L’Encéphale (2009) 35, 353—360 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP NEUROPSYCHOLOGIE Potentiel d’apprentissage et revalidation cognitive dans la schizophrénie Learning potential and cognitive remediation in schizophrenia S. Raffard a,∗, M.-C. Gely-Nargeot c, D. Capdevielle a, S. Bayard b, J.-P. Boulenger a a Service universitaire de psychiatrie adulte, hôpital de la Colombière, CHU de Montpellier, 39, avenue Charles-Flahault, 34295 Montpellier cedex 5, France b Service universitaire de neurologie, hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France c EA4210, unité de psychopathologie et de neuropsychologie, université Paul-Valéry, 34199 Montpellier 3 cedex 5, France Reçu le 12 janvier 2007 ; accepté le 6 juin 2008 Disponible sur Internet le 8 janvier 2009 MOTS CLÉS Revalidation cognitive ; Potentiel d’apprentissage ; Schizophrénie ∗ Résumé Il est actuellement admis que les troubles cognitifs font partie du noyau de la maladie schizophrénique. Ces déficits sont de mieux en mieux décrits et s’avèrent être un handicap majeur dans la réinsertion sociale des patients souffrant de ce trouble mental. Afin d’y remédier différents programmes de revalidation cognitive ont été développés au cours de ces 20 dernières années. Toutefois il s’avère que tous les patients ne sont pas susceptibles de bénéficier de ce mode de prise en charge de façon optimale et il semble donc important de pouvoir discriminer quels sont les patients susceptibles de répondre positivement à ces nouvelles méthodes thérapeutiques. Le potentiel d’apprentissage est un concept qui rend compte de la capacité pour un sujet d’acquérir de nouvelles habiletés et de bénéficier d’instructions visant à réaliser une tâche donnée. L’évaluation de ce potentiel d’apprentissage se déroule classiquement en trois parties. Une phase de prétest où on évalue les capacités du sujet à réaliser une tâche et qui permet ainsi d’avoir une ligne de base des performances initiales du sujet. Une phase d’entraînement à la tâche où on donne au sujet des instructions aidant à la réalisation de la tâche. Une phase de post-test qui constitue une troisième évaluation de la capacité du sujet à réaliser la tâche initiale. L’augmentation des performances du sujet entre les phases une et trois représente la capacité d’apprentissage du sujet évalué. S’il existe un ensemble de variables Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Raffard). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2008.06.014 354 S. Raffard et al. cliniques impliquées dans la réussite des programmes de revalidation comme la conscience des troubles ou la motivation, le potentiel d’apprentissage constitue une mesure cognitive de la capacité d’un patient à pouvoir bénéficier d’une revalidation cognitive et apparaît secondairement être une mesure pronostique valide de réhabilitation psychosociale. Nous nous proposons de décrire et d’expliciter les troubles cognitifs dans la schizophrénie, les différentes méthodes de revalidation cognitive et le concept de potentiel d’apprentissage afin de permettre au clinicien de mieux comprendre la pertinence des ces concepts dans la réhabilitation psychosociale et la revalidation cognitive des patients affectés de schizophrénie. © L’Encéphale, Paris, 2008. KEYWORDS Cognitive remediation; Learning potential; Schizophrenia; Functional outcomes Summary Background. — Many studies have stressed the importance of neurocognitive deficits in schizophrenia that represent a core feature of the pathology. Cognitive dysfunctions are present in 80% of schizophrenic patients, including deficits in attention, memory, speed processing and executive functioning, with well-known functional consequences on daily life, social functioning and rehabilitation outcome. Recent studies have stressed that cognitive deficits, rather than the positive or negative symptoms of schizophrenia, predict poor performance in basic activities of daily living. If it is possible to reduce psychotic symptoms and to prevent relapses with antipsychotic medication, it is not yet possible to have the same convincing impact on cognitive or functional impairments. Cognitive remediation is a new psychological treatment which has proved its efficacy in reducing cognitive deficits. A growing literature on cognitive rehabilitation suggests possibilities that in schizophrenia, specific techniques are able to enhance an individual’s cognitive functioning. Literature findings. — Presently, two distinct and complementary