loin ?
110
Le contre-exemple de M. B.
114
me
9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 119
Le contexte : l’activisme pro-légalisation (2007- 2008)
120
Les vingt propositions de la commission d’évaluation 126
Cinq propositions visent à mieux faire connaître la loi, tant est
évident le constat de la méconnaissance du grand public, mais
aussi des professionnels de la santé et même du droit 126
Quatre propositions visent à renforcer les droits des
malades
127
Trois propositions pour aider les médecins à mieux
répondre aux enjeux éthiques du soin
129
Huit propositions pour adapter l’organisation du système
de soins aux problèmes de la fin de vie
132
10. Des questions qui dérangent encore
137
Une nécessaire réflexion autour des cérébrolésés 138
La nutrition médicalement assistée a-t-elle un statut
particulier quand à la question de l’obstination
déraisonnable ?
139
Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la nutrition/
hydratation médicalement assistée ?
139
Pourquoi la question de l’hydratation est-elle indissociable
de celle de la nutrition ?
143
Faut-il entreprendre systématiquement une nutrition et/ou
une hydratation artificielle pour un malade en phase terminale
qui ne boit et ne mange pas suffisamment ?
144
Pourquoi la nutrition entérale médicalement assistée n’est
pas un soin « ordinaire » contrairement à l’alimentation ? 145
Est-il scandaleux de faire cesser une nutrition entérale chez
un patient maintenu en vie artificiellement par ce traitement
médical ?
146
Quid du patient qui veut obtenir la garantie d’être
maintenu artificiellement en vie même s’il n’est plus
conscient ?
147
11. Un droit à choisir sa mort ?
149
Droit à une mort apaisée (A)
151
Droit au laisser-mourir (B)
151
Droit pour un patient conscient de refuser ce qu’il considère
pour lui-même comme un acharnement thérapeutique (B1) 151
Élargissement de ce droit au patient qui n’est plus capable
de décider pour lui-même (B2)
152
Droit à un raccourcissement de la phase agonique (C) 152
Droit pour un patient en phase agonique à recevoir une
injection létale (C1)
152
Droit pour un patient pour qui les moyens artificiels de
maintien en vie sont arrêtés à recevoir une injection létale pour
raccourcir le temps du mourir (C2)
154
Droit au suicide médicalement assisté (D)
154
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients
incapables physiquement de se suicider (D1)
154
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients en
phase terminale de leur maladie (D2)
155
Droit au suicide médicalement assisté pour des patients
atteints d’une maladie incurable ou présentant une souffrance
insupportable (D3)
156
Droit à un suicide médicalement assisté pour tous ceux qui
le souhaitent (D4)
156
Droit à une sédation à la demande, permettant un suicide
indirect (D5)
157
Droit à obtenir les moyens d’un suicide « propre » (D6)
158
Droit à une dépénalisation de l’assistance au
suicide (E)
159
Un outil de décodage précieux
160
12. Conclusions : persévérer dans la voie de la
sagesse
163
13. ANNEXES
167
Annexe i : L’histoire tragique de Mme Sébire ne doit pas ouvrir un
droit au suicide
168
Annexe ii : Tribune concernant la création d’un Observatoire
des fins de vie
172
Annexe iii : À propos de la mort de M. K.
175
Annexe iv : Les vraies questions posées par la mort d’Eluana
en Italie
178
Annexe v : Modèles de désignation d’une personne de
confiance et d’une information sur la rédaction de directives
anticipées
183
Annexe vi : Modèle de rapport de procédure collégiale à
inclure dans le dossier médical
187
Téléchargement