modernisation du système qui permet de restructurer le foncier, de s’abstraire du cadastre, de
restructurer l’espace. »
Le rapport à la propriété foncière dans le mode d’urbanisation du territoire libanais serait donc, si l’on
suit ce raisonnement, celui des « archaïques ». C’est la propriété cadastrale qui structure
incontestablement l’espace au Liban. Chaque propriétaire doit être libre de construire, où que se situe
son bien-fonds, selon les lois et règlements en vigueur.
Si l’Administration décide, pour des considérations d’urbanisme, de rendre le terrain d’un propriétaire
non-constructible, elle devra alors verser une indemnité compensatoire au propriétaire que la loi estime
« lésé » dans pareil cas
. Un tel dispositif a pour effet de rendre tout le territoire constructible.
En 2011, Eric Verdeil revient sur la planification tourmentée du Grand Beyrouth sous l’ère réformatrice
de la présidence Chehab dans les années 1960, en relevant les fortes oppositions des propriétaires
fonciers de l’époque se sentant lésées par l’édiction de règles qui leur parurent excessivement
contraignantes. Ces oppositions se sont traduites par des augmentations des droits à bâtir au gré des
plans successivement adoptés, d’abord en 1964, puis en 1970, toujours en vigueur
.
Plus tôt, en 2002, Charbel Nahas, un économiste libanais érudit en matière d’urbanisme, avait résumé
l’approche sociétale de la propriété foncière et du droit de construire en analysant la situation de la
manière suivante :
« L’acte d’aménagement se heurte de front premièrement à la conviction des citoyens que leurs
droits privés, notamment en matière de constructibilité des biens fonciers, sont absolus et ne
peuvent subir que les lois du marché, et deuxièmement à leur conviction qu’il est du devoir de
l’État d’assurer les infrastructures et les services nécessaires aux constructions qui peuvent être
édifiées sur tout le patrimoine foncier, quelles qu’en soient les utilisations. Ces deux convictions
expriment la situation d’étrangeté de l’État par rapport à la société, voire de contradiction entre
eux. Elles se sont progressivement enracinées au Liban. Comme, par ailleurs, la propriété
foncière est largement répartie parmi les Libanais, que les avoirs fonciers constituent une part
essentielle du patrimoine des ménages et des entreprises et la garantie principale de leur
endettement et que le secteur immobilier occupe une part importante de l’activité économique,
pour toutes ces raisons, les diverses considérations d’aménagement sont venues à apparaître
comme des entraves injustifiées du fait de leur opposition aux intérêts des individus et des
groupes, bien qu’ils consentent à en reconnaître la valeur de principe pour tout ce qui ne touche
pas directement leurs intérêts. »
La règlementation en vigueur ne va pas simplement conditionner la forme bâtie, mais elle va également
formater la trame foncière, et par conséquent la structure même des propriétés. En effet, la trame
parcellaire telle qu’elle a été cadastrée à partir des années 1930 ne permettait que rarement d’accueillir
une « urbanisation acceptable » et surtout une constructibilité optimale. Les premiers règlements
d’urbanisme adoptés dès les années 1950 ont ainsi prévues des conditions propres aux dimensions de
L'URBANISME ET LE FONCIER. LA DÉCONNEXION ENTRE LE SPATIAL ET LA FINANCE, Vincent Renard et Olivier
Mongin Editions Esprit | Esprit 2008/2 - Février pages 92 à 102
Art. 17 du décret-loi 69/83 du 9 septembre 1983 (loi de l’urbanisme)
Beyrouth et ses urbanistes, Eric Verdeil, IFPO, 2011, p. 273 et s.
Acteurs et procédures, Charbel Nahas, 2002, disponible sur charbelnahas.org