cognitive remediation methods have been developed: the compensatory and the restorative approaches: (A) restorative approaches attempt to improve function by recruiting relatively intact cognitive processes to fill the role of those impaired, or by using prosthetic aids to compensate for the loss of function; (B) in contrast, in the restorative approach cognitive deficits are targeted directly through repeated practice training. However, results concerning cognitive remediation remain inconsistent. It is clear that not all individuals with schizophrenia display cognitive impairment, and even among those who do, the specific pattern of cognitive functioning varies. Moreover, traditional neurocognitive assessment, with a single or static administration of cognitive measures, provides moderately good prediction of skills acquisition in schizophrenia. Among other factors such as motivation, awareness of having a disease and acuteness of symptomatology, some studies have exposed that a cognitive variable, learning potential could mediate in part the effectiveness of cognitive remediation. Discussion. — The concept of learning potential is used to explain some of the observed variability in cognitive functioning. Learning potential is the ability to attain and utilize cognitive skills after cognitive training: it is assessed by individual variation in performance across three consecutive administrations of the Wisconsin Card Sorting Test (WCST): a pretest with standard instruction procedures, a training phase with expanded instruction and a post test with only standard instruction. Three learner subtypes can be identified: ‘‘learners’’ who perform poorly at the pretest but improve performance during the post-test, ‘‘non-retainers’’ who perform poorly at pre-test and do not improve at post-testing and ‘‘high achievers’’ who perform well in the initial pretest and maintain their good performance across the other two administrations. The assessment of learning potential could predict, with other psychological measures such as insight and motivation, the most effective neurocognitive rehabilitation program for an individual patient, and could help the clinician to optimize patient outcome through appropriate individual management. Conclusion. — Indeed, learning potential could represent a good cognitive predictor and indicator for rehabilitation in schizophrenia for clinicians and should be used in cognitive assessment practice. However, the individuals most likely to benefit from cognitive remediation, and whether changes in cognitive function translate into functional improvements, are as yet unclear. © L’Encéphale, Paris, 2008. Potentiel d’apprentissage et revalidation cognitive dans la schizophrénie Introduction La prise en charge des patients affectés de schizophrénie connaît des avancées significatives depuis plusieurs années, essentiellement dues aux avancées de nos connaissances scientifiques sur ce trouble neurodévelopemental. Les études en neuropsychologie et en psychologie cognitive notamment ont permis de sortir d’une vision dichotomique de la symptomatologie (positive versus négative) [8] qui fait encore autorité dans la pratique clinique mais qui a le défaut de négliger l’influence des déficits cognitifs présents chez plus de 80 % des patients. En effet, il apparaît à travers de nombreuses études longitudinales autant prospectives que rétrospectives que les troubles cognitifs handicapent sévèrement les patients affectés de schizophrénie dans leur fonctionnement en vie quotidienne et leur possibilité de réinsertion sociale [11,13,23]. De nombreuses recherches ont ainsi été initiées afin de développer aux côtés des approches pharmacologiques des méthodes originales et efficaces de prise en charge de ces dysfonctionnements cognitifs [2—4,19—22,25,27]. S’il apparaît que les antipsychotiques atypiques réduisent les déficits cognitifs dans un certain nombre de domaines leurs effets demeurent relativement modestes [5,18]. Parmi ces différentes approches, la revalidation cognitive est une intervention psychologique dont la cible est l’amélioration du fonctionnement neurocognitif d’un patient et qui s’origine des méthodes utilisées dans la réhabilitation des traumatisés crâniens. Il a fallu attendre les années 1990 pour que ces techniques soient appliquées aux patients atteints de schizophrénie et donnent lieu à des études contrôlées dont les résultats positifs ont permis leur développement [39]. Il est important de noter que la revalidation