le projet institutionnel : des valeurs a l`organisation…

LE PROJET INSTITUTIONNEL : DES VALEURS A L’ORGANISATION…
Marcel JAEGER - Directeur Général, IRTS Montrouge / Neuilly sur Marne
Je ne vais traiter que du projet d’établissement ou de service, et non pas du projet individuel, en
m’appuyant sur l’expérience des appuis techniques et méthodologiques auprès des équipes dans le
cadre de l’élaboration de leur projet.
Malgré tout je voudrais commencer par revenir sur le rapport entre le projet et le contrat, car derrière
cela se trouve la question de la place du droit, du rapport entre le juridique et les orientations
stratégiques ou philosophiques incarnées par des valeurs. En réalité le projet d’établissement ou de
service a comme point d’appui ce sur quoi la loi fait silence. Je veux dire par là que beaucoup d’équipes
n’ont pas encore intégré la différence fondamentale entre un projet institutionnel tel qu’il était défini
avant la loi du 2 janvier 2002 et tel qu’il est défini par celle-ci. Il y a deux différences fondamentales
entre ces deux types de projet :
- dans les nouveaux projets se pose la question de la coordination et de la coopération, c’est à
dire la capacité au sein des équipes à repérer et gérer sur le long terme ses relations avec des
partenaires pour s’adapter aux nécessités que peuvent avoir certaines des personnes
accueillies de relever de différentes formes de prise en charge ;
- dans les nouveaux projets se pose aussi la question de l’évaluation de l’activité.
En réalité l’article 12 de la loi regroupe trois éléments. Le premier, les objectifs d’organisation, était déjà
présent avant la loi. Deux autres éléments qui eux n’étaient pas présents précédemment et qui sont ces
consignes de coordination/coopération et d’évaluation/amélioration de la qualité. La question des
valeurs n’est donc pas abordée.
Pourtant, notamment dans l’article 6, la notion de charte est évoquée : une première, celle des droits et
des libertés (déjà produite) ; et une autre qui concerne les règles déontologiques et éthiques qui
devraient être communes aux professionnels (pas encore élaborée).
Un des problèmes que nous avons par rapport au projet d’établissement est celui de son statut. Est-il
un outil supplémentaire par rapport à la multiplication des documents exigés par la loi ou peut-il être
investi d’une manière tout à fait différente ?
Je pense qu’il faut prendre acte d’un changement historique dans notre secteur en notant une certaine
déconsidération des valeurs intemporelles. Il y a une certaine méfiance vis-à-vis d’un discours sur les
valeurs. Ce terme évoque une tradition spiritualiste et a bien souvent été l’objet de critiques au nom
d’une approche à la fois sociologique et juridique. Un des problèmes qui doit être aujourd’hui travaillé
avec les équipes est le fait de considérer que l’élaboration du projet est tout aussi importante que le
projet lui-même. En effet, ce qui fait la caractéristique principale d’un projet à mon sens est qu’il soit un
document fédérateur.
La question du projet renvoie à la question du collectif, et se traite donc à la fois à l’intérieur de chacune
des structures mais aussi au niveau des professions elles-mêmes. A partir de 1994 se sont mises en
place dans le champ de la santé les conférences de consensus, inspirées des pratiques anglo-
saxonnes. Le principe de ces conférences est de réunir un certain nombres de spécialistes face à un
jury afin d’aborder des questions difficiles et de les trancher. La première conférence de consensus a eu
lieu autour de la question des schizophrènes, et une autre plus récente a porté sur la liberté de
circulation dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Cela veut dire que, dans notre secteur,
nous sommes face à un certain nombre de problèmes qui nécessitent des débats. L’élaboration du
projet, c’est de ce fait que je dis qu’il s’agit d’un document dérateur, est l’occasion de prendre à plein
bras des débats qui doivent traverser les équipes et le secteur professionnel.
