Note de lIAM
© Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle 75007 Paris, institutafriquemonde53@gmail.com
Mars 2015
LAgenda 2063 : Cadre global de la transformation positive de
lAfrique ?
Jean-Baptiste HARELIMANA, Président du conseil d’orientation, IAM
Introduction
Les économies africaines ont enregistré une croissance remarquable depuis la fin des années 90, mais la
transformation structurelle demeure difficile à atteindre, avec une désindustrialisation observée dans 38 pays
africains entre 1995 et 2012. Les données indiquent que la transformation structurelle n’en est qu’à ses débuts
dans la majorité des pays. La question essentielle consiste donc à déterminer si ce bond en avant restera un
épisode exceptionnel ou s'il marquera un réel décollage économique de l'Afrique.
Après avoir fait le deuil des 50 années (1963-2013) de la post-colonie, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de
l’Union Africaine, tout en reconnaissant les succès antérieurs et les défis subsistant, se sont engagés à parvenir
à une transformation structurelle à travers un cadre global : l'Agenda 2063. Ils se sont par ailleurs engagés à
intégrer ces idéaux et objectifs dans les plans nationaux de développement. L'objectif de l'Agenda 2063 est de
planifier et organiser la trajectoire de développement de l'Afrique sur une base endogène et appropriée pour
les 50 prochaines années, tirant profit des leçons apprises au cours des 50 dernières années ainsi que de
l’expérience des précédents plans continentaux de développement (plan d’action de Lagos, Traité d’Abuja,
NEPAD), s'appuyant sur les progrès actuels et tirant parti des opportunités stratégiques qui s’offrent à l’Afrique.
L’Afrique, continent marqué par la diversité et l'hétérogénéité de 54 pays, offre un tableau contrasté en termes
de développement économique et de richesses en ressources naturelles. C’est ainsi qu’on peut distinguer quatre
grands groupes de pays : ceux à économies diversifiées, ceux qui exportent du pétrole, ceux à économies en
transition et ceux à économies en pré-transition. Coexistent ainsi plusieurs modèles économiques : le modèle
fondé sur les industries minières et pétrolières avec des risques possibles de distorsion, le nouveau modèle
d’une agriculture exportatrice très largement diversifiée, le modèle des économies très compétitives à l’échelle
mondiale, mais aussi celui des économies stagnantes sans compter les cas restreints d’Etats faillis.
Repenser l'exploration d’alternatives aux modèles de développement dominants va parfois de pair avec l'étude
de la transformation sociale et économique. Que signifie «transformation» dans les nouveaux débats sur le
développement en Afrique et quels sont les déterminants de cette transformation ? Dans quelle mesure l’Union
africaine (UA) et ses institutions sont-elles bien préparées à faire une transformation pragmatique nécessaire
pour opérer le changement de cap économique ? A l’heure où se profile l’échéance cruciale des objectifs du
millénaire, il est temps de revisiter et décortiquer cette stratégie globale qui suscite autant d’attentes qu’elle
crée de désillusions, alors que l’Afrique connaît des transformations et des accélérations majeures, et se voit
confrontée à de multiples crises.
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I. Afrique : Une croissance confirmée sans développement
La croissance économique africaine impressionne avec l'émergence comme horizon. Depuis 2000, un consensus
s’est dégagé quant au potentiel qu’a l’Afrique de devenir le prochain pôle de croissance mondiale. En effet,
durant les dix dernières années - et en particulier avant la crise financière mondiale de 2008 - l’Afrique a connu
une croissance accélérée. Alors que les taux de croissance sont en berne dans les pays développés et que les
économies émergentes connaissent un ralentissement important, l’Afrique affiche des taux de croissance
supérieurs à 6% et attire de plus en plus d’acteurs. L’Afrique subsaharienne a ainsi émergé dans la conscience
de nombreux pays et toutes les puissances ont adopté une stratégie dans sa direction, de la Chine aux Etats-
Unis et au Brésil, en passant par la Russie, l’Inde, le Japon et la Turquie. Les États africains ont également la
volonté d’amorcer un réel veloppement, comme en témoigne les programmes d’émergence en cours dans
plusieurs pays (Côte d’Ivoire, Gabon, Cameroun, Sénégal…).
