La sauvegarde de l`architecture moderne

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La sauvegarde
de l’architecture
moderne
Sous la direction de
France Vanlaethem
et Marie-Josée Therrien
La sauvegarde
de l’architecture
moderne
Membre de
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La sauvegarde
de l’architecture
moderne
Sous la direction de
France Vanlaethem
et Marie-Josée Therrien
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Vedette principale au titre :
La sauvegarde de l’architecture moderne
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-7605-3467-4
1. Architecture – 21e siècle. 2. Architecture – Conservation et restauration.
I. Vanlaethem, France. II. Therrien, Marie-Josée, 1961- .
NA687.S28 2014 724’.7 C2013-941981-0
Les Presses de l’Université du Québec
reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada
par l’entremise du Fonds du livre du Canada
et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.
Elles remercient également la Société de développement
des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.
Conception graphique
›› Couverture : Michèle Blondeau
›› Intérieur : Vincent Hanrion
Images de couverture
Le Lignon, Genève, 1962-1971.
Les Habitations Jeanne-Mance, 1957-1962.
Mise en pages
Vincent Hanrion et Michèle Blondeau
Dépôt légal : 2e trimestre 2014
›› Bibliothèque et Archives nationales du Québec
›› Bibliothèque et Archives Canada
© 2014 ­– Presses de l’Université du Québec
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Imprimé au Canada
REMERCIEMENTS
P
ublié dans la foulée du colloque éponyme organisé du 14 au
17 octobre 2010 par l’École de design et l’Institut du patrimoine
de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le présent ouvrage
n’aurait pas pu être édité sans les financements reçus du Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine, de la Ville de Montréal, du
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de l’Institut du
patrimoine de l’UQAM.
Nous sommes redevables à l’architecte James Ashby et à l’historienne
de l’architecture, Maristella Casciato, directrice associée à la recherche au
Centre canadien d’architecture et présidente de Docomomo International
(2002-2010), pour nous avoir secondé dans la préparation de cet ouvrage
en participant au Comité scientifique.
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII
Introduction
Présentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
France Vanlaethem, avec la collaboration de Marie-Josée Therrien
Préserver une icône du mouvement moderne :
le sanatorium de Zonnestraal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Hubert-Jan Henket
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne :
quelques hypothèses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
France Vanlaethem
PArtie 1
Connaissance et (ré)évaluation
de l’architecture moderne
Savoirs universitaires et réévaluation de l’architecture moderne. . . . . . . . . 51
Marie-Josée Therrien
Un dilemme moderniste : préserver les bibliothèques
d’après-guerre de San Francisco. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
James Buckley
La sauvegarde de l’architecture moderne
Leçons de la clinique de mémoire des Habitations
Jeanne-Mance à Montréal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Catherine Charlebois
La cité de Pessac : de l’appropriation à la restauration
ou comment faire vivre un patrimoine moderne ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Richard Desnoilles et Yohann Bouin
PArtie 2
DIFFICILE PATRIMONIALISATION
DE L’ARCHITECTURE MODERNE
Expliquer les bâtiments modernes à un public vivant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Steven Mannell
Le Centennial Hall de l’Université de Winnipeg :
le campus en tant que ville. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Serena Keshavjee
Place des Arts : au cœur du Quartier des spectacles à Montréal . . . . . . . . . . . 117
Geneviève Richard
PArtie 3
PROTECTION DU PATRIMOINE MODERNE
Fabrication sociale du patrimoine : de la sauvegarde à la protection. . . . . . 129
Martin Drouin
État québécois et protection du patrimoine moderne :
bilan et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Marie-Ève Bonenfant et Sylvain Lizotte
Une démarche consensuelle : le cas de la station-service
de Mies van der Rohe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Benoît Malette
Nature et spécificités du patrimoine moderne au sein
de la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Gilles Ragot
X<
Table des matières
Partie 4
DESTIN ET GESTION DES GRANDS
ENSEMBLES DE LOGEMENTS
Le logement collectif : l’héritage le plus répandu
du mouvement moderne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Mark Poddubiuk
La tour moderne et la planification des banlieues, précurseurs
torontois de « croissance intelligente ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Graeme Stewart et Paul M. Hess
Droixhe : le destin d’une cité moderne de logements sociaux à Liège . . . . . 191
Maurizio Cohen
Le Village olympique de Rome : de la construction
à l’établissement scientifique de la valeur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Simona Salvo
Partie 5
DESTIN ET GESTION DES GRANDS
COMPLEXES IMMOBILIERS
Défis de la préservation des grands complexes
immobiliers modernes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
James Ashby
Les enveloppes de la cité du Lignon à Genève :
enjeux patrimoniaux et impératifs énergétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Franz Graf et Giulia Marino
Partie 6
FAIRE APPRÉCIER, FAIRE DURER LES ÉDIFICES
DE VALEUR PATRIMONIALE EN BÉTON
Conserver et mettre en valeur les édifices de béton :
état de la question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Réjean Legault
Le guide d’architecture Concrete Toronto :
une expérience continue de production culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
Michael McClelland
> XI
La sauvegarde de l’architecture moderne
Les défis de la préservation
de l’architecture de Josep Lluís Sert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Mariana Esponda C.
Partie 7
ENTRETENIR, RESTAURER, MODIFIER
LE PATRIMOINE MODERNE
Conserver le moderne : des icônes à l’ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
France Vanlaethem
La réhabilitation de la Caisse Desjardins
du quartier Saint-Henri à Montréal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Jean Damecour
Agora | Théâtre : la revitalisation du Nathan
Phillips Square à Toronto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Christopher Pommer
Conservation des maisons d’artistes de l’île Comacina en Italie :
entretien et savoir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Andrea Canziani
Conserver le bois moderne : des stratégies environnementales
pour un patrimoine organique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Susan Ross
Partie 8
FAIRE CONNAÎTRE, FAIRE DÉCOUVRIR
LE PATRIMOINE MODERNE
En guise d’introduction, quelques initiatives locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
Marie-Dina Salvione, avec la collaboration de France Vanlaethem
Motelisation : une exposition qui explore la vraie nature du motel . . . . . . . 335
Geneviève Chevalier
Utopies réalisées : mise en valeur du patrimoine moderne
de la région lyonnaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343
Catherine Romeyer
Notices biographiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353
XII <
Introduction
PRÉSENTATION
France Vanlaethem,
avec la collaboration
de Marie-Josée Therrien
E
n matière de patrimonialisation de l’architecture moderne, le Québec
fut relativement précoce en Amérique du Nord. Dès 1988, à Montréal,
une première action citoyenne fut menée pour confirmer la valeur
culturelle d’un grand complexe des années 1960 qui avait perdu l’attrait
de la nouveauté, d’autant plus qu’à l’heure de l’architecture urbaine et
malgré la notoriété de son auteur, un tel ensemble était stigmatisé pour
avoir détruit la ville ancienne. Initiée à partir de l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la mobilisation contre la rénovation
du Westmount Square dessiné par Ludwig Mies van der Rohe conduisit
à la création d’une association patrimoniale qui rejoindrait le réseau
Docomomo International en 1993. Si à l’époque, la revendication visant
à préserver un ensemble moderniste était accueillie avec scepticisme par
les gestionnaires du patrimoine et les professionnels de la conservation,
en plus de vingt ans les attitudes ont évolué.
Nous osons penser que les actions de diffusion initiées afin de faire
connaître l’architecture moderne y ont contribué, tout comme les congrès
et rencontres organisés pour explorer les enjeux de conservation de l’héritage bâti récent et faire écho à l’expérience acquise dans le domaine. En
mai 1998, l’École de design de l’UQAM et Docomomo Québec organisaient
une première rencontre internationale intitulée Connaître et protéger
l’architecture moderne1. Le colloque convoqué du 14 au 17 octobre 2010
par l’École de design et l’Institut du patrimoine de l’UQAM sur le thème La
sauvegarde de l’architecture moderne au Québec, au Canada et ailleurs, n’en
est pas exactement la deuxième édition. Il s’inscrit plutôt dans la foulée
du congrès qui réunissait en mai 2005 sur le campus de l’Université Trent,
en Ontario, praticiens, gestionnaires, professeurs et étudiants canadiens
La sauvegarde de l’architecture moderne
concernés par la conservation de l’environnement construit des années
1945-19752. Le programme établi sur la base d’un appel à communications
lancé à l’échelle internationale et avec la collaboration des présidents des
sections ontarienne, atlantique et québécoise de Docomomo International,
de même que des professeurs de plusieurs universités canadiennes, est
l’ultime point de départ de cet ouvrage. À la suite de quatre journées
d’exposés et de débats, nous avons convié chacun des conférenciers à
développer son propos de manière à ce que ce bilan, certes partiel, de la
sauvegarde de l’architecture moderne au Québec, au Canada et ailleurs
au début des années 2010 puisse profiter à un plus large public.
Constats et hypothèses
Au cours de la première décennie du xxie siècle, de grands chantiers de
conservation du moderne furent ouverts. Après avoir été un cas emblématique pour l’émergence du patrimoine moderne, le sanatorium de
Zonnestraal, icône du mouvement moderne aux Pays-Bas, a offert un terrain
d’expérimentation pour la restauration dont l’exemplarité est soulignée
par le 2010 World Monuments Fund/Knoll Modernism Prize3. Dans un
premier texte, l’architecte Hubert-Jan Henket, le président fondateur de
Docomomo International, invité d’honneur du colloque et maître d’œuvre
de ce projet avec son confrère Wessel de Jonge, cerne les dilemmes posés
par la préservation de cet ensemble hospitalier dont l’état de ruine présenté
par plusieurs de ces pavillons est plus en accord avec l’esprit qui avait
conduit à sa construction dans les années 19204. Conçu avec une pleine
confiance dans les progrès de la médecine, il n’avait pas été bâti pour durer.
Au Canada, à la même époque, le patrimoine moderne acquit ses
premières reconnaissances officielles. Au plan fédéral, dans la foulée du
programme de commémoration du patrimoine bâti de l’ère moderne lancé
en 20015, la ministre du Patrimoine canadien désigna à titre de lieu historique national quatre réalisations modernistes : la maison Binning (1941) à
West Vancouver6 ; le Centre des arts de la Confédération à Charlottetown7 ;
l’abri antiatomique, siège du gouvernement d’urgence (1959-1961) à Carp,
en Ontario8, connu comme le « Diefenbunker » ; et le Manitoba Theatre
Centre (1969-1970) à Winnipeg9. Au Québec, dans le cadre de la Loi sur
les biens culturels, fin 2000, l’église Saint-Marc (1955-1956) à Saguenay,
Habitat 67 (1962-1970) à Montréal et le mausolée des évêques à TroisRivières (1964-1965) furent classés. Cependant, la patrimonialisation de
l’architecture et de la ville modernes ne s’est pas faite sans problèmes.
Elle fut lente, ici comme ailleurs, et les défis particuliers qu’elle posa
furent liés tant à la spécificité du patrimoine moderne qu’aux nouvelles
4<
Présentation
orientations qui éclairaient les dimensions immatérielles de l’héritage
commun depuis le milieu des années 1990.
Nous osons croire qu’une telle situation peut être améliorée par une
mobilisation des savoirs, qu’ils soient théoriques, analytiques ou appliqués
et dont ce livre explore certaines des voies empruntées et leurs effets,
entre recherche fondamentale et recherche appliquée. En plus d’esquisser
les grandes étapes de la patrimonialisation de l’architecture moderne
sur la scène internationale et locale, dans le deuxième texte proposé en
ouverture, nous rappelons les particularités techniques et formelles du
plus jeune héritage bâti collectif dont la dénomination diffère suivant les
régions et les organisations. Après d’autres, nous explorons ses dimensions
paradoxales qui ne lui sont pas propres, mais seulement plus évidentes
que pour le patrimoine ancien, l’obsolescence étant la condition commune
de tout artefact dans les sociétés bouleversées par une modernisation
accélérée et le conflit de valeurs, un enjeu central de la production du
bâti qu’elle soit création ex nihilo ou modification.
Documenter et évaluer le patrimoine moderne
Confronté aux études patrimoniales courantes, il convient de se demander
si l’évaluation du patrimoine récent est bien en phase avec l’avancement
des connaissances sur l’architecture moderne. Il faut constater que les
énoncés d’intérêt demeurent trop souvent prisonniers de l’approche
stylistique, méthode avancée par l’histoire de l’art au xixe siècle et codification de l’architecture reniée par les tenants de l’avant-garde ; la plupart
restent somme toute à la surface des artefacts pour en observer les traits
formels et matériels et débouchent sur un simple étiquetage, sans prendre
en compte les multiples enjeux sociaux et linguistiques caractéristiques
de la modernité. Bien des consultants trouvent, dans la notion de Style
international avancée par Henry-Russell Hitchcock et Philip Johnson en
1932 et reprise sans relâche par de nombreux auteurs depuis, un recours,
oubliant la polémique ouverte contre le fonctionnalisme par ces promoteurs de la nouvelle architecture outre-Atlantique. Certes, il ne faut pas
confondre recherche fondamentale et recherche appliquée, comme le
souligne Marie-Josée Therrien en introduction à cette première section. La
première cherche à établir une vérité et requiert des diplômes universitaires,
la seconde vise à convaincre et exige des compétences professionnelles.
Cet écart ne devrait pourtant pas dresser des barrières infranchissables.
S’écartant de la voie privilégiée pour les chefs-d’œuvre qui forment
le gros des monuments historiques et poussent à capter le moment de
leur création, les auteurs de cette section s’engagent sur le versant de
>5
La sauvegarde de l’architecture moderne
la culture populaire, de l’appropriation et de la mémoire. James Buckley
propose d’adopter la méthode de l’histoire de l’architecture vernaculaire
pour cerner la signification culturelle des succursales à l’allure résidentielle de la bibliothèque publique de San Francisco conçues par l’agence
Appleton and Wolfard dans les années 1960. La muséologue Catherine
Charlebois fait état de la clinique de mémoire ouverte par le Centre d’histoire de Montréal à l’occasion du cinquantenaire d’un des rares grands
ensembles de logements sociaux construits au Canada, les Habitations
Jeanne-Mance à Montréal. Richard Desnoilles et Yohann Bouin retracent
la dynamique de la réception des Quartiers modernes Frugès à Pessac
conçu par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1925 qui, plus que toute
autre cité moderniste de cette époque, serait modifiée par ses habitants
et pour laquelle aujourd’hui le statut de patrimoine mondial est brigué
dans le cadre de la candidature Le Corbusier.
