L’INTERMÉDIATION FINANCIÈRE DANS LE CONTEXTE DU NOUVEAU PARADIGME COMMERCIAL : EDC ET LE COMMERCE D’INTÉGRATION Stephen S. Poloz Premier vice-président, Affaires générales, et économiste en chef Exportation et développement Canada Ottawa, Canada [email protected] Le 25 janvier 2007 Mise à jour : Le 5 janvier 2012* *Le monde n’a pas cessé de bouger depuis que ce document a été rédigé en janvier 2007, quand l’auteur était premier vice-président, Affaires générales, et économiste en chef d’EDC. Les entreprises canadiennes ont fait de grands pas pour s’adapter à la réalité de la mondialisation, et EDC a approfondi sa connaissance de la situation des entreprises canadiennes, grâce à son interaction quotidienne avec elles et aux commentaires directs des lecteurs intéressés sur ce document. Il faut remercier spécialement Elliot Lifson pour son intérêt et son soutien continu. L’auteur est maintenant président et chef de la direction d’EDC. Les vues exprimées sont les siennes. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Exportation et développement Canada. Introduction Notre planète se mondialise et un nouveau paradigme commercial apparaît. La compétitivité d’une entreprise canadienne typique ne dépend plus seulement de son efficacité et de sa productivité à l’échelle locale, mais aussi de son interaction avec des fournisseurs étrangers, des fournisseurs de logistique et des intermédiaires financiers. L’objet du présent exposé est d’examiner ce changement de paradigme, de déterminer sa dynamique et d’en tirer les conséquences pour l’intermédiation financière internationale. La discussion portera ensuite sur la façon dont EDC évolue pour s’adapter à ce nouveau monde du commerce international. Le monde est plat 1 Dans son livre The World Is Flat, Thomas Friedman explique comment il y a plus de 500 ans, Christophe Colomb a quitté l’Europe pour l’Inde en partant vers l’ouest. Son hypothèse était que la Terre était ronde et que, par conséquent, on pouvait atteindre l’Inde par la mer en se dirigeant vers l’ouest ou par la terre en se dirigeant vers l’est. Il a découvert l’Amérique au lieu d’arriver en Inde et il a appris que le monde était beaucoup plus grand qu’il ne l’avait imaginé. Aujourd’hui, dit M. Friedman, on va de l’Amérique en Inde, par avion, et on redécouvre l’Amérique : des milliers d’Américains et d’Indiens travaillent ensemble pour des entreprises internationales, dans des tours de bureaux de style américain, entièrement coordonnés en temps réel en Amérique et en Inde. Puisque la distance géographique n’a presque plus d’importance aujourd’hui, M. Friedman estime que le monde est redevenu plat. Comment le monde est-il devenu si plat? Selon M. Friedman, cet aplatissement est le résultat d’événements tels que la chute du mur de Berlin, l’invention de logiciels permettant aux ordinateurs de communiquer entre eux, le développement de collecticiels permettant de répartir des tâches dans l’espace et le temps et l’installation de milliers de kilomètres de fibres optiques reliant toutes les parties du monde entre elles. Cette infrastructure a fait surgir diverses formes d’impartition, de délocalisation et d’internalisation qui, aujourd’hui, sont prises pour acquises tant par les entreprises mondialisées que par les petites entreprises branchées sur le monde. M. Friedman soutient avec conviction que les forces qui ont été libérées sont loin d’être épuisées. Certaines entreprises comme Wal-Mart et Hewlett-Packard sont à l’avant-garde et sont devenues des expertes de la mondialisation. D’autres trouvent qu’elles ne peuvent pas soutenir la concurrence dans un marché mondial parce qu’elles ne profitent pas encore pleinement de l’aplatissement du monde. Ce 1 Friedman, Thomas, The World is Flat: A Brief History of the Twenty-first Century, New York: Farrar, Straus and Giroux, 2005. processus de convergence dans lequel toutes les entreprises finissent par participer à l’aplatissement du monde se poursuivra pendant un certain temps. Les entreprises devront s’y adapter ou périr. Forces et catalyseurs de l’économie Toutes les forces mentionnées par M. Friedman pourraient être mieux décrites comme des catalyseurs car les véritables forces qui agissent sont encore plus fondamentales. En effet, notre compréhension de ces forces remonte à l’origine même de la discipline de l’économie. L’économie est l’organisation du