en pratique Complexe ganglionnaire rétinien en OCT et confrontation au champ visuel Cas pratiques illustrés n La plupart des OCT sont maintenant capables de détecter le complexe ganglionnaire du pôle postérieur, d’en afficher la cartographie et de la comparer à une base normative. Le complexe ganglionnaire représente les couches internes de la rétine : fibres optiques (NFL), corps cellulaires ganglionnaires (GCL) et plexiforme interne (IPL). C’est cette unité anatomique qui est le siège de l’apoptose glaucomateuse. Du fait de son hyper-réflectivité, elle peut être isolée de façon fiable par les OCT spectraux. A travers une série d’exemples nous allons montrer que l’étude du complexe ganglionnaire rétinien (CGR) est utile à tous les stades de la maladie glaucomateuse. Un OCT 3D 2000 de Topcon a été utilisé dans sa version logicielle 7.11. Outre la cartographie en couleurs, on s’aidera des mesures d’épaisseur, de la base normative et de l’étude de l’asymétrie entre la moitié supérieure et inférieure. Rappelons que le relevé des fibres optiques papillaires reste la référence dans le glaucome, car la totalité des fibres du nerf optique est analysée, alors que l’étude du CGR ne porte que sur le pôle postérieur. Inversement, cette région centrale, si importante fonctionnellement, est mal étudiée par l’OCT des fibres papillaires car le fais* Ophtalmologiste, Saint-Brice sous forêt 95300 [email protected] 200 Dr Michel Zeitoun * ceau maculaire est fin et étalé. Le champ visuel central est atteint tardivement, ce qui fait de la maculopathie glaucomateuse une pathologie longtemps méconnue et pourtant redoutable. La reconnaissance de cette maculopathie est la vocation première de l’OCT du CGR. La subdivision du CGR en ses deux sous-couches, fibres optiques (NFL) d’une part et corps cellulaire + plexiforme interne (GCL + IPL) d’autre part, a un certain intérêt en montrant un triptyque quasi pathognomonique d’atteinte débutante. Les glaucomes asymétriques sont didactiques et seront notre entrée en matière : la différence entre CGR sain et CGR pathologique est criante. On s’attachera également à détecter un début d’atteinte dans la zone réputée saine. La confrontation du CGR avec l’atteinte du champ visuel (CV), de préférence le 10-2, est capitale par sa précision inégalée de deux degrés en deux degrés. En général l’atteinte des cellules ganglionnaires précède de longtemps l’atteinte fonctionnelle ou confirme une minime perte de sensibilité. Dans les cas évolués, la coïncidence est flagrante. Les fluctuations du champ visuel, loin d’égarer le diagnostic, vont révéler les zones en souffrance et les distinguer des faux négatifs. Dans certains cas le CV va pouvoir être réfuté. Dans tous les cas, les zones de faiblesse du CGR bénéficieront d’une attention ciblée. Enfin nous avons ajouté un tutoriel pour superposer le CV au CGR en attendant une automatisation plus poussée que nous appelons de nos vœux. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 Complexe ganglionnaire rétinien en oct et confrontation au champ visuel Cas N° 1 : Atteinte unilatérale Figure 2 - Œil droit : champ visuel normal ; œil gauche : champ visuel agonique. Figure 1 - Œil droit : fibres optiques dans la norme, œil gauche : sévère atteinte globale.­ En figure 1 l’œil droit est normal sur les fibres optiques, contrairement à l’œil gauche qui est au stade agonique sur les fibres optiques, et sur le champ visuel (Fig. 2). Sur les coupes verticales (Fig. 3), le complexe ganglionnaire glaucomateux, entre les deux lignes rouges, est fortement aminci et les fibres optiques ont quasiment disparu. De fait, le glaucome est également une rétinopathie qu’il est aisé de reconnaître sur les coupes verti- cales, du moins dans les formes évoluées ou localisées. En figure 4, il est intéressant de rechercher une atteinte débutante sur l’œil supposé indemne sur la foi du relevé des fibres optiques papillaires et du champ visuel. Ici, c’est l’asymétrie moitié inférieure versus supérieure qui va nous aider, à la fois sur les chiffres d’épaisseur moyenne des hémirétines, mais également sur la cartographie d’asymétrie. Il sera utile de suivre l’évolution de cette discrète atteinte arciforme, ce qui nous permettra d’affiner la pression cible. Notons que si l’atteinte est homogène, comme dans l’œil gauche, l’asymétrie supérieureinférieure. n’apporte aucun renseignement. Figure 4 - Œil droit : discrète asymétrie Figure 3 - Œil droit : bonne épaisseur du complexe ganglionnaire ; œil gauche : sévère arciforme inférieure ; œil gauche : sévère atteinte des fibres optiques et des corps cellulaires ganglionnaires. atteinte du CGR sans asymétrie. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 201 en pratique Cas N° 2 : Hémi-atteinte En figure 5, le faisceau de fibres optiques temporal inférieur a totalement disparu donnant une at- teinte significative sur la base normative péri-papillaire et RNFL. En figure 6, la forte atteinte du CGR de l’hémi-rétine inférieure saute aux yeux (flèche rouge). Il faut systématiquement vérifier que l’amincissement porte bien sur le com- plexe ganglionnaire uniquement. La moindre atteinte de la couche bipolaire orienterait vers une autre pathologie, une thrombose artériolaire par exemple. La base normative indique en rouge la rétine inférieure, ce qui atteste d’une significativité à plus de 99 %. Figure 5 - Fort déficit du contingent Figure 6 - Atteinte importante du CGR inférieur : le scotome est absolu lorsque les fibres temporal inférieur optiques ganglionnaires ont totalement disparu (coupe verticale, flèche rouge) Cas N° 3 : Atteinte arciforme En figure 7 ,la discrète atteinte arciforme temporale supérieure n’atteint pas le seuil de significativité sur les fibres optiques et risque d’être ignorée. Elle est bien plus visible sur la cartographie du CGR où elle signe l’entrée dans la maladie glaucomateuse. Figure 7 - L’atteinte arciforme temporale supérieure est bien mieux visible sur le CGR que sur les fibres optiques papillaires. 202 En figure 8, l’étude de l’asymétrie du CGR montre une belle atteinte arciforme en NFL+GCL+IPL (Colonne de droite) La subdivision du complexe ganglionnaire en deux sous couches est intéressante. Il existe une atteinte des cellules ganglionnaires au niveau du bourrelet supérieur (GLC+ IPL, colonne du milieu), relayée par un déficit correspondant au niveau des fibres optiques (NFL, colonne de gauche). C’est le “triptyque glaucomateux” caractéristique. Ce triptyque est logique dans la mesure où le complexe ganglionnaire n’est pas une structure homogène. Au niveau du bourrelet il est surtout composé de cellules ganglionnaires. Par contre, en Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 Complexe ganglionnaire rétinien en oct et confrontation au champ visuel se rapprochant de la papille, les fibres optiques prédominent, d’où la décomposition caractéristique de l’atteinte arciforme. Par contre, chez un autre patient, une asymétrie des fibres optiques (NFL) sans atteinte correspondante des cellules ganglionnaires en GCL + IPL ne traduit qu’une va- riante anatomique de disposition des faisceaux papillaires (Fig. 9). En conséquence, toute étude d’asymétrie doit être confrontée pour authentification à la subdivision GCL + IPL, que cette asymétrie soit découverte sur le complexe ganglionnaire ou découverte sur l’épaisseur rétinienne globale. Dans les formes évoluées, la subdivision s’avère délicate car la réflectivité OCT des deux sous-couches se rejoint, mais l’identification du CGR global reste toujours plus robuste. Le CGR global est pour nous la référence, d’autant que les deux sous-couches sont atteintes simultanément la plupart du temps. Figure 8 - Triptyque glaucomateux : l’atteinte NFL est relayée Figure 9 - Asymétrie non pathologique des gros troncs de fibres ; par l’atteinte GCL + IPL pour constituer l’atteinte arciforme du le GCL + IPL est normal : pas de triptyque. CGR en NFL + GCL + IPL. Confrontation structure-fonction En figure 10 nous avons superposé une cartographie normale du CGR, après inversion et mise à l’échelle, avec son champ visuel Figure 10 - Superposition de la cartogra- Figure 11 - Superposition du patient des phie du CGR (après inversion) au CV 10-2 figures 5 et 6 : bonne corrélation structure- en déviation : patient normal. fonction en dehors du relief d’un gros 10-2 selon la règle 6 mm = 20°, soit le champ couvert par ce relevé. On notera la richesse du bourrelet péri-fovéolaire, responsable de la vision centrale car relayant les cônes centraux. On estime que cinq à six couches de cellules ganglionnaires y sont superposées. Plus en périphérie le CGR s’amincit et ne compte plus qu’une seule couche de cellules. La figure 11 montre la superposition du champ visuel au CGR du patient N° 2 des figures 5 et 6 : la coïncidence du déficit est remarquable, en dehors du passage d’un gros vaisseau en bordure supérieure. vaisseau. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 203 en pratique Cas N° 4 : Atteinte anatomique semblable et atteinte fonctionnelle différente Le cas suivant (Fig. 12), va nous aider à comprendre la place respective de l’OCT du CGR et la place du champ visuel. Sur l’œil droit et sur l’œil gauche il existe une forte atteinte arciforme inférieure du CGR semblant de même profondeur anatomique. Le CV 24-2 (Fig. 13) est très asymétrique. A droite, hormis une petite atteinte à -5 dB juxta-fovéolaire, il est tout à fait normal. Par contre à gauche la coïncidence avec la forte atteinte anatomique est probante. Sur le CV 10-2 (Fig. 14), il existe à droite une petite atteinte supérieure, de l’ordre de -3 à -4 dB qui prend toute sa valeur par cette confrontation structure-fonction. A gauche, la superposition est bien cohérente avec des pertes de 33 dB mais notez en plus une nette atteinte du faisceau papillo-maculaire, péjorative pour l’avenir de la vision centrale, que le CV ne nous laisse pas deviner. Ainsi donc, si les limites de l’atteinte glaucomateuse sont mieux détectées par l’OCT du CGR, la profondeur de l’atteinte est mieux étudiée par le champ visuel. Ces deux examens s’éclairent mutuellement et leur confrontation va devenir un standard. Une petite réduction de sensibilité lumineuse correspond à une forte perte de cellules ganglionnaires. Un champ visuel normal peut coexister avec une sérieuse atteinte anatomique, la reconnaissance du glaucome pré-périmétrique va être facilitée. L’étude de l’épaisseur locale du CGR (Fig. 15) va illustrer la cinétique de dégradation structure-fonction chez ce patient. Les zones saines du CGR, en dehors du bourrelet, ont 100 microns d’épaisseur (carrés verts). 204 Figure 12 - Forte atteinte arciforme bilatérale temporale inférieure. Figure 13 - Corrélation avec le CV 24-2 : à droite l’atteinte de la structure précède l’atteinte fonctionnelle, à gauche : bonne corrélation structure-fonction. Figure 14 - Corrélation avec le CV 10-2 : discrète atteinte fonctionnelle à droite et forte atteinte à gauche sur des déficits arciformes anatomiquement semblables. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 Complexe ganglionnaire rétinien en oct et confrontation au champ visuel Sur l’œil droit, l’épaisseur du CGR dans la zone atteinte est de 65 microns (carrés blancs), mais ne donne presque aucune perte de sensibilité sur son CV en figure 14 (carrés blancs, la rétine inférieure est en haut). Sur l’œil gauche, la zone atteinte fait 60 microns et donne un scotome absolu sur son CV de la figure 14 (carrés blancs, la rétine inférieure est en haut). Autrement dit, chez ce patient, la perte des 35 premiers microns est indolore fonctionnellement, mais l’apoptose de cinq microns sup- plémentaires est fatale. Même si ces chiffres ne peuvent être généralisés, ils illustrent le grand décalage dans le temps entre la structure et la fonction et nous amènent à être très vigilants sur les zones anatomiquement atteintes. Figure 15 - A droite le CGR atteint est à 65 microns, pour 60 microns à gauche ; une petite progression à droite causera une forte atteinte fonctionnelle. Cas N° 5 : Contradiction entre le champ visuel et le CGR Figure 16 - Champ visuel 30-2 fluctuant d’une fois sur l’autre, mauvaise attention Figure 17 - Les déficits du CV 10-2 ne sont pas ou fluctuation pathologique ? Le patient suivant (Fig. 16) a un CV 30° fluctuant et on suspecte un manque de fiabilité. La confrontation structure-fonction sur le CV 10-2 (Fig. 17) permet d’invalider celui- corrélés au CGR, le CV est disqualifié. ci car la moindre perte de sensibilité doit correspondre à une forte atteinte anatomique, ce qui n’est pas le cas ici. Rappelons qu’une perte de 3 dB est déjà la perte de la moi- Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 tié de la sensibilité et qu’une perte de 6 dB correspond à une perte des trois quarts. Ici le CGR est tout à fait dans la norme et les CV ne sont donc pas fiables. 