Proust démythifié

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Jean Adloff
Proust démythifié
À la recherche des « sens cachés » dans
À la recherche du temps perdu
de Marcel Proust
Volume 3
Le Côté de Guermantes
(1920-1921)
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Le présent ouvrage a été conçu à l’intention
de celles et de ceux qui aspirent à visiter
l’incomparable cathédrale proustienne ou
qui l’auraient visitée naguère et
désireraient la revisiter.
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Le présent ouvrage est le troisième d’une série de
sept cahiers de réflexion se présentant sous forme de
questionnaires, lesquels correspondent à chacun des
sept volumes de À la recherche du temps perdu, de
Marcel Proust, soit :
1. Du côté de chez Swann (674 questions)
2. À l’ombre des jeunes filles en fleurs (698 questions)
3. Le Côté de Guermantes (607 questions)
4. Sodome et Gomorrhe (774 questions)
5. La Prisonnière (869 questions)
6. Albertine disparue ou La Fugitive (757 questions)
7. Le Temps retrouvé (651 questions)
Ce que ci-dessus nous avons désigné comme des
« questionnaires » devrait en fait se concevoir
beaucoup plus comme un long questionnement, un
long cheminement introspectif sur la Recherche.
Ainsi, il ne s’impose nullement de répondre aux
questions posées, mais plus exactement de se les poser
à soi-même au fur et à mesure de la progression de la
lecture, afin que même les passages les plus
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circonvolus de l’œuvre en viennent à se démêler
jusqu’au point de devenir tout à fait limpides.
À la recherche du temps perdu, en effet, est une
œuvre monumentale que Proust lui-même a conçue
comme « une cathédrale », qui en a les proportions
gigantesques,
les
infinies
complexités,
les
incomparables magnificences. On s’y aventure avec
quelque appréhension ; on avance ébahi de tant de
complexités,
d’enchevêtrements,
de
recoins
inattendus, de splendeurs incomparables, forgés par
l’Homme et par le Temps. Et l’on en ressort ébloui,
troublé, transfiguré ; puis on commence à se poser
une myriade de questions que jamais auparavant on
n’aurait eu la présence d’esprit de se poser.
Ce projet a été surtout conçu à l’intention de
lecteurs timorés qui ont toujours entendu dire que
Proust était un auteur « difficile » et que dans la
Recherche, on se perdait toujours dans des phrases si
labyrinthiques, qu’une fois arrivé au point final, on
avait complètement perdu le fil de la phrase. Le langage
proustien, certes, est un langage poétique à la structure
très singulière, mais il en est du langage proustien
comme de tous les langages. Il en est de celui de Proust
comme il en est de celui de Shakespeare : une fois qu’on
s’y est rodé et que la facture nous en est familière, plus
on s’en pénètre, plus on le savoure, plus on en apprécie
les inexprimables beautés.
Ainsi, ces ouvrages ont été conçus pour
encourager de nouveaux, en particulier de jeunes
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lecteurs, à se départir de leur appréhension infondée
et à « se lancer » dans la lecture d’À la recherche du
temps perdu d’un pas confiant et assuré, sachant qu’ils
vont y découvrir d’indicibles merveilles.
Ces ouvrages s’adressent en outre à des proustiens ou
des lecteurs qui ne se seraient aventurés qu’une seule fois
dans la Recherche et qui, des années plus tard,
s’aviseraient de redécouvrir les innombrables « sens
cachés » de cette œuvre cathédrale, si grandiose et si riche
en recoins et détours tant mystifiants qu’énigmatiques.
Aux uns comme aux autres, un long, patient
cheminement à pas comptés tout au long de ce
questionnement jalonné de plus de cinq mille pauses
de réflexion et de pondération démontrera que la
lecture de Proust est un exercice superbement
vivifiant, passionnant, ensorcelant, auquel quiconque,
voire les plus pusillanimes, peut s’abandonner avec
une incommensurable délectation.
J.A.
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Le Côté de Guermantes I
Nouvel appartement parisien
dépendance de l’hôtel de Guermantes.
dans
une
1373. Sait-on combien de temps s’est écoulé depuis le
retour de Balbec et l’emménagement dans le
nouvel appartement du Narrateur et de ses
parents ?
1374. Le nouvel appartement étant une dépendance
de l’hôtel de Guermantes, se trouve-t-il
vraisemblablemement dans un quartier très
huppé, sans doute au cœur du faubourg SaintGermain ?
1375. Le nom de Guermantes, bien que n’étant plus
pour le Narrateur « le reflet d’un verre de
lanterne magique et d’un vitrail d’église », estil encore pour lui très porteur de rêve ?