La mondialisation y participe au travers : des échanges internationaux matériels et immatériels qui ont explosé,
entraînant une compétition elle aussi globale et en partie dématérialisée ; de la nécessité de nouvelles règles
du jeu pour les guler ; et enfin, de la transformation de notre société globale en société de l’information, avec
des moyens de communication et d’expression immédiats et planétaires qui induisent des modes de
fonctionnement et de décision nouveaux. Nombreux sont en tout cas, au Nord comme au Sud, ceux qui y voient
un signe encourageant d’une possibilité d’émergence, qui serait plus rapide si les efforts d’intégration régionale
étaient plus soutenus. La dynamique de croissance, qui suscite autant d'espoirs, s'appuie aussi sur deux leviers
puissants : l'exploitation des ressources énergétiques et minérales et la croissance de la demande intérieure.
En 2013, l’Afrique a connu une croissance de 4 %, supérieure d’un point à la croissance planétaire. La même
année, l'Afrique de l’Ouest et de l’Est caracolaient en tête avec une croissance de 6 % ou plus devançant
l’Afrique du Nord. L’édition 2014 des Perspectives économiques en Afrique témoigne de l’amélioration constante
des conditions économiques et sociales en Afrique de l’Ouest, qui reste la région du continent qui connaît la
croissance la plus rapide.
Toutefois, le dernier livre de l’économiste-géographe Sylvie Brunel met en garde sur la fragilité d'un
développement encore à consolider. Les inégalités sociales fragilisent son veloppement. Les lignes de
faiblesse du continent demeurent : aujourd'hui, la croissance africaine n'est pas durable. En effet, alors qu'à
Maputo, en 2003, les chefs d'Etat avaient pris l'engagement de consacrer 10 % de leur budget à l'agriculture,
moins de 10 ont respecté leur engagement. L'ampleur des inégalités internes crée des tensions sociales d'autant
plus fortes que les réseaux de communication et d'information mettent directement en contact des univers
autrefois cloisonnés. Face à cet « afro-optimisme » forgé au gré des rapports stratégiques et études
prospectives, Sylvie Brunel rappelle que la croissance économique du continent ne doit pas faire oublier son
manque de développement : « Encenser l’Afrique aujourd’hui paraît pourtant aussi excessif que l’accablement
dont elle était hier l’objet. L’engouement qu’elle suscite est tout aussi caricatural que l’était le catastrophisme à
tous crins des quinze ans qui ont suivi la fin de la guerre froide, avec l’effondrement en dominos de la plupart
des Etats, minés par la crise de la dette, les rivalités politiques internes, l’instauration brutale du multipartisme
sous l’influence des bailleurs de fonds, la baisse drastique de l’aide publique au développement» . En tant que
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telle, l’Afrique participerait alors à l’élaboration des idées régulatrices et à l’établissement des normes régissant
les échanges et la coexistence globaux dans un ordre mondial soutenable, débarrassé des effets belligènes et
déshumanisants.
II. LAgenda 2063 : Loccasion pour lAfrique de déterminer à nouveau son destin.
L’Afrique évolue, se donne les moyens de s’engager sur la voie d’un changement profond et durable. Si l’on
regarde les quatre dernières années, les 11 pays d'Afrique les plus performants ont atteint le seuil de croissance
de 7 %, considéré comme étant un préalable à la réalisation des OMD (Objectifs du Millénaire pour le
Développement). La liste des pays les plus performants (Éthiopie, Sierra Leone, Libye, Ghana, Rwanda, Liberia,
Malawi, Zimbabwe, Nigeria, Mozambique) n'en souligne que davantage l'importance centrale de la production
et des exportations de produits de base. Le Nigéria est devenu champion du continent avec 440 millions
d’habitants, 29% du PIB continental, et 40% des réserves pétrolières du continent. Les évolutions
démographiques offrent une infinité d'opportunités et le progrès technologique est omniprésent. Ces atouts se
dégagent dans un contexte ambiant de transformation des perceptions et préoccupations internationales vis-à-
vis de l'Afrique notamment provoqué par une crise mondiale des ressources naturelles et un déplacement de
l'activité manufacturière. Faut-il croire en des lendemains qui chantent ? Au-delà de ces indicateurs
encourageants, une équation capitale reste donc à résoudre : la pérennisation de l’action transformative.