processus de spécialisation. Celui-ci est la force fondamentale qui 2 sous-tend la description de l’histoire de l’économie de Jared Diamond intitulée Guns, Germs, and Steel . Au début, l’homme passait tout son temps d’éveil à chercher de quoi se nourrir et à nourrir sa famille immédiate. À un moment donné, la découverte d’une terre fertile a fait jaillir l’idée de la culture et l’homme a commencé à voir les avantages de la sédentarité. Il s’est mis à cultiver la terre et à garder des animaux domestiques, tout en s’immunisant contre les maladies (germs/microbes). À partir de là, les progrès de la société sont devenus une affaire de spécialisation à mesure que les acteurs de l’économie ont assumé un rôle de plus en plus étroit et se sont mis à faire des échanges ou du commerce entre eux afin de satisfaire tous leurs besoins. C’est la spécialisation, combinée aux échanges commerciaux, qui a engendré des surplus, ce qui a permis aux sociétés de financer leur gouvernement, la recherche (steel/acier), la religion, l’armée (guns/armes), etc., bref tous les principaux ingrédients qui ont finalement permis à l’Europe de dominer le monde moins développé. La tendance à se spécialiser dans une activité économique est toujours aussi puissante aujourd’hui qu’il y a 50 000 ans. C’est de cette façon que les gens deviennent plus productifs et les entreprises plus rentables. Des exemples bien connus sont ceux de l’usine d’épingles d’Adam Smith et de la chaîne de montage d’Henry Ford. C’est également grâce à la spécialisation que les économies ou les pays réussissent. Toutes les tendances importantes de l’économie mondiale d’aujourd’hui peuvent être vues dans cette perspective et les diverses barrières s’opposant aux progrès peuvent presque toujours être considérées comme des obstacles à une spécialisation accrue dans l’activité économique. Cela veut dire que le processus de la mondialisation ressemble à une force de la nature. Un bon nombre de phénomènes que M. Friedman analyse dans son livre sont en fait des catalyseurs qui facilitent l’accroissement de la spécialisation. Les découvertes technologiques, qui ont rendu le monde si plat, ont également permis aux entreprises de couper leurs produits et procédés en petites tranches toujours plus spécialisées. Ces tranches peuvent alors être exécutées là où la correspondance entre les compétences des travailleurs, la productivité et les taux de rémunération est optimale. C’est ainsi qu’en 2 Diamond, Jared, Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies, New York, W.W. Norton & Company, 1999. - Traduction française : De l’inégalité parmi les sociétés. raison des catalyseurs déterminés par M. Friedman, les processus qui exigent peu de compétences peuvent être réalisés par une main-d’œuvre abondante qui ne coûte pas cher, même si elle se trouve très loin du siège social. La production peut donc être dispersée géographiquement, ce qui porte la spécialisation à un niveau entièrement nouveau. Il en résulte essentiellement une désintégration verticale des entreprises. L’entreprise intégrée verticalement était naguère une organisation d’avant-garde contenant une pléthore de synergies et réalisant de nombreuses économies d’échelle et de gamme. Aujourd’hui, l’entreprise peut rester virtuellement intégrée verticalement, mais ses emplacements physiques sont dispersés dans le monde. La chaîne de montage d’Henry Ford se mondialise. Pour illustrer cette évolution, prenons l’exemple d’une entreprise nationale dont l’usine et le siège social se trouvent dans le même bâtiment. Pour produire, elle utilise des travailleurs qualifiés et non qualifiés 3 ainsi que des travailleurs super qualifiés ou « chevaliers jedi » . Son produit est ensuite vendu dans le monde entier. Il s’agit d’une entreprise classique verticalement intégrée comme le montre le schéma suivant. Processus no 1 : Tous les travailleurs font le même produit du début à la fin Composante 1 (travailleurs non qualifiés) Tous les travailleurs Composante 2 (travailleurs qualifiés) Composante 3 Produit final Productivité moyenne faible, coûts élevés, marchés étrangers et national menacés par la concurrence L’entreprise voit une occasion d’impartir la production de la composante 1 car d’autres entreprises se spécialisent exactement dans ce travail. Le monde aplati élargit considérablement l’ensemble des éventuels partenaires de