cognitive se différencie de la thérapie cognitive dont la pratique vise à changer les schémas et les croyances dysfonctionnelles responsables en partie du maintien des idées délirantes dans les troubles schizophréniques [1]. Cependant, il s’avère que les prises en charge cognitives ne permettent pas d’améliorer significativement le fonctionnement cognitif et fonctionnel de tous les patients [32,34,37,43,44]. Il semble en cela déterminant de pouvoir sélectionner quels sont les sujets dont on peut améliorer le fonctionnement cognitif, ce qui permettrait de privilégier certains axes dans leur réhabilitation psychosociale et proposer aux autres patients qui ne répondent pas ou peu à ces programmes de revalidation cognitive une prise en charge adaptée et compensatoire. Les troubles cognitifs dans la schizophrénie et leur impact sur la vie quotidienne Les troubles cognitifs dans la schizophrénie sont actuellement bien documentés et constituent une cible thérapeutique privilégiée et en enjeu majeur dans la prise en charge des patients schizophrènes [5,6,12]. Si longtemps la symptomatologie positive a constitué une cible privilégiée de l’intervention psychiatrique par l’intermédiaire des neuroleptiques, cette approche thérapeutique se révèle limitée puisque entre 30 et 50 % des patients schizophrènes souffrent encore après traitement d’hallucinations et que d’autres facteurs comme les 355 déficits neurocognitifs semblent influencer le pronostic et l’efficacité globale des prises en charge [9,11,17,23,25,27]. On peut distinguer concernant les troubles cognitifs dans la schizophrénie deux formes de déficits : des déficits impliquant des facteurs spécifiques comme la mémoire, l’attention, les fonctions exécutives [9,13,16,31] et des déficits impliquant des facteurs généraux comme un ralentissement global du traitement de l’information mesuré par les temps de réaction et la limitation des ressources cognitives [31]. Si les déficits cognitifs apparaissent comme étant des déficits traits [31] et apparaissent relativement stables dans le temps [14,30], certains facteurs peuvent en influencer l’expression et l’intensité [31,48]. Ainsi, l’évolution de ces déficits s’exprime en quatre phases bien différenciées [48] : • des déficits traits présents avant le déclenchement de la maladie et ne s’aggravant pas au cours de la maladie ; • des déficits états qui varient en fonction de l’intensité de la symptomatologie notamment négative pouvant altérer la fluence verbale, la mémoire [17] ou les fonctions exécutives [9] ; • des déficits acquis qui apparaissent juste avant et pendant le premier épisode tout en restant stables au cours de la maladie, présents même lors des phases de rémission [17] ; • enfin, tout récemment des études longitudinales ont pu mettre en évidence un sous-groupe de sujets schizophrènes âgés qui subiraient un déclin cognitif, équivalent à un processus dégénératif, supérieur à un déclin normal dû à l’âge [48]. Ces troubles cognitifs sont présents dès le premier épisode et ne peuvent alors pas être expliqués par la médication [16]. Quatre-vingt-dix pour cent des patients schizophrènes ont un déficit dans au moins une fonction cognitive et 75 % dans au moins deux fonctions [28]. Même si entre 15 et 20 % des sujets affectés de schizophrénie ont un fonctionnement cognitif normal (sujet dits à haut fonctionnement), une perte du niveau intellectuel (QI) se révèle être quasisystématique [31,37,48]. Il convient cependant de noter que les études neuropsychologiques de patients schizophrènes ont pu mettre en exergue une grande variabilité interindividuelle des profils cognitifs et qu’il en découle l’importance d’évaluer chaque patient au cas par cas [35]. D’un point de vue plus écologique, l’impact de ces troubles cognitifs dans la vie quotidienne des patients schizophrènes connaît un intérêt croissant depuis quelques années [5,8,21]. Pour certains auteurs, plus que la symptomatologie positive ou négative, le profil neurocognitif d’un patient influence son fonctionnement en vie quotidienne [11,13,23]. Kurtz et al. [23] montrent sur un suivi de cohortes de quatre ans que la pauvreté d’initiation psychomotrice et la désorganisation mais aussi les déficits cognitifs influencent significativement les capacités d’adaptation dans la vie sociale et la qualité de vie des patients schizophrènes. L’Institut national de santé mental aux États-Unis (NIMH) a ainsi décidé d’établir un consensus dans les outils de mesure des fonctions cognitives dans la schizophrénie