5.10 Résolutions et homologie des groupes

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5.10. Résolutions et homologie des groupes
5.10
Résolutions et homologie des groupes
Considérons un espace contractile (non vide) X sur lequel un groupe discret
G (noté multiplicativement) agit de façon proprement discontinue (à droite).
La projection sur le quotient π : X → X/G est donc un revêtement. Choisissons un point de base ∗ dans X et prenons ∗ = π(∗) comme point de base de
X/G. Les groupes d’homotopie de X/G sont nuls sauf le groupe fondamental π1 (X/G) (si G est non nul bien sûr) qui est alors isomorphe à G. On voit
donc que X/G est un espace d’Eilenberg-Mac Lane de type K(G, 1). Notre
problème est de calculer l’homologie de X/G à coefficients dans un anneau
commutatif unitaire Λ. On va voir que cette homologie ne dépend que de G.
Pour tout n ∈ N, la projection π : X → X/G induit une application Λ-linéaire
π∗ : Cn (X) → Cn (X/G). Comme G agit à droite sur X, G agit sur Cn (X),
et Cn (X) est donc un Λ[G]-module à droite. Le bord ∂ : Cn (X) → Cn−1 (X)
est alors Λ[G]-linéaire, ce qui est juste une conséquence de sa naturalité,
appliquée aux flèches x �→ x.g (g ∈ G). De plus, l’augmentation C0 (X) → Λ
est Λ[G]-linéaire quand on considère Λ comme un Λ[G]-module sur lequel
l’action de G est triviale, ce qu’on fera dans toute la suite. C∗ (X) est donc un
DGA-Λ[G]-module.
À partir de ce DGA-Λ[G]-module, et par des moyens strictement algébriques,
on peut retrouver (à isomorphisme près) le DGA-Λ-module C∗ (X/G). Il suffit
en effet de considérer le morphisme :
C∗ (X) ⊗Λ[G] Λ
x⊗λ
�
ϕ
� C∗ (X/G)
� λπ∗ (x)
(où G agit à nouveau trivialement sur le Λ[G]-module à gauche Λ) qui est
bien défini car l’application (x, λ) �→ λπ∗ (x) est clairement Λ[G]-bilinéaire (G
agissant trivialement sur C∗ (X/G)). ϕ est alors Λ-linéaire et commute au
bord, puisque ∂ϕ(x ⊗ λ) = ∂(λπ∗ (x)) = λπ∗ (∂x) = ϕ((∂x) ⊗ λ) = ϕ(∂(x ⊗
λ)), la dernière égalité résultant du fait que ∂(λ) = 0 dans le DGA-Λ[G]module trivial Λ. En fait, ϕ est un isomorphisme. Ceci devrait paraître assez
évident au lecteur, pour la raison que d’une part l’effet de π : X → X/G est
d’identifier tout simplexe singulier de X avec ses images sous l’action de G, et
d’autre part l’effet de la tensorisation par Λ au-dessus de Λ[G] est d’identifier
tout vecteur de C∗ (X) avec ses images sous l’action de G, simplement parce
que G agit trivialement sur Λ. Mais voyons précisément pourquoi ϕ est un
isomorphisme.
