en pratique La maculopathie glaucomateuse sur les cellules ganglionnaires en OCT Une nouvelle approche : son intérêt pratique Dr Michel Zeitoun* Introduction L’examen du glaucomateux, ou du suspect de l’être, comporte un examen de la structure confronté à un examen de la fonction. L’OCT de la papille est un examen de la structure des fibres optiques péripapillaires et son apport au diagnostic est important. Le champ visuel teste la fonction qui, fort heureusement, est touchée plus tardivement que les cellules ganglionnaires et leurs fibres. Jusqu’à présent, la macula avait la réputation d’être longtemps indemne, jusqu’au stade terminal, grâce à sa richesse en cellules ganglionnaires. En effet, autour de la fovéa se trouve un amas de cellules ganglionnaires formant un bourrelet périfovéal. L’étude en OCT Spectral Domain de ce bourrelet va révéler des atteintes parfois précoces de l’aire maculaire. A travers une histoire clinique, nous allons comprendre l’intérêt de cette nouvelle analyse. Premier examen Ce patient de 52 ans cumule les facteurs de risque : une hémorragie papillaire gauche (Fig. 1), une pachymétrie fine (492 microns) et des antécédents familiaux. Cependant, le champ visuel est normal, ainsi que les fibres optiques et le RNFL. La tension oculaire corrigée de la pachymétrie est acceptable. En l’absence d’atteinte de la structure ou de la fonction, on propose un suivi régulier sans traitement. Deuxième examen Un an plus tard, le patient consulte pour une gêne visuelle de l’œil gauche. L’acuité est normale ainsi que l’OCT maculaire. Le champ visuel est considéré comme normal. La papille et la tension paraissent correctes. Nous verrons plus loin que la confrontation structurefonction sur les cellules ganglionnaires, non disponibles alors, aurait pu nous mettre sur la voie d’une atteinte glaucomateuse débutante. On rassure donc (à tort) le patient. Troisième examen * CHR de Gonesse, service du Dr Annelise Hirsch, Val d’Oise [email protected] 52 Encore un an plus tard, la situation a évolué. Au fond d’œil, la papille Figure 1 - Découverte fortuite d’une hémorragie papillaire inférieure (flèche). A ce stade, la papille est normale ainsi que les fibres optiques. présente maintenant une encoche inférieure de l’anneau neuro-rétinien (Fig. 2). En OCT, la papille droite et ses fibres optiques sont normales. En comparaison, l’OCT des fibres optiques de l’œil gauche montre une atteinte du faisceau temporal inférieur (Fig. 3). Mais cet examen, pour précieux qu’il soit, ne nous renseigne nullement sur la présence ou l’absence d’une maculopathie glaucomateuse. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2012 • vol. 6 • numéro 51 La maculopathie glaucomateuse sur les cellules ganglionnaires en OCT Figure 2 - L’anneau neuro-rétinien de la papille gauche présente maintenant une forte encoche inférieure. Le champ visuel, normal à droite, est surprenant à gauche : il montre un point pathologique juxta-fovéolaire (Fig. 4). Ce scotome absolu à 3° du point de fixation n’était pas facilement prévisible au vu de la position de l’encoche papillaire, et fait naître des hésitations et des doutes sur son authenticité. Le nouveau programme d’analyse des cellules ganglionnaires du Cirrus de Zeiss© (Fig. 5) apporte des éléments décisifs : à droite, la couche ganglionnaire est normale avec un bourrelet ganglionnaire périfovéolaire bien riche, alors qu’une atteinte arciforme juxtafovéolaire inférieure à gauche est visible, concordant parfaitement avec le scotome (Fig. 6). La superposition du champ visuel en déviation et de l’OCT se fait par logiciel graphique en inversant l’OCT et en le mettant à l’échelle. Cette atteinte doit ensuite être vérifiée sur le scan vertical où l’apoptose des cellules ganglionnaires et des fibres optiques inféro-fovéolaires est retrouvée (Fig. 7). A l’heure de l’OCT Spectral Domain, il est facile et nécessaire de repérer la rétinopathie glaucomateuse qui accompagne la neuropathie. Figure 3 - Cette encoche se poursuit par une atteinte des fibres optiques temporales inférieures. Figure 4 - Sur le champ visuel, il existe un petit scotome absolu juxta-fovéolaire supérieur. