Revue des sciences religieuses
84/2 | 2010
Théologies africaines
Brève histoire de la théologie africaine
Gabriel Tchonang
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/344
DOI : 10.4000/rsr.344
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 30 juin 2010
Pagination : 175-190
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Gabriel Tchonang, « Brève histoire de la théologie africaine », Revue des sciences religieuses [En ligne],
84/2 | 2010, mis en ligne le 17 novembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
rsr.revues.org/344 ; DOI : 10.4000/rsr.344
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© RSR
BRÈVE HISTOIRE
DE LA THÉOLOGIE AFRICAINE
L’origine controversée de la théologie africaine, ainsi que la
complexité de ses problématiques nous incitent à la prudence quand il
s’agit de retracer les grands courants qui la constituent. En sus, il
serait prétentieux de restituer en quelques lignes la longue et rude
histoire de cette théologie. Ainsi, nous intitulerons modestement notre
propos: «Brève histoire de la théologie africaine». Nous nous limite-
rons à l’Afrique subsaharienne et dans une grande mesure à l’espace
francophone, d’une part, à cause de la pertinence des débats et des
réflexions des auteurs, et de l’autre du fait d’une plus grande influence
des théologiens francophones dans le processus d’Africanisation et
d’inculturation du christianisme en Afrique. Nous ne ferons pas allu-
sion au christianisme proconsulaire qui après cinq siècles d’existence
disparaît avec les invasions barbares du 7es.
Après le déclin du christianisme de Cyrille, de Clément d’Alexan-
drie, d’Athanase et de Saint Augustin, pour ne citer que ceux-là, il faut
attendre le 19esiècle pour que les missionnaires arrivent sur les côtes
africaines au sud du Sahara, avec en projet la grande mission d’Évan-
gélisation des peuples Noirs. Cette mission était menée en parallèle et
en concomitance avec l’œuvre de colonisation entreprise au 19esiècle
par les puissances occidentales. Cette concomitance a suscité chez
quelques historiens et théologiens africains le soupçon plus ou moins
justifié d’une étroite collaboration entre les deux projets, soupçon qui
a suscité dans certains groupes des réactions identitaires, allant
jusqu’au rejet du christianisme alors dit occidental, et à l’émergence
des christianismes noirs. Nous n’entrerons pas dans ce débat. Il
s’agira pour nous de dégager les harmoniques d’une théologie afri-
caine encore en construction, et de présenter les fondements de
chacune d’elle.
La théologie africaine depuis ses origines s’est inscrite dans une
dynamique qui a épousé les contours de l’évolution culturelle, socio-
économique et même politique du continent, et bien plus encore, a
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intégré quasi-radicalement les évolutions internes à l’Église et à la
géostratégie planétaire.
L’évolution de la théologie africaine est graduelle et très marquée.
Elle part de la théologie du salut des âmes des infidèles, encore
appelée la théologie de la fondation de la chrétienté ou la théologie de
la création de l’Église locale chez les indigènes, jusqu’à la théologie
de la libération holistique en passant par la théologie de l’adaptation,
de l’incarnation, de la libération historique et de la reconstruction.
Notre propos consiste à présenter très succinctement ces différents
courants théologiques avant d’émettre une réserve finale sur leur
pertinence globale.
I. LA THÉOLOGIE DU SALUT DES INFIDÈLES OU DE LA FONDATION DE LA
CHRÉTIENTÉ
Cette théologie est la conséquence immédiate de la mission
d’évangélisation entreprise par l’Occident au 19esiècle. Elle s’appuie
sur le grand envoi du Christ: «Allez, de toutes les nations, faites des
disciples. Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit»
(Mt 28,19-20).
Il s’agit en corollaire de convertir les populations indigènes
d’Afrique au christianisme, et d’implanter des Églises locales qui
soient le reflet de l’Église de Rome, avec sa doctrine, sa liturgie, son
organisation institutionnelle, sous l’arrière-fond culturel occidental.
Les missions sont fondées et la pastorale est essentiellement sacra-
mentelle. Les stratégies d’évangélisation sont élaborées dans le but de
conduire les fidèles à Jésus-Christ et à l’Église. En appui de l’évangé-
lisation, les missionnaires s’attellent à la création de nombreuses
œuvres sociales, des hôpitaux et dispensaires, écoles et universités,
centres d’apprentissage des métiers. Il s’agissait de promouvoir
l’homme africain, sans que nécessairement soient pris en compte les
défis culturels d’un peuple clochardisé par l’Histoire. L’œuvre civili-
satrice qui accompagne l’évangélisation portera par ailleurs de
nombreux fruits. Mais cette œuvre sociale et humanitaire liée à la
mission, la réelle émergence d’une spiritualité chrétienne, ainsi que le
sentiment d’appartenir à l’Église universelle, ne suffirent pas à
étouffer les frustrations d’un grand nombre d’intellectuels et fidèles
africains qui ont très tôt considéré que le christianisme occidental était
lié à l’idéologie coloniale et pour certains radicaux, qu’il était une
force d’aliénation culturelle du peuple Noir. C’est donc dans le vaste
mouvement d’émancipation des peuples d’Afrique que va s’inscrire la
théologie africaine, comme le précise Alphonse Ngindu Mushete:
«La théologie africaine se situe très nettement dans le prolongement
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des mouvements d’émancipation et de conquête de l’autonomie cultu-
relle et politique du continent noir1».