1376. « La grande dame du fond de la cour était une
duchesse élégante et encore jeune. C’était
Mme de Guermantes ». Peut-on assumer que
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l’âge de la duchesse est au moins celui de la
mère du Narrateur ?
1377. Le Narrateur passe un temps considérable à
observer et analyser un giletier du nom de
Jupien qui a son atelier dans la cour de l’hôtel
de Guermantes. Ses regards s’attachent-ils sur
les « grosses joues » et le « teint fleuri » du
personnage ?
1378. L’adolescent s’étonne-t-il que ce giletier soit
d’« une intelligence rare » et que bien que sans
culture, il avait réussi à acquérir, à l’aide « de
quelques livres hâtivement parcourus des
tournures de langage ingénieuses » ?
1379. Le Narrateur ajoute que « les gens les plus
doués » qu’il avait connus étaient morts très
jeunes et qu’ainsi il était « persuadé que la vie
de Jupien finirait vite ». Cette remarque de sa
part n’est-elle pas très curieuse étant donné
que le jeune garçon ne connaît à ce stade que
très peu ce Jupien ?
1380. Le parler campagnard de Françoise a-t-il gardé
tout son charme ? L’auteur de la Recherche
prend-il un plaisir tout particulier à noter les
écarts de langage de la vieille servante, ses
expressions savoureuses, ses façons de
prononcer certains mots ?
1381. Françoise a-t-elle une grande nostalgie pour
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Combray ? Le Narrateur est-il ravi de
l’entendre évoquer les noms de Méséglise, ou
de Tansonville, d’Eulalie et de Madame
Octave, qui sont si chers à sa mémoire ?
1382. Françoise entretient-elle des rapports d’étroite
connivence avec « son » jeune valet de piedpoète qui réagit avec enthousiasme aux propos
de la vieille servante « comme si (son) dernier
trait avait été aussi particulier à Combray que
la vie en gondole à Venise » ?
1383. Les domestiques des Guermantes et les
domestiques des parents du Narrateur
passent-ils beaucoup de temps à commenter
les faits et gestes de leurs maîtres et à
s’observer les uns les autres ?
1384. Les parents du Narrateur, avec leur cuisinière,
leur maître d’hôtel, leur valet de pied, leur
valet de chambre et vraisemblablement un ou
deux autres domestiques ont-ils un train de vie
caractéristique des gens de la haute
bourgeoisie ?
1385. On apprend que la duchesse de Guermantes « a
la première maison du faubourg SaintGermain ». Est-ce à dire que l’adresse des
parents du Narrateur est l’une des plus
prestigieuses du Paris mondain ?
1386. Le Narrateur, qui rêve depuis longtemps de
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s’introduire dans les salons du boulevard
Saint-Germain se trouve-t-il donc à un poste
d’observation remarquablement stratégique
pour venir à bout de ses aspirations ?
1387. Le jeune garçon évoque-t-il le moment où dans
l’église de Combray il avait entrevu la
duchesse de Guermantes qui lui était apparue
« dans l’éclair d’une métamorphose avec des
joues irréductibles et impénétrables » ?
Qu’entend-il par des joues « irréductibles et
impénétrables » ?
1388. L’adolescent passe-t-il des heures posté à
observer, épier la duchesse « à sa fenêtre, dans
la cour, dans la rue » ? Fait-il l’inventaire de
ses toilettes ? S’extasie-t-il de son élégance ?
Peut-il de son poste d’observation admirer
cette femme « devant sa glace » jouant « le
rôle » de « la femme élégante » ?
1389. Remarque-t-il chaque détail de ses toilettes, la
dévore des yeux alors qu’elle « regardait si sa
voilette était bien tirée, aplatissait ses manches,
ajustait son manteau comme le cygne divin » ?
N’a-t-on pas l’impression qu’il est dans la
chambre même de la duchesse, caché derrière
un paravent ?
1390. Le voyeurisme marqué du jeune garçon se
double-t-il de sensations érotiques, de
poussées de sensualité, ou bien a-t-on
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l’impression qu’il se contente d’observer et de
prendre des notes ?
1391. Pour que l’adolescent soit en mesure de voir les
« meubles de peluche rouge », la « salle à
manger », « la galerie obscure » de l’hôtel de
Guermantes, ne faudrait-il pas que le garçon
se soit muni de lunettes d’approche ou de
jumelles ?
1392. « Le paillasson des Guermantes, étendu de
l’autre côté de cet Équateur » ne symbolise-t-il
pas l’entrée sacrée du Saint des Saints, « l’oasis
de l’imagination » et « les brises particulières
du faubourg Saint-Germain » ?
