Sécularisme, religion et nation : les cas turc, pakistanais et israélien

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A. LES DILEMMES DE LA LAÏCITÉ
Sécularisme, religion et nation :
les cas turc, pakistanais et israélien
Hamit Bozarslan*
SOUVENT, la question des rapports entre l’islam et la sécularisation
est posée en termes de compatibilité ou d’incompatibilité. Selon certains analystes, à l’inverse du christianisme, « religion de la sortie de
la religion », l’islam ne permettrait pas une autonomisation du politique, encore moins une transformation de la religion en une conviction privée. Pour d’autres, dont Olivier Carré, nombre d’États musulmans seraient parvenus au cours de l’histoire à produire des formes
spécifiques de séparation entre l’espace politique et l’espace religieux.
Sans entrer dans ce débat, je préciserai dans cette contribution que
dans nombre de pays musulmans contemporains, les rapports entre
sécularisation et religion ne peuvent être compris en dehors de leur
lien avec un troisième terme, qui est la nation, élément bien entendu
postérieur et extérieur au contexte de l’émergence de l’islam. Dans la
quasi-totalité des pays musulmans, en effet, pour des raisons historiques multiples, la religion se confond avec la nation pour la doter
d’une historicité et d’un sens qui la précèdent et la transcendent. Et
dans certains de ces pays, l’« équation séculariste » devient problématique, voire impossible, non pas parce que l’islam ou la sécularisation s’avéreraient mutuellement incompatibles, mais parce que la fragilité structurelle du cadre et de l’identité nationaux, tels que fixés
par les aléas de l’histoire ou par des « pères fondateurs », empêchent
l’autonomisation mutuelle de l’espace politique et de l’espace religieux.
* Historien et politologue, directeur d’études à l’EHESS, il a notamment publié dans Esprit :
« La crise comme instrument politique en Turquie », janvier 2001 et « Ernest Gellner, Clifford
Geertz et le Maghreb », janvier 2005.
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Mars-avril 2007
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