vous connaissez?

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LAIT
L'écornage génétique,
vous connaissez?
On connaît l'écornage chimique à l'aide de produits caustiques, l'écornage thermique au fer
chauffé au rouge et l'écornage mécanique au moyen d'outils comme des pinces, des cuillères
spéciales, des tronçonneuses ou la bonne vieille scie fil. Mais connaissez-vous l'écornage
génétique? C'est une méthode miracle : les veaux naissent sans cornes! Écornons la question.
Texte et photos d'Étienne Gosselin, agronome, M. Sc.
ans blague, on appelle animaux «acères»
les bovins génétiquem ent dépourvus de
cornes. Et rien de nouveau sous le so lei l :
selon le Réseau laitier canadien, le gène
acère (polled, en ang lais) est connu depuis
plus de 70 ans. Très populaire chez les bovins
de boucherie - la majorité des taureaux du
Centre d'insémination artific iell e du Québec
sont acères, d'après le coordonnateur de ce
secteur au CIAQ, Pierre Desranleau -, le gène
acère tarde à percer dans la production laitière
nord-américaine, alors qu'il est plus courant en
Europe. Des consommateurs, des organismes de
réglementation, des lobbys et des politiciens plus
sensibles au sort des animaux d'élevage, voilà
ce qui expliquerait la popularité des animaux
acères sur le Vieux Continent.
Si l'enfer c'est les cornes chez un bovin , c'est
parce que ces défenses naturelles, dans un environnement d'élevage, sont dangereuses et peuvent
nuire à la santé et à la sécurité des congénères, de
l'animal lui-même et du producteur. On écorne
donc les bêtes par la destruction des bourgeons
(ou cornillons) chez les veaux et par l'ablation des
cornes chez les adultes. L'ennui: l'écornage est
source de stress pour les veaux, d'où les protestations pour faire cesser cette pratique habituellement effectuée lorsque les veaux ont moins de
quatre semaines.
MAR S 2014
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Le Coopérateur agricole
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UNE BIEN-ÊTRE DE BONNE IDÉE
On constate un regain d'intérêt
envers le gène acère ces derniers
temps, en raison de deux nouveaux
tests d'ADN plus précis que l'ancien.
Ces tests facilitent la sélection des
individus porteurs d'un ou des deux
allèles acères (hétérozygote et
homozygote, respectivement).
La première chose que veut
savoir Jonathan lampron
quand un veau naît, ce n'est
pas le sexe de l'animal, mais
s'il porte ou non des bourgeons
annonciateurs de cornes !
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Félix LeMay approche le fer chaud et l'applique
sur la racine de la corne, brûlant au passage les
poils qui l'entourent. Le veau, envoyé dans les
vapes par Félix quelques minutes auparavant au
moyen d'anesthésiants général et local, pousse
à peine un petit beuglement, probablement plus
de peur que de douleur. Il faut savoir que bien des
producteurs réalisent l'intervention à froid ... Puis,
l'odeur de peau et de poils brûlés emplit désagréablement les narines. Quarante secondes plus
tard, tout est terminé. Les yeux vitreux, le veau
mettra 24 heures à se remettre de l'anesthésie et
recommencera à s'alimenter graduellement. Au
bout de quelques jours, l'expérience sera chose
du passé, suppose Félix, médecin vétérinaire de
métier et producteur laitier de profession, capable
d'écorner des veaux au rythme de 35 à l'heure.
L'homme de la Ferme du Doc, à SainteCroix, est l'un des premiers et des plus ardents
promoteurs du gène acère au Québec. Éleveur
de Holstein noir et blanc d'abord et avant tout,
Félix élève aussi des Canadienne et des Holstein
rouge et blanc. «J'ai horreur d'êt re à la mode! Je
cherchais une autre façon de me démarquer», se
justifie l'éleveur. Depuis 2003, Félix élève donc des
mâles et des femelles acères. «En lO ans, je suis
passé de fou à génie! Si c'est devenu la norme dans
le bovin de boucherie, je ne verrais pas pourquoi il en serait autrement dans le laitier. C'est
Le Coopérateur agricole 1MARS 2014
l'avenir! >> juge l'homme de 41 ans, qui a redémarré
l'entreprise familiale en 1998 avec 18 kg de quota et
39 têtes, et qui en possède maintenant 300. Cette
année, le tiers des veaux Du Doc seront porteurs
du gène acère. Le sixième du troupeau est déjà
porteur du gène d'intérêt.