Patrimonialiser l’architecture moderne
Transmuter les bâtiments modernes de simples « vieilles choses » dépassées
et altérées en immeubles patrimoniaux à traiter avec précaution rencontre
toujours des résistances de la part des propriétaires et des autorités, sinon
des citoyens. Un dossier actuellement brûlant en témoigne : l’avenir du
centre culturel de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, le dernier édifice
d’importance du domaine de l’Estérel aménagé par le baron belge Louis
Empain et ses architectes dans les Laurentides, à la fin des années 1930,
les autres ayant été récemment démolis ou incendiés. Son propriétaire,
la Ville de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, veut s’en défaire en le
vendant à un promoteur immobilier qui le transformera en immeuble à
appartements en condominium et elle s’est farouchement opposée à l’avis
d’intention de classement émis en avril 2013 par le ministre de la Culture
et des Communications à la demande de trois groupes en patrimoine, la
Société d’histoire locale, Action patrimoine et Docomomo Québec. Ceux-ci
auraient-ils manqué de persuasion en ayant échoué à communiquer aux
autorités municipales les ambitions qui furent à l’origine de ce domaine
de villégiature des plus novateurs par son programme et son architecture ?
C’est l’hypothèse que propose d’envisager le professeur Steven Mannell,
président de Docomomo Atlantiques, en faisant référence à une performance de Joseph Beuys : How to explain paintings to a dead hare. Mannell
nous rappelle que les propriétaires, les gestionnaires et les usagers des
bâtiments constituent un public vivant dont les idéaux et les attentes
changent dans le temps, au point de leur faire oublier ou méconnaître
ceux qui avaient motivé leur construction. Par ailleurs, en se reportant à
Lunenberg, l’ancien village de pêcheurs des Maritimes inscrit au Patrimoine
6<
Présentation
mondial, il se demande pourquoi il serait plus nuisible de débarrasser le
patrimoine ancien de ses couches les plus récentes – modernes dans ce
cas – que de revenir à l’état d’origine des chefs-d’œuvre modernistes,
une pratique largement acceptée que critique un autre auteur du livre,
Andrea Canziani.
A contrario, les deux études de cas considérées dans ce chapitre offrent
des exemples probants du processus que la patrimonialisation cherche à
renverser, lorsqu’elle est engagée : le Centennial Hall de l’Université de
Winnipeg dont Serena Keshavjee relate le destin et la Place des arts à
Montréal, le premier grand équipement culturel du Québec dont Geneviève
Richard retrace le modèle. L’architecture avant-gardiste du premier n’a
pas résisté à la transformation qu’a connue l’enseignement supérieur à
la fin du xxe siècle, alors que la composition urbaine et la signification
culturelle du second furent bouleversées par l’aménagement du Quartier
des spectacles qui l’engloba.
Un bilan (partiel) de la protection du moderne
Ni le Centennial Hall ni Place des arts ne bénéficient d’une protection
sanctionnée légalement et leur transformation n’a pas soulevé de grandes
protestations, condition qui semble maintenant toujours requise pour
faire accéder le bâti au plein statut patrimonial. Dans son introduction à
la section portant sur la protection du moderne, l’historien Martin Drouin
constate que celle-ci n’est pas un préalable à la sauvegarde, mais plutôt un
résultat, celui des revendications qui ont contribué à la prise de conscience
de la valeur patrimoniale. Un tel réinvestissement culturel qui implique une
modification du regard porté sur le bâti se joue à trois dans nos sociétés
démocratiques ; l’avis des experts n’est plus suffisant pour convaincre les
politiques de la nécessité de protéger, il faut rallier les citoyens à la cause.
C’est ce qu’a compris l’arrondissement de Verdun sur le territoire
duquel se trouve la station-service dessinée par Ludwig Mies van der
Rohe en 1967, un édifice unique dans son œuvre. Benoît Malette, chef
de la division Urbanisme, fait état de la démarche qui conduisit à la
restauration/­réhabilitation du bâtiment qui est protégé en vertu de la Loi
sur le patrimoine culturel du Québec. À cet égard, l’année 2009 marqua
un tournant constatent Marie-Ève Bonenfant et Sylvain Lizotte, conseillers
en patrimoine auprès du ministère de la Culture et des Communications,
qui établissent un bilan de l’action de cette instance gouvernementale en
faveur du patrimoine moderne.
Bien que plusieurs édifices et ensembles modernes bénéficient de la
plus haute reconnaissance internationale en ayant été intégrés à la Liste
>7
La sauvegarde de l’architecture moderne
du patrimoine mondial, la proposition d’inscription de L’œuvre architecturale de Le Corbusier engagée en 2003 par la France au nom de six États
partenaires, pose problème. Le double refus que cette candidature a
essuyé en 2009 et 2011 provint de l’incompréhension de la spécificité du
patrimoine du mouvement moderne démontrée par ceux qui ont à juger de
l’acceptabilité du dossier selon l’historien de l’architecture Gilles Ragot :
cet héritage ne peut être limité aux chefs-d’œuvre.
Le logement, une production emblématique
L’architecture moderne n’est pas uniquement une nouvelle esthétique
comme le suggère la notion de Style international ; elle suppose un recentrage des préoccupations des architectes sur le logement pour le plus grand
nombre, un programme inédit jusqu’au xxe siècle. Solutions privilégiées dans
le cadre de politiques réformistes, les ensembles résidentiels de grande
taille codifiés par les CIAM et que permirent de réaliser les techniques
de construction de masse présentent des défis particuliers alors qu’ils
posent des problèmes sociaux plutôt qu’ils n’en résolvent, étant devenus
des milieux de vie dépréciés. Le professeur Mark Poddubiuk introduit le
sujet en faisant état du sort contrasté réservé à deux ensembles anglais
célèbres, Park Hill à Sheffield et Robin Hood Gardens à Londres, et des
qualités des réalisations montréalaises de ce type qu’il a pu constater
à titre d’architecte engagé dans le projet de réaménagement de Benny
Farm et lors de l’élaboration d’un plan de développement durable pour
les Habitations Jeanne-Mance à Montréal.
Le changement de mode de propriété est à la fois une occasion et un
danger pour la conservation des grands ensembles de logements d’intérêt
patrimonial. Alors que le passage à la copropriété privée peut contribuer
à leur revalorisation, il multiplie par ailleurs les ajustements apportés aux
bâtiments. Devant une telle situation, le plan de conservation est un outil
précieux défend Simona Salvo qui s’attarde à l’histoire du village des Jeux
olympiques de Rome 1960. En Belgique, à Liège, après avoir partiellement réhabilité la cité de Droixe, les autorités n’ont pas hésité à démolir
certaines de ces tours afin d’attirer les promoteurs privés et passer à une
forme urbaine plus traditionnelle, comme le déplore Maurizio Cohen. À
Toronto, à l’instigation de l’agence ERA Architects et dans une perspective
de développement durable, les avantages de la concentration et de la
densité des communautés résidentielles des années 1960 sont explorés
dans le cadre du projet Urban Renewal dont font état Graeme Stewart et
Paul Hess, après avoir, eux aussi, retracé la genèse de tels projets suburbains.
8<
Présentation
Le défi de la grande taille
Les grands complexes immobiliers modernes ne sont pas uniquement
résidentiels, ils sont « les ressources les plus diversifiées du mouvement
moderne », constate l’architecte James Ashby (p. 213). Reprenant les
étapes que requiert tout projet de conservation bien conduit et qui avaient
structuré le programme du congrès sur la sauvegarde du moderne au
Canada qu’il avait organisé en 2005, l’architecte, spécialiste reconnu dans
le domaine, examine les difficultés particulières qu’ils posent et identifie
quelques approches pour y remédier.
L’échelle de certains développements immobiliers construits dans
les années 1960 en Europe dépasse de loin celle à laquelle nous ont
habitués les réalisations canadiennes, à l’exception sans doute des grands
complexes urbains et des universités. À première vue, il peut sembler
impossible de préserver l’authenticité des 125 000 mètres carrés de
l’enveloppe de type mur-rideau d’une barre d’une dizaine d’étages et de
plus d’un kilomètre de long. C’est pourtant le défi qu’a relevé l’équipe du
professeur Franz Graf de l’École polytechnique fédérale de Lausanne en
proposant une stratégie d’intervention pour la cité du Lignon, à la fois,
souple, cohérente et efficace au plan énergétique, une étude exemplaire
récipiendaire en 2013 d’un Prix du patrimoine culturel Europa Nostra de
l’Union européenne.
Le défi du béton, vénéré et honni
Cependant, les problèmes posés par les bâtiments modernes du fait de
leur mise en œuvre de matériaux et de procédés nouveaux ne sont pas
uniquement techniques. Dans le cas du béton armé, s’il est apprécié des
architectes et des critiques d’architecture qui, dans les années 1960,
voyaient en lui « le » matériau de l’avenir10, il est par contre détesté par
la majorité de la population. Son nom suffit à résumer tous les défauts du
bâti. Au Canada, cette situation est particulièrement préoccupante, puisque
bien des bâtiments modernes sont en béton. Un semblable constat est à
l’origine du guide d’architecture Concrete Toronto publié à l’initiative de
l’agence ERA Architects établie à Toronto et spécialisée en conservation,
avec le but de rejoindre un large lectorat. En plus de retracer l’origine du
livre, l’architecte Michael McClelland, associé fondateur, explicite l’univers
de référence théorique nourrissant leur conviction qu’il est possible de
modifier l’appréciation culturelle de l’architecture.
Par ailleurs, en introduction au thème, Réjean Legault propose un
tour d’horizon rapide des types de construction en béton, de même que
>9
La sauvegarde de l’architecture moderne
de la littérature qui en traite. Celle relative à la conservation du matériau
et de ses techniques est particulièrement abondante, plus que toute
autre, cet enjeu ayant mobilisé bien des architectes et des ingénieurs
ces dernières années. Abordant le sujet en historien de l’architecture, le
professeur Legault insiste sur l’importance de la connaissance pour favoriser une appropriation positive, « familière », de ce matériau et insiste
sur la nécessité de pousser plus avant la réflexion sur le brutalisme qui
est bien plus qu’un style. Plusieurs partagent son avis, puisque la revue
October lui consacre son numéro du printemps 2011, que Joan Ockman
en traite dans l’ouvrage publié pour souligner les dix ans de présidence
française de Docomomo International11, de même qu’Anthony Vidler en
conférence lors de la dernière rencontre internationale de l’organisation
tenue à Espoo, en Finlande, en 201212.
Quoi conserver et comment ?
Un autre des conférenciers d’Espoo rejoint certains des enjeux abordés
ici, l’architecte anglais John Allan. Membre fondateur de Docomomo
International et responsable de plusieurs restaurations et réhabilitations
de bâtiments modernes au sein de l’agence Avanti Architects, il constata
qu’après avoir rétabli à neuf plusieurs icônes du mouvement moderne, le
défi à relever au cours des prochaines années est la conservation de l’architecture moderne ordinaire. France Vanlaethem pose un même constat
en introduction à la section consacrée aux interventions.
Cet élargissement du corpus au-delà des « chefs-d’œuvre » est nécessaire, sinon urgent, vu la nature de l’architecture moderne, qui se voulait
démocratique, et son abondance. De plus, il n’est pas sans conséquence
sur la manière de mener l’étape préalable, celle vouée à la documentation
et à l’évaluation, alors que l’enjeu n’est plus principalement l’authenticité, mais plutôt l’adaptation du bâti à la vie contemporaine. De ce point
de vue, la restauration/rénovation de la Caisse Desjardins du quartier de
Saint-Henri menée par l’architecte Jean Damecour est un cas intéressant,
tout comme à une autre échelle, celle de la revitalisation du Nathan Philips
Square à Toronto engagée par l’agence Plant Architect Inc. que nous
présente Christopher Pommer.
La restauration des maisons d’artistes sur l’île Comacina en Italie par
l’architecte Andrea Canziani, professeur à l’École polytechnique de Milan,
soulève une autre question : celle de l’entretien. Il se fait le défenseur de
la conservation planifiée qui a connu plusieurs (re)définitions depuis sa
formulation première d’entretien préventif proposée par Cesare Brandi à
la fin des années 1970. D’intervention visant en quelque sorte à arrêter le
10 <
Présentation
temps, celle-ci s’est muée en un processus dynamique alliant technique
et savoir et impliquant autant les gestionnaires que les usagers.
Plutôt que de s’intéresser qu’à un édifice en particulier, l’architecte
Susan Ross, elle aussi spécialisée en conservation, considère un genre de
bâtiments modernes, ceux en bois, tout aussi exemplaire de la modernité
architecturale canadienne que les constructions en béton, notamment dans
l’ouest du pays. À partir d’une recherche bibliographique approfondie, elle
cerne les enjeux spécifiques de conservation que ce matériau pose, alors
qu’il a été transformé par la science et l’industrie, et avance des stratégies
d’intervention dans une perspective de développement durable.
Nous aurions voulu explorer plus avant les effets du paradigme écologique sur la conservation du moderne, mais les résultats de l’appel à
communication du colloque dont la présente publication est issue ne
nous ont pas permis d’en traiter autrement que ponctuellement : ici, pour
l’architecture moderne de bois, antérieurement, d’une part, dans l’article
sur le Village olympique de Rome dans lequel Simona Salvo esquisse un
diagnostic technique et, d’autre part, dans celui exposant le projet pilote
de sauvegarde de la cité du Lignon à Genève. Peut-être la réflexion sur le
thème était-elle insuffisante fin 2009 et l’expérience acquise en émergence ? Depuis lors, des publications ont contribué à son approfondissement : entre autres, le numéro 44 du Docomomo Journal sur le moderne
et la durabilité (« modern and sustainable »), auquel contribue Carl Stein,
auteur de l’ouvrage Greening Modernism. Preservation, Sustainability, and
the Modern Movement paru en 201013, et les nombreux articles publiés
sur la restauration du pavillon d’art et d’architecture de l’Université de
Yale terminé en 2008 et renommé Paul Rudolph Hall en l’honneur de son
architecte14, grande figure américaine du brutalisme.
Faire (re)découvrir et faire apprécier
Dernier sujet abordé : l’appréciation du patrimoine moderne par le grand
public. Plusieurs auteurs ont souligné les embûches rencontrées de ce
côté, même si ses membres les plus âgés sont des contemporains de
l’architecture moderne. Une telle situation est d’autant plus intenable
qu’aujourd’hui, la patrimonialisation ne peut se passer de l’adhésion des
citoyens, comme nous l’avons déjà souligné. Au Québec, depuis une dizaine
d’années, plusieurs initiatives ont cherché à changer les perceptions. MarieDina Salvione en esquisse le bilan en guise d’introduction à deux projets
inusités : l’exposition d’art contemporain Motelisation présentée à la galerie
Foreman, à Sherbrooke, et l’offre de visites touristiques de la région lyonnaise intitulée Utopies réalisées. Ce tableau gagnerait à être complété par
> 11
La sauvegarde de l’architecture moderne
des initiatives hors Québec et la métropole. Coorganisatrice du congrès de
2005 sur la conservation du moderne, la Winnipeg Architecture Fondation
propose régulièrement des activités afin de développer l’appréciation de
l’environnement bâti de la capitale du Manitoba, où l’architecture moderne
occupe une place de choix15. Relevons encore la 8e édition de la visite
estivale de maisons modernistes proposée par le West Vancouver Museum,
malgré le caractère peu démocratique de l’activité (le coût d’inscription
est de 100 $)16, ou la livraison d’été 2013 du magazine torontois Spacing
au titre provocateur : « Stop hate ! Modernism »17.
