Le christianisme et la relation de l`homme avec son environnement

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Posté par Witukind - 02 février 2005
Le christianisme et la relation de l'homme
avec son environnement
de P. Bérard
A la différence de la mythologie* gréco-romaine qui se distinguait très singulièrement de la plupart des autres mythologies du monde par une vision non-créationniste de l'univers, la Création, dans les mythologies sémitiques et notamment dans la
Bible, est le moment inaugural du monde.
Nous savons en effet que les penseurs du vieil Occident, à l'instar d'Aristote, refusaient l'idée que le monde visible ait pu avoir un commencement. Une telle idée ne
pouvait d'ailleurs pas s'inscrire dans le cadre de leur conception cyclique du temps. Le
christianisme, au contraire, a hérité du judaïsme, non seulement la conception d'un
temps linéaire, segmentaire, qui ne se répète donc pas, mais également un impressionnant récit de la création du monde. Et ce récit, c'est bien sûr la Genèse. Et que dit la
Genèse ? Elle dit qu'un dieu* infiniment bon et tout-puissant a créé la lumière et les ténèbres, les corps célestes, la Terre et toutes les espèces de poissons, d'oiseaux,
d'animaux et de plantes, puis Adam, puis Eve, et qu'enfin, l'homme a donné un nom à
tous les animaux, s'établissant ainsi lui-même comme leur maître. Puisque l'homme,
comme on dit en linguistique, est "performateur", il nomme donc, en ce sens il s'inscrit
comme maître. Dieu a conçu tout cela, nous dit la Genèse, explicitement au seul bénéfice de l'homme et pour lui permettre de faire régner sa loi : il n'est rien dans le monde
physique résultant de la Création qui n'ait d'autre raison d'existence que de servir les
fins humaines. Et si le corps de l'homme est certes façonné avec de la glaise, il n'est
cependant pas une simple partie de la nature, il n'est pas banal, il n'est pas trivial : il est
aussi fait à l'image de Dieu*.
Ainsi, l'anthropocentrisme s'origine dans le discours biblique, dans
l'impressionant récit biblique de la Création, et le christianisme, surtout sous sa forme
occidentale, est la religion* la plus anthropocentrique que le monde ait jamais connue.
Dès le IIème siècle, les pères de l'Église*, aussi bien Tertullien, l'africain, que saint Irénée de Lyon, le gaulois, soulignent que Dieu, lorsqu'il a créé Adam, avait déjà en vue
le Deuxième Adam, c'est-à-dire le Christ incarné. L'homme partage ainsi, dans cette
théologie, la transcendance de Dieu vis-à-vis de la nature. Non seulement le christianisme, en opposition absolue à l'ancienne cosmogonie païenne* comme aux religions
de l'Asie (exception faite peut-être du zoroastrisme), instaure un dualisme fondamental
entre l'homme et la nature, mais il insiste également sur le fait que l'exploitation de la
nature par l'homme, pour satisfaire ses fins propres, résulte de la volonté de Dieu.
Beaucoup y voient aujourd'hui l'origine des problèmes écologiques que nous connaissons.
Il y a donc au départ dans cette philosophie, ou plutôt dans cette théologie, ce
qu'Heidegger aurait pu appeler "l'arraisonnement de la nature”. Lequel arraisonnement de la nature entre dans le plan divin. Et c'est bien dans cette brèche ouverte par
le dualisme chrétien que vont s'engouffrer, après Descartes, tous les tenants de la modernité occidentale.
Au niveau le plus populaire, c'est-à-dire à un autre niveau que celui du discours
des élites chrétiennes, cette nouvelle vision du monde a exercé une influence révéla-
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trice. Dans l'Antiquité, chaque arbre*, chaque source, chaque filet d'eau, chaque colline
avait son propre genius loci, son génie protecteur. Le monde était peuplé de dieux et il
y avait co-appartenance entre la nature, les hommes et les dieux. Ces esprits étaient accessibles à l'homme, par des procédures diverses relevant de la magie* ou de la séduction, tout en différant grandement de lui, comme l'atteste l'ambivalence un peu inquiétante des centaures, des faunes et des sirènes. Avant de couper un arbre, de percer une
montagne ou de détourner un ruisseau - ce que les anciens ne se sont pas privés de
faire, il était donc important d'apaiser le génie protecteur du lieu et de faire en sorte
qu'il demeure apaisé. Le monde étant enchanté, il fallait traiter avec lui d'une certaine
manière, inventer avec lui des procédures spécifiques.
En détruisant ce rapport au monde qui ne relève pas seulement de l'animisme
païen, le christianisme a permis, lui, d'exploiter la nature sans vergogne et sans aucunement se soucier des " sentiments des objets naturels " et de l'esprit du monde. Le
christianisme est ainsi à l'origine de la réification, de "l'objectivation" du monde et de la
nature. La mort du grand "Pan" laisse la place à la technologie et en tout cas à ce mélange qui date du XIXème siècle de la science et de la technique que certains appellent
aujourd'hui la "techno-science".