Le hic concernant le gène acère : le pool génétique de géniteurs à hauts indices génétiques est
plutôt restreint. L'étoile acère du CIAQ (Semex) en
2013, le taureau Pine-Tree Overtime P-ET, proposé
dans la gamme des taureaux Génomax, offre un
indice de profit à vie génomique (IPVG) de+ 2922
points , plus faible que la moyenne des autres
tau reaux Génomax, qui était de+ 3207 en janvier
dernier. En fait, Overtime n'est, au moment de
mettre sous presse, que le 136" taureau quant à
son IPVG ...
Comme Félix LeMay, Jonathan Lampron,
éleveur de Sainte-Séraphine (entre Victoriaville
et Drummondville), a introduit le caractère acère
dans ses familles de vaches. Le but de l'opération :
offrir une plus-value aux animaux de haute
génétique qu'il commerce. Ses clientèles cibles:
les fermes états-uniennes de centaines ou de milliers de vaches- pour qui l'écornage devient une
lourde tâche-, les éleveurs européens désireux de
sang neuf acère et les éleveurs, surtout québécois,
qui comme lui veulent profiter de ce marché de créneau, qui pourrait ne plus être si restreint en cas
d'engouement pour ce caractère.
Jonathan Lampron juge que la perte de productivité actuelle de sa ferme, Alampco Holstein,
par la sélection de taureaux acères moins performants (70% de ses inséminations cette année
comprennent le caractère) est compensée par
l'augmentation du prix actuel et projeté des doses,
des embryons et des sujets vivants sans cornes.
Une corne d'abondance! En outre, selon lui, le
gène acère est un argument de vente de plus pour
le vendeur de génétique laitière, un peu comme
le volant en cuir ou la caméra de recul pour les
vendeurs d'autos!
Aussi bien chez Félix que chez Jonathan , la
stratégie d'absorption du gène n'est pas jusqu'auboutiste : on préfère viser l'hétérozygotie plutôt
qu'une homozygotie compromettant les gains
génétiques pour d'autres caractères d'importance
(production, gras, protéine, conformation des
pattes et du pis, etc.). Autrement dit, on croisera
une vache cornue à haute valeur génétique avec
un taureau sans cornes génétiquement moins
fort , ou l'inverse, mais pas nécessairement un
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Pendant ce temps, dans le bœuf
Les producteurs de bovins de boucherie sont peu nombreux à utiliser l'insémination artificielle (5 %), mais ceux qui profitent
de cette méthode peuvent compter sur des taureaux en majorité sans cornes chez Semex. Les races dites anglaises, comme
l'Angus, ont depuis longtemps absorbé le gène acère, mais pour d'autres races, telle la Simmental, les éleveurs n'exigent pas
toujours des reproducteurs acères, révèle Pierre Desranleau, coordon'!ateur du secteur des bovins de boucherie au CIAQ. Ce dernier
rappelle en outre que le mode d'expression du gène est mal compris des producteurs commerciaux, qui choisissent souvent
des taureaux acères au détriment d'autres caractères plus importants, comme le gain de poids. Étant donné que le gène acère
s'exprime d'une manière dominante, nul besoin que père et mère soient porteurs pour que les rejetons soient génétiquement
dépourvus de cornes. Par exemple, il vaudrait mieux utiliser le meilleur taureau possible- cornu ou pas- sur une femelle acère
croisée Angus XHereford. Invariablement, le veau à naître aura le crâne lisse toute sa (courte) vie.
mâle acère avec une femelle acère pour donner
des sujets débarrassés à tout jamais de cornes
(homozygotes). Ce faisant, Jonathan et Félix ne
peuvent espérer plus de 50% de veaux acères de
la part de leurs femelles. L'absorption du caractère progresse donc moins rapidement, mais on
ne sacrifie pas production et conformation sur
l'autel de la génétique acère. Jonathan Lampron,
qui a commencé des croisements acères il y a six
ans, espère posséder un troupeau lOO% acère
d'ici cinq à dix ans.