Les artistes se font parfois les alliés des défenseurs du patrimoine. À
Montréal, en 2000, avec les architectes, ils prirent le relais dans l’action
menée depuis 1994 afin de préserver le silo no 5, comme le rappelle
Marie-Dina Salvione. À Sherbrooke, ils furent invités par la galerie d’art
de l’Université Bishop’s à produire des œuvres avec pour prétexte les
motels de l’ancienne ville de Lennoxville, où est située l’institution, et pour
résultat l’exposition Motelisation présentée en 2010, comme l’explique
l’une des commissaires, Geneviève Chevalier. Réunissant une grande
diversité de souvenirs, objets (re)trouvés ou images recomposées, en salle
ou in situ, ils cherchèrent à activer la mémoire liée à ces lieux d’un autre
temps, même s’il n’est pas si vieux. Mais ces éléments de culture populaire
moderne sont loin d’être considérés comme étant dignes d’être conservés
au Canada comme il fut constaté lors d’une table ronde organisée par le
centre Dare-Dare, à la différence des États-Unis où ce genre de bâtiments
est au cœur du passé récent18.
En 2009, lors du voyage d’études annuel, les étudiants du programme
d’études supérieures spécialisées en architecture moderne et patrimoine
de l’École de design eurent l’occasion de découvrir la route des Utopies
réalisées. Pour la première fois en Europe une stratégie privilégiée pour la
mise en tourisme d’autres patrimoines, anciens ou industriels, est appliquée
pour le moderne19. Malgré son envergure géographique réduite, l’opération
fascine quand reviennent à l’esprit les difficultés que rencontre Montréal
pour la protection du centre-ville moderne. Certes ici, la plupart des sites
sont des ensembles de logements et relèvent d’autorités publiques et non
de promoteurs privés. Mais nous ne pouvons être qu’admiratives devant
l’effort de connaissance, de concertation et de planification que cette
opération amorcée au milieu des années 2000 a nécessité, ainsi que la
diversité des moyens mis en œuvre pour intéresser le public.
12 <
Présentation
Conclusion
Vingt-cinq ans déjà depuis les premières actions en faveur du patrimoine
moderne au Canada et quelques protections plus loin dont nous n’avons
donné qu’un aperçu. Le Répertoire canadien des lieux patrimoniaux, la
banque de données construite depuis 2001 dans le cadre de la collaboration des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, consultée à
partir du mot clé moderne inventorie près de 1 200 lieux, toutes juridictions
confondues, et plus de 300 uniquement pour le fédéral. Certes, les résultats de la recherche sont des plus incertains, l’exploration relevant toutes
les fiches où le mot apparaît, même s’il ne concerne pas immédiatement
le bien ou, plus problématique, s’il n’est pas associé aux phénomènes de
modernisation, de modernité et de modernisme. Cet outil, qui s’adresse
avant tout au grand public curieux d’histoire, permet néanmoins de trouver
quelques autres lieux historiques nationaux du patrimoine bâti de l’ère
moderne, dont celui du Canal de dérivation de la Rivière Rouge (19621969), un élément qui élargit notre compréhension de l’héritage récent. Il
permet aussi de mesurer l’importance du programme du Bureau d’examen
des édifices fédéraux du patrimoine qui concerne tout le parc immobilier
fédéral âgé de plus de 40 ans, c’est-à-dire, construit avant 1973, couvrant
ainsi presque toute la période concernée. Autre acquis à souligner, l’actualisation des Normes et lignes directrices pour la conservation des lieux
patrimoniaux au Canada afin, entre autres, de traiter du patrimoine récent.
Autres sources d’information à mentionner, les sites Web des Docomomo
Ontario, Atlantiques et Québec20. Ce dernier a fait peau neuve l’an dernier
afin d’élargir ses horizons sous le titre de L’architecture moderne au Québec
et ailleurs et suivre l’actualité locale et internationale, en écho au colloque
de 201021. Depuis cet événement, certains des cas présentés ont connu
des développements positifs, d’autres négatifs. Bientôt l’avancement de
la sauvegarde du moderne au Canada nécessitera de faire un nouvel état
des lieux, une mise au point réalisée pour le Québec par l’ouvrage publié
fin 2012 à l’initiative du Conseil du patrimoine culturel : Patrimoine en
devenir : l’architecture moderne du Québec22.
Notes
1.
Grâce au financement obtenu du Conseil de recherches en sciences humaines du
Canada (CRSH), du ministère du Patrimoine canadien et du ministère de la Culture
et des Communications du Québec.
2.
Algie, S. et J. Ashby (dir.) (2007). « Conserving the Modern in Canada Buildings,
ensembles, and sites : 1945-2005 », Conference Proceedings Trent University,
Peterborough, May 6-8, 2005/« La sauvegarde du moderne au Canada. Sites,
ensembles et bâtiments, 1945-2005 », Les comptes rendus, Trent University,
> 13
La sauvegarde de l’architecture moderne
Peterborough, 6 au 8 mai 2005, Winnipeg, Winnipeg Architecture Foundation et
Docomomo Canada-Ontario, <http://www.winnipegarchitecture.ca/wp-content/
uploads/2012/10/CMC-Proceedings_Eng_a.pdf>, consulté le 10 juillet 2013.
3.
Ce prix fut créé en 2008 afin de faire prendre conscience des périls encourus
par bien des œuvres significatives du modernisme et de reconnaître l’action des
architectes et des designers qui contribue à leur rajeunissement et à leur sauvegarde durable. « Modernism Prize », World Monuments Fund, <http://www.wmf.
org/modernism/>, consulté le 29 juin 2013.
4.
Un tel point de vue est défendu par Reinink, W. (1991). « Controversy between
functionalism and restoration : Keep Zoonestraal for eternity as a ruin », Docomomo
Conference Proceedings. First International Conference, Sept. 12-15 1990,
Eindhoven, Eindhoven University of Technology, Netherlands Department for
Conservation, p. 50.
5.
Parcs Canada (2001). Plan du réseau des lieux historiques nationaux. La commémoration du patrimoine bâti de l’ère moderne, Ottawa, Gouvernement du Canada.
6.
« Lieu historique national du Canada de la Maison-Binning », Lieux patrimoniaux
du Canada, <http://lieuxpatrimoniaux.ca/fr/rep-reg/place-lieu.aspx ?id=11968>,
consulté le 10 juillet 2013.
7.
« Lieu historique national du Canada du Centre-des-Arts-de-la-Confédération »,
Lieux patrimoniaux du Canada, <http://lieuxpatrimoniaux.ca/fr/rep-reg/place-lieu.
aspx ?id=7735&pid=0>, consulté le 10 juillet 2013.
8.
« Lieu historique national du Canada Diefenbunker/siège central du gouvernement d’urgence », Lieux patrimoniaux du Canada, <http://lieuxpatrimoniaux.ca/fr/
rep-reg/place-lieu.aspx ?id=4169&pid=0>, consulté le 10 juillet 2013.
9.
« Lieu historique national du Canada du Manitoba Theatre Centre », Lieux
patrimoniaux du Canada, <http://lieuxpatrimoniaux.ca/fr/rep-reg/place-lieu.
aspx ?id=14667&pid=3300&h=Manitoba,Theatre,Centre>, consulté le 10 juillet 2013.
10. De nombreuses revues consacrèrent des articles et des livraisons au béton,
entre autres, Huxtable, A. L. (1960). « Concrete technology in U.S.A. », Progressive
Architecture, no 41, octobre, p. 142-205.
11. Ockman, J. (2012). « Comment l’Amérique a appris à ne plus s’en faire et à aimer
le brutalisme », dans M. Casciato et É. d’Orgeix (dir.), Architectures modernes.
L’émergence d’un patrimoine, Bruxelles, Mardaga, p. 37-42.
12. Vanlaethem, F. (2012). « Échos de la 12e conférence de Docomomo International »,
Architecture moderne au Québec et ailleurs, <http://docomomoquebec.ca/actualites-archives/22-la-12e-conference-de-docomomo-international.html>, consulté
le 10 juillet 2013.
13. Stein, C. (2010). Greening Modernism. Preservation, Sustainability, and the Modern
Movement, New York, W.W. Norton
14. Entre autres, Sanders, R. S. et al. (2011). « Sustainable restoration of Yale
University’s Art + architecture building », APT Bulletin, vol. 42, nos 2-3, p. 29-35.
15. Winnipeg Architectural Foundation, <http://www.winnipegarchitecture.ca/>,
consulté le 10 juillet 2013.
16. « West Coast Modern Home Tour, July 13th, 12pm-4pm », Spacing Vancouver,
<http://spacing.ca/vancouver/2013/04/24/west-coast-modern-home-tour-july13th-12pm-4pm/>, consulté le 10 juillet 2013.
17. Spacing, <http://spacing.ca/>, consulté le 10 juillet 2013.
14 <
Présentation
18. En témoigne le programme mis sur pied en 1999 pour préserver l’héritage de la
route 66 qui traverse les États-Unis d’est en ouest, les bâtiments commerciaux
qui la jalonnent : motels et stations-service entre autres. « Discover Our Shared
Heritage Travel Itinerary Route 66 : Route 66 Overview », National Park Service, U.S.
Department of the Interior, <http://www.nps.gov/nr/travel/route66/Route66_overview.html>, consulté le 10 juillet 2013.
19. Mentionnons entre autres la route européenne du patrimoine industriel ou encore
la route de la soie en Asie.
20. Docomomo Canada-Ontario, <http://docomomo-ontario.ca/>, consulté le 10 juillet
2013 ; Docomomo Canada-Atlantiques, <http://docomomocanada-atlantic.architecture.dal.ca/register.novascotia.html>, consulté le 10 juillet 2013.
21. Architecture moderne au Québec et ailleurs, <http://docomomoquebec.ca/>,
consulté le 10 juillet 2013.
22. Vanlaethem, F. (2012). Patrimoine en devenir : l’architecture moderne du Québec,
Québec, Les Publications du Québec.
> 15
PRÉSERVER UNE ICÔNE DU
MOUVEMENT MODERNE : LE
SANATORIUM DE ZONNESTRAAL
Hubert-Jan Henket
A
vant d’aborder la question de la préservation de l’architecture moderne, et plus particulièrement celle du sanatorium de
Zonnestraal construit à Hilversum de 1926 à 1931, il faut expliquer d’où proviennent certaines des idées du mouvement moderne.
Contrairement à l’impression laissée entre autres par l’exposition The
International Style présentée au Musée d’art moderne de New York en
1932, le mouvement moderne n’est pas avant tout un style esthétique,
mais plutôt une façon de penser, un état d’esprit.
Le mouvement moderne, un état d’esprit
Un de mes tableaux favoris de la Frick Collection est une œuvre du peintre
néerlandais Johannes Vermeer d’une remarquable modernité : L’officier
et la jeune fille datant de 1657. La scène n’est pas statique, elle montre
des gens en mouvement ; le tableau donne à voir l’instantané, il offre
l’expérience du moment présent. De plus, aucun saint, évêque ou noble,
soit le genre de personne que représentait la peinture jusqu’alors : deux
personnes ordinaires, une scène très humaniste. L’officier et la jeune fille
dégagent une impression de contrôle sur leur propre vie et leurs pensées.
Ils sont indépendants d’allusions métaphoriques.
La même année, un autre Néerlandais, Christiaan Huygens, inventa
le pendule, qui a complètement révolutionné l’expérience du temps. À
l’époque, les horloges commençaient à faire leur apparition dans les foyers
et sur les clochers des églises. Peu à peu, l’expérience cyclique du temps
qui avait dominé la vie depuis sa création et qui était liée aux cycles du
soleil et de la lune, des semailles et des récoltes, de l’été et de l’hiver,
d’année en année s’effaçait. Par l’introduction d’un instrument de précision,
l’expérience cyclique du temps était remplacée par celle du temps linéaire.
Cette innovation conduisit à mesurer le temps en heures, en minutes et en
secondes. Tic-tac, tic-tac, les secondes passent sans jamais revenir. La vie
est maintenant emprisonnée entre la naissance et la mort, un phénomène
linéaire extrêmement court lorsqu’on le compare à l’éternité. L’homme
est devenu pressé. Bienvenue dans le monde dynamique, le monde de
la temporalité et de l’innovation, deux autres piliers du projet moderne.
La Banque d’Angleterre, imaginée par l’architecte anglais John Soane en
1830, illustre aussi le temps modifié. Le tableau qui la représente, montre
l’édifice mille ans après sa construction, une partie du complexe toujours
utilisée, l’autre en ruines. Il témoigne ainsi que la beauté éternelle est un
aspect essentiel de la vie.
Le célèbre architecte allemand Karl Friedrich Schinkel délivre un
message complètement différent. Au nom du roi de Prusse, il voyagea dans
les Midlands de l’Angleterre afin de découvrir l’importance de la Révolution
industrielle. Il visita la ville vibrante de Manchester et, dans une lettre au
souverain, il décrit des immeubles de six à huit étages, nommés manufactures, ayant des murs minces comme du papier, construits rapidement
et d’utilisation très efficace. Ces bâtiments n’étaient pas des symboles
esthétiques de durabilité éternelle. Au contraire, ces structures sont des
contenants rationnels et flexibles, adaptés aux exigences de l’économie de
marché et de l’âge de la machine en constante évolution. Voilà le monde
en état de renouvellement permanent.
18 <
Pavillon principal,
sanatorium Zonnestraal
Hilversum.
Crédits : Arjandb, 2011.
Préserver une icône du mouvement moderne : le sanatorium de Zonnestraal
La même année, en 1828, le penseur politique français Alexis de
Tocqueville, qui avait si éloquemment écrit sur la Révolution américaine,
visita également Manchester. Sa réaction au progrès fut cependant moins
positive que celle de Schinkel. Il écrivit : « C’est au milieu de ce cloaque
infect que le plus grand fleuve de l’industrie humaine prend sa source et
va féconder l’univers. De cet égout immonde, l’or pur s’écoule. C’est là
que l’esprit humain se perfectionne et s’abrutit ; que la civilisation produit
ses merveilles et que l’homme civilisé redevient presque sauvage1. »
Tocqueville observe que les traditions qui, pendant des siècles, avaient été
facteur de liens et de certitude au sein des sociétés agraires ne pouvaient
résister à la pression du changement rapide et au chaos urbain anonyme
de la Révolution industrielle.
