Potentiel d’apprentissage et revalidation cognitive dans la schizophrénie 355
Introduction
La prise en charge des patients affectés de schizophrénie
connaît des avancées significatives depuis plusieurs années,
essentiellement dues aux avancées de nos connaissances
scientifiques sur ce trouble neurodévelopemental.
Les études en neuropsychologie et en psychologie
cognitive notamment ont permis de sortir d’une vision dicho-
tomique de la symptomatologie (positive versus négative)
[8] qui fait encore autorité dans la pratique clinique mais
qui a le défaut de négliger l’influence des déficits cognitifs
présents chez plus de 80 % des patients. En effet, il appa-
raît à travers de nombreuses études longitudinales autant
prospectives que rétrospectives que les troubles cognitifs
handicapent sévèrement les patients affectés de schizo-
phrénie dans leur fonctionnement en vie quotidienne et leur
possibilité de réinsertion sociale [11,13,23]. De nombreuses
recherches ont ainsi été initiées afin de développer aux côtés
des approches pharmacologiques des méthodes originales
et efficaces de prise en charge de ces dysfonctionnements
cognitifs [2—4,19—22,25,27]. S’il apparaît que les antipsy-
chotiques atypiques réduisent les déficits cognitifs dans un
certain nombre de domaines leurs effets demeurent relati-
vement modestes [5,18].
Parmi ces différentes approches, la revalidation
cognitive est une intervention psychologique dont la cible
est l’amélioration du fonctionnement neurocognitif d’un
patient et qui s’origine des méthodes utilisées dans la
réhabilitation des traumatisés crâniens. Il a fallu attendre
les années 1990 pour que ces techniques soient appliquées
aux patients atteints de schizophrénie et donnent lieu à
des études contrôlées dont les résultats positifs ont permis
leur développement [39]. Il est important de noter que la
revalidation cognitive se différencie de la thérapie cognitive
dont la pratique vise à changer les schémas et les croyances
dysfonctionnelles responsables en partie du maintien des
idées délirantes dans les troubles schizophréniques [1].
Cependant, il s’avère que les prises en charge cogni-
tives ne permettent pas d’améliorer significativement le
fonctionnement cognitif et fonctionnel de tous les patients
[32,34,37,43,44]. Il semble en cela déterminant de pouvoir
sélectionner quels sont les sujets dont on peut améliorer le
fonctionnement cognitif, ce qui permettrait de privilégier
certains axes dans leur réhabilitation psychosociale et pro-
poser aux autres patients qui ne répondent pas ou peu à ces
programmes de revalidation cognitive une prise en charge
adaptée et compensatoire.
Les troubles cognitifs dans la schizophrénie et
leur impact sur la vie quotidienne
Les troubles cognitifs dans la schizophrénie sont actuelle-
ment bien documentés et constituent une cible thérapeu-
tique privilégiée et en enjeu majeur dans la prise en charge
des patients schizophrènes [5,6,12].
Si longtemps la symptomatologie positive a constitué
une cible privilégiée de l’intervention psychiatrique par
l’intermédiaire des neuroleptiques, cette approche thé-
rapeutique se révèle limitée puisque entre 30 et 50 %
des patients schizophrènes souffrent encore après traite-
ment d’hallucinations et que d’autres facteurs comme les
déficits neurocognitifs semblent influencer le pronostic et
l’efficacité globale des prises en charge [9,11,17,23,25,27].
On peut distinguer concernant les troubles cognitifs
dans la schizophrénie deux formes de déficits : des défi-
cits impliquant des facteurs spécifiques comme la mémoire,
l’attention, les fonctions exécutives [9,13,16,31] et des
déficits impliquant des facteurs généraux comme un ralen-
tissement global du traitement de l’information mesuré par
les temps de réaction et la limitation des ressources cogni-
tives [31]. Si les déficits cognitifs apparaissent comme étant
des déficits traits [31] et apparaissent relativement stables
dans le temps [14,30], certains facteurs peuvent en influen-
cer l’expression et l’intensité [31,48].
Ainsi, l’évolution de ces déficits s’exprime en quatre
phases bien différenciées [48] :
•des déficits traits présents avant le déclenchement de la
maladie et ne s’aggravant pas au cours de la maladie ;
•des déficits états qui varient en fonction de l’intensité
de la symptomatologie notamment négative pouvant alté-
rer la fluence verbale, la mémoire [17] ou les fonctions
exécutives [9] ;
•des déficits acquis qui apparaissent juste avant et pendant
le premier épisode tout en restant stables au cours de
la maladie, présents même lors des phases de rémission
[17] ;
•enfin, tout récemment des études longitudinales ont pu
mettre en évidence un sous-groupe de sujets schizo-
phrènes âgés qui subiraient un déclin cognitif, équivalent
à un processus dégénératif, supérieur à un déclin normal
dû à l’âge [48].
Ces troubles cognitifs sont présents dès le premier épi-
sode et ne peuvent alors pas être expliqués par la médication
[16]. Quatre-vingt-dix pour cent des patients schizophrènes
ont un déficit dans au moins une fonction cognitive et 75 %
dans au moins deux fonctions [28]. Même si entre 15 et
20 % des sujets affectés de schizophrénie ont un fonction-
nement cognitif normal (sujet dits à haut fonctionnement),
une perte du niveau intellectuel (QI) se révèle être quasi-
systématique [31,37,48]. Il convient cependant de noter que
les études neuropsychologiques de patients schizophrènes
ont pu mettre en exergue une grande variabilité interindivi-
duelle des profils cognitifs et qu’il en découle l’importance
d’évaluer chaque patient au cas par cas [35]. D’un point
de vue plus écologique, l’impact de ces troubles cognitifs
dans la vie quotidienne des patients schizophrènes connaît
un intérêt croissant depuis quelques années [5,8,21]. Pour
certains auteurs, plus que la symptomatologie positive ou
négative, le profil neurocognitif d’un patient influence son
fonctionnement en vie quotidienne [11,13,23]. Kurtz et al.
[23] montrent sur un suivi de cohortes de quatre ans que
la pauvreté d’initiation psychomotrice et la désorganisation
mais aussi les déficits cognitifs influencent significativement
les capacités d’adaptation dans la vie sociale et la qualité de
vie des patients schizophrènes. L’Institut national de santé
mental aux États-Unis (NIMH) a ainsi décidé d’établir un
consensus dans les outils de mesure des fonctions cognitives
dans la schizophrénie pour privilégier de nouveaux traite-
ments pharmacologiques permettant d’améliorer les déficits
neurocognitifs. Le programme Measurement and Treatment