pour privilégier de nouveaux traitements pharmacologiques permettant d’améliorer les déficits neurocognitifs. Le programme Measurement and Treatment 356 S. Raffard et al. Figure 1 Research to Improve Cognition in Schizophrenia (MATRICS) a ainsi vu le jour en 2004. Le but de ce programme a été d’établir dans un premier temps un consensus dans les variables cognitives et méthodes d’évaluation à utiliser dans les essais cliniques ainsi que les cibles neuropsychophamacologiques. Une batterie neuropsychologique issue d’un consensus entre les différents experts participant à ce projet à été établie et est en cours de validation [12]. Il apparaît désormais comme un consensus international que la revalidation des troubles cognitifs dans la schizophrénie constitue un enjeu majeur dans la prise en charge de ces patients [12] (Fig. 1). Il s’avère néanmoins que les troubles cognitifs expliquent seulement entre 16 et 30 % de la variance [13] dans le statut fonctionnel des patients affectés de schizophrénie et que par conséquent d’autres variables participent de leurs difficultés d’autonomie ou d’accès à une travail rémunéré, notamment les déficits de la conscience des troubles [30,41] ou des effets secondaires des traitements pharmacologiques [12]. La revalidation cognitive dans la schizophrénie : état des lieux Historiquement, le développement des méthodes de revalidation cognitive se sont développées, d’une part, suite aux succès de l’application de ces méthodes dans les traumatismes crâniens [46] et, d’autre part, de résultats issus des études en laboratoires. Ce n’est ainsi à notre connaissance qu’à la fin des années 1970 que des études expérimentales ont pu montrer qu’en modifiant des variables comme la charge attentionnelle les patients affectés de schizophrénie amélioraient leurs performances et ce de manière significative [6,7]. Actuellement, deux approches distinctes et complémentaires sont utilisées dans la revalidation cognitive des patients affectés de schizophrénie. L’approche compensatoire L’approche compensatoire consiste en la mobilisation de mécanismes cognitifs intacts ou d’aides environnementales externes pour suppléer aux fonctions altérées. On retrouve parmi les différentes méthodes compensatoires utilisées, l’apprentissage sans erreur [19—21,27,29] et l’aménagement ergonomique de l’environnement du patient [35,39]. L’apprentissage sans erreur est une méthode de revalidation mnésique qui consiste à éviter, lors d’un apprentissage, toute erreur en fournissant au sujet la bonne réponse plutôt que de lui faire deviner. Cette méthode permet d’utiliser les processus mnésiques intacts des patients schizophrènes (processus implicites, automatiques) afin de pallier aux processus déficitaires de la mémoire (processus explicites) qui nécessitent une récupération consciente de l’épisode appris et qui se révèlent être altérés dans la schizophrénie [20,21,27,29]. Cette technique apparaît efficace dans la revalidation cognitive des fonctions mnésiques dans la schizophrénie [19,20,21,25,27] notamment parce qu’elle ne nécessite pas une capacité d’autocorrection et donc d’un rappel conscient de l’information mnésique, capacités qui s’avèrent altérées dans la schizophrénie [29,31]. L’approche restauratrice L’approche restauratrice quant à elle va consister à améliorer les performances des fonctions altérées à travers des exercices répétés dont la difficulté sera augmentée graduellement. Les techniques qui en découlent visent par l’intermédiaire d’un entraînement, à restaurer ou du moins à améliorer le fonctionnement d’un processus cognitif. Il s’agit d’une conception « musculaire » de la revalidation cognitive. La fonction est considérée comme un muscle qu’il suffit d’entraîner pour en améliorer la fonctionnalité. Plusieurs méthodes de revalidation cognitive ont été utilisées avec succès en individuels [25,48] ou en groupes [2—4,33], notamment la revalidation cognitive assistée par ordinateur [3,33] ou les méthodes papier-crayon [2,4]. En ce qui concerne l’efficacité des approches restauratrices, bien que certaines études aient montré que des fonctions comme l’attention et certaines fonctions exécutives puissent être améliorées par l’intermédiaire de ces méthodes [2,3,11,17], les résultats sont peu consistants. Les fonctions mnésiques particulièrement touchées dans la schizophrénie [11,16,31] ne semblent pas pouvoir être directement améliorées [22,38]. Benedict et al., [4] montrent une absence de généralisation des effets de la revalidation