Si la bourgeoisie avait réussi à se libérer du pouvoir dominant de
l’ancienne aristocratie et que les élites étaient inspirées par l’idéal de
liberté individuelle des révolutions américaine et française, les masses
urbaines pauvres étaient laissées pour compte, dans la misère. Une opposition croissante à cette situation inacceptable se développa. Au début
du xxe siècle, les intellectuels, les artistes et les architectes décidèrent
de changer complètement leur système de croyances et d’habitudes ; ils
regardèrent les choses de manière totalement différente. Leur intention
était de créer une nouvelle société fondée sur l’égalité, avec un équilibre
adéquat entre liberté individuelle et intérêt collectif. Cette société pouvait
être établie seulement si on arrivait à se libérer de toutes les traditions
précédentes. Les innovations scientifiques, technologiques et culturelles
garantissaient le progrès vers un futur nouveau et d’origine humaine. De
plus, en raison du rejet de toutes les traditions, aucune relique et aucune
habitude ne devaient être transmises aux générations à venir. D’où un
dévouement à constamment tout renouveler.
Une œuvre iconique : le sanatorium de Zonnestraal
Un des principaux protagonistes de ce courant de pensée, nommé le
mouvement moderne, était l’architecte néerlandais Jan Duiker né en
1890. Son chef-d’œuvre est le sanatorium de Zonnestraal. Cet ensemble
trouva son origine dans la lutte menée par les ouvriers diamantaires
d’Amsterdam pour de meilleures conditions de travail qui déboucha en
1894 sur la création du premier syndicat aux Pays-Bas. Principalement
d’origine juive et fiers de leur force collective, en 1900, ils demandèrent
au père de l’architecture moderne du pays, H. P. Berlage, de concevoir leur
siège social à Amsterdam.
> 19
La sauvegarde de l’architecture moderne
Mortelle à l’époque, la tuberculose constituait une menace courante
dans les zones urbaines malsaines en raison du surpeuplement, d’une
mauvaise ventilation et d’installations sanitaires déficientes. Les ouvriers
diamantaires étaient particulièrement vulnérables, car ils inhalaient la
poussière produite pendant la coupe des diamants. Le remède à la maladie
consistait à isoler le patient pas trop gravement atteint pendant quelques
années dans un sanatorium, loin de la ville, pour profiter de conditions de
vie saines et aérées à la campagne.
Alors qu’ils envisageaient de construire un sanatorium dans le domaine
champêtre acheté à vingt kilomètres d’Amsterdam, aux abords du village
d’Hilversum, le syndicat des diamantaires demanda à nouveau à Berlage
de le concevoir. Les fonds provenaient de diverses sources. L’une était le
résultat d’une invention technique qui permet de capter la poussière qui
se colle aux extrémités des fils de cuivre utilisés pour tailler les diamants.
En raison de sa charge de travail excessive, Berlage recommanda deux
jeunes architectes modernistes, Jan Duiker et Bernard Bijvoet.
Après un voyage d’études en Angleterre, où les architectes avaient
visité la colonie postcure de Papworth, Duiker conçut un ensemble formé
d’un édifice principal et de deux pavillons. Le projet répondait aux besoins
individuels des patients considérés comme les membres d’une communauté.
Le patient était amené en voiture au Zonnestraal depuis Amsterdam et
se présentait à l’édifice principal pour y être inscrit. Il se rendait ensuite
à l’étage, dans la salle commune. De ce point, il traversait la route par
où il était venu et qu’il reprendrait un jour, une fois guéri. Fort de cette
attitude moderniste d’optimisme et d’espoir, de l’autre côté, il descendait
les marches et se rendait vers l’un des deux pavillons. Doté d’un rez-­
de-­chaussée et d’un étage, chaque pavillon contenait douze chambres
individuelles par niveau, de même que des toilettes et des salles de bain
collectives. De plus, il était équipé de sa propre salle commune où les
patients pouvaient prendre un thé ou un café pendant la journée. Les
trois repas principaux étaient servis dans la salle commune de l’édifice
principal. Quatre ateliers étaient destinés aux activités quotidiennes, à
la formation de nouvelles compétences et à la production de biens qui
payaient une partie des coûts d’exploitation du sanatorium.
Les deux médecins du sanatorium et l’architecte Duiker étant des
modernistes, ils croyaient au progrès scientifique. Ils présumaient qu’au
cours des trente prochaines années, des traitements adéquats seraient
disponibles pour guérir la tuberculose et que le sanatorium ne serait plus
nécessaire. Il n’était donc pas logique de concevoir un édifice ayant une
durée de vie technique qui excéderait les besoins fonctionnels. De plus,
Duiker mit en forme chaque pièce selon ses exigences fonctionnelles
20 <
Préserver une icône du mouvement moderne : le sanatorium de Zonnestraal
propres, conformément à l’axiome moderniste voulant que la forme suive
la fonction. Il a donc fabriqué un ensemble sur mesure.
Duiker visait l’« économie spirituelle », chaque chose devant être
produite avec un minimum de matériaux et d’énergie : faire plus avec
moins. À l’époque, les modernistes allemands nommaient cette approche
de quête « das existence minimum ». Les plans et les coupes dessinés par
Duiker manifestaient clairement le but recherché, tant au plan technique
que fonctionnel. En fait, l’architecte conçut une série bâtiments jetables,
en accord avec le nouveau constant.
La prophétie des médecins et de Duiker prédisant la disponibilité de
médicaments pour guérir la tuberculose dans un délai de trente ans se
vérifia. La pénicilline, inventée par Alexander Flemming en 1928, serait
développée pendant la guerre en Amérique et, peu de temps après, le
médicament serait mis sur le marché. Peu à peu, le sanatorium devint
inutile et, en 1957, Zonnestraal fut transformé en un hôpital général
desservant la ville d’Hilversum, ce qui nécessita des transformations radicales et de vastes agrandissements. Mais, au fil du temps, le complexe de
Zonnestraal ne répondra plus aux changements rapides et aux exigences
de la profession médicale.
À la fin des années 1980, la construction d’un nouvel hôpital plus
actuel fut entamée ailleurs dans la ville et au milieu des années 1990, les
bâtiments de Zonnestraal furent vidés et abandonnés.
Dilemmes de préservation
Le déclin fut rapide. Aussi la première question à résoudre était : quoi faire ?
Devions-nous préserver l’ensemble conçu par Duiker ou allions-nous le
laisser tomber en ruines ? Rappelons-nous que le moderniste Jan Duiker
croyait en l’éternel nouveau. Pour lui, préserver l’ensemble du Zonnestraal
alors que sa fonction d’origine aurait disparu aurait été impensable. Il a
écrit : « Prenez garde aux gens du patrimoine. »
Interrogeons-nous. Qu’aurait fait à sa place Max Brot, l’exécuteur testamentaire de l’écrivain Franz Kafka ? Il n’écouta pas la demande explicite
de Kafka de brûler tous ses manuscrits après sa mort. Quelle chance pour
nous. Zonnestraal représente une partie importante de l’histoire sociale
et culturelle des Pays-Bas. La valeur universelle de cet ensemble est
reconnue. Ce qui compte davantage, de nombreuses personnes l’adorent.
Nous avons donc décidé de ne pas respecter la volonté de Duiker,
mais d’opter plutôt pour le paradoxe. Nous avons décidé de préserver ces
> 21
La sauvegarde de l’architecture moderne
bâtiments à l’obsolescence programmée pour les générations futures et
de faire de l’ensemble un monument culturel et historique.
La deuxième question était de savoir si nous devions nous conformer au
mantra globalement accepté par la théorie et la pratique de la conservation
et garder toutes les transformations, soit toutes les couches historiques
depuis l’origine de l’ensemble. Ou, devions-nous les documenter, puis les
démolir afin de préserver l’original ? Nous avons opté de revenir à l’original
pour trois raisons. Premièrement, tant de choses avaient changé dès les
premiers jours que l’idée originale de Duiker ne pouvait plus être appréciée.
Deuxièmement, toutes les transformations ultérieures n’avaient aucun
mérite architectural. Et, troisièmement, de nombreuses photographies,
de nombreux témoignages oraux et de nombreux documents écrits et
graphiques étaient disponibles pour restituer les parties altérées.
Si on voulait retourner à l’original, la troisième question était : en quoi
consistait l’original ? Est-ce le projet original de Duiker ? Mais alors, que
faire avec les nombreux changements effectués au cours du chantier, entre
autres ? Finalement, nous avons pris la décision subjective de prendre la
situation de 1931 comme repère, car elle correspond le mieux aux idées
de l’architecte.
Préserver les bâtiments sans les adapter aux usages futurs aurait été
non seulement discutable, mais financièrement impossible. Aussi une
nouvelle vocation a été donnée au domaine Zonnestraal ; il est devenu
un centre de soins public et privé, à la fois curatif et préventif, comme il
l’était dans une certaine mesure à l’origine. Cependant, la décision de
retourner à l’original comme stratégie de préservation n’était pas sans
conséquence sur le fonctionnement et, par conséquent, sur les coûts et
les bénéfices d’exploitation du domaine. Pourquoi ?
Le principe original de Duiker selon lequel « la forme suit la fonction »,
ne s’applique pas lorsqu’on réhabilite les bâtiments. C’est même l’inverse :
« la fonction suit la forme ». Ensuite, pour aggraver les choses, Duiker a
conçu l’ensemble pour faire plus avec moins. Ainsi, aucun surplus n’était
disponible, que ce soit au plan technique ou fonctionnel, pour répondre
aux exigences actuelles. Or dans l’économie de marché, les exigences
augmentent sans cesse, ce qui signifie toujours plus d’espace. Que faire,
par exemple, avec quarante-huit petites pièces mesurant 10 pieds sur
10 pieds, sans salle de bain et dotées d’un confort minimal ?
Nous avons décidé de localiser toutes les fonctions qui ne répondaient
pas à l’ensemble original dans un nouveau bâtiment polyvalent. Ce bâtiment
devait aussi aider à générer les revenus nécessaires au financement de la
22 <
Préserver une icône du mouvement moderne : le sanatorium de Zonnestraal
préservation et de l’exploitation de l’ensemble de Duiker. Actuellement
nous dessinons ce lieu d’hébergement en même temps qu’un garage de
trois cents places.
Aujourd’hui, tous les bâtiments sont soumis à des changements rapides
à cause de l’époque à courte vue dans laquelle nous vivons. Aussi, de
nombreux matériaux et produits originaux ont été enlevés. De plus, nombre
des matériaux des bâtiments modernes sont des produits industriels
fabriqués à la machine et, de ce fait, plus disponibles sur le marché. En
conséquence, revenir à l’idée originale comme concept de préservation
signifie inévitablement reconstruire, un mot à proscrire dans les cercles
établis de la préservation.
Conclusion
La préservation et l’exploitation du Zonnestraal ne sont d’aucune façon
des exercices faciles. Après beaucoup de sueur et de larmes, le bâtiment
principal fut restauré et fonctionnel. L’une des ailes des chambres, le pavillon
Dresselhuys, fut à moitié complétée, la superstructure et l’enveloppe
externe étant restaurées. Mais, après vingt-cinq ans d’efforts intensifs,
nous n’avons pas encore trouvé le bon locataire.
Nous devons en grande partie à la générosité du gouvernement néerlandais, au propriétaire actuel et à l’association d’habitation, l’Alliance,
d’avoir fait tant de progrès après toutes ces années. Ce résultat n’aurait
pu être possible sans l’aide persistante de la Ville de Hilversum et de tous
les consultants et entrepreneurs qui ont développé continuellement de
nouvelles idées.
Zonnestraal est d’une beauté fragile. Il dégage une conviction optimiste
quant au progrès, et ce, grâce à l’innovation scientifique et technologique ; il
représente l’idéal de la création d’un monde meilleur pour tous, un monde
où l’individualité et la collectivité sont en équilibre. Zonnestraal nous
parle d’une architecture qui ne concerne pas principalement l’esthétique
et l’éthique. Sa préservation est une démonstration d’espoir, de message
optimiste que le projet moderne est vivant et qu’il poursuit sa mission.
> 23
La sauvegarde de l’architecture moderne
Post-scriptum
Un livre documente l’histoire et le projet de restauration : Paul Meurs et
Marie-Thérèse van Thoor (dir.) (2010). Sanatorium Zonnestraal : The History
and the Restoration of a Modern Monument, Rotterdam, NAi Publishers.
De plus, Bierman Henket Architecten et Wessel de Jonge Architecten
ont remporté le 2010 World Monuments Fund/Knoll Modernism pour la
restauration du sanatorium de Zonnestraal.
Note
1.
24 <
De Tocqueville, A. (1958). Œuvres complètes : voyages en Angleterre, Irlande, Suisse
et Algérie, Paris, Gallimard, p. 82.
L’INATTENDUE
PATRIMONIALISATION DE
L’ARCHITECTURE MODERNE :
QUELQUES HYPOTHÈSES
France Vanlaethem
T
out un défi que d’entretenir du patrimoine architectural moderne
les personnes rassemblées à la Grande Bibliothèque du Québec
pour l’une des conférences publiques offertes dans le cadre du
colloque organisé en 2010 par l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Quel propos tenir à une assemblée où se mêlaient spécialistes, amateurs
et profanes ? Plutôt que de trancher, nous avons poursuivi un double
objectif : d’abord, introduire notre auditoire à ce patrimoine imprévu qui
fit son apparition à la fin des années 1980 et, ensuite, construire une argumentation qui pourrait proposer une compréhension de ses paradoxes.
Cette question de portée théorique n’est pas nouvelle ni sans conséquence
méthodologique, mais les explications avancées jusqu’à présent ne sont
guère satisfaisantes1.
Le patrimoine moderne étonne. Jusqu’à son émergence, le patrimoine
était uniquement ancien. Sa jeunesse est troublante, déstabilisante ; la
patrimonialisation de l’architecture novatrice du xxe siècle n’était pas
attendue, d’autant plus que ceux qui se portent au chevet des vieux édifices
ont généralement en aversion l’architecture nouvelle destructrice des
environnements familiers. D’ailleurs, pourquoi protéger des constructions
produites sous le signe de la nouveauté et du changement et qui, bien
souvent, n’avaient pas été érigées pour durer ? Aussi une question s’est
immédiatement posée dans le milieu de la conservation : le patrimoine
moderne est-il semblable ou différent du patrimoine ancien ? En conséquence,
les principes doctrinaux qui s’appliquent à ce dernier restent-ils valables ?
