LE THÉORÈME DE TATE EN CARACTÉRISTIQUE POSITIVE
(D’APRÈS A.J. DE JONG)
O. BRINON
Table des matières
1. Introduction 1
2. Réductions 2
3. Compléments et anneaux auxiliaires 4
4. La filtration par les pentes 11
5. Descente de Γcà Ω et preuve du théorème 2.7 13
Références 15
1. Introduction
Soient pun nombre premier, Sun schéma connexe normal et η= Spec Kson point générique.
On s’interesse à la pleine fidélité du foncteur de restriction
BT(S)BT(η)
(ou BT(S) est la catégorie des groupes p-divisibles sur S), ie. étant donnés G,Hdeux groupes
p-divisibles sur S, de fibres génériques Gηet Hη, à la bijectivité de
() HomS(G, H)Homη(Gη, Hη).
Tate a montré ([13, Theorem 4]) que cette application est un isomorphisme lorsque Kest de
caractéristique 0. L’objet de cet exposé est d’expliquer la preuve, due à J. de Jong, de l’analogue
en caractéristique p.
Théorème 1.1. (de Jong, [7, Corollary 1.2]). Si Kest de caractéristique p, l’homomorphisme ()
est un isomorphisme.
Parmi les conséquences de cet énoncé, on a
Théorème 1.2. (Critère de bonne réduction, cf. [7, 1.2]). Soient Run anneau de valuation discrète
hensélien de caractéristique p, de corps des fractions K, et Aune variété abélienne sur K, de groupe
p-divisible G. Alors Aa bonne réduction (resp. réduction semi-stable) si et seulement si Gaussi.
Théorème 1.3. ([7, Theorem 2.6]). Soient Fun corps de type fini sur Fpet A,Bdes variétés
abéliennes sur F. Alors
Hom(A, B)ZZpHom A[p], B[p].
On montre (proposition 2.1) que pour prouver le théorème 1.1, il suffit de savoir traiter le cas
S= Spec R, avec R=kJtK, où kest un corps algébriquement clos. Supposons donc, pour le reste
de cette introduction, que S= Spec R, où Rest un anneau de valuation discrète de caractéristique
p. On note σle morphisme de Frobenius de S. On voit Scomme un Zp-schéma, l’idéal pZpétant
muni de ses puissances divisées canoniques. On note alors Scris le site cristallin de Srelativement
àZp, et OS/ Zple faisceau canonique sur Scris.
Date: 20 mars 2006.
1
2 O. BRINON
Définition 1.4. (cf. [1, Définition 4.4.1]). Rappelons qu’un F-cristal sur S(relativement à Zp)
est un OS/ Zp-Module localement libre de rang fini Msur Scris muni d’un morphisme de OS/ Zp-
Modules
FM:σM=MσOS/ ZpOS/ ZpM.
Un F-cristal est non-dégénéré s’il existe nNet un morphisme de OS/ Zp-Modules V:MσM
tels que V F =pnId. Un morphisme de F-cristaux (non-dégénérés) est un morphisme entre les
Modules sous-jacents qui commute aux Frobenius. On obtient ainsi une catégorie Zp-linéaire, notée
F-cris(S) (resp. F-cris+(S)).
Notons j:ηSl’immersion ouverte. On dispose du foncteur de localisation :
j:F-cris+(S)F-cris+(η).
Grâce au foncteur de Dieudonné, on montre (cf. proposition 2.3) que le théorème 1.1 découle de
l’énoncé suivant.
Théorème 1.5. (de Jong, [7, Theorem 1.1]). Si Radmet une p-base, alors jest pleinement
fidèle.
Comme il a été dit plus haut, on a en fait seulement besoin du cas R=kJtK, où kest un corps
algébriquement clos. De toutes façons, pour prouver le théorème 1.5, on se ramène aussi à ce cas
(proposition 2.5).
2. Réductions
Proposition 2.1. (cf. [1, 4.1]). Pour prouver le théorème 1.1, il suffit de traiter le cas S=
Spec kJtK, où kest un corps algébriquement clos.
Démonstration. Pour nN>0, soient Gnet Hnles noyaux de la multiplication par pndans Get
Hrespectivement. Quitte à considérer un recouvrement affine {Uα}de Set à restreindre Gnet
Hnà chacun des Uα, on peut supposer que Sest affine : S= Spec R.
Lemme 2.2. Soient e
Rune R-algèbre et (Ri)iIune famille de sous-R-algèbres de e
R. On suppose
que pour tout iI, les applications RRiet Rie
Rsont injectives, et que T
iI
Ri=Rdans e
R.
Alors HomR(Gn, Hn) = T
iI
HomRi(Gn Ri, Hn Ri)dans Home
R(Gne
R, Hne
R).