production, qui n’inclut plus seulement des sous-traitants du pays, mais aussi des fabricants étrangers à faible coût. Dans le passé, le recours à un fournisseur étranger pouvait imposer la nécessité de stocker de grosses quantités pour parer à toute éventualité de rupture d’approvisionnement. Dans un monde plat, la technologie informatique et un soutien logistique solide peuvent faire fonctionner une chaîne d’approvisionnement mondiale pratiquement juste à temps. Par conséquent, l’entreprise se réorganise comme suit. 3 Le mot « jedi » est emprunté à la populaire série de films La guerre des étoiles. Processus no 2 : La production mondialisée permet une plus grande spécialisation Travailleurs étrangers Travailleurs nationaux Produit intermédiaire Composante 1 (travailleurs non qualifiés) Composante 2 (travailleurs qualifiés) Composante 3 Commerce international Produit intermédiaire - Plus grande productivité Produit final Productivité moyenne plus élevée, coût plus faible, ventes mondiales accrues, croissance de l’emploi à l’échelle nationale dans les catégories à rémunération élevée (travailleurs qualifiés et chevaliers jedi) Assemblage final L’entreprise se spécialise maintenant dans les composantes 2 et 3 tandis que le fournisseur étranger se spécialise dans la composante 1. Cela se traduit par une hausse de la productivité dans les opérations nationales, une baisse des coûts dans l’ensemble et la capacité de déterminer le prix du produit plus audacieusement et d’augmenter les ventes à l’échelle internationale. Dans ce modèle simple, l’entreprise a délocalisé la production d’une composante. La réalité est cependant beaucoup plus complexe. La décision de délocaliser un maillon de la chaîne d’approvisionnement à l’étranger dépend de nombreux facteurs. Ainsi, les activités à forte intensité en capital plutôt qu’en main-d’œuvre coûtent peut-être aussi cher à l’étranger qu’au pays. Il peut également y avoir des coûts liés à la gestion de longues chaînes d’approvisionnement par rapport aux chaînes courtes. En réalité, il existe un continuum le long duquel l’entreprise choisira divers degrés de délocalisation, en fonction de sa structure de capital et des endroits où se trouvent ses clients. Et si la situation change – par exemple, parce que la technologie avance et rend le processus plus capitalistique, ou qu’un client déménage et veut que son fournisseur se rapproche de lui, ou que les coûts du transport augmentent – la délocalisation optimale d’une entreprise donnée peut changer elle aussi. Autrement dit, il serait légitime qu’une entreprise délocalise un jour une partie de ses activités et renverse cette décision par la suite, sans que cela signe l’arrêt de mort de la mondialisation. Qu’advient-il de la main-d’œuvre dans l’entreprise nationale? Il y a une tendance naturelle à se concentrer sur la perte immédiate potentielle d’emplois peu qualifiés au pays, attribuable à la mondialisation de l’entreprise. Cette préoccupation est légitime, mais il ne faut pas perdre de vue le tableau d’ensemble. Premièrement, si la restructuration rend l’entreprise plus compétitive, ses ventes augmenteront. Il faudra donc importer encore plus de composantes du fournisseur étranger, mais il faudra également employer plus de travailleurs qualifiés et de chevaliers jedi (emplois bien rémunérés) au pays. Idéalement, les travailleurs peu qualifiés au pays auront la possibilité de recevoir la formation requise pour les nouveaux emplois créés dans la chaîne de valeur. En outre, les revenus élevés de l’entreprise sont dépensés au pays et créent de nouveaux emplois dans l’économie intérieure, en particulier dans le secteur des services. Deuxièmement, la structure finale de l’entreprise ne doit pas être comparée à son point de départ, mais plutôt à ce qu’elle aurait pu être en l’absence de la mondialisation. Si la concurrence se mondialise et que l’entreprise ne le fait pas, la concurrence sera trop forte et l’entreprise sera forcée de toutes façons de fermer boutique, perdant ainsi tous les emplois plutôt que quelques emplois peu qualifiés. Les conséquences pour la productivité sont également très importantes. Il est évident que si les activités peu spécialisées sont retirées des opérations, la valeur du rendement par travailleur augmente dans l’entreprise nationale. C’est une simple question d’arithmétique. Et ce n’est pas parce