LE SECULARISME ET LA SECULARISATION INTRODUCTION Le sécularisme à très vite été associé au terme « modernité » : une modernité qui implique une émancipation de l’homme grâce à la libération de l’ensemble des pratiques humaines de la tutelle religieuse. La sécularisation s’est manifestée à travers le domaine sociologique, politique mais aussi idéologique… Nous parlerons de toutes ces événements que vous connaissez tous et qui ont largement participés a la mise en place de la société sécularisée : la philosophie antique, les découvertes scientifiques, la montée de l’individualisme qui s’est opérée depuis la Renaissance. Car la sécularisation s’est faite sur le long terme et très progressivement en démarrant dans la partie occidentale du monde avant de se propager ailleurs. Nous proposerons ici de définir le sécularisme et la sécularisation mais également d’expliquer les différences entre ces deux concepts et celui de laïcité. Puisqu’il s’agit d’un concept occidental, nous établirons une perspective historique de la sécularisation du modèle occidental chrétien puis nous élargirons celle-ci au modèle tunisien. Nous terminerons par une critique de la sécularisation qui nous permettra de percevoir ses limites et ses conséquences sur la société d’aujourd’hui. DEFINITION SECULARISME-SECULARISATION/LAICITE Sécularisme et sécularisation proviennent du mot latin « saecularis » qui signifie « siècle », « temporel » « mondain ». Nous allons définir ces deux termes ainsi que celui de la laïcité puis les mettre en perspective les uns avec les autres, car il est important de ne pas confondre sécularisation-sécularisme avec laïcisation-laïcité. Définition Sécularisme Le sécularisme est une doctrine selon laquelle la religion ne doit pas avoir, ni chercher à avoir, de pouvoir politique ou législatif. Cette doctrine prône la séparation de l'Église et de l'État et affirme par conséquent que le pouvoir politique ne doit pas intervenir dans les affaires propres aux institutions religieuses. Définition sécularisation La sécularisation désigne le processus par lequel les réalités humaines s’établissent dans une autonomie toujours plus grande par rapport aux règles et institutions de pouvoir religieux. La sécularisation est un processus qui consiste, pour une société donnée, à baser sa manière de fonctionner sur des raisons d'où sont extirpées toutes les explications surnaturelles. Définition laïcité Etymologie : du grec laikos : peuple. La laïcité est la conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement. Divergences sécularisme/laïcité A partir de ces trois définitions, il n’est pas encore aisé de comprendre ce qu’est la réelle différence entre sécularisme et laïcité. Nous allons donc les mettre en corrélation afin d’apercevoir les divergences. Le sécularisme désigne une désacralisation de l’ensemble des activités humaines, philosophie culture, sciences... La laïcité n’intervient que lorsque la perte de la tutelle religieuse se fait au niveau institutionnel, au niveau de la société civile et de tout ce qui est en relation avec L’Etat. On dira donc que le sécularisme est un procédé objectif et universel qui transfère la plupart des valeurs sociales qui étaient amalgamées au domaine du sacré depuis le moyen-âge à celui du profane. Selon ce terme, l’organisation sociale est un produit de l’histoire et des politiques humaines. Il s’agit d’un phénomène de civilisation, car au fil du temps, de nouveaux comportements, aspirations, mentalités, attitudes apparaissent provoquant une mutation de l’organisation sociale. Le sécularisme va naturellement influencer l’espace publique afin que ce dernier soit en accord avec les nouvelles représentations de la société. C’est à ce moment qu’intervient la laïcité qui amènera une émancipation du politique de la tutelle religieuse. Elle vise la neutralité du pouvoir politique, que ce celui-ci soit totalement séparé du pouvoir spirituel. Les deux n’ayant plus de pouvoir l’un sur l’autre. Nous avons dit du sécularisme qu’il était un procédé objectif et universelle, la laïcité à l’opposé est un fait subjectif, une représentation en rapport avec la conscience et la position dans le système du sujet : individu ou groupe social. Jean Baubérot1 propose une définition des processus de sécularisation et laïcisation : « la sécularisation implique une relative et progressive (avec des zigzags) perte de pertinence sociale (et, en conséquence, individuelle) des univers religieux par rapport à la culture commune (...) La laïcisation, en revanche, concerne