En plus d’explorer la dimension paradoxale du patrimoine moderne,
examinons si celle-ci fonde une spécificité en qui concerne le processus
social qui soutient sa reconnaissance ainsi que les valeurs dont il est porteur
et les principes forgés pour orienter sa sauvegarde ? Mais avant de tenter
de répondre à cette question, retraçons les principaux événements qui
ont jalonné l’émergence du patrimoine moderne au Québec, au Canada
et sur la scène internationale.
Westmount Square,
Montréal.
Crédits : Michel Brunelle,
2007.
Esquisse d’une histoire du patrimoine moderne
Tout comme le patrimoine urbain, industriel et rural, le patrimoine moderne,
est un de ces nombreux « nouveaux » patrimoines qui firent leur apparition
à partir des années 1970. Le mouvement patrimonial s’est alors intensifié
en réaction au vandalisme des aménageurs et des promoteurs immobiliers
soucieux de rénover la ville pour la rendre plus efficace et plus rentable,
de même qu’en réponse aux désorientations culturelles provoquées par
les profonds changements des sociétés occidentales, de moins en moins
centrées sur la production de biens matériels. L’émergence du patrimoine
moderne était inopinée puisqu’il ne s’agissait plus de conserver les traces
du passé que la modernisation effaçait, mais plutôt de sauvegarder les
manifestations précoces du modernisme architectural, à leur tour menacées
de disparition. Au Canada, les premières revendications en faveur du patrimoine moderne sont contemporaines à celles semblables avancées sur la
scène internationale, exception faite de quelques initiatives plus hâtives.
En Angleterre et en France, les premières protections datent des
années 1950 et 1960. Alors que l’Angleterre amorçait l’inscription des
monuments historiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
l’âge n’était pas un critère. Aussi, un certain nombre de bâtiments datant
26 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
de l’entre-deux-guerres seraient inscrits et, lors du deuxième recensement
engagé peu de temps après, plusieurs œuvres du mouvement moderne
seraient ajoutées sur les conseils de Sir Nikolaus Pevsner. Cette situation
inquiétait et conduisit à édicter une nouvelle règle voulant qu’aucun
immeuble datant d’après 1939 ne fusse dorénavant protégé2. En France,
outre le classement du Théâtre des Champs-Élysées des frères Perret dès
1957, une première vague de protection des monuments « modernes »
bouscula en 1964-1967 les pratiques de la Commission supérieure des
monuments historiques, alors qu’André Malraux était ministre des Affaires
culturelles et que l’application de la loi de 1913 avait été modifiée pour,
au-delà de l’archéologie, élargir à l’histoire et à l’art les raisons de l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. La
Cité radieuse à Marseille fut le premier édifice de Le Corbusier à avoir
été protégé. Fait sans précédent : elle fut inscrite en 1964, à peine dix ans
après son achèvement et du vivant de l’architecte. Cependant, ce premier
élan en faveur du patrimoine du xxe siècle retombera rapidement3.
Au Canada, à Toronto, en 1987, sous le titre de Toronto Modern, une
exposition et une conférence furent organisées afin de favoriser l’appréciation et la préservation de l’architecture des années 1945-1965. Ces événements étaient contemporains de plusieurs autres initiatives semblables, à
commencer par celle du Conseil de l’Europe en vue de la protection et de
la mise en valeur du patrimoine architectural du xxe siècle4. Par ailleurs,
en 1988, aux Pays-Bas, à l’instigation de l’architecte Hubert-Jan Henket,
fut mise sur pied au sein de l’Université de technologie de Eindhoven, une
organisation d’ambition internationale vouée à « la documentation et à la
restauration de l’architecture moderne de l’entre-deux-guerres5 », dont
la première rencontre internationale était dès lors planifiée pour 1990.
La même année, fin 1988, à Montréal, des professeurs de l’École de
design de l’UQAM réagirent à la rénovation du Westmount Square, le
complexe multifonctionnel construit par Ludwig Mies van der Rohe à la
marge du centre-ville moderne entre 1964 et 1969. Nous étions soutenus
par le milieu de l’architecture tant local qu’international. Une pétition
avait été lancée en prenant pour relais les « amis » étrangers du Centre de
design de l’UQAM et, à Montréal, les Conférences Alcan sur l’architecture.
Son organisateur, l’architecte Peter Rose, était un allié précieux dans ce
premier combat pour le patrimoine moderne au Québec, tout comme
d’autres, notamment Jean-François Bédard, Mark Poddubiuk, Anne Cormier
et Randy Cohen, pour mentionner les principaux. Notre action, en dénonçant
l’intervention non respectueuse sur l’œuvre de Mies van der Rohe, fut à
l’origine de la fondation d’une association, Montréal moderne, vouée à la
connaissance et à la sauvegarde de l’architecture moderne.
> 27
La sauvegarde de l’architecture moderne
En 1992, au Bauhaus, à Dessau, deux de ses membres participèrent à
la deuxième conférence internationale organisée par le groupe hollandais
devenu, lors de la première rencontre à Eindhoven, Docomomo International,
acronyme de Documentation and Conservation of Buildings, Sites and
Neighbourhoods of the Modern Movement. Le déplacement lexical dans
sa dénomination est intéressant à noter : l’identification de son objet de
préoccupation passe d’une saisie chronologique – « l’architecture moderne
précoce6 », celle des années 1920 et 1930 – à une qualification moins neutre,
« les édifices, les ensembles et les quartiers du mouvement moderne ».
En 1990, la notion de mouvement moderne brandie depuis les
années 1
920, d’abord comme étendard de l’unité de l’architecture nouvelle
et, ensuite, comme concept historiographique visant à légitimer les inventions typologiques, les expérimentations techniques et les recherches
linguistiques de l’avant-garde, était devenue suspecte. Dès la fin des
années 1960, Manfredo Tafuri, tout en qualifiant le mouvement moderne
de « fable consolatrice7 », s’était interrogé sur la dynamique du mouvement
dans le cadre d’une écriture de l’histoire qui voulait prendre ses distances
avec la pratique de l’architecture et ses mythes8.
Malgré ce discrédit, importée sur l’autre scène architecturale, celle
du patrimoine, l’idée de mouvement moderne a repris du service. Elle est
venue soutenir la revendication à la pérennité avancée par certains pour
ses réalisations les plus significatives, charriant avec elle l’espoir de poursuivre le projet social inachevé mis à mal par les politiques néolibérales :
pour les membres fondateurs de Docomomo International, le sauvetage
des œuvres iconiques du mouvement moderne était un moyen de garder
vivant l’idéal d’une pratique de l’architecture soucieuse de justice sociale
et de bien-être. Au tournant des années 1980, l’étrange acronyme permit
de mobiliser ceux qui cherchaient à faire en sorte que les réalisations les
plus marquantes de l’architecture novatrice du xxe siècle ne tombent pas
en ruine ou sous le pic des démolisseurs, ou encore, sort plus pernicieux,
subissent les outrages d’architectes séduits par le postmodernisme, comme
au Westmount Square. La galerie de boutiques du complexe dessiné par
Mies fut mise au goût du jour, en hiérarchisant l’espace originalement
continu et en décorant les devantures neutres des magasins.
Après son intégration dans le réseau de Docomomo International
lors de la iiie conférence tenue à Barcelone en 1994, Montréal moderne
devint Docomomo Québec. À l’époque, le Canada était représenté par
deux groupes de travail, l’un du Québec, l’autre de l’Ontario, auxquels
s’ajouteraient par la suite ceux de la Colombie-Britannique en 1996 et
des Maritimes en 2006. Aujourd’hui, Docomomo International est présent
dans plus de cinquante p
ays et régions du monde. Si dans les années 1990,
28 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
les demandes en faveur de la préservation de l’architecture moderne
rencontraient beaucoup de résistance au sein des administrations publiques
et un certain scepticisme de la part du public, la situation a changé depuis.
Pour ne prendre que le cas du Québec, 128 immeubles ou groupes
d’immeubles sont protégés dans le cadre de la Loi du patrimoine culturel
du Québec (avant 2012, Loi sur les biens culturels) sous le thème du « patrimoine de la modernité », 11 bénéficiant de la plus haute reconnaissance
d’immeuble patrimonial classé ou cité9, les autres l’étant en quelque sorte
de manière fortuite comme composantes d’un site du patrimoine, exception
faite des pavillons d’Expo 67 sur l’île Sainte-Hélène, où l’héritage de cet
« événement majeur dans l’histoire de la ville et du pays » est un des motifs
de la protection d’une large part de ce territoire10. Dans le même temps,
en une vingtaine d’années, la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO
s’est enrichie d’une bonne douzaine d’inscriptions représentatives de l’Art
nouveau et du mouvement moderne, à commencer en 1987, par celle de
la capitale du Brésil, Brasilia, les dernières en date étant celles de l’usine
Fagus à Alfeld inscrite en 2011, du palais Stoclet à Bruxelles en 2010, des
ensembles de logements sociaux de Berlin en 2008, de l’opéra de Sydney
et du campus central de l’Université de Mexico en 200711.
Par ailleurs, une grande expertise a été développée depuis que les
chantiers de restauration et de réhabilitation du moderne se sont multipliés, soulevant des problèmes qui ne sont pas seulement techniques,
mais encore philosophiques. Récemment, plusieurs monographies furent
publiées sur des réalisations remarquables, telles les restaurations de
l’usine Van Nelle à Rotterdam, de la bibliothèque de Vyborg en Russie,
de la maison La Roche-Jeanneret à Paris, de l’école du Bauhaus et des
maisons de professeurs à Dessau12. Par ailleurs, dans la presse spécialisée, de nombreux articles ont été diffusés sur la réfection du béton par
exemple13. Notons qu’une bonne part de ce savoir développé depuis une
vingtaine d’années est consignée dans les nombreuses publications de
Docomomo International : revue semestrielle, monographies, actes de
colloques et dossiers techniques14.
On pourrait s’étendre sur l’histoire et la situation du patrimoine
moderne au Canada. Renvoyons plutôt à l’introduction du Docomomo
International Journal publié en 2008 sous la direction de Docomomo Québec
et à la suggestion de l’ICOMOS Canada qui accueillait cette année-là, dans
la ville de Québec, la 16e Assemblée générale et le colloque scientifique
du Conseil international des monuments et des sites15, et abordons la
question de sa spécificité.
> 29
La sauvegarde de l’architecture moderne
La spécificité technique et formelle
du patrimoine moderne
Au Québec, la question de la spécificité du patrimoine moderne fut étudiée à
deux reprises et à la demande de deux organismes différents : la Commission
des biens culturels du Québec (devenue Conseil du patrimoine culturel
du Québec depuis 2012) et la Division de l’urbanisme de l’arrondissement de Ville-Marie de la Ville de Montréal. En 2005, la CBCQ publia un
rapport sous le titre Comment nommer le patrimoine quand le passé n’est
plus ancien ? 16. Première étape d’une étude qui visait à s’interroger sur la
nature des critères à appliquer pour évaluer le potentiel patrimonial du bâti
récent, ce document contribuerait à officialiser une dénomination. À l’égal
des patrimoines anciens, ceux des autochtones et de la Nouvelle-France,
le « patrimoine moderne », ou plutôt de la modernité, est l’un des sept
thèmes qui classent (au sens premier du terme) l’ensemble du patrimoine
culturel du Québec dans le répertoire mis en ligne par le ministère de la
Culture et des Communications17.
Rappelons qu’ailleurs, d’autres appellations sont utilisées pour désigner
ce jeune patrimoine qui, au sein de Docomomo International, est associé
au mouvement moderne. Rapidement, mentionnons-les, car leur différence
est significative. Au Canada, à la suite du rapport d’études réalisé par Parcs
Canada en 1997, sous la direction de Susan Bronson, la Commission des
lieux et des monuments historiques lança en 2001 une action en faveur
de la commémoration du « patrimoine bâti canadien de l’ère moderne18 ».
En 1996 et 2000, le National Park Service aux États-Unis organisa deux
grandes conférences sur le « recent past 19 ». En France, tout comme au sein
du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), c’est le
patrimoine du xxe siècle qui a été considéré. Si les premières rencontres
sur le sujet convoquées par l’ICOMOS datent des années 198020, il faudrait
attendre 2006 pour qu’un comité scientifique du xxe siècle fut officiellement
établi21, même si la nécessité en avait été reconnue lors d’une réunion
de travail tenue à Montréal en 200122. Le Centre du patrimoine mondial
privilégie par contre la notion de « patrimoine moderne » – le modern
heritage –, depuis le lancement en 2001 d’un programme conjoint avec
l’ICOMOS et Docomomo International afin de pallier le déséquilibre de la
Liste du patrimoine mondial23. La portée temporelle de cette dénomination
est cependant beaucoup plus large que celle que nous lui associons au
Québec, elle ne se limite pas aux années 1930-1970 ; le modern heritage
renvoie au bâti des xixe et xxe siècles.
Aucune de ces appellations n’est équivalente. Elles ne cernent pas
exactement le même corpus, ni en termes chronologiques ni en termes
30 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
typologiques et, surtout, ne supposent pas une même relation au patrimoine,
comme nous le mentionnons dans le rapport de la CBCQ. Certaines sont des
déclinaisons de la notion de patrimoine historique et artistique qu’informe
la rationalité de la connaissance historique, d’autres sont plutôt lestées
de la mémoire de nos contemporains et de leur attachement aux environnements qu’ils ont fréquentés dans leur quotidienneté. L’intérêt de la
référence au xxe siècle est d’offrir un cadrage objectif, exempt d’ambiguïté,
au moins pour ses balises temporelles, le corpus qu’elle circonscrit étant
très diversifié, sinon disparate. Les dernières manifestations de l’éclectisme
y côtoient celles du modernisme, et même celles du postmodernisme.
Si le rapport de la CBCQ ne se prononce sur la question de la spécificité des critères d’évaluation, après bien d’autres publications, il explore
les particularités matérielles et formelles des bâtiments qui composent
le patrimoine moderne, soulignant leur abondance et leur taille souvent
gigantesque, d’une part, et leurs tendances à la fragilité, à l’obsolescence
technique et fonctionnelle et au dépouillement décoratif, d’autre part.
Tous les spécialistes s’entendent sur les défis techniques inédits que
représente le patrimoine moderne pour la conservation qui a établi ses
règles de l’art à partir de l’expérience issue d’interventions sur des bâtiments construits généralement de manière artisanale avec des matériaux
naturels ayant fait leur preuve. Par contre, il est plus difficile de faire
comprendre l’originalité formelle radicale et fondamentale de certains
de ses éléments qui est encore trop souvent cernée en termes de style, et
ceci malgré l’avancement de la recherche universitaire sur les ruptures et
les inventions linguistiques introduites par les architectes modernistes.
Ces spécificités rapidement reconnues, explorons la nature paradoxale
du patrimoine moderne en identifiant les points de friction entre le
patrimoine et le moderne.