que les travailleurs qui sont restés sont devenus plus intelligents ou plus rapides ou utilisent une meilleure technologie. C’est la combinaison des tâches effectuées dans le pays qui a changé. Si les activités à faible productivité ont disparu non seulement de l’usine, mais aussi du pays, la productivité mesurée pour l’ensemble de l’économie augmentera. Simple question d’arithmétique encore une fois. C’est cet effet de mondialisation qui est en grande partie à la base de ce qu’on a appelé le « miracle de la productivité », qui s’est produit aux États-Unis à la fin des années 1990 et au début de la présente décennie. Finalement, il convient de remarquer que l’entreprise mondialisée fait beaucoup plus de commerce international qu’auparavant. Alors que dans le passé, elle déplaçait la composante 1 d’une partie de l’usine à une autre, elle doit maintenant la faire venir de chez son fournisseur étranger pour l’assemblage final dans son usine nationale. C’est ce que nous appelons le « commerce d’approvisionnement ». Ensuite, le produit fini est vendu dans le monde, comme auparavant. Il s’agit de ventes à l’exportation ou de « commerce de ventes ». Quelques caractéristiques représentatives du commerce d’intégration Il est utile de résumer le nouveau paradigme commercial sous la forme d’un simple modèle économique, représenté par la figure ci-dessous. Nous avons appelé le nouveau paradigme « commerce d’intégration » parce qu’il intègre le commerce d’exportation et le commerce d’approvisionnement ainsi que les flux d’investissement direct étranger requis pour établir des chaînes d’approvisionnement mondiales. On peut envisager le modèle du commerce d’intégration comme émergeant du processus de croissance de l’entreprise qui se mondialise. Au début, l’entreprise fait des ventes à l’exportation traditionnelles et toute la production est effectuée au pays. Elle commence ensuite à importer des composantes afin de réduire les coûts, d’améliorer ses prix et d’augmenter ses ventes à l’exportation. Après un certain temps, elle achète un fournisseur étranger ou bien en crée éventuellement un en englobant ainsi la chaîne d’approvisionnement mondial dans sa propre structure. Cette création exige que l’entreprise investisse à l’étranger pour s’engager dans ce que les statisticiens appellent « l’investissement direct étranger ». Finalement, la société affiliée étrangère est en mesure de développer ses ventes à l’exportation et de vendre à des tierces parties. Modèle du commerce d’intégration Entreprise canadienne Ventes à l’exportation Intrants importés Intrants importés Clients étrangers Investissement direct à l’étranger Ventes de la société affiliée Fournisseurs étrangers Intrants de sources étrangères Société affiliée étrangère de l’entreprise canadienne L’émergence du commerce d’intégration signifie qu’il y a nettement plus de commerce international qui intervient dans la production de l’unité suivante que dans le passé. Puisque dans le commerce d’intégration, les entreprises doivent acheter des composantes d’abord (commerce d’approvisionnement) et vendre leur produit final ensuite (commerce d’exportation), de nombreux articles passent plus d’une fois par le commerce extérieur. C’est ainsi que, ces derniers temps, le commerce international a augmenté deux fois plus vite que l’économie mondiale. Mais l’inverse peut aussi être vrai. Durant la récession mondiale de 2008-2009, le commerce mondial s’est presque effondré, et ce recul du commerce a été beaucoup plus prononcé que ce que semblait justifier le ralentissement économique. Ce phénomène a été suivi par un rebondissement impressionnant du commerce, l’activité économique se stabilisant. Par ailleurs, les investissements transfrontières, qui ont une importance cruciale dans l’établissement des chaînes d’approvisionnement mondiales, grossissent encore plus rapidement que le commerce, depuis longtemps maintenant. Une conséquence de la croissance du commerce et des investissements transfrontières est le fait que les économies d’aujourd’hui sont encore plus intimement reliées que dans le passé. En effet, si l’on prend comme point de départ la chute du mur de Berlin en 1989-1990, l’importance du commerce international dans la production de revenus dans le monde s’est accrue de 50 % en 15 ans seulement. En 1990, moins de 40 % du PIB mondial dépendait du commerce tandis