avant tout la place et le rôle social de la religion dans le champ institutionnel, la diversification et les mutations sociales de ce champ, en relation avec l'État et la société civile. » Les pays européens, de par leurs histoires ont chacun vécu la séparation du pouvoir politique et religieux de manières différentes et celle-ci n’a pas toujours été absolue. De manière générale, nous dirons que les pays protestants ont choisi un processus de sécularisation alors que les pays catholiques dont le pouvoir fut à un moment ou un autre aux mains des anticléricaux ont choisi la voie de la laïcisation. La France, par exemple est l’un des Etat dont la laïcité est fondamentale, il n’existe pas de religion officielle, toutes sont autorisées tant qu’elles sont exercées dans la sphère privée. Au Danemark, même si il ne s’agit pas réellement d’une religion, la foi luthérienne est définie comme celle du peuple. Les prêtres 1 Jean Baubérot : historien et sociologue français spécialiste de la sociologie des religions et fondateur de la sociologie de la laïcité reçoivent leurs formations à l’université, et sont ensuite reconnu comme fonctionnaire de l’Etat. Le gouvernement finance aussi le fonctionnement de l’église luthérienne et possède un ministère des affaires ecclésiastiques. La Belgique, est après la France le deuxième pays le plus laïcisé, mais contrairement à lui, il ne s’agit pas ici d’être laïc anticléricaux mais plutôt d’un mouvement d’athées (surtout en Wallonie, en Flandre la religion catholique est plus présente). Il n’y a pas de religion officielle chez nous même si nous pouvons assurer que la religion catholique est par exemple, la religion de la famille royale. PERSPECTIVE HISTORIQUE DE LA SECULARISATION DU MODELE OCCIDENTAL CHRETIEN La sécularisation est un concept occidental qui fut théorisé pour la première fois dans la littérature philosophique politique allemande au cours du XXe siècle. Carl Schmitt2 en fait référence en 1922 sous le mot « Säkularisation » qui est un néologisme allemand calqué sur le mot français « sécularisation ». Pourtant, le processus de sécularisation du vaste champ d’activités humaines existait déjà depuis plusieurs siècles. Ce phénomène résulte d’un long processus historique. La pensée religieuse a longtemps été à la base de création d’œuvres d’arts, de littératures, de découvertes scientifiques, elle les a imprégnées. Elle a également entretenu des liens très étroits voire fusionnels avec les pouvoirs publics mis en place. Tout cela va varier selon les époques. Remontons d’abord dans le temps : Des auteurs comme Georges Minois3 estiment que durant l’Antiquité, certains courants philosophiques qui prônaient une vision plus abstraite de Dieu, niaient son existence et que dès lors notre matérialisme athée actuelle découlerait de la philosophie grecque. Épicure et Lucrèce croyaient en l'existence de dieux, mais leur niait toute intervention sur la Terre et l'ensemble des philosophes de cette école (atomisme) croyaient en une âme formée d'atomes, mais rejetait son immortalité et/ou l'existence d'un Logos (la raison) humain immortel. 2 Carl Schmitt (1888 - 1985) : juriste et philosophe allemand, intellectuel catholique et théoricien du droit. Auteur de l’essai „Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität“ en 1922 3 Georges Minois: historien français auteur de l’ouvrage « Histoire de l'athéisme : les incroyants dans le monde occidental, des origines à nos jours » en 1998 Durant le Moyen-âge, le sacré est très présent, à cette époque, le monothéisme triomphe et s’insère dans la vie quotidienne, l’éthique du catholicisme doit être suivie. Cette période est marquée par la foi dans les écritures religieuses. La tradition chrétienne donnait sens à l'ensemble, à la globalité de la société. Pendant la Renaissance, les sciences tout d’abord, ne veulent se fonder que sur la simple pensée rationnelle. C’est l’émergence d’un savoir critique indépendant de la théologie, L’un des exemples les plus connus est très probablement celui de Galilée qui de par ses observations des satellites de Jupiter, de ses cartographies lunaires est en total contradiction avec l’enseignement religieux selon lequelle la terre serait le centre du monde et non le soleil. Les progrès de la science ont provoqué des conflits avec l’église qui voyait d’un mauvais œil ses théories remise en doute, ce fut encore le cas plus tard lorsque Darwin fit part de sa théorie évolutionniste. Les humanistes du XVe et du XVIe siècle relisent aussi les textes anciens