Le patrimoine moderne, un patrimoine paradoxal ?
La dimension paradoxale du patrimoine moderne a été soulignée par
quelques auteurs liés à Docomomo International. Dans sa préface à l’ouvrage collectif publié sous la direction d’Allan Cunningham en 1999, le
professeur Robert Maxwell constate : « La documentation et la conservation des artefacts historiques produits pendant l’apogée du mouvement
moderne en architecture ont quelque chose de paradoxal, étant donné
que le mouvement moderne proclamait le rejet de la tradition et de la
fin de l’histoire. Le mouvement qui célébrait le nouveau tout en rejetant
l’ancien, n’a pas envisagé le moment où le nouveau deviendrait vieux,
encore moins qu’il aurait alors besoin d’aide24. »
> 31
La sauvegarde de l’architecture moderne
Éphémérité/pérennité
En effet, il peut paraître incohérent de vouloir conserver des édifices et
des ensembles qui ne furent pas construits pour durer. Bâtis pour quelques
mois, pour quelques années seulement, plusieurs furent démolis. HubertJan Henket résuma cette contradiction en une formule-choc en parlant de
« bâtiments jetables pour l’éternité25 ».
Les raisons de l’obsolescence rapide de nombre de bâtiments modernes
sont diverses. Elles peuvent découler d’un programme d’usage initial
qui a perdu sa pertinence sociale et auquel une réponse architecturale
fonctionnellement très ajustée offre peu de latitude pour le recyclage. Un
exemple très éloquent de cette situation est le sanatorium de Zonnestraal,
qui est à la fois une œuvre canonique du mouvement moderne et un
jalon marquant dans la conservation du patrimoine : son sauvetage est
à l’origine de Docomomo International. Construit dans les années 1920,
à la périphérie d’Hilversum, aux Pays-Bas, cet ensemble pavillonnaire
devint inutile dans les années 1950, un destin qu’avaient préfiguré ses
concepteurs confiant dans le progrès de la médecine. Ils ont conçu des
bâtiments sans grand souci de durabilité, en dessinant des structures en
béton squelettiques où l’impératif économique acquiert une dimension
« spirituelle », poétique26. Dans les années 1950, le complexe fut partiellement abandonné et partiellement transformé en hôpital général, non
sans difficultés et altérations majeures.
Quand ce genre de programme d’usage a profilé le paysage, comme
au plateau d’Assy dans les Alpes françaises, où en quarante ans, de 1917
à 1960, une vingtaine d’établissements de cure et de convalescence
furent ouverts pour accueillir les tuberculeux de toutes les régions de
France, les problèmes de reconversion s’en trouvent multipliés, même si la
configuration des immeubles est ici moins spécialisée, s’apparentant plus
aux types de l’hôtel ou du couvent qu’à celui de l’hôpital27. Les avancées
thérapeutiques des années 1950 ont éradiqué cette maladie éminemment
contagieuse qu’est la tuberculose, mais le rejet de la société qu’ont subi
ses victimes stigmatise aujourd’hui les bâtiments qu’ils fréquentaient. Bien
des sanatoriums fermés en France, en Belgique, en Russie et ailleurs, sont
devenus des ruines modernes28. D’autres, recyclés en immeubles d’appartements, attendent de nouveaux résidents, comme le sanatorium Martel
de Janville à Passy visité en 2009 lors du voyage d’études du programme
d’études supérieures en architecture et patrimoine modernes de l’École
de design de l’UQAM.
L’obsolescence des bâtiments modernes ne prend pas toujours un
tournant aussi dramatique quand elle concerne seulement une ou plusieurs
32 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
de leurs composantes. Une des plus grandes inventions typologique,
technique et formelle de la modernité architecturale est l’immeuble en
hauteur enveloppé d’un mur-rideau. Dans les années 1950, le mur-rideau
industrialisé était louangé, la presse architecturale y voyait un renouveau
vernaculaire susceptible d’atteindre l’éloquence du classicisme29. En
quelques années, il transformerait la physionomie des villes, du moins en
Amérique du Nord. Les normes techniques établies pour l’assemblage des
façades légères prévoyaient une durée de vie limitée : idéalement cent ans,
réalistement quarante30. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait dû envisager,
dans les années 1990, le remplacement de plusieurs murs-rideaux. Une
telle intervention ne pose pas de problèmes majeurs, au contraire, elle
permet une mise aux normes, voire une actualisation architecturale. À
Québec et à Montréal, plusieurs bâtiments de ce type furent réhabilités,
tel l’immeuble LaFayette à Québec31.
Le contexte est différent quand l’immeuble a une valeur historique
ou paysagère, à l’égal de la Lever House sur Park Avenue à New York, de
la tour Pirelli à Milan, ou encore du siège d’Hydro-Québec, de Place Ville
Marie ou de la Bourse – Place Victoria à Montréal. Les projets de la Lever
House et de la tour Pirelli sont intéressants à comparer vu leur parti de
conservation diamétralement opposé : à New York, le mur-rideau est neuf,
mais d’apparence identique à l’original et plus performant, si ce n’est du
point de vue thermique. Le vitrage est le même que celui d’origine, du
verre simple de manière à préserver la qualité de la transparence des
façades32. À Milan, l’enveloppe fut restaurée de manière artisanale afin
de conserver le plus possible la matière originale33.
Une situation plus extrême et plus polémique est la reconstruction de
bâtiments détruits après le terme de leur usage éphémère. Trois pavillons
dessinés par de grandes figures du mouvement moderne, Le Corbusier,
Ludwig Mies van der Rohe et José Lluís Sert dans le cadre d’expositions
internationales furent reconstruits dans les années 1970-1980 : le pavillon
de L’Esprit nouveau présenté à l’Exposition des arts décoratifs et industriels
de Paris en 1925 ; le pavillon de Barcelone à l’Exposition internationale de
1929 ; et le pavillon de l’Espagne à l’Exposition internationale des arts et
techniques dans la vie moderne à Paris, en 1937. Une dernière initiative
est restée dans les cartons : le pavillon Philips de Le Corbusier à l’Expo 58
de Bruxelles. Ici encore les partis de conservation varient.
L’approche qui prévalut pour la restitution du pavillon de Barcelone
entreprise à l’initiative de l’architecte Oriol Bohigas, est bien différente
de celle qui orienta la reconstruction du pavillon de l’Esprit nouveau.
Envisagée depuis 1954, in situ, la première fut finalement entreprise
alors que le centenaire de la naissance de Mies approchait et réalisée
> 33
La sauvegarde de l’architecture moderne
avec la plus grande fidélité possible malgré l’absence de spécifications
et de plans originaux détaillés. Les photographies d’époque uniquement
en noir et blanc n’étaient que d’un secours limité. Les marbres pour la
reconstruction furent choisis avec grand soin, une carrière fermée serait
même rouverte pour finir le pan de mur central en onyx doré34. Aujourd’hui,
le pavillon de L’Esprit nouveau s’élève à Bologne ; il y a été reproduit en
1977 à l’initiative de la revue Parametro avec un souci philologique tout
aussi aigu, auquel la richesse des archives de la Fondation Le Corbusier
permettait de répondre de manière plus satisfaisante. Cependant, pour
la réplique de ce bâtiment qui avait le statut de prototype du logement
moderne, une certaine latitude fut prise pour le choix des matériaux, des
produits industriels contemporains ayant été substitués aux anciens35.
Continuité/changement
La nature transitoire de bien des bâtiments construits au xxe siècle et
l’obsolescence programmée de leurs systèmes techniques sont liées
à la confiance dans le progrès et à la volonté d’innovation incessante
qui était au cœur de la modernité, ce mode de civilisation qui s’oppose
au mode de la tradition, autant dans les domaines des sciences et des
technologies que dans celui des arts, pour reprendre la définition qu’en
donna Jean Baudrillard36. L’avant-garde futuriste, la plus radicale sur le
plan des idées, aspire à une « architecture consommable et périssable » ;
ses propagandistes étaient convaincus que leurs maisons ne leur survivraient pas, chaque génération devant construire sa ville ; ils aspiraient
à une architecture « soumise à aucune loi de continuité historique37 ».
La tension entre changement et continuité qui taraude le patrimoine
moderne est un sujet de discussion lancinant au sein de Docomomo
International. La xe conférence internationale convoquée à Rotterdam en
2008, dans l’ancienne usine Van Nelle restaurée de manière exemplaire
sous la direction de l’architecte Wessel de Jonge, avait pour thème général Le défi du changement. Traiter l’héritage du mouvement moderne. La
conférence inaugurale livrée par le célèbre architecte hollandais Herman
Hertzberger introduisit d’emblée l’audience aux dilemmes posés par bien
des bâtiments modernistes alors que leur avenir est en jeu : le conflit entre,
d’une part, la valeur historique et l’appréciation des experts et, d’autre part,
les demandes issues de la vie contemporaine et de l’opinion des citoyens38.
Les pertes subies par la culture architecturale ne se limitent pas aux
démolitions, tels le démantèlement de la Maison du peuple de Victor
Horta à Bruxelles en 1968, la destruction partielle du premier grand
ensemble français construit dans les années 1930 par les architectes
34 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
Eugène Beaudouin et Marcel Lods, la cité de la Muette à Drancy, devenu
camp de transit pendant la guerre, ou encore la démolition de la tour
Bulova sur le site de l’exposition du Canadien National à Toronto en 1985.
Elles peuvent aussi découler de modifications relativement mineures qui
altèrent la qualité architecturale des édifices modernistes remarquables
et l’expérience qu’il offre aux usagers et aux visiteurs.
La transparence et la grande simplicité formelle de l’architecture
moderne posent des défis inédits à la conservation. Citons à nouveau
Herman Hertzberger, parlant de la peinture de Piet Mondrian, ou plutôt
paraphrasons-le : « vous ne pouvez épaissir les cadres des châssis d’un
édifice dessiné par Johannes Duiker, si vous le faites, ce n’est plus un
Duiker, mais seulement une architecture ordinaire ». Pour les avant-gardes
architecturales, la dématérialisation des façades était motivée par des
considérations d’utilité et de santé publique, de même que par des intentions poétiques et symboliques. Tout comme la dislocation des éléments
de l’architecture introduite par Frank Lloyd Wright et achevée par les
artistes de De Stijl, la transparence est un moyen de faire exploser la
boîte architecturale, le corps massif du bâtiment, pour explorer l’espace.
Jusqu’à présent, c’est surtout la transparence réelle, physique39, issue
du matériau qui a retenu l’attention dans les projets de conservation. Dans
les œuvres de l’entre-deux-guerres ou encore dans certaines réalisations
précoces du Style international d’après-guerre, comme la Lever House,
elle présente une limpidité unique qu’il est difficile de reproduire avec
des verres flottés contemporains, certes plus performants, mais aussi
plus réfléchissants. Le remplacement de l’enveloppe de l’usine Boots en
Angleterre en 1994 souleva bien des discussions dont bénéficia le projet
de restauration de l’usine Van Nelle à Rotterdam entrepris quelques années
plus tard. Ici, l’architecte Wessel de Jonge déploya différentes stratégies
pour préserver une transparence liée à un projet industriel empreint de
connotations métaphysiques. D’abord, il choisit de réparer le mur-rideau
de l’usine et de remplacer ponctuellement les vitrages brisés plutôt que
de déployer une toute nouvelle enveloppe équipée de verre double.
Ensuite, il compartimenta le plan libre des étages de manière à réduire
l’obstruction du cloisonnement et du mobilier de manière à permettre au
regard de traverser l’édifice40.
Il n’est pas étonnant que l’entreprise Critall de fabrication de châssis
métalliques, un pionnier de l’industrie du bâtiment en Angleterre, ait été
un commanditaire de la première heure de Docomomo International. Les
architectes modernistes apprécient ces huisseries pour leur nouveauté et
leur finesse. Mais ce choix n’était pas uniquement idéologique et esthétique,
il a des implications phénoménologiques. La fenêtre n’est pas seulement
> 35
La sauvegarde de l’architecture moderne
un organe technique qui permet d’éclairer, de ventiler et de voir à travers ;
elle établit un rapport au monde, comme le démontra Bruno Reichlin
alors qu’il s’attarda à la polémique sur la fenêtre en longueur opposant
en 1923 Auguste Perret et Le Corbusier41. Pour certains des architectes
modernistes, tels les constructivistes, il s’agissait non seulement de réinventer l’architecture, mais aussi de changer la vie42. Dans ce grand projet
social soutenu dans la majorité des pays occidentaux par des politiques
gouvernementales réformistes, l’école occupait une place de choix.
Les pédagogies nouvelles proposées au début du siècle furent le
prétexte de projets novateurs, telle l’école de plein air de Suresnes (19341935) de Beaudouin et Lods43 (inscrite à l’Inventaire général des monuments historiques en 1996). À la suite d’une première restauration, les
portes-accordéons alourdies par un double vitrage étaient devenues
inopérantes, transformant cet édifice dont les classes pouvaient s’ouvrir
largement sur l’extérieur, en un bâtiment clos, conventionnel. L’aliénation
de l’expérience est appauvrissante comme le souligna Hertzberger dans
sa conférence pour mettre en question un autre biais de la conservation
architecturale. Il s’interrogea sur la possibilité d’apprécier la spatialité de
l’hôtel Imperial de Frank Lloyd Wright détruit dans les années 1960, alors
qu’il n’en reste que des éléments exposés dans un musée ? Hertzberger
envisagea par contre avec sérénité et même enthousiasme, la rénovation
du Centre Vredenburg (1973-1978), un ensemble culturel consacré à la
musique localisé au cœur de la ville d’Utrecht qu’il avait réalisé dans les
années 1970 et dont seule la grande salle de concert serait conservée
pour être intégrée à un nouveau complexe plus grand, plus dense et plus
diversifié. Il justifia ce choix par la nécessité de répondre aux attentes d’un
public amateur de musique qui s’est diversifié et de se rendre à l’évidence
que les citoyens n’appréciaient pas ce bâtiment en béton, si ce n’était la
salle de concert reconnue pour son excellente acoustique. Hertzberger
nous a conduits à réfléchir à la pertinence du principe de la conservation
par fragment qui est aux antipodes de la conservation intégrale.
Mouvement patrimonial/mouvement moderne
Contrairement aux attentes, peu d’architectes praticiens contemporains
participèrent à la fondation de Docomomo International. En 1990, une
bonne part de l’assistance de la première conférence internationale était
constituée de responsables et de professionnels de la conservation44. Par
ailleurs, rapidement, le groupe se rapprocha de l’ICOMOS, avec lequel il
partage un même modèle organisationnel en réseau, sans pour autant
adhérer au même fonctionnement. Si, comme l’ICOMOS, Docomomo
International se composait d’un secrétariat général et d’une instance
36 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
représentative – le council meeting – qui coordonnaient les activités des
comités de spécialistes et fédéraient les sections locales, l’organisation
n’avait jamais visé la rédaction de chartes, ses membres étant soucieux de
préserver leur liberté de pensée et d’action. En 1992, lors de sa deuxième
conférence réunie à Dessau, le conseil de Docomomo International ratifia
une entente de collaboration avec l’ICOMOS.