L’Agenda 2063 est certainement un appel à l'action endogène de tous les segments de la société africaine pour
profiter du momentum actuel (5% de croissance économique en moyenne depuis 2007, stratégies macro-
économiques saines, progrès en matière de gouvernance, changements dans l’architecture internationale du
développement avec l’émergence des BRICS et l’augmentation des flux d’IDE) afin d’établir une croissance
inclusive et assurer la transformation socio-économique du continent. Ainsi l’approche, très économiciste,
pourrait s’affiner et s’élargir pour faire face à certains réquisits de mobilisation et d’orientation, d’essence
philosophique et stratégique, que le NEPAD n’a pu satisfaire.
Dans de nombreux pays, l’économie informelle occupe encore de 90 à 95% de la population active. L'émergence
économique de l'Afrique cessite de modifier la structure de ses relations commerciales avec les grands
émergents et les partenaires traditionnels en passant d’une économie à prédominance agricole et artisanale à
une économie industrielle. Il s’agira d’élever l’économie de proximité et la croissance inclusive au rang de
paradigmes économique et politique.
Dotée de vastes terres arables, d’un important capital humain et de nombreuses richesses naturelles et
minérales, l’Afrique a donc la possibilité de mobiliser des ressources nationales substantielles et d’attirer des
ressources extérieures pour financer son programme de développement. Les petites et moyennes entreprises
(PME) sont au ur des économies africaines : leur développement est une priorité au centre de l’agenda de
transformation de l’Afrique. Leur accès aux financements étant trop limité en Afrique, les fonds de placement
privés sont une opportunité importante pour les pays africains, afin d’accroître et de diversifier les sources de
financement accessibles aux PME. Seule la modernisation agraire doit permettre d’accroitre la production.
Comme le souligne Sylvie Brunel « bien menée, avec des chartes éthiques et des codes de conduite respectés,
des garanties données aux communautés rurales, ces concessions agricoles pourraient aussi représenter des
opportunités car elles apportent les capitaux et les investissements qui manquent aux campagnes africaines et
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leur permettent de passer de systèmes extensifs à un intensif intelligent, avec le développement de l’agro-
écologie, une rémunération équitable, l’essor de l’emploi et des opportunités de transformation sur place» .
Le défi immédiat est de mettre en œuvre des stratégies à la fois cohérentes, coordonnées et complémentaires
vis-à-vis de ses différents partenaires en vue de tirer parti des opportunités offertes. Tout n’est pas à bouleverser
ou à réinventer. Des solutions, des leviers existent jà, mais ne sont pas connus ou pas appliqués. L'Afrique
est devenue un relais de croissance majeur et incontournable compte tenu de sa démographie, de ses
ressources naturelles, du développement rapide de son marché intérieur. Pleine de promesses et de talents
humains, l’Afrique est en éternel devenir.
III. Le capital humain : axes stratégique de lagenda 2063
L'Agenda 2063 consacre les idéaux du panafricanisme. Il comporte les huit axes stratégiques qui ciblent tous
les domaines de développement de l’Afrique. Une économie de la rente sociale ou financière s’enracine au
détriment d’une économie du travail et nous oblige à repenser les fondamentaux du développement durable.
Le capital humain en constitue un substrat nécessaire.
L’Afrique est un continent actuellement confronté à deux principales problématiques, à savoir la qualité de la
croissance et sa durabilité. Comment l’Afrique peut-elle tirer parti de l’actuelle dynamique pour créer des
emplois pour sa population et réduire sa dépendance ? Quelles sont les conditions à remplir et les politiques à
mener pour capturer le dividende démographique? La recherche et l’innovation technologique et scientifique
sont indispensables dans une société de connaissance.
Le continent offre aux investisseurs intéressés par les économies d’échelle de plus larges possibilités
d’investissement. Il compte près de 1 milliard d’habitants, ce qui représente un marché de consommateurs en
expansion rapide caractérisé par une demande croissante. Dans de nombreux pays, la classe moyenne est en
augmentation et le taux d’urbanisation est élevé. Grâce à cette dynamique mographique, il est possible
d’investir dans des secteurs autres que les ressources naturelles en recherchant à la fois des gains d’efficacité
et de nouveaux marchés. Dans les années à venir, le continent connaitra une croissance démographique
unique. En 2050, la population africaine aura doublé, la moitié des Africains vivront dans les villes et le continent
sera la seule région du monde où la population en âge de travailler est en croissance. Cette population africaine
en âge de travailler surpassera celle de la Chine et atteindra 1,1 milliard d’individus en 2040.