et ont la volonté de replacer l’homme au centre des préoccupations ainsi que de tenter de l’émanciper de la domination religieuse. Certains Princes protestants de cette époque vont même jusqu'à piller les monastères pour financer leurs entreprises terrestres. Malgré tous ces faits préexistants, ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que le processus de sécularisation va prendre une réelle importance dans notre société. Il s’agit de l’époque de l’industrialisation, de l’apparition d’une économie basée sur le profit personnel permettant au concept d’individualisme d’éclore complètement. La modernité représente la perte du rôle social de la religion dans une société qui fonctionne rationnellement. Les sociétés européennes changeaient profondément suite aux révolutions politiques, économiques avec l’industrialisation, scientifiques, sociales et culturelles avec le mouvement des Lumières, entrainant une nouvelle façon de vivre en société, de nouvelles valeurs sociales. Le monde se détermine lui-même, il prend conscience de sa majorité, il détermine ses propres finalités. Peter Berger4 estime que la sécularisation provient réellement de notre économie capitaliste qui est désormais régulée selon des règles indépendantes du religieux et qui au fur et à mesure de la diminution du pouvoir religieux dans ce secteur va se répandre à l’ensemble du champ d’activités humaines. Le monde occidental se caractérise désormais par une rationalisation de l’action pratique, il y a volonté de contrôler et de dominer la nature et les hommes. Le rationalisme économique a finalement affecté l’ensemble des sphères de l’action et notamment les actions sociales. Max Weber parle d’un phénomène de « désenchantement du monde »5, un monde dans lequel les actions sont de type « rationnelle en finalité » c'est-à-dire que les moyens sont choisi en fonction de leur de leur résultats et non de leurs moralités. Les relations sociales en deviennent alors impersonnelles, utilitaires. Le monde pour Weber a perdu sa foi en la « magie », en la croyance de l’action de Dieu dans le monde. Il n’y est plus que question de forces physiques créant des événements qui pourront être expliqué par l’homme. N’étant plus qu’un pur mécanisme physique sans intentions, le monde en devient dépourvu de sens. Au XXe siècle, la poursuite de l’évolution des mœurs concernant aussi bien le divorce, l’euthanasie, l’avortement ou encore le mariage homosexuel contribue encore plus à la diminution de l’influence de l’Eglise. La religion contribuant de moins en moins à la vie sociale, ne participant plus non plus a la réussite et au profit se voit refouler de plus en plus dans la sphère privée, c’est-à-dire dans la sphère de la liberté individuelle. Cette diminution de l’influence de la religion à amener certains auteurs à penser que plus la modernité avançait plus la religion reculait, et à terme disparaitrait. Cette optique est toutefois à relativiser. La religion n’englobe plus, c’est vrai, le fonctionnement de la société, comme ce fut le cas dans le temps, elle ne conditionne plus la façon de vivre. Mais cela ne signifie pas qu’elle va disparaitre. La religion a vu son espace social diminué, elle n’est plus la base fondamentale de la connaissance, du savoir philosophique et scientifique, elle se voit simplement restreinte à la sphère privée. Elle ne s’affaiblit ni ne recule vraiment, elle se concentre désormais sur son propre domaine. L’église tente aussi de vivre avec son temps, elle essaie de ne plus être nostalgique de la pure « chrétienté », de vivre en harmonie avec cette modernité qui l’entoure. A ce sujet le Concile Vatican II (qui débute en 1962) est considéré généralement comme l'événement le plus marquant de l'histoire de l'Église 4 5 Peter Ludwig Berger : sociologue et un théologien américain d'origine autrichien Max Weber : « L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme » 1904-1905 catholique au XXe siècle, symbolisant son ouverture au monde moderne et à la culture contemporaine faite de progrès technologiques considérables, d'émancipation des peuples et de l’acceptation de la sécularisation croissante. La sécularisation a libéré l’individu du pouvoir religieux mais elle n’a pas détaché la société de tout questionnement à l’égard du sens commun et de son ordination à l’universel. Nos sociétés ne sont nullement encore « sorties de la religion » : C’est pourquoi, il faut également poser les limites de cette sécularisation et parler du concept de « retour du religieux » (voir infra)