Une telle proximité de l’organisation créée en vue de favoriser la
sauvegarde de l’architecture du mouvement moderne pouvait sembler
contre nature, étant donné que le mouvement patrimonial qui trouve
dans l’ICOMOS son institution la plus puissante se développa en réaction
au mouvement moderne, du moins au xxe siècle. D’abord, dans l’entredeux-guerres, il était porté par les débats noués par les experts dans le
contexte des institutions nationales et des organisations internationales
naissantes, et, ensuite, dans les années 1960 et 1970, sur la place publique.
La divergence entre le mouvement patrimonial et le mouvement
moderne s’amorça avec les rencontres internationales qui, au début des
années 1930, à quelques mois d’intervalle, rassemblaient à Athènes,
d’une part, les architectes et les techniciens des monuments historiques
pour la première fois dans un cadre supranational, celui de la Société
des Nations, et, d’autre part, les architectes modernistes à l’occasion du
IVe C
ongrès international d’architecture moderne (CIAM). Leur opposition
se manifesta dans les positions des deux personnalités qui les dominaient,
d’une part, l’architecte, ingénieur et historien de l’art, Gustavo Giovannoni,
et, d’autre part, l’architecte Le Corbusier, tous deux s’accordant cependant sur l’importance à donner à l’avenir des villes dans une perspective
régionale. Mais Giovannoni refusait d’éventrer et de densifier les centres
anciens pour les soumettre aux exigences de la circulation et de la rente
foncière, sans pour autant réclamer leur muséification. Soucieux, tout
comme Le Corbusier d’efficacité et d’hygiène, il envisageait plutôt leur
aménagement par « éclaircissage » (diradamento) dans le respect du plan
urbain45. Il introduisit ainsi le principe de la permanence des tracés anciens
qui deviendrait la règle cardinale de l’approche typo-morphologique qui
est au fondement de l’architecture urbaine.
Dans sa communication à la conférence d’Athènes sur les moyens
modernes de construction appliqués à la restauration des monuments,
Gustavo Giovannoni s’attaqua non seulement à Le Corbusier, critiquant
sa vision « mécanique » de l’architecture, mais encore aux disciples d’Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, adeptes de la restauration stylistique46.
Giovannoni joua un rôle clé dans la rédaction des conclusions de la rencontre
des architectes et des techniciens des monuments historiques qui seraient
diffusées ultérieurement sous la dénomination de la « Charte d’Athènes ».
> 37
La sauvegarde de l’architecture moderne
Ce document doctrinal n’est pas à confondre avec l’autre charte d’Athènes,
celle publiée anonymement en 1941 et rédigée par Le Corbusier à la suite
du ive CIAM. Ces événements contribuèrent incontestablement à diviser
l’architecture, au moins sur le plan institutionnel, sinon de la pratique. Si
au xixe siècle, alors que la conservation des monuments historiques était
devenue une pratique courante, les architectes indifféremment réalisaient
des bâtiments nouveaux et intervenaient sur les anciens, au xxe siècle, ces
domaines se sont dissociés ; la conservation architecturale est devenue
une spécialisation et elle a ses propres instances de reproduction et
de légitimation.
La Charte d’Athènes pour la restauration des monuments historiques
est reconnue comme le document à partir duquel fut rédigée la fameuse
Charte de Venise issue des travaux du IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques convoqué en 1964 ;
celle-ci en est une « révision47 ». Adopté l’année suivante par l’ICOMOS et
décliné dans de nombreuses recommandations, lignes directrices et autres
chartes depuis, cet énoncé de principes cristallisa la notion moderne de
restauration. Cette conception est le fruit d’un long processus que les
auteurs qui ont retracé l’histoire de la conservation architecturale décrivent
généralement en des termes qui ne sont pas sans faire penser aux récits
des premières histoires de l’architecture moderne écrites par Nikolaus
Pevsner, Sigfried Giedion et d’autres qui ont cherché à ancrer dans la
connaissance l’idée du mouvement moderne en architecture.
Dans A History of Architectural Conservation publié en 1998, l’architecte
Jukka Jokilehto, qui a fait carrière au sein du Centre international d’études
pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), après
en avoir été diplômé, fait débuter le « mouvement moderne de la restauration » (comme il le dénomme) au Siècle des Lumières et en donna une
interprétation téléologique, tendue vers un but. Avec le concept moderne
de restauration se trouverait résolue l’opposition qui avait éclaté au milieu
du xixe siècle dans la foulée de la réaction romantique, entre l’approche
positiviste française et l’interprétation sensualiste anglaise du monument
historique inventé par la Révolution française.
La charte de Venise reprit la conception élargie du patrimoine composé
de chefs-d’œuvre autant que des productions modestes, des œuvres
iconiques de l’histoire de l’art et de l’architecture que des témoins de
l’histoire culturelle, qu’a contribué à imposer Giovannoni, l’inventeur du
patrimoine urbain48. Elle entérina la position soucieuse d’authenticité
défendue par John Ruskin, en opposition à Viollet-le-Duc. Elle visa à assurer
autant l’authenticité de l’héritage en tant que « document de l’histoire » au
sens fort du terme, traces, sources qui ne peuvent être altérées au risque
38 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
de falsifier la vérité historique selon Camillo Boito49, que l’authenticité
de l’œuvre d’art théorisée par Cesare Brandi ; le premier point de vue
conduisit à exiger la conservation de la matière ancienne comme stratification historique, le second comme support à l’épiphanie de l’image50,
condition indispensable pour assurer potentiellement l’épanouissement
de l’expérience esthétique51.
La charte de Venise adoptée par l’ICOMOS au moment de sa fondation
en 1965, témoigne de la consolidation, voire de la crispation que connaissait
le mouvement patrimonial dans les années 196052. Elle accuse un repli
doctrinal selon Françoise Choay : « son horizon limité et son dogmatisme
la situent singulièrement en retrait au regard des travaux d’Athènes » dont
elle souligne « la démarche ouverte, questionnante et dialectique ». Son
énonciation est en effet beaucoup plus affirmative : les principes de bonne
pratique ont remplacé les constats et les interrogations. Par ailleurs, dans
les cercles officiels de la conservation, elle contribua à liquider l’approche
fonctionnaliste et architectonique de la restauration théorisée par Violletle-Duc un siècle plus tôt, du moins en principe. Car comme le constate
Jokilehto, le mouvement moderne de la conservation est avant tout un
processus intellectuel. Il reconnaît qu’« en même temps, différents types de
conservation ont continué à être pratiqués. La définition et la restauration
du patrimoine culturel, qu’il soit matériel ou immatériel, sont caractérisées
par des jugements de valeur conflictuels53 ». Des conflits qu’assume la
gestion par les valeurs et que l’irruption du patrimoine moderne dans le
champ de la conservation a contribué à exacerber et à réintroduire dans
le débat théorique par la mise en évidence de ses paradoxes.
Hypothèses
Arrivée à ce point, avançons quelques hypothèses dont certaines sont
plus étayées que d’autres vu la maturité de la réflexion et l’étendue de la
recherche qui les fondent. Prenons-en le risque pour apporter un autre
éclairage sur les paradoxes du patrimoine moderne qui n’apparaissent
plus ainsi comme des impasses, mais plutôt des tensions inhérentes au
patrimoine, qu’il soit ancien ou moderne.
Avançons d’abord que le mouvement moderne en conservation n’est
pas un mouvement isolé, autonome : il est inséparable du mouvement
moderne en architecture. L’architecture, comme pratique et discipline,
ne peut être divisée, la création et la conservation étant deux de ses
modalités que la division du travail entérinée par la professionnalisation
des métiers contribuerait à séparer. Au xixe siècle, bien des théoriciens
de l’architecture pensaient indifféremment la conservation et la création.
> 39
La sauvegarde de l’architecture moderne
Cette situation se transforma avec l’irruption des avant-gardes dans les
années 1910 et 1920 et la polarisation entre les adeptes de la création
architecturale et les défenseurs de l’architecture et de la ville anciennes
qui se rencontreraient au sein d’organisations séparées : d’une part, les
CIAM tenus de 1927 à 1959 et, d’autre part, les congrès internationaux
des architectes et des techniciens des monuments historiques, dans la
lignée desquels serait fondé l’ICOMOS en 1964.
Supposons ensuite que, tout comme le mouvement moderne en architecture, le mouvement patrimonial n’est pas un mouvement convergent.
Les tensions entre les adeptes de la restauration stylistique, créative et
ceux de la conservation préventive qui avaient suscité de si vifs débats au
xixe siècle ne se résoudraient pas dans le concept moderne, officiel de la
restauration établi par la Charte de Venise. Le mouvement patrimonial se
module suivant la valeur que ses propagandistes accordent à l’ancien et
au nouveau, à la raison et au sentiment, à la fonctionnalité ou à l’identité,
au changement et à la permanence.
Un auteur fut particulièrement attentif à la nature dialectique du
patrimoine, Aloïs Riegl, l’historien de l’art proche par ses idées des artistes
modernistes. Son intérêt pour l’ornement et pour une esthétique antinaturaliste était en accord avec les vues de ses contemporains aspirant
à un art nouveau à Vienne, tout comme sa conception élargie de l’art
qui le conduisit à multiplier les sujets d’étude en s’intéressant aux arts
décoratifs. Son concept de vouloir d’art (Kunstwollen) venait renforcer la
conviction exprimée par le slogan de la Sécession : « À chaque époque son
art, à chaque époque sa liberté », un propos qu’il tempéra en remarquant
qu’« une époque qui cherche la rédemption esthétique grâce aux arts ne
peut le faire sans les monuments anciens54 ».
Ses responsabilités de président de la Commission des monuments
historiques à la fin de sa carrière le conduisit à expliciter sa compréhension
du monument historique dans un petit ouvrage intitulé Le culte moderne
des monuments, publié en 1903. Après Viollet-le-Duc55, à partir d’un point
de vue néanmoins différent, il y affirma la modernité de la conservation en
déclarant que le monument historique est la forme moderne du monument.
Il analysa la différence qui sépare le monument moderne, historique du
monument traditionnel, commémoratif érigé d’autorité pour transmettre
une mémoire. Pour Reigl, le monument historique n’est pas un legs des
ancêtres porteur d’une sagesse perdue, un passage de témoin entre générations : il est un objet choisi par les contemporains qui l’investissent d’un
sens nouveau56.
40 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
De plus, Riegl reconnut la diversité des lectures du monument moderne
non intentionnel : celle rationnelle de l’expert fondée dans la connaissance
et celle sentimentale du commun des mortels qui s’attache aux signes du
vieillissement des choses pour s’émouvoir du temps qui passe irrémédiablement. Il envisagea cette relation affective au bâti sur le mode esthétique d’une expérience spirituelle subjective et élémentaire inséparable
de celle, contrastée, offerte par la jouissance que procurent les œuvres
nouvelles, impeccables, parfaites. Pour Reigl, les valeurs d’ancienneté et
de nouveauté n’étaient pas antinomiques, elles étaient complémentaires ;
la sensibilité à la valeur d’âge des artefacts anciens dépendait de leur
contraste avec les nouveaux57.
À son époque, la mémoire n’avait pas encore droit de citer dans une
conception du monument historique toujours dominée par la discipline
historique et au service de la construction imaginaire de la Nation, même
si Riegl fit relever la valeur d’ancienneté de la remémoration. Finalement,
constat essentiel pour ceux qui ont à intervenir sur le patrimoine bâti,
Riegl observa la dualité des bâtiments hérités du passé, à la fois, document
historique et construction utile dans le présent, œuvre dont l’appréciation
esthétique est relative au vouloir d’art que partagaient les contemporains.
Ce ne fut que tardivement que les ouvrages d’Aloïs Riegl furent accessibles au lectorat non germanique. La traduction en anglais diffusée en
1982 par Oppositions58 s’inscrivit dans le projet éditorial de réévaluation
critique du modernisme de la revue publiée par l’Institute For Architecture
and Urban Studies, en dévoilant, cette fois, le rapport qui le liait intrinsèquement à la valorisation des œuvres du passé. Dans son introduction
à la publication, l’historien de l’architecture Kurt Foster analysait que la
tradition du nouveau ne se construisait pas pour Riegl sur une dénégation
du passé, mais plutôt sur sa redéfinition. La représentation moderne du
passé supposait son inscription dans une temporalité qui assumait le
changement incessant induit par la destruction continue par les forces de
la nature des choses produites par les hommes. Il observe : « L’expérience
moderne du changement continu, qu’elle soit forgée par l’action de l’homme
ou produite par la lente érosion du temps, amorce le dépassement des
vues positivistes et conduit Riegl à reconnaître un changement radical
dans la perception du passé : toute chose appartient au passé, même les
récentes et la valeur ultime des artefacts humains est leur valeur d’âge59. »
Dans un tel constat, nous trouvons une piste pour comprendre la
patrimonialisation de l’architecture moderne, dont la nouveauté n’a
été somme toute que passagère, et finalement rapidement dépassée :
l’avant-garde succédant à l’avant-garde. Elle nécessite donc rapidement
une prise en charge par l’histoire, ce qui fut fait presque instantanément
> 41
La sauvegarde de l’architecture moderne
avec les premières histoires de l’architecture moderne écrites dans les
années 1930, voire un investissement mémoriel. L’appréciation positive
donnée par Riegl de la décrépitude ne découle d’aucune nostalgie, tout
comme sa valorisation du nouveau d’aucune utopie, mais d’un sens aigu
de la nécessité historique sans autant postuler la fin de l’histoire. La représentation du temps qu’avance Riegl relève moins du futurisme que du
présentisme, deux rapports au temps et au devenir qui coexistaient dans
la modernité depuis le milieu du xixe siècle, jusqu’à tout récemment60. Au
xxe siècle, les profonds traumatismes engendrés par la fureur destructrice
des guerres démultipliée par la puissance de leur support technologique
et ceux, physiquement moins traumatisants, mais socialement et culturellement très perturbants, induits par la destruction des villes historiques,
ont contribué à disqualifier la conception téléologique du temps au profit
de la seconde.