qu’aujourd’hui, ce taux est de près de 60 %. Ce simple calcul met en perspective les prédictions (brièvement) populaires de « découplage », selon lesquelles les pays émergents seraient à l’abri du ralentissement américain en 2008-2009. Dans les faits, le monde a connu le ralentissement le plus marqué et le plus synchronisé jamais vu, simplement parce que l’interconnectivité ne cesse de grandir. Une autre conséquence du commerce d’intégration est le fait que l’infrastructure du commerce mondial est mise à rude épreuve. La planification des ports, des ponts et des chemins de fer devant répondre à la croissance économique mondiale n’est simplement plus suffisante étant donné que le commerce croît pratiquement deux fois plus vite que le PIB mondial pour engendrer cette croissance économique. À l’avenir, il faudra surinvestir dans l’infrastructure commerciale si les économies doivent faire fond sur le phénomène de mondialisation. Le commerce d’intégration change également notre façon de penser aux statistiques commerciales et aux politiques commerciales. Premièrement, au lieu d’être strictement bilatéral, le commerce est devenu beaucoup plus triangulaire; en général, il est multidimensionnel, mais un triangle illustre bien le concept. Le commerce d’approvisionnement d’une économie peut être axé sur un seul pays, tandis que son commerce d’exportation peut être axé sur un autre. C’est ainsi que le Canada peut avoir un déficit commercial avec la Chine, un important fournisseur, et un excédent commercial avec les États-Unis, un important acheteur. Si l’on se concentre sur les balances commerciales bilatérales, on rate l’image d’ensemble, soit le fait que les trois côtés du triangle se renforcent mutuellement. En résumé, nous ne pourrions avoir toutes les exportations actuelles vers les États-Unis sans nos importantes relations d’approvisionnement avec la Chine, qui sous-tendent les importations. Deuxièmement, le commerce est de plus en plus de nature « intra-entreprise » étant donné que les entreprises finissent par commercer avec leurs propres sociétés affiliées à l’étranger. Par exemple, plus de la moitié des exportations actuelles de la Chine ne sont pas effectuées par des entreprises chinoises, 4 mais par des multinationales étrangères établies en Chine . Environ la moitié des importations des États-Unis sont actuellement des importations intra-entreprise et près du tiers des exportations américaines sont aussi intra-entreprise. Cela change considérablement le calcul du déficit commercial américain, qui a été analysé en détail. En effet, selon le niveau de propriété transfrontalière requis pour que l’on puisse considérer que les échanges entre deux entités sont des échanges intra-entreprise, on 4 Voir David Hale et Lyric Hughes Hale, « China Takes Off », Foreign Affairs, novembre/décembre 2003. estime que la moitié ou même les deux tiers du déficit commercial américain réside dans des multinationales. Cela signifie que la majeure partie du déficit est intentionnelle et s’autofinance, ce qui contraste avec la sagesse traditionnelle. On peut donc penser que, même si le dollar américain devait subir une forte dépréciation, cela aurait peu d’incidence sur le déficit commercial puisque les entreprises continueraient à fonctionner à l’échelle internationale. Certaines sociétés affiliées étrangères sont établies non pas pour approvisionner la société principale, mais pour servir directement le marché étranger. Cet arrangement peut être un substitut au commerce lorsqu’il existe des obstacles commerciaux, par exemple, ou que la vente exige une livraison en main propre comme dans le cas de services financiers. C’est d’ailleurs pour cette dernière raison que les banques et les compagnies d’assurance canadiennes sont de gros investisseurs en dehors du Canada. L’économie américaine engendre un PIB annuel de quelque 15 billions de dollars, tandis que les sociétés affiliées étrangères d’entreprises américaines réalisent des ventes annuelles de 5 à 6 billions de dollars à partir de leurs emplacements situés en dehors des États-Unis, ce qui représente environ le triple des exportations à partir des États-Unis. De même pour le Canada, les ventes des sociétés affiliées étrangères d’entreprises canadiennes s’élèvent à environ 500 milliards de dollars par an et elles sont classées dans la même catégorie que les ventes à