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2012 • vol. 6 • numéro 51 53 en pratique Cette coupe montre également qu’il n’y a physiologiquement pas de cellules ganglionnaires au niveau de la fovéa. Les cellules ganglionnaires des cônes centraux sont déportées vers le bourrelet ganglionnaire : il faut bien avoir présent à l’esprit que le bourrelet ganglionnaire est responsable de la vision centrale en matière de glaucome et que l’atteinte du bourrelet est une atteinte des degrés centraux. Figure 5 - Les cellules ganglionnaires sont normales à droite, mais à gauche, l’atteinte arciforme des cellules ganglionnaires temporales inférieures est significative avec un secteur dans le rouge : c’est une maculopathie glaucomateuse avérée. Figure 7 - La coupe verticale montre bien l’atteinte apoptotique de la couche ganglionnaire ainsi que des fibres opFigure 6 - Superposition du CV 24-2 tiques en inférieur de la fovéa (flèches). en déviation à la cartographie après C’est la rétinopathie glaucomateuse qui inversion et mise à l’échelle par un accompagne toujours la neuropathie. logiciel graphique : le déficit fonctionnel Par ailleurs, les cônes centraux sont scotomateux correspond exactement relayés par les cellules du bourrelet à l’atteinte anatomique du bourrelet ganglionnaire qui est donc responsable ganglionnaire. de la vision centrale. Figure 8 - L’algorithme du Cirrus isole les corps cellulaires ganglionnaires (et la plexiforme interne) en les séparant des fibres optiques (coupe horizontale, entre les lignes colorées). Cet algorithme privilégie l’atteinte locale, l’atteinte des fibres pouvant se manifester à distance. 54 La maculopathie glaucomateuse est une atteinte grave de la vision ayant une répercussion immédiate sur les capacités fonctionnelles du malade et doit inciter à des mesures énergiques pour la stabiliser. La maculopathie peut être isolée et initiale, comme dans le cas présent, ou accompagner des atteintes plus périphériques. Elle peut être sectorielle ou diffuse. Il est certain que l’OCT de la couche ganglionnaire est l’examen le plus précoce pour la dépister, bien avant l’apparition du scotome au champ visuel. La stratégie du Cirrus se concentre sur le bourrelet ganglionnaire péri fovéal, le plus riche en cellules ganglionnaires. Son but est le dépistage et le suivi de la maculopathie glaucomateuse. Il étudie spécifiquement la couche cellulaire ganglionnaire avec la couche plexiforme, sans la couche des fibres optiques (Fig. 8). La comparaison avec le champ visuel se fera avec les 4 points juxtafovéaux du relevé 24°-2 ou bien les 8 degrés centraux du relevé 10°-2, qui est la zone analysée par la base normative. Dans ces limites, l’examen est fiable et reproductible, hormis l’interférence avec d’autres maculopathies. Grâce à une segmentation en 6 Pratiques en Ophtalmologie • Février 2012 • vol. 6 • numéro 51 La maculopathie glaucomateuse sur les cellules ganglionnaires en OCT come, contrairement à l’étude de la couche ganglionnaire. De plus, elle ne permet pas un suivi fin, secteur par secteur, et peut être artéfactée par les pathologies des couches externes. Retour sur le deuxième examen Figure 9 - On reconnaît l’atteinte arciforme inférieure sur la cartographie d’épaisseur globale, mais les zones atteintes ne sont pas reconnues pathologiques sur la base normative : elles sont en vert. L’étude de la couche ganglionnaire est plus pertinente. Figure 10 - Retour sur le deuxième examen. Le champ visuel était normal partout sauf un point juxta-fovéolaire incongru de perte de 10 dB qui a été ignoré. secteurs, la comparaison chiffrée supérieure – inférieure et droite – gauche est aisée ainsi que le suivi, secteur par secteur. On prêtera également attention aux moyennes par rapport à la norme, ainsi qu’aux minimales qui indiquent si une atteinte