trice.
Dans l'Antiquité, chaque arbre*, chaque source, chaque filet d'eau, chaque colline
avait son propre genius loci
, son génie protecteur. Le monde était peuplé de dieux et il
y avait co-appartenance entre la nature, les hommes et les dieux
. Ces esprits étaient ac-
cessibles à l'homme, par des procédures diverses relevant de la magie* ou de la séduc-
tion, tout en différant grandement de lui, comme l'atteste l'ambivalence un peu inquié-
tante des centaures, des faunes et des sirènes. Avant de couper un arbre, de percer une
montagne ou de détourner un ruisseau - ce que les anciens ne se sont pas privés de
faire, il était donc important d'apaiser le génie protecteur du lieu et de faire en sorte
qu'il demeure apaisé.
Le monde étant enchanté, il fallait traiter avec lui d'une certaine
manière, inventer avec lui des procédures spécifiques
.
En détruisant ce rapport au monde qui ne relève pas seulement de l'animisme
païen,
le christianisme a permis, lui, d'exploiter la nature sans vergogne et sans aucune-
ment se soucier des " sentiments des objets naturels " et de l'esprit du monde. Le
christianisme est ainsi à l'origine de la réification, de "l'objectivation" du monde et de la
nature. La mort du grand "Pan" laisse la place à la technologie et en tout cas à ce mé-
lange qui date du XIXème siècle de la science et de la technique que certains appellent
aujourd'hui la "techno-science
".
On dit souvent qu'à cet animisme, l'Eglise* a subsitué le culte des saints. C'est
en apparence exact, mais le culte des saints est fonctionnellement très différent de
l'animisme. Le saint n'habite pas les objets naturels; il peut avoir un sanctuaire particu-
lier, mais c'est au ciel qu'il réside. En outre, un saint n'est qu'un être humain qu'on
peut approcher comme tel. Ainsi, les esprits qui habitaient les objets naturels se sont
évaporés. L'homme s'est vu conférer sur Terre le monopole de l'esprit et
les vieilles in-
hibitions qui l'empêchaient d'exploiter sans prudence, la nature se sont effondrées par
la Révélation, Dieu a donné à l'homme la Bible
, les Saintes Ecritures bien sûr, mais
Dieu a également créé la nature, celle-ci témoigne de l'intellect divin.
Et va se produire, très tôt, au Moyen-Age, la naissance de ce que l'on appelle la
"théologie naturelle" dans un premier temps, à savoir l'étude religieuse de la nature en
vue d'une meilleure compréhensi
on de Dieu.
C'est cette discipline qui reçoit le nom de
"théologie naturelle". Dans l'Eglise primitive, dans l'Eglise des débuts et continuelle-
ment par la suite dans l'Orient byzantin, la nature était d'abord appréhendée comme
un système symbolique, comme une espèce de métaphore propre à fournir l'énergie de
nombreuses paraboles. Des symboles* au travers desquels, par la médiation desquels,
Dieu parlait, en quelque sorte, aux hommes. Cette conception de la nature était beau-
coup plus esthétique que scientifique. La science dans ce contexte ne pouvait guère
s'épanouir. C'était une ambiance défavorable à une activité de type scientifique puisque
la science implique que la nature soit objectivée pour avoir lieu
.
Or, dès le XIIIème siècle, la théologie naturelle avait déjà pris un tour très diffé-
rent, du moins dans l'Occident latin. Elle ne cherchait dès lors plus à décoder les sym-
boles physiques grâce auxquels Dieu pouvait communiquer avec l'homme, mais
s'efforçait désormais de mieux comprendre l'esprit divin en découvrant la façon dont
opérait la création. Il ne s'agit donc plus de communiquer avec Dieu* à travers la na-
ture, mais de comprendre des mécanismes. Ainsi, pour prendre un exemple concrets,
l'arc-en-ciel, à l'ouest de l'Europe, n'était plus un simple symbole d'espoir, que Dieu en-
voya pour la première fois à Noé à la fin du Déluge, mais un phénomène d'optique sur
lequel quelques auteurs pouvaient publier des ouvrages étonnament complexes alors
même que leur démarche intellectuelle restait essentiellement religieuse
[1].