Il suffit d’exhiber un inverse pour ϕ. Pour tout n-simplexe singulier y de
X/G, posons ψ(y) = x ⊗ 1 où x est un relèvement quelconque de y le long
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5. Théories de chaînes et applications
de π. On va voir que cette application est bien définie. Notons d’abord qu’un
tel relèvement existe. En effet, comme Δn est contractile, et comme toute
application constante Δn → X/G se relève le long de π (car π est surjective),
le théorème de relèvement des homotopies (théorème 158 (page 117)) assure
l’existence de ce relèvement. Par ailleurs, la valeur de x ⊗ 1 ne dépend pas
du choix de x, c’est-à-dire ne dépend que de y. En effet, si x et x� sont deux
relèvements de y le long de π, il existe un g ∈ G tel que x�0 = x0 .g, où x0
et x�0 sont les sommets numéro 0 de x et x� respectivement. Ceci est dû au
fait que comme x0 et x�0 se projettent sur le même point, ils sont dans une
même orbite sous l’action de G. La partie unicité du théorème de relèvement
des homotopies montre alors que x� = x.g, et donc que x� ⊗ 1 = (x.g) ⊗ 1 =
x ⊗ (g.1) = x ⊗ 1 puisque l’action de G sur Λ est triviale. On a donc une
application ψ : Cn (X/G) → Cn (X) ⊗Λ[G] Λ bien définie. Par ailleurs ψ(ϕ(x ⊗
1)) = ψ(π∗ (x)) = x ⊗ 1 et ϕ(ψ(y)) = ϕ(x ⊗ 1) = π∗ (x) = y, où x est un
relèvement de y le long de π.
En conséquence, l’homologie de X/G est celle du DGA-Λ-module C∗ (X) ⊗Λ[G]
Λ. Il ne semble pas à première vue qu’on soit beaucoup plus avancé pour
calculer l’homologie de X/G. Pourtant si, grâce à un phénomène remarquable
qui est que pour calculer l’homologie de C∗ (X) ⊗Λ[G] Λ, on peut remplacer
C∗ (X) par n’importe quel DGA-Λ-module acyclique et relativement libres.
C’est ce que nous allons prouver ci-dessous. Or, il est éventuellement facile
de construire un remplaçant pour C∗ (X) qui soit de taille assez petite pour
que les calculs soient faisables. C’est ce que nous allons faire plus loin dans
le cas où G = Z/p. Mais passons d’abord à la démonstration de l’affirmation
précédente, ce qui nécessite une définition :
Revenons à notre projection π : X → X/G. Comme X est contractile, C∗ (X)
est acyclique, et ε : C∗ (X) → Λ est donc une résolution de Λ comme Λ-module.
Mais en fait, c’est aussi une résolution de Λ comme Λ[G]-module, car aussi
bien Λ que Cn (X) sont des Λ[G]-modules, ∂ : Cn (X) → Cn−1 (X) est Λ[G]linéaire de même que ε0 : C0 (X) → Λ. De plus, comme l’action de G sur X est
libre, Cn (X) est un Λ[G]-module libre (pour constituer une Λ[G]-base, choisir
un simplexe dans chaque orbite de l’action de G sur Sn (X)). En résumé ε :
C∗ (X) → Λ est une résolution libre de Λ comme Λ[G]-module. Elle est donc
homotopiquement équivalente à n’importe quelle autre résolution libre de Λ
comme Λ[G]-module.
Une équivalence d’homotopie étant de nature purement équationnelle, elle
est préservée par tout foncteur, en particulier par le foncteur qui consiste à
tensoriser par Λ sur Λ[G]. Ceci montre que l’homologie de X/G est celle de
P∗ ⊗Λ[G] Λ, où P∗ → Λ est n’importe quelle résolution libre de Λ comme Λ[G]module. On voit donc que l’homologie de X/G à coefficients dans Λ ne dépend
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5.10. Résolutions et homologie des groupes
que de G. On l’appelle l’« homologie du groupe G (à coefficients dans Λ) », et
on la note H∗ (G; Λ).
Nous allons maintenant calculer H∗ (Z/p; Z) à titre d’illustration et pour un
usage futur.