205 en pratique Fluctuations du champ visuel Les fluctuations du champ visuel vont être éclairées par la confrontation avec les atteintes du CGR au lieu de perturber l’analyse. Dans le premier cas (Fig. 18), les zones saines varient peu, ce qui atteste la bonne coopération du patient. Dans les zones atteintes, certains points s’améliorent nota- blement (en vert), d’autres empirent (en rouge) : ces fluctuations attestent de la souffrance locale et font partie de la définition du glaucome. Ils confortent le diagnostic. Dans le cas très évolué suivant (Fig. 19), les zones fortement atteintes ne fluctuent plus : l’apoptose est totale. Les zones relativement saines ne fluctuent pas non plus. Les zones frontières sont de sensibilité fluctuante, à surveiller. Le dogme de l’inutilité des examens de structure dans le glaucome évolué est renversé ; L’OCT du CGR devient un examen important pour en évaluer la gravité. Figure 19 - Les fluctuations se produisent sur les zones frontières, Figure 18 - Les fluctuations ont lieu sur les zones déficitaires du en souffrance. CGR : ce sont des fluctuations glaucomateuses. Conclusion En conclusion, l’OCT du complexe ganglionnaire complète l’OCT des fibres optiques papillaires. Cette étude est limitée au pôle postérieur mais il est le plus riche en cellules ganglionnaires et le plus important fonctionnellement. En montrant les atteintes les plus débutantes, en confirmant, en infirmant et en anticipant les atteintes fonctionnelles, cet examen va apporter plus de certitude à tous les stades évolutifs dans le diagnostic de cette maladie difficile qu’est le glaucome. n Mots-clés : Glaucome, Champ visuel, Optical coherence tomography, Complexe ganglionnaire rétinien pour en savoir plus • Zeitoun M. Voir le glaucome en OCT. Les Cahiers d’Ophtalmologie 2009 ; 134 : 16-21. • Zeitoun M. Cellules ganglionnaires et glaucome en OCT. Les Cahiers d’Ophtalmologie 2010 ; 139 : 33-5. • Zeitoun M. Atteintes périmaculaires du glaucome sur les cellules ganglionnaires en tomographie en cohérence optique. J Fr Ophtalmol 2010 ; 33 : 758-65. 206 • Zeitoun M. Formes cliniques de glaucome maculaire en tomographie en cohérence optique. J Fr Ophtalmol 2011. In press. • Zeitoun M. Glaucome et OCT : Correspondance structure-fonction sur le complexe ganglionnaire. Les Cahiers d’Ophtalmologie 2011 ; 153 : 13-7. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 Complexe ganglionnaire rétinien en oct et confrontation au champ visuel Tutoriel Superposition champ visuel et relevé CGR Dr Michel Zeitoun * Voici un tutoriel permettant de superposer le champ visuel au relevé du CGR. Nous utilisons le logiciel en shareware PaintShopPro® version 6.02, disponible à l’adresse suivante : http://www.oldapps.com/Paint_Shop_Pro.php Mais tout logiciel graphique gérant les calques fera l’affaire. teintes du champ visuel se trouvent bien à l’intérieur de l’atteinte arciforme du CGR. • Inverser le CGR par le menu “Image/ Renverser” et enregistrer (Fig. 2). • Copier la partie du CV en déviation totale et la coller sur le CGR “comme un nouveau calque” (Fig. 3). • Ajuster l’opacité du calque à 40 % par le menu “Calque/Propriétés” (Fig. 4). • Mettre le calque à l’échelle par le menu “Image/Redimensionner/Pourcentage de l’original” en faisant coïncider les 20° du CV aux 6 mm de la cartographie. • Sauvegardez (Fig. 5). Méthodologie • Mettre côte à côte la cartographie du CGR et du CV 10-2 (Fig. 1). Dans le cas présent, la question est de vérifier si les at- Figure 1 - Cartographie du CGR et CV 10-2 côte à côte. Figure 2 - Inversion de la cartographie. * Ophtalmologiste, Saint-Brice sous forêt 95300 [email protected] Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47 207 en pratique Tutoriel (suite) Le résultat est parlant. Le champ visuel et le CGR se complètent mutuellement : les limites de l’atteinte sont mieux dessinées par le CGR, mais l’atteinte fonctionnelle est donnée par le relevé du champ visuel le stade est celui de scotomes isolés). La fonctionnalité des cellules ganglionnaires Figure 3 - Copier-coller du CV 10-2 en déviation. en apoptose n’est pas résumée par leur épaisseur. Le champ visuel de marque MetrovisionTM a automatisé la superposition avec une rétinographie. Souhaitons que toutes les machines évoluent en ce sens. Figure 4 - Réglage de la transparence du CV. Figure 5 - Mise à l’échelle (20° = 6 mm) : dans la zone du déficit arciforme du CGR, la perte de sensibilité varie de 0 dB à -35 dB ! Le glaucome est une maladie déconcertante… 208 Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2011 • vol. 5 • numéro 47