Malgré sa concision, Le culte moderne des monuments est un texte clé de
la théorie de l’architecture. Aloïs Riegl est un auteur d’une grande actualité
au moment où la gestion par les valeurs qui met l’accent sur la dimension
symbolique, immatérielle du patrimoine, a été adoptée par la plupart des
administrations au Canada. Nous apprécions Riegl pour sa conception
tendue, dialectique, paradoxale du patrimoine. Nous y trouvons un guide
pour la restauration non pas sous la forme de principes à appliquer (Le culte
moderne des monuments n’est pas une charte), mais plutôt d’une manière
de penser et de faire où le jugement joue un rôle central. L’architecte
historienne Hilde Heynen, une proche de Docomomo International61, a
bien analysé la manière dont l’ambivalence de la modernité se traduit
dans la pratique et la forme de l’architecture, des avant-gardes héroïques
à Rem Koolhass. À la suite de Marshall Berman, elle souligna le caractère
intrinsèquement contradictoire de la modernité qui oscille entre la lutte
pour le développement et la nostalgie et qui est irrémédiablement perdue
entre une forte orientation vers le futur et une sensibilité aiguë pour
l’éphémère et le transitoire. Elle distingua deux concepts de modernité, la
programmatique et la transitoire. Le concept programmatique considère
la modernité comme un projet visant à la libération et l’émancipation de
l’humanité, alors que le concept transitoire met plutôt l’accent sur les
aspects fugitifs de la réalité moderne et débranche le changement continu
de la poursuite consciente du progrès62. Nous avancerons l’hypothèse que
l’émergence du patrimoine moderne est liée à la conception baudelairienne
de la modernité jointe au transitoire, fugitif, contingent.
Pour terminer, revenons à Aloïs Riegl. Préface à une proposition de
loi pour la protection des monuments historiques, Le culte moderne des
monuments contient des considérations utiles pour la pratique. Son ouvrage
42 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
est un guide pour l’action, un pilote pour ceux qui ont à intervenir sur le
bâti ancien. L’intervention sur le patrimoine est une tâche difficile, car
les attentes des utilisateurs, qu’ils soient contemplatifs ou actifs, sont
variables suivant les valeurs qu’ils y investissent, suivant qu’ils y voient un
document de l’histoire, témoin d’événements passés, une œuvre d’art, un
objet utile, voire rentable ou encore un lieu de mémoire. L’authenticité du
patrimoine n’est pas une qualité de l’objet, mais le résultat d’un jugement,
de la manière dont nous arbitrons le conflit de valeurs qu’il suscite dans
le cadre de rapports de pouvoir fondé sur la connaissance, l’autorité63.
Notes
1.
Une telle réflexion fut amorcée voilà une dizaine d’années en marge des activités
de Docomomo International et en vue de la conférence annuelle de la Society of
Architectural Historians (SAH) tenue en 2003, où une séance présidée par l’historienne de l’architecture Maristella Casciato, alors présidente de Docomomo
International, était consacrée à la nature du « monument moderne ». Les textes
des communications sont publiés dans Casciato, M. (dir.) (2004). « Modern
Monumentality », The Journal of Architecture, vol. 9, no 2, été, p. 151-218. Plus
récemment, elle donna lieu à une exploration du concept d’authenticité, central en
conservation, en collaboration avec Céline Poisson, collègue à l’École de design, en
prenant appui sur la sémiologie piercéenne. Cette investigation avait pour contexte
les échanges favorisés par la création de l’Institut du patrimoine de l’Université
du Québec à Montréal (UQAM), qui ont révélé une convergence d’intérêts entre
les professeurs intéressés par la conservation de l’art contemporain et ceux
concernés par le patrimoine moderne. Elle nourrit une journée d’étude organisée
en 2007 et dont les actes sont publiés : Couture, F. et F. Vanlaethem (dir.) (2010).
Conservation de l’art contemporain et de l’architecture moderne. L’authenticité en
question, Québec, Éditions MultiMondes.
2.
Cette date resta une limite jusqu’au début des années 1980. Binney, M. (1988).
« La protection du patrimoine du xxe siècle en Grande-Bretagne », dans Direction
du patrimoine, Les enjeux du patrimoine du xxe siècle. Colloque tenu au couvent
de La Tourette, Eveux, les 12 et 13 juin 1987, Paris, ministère de la Culture et des
Communications, p. 46-47.
3.
Toulier, B. (1999). Mille monuments du xxe siècle en France, Paris, Éditions du patrimoine, p. 15-18.
4.
Conseil de l’Europe (1989). Patrimoine architectural du xxe siècle : stratégie
de conservation et mise en valeur. Actes du colloque organisé par le Conseil
de l’Europe avec le ministère autrichien des Sciences et de la Recherche et le
Bundesdenkmalamt, Vienne (Autriche), 11-13 décembre 1989, <http://www.coe.
int/t/dg4/cultureheritage/heritage/resources/Publications/Pat_PA_29_fr.pdf>,
consulté le 10 octobre 2011.
5.
Comme le précise le titre de son premier bulletin : Working-Party for Documentation
and Restoration of Early Modern Architecture (1989). Newsletter, vol. 1, août, p. 1.
6.
Comme le mentionne la première appellation de l’organisation, International
Working-Party for Documentation and Restauration of Early Modern Architecture,
tel que précisé dans ibid., p. 1.
7.
Tafuri, M. et F. Dal Co (1982). Architecture contemporaine, Paris, Berger-Levrault, p. 9.
> 43
La sauvegarde de l’architecture moderne
8.
Tafuri, M. (1976). Théories et histoire de l’architecture, Paris, Éditions Sadg, p. 9.
9.
La maison d’Ernest Cormier (classée en 1974), le cinéma Le Château (cité en 1991,
classé en 2002), la cathédrale Christ-Roi à Gaspé (classée en 2012, reconnue en
2001), l’édifice des Chevaliers de Colomb à Saint-Casimir (cité en 2009), l’église
Saint-Marc à Saguenay (classée en 2009), l’église Sainte-Marguerite-Marie à Magog
(citée en 2008), Habitat 67 à Montréal (classé en 2009, cité en 2007), le mausolée
des Évêques-de-Trois-Rivières (classé en 2009, cité en 2007), la station-service de
l’île des Sœurs à Montréal (citée en 2009), l’édifice Hameau à Trois-Rivières (cité
en 2012), la chapelle de l’Oratoire-Saint-Joseph à Saguenay (classée en 2012).
10. « Site du patrimoine de l’Île-Sainte-Hélène », Répertoire du patrimoine
culturel du Québec, ministère de la Culture et des Communications, <http://
www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do ?methode=consulter&id=118261&type=bien#.UmFRIdJSiQ0>, consulté le 11 octobre 2011.
11. La capitale Brasilia dès 1987, l’école du Bauhaus à Weimar et Dessau en 1996, la
Rietveld Schröderhuis à Utrecht, la Cité universitaire de Caracas et les habitations
majeures de Victor Horta, tous en 2000, la maison Tugenhadt à Brno en 2001, la
ville blanche de Tel Aviv en 2003, la maison-atelier de l’architecte Luis Barragán
à Mexico en 2004, Le Havre, ville reconstruite en 2005. « Liste du patrimoine
mondial », UNESCO, <http://whc.unesco.org/fr/list/>, consulté le 11 octobre 2010.
12. Backer, A. M., D. Laine Camp et M. Dicke (dir.) (2005). Van Nelle : Monument in
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History and Restoration of the Villa Jeanneret-Perret 1912-2005, Bâle, Birkhauser
Verlag ; Kentgens-Craig, M. (dir.) (1998). The Dessau Bauhaus Building 1926-1999,
Bâle, Birhäuser. La valeur de telles interventions a été louangée internationalement. Décerné pour la première fois en 2008, le World Monuments Fund/Knoll
Modernism Prize récompensa la restauration exemplaire de l’école des syndicats
ADGB construite en 1930, à Bernau, en Allemagne, par le directeur du Bauhaus,
l’architecte Hannes Meyer.
13. (1997). « Le béton et les monuments historiques », Monumental, no 16, mars,
p. 4-92.
14. « Publications and Shop », Docomomo International, <http://www.docomomo.com/
shop/>, consulté le 10 août 2012. En 1991, l’Association pour la préservation et
ses techniques publiait une première livraison de son bulletin sur le sujet de la
préservation du nouveau : Jackson, M. (dir.) (1991). « Preserving what’s new », APT
Bulletin, vol. 23, no 2, p. 3-53.
15. Vanlaethem, F., en collaboration avec J. Ashby, R. Lemon et S. Mannell (2008). « La
conservation du moderne au Canada », Docomomo Journal, numéro spécial, p. 6-10.
16. Brunelle, S. et F. Vanlaethem (dir.) (2005). Comment nommer le patrimoine quand
le passé n’est plus ancien ?, Document de réflexion sur le patrimoine moderne,
Québec, CBCQ, <http://biens-culturels.o2web.ws/fileadmin/user_upload/docs/
Patrimoine_moderne.pdf>, consulté le 11 octobre 2010.
17. D’abord introduite sous l’appellation de « patrimoine moderne », celle-ci fut
remplacée par la suite par « patrimoine de la modernité ». Outre ceux des autochtones et de la Nouvelle-France, les quatre autres thèmes sont : le patrimoine agricole, le patrimoine religieux, le patrimoine maritime et fluvial et le patrimoine
industriel. Répertoire du patrimoine culturel du Québec, ministère de la Culture et
des Communications, <http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/accueil.
do ?methode=afficher>, consulté le 2 octobre 2010.
44 <
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La sauvegarde de l’architecture moderne
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de la Villette, p. 43-48.
38. Le texte de la conférence n’est pas publié dans les actes de la conférence. Van d
en
Heuvel, D. et al. (dir.) (2008). Proceedings of the 10th International Docomomo
Conference. The Challenge of Change, Dealing with the Legacy of the Modern
Movement, Amsterdam, IOS Press. Nous y faisons référence à partir de nos notes.
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42. Kopp, A. (1975). Changer la vie, changer la ville. De la vie nouvelle aux problèmes
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46. Giovannoni, G. (2002). « Les moyens modernes de construction appliqués à la
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conservation artistique et historique des monuments (1931), Paris, Les Éditions de
l’Imprimeur, p. 87-89.
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48. Choay, F. (1992). L’allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, p. 151.
49. Ibid., p. 127.
50. Brunel, G. (2001). « La matière et l’image », dans C. Brandi (dir.), Théorie de la restauration, Paris, Centre des Monuments nationaux/Monum, Éditions du patrimoine, p. 14.
51. Étant donné le contexte de son élaboration, le réseau des institutions internationales mis en place après la fureur des deux grandes guerres, il n’est pas étonnant
que la charte de Venise aborde de biais la question de l’identité qui était au cœur
de la construction patrimoniale depuis le xixe siècle, faisant de l’attachement populaire un garant de pérennité bien plus qu’un sédiment de la construction nationale,
tout en proclamant la portée universelle de l’héritage.
46 <
L’inattendue patrimonialisation de l’architecture moderne : quelques hypothèses
52. Françoise Choay considère que la charte de Venise est plus limitée et plus dogmatique que les conclusions formulées à Athènes, une trentaine d’années plus tôt.
Choay, F. (2002). « Introduction », La Conférence d’Athènes sur la conservation artistique et historique des monuments (1931), Paris, Les Éditions de l’Imprimeur, p. 19.
53. Jokilehto, J., op. cit., p. 18.
54. Iverseen, M. (1993). Aloïs Riegl : Art History and Theory, Cambridge, MIT Press, p. 21.
55. Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc commence son article sur la restauration en
affirmant : « Le mot et la chose sont modernes. » Boudon, P. et P. Deshayes (1979).
Viollet-le-Duc. Le Dictionnaire d’architecture. Relevés et observations, Bruxelles,
Mardaga, p. 230.
56. Riegl, A. (1984). Le culte moderne des monuments. Son essence et sa genèse, Paris,
Seuil, p. 43.
57. Colquhoun, A. (1982). « Thoughts on Riegl », Oppositions, no 25, automne, p. 79-83.
58. Riegl, A. (1982). « The modern cult of monuments : Its character and its origin »,
Oppositions, no 25, automne, p. 21-51.
59. Foster, K. W. (1982). « Monument/Memory and the mortality of architecture »,
Oppositions, no 25, automne, p. 2-19 ; traduction libre.
60. Hartog, F. (2003). Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris,
Seuil, p. 163.
61. Elle a publié : Henket, H.-J. et H. Heynen (dir.) (2002). Back from Utopia. The
Challenge of the Modern Movement, Rotterdam, 010 Publishers.
62. Heynen, H. (1998). « Transitoriness of modern architecture », dans A. Cunningham
(dir.), Modern Movement Heritage, Londres, E & FN Spon, p. 31.
63. Nous avons avancé cette thèse dans : Poisson, C. et F. Vanlaethem (2010). « Limites
des conceptions exclusives de l’authenticité », dans F. Couture et F. Vanlaethem
(dir.), Conservation de l’art contemporain et de l’architecture moderne. L’authenticité
en question, Québec, Éditions MultiMondes, p. 75-88 ; Vanlaethem, F., en collaboration avec C. Poisson (2010). « La patrimonialisation de l’architecture moderne et
la production de signes “authentiques” », dans F. Couture et F. Vanlaethem (dir.),
Conservation de l’art contemporain et de l’architecture moderne. L’authenticité en
question, Québec, Éditions MultiMondes, p. 137-158.
> 47
La sauvegarde
de l’architecture
moderne
L’
avenir du patrimoine moderne est incertain malgré les avancées
faites dans ce domaine depuis une vingtaine d’années. Restaurés
avec le plus grand soin, comme si rien ne s’était passé depuis leur
livraison, quand il s’agit des grandes œuvres du mouvement moderne,
des édifices et des ensembles urbains ordinaires du milieu du xxe siècle
sont trop souvent méprisés, sinon maltraités, même s’ils ne sont pas sans
qualités. En conviant une trentaine d’auteurs, gestionnaires, praticiens et
chercheurs à faire part de leurs expériences et de leurs expertises en matière
de documentation, de protection, de conservation et de mise en valeur de
l’architecture novatrice du xxe siècle, cet ouvrage propose un bilan sur
l’état de la question au Québec, au Canada et ailleurs. Il s’inscrit dans la
foulée du colloque international organisé fin 2010 par l’École de design
et l’Institut du patrimoine de l’Université du Québec à Montréal.
France Vanlaethem
Professeure émérite de l’École de design à l’Université du Québec à
Montréal, France Vanlaethem est présidente-fondatrice de Docomomo
Québec. Ses intérêts de recherche portent sur l’histoire et la conservation
de l’architecture moderne, des sujets qu’elle a abordés dans de nombreuses
publications.
PUQ.CA
ISBN 978-2-7605-3467-4
Marie-Josée Therrien est professeure agrégée au Ontario College of Art and
Design University depuis 2001. Historienne de l’architecture et membre
de Docomomo Québec, ses recherches portent sur l’architecture moderne
au Canada et sur la culture de l’automobile.
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Marie-Josée Therrien
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