à la vie quotidienne des compétences acquises, tandis que d’autres études montrent au contraire un effet de généralisation à d’autres fonctions cognitives et en vie quotidienne ainsi qu’un effet durable dans le temps [2,3,48,49]. Ces résultats contradictoires peuvent être expliqués par plusieurs facteurs : d’une part, certaines études ne proposent pas un post-test pour savoir si les résultats obtenus durent dans le temps [3,33] et, d’autre part, elles n’évaluent que rarement la généralisation des résultats acquis durant la revalidation cognitive à la vie quotidienne en dehors des exercices spécifiquement travaillés [3,33]. Néanmoins, il apparaît maintenant établi que le revalidation cognitive améliore significativement les performances cognitives et le fonctionnement psychosocial des sujets affectés de schizophrénie [26]. En dehors de ces problèmes méthodologiques, il s’avère néanmoins qu’il existe des différences interindividuelles dans cette capacité à pouvoir bénéficier d’une revalidation. Des équipes de recherche ont ainsi essayé de déterminer en dehors de facteurs psychologiques comme la motivation et la conscience des troubles [40,45], s’il existait des facteurs cognitifs qui permettaient de prédire une amélioration du fonctionnement cognitif par l’intermédiaire de programmes de revalidation cognitifs [32,34,43—45]. Une mesure a été Potentiel d’apprentissage et revalidation cognitive dans la schizophrénie 357 ainsi développée sous le nom de potentiel d’apprentissage [32,34,42,43,44,45]. Le concept de potentiel d’apprentissage : un indice pronostique cognitif de réussite des programmes de revalidation cognitive et de réhabilitation psychosociale Comme nous l’avons vu précédemment la motivation, la conscience des troubles d’une personne affectée de schizophrénie influence son engagement et la réussite des programmes de revalidation cognitive qui pourraient lui être proposés. Si les facteurs cliniques comme l’insight nécessitent des prises en charge spécifiques [30], des études ont recherché s’il existait des variables cognitives qui permettraient une prédiction dans la réussite des programmes de revalidation cognitive. Le potentiel d’apprentissage est un concept qui rend compte de la capacité pour un sujet d’acquérir de nouvelles habiletés et de bénéficier d’instructions visant à réaliser une tâche donnée. Contrairement aux tests neuropsychologiques ou d’intelligence classiques qui explorent les capacités d’un individu à un moment donné (mesure d’apprentissage « unique »), le potentiel d’apprentissage est une mesure dynamique qui permet de cibler et mettre en valeur des capacités latentes ou cachées chez un individu [15]. L’évaluation de ce potentiel d’apprentissage se déroule classiquement en trois parties. Une phase de prétest où on évalue les capacités du sujet à réaliser une tâche et qui permet ainsi d’avoir une ligne de base des performances initiales du sujet. Une phase d’entraînement à la tâche où on donne au sujet des instructions aidant à la réalisation de la tâche. Une phase de post-test qui constitue une troisième évaluation de la capacité du sujet à réaliser la tâche initiale. L’augmentation des performances du sujet entre les phases une et trois représente la capacité d’apprentissage du sujet évalué. Le test qui a été utilisé afin d’évaluer cette capacité d’apprentissage dans la schizophrénie est le Wisconsin Card Sorting Test (WCST), un test évaluant les fonctions exécutives, fonctions cognitives sollicitées lors d’une situation nouvelle, non routinière. Cette méthode permet de déterminer les patients susceptibles de bénéficier d’une revalidation neurocognitive et fournit aussi un indice de réussite de la réinsertion sociale des patients [32,34,42,43]. Pour Wield et al. [42—45], le potentiel d’apprentissage sous tendrait la capacité pour les patients schizophrènes d’acquérir et de mettre en pratique les habiletés à la vie quotidienne comme les capacités au travail ou à la vie en autonomie. L’évaluation du potentiel d’apprentissage a permis à travers plusieurs études de discriminer trois groupes qualitativement différents dans leur capacité à bénéficier d’instructions dans la bonne réalisation d’une tâche [43,44]. Un groupe à haut potentiel qui montre dès la phase initiale d’évaluation de bonnes performances, un groupe initialement peu performant mais qui va bénéficier des instructions données et enfin un groupe initialement peu performant qui ne bénéficiera pas des aides et instructions données par l’examinateur. Données