Démonstration. Soient Anet Bnles algèbres affines de Gnet Hnrespectivement. On a alors
HomR(Gn, Hn)HomR-Hopf (Bn, An) (morphismes d’anneaux compatibles aux comultiplications
de Bndans An). Par ailleurs, les R-algèbres Anet Bnsont localement libres : pour tout iI, on
a les inclusions AnAnRRiAnRe
Ret BnBnRRiBnRe
R, et donc les inclusions
HomR-Hopf (Bn, An)HomRi-Hopf (BnRRi, AnRRi)Home
R-Hopf (BnRe
R, AnRe
R),
les éléments de HomR-Hopf (Bn, An) (resp. HomRi-Hopf (BnRRi, AnRRi)) étant ceux qui en-
voient Bndans An(resp. BnRRidans AnRRi). En particulier, on a HomR-Hopf (Bn, An)
T
iI
HomRi-Hopf (BnRRi, AnRRi) dans Home
R-Hopf (BnRe
R, AnRe
R). Réciproquement, si
fT
iI
HomRi-Hopf (BnRRi, AnRRi) dans Home
R-Hopf (BnRe
R, AnRe
R), alors fenvoie Bn
dans T
iI
AnRRi=AnRT
iI
Ri(par platitude de Ansur R) ie. dans An.
On se ramène alors au cas Rest un anneau de valuation discrète complet, à corps résiduel
algébriquement clos. En effet, l’anneau Rétant normal, on a R=T
p
Rp, où pparcourt l’ensemble
des idéaux premiers de hauteur 1 de R. Grâce au lemme 2.2, on peut donc déjà supposer Rlocal.
Dans ce cas, il existe une extension Rde R, qui est un anneau de valuation discrète complet, à
corps résiduel algébriquement clos, et tel que R=RK. En effet, si kest le corps résiduel de R
et kune clôture algébrique de k, on peut prendre R=kb
kb
R, où b
Rest le complété de l’anneau
local R. On applique alors de nouveau le lemme 2.2.
LE THÉORÈME DE TATE EN CARACTÉRISTIQUE POSITIVE (D’APRÈS A.J. DE JONG) 3
Notons BT(S) la catégorie des groupes p-divisibles (= de Barsotti-Tate) sur S. Rappelons (cf.
[2]) qu’on dispose du foncteur de Dieudonné :
D:BT(S)F-cris(S).
Il commute aux changements de base, et si GBT(S), le faisceau de OS/ Zp-modules sous-jacent
àD(G) est localement libre de rang la hauteur de G.
Proposition 2.3. Le théorème 1.5 implique le théorème 1.1.
Démonstration. D’après la proposition 2.1, il suffit de traiter le cas S= Spec Ravec R=kJtK, où
kest un corps algébriquement clos. Le foncteur de Dieudonné est alors pleinement fidèle sur Set
sur ηd’après [3, Théorème 4.1.1], car Rest normal et admet une p-base. Si G, H BT(S), on a
donc le diagramme
HomS(G, H)
()
//HomF-cris(S)(D(H),D(G))
HomF-cris(η)(jD(H), jD(G))
Homη(Gη, Hη)//HomF-cris(η)(D(Hη),D(Gη))
les flèches horizontales sont des isomorphismes. Par ailleurs, les applications
HomF-cris+(S)(D(H),D(G)) HomF-cris+(η)(jD(H), jD(G))
et HomF-cris+(η)(jD(H), jD(G)) HomF-cris+(η)(D(Hη),D(Gη))
sont des isomorphismes par pleine fidélité de jet commutation de Daux changements de base
respectivement. La proposition en résulte.
Dans le cas où la base est affine et admet une p-base, les F-cristaux ont une description terre
à terre, donnée par la proposition suivante.
Proposition 2.4. (cf. [3, Proposition 1.3.3]). Soient Aun anneau de caractéristique padmettant
une p-base, et (A, σ)un relèvement de A, ie. un anneau de caractéristique 0, séparé et complet
pour la topologie p-adique tel que A/pAA, muni d’un morphisme d’anneaux σ:AA
relevant le Frobenius sur A(il en existe toujours en vertu de [3, Proposition 1.1.7 & Corollaire
1.2.7]). Alors la catégorie des (F-)cristaux sur Spec A(relativement à Spec Zp) est équivalente
à la catégorie des A-modules (localement libres) séparés et complets, munis d’une connexion
intégrable topologiquement quasi-nilpotente (et d’un opérateur de Frobenius Fqui est σ-linéaire et
horizontal).
Proposition 2.5. (cf. [7, 3]). Pour prouver le théorème 1.5, il suffit de traiter le cas R=kJtK,
kest un corps algébriquement clos.