Déjà, nos deux éleveurs vendent aussi bien
des embryons que des taureaux acères: Alampco
Shanosber (IPV + 2655), commercialisé par TransAmerica Genetics, s'est vendu à 4000 doses au
Canada, aux États-Unis et en Europe. Du côté
de DuDoc, Félix LeMay vend entre cinq et dix
taureaux d'étable acères par année et il a déjà
réussi à placer cinq taureaux sans cornes dans
des centres d'insémination. Sa meilleure vache
acère, Épilepsie, TB-87, a une mirobolante MCR de
425-570-445! On vient aussi de la sacrer meilleure
productrice au Canada dans la catégorie Trois ans!
En conclusion, avec les cornes en moins pour
les générations à venir, c'est peut-être l'image traditionnelle, voire folklorique des bovins cornus
qui changera, pour celle d'un animal naturellement acère, mieux adapté à un environnement
confiné. Mais heureusement, même sans cornes,
les bovins gardent tout leur panache! ..,.
Les vétérinaires recommandent de pratiquer l'ablation du cornillon dans la première semaine
suivant la naissance de l'animal. De nombreux producteurs laitiers choisissent même d'écorner
à la naissance de l'animal, en même temps que les autres traitements post-partum.
Médecin vétérinaire et
producteur laitier, Félix Le May
sait écorner, mais il préfère éviter
cette pratique en élevant des bêtes
acères. Le sixième de son troupeau
Du Doc est déjà porteur du gène.
MARS 2014
1Le Coopérateur agricole
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Prenons le taureau
par les cornes !
Br ur
Interview avec Mario Séguin, agronome, directeur adjoint de la mise
en marché et de la génétique, CIAQ
pro
par
les
Le Coopérateur agricole Quelle proportion des taureaux du CIAQ/Semex sont acères?
Mario Séguin Moins de 1%. Nous comptons une douzaine de taureaux Holstein et six taureaux Jersey
dans nos étables. C'est peu, mais beaucoup plus que dans les décennies précédentes, lorsqu'il
pouvait n'y avoir un taureau acère disponible qu'occasionnellement! La génomique a permis de
trouver de meilleurs jeunes taureaux acères et favorise le développement de ce créneau.
ma
Con~
Prod
LaC
brun
Pas
Pourquoi n'y a-t-il pas plus de taureaux acères de haute génétique dans l'offre de Semex?
L'intérêt pour le gène découle principalement de la préoccupation du consommateur quant au
bien-être animal et au stress engendré par l'écornage des veaux. Comme cet intérêt est moins
grand en Amérique du Nord qu'en Europe, la sélection ne tend pas beaucoup vers ce caractère.
Il faut dire qu'il n'y a encore jamais eu de taureau éprouvé vedette porteur du gène jusqu'à présent, taureau qui pourrait favoriser la propagation du gène. Nous nous efforçons d'y remédier
en passant des contrats avec des fermes pour encourager l'obtention de haute génétique laitière
acère. Nous continuerons donc à offrir de nouveaux jeunes taureaux acères, mais le nombre
demeurera limité, puisque le marché actuel ne fait que très peu de compromis sur les indices
pour sélectionner le gène acère.
Boule de cristal: à quand des taureaux acères en majorité ou en totalité au CIAQ?
On parle de décennies. Actuellement, d'autres critères priment, comme la production, la durée
de vie, la santé et la fertilité, critères qui ont un impact sur la rentabilité. [il
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Le Coopérateur agricole
1MARS 2014
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