1393. Ainsi, si le Narrateur se met à « tressaillir, en
apercevant de la haute mer » – de son perchoir
– « le paillasson usé » de l’hôtel de Guermantes
qui lui apparaît « comme un minaret avancé,
comme un premier palmier, comme le…
commencement de la végétation exotique »,
n’est-il point le signe que le jeune dandy
s’apprête à franchir ce seuil de cette « oasis »
miraculeuse ?
1394.
Non content d’épier sur la duchesse,
l’adolescent observe aussi le duc de
Guermantes qui « se faisait la barbe le matin
en chemise de nuit à sa fenêtre ». Tente-t-il de
surprendre l’un ou l’autre dans leur intimité ?
1395. Y a-t-il dans le comportement du Narrateur une
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compulsion au voyeurisme qui dépasse
largement le cadre de la simple curiosité ? Son
comportement voyeuriste ne semble être
motivé par aucune excitation sensuelle. Doiton considérer sa compulsion comme passive
ou comme malsaine ?
1396. Le duc de Guermantes nous apparaissant
« debout, géant, énorme, habillé de clair, le
cigare à la bouche, la tête en l’air, le monocle
curieux », comprend-on, de prime abord, que
le personnage est arrogant, sans-gêne, imbu de
soi, condescendant ?
1397. Le duc de Guermantes affiche-t-il avec morgue
ses infidélités quand il va retrouver sa
maîtresse
aux
Champs-Élysées ?
Le
personnage se conduit-il comme un mufle ?
1398. Le duc de Guermantes se formalise-t-il parce
que Jupien s’adresse à lui avec des
« Monsieur », non des « Monsieur le Duc » ?
1399. Pourquoi le duc affecte-t-il autant d’affabilité
envers le père du Narrateur ? Ses prévenances
sont-elles sincères ou ne visent-elles qu’à
flatter un locataire irréprochable ?
1400. Le Narrateur, très curieux des faits et gestes de la
duchesse, s’emploie à surprendre une
conversation entre Françoise et le valet de pied
des Guermantes. S’intéresse-t-il plus particuliè14
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rement à connaître l’emploi du temps des sorties
et fréquentations de la duchesse ?
1401. Les noms de « princesse de Parme », de
« princesse de Guermantes », de « duc
d’Aumale »,
de
« duc
de
Bavière »,
transportent-ils le jeune Narrateur dans des
sphères véritablement célestes ?
1402. Ayant appris que la duchesse de Guermantes
irait déjeuner à pied chez la princesse de
Parme, l’adolescent se met-il à son poste
d’observation pour pouvoir dévorer des yeux
la duchesse dans « sa robe de satin chair » ?
1403. Le Narrateur ayant eu l’occasion inespérée
d’obtenir un billet pour une soirée de gala à
l’Opéra par l’intermédiaire d’un ami de son
père, est-il partagé entre son appréhension de
réentendre la Berma et le « désir passionné »
de pouvoir contempler des princesses et des
duchesses ?
La soirée de gala de la princesse de Parme à
l’Opéra. La Berma doit se produire dans Phèdre. Tout
le faubourg Saint-Germain parade à l’Opéra. La
baignoire de la princesse de Guermantes. La princesse
et la duchesse de Guermantes : des déesses. La voix de
la Berma. La petite laitière.
1404. Tout en gagnant sa place à l’Opéra, le Narrateur
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tente de se remémorer un vers de Phèdre dont
il affirme ne plus se souvenir exactement. Ce
vers ne peut-il être que : « On dit qu’un prompt
départ nous éloigne de nous…. » ? Ne faut-il
pas que l’adolescent soit très troublé pour ne
pas se souvenir de ce vers pourtant si ancré
dans sa mémoire ?
1405. L’auteur de la Recherche décrit-il avec un talent
très particulier l’atmosphère qui précède le lever
du rideau à l’Opéra ? Voit-on les « snobs » et les
« curieux » qui, tout comme le Narrateur, sont
venus pour contempler les altesses « derrière le
déferlement rieur, écumeux et léger de leurs
éventails de plumes, sous leurs chevelures de
pourpre emmêlées de perles » ?
1406. Le jeune Narrateur est-il complètement subjugué
par le spectacle des « blanches déités », des
« radieuses filles de la mer » qui occupent les
loges et les baignoires de l’Opéra ?
1407. La princesse de Guermantes lui apparaît-elle,
alanguie sur un « canapé latéral » de sa
baignoire, « comme une grande déesse »,
« comme un rocher de corail », comme « une
grande fleur blanche, duvetée » ?
1408. Le regard médusé de l’adolescent s’attache-t-il
sur « l’une des joues » de la princesse qui lui
fait évoquer « un œuf rose dans la douceur
d’un nid d’alcyon » ?
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