Démonstration. (cf. preuve de la proposition 2.1). Soit Run anneau de valuation discrète de
caractéristique pqui admet une p-base. Soit Rune extension de R, qui est un anneau de valuation
discrète complet, à corps résiduel kalgébriquement clos, et tel que R=RK. On a R=kJtK,
test une uniformisante de R. Posons S= Spec R. Comme Ret Ront une p-base, il existe des
relèvements (Ω, σ) et (Ω, σ) de (R, σ) et (R, σ) respectivement, ainsi qu’un relèvement
de RR. Les structures de Frobenius ne sont pas supposées être compatibles a priori. D’après la
proposition 2.4, la donnée d’un F-cristal Msur Séquivaut à la donnée d’un triplet M= (M, F, )
Mest un Ω-module muni d’un endomorphisme (de Frobenius) σ-linéaire F:MMet d’une
connexion :MMΩ d ttopologiquement quasi-nilpotente. Le F-cristal MRcorrespond
alors au triplet M= (M, F ,) où est déduit de , et Fde Fet (on a pas supposé
compatible à σet σ).
Notons Γ, Γles complétés pour la topologie p-adique de Ω[t1] et Ω[t1] respectivement.
Alors, toujours en vertu de la proposition 2.4, les F-cristaux Mηet Mηcorrespondent à MΓ =
(MΓ, F σ, ∇ ⊗ 1 + 1 d) et à MΓ = (MΓ, F σ, ∇ ⊗ 1 + 1 d) respectivement.
4 O. BRINON
Soient maintenant M1et M2deux F-cristaux sur S. Avec les notations qui précèdent, il s’agit
de voir que l’application naturelle
Hom(M1, M2)Hom(M1Γ, M2Γ)
est bijective. Cela résulte alors de l’égalité
Hom(M1, M2) = Hom(M1, M 2)Hom(M1Γ, M2Γ)
dans Hom(M1Γ, M2Γ) (qui résulte de l’égalité Ω = ΩΓΓet du fait que les Ω-modules
M1et M2sont libres) si le théorème est valide sur S.
Supposons donc R=kJtK, avec kalgébriquement clos, posons Ω = W(k)JtKet notons Γ le séparé
complété de Ω[t1] pour la topologie p-adique. Remarquons que les modules des différentielles
continues de et Γ relativement à Zpsont Ω d tet Γ d trespectivement. Soit qune puissance de
p. On munit Ω et Γ d’un relèvement σde x7→ xq(cela revient à choisir un élément σ(t)tq
mod pΩ).
Définition 2.6. (a) Un F-cristal sur Ω (resp. Γ) est un Ω-module (resp. Γ-module) libre M
muni d’une connexion W-linéaire :MMdtet d’une isogénie F:σMM(ie. le
noyau et le conoyau de Fsont tués par une puissance de p) horizontale.
(b) Soit Aun anneau sans p-torsion muni d’un endomorphisme σ:AArelevant le Frobenius
sur A/pA. Un F-module sur Aest un A-module de type fini sans torsion M, muni d’une
isogénie F:σMM(le noyau et le conoyau de Fsont tués par une puissance de p.)
D’après les propositions 2.4 et 2.5, il suffit donc de prouver que si M1, M2sont deux F-cristaux
sur Ω, et si ψ: Γ M1ΓM2est un morphisme de F-cristaux sur Γ (ie. horizontal et
compatible aux Frobenius), alors ψ(M1)M2.
Il existe Ntel que pM2F2(M2). Posons M=M1M
2, et munissons-le de la
structure de F-cristal donnée par :
F(m1m
2) = pF1(m1)σm
2F1
2
(m1m
2) = 1(m1)m
2+m1d
dtm
2m1(m
2◦ ∇2).
La première formule a un sens par le choix de .
Posons ϕ:M1M
2Γ; m1m
27→ m
2(ψ(m1)). On voit facilement qu’il vérifie les
hypothèses de l’énoncé suivant :
Théorème 2.7. (Kedlaya, [10, Theorem 2.5]). Soient Mun F-module sur et ϕ:MΓune
application -linéaire telle qu’il existe Navec ϕ(F(m)) = pσ(ϕ(m)) pour tout mM. Alors
ϕ(M).
Cet énoncé est une version renforcée du résultat de de Jong [7, Theorem 9.1] où il suppose en plus
Mmuni d’une connexion et ϕhorizontale. En outre il suppose q=pet σ(t) = tp(contrairement
à la catégorie des F-cristaux sur Ω, la catégorie des F-modules dépend du choix de σ).