☞ 296 Théorème. On a, pour tout i ∈ N :



H0 (Z/p; Z) � Z
H2i+1 (Z/p; Z) � Z/p

 H
2i+2 (Z/p; Z) � 0
Démonstration. L’anneau Z[Z/p] est isomorphe (par définition) à l’anneau
Z[X]
quotient
. Si A(X) ∈ Z[X], on notera encore A(X) sa classe dans
Xp − 1
Z[X]
. La multiplication par A(X), P (X) �→ A(X)P (X) est une applicaXp − 1
Z[X]
Z[X]
tion
-linéaire de
vers lui-même, qu’on notera encore A(X).
p
X −1
Xp − 1
Comme le produit (X − 1)(X p−1 + X p−2 + · · · + X + 1) est égal à X p − 1 dans
Z[X]
Z[X], il est nul dans
. La composition (dans un ordre quelconque)
Xp − 1
des multiplications par X − 1 et par X p−1 + · · · + 1 est donc nulle, et on a donc
Z[X]
-module :
un DGA- p
X −1
. . . ��
1
p−
��X��
+·
·· +
1
Z[X]
X p − 1 ����X�− 1
�
Z[X]
+1
···
1
p
p− +
�
X − 1 ���X�
� Z[X]
X p − 1 ����X�− 1
�
Z[X]
X p − 1 ����ε�
�
Z
où ε est défini par ε(P (X)) = P (1), puisqu’alors ε((X − 1)P (X)) = (1 −
1)P (1) = 0. En fait, la suite ci-dessus est exacte. ε est surjectif puisque
ε(1) = 1. Si P (X) est dans le noyau de ε, autrement-dit si P (1) = 0, on peut
faire la division euclidienne de P (X) par X − 1, ce qui est possible dans Z[X]
car X − 1 est un polynôme normalisé. On a alors P (X) = (X − 1)Q(X) + a,
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5. Théories de chaînes et applications
où a est une constante, mais comme P (1) = 0, on a a = 0, et on voit
que P (X) est dans l’image de la multiplication par X − 1. Pour terminer, si (X − 1)P (X) = 0, alors en divisant P (X) par X p−1 + · · · + 1, ce
qui est possible dans Z[X] puisque X p−1 + · · · + 1 est normalisé, on obtient P (X) = (X p−1 + · · · + 1)Q(X) + R(X), où R(X) est de degré au plus
p − 2. Dans XZ[X]
p −1 , on a alors 0 = (X − 1)P (X) = (X − 1)R(X), c’est-à-dire
(X − 1)R(X) = (X p − 1)S(X) dans Z[X]. Comme (X − 1)R(X) est de degré
au plus p − 1, on voit que S(X) doit être nul. Comme Z[X] est intègre, on voit
que R(X) = 0, et P (X) est alors un multiple de X p−1 + · · · + 1. On traite de
même l’autre cas.
Ainsi, on a une résolution libre P∗ → Z de Z comme
tensorise P∗ par Z au dessus de
...
β
�Z
α
Z[X]
X p −1 ,
�Z
Z[X]
X p −1 -module.
Quand on
on obtient la suite :
β
�Z
α
�Z
�0
dans laquelle α = (X − 1) ⊗ 1 et β = (X p−1 + · · · + 1) ⊗ 1. Mais comme l’action
de X sur Z est triviale (c’est l’identité de Z), on voit que α = 0 et que β est la
multiplication par p. Le noyau de la multiplication par p est 0, et son conoyau
est isomorphe à Z/p, d’où le résultat.
❏
☞ Exercice 44. Calculer H∗ (Z/p; Z/p) de deux façons : (1) par la même méthode que dans la démonstration précédente, (2) en utilisant le résultat précédent et le théorème des coefficients universels.
☞ Exercice 45. Montrer que pour tout groupe G, H1 (G; Z) est isomorphe à
G
de G.
l’abélianisé [G,G]
☞ Exercice 46. Soit G un groupe admettant une présentation par un
nombre fini de générateurs et un nombre fini de relations. Montrer que la
dimension de H1 (G; Q) minore le nombre de générateurs, et que la dimension de H2 (G; Q) minore le nombre de relations.
☞ Exercice 47. Montrer que si G est un groupe abélien libre, Hi (G; Z) = 0
pour i ≥ 2.
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