importantes, le potentiel d’apprentissage parmi les sujets affectés de schizophrénie n’apparaît pas dépendre de la sévérité des Figure 2 symptômes, du niveau d’éducation, ni du nombre ou de la durée des hospitalisations [45]. D’autres auteurs ont préféré dichotomiser leurs populations étudiées en deux sous-groupes, un groupe à haut potentiel et un groupe à faible potentiel d’apprentissage en fonction de leur indice d’apprentissage entre la première et la troisième passation du WCST [32,34]. Donnée clinique importante, l’intérêt prédictif du potentiel d’apprentissage avec le WSCT a pu être validé et généralisé écologiquement en le corrélant avec deux activités de vie la quotidienne : un classement de fiches et l’assemblage d’un réservoir de toilettes [20,34]. Il est de même un indice valable d’acquisition de nouvelles compétences qui apparaissent se maintenir trois mois après la période d’apprentissage et permet de prévoir jusqu’à 15 % de variance dans la bonne réalisation de l’activité à effectuer [35] (Fig. 2). Cependant, même si le groupe de patients affectés de schizophrénie à haut potentiel d’apprentissage bénéfice significativement plus des méthodes de revalidation (restauratrice versus compensatoire) à la fois dans la précision et l’exactitude des tâches réalisée, il n’est pas un indice de prédiction valide pouvant en lui-même orienter vers une méthode conventionnelle de revalidation cognitive ou une méthode utilisant la technique d’apprentissage sans erreur [34]. Elle explique cependant entre 13 et 15 % d’apprentissage supplémentaire en comparaison à une mesure unique de potentiel d’apprentissage [34] et s’avère donc importante à évaluer avant toute intervention. Ainsi, dans les deux types de méthodes il permet de prédire le groupe de patients qui bénéficiera significativement plus que l’autre groupe d’une revalidation cognitive [34]. Le potentiel d’apprentissage permet ainsi de prévoir la capacité d’apprentissage quel que soit la technique de revalidation utilisée (apprentissage guidé ou apprentissage sans erreur) [34] et une étude récente montre que cela semble pouvoir s’appliquer aussi bien aux troubles schizophréniques que bipolaires ainsi que dans les dépressions unipolaires [32]. D’un point de vue neuropsychologique, les fonctions cognitives les plus corrélées avec le potentiel d’apprentissage seraient : • • • • la mémoire épisodique verbale [32] ; la mémoire de travail [24,32] ; l’attention soutenue [45] ; la vitesse de traitement de l’information [24]. 358 D’autres études semblent cependant nécessaires pour savoir si un autre test neuropsychologique permettrait de meilleures prédictions et des estimations plus fiables [34,45]. Conclusion et nouvelles directions L’impact des troubles cognitifs dans la schizophrénie représente un enjeu majeur dans la prise en charge de cette pathologie. En ce qui concerne la revalidation cognitive des patients affectés de schizophrénie une troisième voie semble actuellement se développer [25] En effet, il semblerait légitime de supposer que l’amélioration des déficits cognitifs chez les patients affectés de schizophrénie améliore leur fonctionnement en vie quotidienne. Or les résultats sont contrastés. Soit la généralisation des améliorations des déficits en vie quotidienne est limitée, voire quasi-absente, soit ils ne durent que peu dans le temps certainement parce que les processus impliqués dans les tâches cognitives qui sont entraînées et les processus cognitifs impliqués dans les activités en vie quotidienne sont peu superposables [25]. Des approches plus écologiques et basées sur la plainte et les objectifs personnels des patients apparaissent particulièrement intéressantes en ce qui concerne l’engagement des patients dans des programmes de réhabilitation plus globaux [25,48]. L’aspect contraignant de ce genre d’approches individualisées étant le coût à la fois en heures de soins et à la fois en personnel nécessairement bien formé. Cependant, ils interviennent sur des variables non cognitives fortement impliquées dans la réussite des programmes de revalidation cognitive comme la motivation et la plainte cognitive [40] et, en outre, ils s’adaptent aux activités de vie quotidienne et non le contraire. Les objectifs sont ainsi construits avec le patient de manière hiérarchisée avec des objectifs limités, mais dont l’efficience est directement évaluable en vie quotidienne chez les sujets participant à ce genre de revalidation [14,48]. Néanmoins, si les programmes de revalidation