D’une certaine façon, on retient de la loi du 2 janvier 2002 son aspect « outillage ». Pour la première
fois le législateur donne une définition de l’action sociale et dico-sociale. Or, que donne-t-il comme
définitions dans les articles 2 et 3 ? Il donne une série de définitions autour de couples d’opposition
pronomatiques, qui font que le législateur ne peut pas trancher sur un certain nombre de problèmes. On
va justement demander aux équipes, à l’occasion de l’élaboration des projets de service, de dire
comment chacune d’elle entend se positionner par rapport à ces couples d’opposition.
Si nous reprenons rapidement certains couples, il y a par exemple l’utilisation à la fois du terme
d’usager et de celui de citoyen. Le terme de citoyen renvoie à la question du droit commun et à la
reconnaissance des droits de chaque personne comme étant en droit des citoyens à part entière, alors
que celui d’usager implique que l’on reste dans une relation de dépendance vis-à-vis du service qui a
été donné, même si la contractualisation est une façon d’atténuer cette relation de dépendance. Cela
veut dire que dans notre société, et en particulier en France, est en débat la question de la place de la
différence.
Un autre exemple serait celui de l’utilisation des mots autonomie et protection. Au moment de
l’élaboration de la loi du 2 janvier 2002 il n’y avait que le terme d’autonomie qui était mis en avant.
Assez rapidement ce concept a été interrogé en se demandant s’il ne risquait pas d’aboutir aussi à
l’abandon de la personne à sa propre responsabilité, à son sort (on évoquera notamment la
clochardisation d’un certain nombre de personnes qui étaient dans des foyers aux Etats-Unis, ou ce
qu’on a aussi pu connaître à une certaine époque en Italie). Par conséquent, au moment de la
discussion de la loi, certaines personnes ont donc voulu contre-balancer ces dérives possibles de
l’autonomie en introduisant la notion de protection. Bien entendu la notion de protection peut entraîner
une réduction de la citoyenneté, justifiable lorsqu’une personne est sous tutelle mais présentant
l’inconvénient dans d’autres conditions de maintenir la personne dans une situation d’assistance…
Quand la loi dit que pour six outils il y aura un texte réglementaire, mais que pour le projet il faut se
débrouiller cela signifie qu’il faut pouvoir mettre en débat au sein de chaque équipe ces couples
d’opposition.
Je voudrais encore évoquer deux de ces couples : celui d’égalité et d’équité, qui évoque d’une part une
conception très républicaine de l’égalité face à la loi et d’autre part une vision beaucoup plus anglo-
saxonne de celle-ci ; celui de l’opposition entre les droits et les devoirs, avec une section qui évoque les
droits des usagers mais se pose évidemment la question des devoirs. Et c’est que devient tout à fait
utile la distinction qui est faite entre le projet et le règlement de fonctionnement, puisque cette question
des devoirs est principalement au cœur de la question du règlement.
Autrement dit, lorsque je suis amené à intervenir auprès d’équipe, je m’assure qu’il y ait un repérage de
ces différents enjeux car c’est dans la compréhension de ce discours tenu par le législateur qu’on
pourra ensuite, ou non, avoir un impact des valeurs dans l’organisation. A partir du moment je
considère qu’il y a place pour un débat, et que face à une déconsidération ancienne des valeurs
intemporelles il faut revaloriser la question des valeurs et réintroduire du débat et des espaces de
discussion, cela signifie que l’organisation ne peut plus être pensée comme étant modélisée sur une
construction mécanique et que l’on fasse une différence très claire entre des valeurs et des normes.
La question du rapport entre valeurs et organisation est un peu celle du rapport que l’on peut avoir entre
une philosophie de l’action et une approche un peu mécaniste qui serait celle d’une construction
étroitement managériale.
C’est dans cet esprit que plusieurs centres de formation au travail social ont redonné de la place non
pas à l’enseignement de la philosophie mais en tout cas à des espaces des intervenants
philosophes peuvent être présents. La question du management ne se pose pas dans une démarche
purement technique mais a aussi à voir avec la façon dont on se positionne sur cette question des
valeurs.
