Entrepreneur ayant fait ses preuves, dirigeant de société ayant, en tant que tel,
affronté – et apprivoisé – toute sa vie les dures lois de l’économie, Jacques Baratier
n’est pas le plus mal placé pour savoir ce qui n’est plus acceptable dans le “système”.
Il sait, pour le vivre quotidiennement, ce que peut avoir de dévastateur une
économie de marché livrée à ses propres logiques; ce que peut avoir d’inhumain
un néolibéralisme que ne tempère plus aucune résistance. La dénonciation des
inégalités nouvelles, du mépris des plus pauvres, de l’accoutumance à l’injustice
sociale : toutes ces protestations prennent sous sa plume une résonance particulière.
En effet, cette voix-là nous parle de l’intérieur même de la citadelle économique.
Les critiques qu’elle adresse au néolibéralisme et à la “pensée unique” contemporaine
ne se fondent pas sur l’idéologie mais sur l’expérience de tous les jours. Elle est
parfaitement “renseignée”, pourrait-on dire... On comprend que Jacques Baratier
ait été séduit par les analyses sans complaisance de Joseph Stiglitz, ancien numéro
deux de la Banque mondiale, homme du sérail dénonçant les aveuglements
du sérail. Ce dernier, comme on le sait, avait fini par être révolté par ce qu’il vivait
concrètement dans les arcanes de la grande institution internationale. Ainsi
le haut fonctionnaire devint-il un grand protestataire. Pour ce qui concerne
Jacques Baratier, c’est pareillement la conduite d’une entreprise et la pratique des
hommes qui lui ont fait comprendre que le système était en train, littéralement,
de devenir fou. Qu’est-ce à dire? Qu’il ne s’agit pas de remettre en question
l’économie de marché en tant que telle mais de refuser sa dogmatisation.
Car c’est bien à cet étrange phénomène qu’il nous est donné d’assister depuis
une quinzaine d’années. Privé d’adversaire, à l’abri des critiques sérieuses
et des résistances organisées, le libéralisme donne l’impression de se rigidifier,
de se dogmatiser. La vulgate tend à remplacer l’analyse, l’indifférence au réel
se substitue au pragmatisme, la dureté sociale est servilement acceptée comme
une fatalité tandis que prévaut peu à peu le plus démobilisateur de tous les
discours : celui qui voudrait nous faire accroire que “nous n’avons pas le choix”.
On se souvient que c’était là le refrain régulièrement entonné par Margaret
Thatcher au tout début de la fameuse révolution conservatrice : “There is no
alternative” (“Il n’y a pas d’alternative”), discours tellement obsessionnel qu’il
avait valu à la Dame de fer du Royaume-Uni le surnom de “Madame TINA”.
Comme tous ceux qu’anime l’esprit de résistance, au sens le plus noble du terme,
Jacques Baratier pense au contraire qu’il existe toujours une alternative. Cela
signifie que quiconque croit en la démocratie n’accepte jamais de se soumettre au
principe d’inéluctabilité, qui n’est jamais qu’une parodie sinistredu “réalisme”.
Non, la dureté envers les pauvres n’est pas une “fatalité”; non la précarité réservée
aux perdants n’est pas un “destin”; non l’injustice généralisée n’est pas un résultat
“inévitable”. En un mot, en ce début de siècle et de millénaire, le vrai réaliste n’est
pas celui qui se soumet, c’est, bien au contraire, celui qu’habite encore le projet de
changer le monde. Jacques Baratier en est un bel exemple.
Qu’il soit remercié d’exister.