On dit souvent qu'à cet animisme, l'Eglise* a subsitué le culte des saints. C'est
en apparence exact, mais le culte des saints est fonctionnellement très différent de
l'animisme. Le saint n'habite pas les objets naturels; il peut avoir un sanctuaire particulier, mais c'est au ciel qu'il réside. En outre, un saint n'est qu'un être humain qu'on
peut approcher comme tel. Ainsi, les esprits qui habitaient les objets naturels se sont
évaporés. L'homme s'est vu conférer sur Terre le monopole de l'esprit et les vieilles inhibitions qui l'empêchaient d'exploiter sans prudence, la nature se sont effondrées par
la Révélation, Dieu a donné à l'homme la Bible, les Saintes Ecritures bien sûr, mais
Dieu a également créé la nature, celle-ci témoigne de l'intellect divin.
Et va se produire, très tôt, au Moyen-Age, la naissance de ce que l'on appelle la
"théologie naturelle" dans un premier temps, à savoir l'étude religieuse de la nature en
vue d'une meilleure compréhension de Dieu. C'est cette discipline qui reçoit le nom de
"théologie naturelle". Dans l'Eglise primitive, dans l'Eglise des débuts et continuellement par la suite dans l'Orient byzantin, la nature était d'abord appréhendée comme
un système symbolique, comme une espèce de métaphore propre à fournir l'énergie de
nombreuses paraboles. Des symboles* au travers desquels, par la médiation desquels,
Dieu parlait, en quelque sorte, aux hommes. Cette conception de la nature était beaucoup plus esthétique que scientifique. La science dans ce contexte ne pouvait guère
s'épanouir. C'était une ambiance défavorable à une activité de type scientifique puisque
la science implique que la nature soit objectivée pour avoir lieu.
Or, dès le XIIIème siècle, la théologie naturelle avait déjà pris un tour très différent, du moins dans l'Occident latin. Elle ne cherchait dès lors plus à décoder les symboles physiques grâce auxquels Dieu pouvait communiquer avec l'homme, mais
s'efforçait désormais de mieux comprendre l'esprit divin en découvrant la façon dont
opérait la création. Il ne s'agit donc plus de communiquer avec Dieu* à travers la nature, mais de comprendre des mécanismes. Ainsi, pour prendre un exemple concrets,
l'arc-en-ciel, à l'ouest de l'Europe, n'était plus un simple symbole d'espoir, que Dieu envoya pour la première fois à Noé à la fin du Déluge, mais un phénomène d'optique sur
lequel quelques auteurs pouvaient publier des ouvrages étonnament complexes alors
même que leur démarche intellectuelle restait essentiellement religieuse [1].
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N r.t : essentiellement religieuse… dans son discours décoratif, prudence exige !
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Et du XIIIème siècle jusqu'au XVIIème, jusqu'à Leibniz et Newton, tous les chercheurs
d'envergure, y compris ces deux derniers, expliquent d'ailleurs leurs motivations en
termes religieux. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIème siècle que Dieu*, pour beaucoup de
chercheurs, devient une hypothèse dont on peut se passer, une hypothèse inutile. Ce
qui veut dire que la science occidentale moderne a bien été conçue dans le giron de la
théologie chrétienne. Et l'impulsion originelle de cette science moderne est venue du
dynamisme d'une dévotion religieuse mise en forme par le dogme judéo-chrétien de la
création. La science moderne s'avère donc, en quelque sorte, l'extrapolation de la théologie naturelle du Moyen-Age. Il faut par conséquent renoncer à cette idée ancienne
des historiens rationalistes et laïcs du XIXème qui opposaient un Moyen-Age chrétien,
donc obscurantiste, à une Renaissance qui, par le biais de la redécouverte des écrits anciens et des progrès successifs, s'acheminait vers un monde de lumière (!), vers un
monde éclairé, vers un monde de domination de la nature. C'est un schéma qui est
complètement dépassé : on sait que la critique, la lecture attentive des textes de
l'Antiquité n'a pas cessé durant la plus grande partie du Moyen-Age.
La technique moderne dans ce contexte est partiellement expliquée comme
la réalisation volontariste occidentale du dogme chrétien de la transcendance de
l'homme vis-à-vis de la nature et de son légitime désir de la dominer. »» P. BERARD
N. B. : Les mots avec astérisques* sont des titres d’articles consultables sur le site :
< racines.traditions.free.fr > ou dans le Livre CD de l’association et ils correspondent à la
deuxième partie de notre étude sur Les Origines de l’Arbre de Mai comme étant issu d’une Atlantide* boréenne pré cataclysmique du XIIIème s. AEC.
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