La théologie de la fondation de la chrétienté n’est rien moins que
la transposition du christianisme tel que vécu en Occident dans le
contexte culturel et géographique de l’Afrique subsaharienne. Un
christianisme limité à la sphère des valeurs était pour beaucoup de
missionnaires le plus important pour l’Afrique. La théologie de la
fondation des missions trouve un appui philosophique dans la pensée
de Placide Tempels qui publie en 1944 un ouvrage intitulé La philo-
sophie de bantoue2, à l’origine d’un débat toujours d’actualité sur
l’essence de la pensée africaine. Des générations de philosophes afri-
cains y ont constamment fait recours, soit pour adopter sa méthode
d’investigation rationnelle, soit pour la récuser. Certains le considè-
rent comme le point de départ de la théologie africaine.
Tempels établit une ontologie négro-africaine qui selon lui repose
sur la force vitale. Cette force vitale structure toute l’existence de
l’être africain. Toute sa quête de plénitude consiste dans le renforce-
ment de sa force vitale. Il en déduit que de cette même force vitale
découlent sa liberté et son éthique. Pour lui, ce dont le «nègre» a le
plus besoin, ce n’est pas de développement économique, mais de la
reconnaissance de sa dignité et de sa valeur humaine, ainsi que du
moyen de faire croître sa force vitale.
Au vu de ces positions, il était devenu évident pour certains théo-
logiens réactionnaires africains que la pratique missionnaire de déve-
loppement socio-caritatif n’était pas accompagnée et portée par une
théologie du salut holistique, mais était le moyen le plus efficace pour
faciliter la fondation de la chrétienté en Afrique, cette chrétienté
comprise comme un ensemble de valeurs et de systèmes, de pratiques
et de rites, profondément immergés dans la culture occidentale.
La théologie de la fondation de la chrétienté va générer un
ensemble de frustrations liées d’abord à la méconnaissance des
valeurs et de la dignité africaines, ce que Tempels tentera timidement
de mettre en exergue dans son ouvrage cité, mais aussi liées à l’im-
portance médiocre accordée aux questions de développement écono-
mique et de promotion humaine. De la première frustration naîtra la
théologie de l’adaptation, de l’incarnation et de l’inculturation, et de
la seconde naîtra la théologie de la reconstruction.
1. MUSHETE, A. NGINDU, les thèmes majeurs de la théologie africaine, L’Har-
mattan, Paris, 1989, p. 34.
2. Paris, Présence Africaine, 1944.
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II. LA THÉOLOGIE COMPRISE COMME ADAPTATION
La théologie de l’adaptation établit une continuité entre le chris-
tianisme et la foi chrétienne. Elle invite les cultures africaines sur le
champ de l’évangélisation. Aux éditions Présence Africaine paraît en
1956 un ouvrage déterminant, collectif rédigé par des prêtres Afri-
cains étudiant en Occident, Des prêtres noirs s’interrogent3.Cet
ouvrage donnera le ton de la théologie de l’adaptation et aura un
retentissement important sur de nombreuses générations de théolo-
giens africains.
Les théologiens de l’adaptation fondent leur intuition sur le
mystère de l’incarnation. Vincent Mulago, l’un des auteurs de l’ou-
vrage, l’explique: «l’adaptation n’est rien d’autre que cette «incarna-
tion» de l’acte missionnaire dans tout l’humain. […] Le but à obtenir,
c’est que le peuple récemment converti pense et vive le christianisme
avec son âme propre […] l’adaptation n’est rien d’autre que cette
présentation du message chrétien par son aspect le plus en harmonie
avec les aspirations du peuple à gagner au Christ […]. Le Logos en
prenant notre pauvre nature humaine ne l’a pas d’abord dépouillée de
ses propriétés; en se penchant sur nous, il n’a rien perdu de ce qu’il
était: Dieu parfait, dans une unité parfaite de personnes; tel est le
mystère de l’incarnation que l’Église n’a jamais cessé d’initier et de
reproduire dans son élan missionnaire4». Comme méthode, ils envi-
sagent de creuser, fouiller, déblayer avec patience le terrain rocailleux
des superstitions, et d’«entreprendre un laborieux pèlerinage aux
sources de la pensée nègre pour y trouver les valeurs préchrétiennes,
pour y découvrir les valeurs de l’âme africaine qui sont compatibles
avec la foi chrétienne. Il faut déceler le «logos spermatikos», qui sont
les restes d’une révélation primitive, qui se rencontrent en tout temps
et en tout cœur humain même païen5».
L’appel à l’adaptation et à l’africanisation du christianisme trou-
vera un appui au niveau de la plus haute autorité de l’Église en la
personne du pape Paul VI qui, lors de son déplacement en Ouganda
en 1969, s’adressera aux présidents des conférences épiscopales
constituant le Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et
de Madagascar, (SCEAM), en ces termes : « Vous pouvez et devez
avoir un christianisme africain. Oui, vous avez des valeurs humaines
et des formes caractéristiques de cultures qui peuvent s’élever à une
perfection propre, apte à trouver dans le christianisme une plénitude
3. Paris, Cerf, 1956.
4. V. MULAGO, «Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu du
Congo» in Des prêtres noirs s’interrogent, p. 32-33 passim.
5. Ibid, p. 22-23.
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