l’exportation effectuées à partir du Canada. En raison de l’émergence du paradigme du commerce d’intégration, les économies nationales d’aujourd’hui ne se confinent plus aux frontières sur papier. Les entreprises ne tiennent pas compte des frontières géographiques. Cela doit avoir des conséquences sur notre façon de voir le commerce et d’interpréter les statistiques commerciales. Conséquences pour l’intermédiation financière Sur papier, les ventes à l’exportation semblent bien faciles. À en croire les manuels, le Canada commerce avec les États-Unis, des biens et des services entrent et sortent et tout est très simple. En réalité, le commerce se produit entre des entreprises et dans presque tous les cas, l’acheteur étranger prend son temps pour faire entrer les importations canadiennes dans la chaîne de magasins avant de payer l’exportateur. Donc, l’exportateur envoie les biens et attend le paiement, assumant ainsi le risque de crédit relatif à l’acheteur, ce qui peut réduire son propre crédit chez lui. Il se peut que l’acheteur étranger décide de ne pas payer ou qu’il éprouve des difficultés à payer, ce qui fait peser tous les risques connexes sur l’exportateur canadien. C’est ici que doit intervenir l’assurance-comptes clients conçue pour réduire le risque de l’exportateur dans ses exportations courantes et améliorer sa situation de crédit auprès de sa banque. Il se pourrait également que l’acheteur étranger veuille financer son achat sur une longue période, s’il s’agit d’un achat de biens d’équipement, par exemple. Dans ce cas, l’intermédiaire financier pourrait prêter à l’acheteur étranger et tiendrait une hypothèque sur le crédit jusqu’à ce qu’il soit remboursé. Ces formes d’intermédiation financière utilisées pour le commerce d’exportation traditionnel sont assez complexes. Mais si l’on ajoute les dimensions du commerce d’approvisionnement, de l’investissement dans des sociétés affiliées étrangères et du service fourni à des marchés tiers par les sociétés affiliées, on a des arrangements transfrontières beaucoup plus détaillés qui peuvent requérir une facilitation financière considérable, sous forme d’assurance ou de prêt. Pensez à la différence qui existe entre une situation où une entreprise fait une vente à l’exportation, expédie les biens et attend 90 jours avant de recevoir le paiement et une situation où l’entreprise fait un investissement considérable dans une économie étrangère et y produit sur place ses biens ou services. En plus de courir le risque de ne pas être payé, l’entreprise s’expose à des risques liés à un système juridique étranger, à des risques liés au taux de change, à des risques politiques et à toutes sortes d’autres risques plus subtils liés à la responsabilité sociale des entreprises. Il est certain que l’obtention de facilités financières permettant de couvrir les dimensions supplémentaires du commerce d’intégration peut avoir une importance cruciale pour la compétitivité de l’entreprise. Une entreprise étrangère ayant la même technologie et la même chaîne d’approvisionnement mondiale peut être plus compétitive si sa banque ou sa compagnie d’assurance est meilleure et plus souple que le partenaire financier de l’entreprise canadienne, toute chose étant égale par ailleurs. De plus en plus, les intermédiaires financiers doivent être prêts à offrir des ensembles multidimensionnels de services à leurs clients pour que ceux-ci gardent leur place sur l’échiquier mondial. Conséquences pour EDC EDC est l’organisme officiel de crédit à l’exportation du Canada. Les organismes de crédit à l’exportation ont été établis afin de faciliter le commerce d’exportation traditionnel pour les entreprises de leur pays. En effet, étant donné les risques du commerce international et l’investissement initial requis d’une institution financière qui se spécialise en financement du commerce, le marché du crédit à l’exportation est incomplet. Les organismes de crédit à l’exportation comblent donc les vides laissés par les institutions financières commerciales. Les transactions peuvent prendre la forme d’une assurance-crédit, de financement d’un acheteur étranger, etc. Dans toutes les transactions qu’EDC facilite, il doit être prouvé qu’elles ont des retombées pour l’économie du Canada. Dans le passé, lorsque le commerce se faisait presque exclusivement sous la forme de ventes à l’exportation traditionnelles, le