cognitive ont pu montrer leur efficacité, il existe des patients qui n’améliorent pas ou peu leur fonctionnement cognitif quelle que soit l’approche utilisée, compensatoire ou restauratrice. Il est donc nécessaire en dehors des techniques de revalidation utilisées (individuelle versus généralisée ou compensatoire versus restauratrice) de disposer d’indicateurs psychologiques (conscience des troubles, motivation) et cognitifs comme le potentiel d’apprentissage. Pour les sujets avec un faible potentiel d’apprentissage, une première étape de revalidation cognitive notamment individuelle avec les techniques d’apprentissage sans erreur et centrées sur des programmes individualisés [19—21,25] sont à privilégier. Les approches psychoéducatives ou de revalidation cognitive groupales plus économiques en temps et en moyens nécessaires seraient elles indiquées préférentiellement aux sujets à haut potentiel d’apprentissage. Finalement, le potentiel d’apprentissage de par son approche évaluative dynamique semble être d’un intérêt majeur pour sélectionner les patients à qui seraient proposées ces nouvelles approches et techniques thérapeutiques tout en prenant en compte d’autres données S. Raffard et al. cliniques comme la conscience des troubles, la motivation ou l’intensité de la symptomatologie. Les données de la littérature mettent en exergue l’importance d’une évaluation multidisciplinaire fine et ciblée dans tout programme de réhabilitation afin d’évaluer précisément les difficultés des patients en vie quotidienne. Un développement des méthodes d’évaluation comme le potentiel d’apprentissage et des techniques de revalidation cognitive permettrait aux cliniciens d’avoir à leur disposition un ensemble d’outils validés et pertinents pour la prise en charge au long cours des patients schizophrènes. Des recherches futures permettraient de déterminer s’il existe un meilleur outil que le WCST pour mesurer la capacité d’un patient affecté de schizophrénie à acquérir de nouvelles compétences, notamment dans la durée d’évaluation requise. Une seule étude [10] a utilisée parmi des participants affectés de schizophrénie un test neuropsychologique non exécutif et évaluant la mémoire verbale (le California Verbal Learning Test). Fizsdon et al. [10] ont pu montrer qu’utiliser un test de mémoire de façon dynamique pour évaluer le potentiel d’apprentissage apparaît valide même si cela demanderait à être confirmé. Il est important d’évoquer ce qui demeure relativement encore mal connu et qui est une clé de la revalidation cognitive : quelles sont les variables cognitives spécifiques impliquées dans le fonctionnement en vie quotidienne des sujets affectés de schizophrénie ? L’objectif principal de toute revalidation cognitive étant que l’amélioration du fonctionnement cognitif se répercute dans le fonctionnement en vie quotidienne. S’il est nécessaire pour cela de se centrer avant tout sur la plainte des patients et l’analyse précise des difficultés en vie quotidienne [25,48], peu d’études ont pu montrer le lien entre une mesure du potentiel d’apprentissage et sa généralisation au niveau psychosocial [36]. Woonings et al. [47] contrairement à Silverstein et al. [36] ne montrent pas de lien entre le potentiel d’apprentissage et le fonctionnement en vie quotidienne. Il apparaît donc nécessaire de déterminer dans de futures recherches des mesures valides de potentiel d’apprentissage qui concernent des fonctions cognitives impliquées dans le fonctionnement en vie quotidienne. En conclusion avant tout programme de revalidation cognitive, il semble important, d’une part, d’améliorer les symptômes cliniques pouvant freiner l’engagement des patients affectés de schizophrénie comme la motivation et la conscience des troubles et, d’autre part, de privilégier un certain nombre de patients à plus haut potentiel d’apprentissage pouvant bénéficier de ces techniques. Il ne s’agit pas de priver certains patients de méthodes thérapeutiques efficaces mais plutôt d’orienter et de planifier des programmes de soins non pharmacologiques qui peinent à se développer et à être intégrés en France. Références [1] Beck AT, Rector NA. Cognitive approaches to schizophrenia: Theory and Therapy. Annu Rev Clin Psychol 2005;1:577—606. [2] Bell M, Bryson G, Wexler BE. Cognitive remediation of working memory deficits: durability of training effects in severely impaired and less severely impaired schizophrenia. Acta Psychiatr Scand 2003;108:101—9. 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