Un autre élément qui me semble important d’évoquer est la question du pluriel. On parle du projet, mais
il s’agit également des projets.
Toute notre construction institutionnelle a reposé sur ce qu’on pourrait appeler la « logique de la pile ».
Le fonctionnement général de notre secteur est de considérer qu’il y a des populations cibles, des
populations homogènes pour lesquelles on construit des réponses elles-mêmes ciblées, et qu’à partir
de ces réponses on aurait pu avoir des institutions voire même des catégories professionnelles
spécifiques. Or une personne, même lourdement handicapée, est une personne qui n’est pas privée
d’historicité. Elle peut avoir des parcours multiples et complexes qui font qu’elle échappe à la
classification habituelle. Il y a depuis quelques années des réflexions qui se mènent sur la nécessité
d’avoir des approches beaucoup plus transversales et beaucoup plus souples. Or, nous sommes
confrontés au problème que l’ensemble de notre législation est elle-même conçue de manière
segmentée. Peu de temps après la loi du 2 janvier 2002, la loi du 4 mars 2002 relative au droit des
malades et à la qualité du système de santé vient définir des droits des usagers de manière différente.
Ceci signifie que, alors qu’on partage des valeurs humanistes fortes et que l’on considère que l’on a
affaire à des personnes ou à des sujets, l’on est en réalité systématiquement confrontés à ce problème
de segmentation dans nos réalités législatives et institutionnelles. Je vais ainsi revenir sur la question
du projet institutionnel puisqu’on nous demande aujourd’hui, dans les projets, à la fois de définir des
principes d’organisation et de dire comment on va coopérer et se coordonner avec les autres.
Cette question de la coordination a à voir avec celle du passage de relais, du passage de main. Il est
important de nous rappeler que nous ne sommes pas propriétaires des personnes pour lesquelles nous
intervenons. Nous sommes mandatés pour intervenir dans le cadre d’une mission clairement définie, et
se pose alors la question des limites des compétences de chacun des professionnels et de chacune
des institutions. Le projet d’établissement ou de service est l’occasion de tenir un discours sur les
valeurs mais aussi sur nos propres limites. A partir de quel moment je dois passer la main ? Je ne dois
pas être dans une position défensive, qui consiste souvent à dire que mes lois sont des lois de
contrainte et que mes limites sont systématiquement marquées par d’autres.
Ce pose donc ici le problème du chaînage des dispositifs, c’est à dire le chaînage des lois mais aussi
des pratiques et des cultures professionnelles.
Je voudrais maintenant aborder la question de l’impact du projet sur l’organisation.
L’impact dépend d’abord du temps que l’on se donne pour traiter de ces questions. Une des
nouveautés de la loi du 2 janvier 2002 est d’introduire une temporalité, en disant qu’un projet de service
a une durée de vie maximum de cinq ans, et suppose donc qu’il y ait d’abord un temps où l’on puisse se
confronter à la question des valeurs et à celle de leur lien avec l’organisation. Cela a à voir avec ce que
l’on peut vulgairement appeler une culture d’entreprise.
On se posera à chaque fois la question du lien entre la façon dont on définit les valeurs dans une
structure et la façon dont elles sont définies dans la société dans laquelle nous sommes.
Il y a, à mon sens, au moins trois registres qu’il faut traiter.
D’abord, du point de vue des valeurs, le problème d’ordre philosophique de savoir comment traiter le
problème de l’altérité ? On se pose toujours la question de savoir qui est l’autre qu’on a en face de soi.
Ensuite il y a la question des valeurs sociétales c’est à dire de la façon dont une société comme la nôtre
se prononce sur les questions qui nous concernent, compte tenu de son évolution actuelle et
notamment de la montée de l’individualisme. Et puis il y a la question des valeurs professionnelles au
sens des référents théoriques qui structurent l’action.
Je crois que le projet renvoie à toutes ces notions, à une certaine conception de l’organisation et à une
certaine conception de la formation des professionnels qui font vivre les organisations.
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