Ce boom mographique représente une occasion pour l'Afrique de tirer profit du dividende mographique,
caractérisé par la baisse des taux de mortalité et l’augmentation de l'espérance de vie. Dans cet esprit,
l'éducation doit être un secteur prioritaire. Plus encore, les efforts pour améliorer la qualité de l'éducation, le
taux de réussite et l'égalité des sexes, doivent être poursuivis et renforcés. L’expérience montre que
l’émergence et une croissance plus soutenue passent par une forte diversification de l’économie et un processus
de transformation structurelle et institutionnelle dans le cadre duquel l’Etat joue un rôle central. Dès la fin de la
première décennie du 21ème siècle, une série de plans d’« émergence » a été élaborée en vue d’un
développement infrastructurel et économique dont l’industrialisation est un aboutissement nécessaire.
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IV. LIndustrialisation de lAfrique : clef de voûte de la stratégie globale
panafricaine
L’Afrique dispose d’un solide avantage comparatif dans les ressources naturelles, lesquelles peuvent devenir
les moteurs de sa transformation structurelle, via les effets de diffusion, l’emploi, les recettes fiscales et
l’investissement étranger, à condition de bénéficier d’un environnement propice et d’un accompagnement pour
prospérer. Il convient néanmoins de souligner que ni la taille ni les ressources naturelles ne sont nécessaires
ou suffisantes pour le développement, comme en témoignent les cas extrêmes de Singapour et de la République
démocratique du Congo. La pauvreté est de plus en plus liée à des questions de répartition des inégalités
persistantes qui constitue le défi le plus urgent des politiques économiques nationales. La faible industrialisation
de ce secteur minier réduit néanmoins sa valeur ajoutée à l’économie et limite les effets de redistribution des
bénéfices.
La question de l’industrialisation en Afrique est essentiellement liée à la valorisation des ressources naturelles
dont regorge le continent. La croissance économique de l’Afrique est en effet essentiellement liée à ses
ressources naturelles, exploitées par des entreprises modestes et pressées d’exporter son pétrole, son bois, son
uranium, bref ses matières premières sans aucune transformation sur place. Ce qui crée peu ou pas d’emplois
au regard des prévisions de croissance démographique du continent. Ces importantes ressources ne contribuent
que très faiblement à l’accumulation de la richesse.
Les travaux d’économétrie les plus récents montrent que si 72% des Africains vivent dans un pays où les rentes
de ressources extractives représentent plus de 2% du PIB et si, au cours des dix dernières années, on estime
que 25% de la croissance économique de l'Afrique a éimputable à l’augmentation du prix des matières
premières, la forte dotation de l’Afrique en ressources naturelles n’a pas entraîné son enrichissement. Elles sont
plutôt devenues les facteurs d’instabilité politique, de crises socio-politiques récurrentes et de l’accentuation de
la pauvreté. Les raisons de ces difficultés proviennent de l’émergence des réseaux mafieux que leur exploitation
entraîne. La participation de l'Afrique aux chaînes de valeur mondiales se limite à des activités de faible valeur
ajoutée, même si le continent est doté d’atouts certains pour progresser et prendre part à des activités à plus
forte valeur ajoutée. En ciblant les marchés régionaux et émergents, en modernisant leurs infrastructures, en
encourageant les entreprises locales et en investissant dans l'éducation technique, les pays africains peuvent
renforcer leur croissance inclusive et leur intégration dans les chaînes de valeur mondiales . C’est là, sans
aucun doute, l’un des grands fis que devront relever un certain nombre d’Etats africains, chacun à sa mesure.
L'Afrique ne sera bien partie que lorsqu'elle répartira mieux la manne des financements et saura mettre en
œuvre des politiques sociales dignes de ce nom.
V. Les défis du projet cinquantenaire du panafricanisme maximaliste
L'objectif de l'Agenda 2063 est de finir, pour les 50 prochaines années, une trajectoire de croissance pour
l'Afrique tenant compte des leçons tirées des 50 dernières années. Le 24e sommet de l'Union africaine (UA)
s'est termile 31 janvier 2015 par l'adoption de l'Agenda 2063. La alisation d’un tel objectif se heurte
néanmoins à plusieurs défis.
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