test des retombées pour le Canada consistait à vérifier si l’exportation avait un taux élevé de contenu canadien. L’émergence du commerce d’intégration a modifié ce concept. Aujourd’hui le taux moyen de contenu canadien des exportations est de 70 % et cela inclut un bon nombre d’exportations de ressources dont le contenu canadien est élevé. Il est donc évident qu’il y a de nombreux secteurs où le contenu canadien est nettement moins important. Par exemple, ce contenu se situe autour de 50-55 % pour les exportations du secteur manufacturier et, dans certains cas, le taux peut être plus bas. Un organisme comme EDC a donc plus de mal à évaluer les retombées économiques des transactions qu’il facilite. Certains organismes de crédit à l’exportation ont commencé à modifier l’exigence selon laquelle un bien doit être « fabriqué à...» en demandant qu’il soit « fabriqué par… » pour refléter cette évolution graduelle du mode de fonctionnement des entreprises qu’ils appuient et qui se mondialisent de plus en plus. À EDC, nous avons établi un cadre plus complet pour évaluer les retombées des transactions pour le Canada en tenant compte de la complexité croissante du monde. Ce cadre reconnaît que le contenu canadien est toujours important, mais que d’autres caractéristiques d’une transaction peuvent également profiter au Canada. On peut donc se poser des questions telles que les suivantes en évaluant une transaction : l’entreprise consacrera-t-elle de l’argent à la R-D au Canada? La transaction se déroulera-telle dans un marché où le risque est plus élevé? Si l’entreprise est petite, est-elle moins en mesure d’obtenir de l’aide des grandes institutions? La transaction aura-t-elle des retombées supérieures à la moyenne sur l’emploi au Canada? Le cadre d’évaluation reconnaît également que l’investissement transfrontières engendre le commerce et la prospérité et, par conséquent, EDC aide activement les entreprises canadiennes à croître et à devenir plus compétitives par l’intermédiaire de ce canal. Parce que sa tâche consiste à apporter une capacité de financement et de gestion des risques dans l’espace commercial canadien, mais de manière complémentaire au marché commercial (autrement dit, combler les « vides » sur le marché), EDC a adopté la philosophie des partenariats pour guider ses activités. Cela veut dire que lorsqu’on lui demande des services financiers, EDC s’efforce d’abord de s’allier à un acteur financier pour répondre à la demande. Cela nous semble être une bonne politique : le secteur privé peut établir les modalités de la transaction; la principale relation avec le client reste avec le secteur privé; EDC apporte plus ou moins de capacité, selon les fluctuations de la conjoncture du marché; et le modèle optimise la probabilité que la présence du secteur privé dans l’espace commercial grandisse avec le temps. Une présence accrue du secteur privé permettrait à EDC de se tourner davantage vers les nouveaux marchés frontières où il n’y a presque pas de capacité financière du secteur privé et où EDC pourrait finir par agir seule, tout en restant cependant dans un modèle commercial ou en se conformant aux règles commerciales internationales. Signe de l’importance de ce mode de fonctionnement, près des trois quarts des prêts accordés par EDC des dernières années ont été effectués en partenariat explicite avec le secteur privé. Conclusion? Le monde entier s’internationalise à un rythme rapide et un nouveau paradigme commercial émerge. C’est une force de la nature et non une mode passagère. Nation commerçante depuis toujours, le Canada estime qu’il doit s’adapter rapidement à ce nouveau monde pour rester compétitif et croître. L’infrastructure commerciale du Canada devra être renforcée continuellement pour faciliter la transition. Il faudra notamment améliorer des éléments physiques tels que les ports, les ponts et les installations frontalières pour que le commerce international continue à croître beaucoup plus rapidement que l’économie. Le Canada devra conclure plus d’accords de libre-échange et de protection de l’investissement étranger avec des économies étrangères stratégiques. Il devra aussi assurer davantage sa présence sur le terrain dans les marchés étrangers concernés. Enfin, l’intermédiation financière, de sources commerciales et officielles, devra être beaucoup plus structurée et plus souple.