Dans le cas qui nous intéresse, on en déduit que pour tout m1M1, on a m
2(ψ(m1)) Ω pour
tout m
2M
2. Comme M2est libre sur Ω, on a donc ψ(m1)M2(il suffit de regarder la base
duale d’une base de M2), et on a bien ψ(M1)M2.
Il s’agit donc de prouver le théorème 2.7.
3. Compléments et anneaux auxiliaires
3.1. Compléments sur les F-modules.
Définition 3.2. Soit Mun F-module. Un sous-F-module de Mest un sous-module NMtel
que F(N)Net tel que (N, F|N) est un F-module. Un sous-F-module Nd’un Fmodule Mest
dit saturé si le quotient M/N est sans torsion. Une isogénie de F-modules (M, F )(M, F ) est
une application linéaire MMcommutant aux Frobenius dont le noyau et le conoyau sont tués
par une puissance de p.
LE THÉORÈME DE TATE EN CARACTÉRISTIQUE POSITIVE (D’APRÈS A.J. DE JONG) 5
Avec les notations de la définition 2.6, supposons σ:AAplat (ce qui sera le cas dans ce
qui suit). Le module MAAσest sans torsion, si bien que Fest une isogénie si et seulement
si son conoyau est tué par une puissance de p. En effet, l’homomorphisme MAFrac(A)σ
MAFrac(A) déduit par localisation est surjectif, donc injectif (égalité des dimensions). Le
A-module MAAσétant sans torsion, il s’injecte dans MAFrac(A)σ, d’où l’injectivité de
MAAσM. Dans ce cas, tout sous-A-module de type fini Nde Mtel que F(N)Net tel
que la torsion de M/N n’est constituée que de p-torsion est un sous-F-module de M. C’est en
particulier le cas lorsque Nest saturé.
Si (A, σ)(A, σ) est un morphisme d’anneaux intègres munis d’endomorphismes, et si (M, F )
est un F-module sur A, on dispose d’un changement de base (M, F )7→ (MAA)/T, σF
Tdésigne la torsion de MAAvu comme A-module. Cela définit bien un F-module sur A
car (MAA)AA
σMAAσAA, ce qui fait que le linéarisé de Frobenius s’identifie à
(F1) IdA, qui est un isomorphisme quand on a inversé pvu que c’est le cas pour F1.
3.3. Plaçons nous maintenant dans le cas où A=W(L) avec Lparfait de caractéristique p. Un
F-module sur W(L)[p1] n’est autre qu’un F-isocristal sur L(cf. [8]).
Lorsque Lest algébriquement clos, ces objets forment une catégorie abélienne semi-simple, dont
les objets simples sont paramétrés par Q(cf. [5, IV.2]) : si Vest un F-module sur W(L)[p1], il
existe une base e1,...,eret des rationnels s1,...,sr(les pentes de V) tels que pour nconvenable
(nsiZ), on a Fnei=pnsieipour i∈ {1,...,r}. On a alors une décomposition suivant les
pentes :
V=M
sQ
Vs
Vsest le sous-espace engendré par les eitels que si=s. La filtration associée s’écrit simplement
en termes de Vet F:M
s>s0
Vs=nvV, lim
n→∞ pns0Fn(v) = 0o
M
s<s0
Vs=nvV, lim
n→∞ pns0Fn(v) = 0o
(rappelons que Fest bijectif sur Vcar Lest parfait). Cette décomposition existe encore lorsque L
est seulement supposé parfait : on la déduit du cas Lalgébriquement clos par descente galoisienne.
Si maintenant Mest un F-module sur W(L), il est muni de la filtration stable par Finduite
par la filtration par les pentes de V=M[p1]
{0}=M0(M1(···(Mr=M
avec Mi/Mi1isocline de pente sipour i∈ {1,...,r}et s1> s2>···> sr.
3.4. Les lemmes qui suivent seront utiles pour se ramener au cas d’un F-module libre.
Lemme 3.5. (cf. [7, Lemma 6.1]). Soit Mun F-module sur . Alors le -module
M= HomHom(M, Ω),
est libre et admet une structure naturelle de F-module telle que l’homomorphisme de biduali
MMest une isogénie.
Démonstration. Le dual Hom(M, Ω) de Mest réflexif de type fini. Comme Ω est un anneau local
régulier de dimension 2, il est donc libre ([4, §4 Corollaire 3]) : le bidual Mde Mest libre sur Ω.
On munit Md’une structure de F-module sur Ω par :
FM(f)(α) = σf(σ1αFM)
pour fMet αHom(M, Ω). Cela définit bien une structure de F-module sur M. En effet,
un calcul complètement formel montre que FMest σ-linéaire. Par ailleurs, le linéarisé de FMétant
un isomorphisme lorsqu’on étend les scalaires à Ω[p1], il en est de même de FM.
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