est localisée (nettement inférieure à la moyenne), ou diffuse (proche de la moyenne) (Fig. 5). Enfin, sur l’épaisseur maculaire globale (Fig. 9), on pouvait deviner l’atteinte arciforme inférieure empiétant sur le bourrelet ganglionnaire, mais il faut noter que la cartographie de cette zone est dans le vert (alors que la zone supérieure de la macula dépasse la norme par richesse cellulaire). La mesure de l’épaisseur rétinienne globale n’est donc pas un bon indicateur de glau- Pratiques en Ophtalmologie • Février 2012 • vol. 6 • numéro 51 Sur le Cirrus, l’analyse des cellules ganglionnaires peut se faire à postériori sur un macular cube enregistré. Nous avons donc repris le deuxième examen déclaré normal (Fig. 10-12). Le champ visuel d’alors montrait un seul point bizarre juxta-fovéolaire avec une perte de 10 dB que l’on avait négligé (Fig. 10). En fait, dès ce stade, l’analyse des cellules ganglionnaires (non disponible alors) pouvait montrer une discrète atteinte arciforme du bourrelet ganglionnaire gauche en temporal inférieur de la fovéa réalisant une “marche temporale” (Fig. 11). La confrontation avec le champ visuel d’alors est édifiante (Fig. 12) : cette atteinte anatomique se superpose exactement à la perte de 10 dB difficile à interpréter isolément. Rétrospectivement, c’est à ce stade que se fait l’entrée dans la maladie, même si l’épaisseur du bourrelet gauche est encore partout dans le vert, donc dans la norme, et le champ visuel peu significatif. Les atteintes débutantes, minimes et peu concluantes de la structure et de la fonction, deviennent significatives si elles coïncident exactement. Enfin, l’évolution entre le deuxième (Fig. 11) et le troisième examen (Fig. 5) montre que l’analyse est reproductible sur l’œil sain, et suffisamment précise sur l’œil atteint pour détecter une perte de cellules ganglionnaires en un an. 55 en pratique Figure 12 - Retour sur le deuxième examen. Superposition du CV 24-2 en déviation à la cartographie après inversion et mise à l’échelle : le déficit fonctionnel modéré correspond exactement à l’atteinte anatomique débutante du bourrelet ganglionnaire. Les deux examens, non significatifs isolément, se confirment mutuellement. Cette atteinte est donc certaine, comme l’évolution l’a Figure 11 - Retour sur le deuxième examen. Le bourrelet ganglionnaire gauche montrait une atteinte arciforme temporale inférieure débutante réalisant une “marche temporale”. Elle n’atteint pas encore le seuil statistique de significativité car tous les secteurs sont dans le vert. prouvé au troisième examen. Cependant, il faut noter que l’analyse n’est pas effectuée au-delà du cercle des 8 degrés centraux car la couche ganglionnaire devient unicellulaire et son atteinte difficile à détecter (Figure 13, autre patient, cas de glaucome sévère sur l’hémi rétine inférieure). Conclusion En 2012, il n’est plus concevable d’ignorer la maculopathie glaucomateuse. Du fait de sa gravité, sa recherche doit faire partie du bilan systématique et du suivi de tout glaucomateux, dès le stade initial. Grace à l’OCT de la couche ganglionnaire, cette recherche bénéficie elle aussi de la confrontation structure–fonction pour confirmer, infirmer et surtout anticiper les atteintes du champ visuel. Cette maculopathie ne doit plus être une surprise du n champ visuel Figure 13 - L’analyse normative est limitée au cercle des 8 degrés centraux ; ­au-delà, l’analyse n’est pas significative et n’est pas effectuée (cas de glaucome sévère atteignant toute l’ hémirétine inférieure visible sur la coupe verticale au niveau des flèches, avec une nette asymétrie des couches ganglionnaires inférieures apoptotiques, par rapport aux couches saines de l’hémirétine supérieure). 56 pour en savoir plus 1. Zeitoun M. Formes cliniques de glaucome maculaire en tomographie en cohérence optique. J Fr Ophtalmol 2012. In press. Disponible en ligne depuis le 19 Octobre 2011. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2012 • vol. 6 • numéro 51